-Mettez vous à l'aise. Vous voulez un peu de crème glacée ?
-Euh... Non merci. -Vous avez tort, c'est la meilleure de Marijoa.
-Plus tard peut être...Surréaliste non ?
Entre ça et la secrétaire et sa liste de recommandation longue comme le bras sur la bonne façon de s'adresser au Commandeur Suprême et notamment de lui parler en ignorant son titre, ce qui, la dernière fois que Red a parcouru le règlement était quand même passible d'un mois sans soldes avec mitard et plus si affinité, on sombre carrément dans la visite au vieil oncle gâteux. Enfin... Faut croire qu'on est tous égaux devant le passage du temps.
-Je vous ai dit que ce n'était pas la peine de m’appeler Commandeur Supréme?
-Oui comm... monsieur. Oui vous me l'avez dit.-Bien bien. Parfait...
Red rejoint la chaise qui fait face au bureau et au fauteuil roulant du type a la téte de l'appareil militaire le plus puissant du monde, notant instinctivement tous ses petits rien que son entrainement de Cipher Pol lui a appris à compiler et à analyser de façon parfaitement inconsciente.
-Parlez moi un peu de vous Rossignol. Je peux vous appeler Rossignol ?
-Euh, on m'appelle plutôt Red d'habitude.-Red? Ahah, c'est bien vu. Vous n'aimiez pas beaucoup votre nom hein ?
-J'ai vu plus facile à porter. -Et pourtant, d'un point de vue code, ce genre de prénoms nous simplifie grandement la vie à l'amirauté. Hm, amiral Redbird ? Red Nightingale ?
-Il y a déjà un Red Bird non ? -Ah oui. Alucard... Effectivement, ça pourrait faire mauvaise presse qu'on puisse confondre un de nos amiraux avec un pirate primé.
-Et puis je ne suis pas amiral...-Oui, ça aussi. Vous avez déjà croisé Alucard non ?
-Euh...-Souriez Red. Je suis le commandeur Supréme vous vous souvenez ? C'était ou déjà ? Inari non? Et vous étiez infiltré dans les mouvements religieux locaux pour traquer les membres de la cabale c'est bien ça ? Infiltration en complet désaccord avec la position du gouvernement sur la liberté de culte d'ailleurs...
Mince... Ou est passé le vieux gâteux qui se sucre à la crème glacé ?
-Finalement je prendrais bien un peu de crème glacé...-Tenez, servez vous...
Red tend la main vers le plateau que l'amiral vient de sortir du tiroir réfrigéré de son bureau et se sert quelques louches de crème glacé sous le regard satisfait et bonhomme du patron en chef qui en profite pour extraire d'un autre pan du bureau deux dossiers. Une fine pochette et un monstrueux classeur débordant de paperasse. Un classeur barré de la traditionnelle bande réservé aux documents top secret du Cipher Pol. Le genre à bruler avant lecture sous peine de châtiments horrible. Juste en dessous il y a marqué R.E.D.
-Vous savez ce que c'est ?
-On dirait mon, mon dossier d'agent... Mais...-Mais normalement même moi je ne suis pas censé l'avoir hein ? En fait, ce n'est pas votre dossier d'agent. C'est une copie destinée à mon usage personnel. En fait elle contient beaucoup plus que votre dossier. Et il n'y a pas toutes ces ratures noires que les bureaucrates du CP adorent mettre sur tous les passages intéressants des rapports. Vous voyez ce que je veux dire ?
Et Red voit, beaucoup trop bien. La censure des rapports est une coutume bien ancrée au Cipher Pol. Une coutume qui permet de maintenir la fiction légale qu'il existe une façon simple de contrôler les actions des agents en demandant simplement à consulter les rapports de boulot tout en permettant de couvrir les actions qui s'approchent beaucoup trop prés de la zone noire. La zone noire...
