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Les rakailles de Rokade.

Marie-Joie - Redline. Deux mois plus tôt.

Nope. Désolé Ethan mais tu pars pas avec nous. Sérieusement... Tu as vu la tête de ton Rokushiki ? Si tu viens sur ce coup ci, tu vas te faire tuer. T'es pas assez costaud. Me dit-il d'une voix assurément déterminée et posée, me faisant bien comprendre que sur cette mission ci, la troupe du CP8 fera sans moi. 'Chier... Tout le monde te le dira... Même Reaper ! Pas vrai Reaper ?
...
Ouais... Merci Reap'. Décidément, entre Ao et lui, niveau parlotte c'est pas trop ça... Ca fait un choc quand on les voit faire de l'expression corporelle, après.
Allez, les gars... Tout ça parce que j'ai pas le Geppou et le Soru... ?
Un peu plus, en fait...
Touché, y'a que le Tekkai que je gère plutôt bien... Mais ça suffit, non ?
Nope. On chasse Arashibourei, j'te rappelle, Ethan. Et c'est tout sauf du menu fretin. Donc on part sans toi et tu fais sagement la mission qu'Ao t'as confié. Et t'en profites pour bosser ton Roku' !
Euh... C'est pas une excuse pour me virer du groupe, hein ?
Toujours aussi parano, toi... Bien sûr que non. Au contraire. C'est pour pas que tu te fasses crever pour rien.
Purée, moi qui avais enfin réussi à apprendre la plupart des chorés'... Un peu plus que purée. Putain, même. J'ai vraiment la rage. Surtout qu'on parle de Toji Arashibourei, le sale traître que je rêverais d'ébouillanter dans une cuve de café brûlant si je n'aimais pas suffisamment le café pour ne pas vouloir qu'il soit si ignoblement gâché !
Pour la prochaine fois, va. Allez, je file, sinon je vais être à la bourre. Bonne chance !
Pareil...

Je sors de la pièce les mains dans les poches, la mine déconfite et traînant les pieds.

Agent Balko ?
Lui-même ? Je relève à peine mon regard tristounet et le regarde dans le blanc des yeux, vide.
Mark Elandart, coordinateur. Je remplace monsieur Basile, qui est malade.
Vous avez pas traîné, dites...
Je ne fais que mon travail. Dit-il calmement, comme une machine. Ah, les bureaucrates du Cipher Pol... Comme vous allez faire le votre. J'ai ici votre ordre de mission détaillé, les documents concernant votre fausse identité, votre escargophone de service ainsi que d'autres fournitures utiles pour votre mission.
Faites voir... Je m'empare de la masse de papiers et commence à feuilleter. Blablabla... Rokade ? Mais... Qu'est-ce que je vais faire à Rokade ? Vous avez pas trouvé plus loin que South Blue, où m'envoyer ?
Votre équipe risque d'être occupée pendant un certain temps, agent Balko. Aussi, le chef d'équipe Novas a demandé à ce que vous travailliez quelques temps sur les Blues. Je grommelle. Sévèrement. Je tourne les talons et pars, les dossiers sous le bras.
Vous allez où, comme ça, agent Balko ?
A mon cours de puzzle, qui commence dans cinq minutes.
... Devant son silence, je soupire.
Rokade, South Blue.
Bonne chance, agent Balko.

Ouais, c'est ce qu'on dit.

Mais d'abord, clope. Et réserves de café. 'Va en falloir, parce que le trajet Marie-Joie - South Blue, il va durer des plombes... Je sors une cigarette et l'allume en lorgnant de l'oeil la pile de papiers que j'ai sous le bras. Je potasserai ça sur le bateau, quand j'aurai un peu plus de temps. Je tire une taffe et j'expire, mes cheveux blonds légèrement agités par cette douce brise d'hiver qui parcourt la capitale du monde. Bon. Ça pourrait être pire. Au moins, South Blue, ça ne peut qu'être pépère. Et ça me permettra de repasser la ou j'ai grandi... Et aussi d'essayer de retrouver Damian. Je tire une nouvelle taffe. Est-il possible que ce soit pour ça que l'on m'envoie la-bas ? Ça soutiendrait bon nombre de théories conspirationnistes à l'encontre du bureau des missions du Cipher Pol... Je chasse ces idées de ma tête en jetant ma clope par terre. L'avantage d'être dans le métier, c'est qu'on croit savoir que toutes ces choses sont fausses... Et que dans tous les cas on s'en fout. Le gouvernement ordonne, alors j'obéis, parce que j'ai pas l'âme d'un leader, et que c'est sans doute mieux ainsi. Toujours traînant des pieds, je me dirige vers mon appartement, vers le centre ville. Et dans une heure, le grand départ... Pour combien de temps ? Pour quoi faire exactement ? Seul l'avenir me le dira... Et dieu sait que j'ai pas confiance en l'avenir, oh non !

