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Le sang des impurs... [Elie]



Le microphone s'ajusta en une vibration sonore qui attira l'attention de tous les chiens réunis en ce cloaque sombre et abject. Le groupe s'installa lentement, préparant instrument et suite à trois coups sur le sol, la chanteuse vêtue d'une robe de soirée partiellement déchirée laissa sa voix mystérieuse engloutir le brouhaha du bar. L'endroit était mal fréquenté, mais totalement bondé. La pauvreté résultant inévitablement en un regroupement de malfrats désireux d'oublier leur existence, l'espace d'une soirée, il devenait vite évident que parmi cette bande de balafrés et de petites frappes se cachaient certains individus réellement dangereux.

L'un d'entre eux se trouvait dans cette pièce, déguisé d'une bien étrange façon. Nazgahl Cradle, dit la Goule, se complaisait à se fondre dans cette masse grouillante pour y déceler des proies de choix. Au fil des voyages, il était parvenu à acquérir une expérience significative dans le domaine du camouflage et de l’adaptation en milieu civilisé, ce qui le rendait d'autant plus dangereux. Son potentiel d'espion encore inexploité faisait de lui une arme que le plus offrant ne tarderait pas à utiliser, mais il agissait pour l'instant de son propre chef.

C'était donc au terme d'un voyage en tant que passager clandestin que la créature en était venue à se dissimuler dans ce petit cabaret respirant la pauvreté et la tristesse, vêtu d'un manteau long et déchiré qui couvrait son torse maculé de runes, ainsi qu'un chapeau écrasé qui semblait avoir bien vécu. Et pour cause, il avait mis la main sur cette tenue dans une poubelle, son domaine de prédilection où qu'il aille...
Le pire étant qu'il avait déjà compris et assimilé le fonctionnement monétaire de la société, ou du moins la partie nécessaire à sa survie dans ce milieu. De son point de vue, l'argent permettait surtout d'obtenir des aliments sans se faire poursuivre à travers tout le pays, et c'était déjà un avantage suffisamment intéressant pour qu'il en vienne à assassiner froidement une jeune femme afin de dépouiller son cadavre.

Nazgahl entendait la musique, mais son intérêt se portait sur tout autre chose. Il exploitait aujourd'hui de nouvelles techniques de chasse en milieu hostile, et distinguait dans la gorge d'une donzelle une source d'intérêt non-négligeable. Bien en chair, la femelle avait de quoi plaire et faisait donc une cible parfaite pour le monstre vorace. Se léchant les babines en lorgnant la concernée, la créature attablée sagement faisait mine de ne se soucier de rien. Personne ne l'approchait, mais lui observait tout ce qui se tramait. Le manteau grattait, le chapeau gênait son champ de vision, ses chaussures usées et maltraitées le dérangeaient dans ses déplacements, mais il était bien contraint d'obéir à ces pratiques douteuses et passablement stupides... Il enlèverait tout ça en sortant d'ici, à coup sûr.

Son ouïe affûtée lui permettait de distinguer le moindre chuchotement, pour peu qu'il se concentre. Ses yeux décelaient les berrys glissés sous les tables, les lames masquée dans les coins d'ombre ainsi que les calibres posés discrètement sur les banquettes. On était pas très regardant sur la clientèle, ni sur ce qu'elle ramenait dans ses poches. Il régnait en ce lieu une ambiance fort curieuse, mêlant tension et stabilité globale. Il était néanmoins évident, à en juger par les yeux des clients, que leur passif était entrecoupé de passages sanglants et que la moindre braise de menace risquait fort de se changer en bain de sang général.

Une perspective qui n'enchantait pas la Goule. Lui ne souhaitait qu'en attraper un pour s'en délecter tranquillement, au nez et à la moustache des propriétaires des lieux. La voix de la chanteuse s'éleva légèrement, et cette légère distorsion sonore attira sur elle le regard de la chose, qui planta ses iris enflammés dans ceux de la demoiselle. Elle ne tarda pas à s'échapper de ce contact visuel, pressentant à ce simple lien oculaire que quelque chose clochait chez lui. Son sourire carnassier et ses crocs pointus lui avaient probablement mis la puce à l'oreille...

"Dis-voir étranger, je t'ai jamais vu par ici."

"Ssssa ne m'étonne pas."

"Nouveau dans l'coin ?"

Nazgahl renifla une seconde, comme alerté par une piste alléchante. Oui, cet homme qui venait de s'asseoir face à lui était un chasseur également. Un balayage de la pièce lui permit de constater que tous s'étaient focalisés sur la chanteuse dans un concert de sifflements, lorsque cette dernière avait dévoilé sa gambette. Un mauvais chasseur donc, à en juger par son approche indélicate et son attitude ne laissant aucun doute sur ses intentions. Il avait de mauvais yeux, et ça ne plaisait pas à la Goule qui envisageait déjà de les lui arracher pour concocter de petits apéritifs organiques. Le monstre détailla son vis-à-vis, l'observant sous toutes les coutures pour jauger le danger. Musclé, brun, vêtu d'un costume de soirée, il jouait sur un autre tableau que la majorité des clients.

"J'te cause..."

"Oui, nouveau."

"J'me disais aussi, qu'on voyait pas des quenottes comme les tiennes à tous les coins de rue."

Curieux. Nazgahl percevait la peur de son interlocuteur, une émotion si fébrile chez ce dernier qu'elle en était presque indistinguable. Presque, seulement, mais pas assez éteinte pour tromper le fin traqueur qu'il était. La Goule était déjà repérée, semble-t-il, comme étant trop marginale pour être un client classique. Il allait falloir réétudier la notion de camouflage citadin, à bien y songer...

"Ssss'est un fait."

"T'es pas du genre loquace, toi. Tu m'dis si j't'emmerde, ça ira plus vite."

"Sssi je t'emmerde ?"

"Ouais."

"Je ne comprends pas, j'en sssuis navré."

"Tu t'foutrais pas un peu de ma gueule ?"

Enfin, les hostilités. Après s'être tranquillement levé de sa chaise, l'homme en costume vint quitter son assise pour s'installer juste à côté de Nazgahl, menant sa main à l'intérieur de sa veste. Le monstre esquissa un sourire timide, croisant les mains devant sa gueule tout en posant lentement ses coudes sur la table du bar. Ils étaient isolés, très isolés, et c'était plaisant.

"Ecoute, ducon, j'défends les intérêts d'un certain McKahl, tu vois l'idée ?"

"Non."

"C'est ça, c'est ça. Eh bien j't'explique pour que tu l'imprimes bien dans ta tête. Ici c'est chez Monsieur McKahl, et c'est pas un rigolo si tu vois ce que je veux dire. Et par extension, ses hommes ont pour obligation de s'occuper des cas comme toi, les petits malins qui se prennent pour des crapules."

"Crapule ? Je ne suis pas une crapule."

"Ca je sais, mais tu t'en donnes l'air. Alors tu vas gentiment m'suivre, on va t'amener dehors et t'expliquer plus clairement de quoi je cause, ainsi que nos tarifs si tu veux pouvoir quitter cet endroit sans te prendre une balle dans le crâne."

"Menace ?"

"Appelle-ça comme tu veux mon grand, n'empêche que tu vas raquer si tu veux pas crever."

"Donc menace ?"

"M'oblige pas à me répéter."

"D'accord, menace."

Une griffe fila vers la gorge du racketteur, lui perforant la gorge de part en part, lui interdisant de crier par la même occasion. Il poussa bien un gargouillement étouffé mais, fort heureusement, la voix angélique de la chanteuse couvrait ce son désagréable. Vif comme l'éclair, Nazgahl appliqua son autre main sur la plaie, cette dernière tenant une serviette qui absorba le rouge violent qui maculait le cou de sa victime. Aussi furtivement que possible, il allongea le corps le long de la banquette et le fit basculer sous ta nappe blanche, le dissimulant aux yeux du public. Il passerait pour un soûlard quelconque qui s'était assoupi, sans aucun doute.