Quand on bosse pour le Cipher Pol on peut classifier les missions en trois grandes catégories. D’abord il y a les missions blanches, les plus prestigieuses, les plus officielles. Jouer les gardes du corps des gros pontes du gouvernement, soutenir les opérations de la marine, convoyer des prisonniers dangereux ou exécuter officiellement des pirates connus. Les agents qui en sont chargés son les chouchous du Cipher Pol. Ils présentent bien, montent rapidement en grades et en côtoyant les grands de ce monde ils sont souvent appelés à occuper les fonctions les plus hautes…
Ensuite il y a les missions grises, toutes ces missions qui sont le pain quotidien des agents Cipher, tous ces agissements dans l’ombre dont le public parle à voix basse mais ignore les détails. Renseignement, espionnage, sabotage, lutte contre les révolutionnaires, les pirates et toutes sortes d’ennemis du gouvernement…
Et puis il y a les missions noires. Ces missions dont tout le monde doit ignorer l’existence, Gouvernement et Marine compris. Les opérations les plus sombres du Cipher Pol. De pauvres civils à éliminer avant de faire porter le chapeau à la révolution ? Mission noire. Un Tenryuubito qui a un sale boulot à effectuer ? Mission noire. Une alliance avec un pirate ? Le sabotage de projets de la marine ? L’utilisation des ressources militaires à des fins privées… Missions noires.
Et des missions comme ça Red en a fait beaucoup. Tellement qu'il a longuement veillé la nuit après avoir quitté le service, persuadé qu'un collègue allait finir par se pointer pour cloturer définitivement son dossier. Mais rien. On l'a laissé vivre, ses actions passés couvertes par le lourd sceau du secret du Cipher Pol. Un sceau que le commandeur suprême à peut être brisé...
-Red houhou ! C'est le Commandeur Suprême qui vous parle. C'est la crème glacé qui vous fait cet effet la ?
-Désolé je... Je pensais a autre chose.-Scorpio ?
-Quoi ?!-Rien, juste un jeu. J'essayais de lire dans vos pensées. J'ai gagné ?
Scorpio, René Scorpio. Le vrai patron du Cipher Pol 5. L’administrateur en chef et l'homme à l'origine de l'intégralité de la carrière de l'agent Red du coté obscur. Si le dossier est aussi complet que le Commandeur Suprême le prétend, alors Scorpio est aussi mort que l'ex agent Red. Et il ne reste qu'a savoir qui mourra le premier.
Mais évidemment, le dossier ne peut pas être complet non ? Impossible...
-Je dois dire que j'ai été impressionné. Vous avez un CV qui pourrait rendre jaloux les meilleurs éléments de la marine d'élite. Vous avez monté des opérations proprement ahurissantes. Ce pacte avec Timuthé Tempiesta par exemple. Incroyable non ? Un agent aidant un baron de la pègre à devenir le patron des Sept familles avec la bénédiction du Cipher Pol...
Pas possible mon cul. Cette fois, ça sent le sapin...
-Mais ma préférée, c'est cette série d'opération à Saint Uréa. Vous êtes plutôt du genre têtu. Le Gouvernement interdit aux agents du Cipher Pol d'opérer la bas et vous tentez à trois reprises d'en assassiner le potentat local. Et vous camouflez l'opération en montant un véritable soulèvement révolutionnaire, ça tient du génie. Ou de la démence évidemment. Question de point de vue je suppose...
Le grand patron feuillette son classeur, et pendant qu'il énumère la longue liste des pires boulots de l'ex agent Red celui ci renonce a chercher une échappatoire pour se contenter de regarder fondre sa crème glacée en attendant de sortir du cauchemar.
Qu'est ce qu'il y a de plus triste qu'une crème glacée qui fond et qu'on ne mange pas hein ?
-Captures de criminels, destruction de réseaux de revente et de recels de biens volés, infiltration au sein de cellules révolutionnaires... Vous savez que vous étiez par rapport à votre ancienneté au Cipher Pol, a la fois l'agent vétéran le moins gradé et le plus médaillé du service ? Hm ?
-Euh. Non. Non je ne savais pas...-Et le plus amusant, c'est que comme tous vos missions ou presque sont classifiées, vous êtes probablement l'ex agent avec le plus de médailles mais le moins de boulot sur le terrain. Un vrai dossier de pistonné.
-Si seulement...-Si je vous dis 1615 vous pensez à quoi ?
1615 ? Tahar ?!
-Tahgel...