__________________________________

Rokade - South Blue, aujourd'hui.

Je tire une taffe, le regard vide, ma cigarette à peine entamée.

Hé Mashin ! Tu viens avec nous ? On s'fait une p'tite partie de poker !
Yep. Préparez vous, parf'que j'vais vous plumer !

Saloperie d'île. Saloperies de pirates. Et le pire, saloperie de fausse identité. Ces types des bureaux, franchement... "Comme on a remarqué que les trois-quarts des pirates des Blues s'appelaient machin "D." quelque chose, on a décidé que ton identité serait Mashin D. Kekshoz ! Brilliant, non ?". Tu parles... Un pirate d'une vingtaine d'années. Et qui a juste décidé de partir à l'aventure parce que c'était à la mode, alors qu'il avait une petite vie tranquille et sans histoires. Un pirate en costume avec un bandeau sur l'oeil droit, qui boit du rhum et qui aime jouer au poker. Je me demande presque même si le bureau ne regrette presque pas le fait que je ne sois ni manchot ni unijambiste pour le crochet ou la jambe de bois. Et puis tant qu'à faire, pourquoi pas me bombarder capitaine et me rajouter le perroquet et le tricorne qui vont avec, hein ?

Je tire une taffe puis cendre, sans ciller.

C'est juste pas possible que des types comme ça soient allés sur le terrain ne serait-ce qu'une fois, pour se rendre compte que ce n'est pas la réalité. Quoiqu'en voyant les pauvres tronches de con avec lesquelles je traîne depuis plus d'une semaine (depuis mon arrivée, en fait), je me demande si au final ce ne sont pas eux qui ont tout compris. Des soiffards guidés uniquement par leur libido et leur envie de sang. Je jure que si je le pouvais, je les tuerais tous sans hésiter, en un seul instant...

V'buvez quoi ? Le tenancier de la taverne crasseuse dans laquelle on se trouve s'approche. Un homme gras. Un ripou comme les autres. Un ripou de plus.
RHUM ! Il s'écrient tous en même temps. Je me facepalme intérieurement, en tirant une taffe de cigarette. Et vous ?
Irish Coffee. Qu'il soit pas bon ou pas fait avec amour et je t'éclate la tête.

Je tire une taffe.

Et j'ai le doute en moi. Je meurs d'envie à l'idée de le fracasser parce qu'il m'apporte une préparation caféinée dégueulasse. Mais en même temps... Quel sacrilège ce serait pour une boisson supposée être si noble... Surtout qu'il faut la jouer pirate, ouais, mais faut pas trop en faire. Si je suis ici, c'est pour traquer un pirate. Une pirate plutôt. Ember Shaliston. 13 millions de berry de prime. Élevé, pour quelqu'un qui se terre dans l'ombre, et qui est responsable d'une des plus grosses plateformes tournantes de biens illégaux de Rokade. C'est d'ailleurs en ce sens que sa tête doit tomber : si elle meurt, l'approvisionnement vers l'île-rocher va s'amenuiser petit à petit, et permettra progressivement à ces incapables de marines d'en prendre le contrôle. Après la prétendue chute de Las Camp et du Cimetière d'épaves plusieurs années auparavant, c'est la purge des Blues qui est en marche... Et dont je suis cette fois l'acteur.

Je cendre. Et tire une taffe.

Nos boissons arrivent enfin. Dont mon Irish Coffee. Voyons voir... Le café et le whisky se sont mélangés, en plus de ne pas avoir été mis à la même température. La qualité des produits est merdique, et, cerise sur le gâteau, c'est beaucoup trop sucré, autrement dit... Ce barman est un criminel de la pire espèce. Reste calme, Ethan... Tu n'es pas Ethan, d'ailleurs. Tu es Mashin D. Kekshoz, et le café tu n'en as rien à...

J'écrase ma clope sur son visage après l'avoir attrapé par le col, et lui envoie une mandale qui le propulse derrière son comptoir. On déconne pas avec le café. Les chaises et les tables commencent à se soulever et à se faire envoyer en l'air. Les insultes partent, et les coups aussi. Je crois avoir déclenché une de ces fameuses "bagarres de tavernes de pirates" dont les marines parlent si souvent... Ah, que de clichés dans cette piraterie ! Je porte ma choppe remplie de liquide infecte à mes lèvres, buvant tranquillement malgré mon dégoût : mais en même temps, gâcher du café, c'est tellement pécher...