Beau début de soirée, belle prise.
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Une fois de plus, de retour à Saint-Uréa. Elie est déphasée, complètement assommée par les récents événements. Elle chante dans un bar-cabaret sordide, au milieu d’une bande de crasseux. Elle se serait bien installée dans un petit hôtel bourgeois, mais elle a un passif ici, elle ne veut pas qu’on la reconnaisse, ne veut pas qu’on la montre du doigt, ne cherche même plus un travail de comédienne. Elle pourrait, mais elle n’a pas la force de le faire. Ce n’est qu’une étape, un petit bout de chemin. Elle veut rentrer à North Blue, se reposer, prendre du bon temps, trouver un job stable pour faire un break dans sa carrière tumultueuse d’actrice. Si elle chante, là, dans ce minable bouge rempli d’impuretés, c’est avant tout pour gagner de quoi faire le voyage jusqu’à sa mer, son île peut-être. Si elle n’empoche pas assez, elle fera une autre escale, grappillera encore quelques Berrys, puis reprendra son voyage.

« Antigone ! Lui souffle une voix dans les coulisses. Quand t’auras fini de chanter celle-là, t’auras le droit à une pause, payes toi une boisson, c’est compris dans le salaire. »

Ah oui, elle est ici incognito, sous le pseudonyme d’Antigone, vous l’aurez compris ; vous auriez compris plein de choses si vous écoutiez ce que j’ai dit attentivement, mais bon… Passons. Elle continue de chanter, dévisage sans s’arrêter les clients, tous des regards lubriques aux intentions douteuses. Tous, sauf un, qui accroche son propre regard un instant, au lieu de dévorer des yeux ses jambes, soigneusement dévoilées pour que le client en voie suffisamment sans rien percer à jour. Elie déteste ce genre de gars trop occupés par les pulsions de leur entrejambe pour s’attarder sur un visage. Mais elle est payée pour les supporter, donc elle ignore, elle s’intéresse plutôt à la chose qui l’a scrutée un instant. La chose, oui, infâme. Son regard est plein d’un désir intense, désir de la bouffer, littéralement, et ça lui fait peur. Elle fait mine de s’occuper d’autre chose, continue de chanter.

Le regard qu’elle porte à la salle revient imperceptiblement vers la bête attifée d’un attirail grotesque. Celle-ci discute avec un homme, un des hommes du patron. Un de ceux qui à son passage dans les coulisses, n’ont même pas fait l’effort nécessaire pour tenter de cacher leurs mouvements de la tête vers le bas ; à croire que ses habits étaient transparents. Elle scrute donc la scène, tout en continuant de chanter, bientôt, elle pourra aller boire un verre et souffrir le regard et les remarques de tous. Les deux adversaires se toisent, discutent, elle sent l’animosité des deux partis sans même saisir une goutte de la conversation. Un coup part, rapide, tout le monde la regarde elle, elle est donc le seul témoin de ce qui vient de se passer. La bête dépose son adversaire sous la table, ni vu, ni connu. Si, justement, elle l’a vu et elle a poussé un bref hoquet de surprise, cet homme, si c’en est un, est dangereux.

La musique se termine, on applaudit, pas les bonnes choses de l’avis d’Elie, mais bref, elle descend de l’estrade, s’approche du bar et demande à boire. Quelque chose de frais et de pas trop entêtant. Puis, fébrile, elle s’approche de l’énergumène au chapeau. Attirée par le danger qui émane de lui sûrement. Il ne l’a pas vue arriver, aussi quand elle racle le fond de sa gorge pour le prévenir de sa présence, il sursaute, sur le qui-vive, se retourne et s’apaise en voyant la jeune chanteuse.

« Je… Je peux vous parler une seconde ? Hésita-t-elle.
-Bieen ssssuur ! Je ne vais pas vous maanggger, enfin… »

Décidemment, il avait un don pour rendre mal à l’aise celui-là, son sourire bestial dévoilant des crocs plutôt que des dents aidait beaucoup. Mais son sifflement désagréable rendait l’ambiance encore plus glauque qu’elle n’était. Elie prit place à ses côtés, une boule dans la gorge, la bête la dévorait des yeux. La comédienne s’apprêtait à faire une bêtise, elle le sentait, mais elle voulait en savoir plus sur ce truc, mi-homme, mi-... Elle ne savait pas en fait.

« Que me vvvoulez-vous ? Finit-il par demander, brisant la tension qui s’installait dans le silence.
-Savoir ce qu’est devenu votre précédent interlocuteur serait déjà un bon début, se lança Elie.
-Il avait trop bu, le pauvvvre…
-Vous l’avez tué ?
-Pourquoi vous demandez, sssi vous le sssavez ? Demanda-t-il menaçant puisque attaqué, une vraie bête aux instincts défensifs, mieux valait ne pas lui chercher des noises.
-Pour être sûre. Vous faites souvent ce genre de choses ? »

L’animal parut réfléchir, que cherchait-elle ? Qui était-elle ? Pouvait-elle être plus que ce qu’il n’y paraissait ? Elle ne semblait pas dotée d’une force suffisante pour ne serait-ce que le blesser, alors quoi ? Qu’est ce qui valait tant de questions à son égard ? D’habitude, dès qu’on le voyait, soit on tentait de fuir à toutes jambes, soit on l’agressait. Elle lui posait des questions et la goule ne savait comment réagir.
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Toujours plongé dans ses réflexions, le monstre constata qu'il avait oublié un important détail, à savoir son doigt toujours maculé de ce rouge si intense qui occupait par le passé les veines de sa victime. D'un geste désinvolte, il porta cet index à sa gueule et en suça l’extrémité. La tâche accomplie, il dévoila un sourire mêlant joie et folie furieuse, pour finalement se recentrer sur l'important, les questions posées par son interlocutrice. Après avoir poussé un soupir de contentement, la bête murmura :

"Chaque jour passsé sur cette Terre est une nouvelle opportunité, que je sssaisis sans hésiter."

A la fois vague et sans équivoque, Nazgahl définissait à lui seul le terme paradoxe. A cette pensée, il lâcha un léger rire sardonique. Ses yeux luisants quittèrent un instant l'assistance pour se braquer sur la petite demoiselle qui s'était décidé à lui tenir compagnie, malgré la peur qui s’immisçait dans son cœur. De ce sentiment était sans doute né une forme de curiosité malsaine qui l'avait poussée à s'intéresser à lui, une forme d’appât émotionnel aisément exploitable...

Son expérience du jour étant complétée, il n'avait cependant plus envie de faire de vagues, et décidait de profiter de cette soirée fort plaisante pour continuer sa petite étude des humains dans leur habitat naturel. Et en plus, on venait lui faire la conversation, ce qui lui permettait d'obtenir d'autres informations bienvenues. Il renifla l'air un instant, son nez de fouine s'étant déjà perdu dans de délicats fumets de viande cuite. Il se lécha les babines de sa langue grise et râpeuse, faire un tour en cuisine devenait une perspective envisageable.

Cependant, Nazgahl était bien trop intrigué par la charmante jeune fille pour se permettre de filer en douce. Il ne ressentait pas de terreur chez elle, simplement une indéfinissable curiosité mal placée ainsi qu'une véritable volonté de savoir. Un cas... hypnotisant, pour ainsi dire. Au travers des bandages, les yeux reptiliens se fixèrent sur le corps de la chanteuse avec une impolitesse absolue. La déstabiliser, c'était là son objectif. La fissurer pour mieux la comprendre.

"Et toi, tu n'as donc pas peur de la mort pour venir me poser ce genre de question alors qu'une dépouille se niche sous ma table ?"

Inutile d'en rajouter, les stratagèmes bas visant à impressionner la jeune fille ne fonctionneraient pas de la manière escomptée. Il fallait la jouer fine pour décrypter cette petite, ce qui était aussi enrichissant qu'amusant. La traque psychologique possédait un petit quelque chose d'enivrant que n'avait pas la chasse...