-Pardon ? -Le jeu vous savez. Deviner à quoi vous pensez... Je dirais le colonel Tahgel, l'amirale Jenv, le Vice Amiral Flermet. Amiudake... Hum ?
-Gagné. Mauvaise pour tout le monde cette année la...Putain de mauvais année oui, et le mot est faible vu qu'on parle de celle qui a toujours marqué le début de la longue descente dans les enfers du Service pour l'agent Red. Celle ou la fin de la longue infiltration dans les réseaux révolutionnaire de Marijoa pour y débusquer une taupe cachée au plus haut de l'amirauté a tourné en eau de boudin. Cette année ou au lieu de se retrouver encensé et couvert de gloire l'agent Red avait indirectement provoqué la désertion du colonel Tahgel ainsi que le meurtre du Vice Amiral Flermet et de sa femme, l'Amirale Jenv. Le tout sans réussir a prouver de façon claire l'implication de tout le monde, ce qui lui avait valu de se retrouver enterré aussi profondément et discrètement que l’enquête et tous les dossiers approchant ce cas épineux.
Il doit y avoir quoi, peut être une vingtaine de personnes réellement au courant de ce qui s'est vraiment passé cette année la. Au courant de la trahison de l'Amirale, espionne de la révolution sous le nom de code d'Amiudake. Au courant de la relation amoureuse de l'Amirale avec le brillant et prometteur colonel Tahgel. Au courant de l'erreur de l'agent Red prenant son mari, le vice amiral Flermet pour le traitre et lui révélant tout. Au courant du meurtre de l'Amirale par le mari trompé puis du meurtre du cocu par l'amant déserteur. Trois vies détruites et maquillées à la hâte pour sauver les apparences.
Trois vies détruites et une carrière d'agent enterrée avec.
-Mauvaise année oui. Et la premiére ou j'ai entendu parler de vous Red. Pas en bien j'en ai peur. On vous accusait d'avoir tellement salopé votre enquête que nous n'avions aucune preuve matérielle de la culpabilité de l'Amirale. Et on vous accusait aussi d'en avoir tellement dit à Flermet qu'il s'est empressé de foncer chez elle pour lui régler ses comptes face à face, et...
-Et ce gros con l'a tué...-Comme vous dites.
-Monsieur...-Red ?
-Qu'est ce qu'on est train de faire ici ? Vous voulez me prouver que vous connaissez tous les squelettes de mon placard par leur nom ? Vous avez gagné. J'ai merdé à l'époque et je ne sais toujours pas pourquoi je m'en suis tiré. J'ai merdé quand on m'a demandé de liquider Tahar ensuite. J'ai merdé... J'ai merdé tellement de fois que je suis sur que même dans votre gros dossier vous n'avez pas tout. Alors quoi ? J'étais la quand on a dégradé Ela vous savez. L'aide de camp de Tahar. Je me souviens de cette putain de cérémonie comme si c'était hier. Les tambours, l'humiliation, les médailles qu'on foule au pieds et le sabre qu'on brise. Vous aurez pas besoin de ça avec moi... -Vous vous en êtes tiré à l'époque parce que je l'ai recommandé. Parce que vous étiez un bon agent Red. Un très bon agent. Et qu'a une petite exception prés vous aviez fait du bon boulot. Et que l'expérience m'avait déjà appris que s'il est toujours très facile de chercher le coupable d'un gâchis, ça n'arrange jamais la situation. Alors quand on a proposé de rajouter votre tête sur la pile de cadavre j'ai refusé...
-... Merci.-J'aurais du vous le dire à l'époque, mais vous ne releviez pas vraiment de mon commandement.
-Bah. Ce n'est pas grave. Mais si vous ne me jetez pas dehors je ne comprends toujours pas ce que nous faisons ici... -C'est pourtant facile. Ce dossier, c'est ce que je sais de vous. Et il contient trop de choses contradictoires pour que je me fasse une opinion claire. C'est pour ça que vous êtes la. Pour que je sache qui vous êtes.
-Et vous avancez ? Qui suis je ? -Quelqu'un qui n'aime pas vraiment la crème glacée. Faisons une pause. J'ai un médicament à prendre...