Je porte une nouvelle cigarette à la bouche, toujours assis en plein milieu de la baston où la racaille s'agite, et... Café de percolateur de bordel ! Mon feu ! Un de ces salopards de hors la lois a du me voler mon feu ! Si je retrouve ce connard, je l'écorche à vif... Quand je pense à ce qu'il va me forcer à commettre... Je me tourne vers un forban, au look presque plus kitsch que le mien, et qui lui aussi reste impassible dans le tumulte... Et qui bien sûr a une clope au bec.

Eh mec, t'aurais du feu ?
    « Eh mec, t’aurais du feu ?
    - ‘Sûr. Tiens.
    - Merci.
    - Gaffe, y’a un type qui va te lancer une chaise. »
    Le gars blond qui m’a accosté se décale d’un demi-pas, et le tabouret –et non une chaise, j’ai mal vu dans la glace du bar, va s’écraser contre les bouteilles d’alcools divers et variés qui trônent en évidence derrière le zinc. J’lui jette un deuxième regard. Il est bizarre. Il est en costard avec un bandeau de pirate sur l’œil droit.
    J’devrais pas me mêler à lui, en fait. Il respire le louche. Ca fait deux semaines que j’suis là, j’commence à faire mon trou, à faire partie des meubles, comme on dit. A décrocher des p’tits boulots, à connaître des gens.

    Deux semaines à jouer le nouveau pirate avec une magnifique chemise blanche d’Artagnan au col entrouvert sur un amas de colliers et colifichets bidons. Avec un pantalon bouffant marron, serré aux chevilles, et des sandales de qualité lamentable qui commencent à se déliter. J’vais les changer bientôt. J’suis pas à l’aise dans ses sapes, putain, mais plus pirate que ça, me faudrait le bandeau de l’autre blond, un crochet et une jambe de bois.

    Et un perroquet. On oublie toujours le perroquet.

    Deux semaines à me couler dans la peau d’Arnol D. Olga, un type réglo qui s’était fait avoir par des gens qui fricotaient avec le côté ripou de la fonction publique. Un type réglo qui avait pété un câble. Un type réglo qui avait suriné cinq-six personnes. Un type réglo qui voyait dans la piraterie sa seule possibilité d’avenir avec un horizon ne comprenant pas une cellule de six mètres carrés et des barreaux en fer.

    Tout ça pour le Gouvernement Mondial. Votre mission, vous l’acceptez parce que c’est votre boulot, c’est de planter Ember Shaliston, patrone de la plus grosse plateforme commerciale de l’île. Y’a des implications politiques derrière ça, mais j’m’en fous. Paraît que ça aidera la marine à se sortir les doigts et investir ce caillou minable.
    A mon avis, ils vont encore se foirer en beauté, et le CP va récupérer le dossier. Ca ressemble vachement à un plan que les huiles pourraient pondre. Et faut que l’CP 5 soit en première ligne de ça, récolter les honneurs, amasser le pouvoir. Implications politiques, que j’disais.

    Ce bar, c’est un de ceux dans lesquels j’zone le plus. Le blond, j’l’ai déjà vu. Il est pote avec une bande de traines-savates manchots au poker, vu comme ils perdent à chaque fois. Certains sont manchots, aussi. Le seul type intéressant du groupe, c’est Joey D. Chandler. Il doit avoir un peu plus que la trentaine, ça fait un paquet d’années qu’il est dans l’coin, et il bosse justement pour la fille Shaliston.
    Ouais, j’suis pas fou, j’ai bien étudié qui j’allais viser. Faut que j’devienne pote avec lui, mais il préfère jouer au poker avec l’aut’ cliché sur pattes. On est en bons termes quand même. Mais mieux, c’est mieux.

    J’ai déjà bossé un peu avec Joey. J’sais qu’il doit voir son supérieur hiérarchique ce soir. J’vais l’suivre pour trouver le bonhomme. Monter par la voie normale, ça prendrait des mois, des années, même en surinant les types qui me feraient de la concurrence ou bloqueraient mon ascension. Pas qu’ça à foutre, on m’a demandé des résultats aussi rapides que possible.
    L’plan, si tout s’passe bien, c’est d’identifier le n+1, puis de remonter jusqu’à l’endroit où Ember crèche. Elle est planquée. Elle évite les contacts directs. J’ai pas la moindre idée d’à quoi elle ressemble. C’est un peu la partie compliquée de ma stratégie.