Curieux rapport de force.
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Oui tiens d’ailleurs, quelles étaient les raisons exactes qui avaient poussé Elie à s’approcher du monstre ? L’attrait du danger sûrement ; déjà, petite, elle aimait faire exactement tout ce qu’il fallait pour se mettre dans des situations hasardeuses. Elle réfléchit à comment tourner sa réponse pour que l’autre ne s’en offusque pas et décide de lui faire subir le même sort qu’au cadavre sous la table. Elle cogite. Elle tourne dans sa tête les multiples possibilités qui s’offrent à elle. Trouvé !

« Je ne me suis approché de vous que parce que j’ai la certitude que vous n’oserez pas vous en prendre à moi, à moins d’avoir la soudaine envie de mourir. »

L’envie de mourir ? Ca non, elle pouvait être sûre qu’il ne l’avait pas. Mais qu’est ce qui l’empêcherait, lui, de lui ôter la vie ? Après tout, elle n’était pas en train d’affirmer pouvoir le battre, alors quoi ? Il fallait qu’elle lui dise ce qu’elle avait derrière la tête. Sa trop grande confiance en elle n’était pas bon signe. Avait-elle prévenu quelqu’un de son acte ? Dans ce cas, la tuer ou ne pas la tuer ne changerait rien, il faudrait échapper aux griffes des mafieux quoi qu’il en soit. Non, ce n’était pas ça. Quelle partie du comportement des humains devait-il redouter ? Il jeta un regard alentour. Son instinct lui souffla que quelqu’un le regardait. Et qu’il n’était pas seul. Beaucoup de regards étaient tournés vers la table où il était assis. Il venait de comprendre.

« Vousss avez du succccssèss auprès de cccesss hommes ! Pourtant, vous n’êtes pas aussssi appétissssante que la demoisssellle là-bas… »

Elie regarda la demoiselle en question. Une grosse vache laide comme tout. Pas franchement appétissante pour un sou. Elle se tourna vers la bête, essaya de comprendre ce qui clochait chez lui. Ne comprit pas. Réessaya. Elle n’eut pas le temps de bien se rendre compte, déjà, le patron du bar approchait.

« Excuse-moi Antigone, mais on n’aime pas bien que tu t’attardes avec des inconnus, surtout quand ils ont une face aussi repoussante que la sienne, lui dit-il.
-Une fassse repousssante ? Qu’essst ce que ccc’est les insssultes ? Grinça la goule, sans pour autant faire le moindre geste agressif, il se savait piégé s’il faisait ça.
-Je ne peux pas prendre ma pause comme bon me semble ? Demanda Elie, faussement agacée.
-On voudrait pas qu’il t’arrive des bricoles… T’as reçu ta paie en avance, on voudrait pas gâcher notre argent. »

Elie n’aimait pas qu’on lui donne des ordres, surtout lorsqu’elle était aussi piètrement payée. Elle avait bien envie de mettre un peu le fouillis dans les affaires du cabaret, et son partenaire repoussant pouvait l’aider.

« Il ne m’arrivera rien, monsieur… Monsieur ?
-Naazzgahl… Siffla-t-il méfiant.
-Monsieur Nazgahl, continua la comédienne qui prenait confiance, ne me veut aucun mal. Il a pour principe de ne pas tuer les femmes…
-Priinncccipe ?
-Parce qu’il tue les hommes ? J’voudrais bien voir ça, s’esclaffa le patron.
-Regardez sous la table… »

La bête ne se fit pas prier. Se sentant menacé par les paroles de la jeune femme, autant que par les balourds présents dans le cabaret, il posa son doigt contre la jugulaire de sa voisine, l’attrapa et lui intimant de se taire, recula vers la porte d’entrée. La plupart des hommes présents se levèrent d’un coup, ne sachant que faire pour la jeune femme. Le patron venait de découvrir le corps de son employé. Il se retourna, regarda la bête qui avait presque atteint la porte et cria :

« Arrêtez-le ! Je le veux mort ou vif, et faites attention à la fille, elle m’est précieuse. Faites attention tout de même, il est dangereux, il a tué Prihm.
-Prihm, le chasseur ? Il doit être sacrément balèze le gars, fit remarquer un des loubards.
-En vous y mettant à plusieurs, il n’y a pas de raisons qu’il vous résiste ! »

L’hésitation des hommes de main permit à la goule de s’éclipser totalement. Il devait fuir, et vite. La jeune femme qu’il se trimballait ne l’aidait pas des masses…
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Le rythme cardiaque du fauve s’accéléra subitement lorsque les hommes de main du fameux McKahl sonnèrent l'alerte. Nazgahl percevait de la peur chez ces êtres, mais également une bonne dose d'adrénaline. Ces types étaient ragaillardis par leur nombre conséquent, et ils redevenaient donc des menaces potentielles. Lui ne cumulait que deux avantages, à savoir une otage pas franchement coopérante ainsi qu'un camouflage si crédible qu'il était parvenu à tenir une demi-heure sans se faire poursuivre par des hommes armés.

Sa griffe toujours pressée contre la jugulaire de sa compagne du soir, le monstre bouillonnait. Sa curiosité lui avait coûté la sécurité de son déguisement, quelle petite peste que cette Antigone. La tenant fermement par le bras, la chose tira à lui sa prisonnière pour l'amener dans la rue faisant face au cabaret. Un balayage rapide du pâté de maison lui permit d'identifier le moyen le plus aisé de fuir les agresseurs, et il profiterait bien entendu de l'obscurité pour se tirer de là. Susurrant discrètement à l'oreille de son otage, Nazgahl laissa sa langue grise frôler le cou de la donzelle, dans l'espoir de la menacer en exacerbant la vulnérabilité de cette dernière.

"Ssssi tu me fais un sale coup, Antigone, je ne donne pas cher de cette jolie gorge qu'est la tienne. Kikikihihi."

Sur ses bonnes paroles, il relâcha l'emprise qu'il appliquait sur le cou de sa proie et l'empoigna par l'avant-bras, la traînant avec lui dans une course effrénée. Qu'elle parvienne à le suivre n'avait pas d'importance, il la traînerait s'il le fallait. Et il la tuerait probablement, pour lui apprendre les bonnes manières. Les voilà donc engagés dans une ruelle aussi sombre que son esprit tourmenté. La nuit étant sa meilleure alliée en cette belle soirée, il profita de sa nyctalopie pour se repérer dans ce dédale d'ordures et de planches, tirant Antigone derrière lui sans se soucier de son sort.

"Arrêtez-vous !"

"Tais-toi, vilain garçon."

Un loubard était parvenu à les rattraper, mais aucun individu ne se trouvait à ses côtés. Ils s'étaient séparés pour retrouver leurs cibles, grossière erreur lorsque l'on était confronté à la bête des Blues, dont l'agilité n'était plus à prouver. S'emparant d'une plaque de métal trouvée sur un couvercle de poubelle, le monstre se retourna avec vivacité et l'envoya voler en direction du hurleur. Le projectile fonça comme un boomerang, et un nouveau cadavre vint s'ajouter au palmarès. La tête roula sur le sol un instant, et d'autres cris désordonnés parvinrent aux oreilles de la Goule. Un regard alarmé en arrière, et la créature comprit que ce qui semblait être un cul-de-sac n'en était pas vraiment un. Une grille se dressait devant eux, un obstacle largement franchissable pour lui. Mais qu'en était-il de la jeune femme ?

"On passse par-là. Je te fais grimper et je te rejoins. Sssi tu me fais faux bon..."

Inutile de compléter, elle connaissait la chanson. Sans gêne, Nazgahl saisit Antigone par la taille et la souleva, venant la positionner au sommet de la grille. Elle n'avait plus qu'à passer de l'autre côté pour qu'ils puissent continuer leur route. Mais alors que la femme traversait, Nazgahl entendit une brusque détonation et s'allongea instantanément pour esquiver le coup. Des poursuivants, encore et toujours, calibrés cette fois-ci. Il était nécessaire d'en venir à bout pour passer sans risque, sous peine d'alerter le reste de la meute.

"Les mains sur la tête, pose ton couteau connard !"

"Night Stalker..."

Inutile de déblatérer, le voilà lancé dans sa valse meurtrière. Dans une zone aussi restreinte, il était excessivement facile de rebondir sur les parois à de multiples reprises, et dans des directions aussi variables qu'imprévisibles. La ruelle se changea en théâtre d'un carnage sanglant en quelques secondes, le temps que Nazgahl parvienne à lacérer le corps des imprudents. La tâche accomplie, le monstre s'appuya sur un mur un instant pour reprendre son souffle, puis il se remémora subitement l'essentiel, la chanteuse. Plaquant une patte sur son visage pour se blâmer de sa stupidité, la Goule fonça comme une torpille vers la grille et bondit par dessus, espérant découvrir la petite de l'autre côté de la barrière.

Il atterrit, et constata avec dépit que ce n'était évidemment pas le cas. Peste, quelle petite peste. Elle représentait à elle seule sa chance majeure de survivre en cas d'accroc, et la voilà partie. A en juger par le nombre de points où les cris naissaient, les voyous ne tarderaient pas à avoir envahi toute la ville basse pour le retrouver. Mais la demoiselle comptait pour eux, Nazgahl le savait et ne pouvait donc se soustraire à la compagnie de cette dernière. Demandant assistance au dieu des hasards fortuits et des situations incongrues, le monstre plaça ses mains devant sa gueule et lança :

"Antigone, tu es là ?"

Après tout, elle s'était peut être simplement cachée pour éviter les coups de feu, ce qui était un comportement louable...
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Elie n’aurait jamais imaginé que les évènements prendraient une telle tournure. Elle avait dit des choses pour chercher la merde dans les affaires de McKahl, sans pour autant être impliquée. Finalement, c’était elle qui souffrait le plus de ses propres bêtises. Parce que si elle se sentait en sécurité au milieu de tout le groupe de mafieux, du moins dans une certaine mesure, elle était désormais seule, isolée, et beaucoup trop proche de la bête… De Nazgahl. Il fallait qu’elle le considère comme humain, sinon, comment pourrait-elle espérer survivre à cette rencontre.

« Antigone ! Antigone ! Continuait d’appeler la goule, tout en la cherchant un peu partout. »

À ce rythme-là, il la retrouverait de toutes façons, elle n’était pas bien cachée, pas suffisamment bien, et tenter la fuite serait bien inutile. Ahh, elle se maudissait de son incapacité à ne serait-ce que frapper son adversaire. Elle était faible, trop faible, mais elle n’y pouvait rien. Enfin… Si ses muscles n’existaient pas, il ne lui restait qu’une seule alternative, son cerveau. Dont elle se servait plutôt correctement. Rester cachée empirerait les choses, elle le savait. Aussi, elle finit par se relever, puis d’une voix faussement assurée :

« Nazgahl ?
-Ah, te voilà… Je ne voudrais pas te perdre.
-C’est exactement ce que se sont dit tous les hommes tout à l’heure dans le bar, ne pas me perdre… Pfff. Tous les mêmes. Qu’est-ce que tu comptes faire de moi ?
-Pour l’inssstant, tu me ssers de couverture, tu vas ressster en vie.
-Charmant. Et comment comptes-tu t’échapper ? Ils te traqueront jusqu’à ce qu’ils t’attrapent. »

La question arrêta la bête qui se rapprochait de son otage du moment. Il ne comprenait pas le comportement de ces humains. Pourquoi tenaient ils donc tant à l’attraper ? Lui-même n’avait pas de cibles en particulier, il tuait parce qu’il aimait ça. Il n’irait sûrement pas risquer sa vie à traquer un adversaire d’un jour esseulé mais dangereux. Les humains étaient bizarres, il ne cesserait de se le dire. Quoi qu’il en soit, si ce qu’elle disait était vrai, il savait quoi faire.

« Mmmh, c’est toi qui va m’aider à quitter l’île ! »

Elie ne s’était pas attendu à cette réponse. Elle haussa un sourcil, se demandant ce que pouvait bien mijoter le Nazgahl. Elle n’avait plus peur, plus pour l’instant du moins. De toute façon, elle n’avait pas le choix, il lui fallait le suivre, sinon, c’était la mort assurée pour elle. À la première bonne occasion qu’elle trouverait, elle s’enfuirait, mais avant, mieux valait rester bien sage.

***

« Chef ! Retentit une voix dans l’escargophone posé juste à côté de l’agent Smith. On a de l’agitation dans la ville basse.
-De l’agitation ? Comment ça ? Faut-il que je vienne vous filer un coup de main soldat ?
-On a une bande de mafieux qu’on tenait jusqu’ici dans les limites de leur cabaret minable, qui farfouille un peu partout, ils semblent traquer une bête, un animal, ou quelque chose du genre. Mais venez voir par vous-même, ce sera plus efficace.
-D’accord j’arrive, on va essayer de trouver ce qu’ils cherchent avant eux, histoire de savoir si c’est vraiment dangereux ou si c’est juste une altercation mineure… »

Spoiler:
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Quitter l'île oui, quitter l'île. Voilà un excellent plan. Le fauve observa les alentours furtivement, cherchant un moyen de s'échapper sans rencontrer d'obstacle humain. Son ouïe perçante décelait néanmoins du mouvement.  Nazgahl ramena la demoiselle contre son torse d'un geste brutal, braquant son regard mauvais dans celui d'Antigone pour tenter de sonder ses intentions, mais cette dernière ne laissait rien paraître au grand jour. Au fil de ses voyages, le monstre était parvenu à comprendre plus ou moins le système de navigation humain, mais ne disposait d'aucune connaissance précise dans de ce domaine. Par extension, il distinguait les cités comme d'immenses jungles de bétons où les constructions servaient, entre autre, de moyens de repérages. En clair : il avait besoin d'aide.

"Guide-moi jusqu'au port."

Antigone laissa une grimace de dégoût orner son joli minois, étant visiblement indisposée par l'haleine de charogne qu'exhalait la créature masquée, mais Nazgahl ne s'en offusqua nullement. Sa tête changea subitement d'orientation et il tendit l'oreille. Ils étaient piégés par différents groupes d'humains, qui se répartissaient dans le quartier, à en juger par la provenance de ces beuglements. Mais la source de ces bruits était bien étrange, sachant que le duo avait semé les poursuivants qui sortaient tous du bar miteux, il devenait donc bien curieux de penser qu'ils puissent se faire prendre en tenaille. Résultat des courses, les mafieux disposaient de plusieurs nids et se regroupaient tous aux quatre coins de la ville, ce qui n'allait pas franchement faciliter la tâche des évadés.

Alors que la chanteuse orientait son menton pour donner la direction à suivre, Nazgahl resserra sa poigne et la tira vers un mur. Suite à quoi, il la relâcha un instant afin d'envisager une stratégie. S'il envisageait de grimper à ce bâtiment avec la donzelle en liberté accrochée à son dos, il risquait fort de se retrouver dans une situation déplaisante. Lorsqu'il grimpait, il lui était impossible de forcer la jeune femme à se taire ou à le suivre sans faire d'histoire, mais il ne pouvait absolument pas se permettre de la laisser ici, surtout après lui avoir livré ses plans. La tuer était encore moins envisageable... Il trouva une solution à ce dilemme à l'endroit même où ils se trouvaient, à savoir dans la petite ruelle qui leur servait de cachette temporaire.

"Ne bouge pas, tend tes poignets."

Antigone ne sembla pas très disposée à exécuter son ordre, mais le rappel de la griffe mortelle sembla la contraindre bien vite à se plier à ses exigences. Satisfait, le fauve lâcha un petit rire saugrenu et s'empressa de ramasser le corde qu'il avait aperçu dans les détritus. N'y allant pas de main morte, comme à son habitude, il effectua autour des bras de la chanteuse un vilain nœud bien costaud, de quoi l'empêcher de gigoter lorsqu'ils escaladeraient cette falaise artificielle. Toujours dans la délicatesse, il la chargea sur son dos en agençant les bras de la petite autour de son cou, s'agençant dans une improbable position pour éviter de se faire broyer la gorge.

"Agrippe-toi à mon manteau, sssi tu ne veux pas te briser la nuque en tombant..."