    La baston commence à se tasser. Ces débiles de pirates commencent à se rappeler que c’est Mashin qu’a déclenché les hostilités en assommant le barman. En plus, comme il est K.O. y’a plus rien à boire. Ou plutôt, c’est libre service.
    Par association d’idées, c’est l’service d’ordre qui devrait pas tarder à s’pointer. J’sors tranquillement en allumant une nouvelle clope. J’ai un autre bar, juste en face, d’où j’pourrai suivre le déroulement et surtout griller Joey quand il ira voir son boss.

    J’commande un rhum. L’est dégueu, putain, mais ça m’fond dans le paysage. Comme prévu, la milice arrive, distribue des coups d’tatanes et d’gourdins. Certains écopent de membres brisés. Visiblement, y’avait une lame qui trainait en douce. Certains ont des estafilades, se sont fait un peu plantés. Ils se font des garrots de fortune, des bandages, des pansements. Vont crever du tétanos. Enfin une bonne nouvelle.

    Enfin, Joey sort, sans ses p’tits potes habituels handicapés du bulbe rachidien. Y’a juste Mashin avec lui. Celui-là m’aperçoit et s’dirige droit vers moi.
    « Scuse de t’déranger encore, j’peux te redemander du feu ?
    - Ouais, que j’réponds en lui tendant mon briquet. Achète-t’en un, j’serai pas là pour t’border tout l’temps.
    - Si j’t’arrache la tête, t’auras déjà plus à t’border toi-même et j’aurai un feu.
    - Ah ouais, p’tit gars ? Et si j’t’enfonce mon feu dans l’cul, tu sauras l’retrouver ? »

    On s’lève, on s’fixe, on sert les poings. On s’prépare à s’foutre sur la gueule. Connard de pirate à la noix. En arrière-plan, j’ai vu le Joey qui a l’air d’avoir découvert l’eau tiède en regardant la flamme du briquet. Il s’approche précipitamment.
    « Hé, les gars, du calme, du calme, dit-il en s’interposant entre nous, en nous séparant.
    - J’aime pas c’type, fait Mashin.
    - Rends-moi mon feu, Bidule.
    - C’est Mashin, putain !
    - Okay, okay, calmez-vous, calmez-vous ! J’pensais pas que t’étais comme ça, Arnol. J’voulais justement t’présenter à mon boss, tu vois ? Un nouveau gars prometteur. »

    Aïe, j’ai l’impression d’avoir chié dans la colle, du coup. J’essaie de pas trop sauter sur l’occasion. Reste dans ton rôle, Arnol.
    « Désolé, Joey, désolé. Scuse aussi, Mashin. Mais rends-moi mon briquet quand même.
    - Ouais, scuse aussi, Arnol, enchaine le blond sans avoir l’air d’y croire une seule milliseconde.
    - C’juste que, tu vois… Ca commence à faire un moment que j’suis dans l’coin, tu vois ? J’sais pas, la bagarre de taverne m’a énervée, tu vois ? La fatigue, j’crois…
    - T’inquiète, Arnol, on a tous des coups de mou, comme ça. Juste, fais gaffe, tu sais ? Moi j’suis cool, d’autres gens moins. Genre mon patron, m’sieur Ross, il aime pas trop ce genre de blagues. Et ça vaut pour toi aussi, Mashin. J’vous présente pasque j’pense que v’s êtes des gars prometteurs, sérieux, bosseurs avec c’qui faut de fantaisie pour survivre. Vous emballez pas non plus. »

    Après l’avoir rassuré qu’on s’tiendrait à carreaux, on lui emboîte le pas pour aller voir Ross. Joey, c’est un gars balaise qui fait plus de deux mètres et qu’a une carrure sérieuse. Un gros client, comme on dit. Il commence à s’dégarnir sur l’dessus de ses cheveux bruns taillés en brosse. Son front proéminent, se petits yeux enfoncés, son nez busqué et son menton volontaire en font le genre de type que personne voudrait emmerder. Ce que confirment ses avant-bras musculeux et poilus qui dépassent de sa veste trop petite et rapiécée.

    Comme faut avoir l’air sympa, j’essaie de tailler la discute avec Mashin, à défaut de pouvoir causer à Joey, qui trace devant.
    « Hé, Mashin, t’es arrivé y’a longtemps ?
    - Une semaine. Toi ?
    - Deux. Tu f’sais quoi, avant ?
    - Pas grand-chose. J’me lance, comme on dit. Toi ?
    - Sale histoire, des gars m’ont doublé, j’étais réglo, comme mec. J’ai été réglo, j’les ai plantés, tu vois ?
    - Ah, ouais, j’avais entendu dire. »
    J’pense qu’il a pas l’air très intéressé par mon histoire. J’pense que la menace sous-jacente a été entendue. J’veux pas qu’il m’traine dans les pattes. Déjà suffisamment compliqué de descendre l’autre Shaliston.

    « Ca cause de quoi, derrière ? Demande Joey.
    - Du passé, que j’réponds.
    - Mort et enterré, ajoute Mashin.
    - Et toi, tu faisais quoi, avant, Joey ?
    - J’ai toujours plus ou moins été ici. Débarqué pendant mon premier voyage en tant que mousse. Jamais r’parti. J’avais loupé la marée, hahaha. J’avais passé la nuit au bordel, la Croisée des Roses. L’existe encore, mais l’est tellement monté en qualité, vous pourriez bosser la moitié de votre vie et jamais pouvoir rentrer.
    - Ah, ouais, j’suis passé devant, déjà. Celui avec les vitres qui donnent sur l’intérieur ?
    - Ouais, çui-là. Enfin quand j’dis qu’c’est trop cher pour vous, on sait jamais d’quoi la vie est faite, pas vrai ?
    - Bien vrai, répond Mashin. D’ailleurs, pourquoi tu nous présentes à Ross, tout d’un coup ?
    - Ouais, j’voudrais bien savoir aussi. J’ai jamais entendu jusqu’à son nom et v’là que tu nous l’présentes ?
    - Oh, ça. J’imagine que j’peux vous dire un peu c’que j’sais. Pas grand-chose, hein. En gros, Ross cherchait quelques gars sûrs pour l’aider à faire un truc. J’ai pas de détails dessus, il vous racontera. Nous racontera.
    - Pourquoi nous ? On est des nouveaux ici.
    - Justement pasque v’s êtes des nouveaux dans l’coin, de c’que j’ai compris. Tenez, on arrive. »

    Ouais, on arrivait. Une taverne qui devait faire aussi auberge. Le Cochon de Fer, qu’elle s’appelait. Deux étages. Du bruit venait de la salle au rez-de-chaussée et des éclats de voix du premier. Devait y’avoir un salon privé là-haut. Et ça a pas loupé, on a pris l’escalier direct, direction l’patron Ross.


    Dernière édition par Alric Rinwald le Lun 30 Nov 2015 - 16:40, édité 1 fois
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    Restez la. Nous dit Joey avant de toquer à la porte de la chambre et d'entrer. Et Arnol et moi, on attend plantés comme des cons, les mains dans les poches. Sans ambiance. Ross aurait un boulot pour moi, non, pour nous ? Ça fait pas longtemps que je suis dans le coin, mais je vois qui c'est. Un "détaillant". L'équivalent du coordinateur de chez nous, quoi. Ce qui implique qu'il connait du monde... Et donc potentiellement Shaliston. Cool. Pas envie de m'éterniser ici.

    Entrez. Fait une voix étouffée par la porte. Et du coup ben... On rentre. Dedans, ça ressemble vachement à une chambre de taverne, qui a été transformée à l'improviste en bureau sommaire : une grande table de chevet en plein milieu, deux lanternes allumées, un tabouret d'appoint et de la paperasse de partout. Sans doute parce que c'est le cas. Ross, ça doit être le type assis sur ledit tabouret. Un gros moustachu patibulaire qui fait encore plus cliché que moi... Ou que l'ami Arnol. En face de lui, y'a Joey... Et de part et d'autre de sa grosse carcasse un peu trop habituée aux MST et à l'alcool, deux gorilles aux airs menaçants. Arnol D. Olga et Mashin D. Kekshoz, c'est bien ça ?

    On peut rien te cacher, gros con de pirate. On acquiesce.

    J'aime bien vos noms. Ils sonnent comme ceux de pirates prometteurs ! Ouaip'. Balèzes, les gars de l'affectation des fausses identités. Et ça tombe bien, parce que des pirates prometteurs, j'en cherche.
    Pour ?
    Des p'tits boulots par-ci par-là. On a toujours besoin de sang neuf.