Au moins, il avait le mérite d'être clair. Jouant des serres, le monstre enfonça ses ongles dans la paroi rocheuse et entreprit d'y monter, le problème étant qu'il se voyait légèrement alourdi par la présence de sa compagne -sans vouloir t'offenser bien évidemment- et qu'il devenait beaucoup plus difficile de parcourir les toits de cette manière. Néanmoins, l'effort ne fut pas vain et ils parvinrent tous deux à s'avancer jusqu'au sommet de la bâtisse. Cette fois-ci, Nazgahl fut bien plus imprévisible et décida à la va-vite d'adopter un autre mode de déplacement, aussi violent que rapide, mais surtout quelque peu... brusque, pour sa partenaire de route.

"On va sauter, accroche-toi."

Ne s'attardant pas dans les détails, le monstre arma un bond furieux et se projeta en l'air comme un missile, secouant la pauvre Antigone dans tous les sens. Ils effectuèrent ainsi la distance qui les séparaient du toit suivant, et Nazgahl reprit de plus belle :

"Eeeeeet ça continue ! KIAHAHAHAH !"

S'amusant de cette petite attraction nocturne et de la mine déconfite de sa camarade, otage, compagne etc... Nazgahl bondit à nouveau, et encore, jusqu'à trouver en contrebas la suite du parcours défini plus tôt par la chanteuse. C'est alors que, dans le noir d'encre de cette nuit sans étoile, il distingua des silhouettes dont la vue souleva chez lui une certaine accélération du rythme cardiaque.  

"Les Marines étendent leur influence jusqu'ici ? Tu aurais pu me prévenir. Je devrais te tuer, pour avoir omis ce détail."

Les voilà dans une sacrée panade, avec cet escadron de soldats devant et cette accumulation de mafieux remontés derrière. Ce n'était pas des Marines, mais la milice locale, chose que la Goule ne connaissait pas encore. Mais pour lui, c'était globalement similaire... Nazgahl observa les environs à l'aide de sa nyctalopie puis, analysant les positions des deux factions, il mit au point un stratagème légèrement aléatoire, mais qui avait de bonnes chances de fonctionner. Laissant Antigone quitter ses épaules pour se "recomposer" après la petite séance de montagnes russes, il entama une réflexion. Oui, ça pouvait marcher. Mais il était encore nécessaire d'en faire part à la donzelle...

"J'ai un plan. Ne bouge pas."

Suite à quoi, le monstre se volatilisa en un éclair, quittant leur mirador improvisé pour retourner à terre, se prenant volontairement en sandwich entre les deux régiments qui se voyaient naturellement opposés par les circonstances. Les soldats n'aimaient pas les voyous et inversement, Nazgahl avait passé suffisamment de temps sur les Blues pour comprendre cette base sociétale. En courant à quatre pattes vers les mafieux, le monstre parvint à atteindre leur groupe sans trop se presser. Une fois remarqué, le monstre les provoqua en effectuant un petit geste obscène et tourna les talons, fonçant avec sa petite troupe de poursuivants en direction des miliciens ameutés plus loin. La rencontre promettait d'être tout à fait saisissante...

A moins qu'Antigone ne se décide à tout faire capoter, réduisant ainsi les chances de survie de la Goule. Ainsi que les siennes, par ailleurs...


Dernière édition par Nazgahl Cradle le Mer 15 Juil 2015 - 9:21, édité 1 fois
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McKahl n’aurait jamais cru qu’il se retrouverait là, à cette heure de la nuit, à arpenter les rues sombres de Saint-Uréa pour retrouver sa chanteuse et l’assassin d’un de ses plus fidèles hommes. Il avait organisé la battue du mieux qu’il pouvait, avec toutes les forces qu’il avait à disposition, mais jusqu’ici, tout ce qu’il avait récupéré, c’étaient un tas de nouveaux cadavres à enterrer. Ils ne méritaient pas ça, même dans son milieu il n’avait encore jamais eu affaire à une telle créature. Car c’était bien une créature et non un homme, il en était certain.

Ils avaient quadrillé une zone où la bête pouvait se trouver. Et depuis, ils ratissaient le secteur. Ils avançaient en rangs serrés, éclairés par des lampes peu lumineuses qui leurs permettaient seulement de voir quelques pas devant eux. Aussi, ils furent pris plutôt au dépourvu lorsque la bestiole vint se caler juste devant leurs yeux, leur dégainant un majeur insultant et s’empressant de filer hors d’atteinte. Subitement, le mafieux fit accélérer ses hommes, il ne devait pas rater cette occasion. La goule les narguait, soit, et c’était une grave erreur de sa part, parce que foi de McKahl, il allait bientôt maudire le jour où il avait osé le défier. Surtout qu’il le rattrapait presque, il pouvait presque l’atteindre, il pouvait presque le toucher, il pouvait presque le tuer.

Il avait disparu. Comme ça, subitement, il l’avait perdu de vue. Et avec la pénombre environnante, impossible de savoir où il était passé. Ah, là devant, ça bougeait, il suffisait de charger, l’arme au poing, et il pourrait transpercer cette pourriture de… Ce n’était pas lui, ou alors il n’était plus tout seul. Il regarda ses hommes à ses côtés, et fonça, arma son bras et massacra le visage de son opposant le plus direct. Son couteau avait transpercé le visage du bonhomme, comme si c’était du beurre, et celui-ci tomba, mort. McKahl analysa la situation. Tous ses hommes étaient désormais en train de combattre, mais de combattre qui ? Il assena un crochet du droit à un nouvel adversaire et profita d’un instant de répit pour détailler l’homme qu’il venait de tuer.

La milice.

La bête venait de les attirer dans un piège. Il connaissait ses forces, et elles n’étaient certainement pas suffisantes pour venir à bout des hommes de la Stanhope. Et il risquait sans doute de tomber sur plus fort que lui dans tout ce merdier. Il fallait qu’il s’en aille, les hommes qui pourraient faire comme lui auraient de la chance, les autres seraient arrêtés ou tués. Vraiment, la goule, si le vieux McKahl te retrouve, t’es mort. En attendant, faut filer d’ici.

« Où est-ce que tu vas McKahl ? L’arrêta la voix de l’agent Smith.
-Je sauve ma peau, parce que vous êtes de vrais enfoirés. C’est pas des manières. Y a plein de bons amis à moi qui vont se faire arrêter, alors que c’est vous les connards qui venez nous chercher directement chez nous.
-Saint-Uréa est à la dame de Pierre, aucun endroit de la ville n’est à toi.
-C’est ce qu’on va voir. »

Et McKahl de bondir en avant, enragé, torpillant son adversaire de coup de poings, tentant de lui infliger de la lame de son couteau le maximum de blessures possibles. Les coups de poings, Palourde les encaissait sans broncher, et il déviait les lames. Il ne souhaitait pas tuer McKahl, l’homme faisait partie du paysage. Mais s’il persistait à vouloir le tuer…

Le chef de la sécurité finit par intercepter le poignet du mafieux. D’un mouvement rapide du bras, il lui infligea une torsion telle que les os et les ligaments cédèrent, craquèrent et arrachèrent un hurlement de douleur à leur propriétaire. Palourde termina le travail par un direct à l’estomac qui étouffa le cri, laissant l’homme choir à ses pieds. C’est alors qu’il entendit enfin la voix qui appelait depuis quelques minutes déjà, en entendant cette souffrance, Elie avait décidé de crier de tout l’air présent dans ses poumons, et elle avait du coffre, elle était comédienne.

« Fallait pas faire de bêtises, tu aurais mieux fait de ne pas faire d’histoires… Susurra Nazgahl qui venait de remonter sur le toit. »

Il attrapa de nouveau Elie, la jetant brusquement sur son dos et prit la fuite. Il n’aurait que peu de temps, et il fallait être malin, Palourde Smith était sur ses talons à présent.

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Toute cette affaire commençait cruellement à sentir le roussi pour notre fameuse Goule nationale. Le monstre continua d'escalader la structure bétonnée, espérant semer ses assaillants venus des deux camps pendant qu'ils se lançaient dans une guerre de clans. Mafieux et Miliciens ne semblaient pas nécessairement faire bon ménage, information à retenir en cas de nécessité de fuite. Tout en grimpant, la chose observait du coin de l'oeil la guerre miniature qui prenait place en pleine rue, et ce n'était pas beau à voir...

Le chef de tribu des mafieux venait apparemment de se faire rompre une bonne partie des os et muscles, à en juger par l'intense craquement provoqué par le membre pris au piège de l'emprise du milicien. Sale spectacle, mais Nazgahl s'en délectait sans honte aucune. Après tout, il n'appréciait pas d'être poursuivi par ces stupides humains, cela lui rappelait trop de mauvais souvenirs. C'est alors qu'un imprévu se produisit, un élément dérangeant qui ne manqua pas de titiller les nerfs de la sombre créature.

Antigone s'était mise à hurler à pleins poumons, attirant l'attention de nombreux protagonistes par la même occasion. Cette petite peste ne manquait rien pour attendre, et Dieu seul savait que l'agacement de Nazgahl Cradle, dernier des Seekers, avait de quoi coller les jetons même aux macchabées. Une fois arrivé au niveau de la gente demoiselle, il lui offrit un sourire mauvais déformer par la colère, avant de la charger sur son dos sans plus de cérémonie. Il n'allait pas seulement la tuer, il allait lui arracher le cœur et sucer son temps à même les artères. Question de temps.

Parlant de temps, il n'en avait plus. Le fameux leader des miliciens était lancé sur les traces du duo le plus improbable de la soirée, et tous trois furent plongés dans une petite course-poursuite, événement classique lorsque Nazgahl pointait le bout de son affreux museau, où que ce soit. Mais si les derniers poursuivants s'étaient finalement révélés être de bien piètres combattants, Nazgahl sentait que ce type là n'était pas spécialement du genre à plaisanter. Premièrement, il parvenait à ne pas se faire distancer malgré l'incroyable vitesse de la Goule et à son agilité naturelle. Deuxièmement, il venait de sectionner le bras d'un mafieux comme on ôtait les ailes d'un poulet fermier. Ce genre de traitement ne plaisant pas spécialement à Nazgahl, il envisageait la fuite comme sa seule hypothèse viable.

Vraiment rapide, ce gaillard. Après une course pareille, ce satané humain aurait dû sembler totalement à bout de souffle. Mais il en était autrement, et sa détermination à les rattraper semblait importante. En plus d'être coriace, ce type-là était donc un véritable petit morpion, chose que la Goule ne cautionnait pas non plus. S'arrêtant brusquement sur le toit qu'elle venait d'atteindre, la chose retira Antigone de son dos pour ensuite l'agripper sauvagement par les cheveux, la contraignant à se maintenir debout tout en dévisageant le coureur de la milice.

"C'est ce joli petit colis que tu veux ?"

Le regard du milicien, allant de Nazgahl à son otage de façon répétée, ne laissa que peu de doute planer sur la situation. Incapable de définir si ces deux-là se connaissaient, la Goule comprit néanmoins que ce gaillard était du genre à protéger la veuve et l'orphelin, et qu'il ne laisserait pas la chanteuse s'éclater sur le sol comme un pamplemousse trop mur.

"Reposez-là, s'il vous plait."

Il se tourna vers la femme, visiblement alarmé.

"Tu vas bien ?"

"Kihihiii. Je peux vous assurer que sa gorge fait encore le lien entre sa tête et le reste. En revanche si vous continuez à me suivre de la sorte, il se pourrait que j'y remédie à ma manière."

"Que voulez-vous ?"

"Moi ? Peu de chossses. Simplement qu'on me laisssse tranquille."

"Vous comprendrez que je ne peux pas vous laissez embarquer cette jeune femme sans rien faire, vous m'en voyez confus."

"Ca peut ssss'arranger, à moins que vous ne décidiez de jouer au plus fin et de tenter de m'arrêter."

"Pour quelle raison le devrais-je ? Vous n'avez commis aucun crime, mis à part enlever mon amie..."

"Je n'ai commis aucun crime ?"

"Pas que je sache, non. Si vous pouviez simplement la lâcher..."

"J'ai le droit de tuer les gens ?"

"Je vous demande pardon ?"

En termes humains, on qualifiait ce genre d'idiotie de "boulette". Nazgahl porta l'une de ses pattes à son faciès bandé, se giflant lui-même pour se punir de sa stupidité. Le milicien n'ayant aucun moyen de savoir qu'il s'était rendu responsable d'un meurtre, il ne le poursuivait que pour récupérer la donzelle et rien d'autre. Tout était fichu, pour le coup. Dernier espoir :

"Non, j'ai rien dit."

"Je suis navré, mais j'ai cru vous entendre dire que vous aviez tué quelqu'un ?"

"Vous vous trompez."

"Pourtant je..."

"Faux."

"Vous m'en voyez navré, mais je maintiens cette version."

"Calomnies."

"C'est embêtant..."

"Quoi donc ?"

Un silence temporaire s'installa, le temps pour les deux partis de se remettre de ce quiproquo gênant.

"Vous admettrez que tuer les gens, ce n'est pas très civil tout de même."

"Hm."

"Reposez-là, s'il vous plait."

"Je suis innocent."

"Vous avez du sang sur les mains."

"Je ne crois pas."

"Au premier sens du terme j'entends, je vois du sang couler depuis votre main. Vous en avez plein sur votre manteau"

"Vous voyez mal."

"Je vois très bien."

"En êtes-vous convaincu ? Je peux vous assurer que ce n'est pas du sang."

"Me laisseriez-vous y jeter un oeil, si vous vous engagez à maintenir ces dires ?"

"Non."

"Pour quelle raison ?"

"Parce qu'on est bien ici, je trouve. Hein Antigone, qu'on est bien ici ?"

Renforçant sa poigne sur la chevelure de la jeune femme, Nazgahl fit hocher verticalement la tête de cette dernière pour appuyer ses dires. Puis, masquant sa gueule de sa main libre -et accessoirement maculée de sang- il se mit à piailler d'une voix suraiguë.

"Oh oui, je suis Antigone et je vais bien. Oulala ce qu'on est bien."

"Permettez-moi d'en douter."

"Ah, et pourquoi donc ?"

"Cette femme est ligotée, monsieur. Et je vois vos lèvres bouger derrière votre main."

"Vous êtes un fin observateur mon cher."

"Je vous remercie. Pourriez-vous consentir à enfin relâcher cette petite ?"

"Qui donc ?"

"Celle que vous tenez dans votre main."

"Pardon ?"

"Vous m'avez compris."

"Oooooh, cette fille-là..."

"Oui."

"Belle nuit, n'est-ce pas ?"

Palourde Smith semblait s'impatienter mais, à défaut de trouver une alternative, Nazgahl continuait à faire durer le suspens en redoublant d'idiotie et d'incohérence. Heureusement que le milicien était bon public...
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Palourde Smith… Décidemment, Elie croisait son chemin à chaque fois qu’elle faisait une escale sur cette île. Elle l’aimait plutôt bien. Et là, il y avait clairement moyen qu’elle l’aime encore plus. Il suffirait pour ça qu’il la libère des griffes de la bête. Et vite.

Il semblait ne pas l’avoir reconnue, ou d’avoir fait semblant de rien. Il discutait avec la goule. Oui, discutait, et ça commençait à gaver Elie toute cette attente. Elle ne tarda pas à le leur faire savoir.

« PALOURDE SMITH !!
-Tu le connais, Antigone ?
-Bien entendu, et lui aussi me connait.
-Je… vous connais mademoiselle ? Antigone, c’est bien un prénom que j’aurais retenu, c’est inhabituel d’entendre ça.
-Ne jouez pas à ce jeu monsieur Smith, vous savez très bien qui je suis…
-Et bien en fait…
-Oui ?
-C’est vrai que vous avez un physique qui ne m’est pas étranger…
-Elie, ça vous rappelle quelque chose ?
-AH !
-Eh oui !
-Vous pouvez m’exsspliquer ?
-Nous avons déjà eu l’occasion d’avoir une petite discussion.
-À quel sujet ? Et qui est cccette Elie ?
-Au sujet d’un meurtre. Et Elie, c’est moi.
-Toi Antig…
-Elie. Antigone, c’était ma couverture pour venir incognito à Saint-Uréa.
-Ce meurtre, c’était toi ?
-Non mais ça ne va pas ! Je ne tue personne moi !
-Hum hum, je ne voudrais pas interrompre votre conversation, mais chère Elie, votre non culpabilité n’a toujours pas été prouvée dans cette affaire.
-Ma culpabilité non plus, que je sache.
-…
-Je ne comprends pas…
-C’est normal.
-Sssi on en revenait au moment où nous étions tranquillement en train de négocccier.
-Oui, tu as raison ! PALOURDE !!! SAUVEZ MOI !
-Ccce n’est pas cce que je voulais dire.
-Attendez, calmez-vous on peut sans doute discuter calmement.
-Ccc’est cce que je viens de suggérer…
-…
-Qu’y-a-t-il mademoiselle Elie ?
-Oh… Rien rien. Vous vous apprêtez juste à discuter de mon sort avec une bête semi-humaine alors que vous pourriez lui troncher la figure en moins de deux sans que ça vous pose problème, j’ai tort ?
-Bien, donc, monsieur… Nazgahl ? »

La goule dressa l’oreille, sans relâcher son étreinte sur la demoiselle. Il devrait utiliser toute sa verve magnifique pour tenter de convaincre le milicien de le laisser partir. Si pour ça il devait laisser en vie son otage… Bon, il y avait peut-être une petite chance qu’il cède à ce genre de choses, même si l’envie de lui arracher les oreilles était grande. Toutefois, si jamais il ne parvenait pas à marchander correctement avec M. Smith… Il lui faudrait être extrêmement prudent.

« Qu’essst ccce que vous me proposssez ?
-Eh bien, de discuter calmement, je viens de le dire.
-Non, je veux dire, il faut bien que nous nous arrangions. Vous me proposez un marché, je vous dit que ça ne vas pas, vous faites des concessions, j’en fais, et nous parvenons à un accord convenable, cela ne vous va pas ?
-Ahhh… Sisisi !
-…
-…
-Eh bien ?
-Vous ne pouvez pas commencer ? Excusez-moi mais je n’arrive pas à entâmer les hostilités, vous savez, ça me bloque et après, je fais n’importe quoi. Commencez, je vous en prie.
-C’est pas gagné… Soupira Elie. »
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Nazgahl ressentait une forte incompréhension mêlée à un sentiment déplaisant de ne pas maîtriser la situation, une forme de peur instinctive et dénuée de véritable fondement, le fameux Palourde ne semblant pas représenter une véritable menace à en juger par sa verve acérée...

Le monstre s'humecta les lèvres, laissant sa pupille rougeoyante aller de l'otage jusqu'au faciès curieux du milicien. Le terme docile sonnait comme un doux euphémisme, mais ce type restait un milicien, et donc probablement pas un enfant de coeur. L'angoisse devait provenir de là, sans aucun doute, une forme de peur instinctive du paisible hippopotame à la mâchoire surpuissante...

Il allait falloir se décider et vite, le monstre n'était pas étranger au processus de marchandages, faire chanter ce malheureux restait dans ses cordes. Esquissant un hideux sourire, le monstre fit craquer sa nuque en signe d'approbation, avant d'entamer les hostilités de façon bien cavalière.

"Bien, commençons d'abord par instaurer un contexte d'échange qui me sssoit plus confortable."

Joignant le geste à la parole, Nazgahl fit brusquement basculer sa proie en avant, ce qui arracha à cette dernière un piaillement de surprise. Il la poussa alors dans le vide, usant de ses réflexes d'homme-bête pour rattraper les mollets de la petite afin de lui éviter une chute mortelle. La maintenant fermement à deux mains par les gambettes, accroupi au bord de la toiture, l'aliéné jubila bruyamment avant de replonger ses prunelles enflammées dans les yeux de son interlocuteur.

"Evite de te balanssser ma petite, tu pourrais te faire du mal bêtement. Alors monsssssieur Palourde, après m'avoir expliqué pourquoi vous portez le nom d'un fruit de mer, vous aurez le droit et sssurtout le devoir de me fournir un bateau afin que je puissse quitter cette île sans encombre. Dans le cas contraire, je me verrais contraint d'éclater le crâne de la demoisssselle contre le sol de votre belle cité.

"..."

"Ca vous ssemble correct, comme hostilité ?"

"C'est-à-dire que j'ai utilisé ce terme par habitude, mais il n'était peut être pas nécessaire de se montrer si hostile, justement..."

"Choisissez-mieux vos mots !"

"J'y songerai."

"Alors, pour le crâne éclaté sur le sol, tout ça ? Comment procède-t-on ?"

"Je pourrais la rattraper, vous savez."

"Ne jouez pas à ça Palourde, vous êtes plus malin que ça. Si je me décide à la lâcher, ce ne sera pas en une ssseule partie, Kihi."

"Ah... C'est gênant."

"Décidez-vous vite, mes bras fatiguent et quant à moi, je m'impatiente."

"Vous comprendrez que je ne peux pas faire apparaître un bateau fonctionnel immédiatement, juste pour les beaux yeux de votre otage."

La réflexion ne sembla pas forcément plaire à Elie, mais sa position ne lui permettait pas de faire de vagues, aussi elle se contenta de conserver le silence, le sang lui montait à la tête, ce qui commençait à la désorienter légèrement, sans compter que Nazgahl la secouait comme un pendule, davantage pour s'occuper que pour inquiéter son opposant.

"Tic tac, Palourde."

"Je réfléchis."

"Gagner du temps n'est pas en votre faveur, je trouverai d'autres moyens de m'enfuir si vous n'allez pas dans mon sens."

"Je trouve que vous n'avez pas bien saisi le concept de la négociation, sans vouloir vous offenser."

"Je trouve que vous êtes agaçants, tous les deux, et que j'ai envie de dévorer la gorge de la petite avant de vous jeter son cadavre à la tronche."

Nazgahl bluffait, cela allait sans dire. En dehors d'une embarcation, il n'avait pas véritablement trouvé de méthode efficace pour quitter cette fichue ville de malheur. La situation s'envenimait petit à petit, et un bien sinistre dénouement s'annonçait.
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La situation était quelque peu bloquée. D'une part, parce que Palourde hésitait à faire quoi que ce soit pour une jeune femme qui, quelques mois plus tôt, avait échappé à la justice sans qu'on sache vraiment si elle avait quelque chose à se reprocher dans l'affaire. D'autre part, parce qu'il détesterais que la bestiole zigouille une jeune et jolie femme devant lui. Bien entendu, il le savait, il allait opter pour le mauvais choix et le regretter amèrement ensuite.

« Bien !
-Vous avez fait un choix Monsssieur Smith ?
-Euh... Pas vraiment. Mais je vais vous en laisser un à vous.
-Je croyais avoir été clair.
-Très.
-Et donc ?
-NON MAIS VOUS AVEZ PAS FINI ?! PALOURDE ! DONNEZ LUI CE QU'IL VEUT ET SAUVEZ MOI LES MICHES !
-Euh...
-...
-Bon, soit. Je vais... Monsieur Nazgahl ?
-Oui ?
-Je vais accepter une partie de vos termes.
-Lesquels ?
-La partie ou vous relâchez la demoiselle en échange...
-On ssse comprend enfin ! »

En réalité, si Palourde n'avait pas terminé sa phrase c'est qu'il cherchait encore un moyen de sauver la demoiselle sans laisser la goule s'enfuir. Elie avait bien vu dans son regard que le doute persistait. Ça sentait mauvais pour elle. Si elle arrivait à en réchapper, Smith pouvait s'attendre à ce qu'elle lui pourrisse la vie. Quel incompétent. Même pas foutu de sauver une demoiselle en détresse. Au moins, elle pouvait espérer changer de position d'ici les prochaines minutes. Son orientation actuelle était plutôt désagréable, et le sang lui montait à la tête -ou lui descendait dans la tête, selon le référentiel choisi.

Palourde sortit de son long manteau un petit Denden. Drôlement pratique ce genre de bestiole, même si le réseau coupait souvent quand il y avait du vent ou de la neige. Il avait longuement hésité entre ce modèle et un autre, mais avait opté pour celui qui prenait le moins de place et qui coûtait le moins cher. Donc, approchant ses lèvres du petit animal de télécommunication, il murmura d'une voix forte des ordres à ses sous-fifres :

« Préparez moi une petite embarcation à voiles, avec de quoi se nourrir plusieurs jours à bord et faites là amarrer au port !
-Bien chef ! Entendu Chef !
-Et je vous ai dit de m'appeler Monsieur Smith !
-Monsieur Smith... Entendu Chef !
-...
Monsieur Nazghal ?
-Je vois que vous faites quelque chose qui me plaît...
-Si je vous revois ne serait-ce que poser le pied sur cette île, je vous décapite, c'est clair ?
-Très... Clair.
-Vous libérerez mademoiselle dès que vous serez embarqué. Sinon, nous ferons éclater le navire.
-Qu'est ce qui me prouve que vous ne me ferez pas éclater quand même ?
-Nous préférons éviter d'attirer l'attention, tant que vous respectez nos conditions, nous respecterons les vôtres.
-Bien, fort bien.
-Excusez-moi, intervint Elie.
-Oui ?
-Est ce que je pourrais retrouver une position normale, je commence à en avoir plus que marre d'être suspendue.
-Proposition acceptée, ricana Nazghal en lui recalant son index à la pointe de la gorge. Nous allons bouger d'ici et atteindre le port, d'ici là, rien ne doit être tenté, sinon, elle est morte.
-Et vous aussi. »

Palourde, même s'il n'en était pas sur, commençait à soupçonner une part de bluff dans les propos de l'animal. Il devenait lui aussi menaçant. Et ça ne plaisait pas au Cradle. Il choppa Elie et sauta de l'immeuble, pour atterrir souplement et avancer dans les ruelles. Les hommes de Smith avaient fini d'attraper les mafieux et les rues étaient redevenues calmes. L'obscurité régnait, mais cela n'empêcha pas le petit monstre de se trouver facilement un chemin jusque sur les quais. Là, l'attendait son bateau. Et probablement une chouette embuscade aussi, il devait rester sur ses gardes.
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Bien, tout semblait rentrer dans l'ordre. Le seul regret de Nazgahl était de n'avoir pu goûter à la demoiselle. Il trouvait d'ailleurs relativement ignoble de se retrouver contraint de supporter la présence de cette "Elie" sans avoir le droit ni la possibilité d'en croquer un bout pour le principe. Cela étant, il était sans nulle doute fortement contre-indiqué de s'y essayer, à moins de s'interroger sur le potentiel d'efficacité d'un boulet de canon dans le cadre d'une prise d'otage ratée...

Et si Palourde ne semblait pas très dégourdi, Nazghal pressentait jusque dans les tréfonds de son caleçon que ce milicien était déterminé à faire usage de la force à la moindre opportunité, chose que la créature préférait éviter. Le monstre, accompagné de son paquetage féminin, pressentait d'ailleurs des évènements potentiellement déplaisants. Il cessa de marcher, sentant sa "compagne" se figer sur son dos suite à cet arrêt brutal, puis il tendit l'oreille.

Un reniflement appuyé lui suffit à comprendre la combine. Ca sentait la transpiration, ça sentait l'humain et surtout, ça sentait la peur à plein nez. Un rapide coup d'oeil des alentours permit à la créature une analyse plus précise de la situation. Ses adversaires négligeaient un point essentiel, ils n'avaient pas affaire à un criminel lambda, mais à une bête furieuse aux sens aiguisés. Les pupilles luminescentes de la chose se dilatèrent rapidement pour s'adapter à l'obscurité ambiante. Ils étaient trois, ou du moins trois à ne pas savoir se cacher correctement. L'un derrière une caisse, l'autre au coin d'une ruelle, le dernier en planque sur le toît d'une petite baraque portuaire.

Dévoilant ses crocs acérés, la Goule entreprit de grogner sourdement, espérant ainsi indiquer aux agresseurs que leur vaine tentative de camouflage manquait un peu de coeur à l'ouvrage. Les miliciens restèrent immobiles, mais Nazghal réorienta son regard vers l'un d'eux, le petit gaillard caché près de sa boite à poiscaille. Un imperceptible tremblement parcourut l'échine de ce dernier, qui se savait repéré mais ne savait comment réagir. Avant que le petit soldat ne puisse entreprendre quoi que ce soit, la bestiole se décida à agir. De sa voix grinçante, il s'exprima :

"Mademoiselle ?"
"Oui ?"
"Ce n'est pas dans mes habitudes de m'excuser, mais le coeur y est, je vous assure."
"Pardon ?"

Ne laissant même pas à la petiote le temps de s'insurger, il réitéra l'opération qui avait somme toute très bien fonctionné la fois passée. Sa patte vint agripper le col de la robe et, d'un mouvement aussi rapide qu'il était brusque, il fit basculer son otage sur son épaule, la ramenant devant lui en une pirouette. Le monstre força d'une main sur le cou de la petite pour la mettre à genoux, usant de son autre patte griffue pour saisir la petite main de sa proie, réalisant ainsi une clé de bras particulièrement sauvage. Sans doute trop épuisée pour hurler à la mort, elle se contenta d'un couinement de douleur, accomodé d'un regard noir de colère. Elle en avait sa claque et ça tombait bien, le fauve aussi.

"Je vous préviens messieurs, je ne vois aucune objection à décapiter la chanteuse si vous m'y obligez. Pour tout vous dire, arracher des têtes est pour moi plus qu'un loisir, c'est un mode de vie. Une façon d'être que je néglige un peu trop, en ces temps troublés, mais je peux reprendre mes bonnes habitudes, ssssi vous le souhaitez."

Les hommes s'activèrent un peu, quittant un à un leur cachette. Il y en avait d'ailleurs un petit dernier que Nazgahl n'avait pas su discerner dans toutes ces odeurs. Habilement dissimulé au rebord d'une fenêtre, il sortit comme ses petits camarades, non sans regret. Une fois exposés, ils ne se laissèrent pourtant pas démonter, formant un cercle autour de la bête et de sa victime. Ils n'apprenaient donc jamais ?

"Tant pis."

D'un geste aussi vif que précis, Nazgahl relâcha la nuque de la jeune femme et, de l'ongle de son index, il perfora légèrement la paume de sa proie. Une effusion sanglante, un cri sec mais aigu, et voilà le monstre satisfait et ses opposants horrifiés. Changeant de prise, la chose s'accrocha à la chevelure de la pauvre chanteuse, et entreprit de lécher sa patte couverte de nectar pourpre, non sans éprouver un plaisir certain.

"Ce qui vient de se passer fait pour vous office d'avertissement et pour moi, d'apéritif. Ai-je été clair ? Vous partez, ou elle meurt."

Les hommes s'écartèrent, laissant l'improbable binôme s'approcher du bateau amarré. Nazgahl détailla la structure du transport maritime. Pas un paquebot, très clairement, mais ça ferait bien l'affaire. Un bond puissant et le duo se retrouva sur le pont de l'embarcation, sur le départ. Le monstre soupira, réajusta son couvre-chef, détacha cordages et chaînes qui le retenaient ici et, après un reniflement sonore, il cracha un épais glaire sur la terre où il venait de passer une soirée des plus mouvementés. Sans plus de cérémonie, il balança subitement la petite par dessus bord, sans la libérer de ses liens bien entendu et, d'un coup de pied rageur, poussa son embarcation vers le large.

"Une petite leçon de secourisssme vous fera du bien. Au plaisir de ne plus jamais vous revoir, mes braves... Et bonne baignade, Antigone !"

La masse de bois et de toile s'éloigna lentement de la cité et le rire malfaisant de la Goule se perdit dans les échos maritimes. Saint Urea se souviendrait de lui, pour sûr, et pas en bien.
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