    Ouais, c'est pas difficile à comprendre. Des nouveaux venus que personne connait, qu'on peut faire disparaître sans trop de soucis en cas de problème. Le genre de types qu'on embauche pour de la logistique, pour garder certaines zones à risques ou encore s'occuper des mauvais payeurs. Ça fait pas longtemps que je suis dans le coin, mais j'ai déjà pu me rendre compte que l'extorsion et la tabasse sont aussi courants que la monnaie sonnante et trébuchante...

    On en vient aux faits ? Demande Arnol en croisant les bras.
    Yep. Y'a certaines personnes dans le coin qui ont une sacrée ardoise auprès du boss du boss de mon boss. Et ça lui plait pas trop. De la récolte, ça vous dit ? Le boss du boss du boss de Ross ? Dur à dire. Et ça présage surtout qu'approcher le sommet de la chaîne ça va être long et chiant. Pas comme si j'avais autre chose à foutre dans le coin mais bon, je tiens pas non plus forcément à rester un pirate pendant des mois et des mois...
    'Faut bien commencer quelque part, pour s'faire un nom. Vrai, pas comme si j'avais le choix... Arnol accepte également. Putain, va sans doute falloir que je me le coltine un sacré paquet de temps.
    Parfait ! Le type s'appelle Elijah Williams. Un nouveau comme vous. Mais il s'est déjà attiré pas mal d'emmerdes. Il traîne du côté du port. Du côté du port ? Pitié me dites pas que... Dans une taverne, pour être exact. L'Écumoire. Et meeeeeeeeeeeeeerde. Je hais ces saloperies de bars. Je hais ces saloperies de pirates. Et je hais déjà Rokade. Vous avez pigé de quoi il s'agit ? C'est dans vos cordes ?

    Wouhouuuuu. Si on m'avait dit qu'en entrant au Cipher Pol j'irai tabasser des soulards en étant déguisé en pirate, j'aurais peut-être re-considéré mon entrée dans la marine d'élite... Bref, j'acquiesce en sortant une tasse de café (cuillère, bien qu'inutile, et petit biscuit posé sur la sous-tasse compris) de mon veston que je bois d'une traite. Ça semble surprendre l'assemblée. Ah, s'ils savaient la quantité quasi illimitée de kawa que je transporte en permanence avec moi... Mine de rien, y'a de la place dans les poches de costume.

    Nous sortons du Cochon de Fer, Joey, Arnol et moi. Je m'allume une cig'. De mon propre feu. Ou plutôt, de celui d'un des babouins de compagnie de Ross, subtilisé habilement pendant la fouille au corps à l'entrée du bureau de fortune. Arnol me jette un regard amusé. Je tire une taffe.

    Un problème ? J'suis un pirate, pas postier... Il n'objecte pas. Tant mieux. Joey nous quitte, et nous partons en direction du port. Enfin, "port" est un bien grand mot quand l'île toute entière n'est qu'un gros rocher vraiment pas accueillant...

    Je tire une taffe.

    Saloperie que la nuit va être longue...

      Cool, y’a du progrès. Pas cool, ça va prendre un temps fou.

      Ouais, j’suis monté en galon. Avec l’autre tordu de Mashin. On a été conviés, tous les deux, par le boss de notre boss à faire des p’tites missions pour lui. A entrer dans la danse. Des extras, quoi. Enfin, là, c’est l’tour de chauffe. Elijah Williams. Un type qui doit du pognon, qui traine dans une taverne du port. Evidemment qu’il traine dans une taverne, qu’est-ce qu’il foutrait chez lui, hein ?
      J’sens venir les sales missions. Taper de la raclure. Braquer des commerçants, leur racketter une prime de protection. Taper d’autres types. Suriner d’autres gars. Heureusement que c’est tous des pirates, sinon j’culpabiliserais.

      On commence à tailler la route vers les quais, Mashin et moi. Un tordu, que j’disais. L’a sorti une tasse de café d’son costard comme ça, l’air de rien, pendant qu’on taillait la bavette avec le gros Ross. Pourquoi j’me coltine ça, moi ?

      On enquille le trajet sans un mot, juste avec nos clopes. L’Ecumoire est pas très dur à trouver, j’l’avais déjà repéré une fois ou deux. J’ai quand même dû demander le chemin. Si j’me souvenais de tous les bouges minables dans lesquels j’ai trempé les pieds…
      Et pour un bouge minable, c’est un bouge minable, un vrai de vrai. Quand on pousse la porte, mes narines se froncent de manière tout à fait visible et même pas intentionnelle. Pisse, vomi, sueur, bière et rhum font un cocktail qui fait presque monter les larmes à mes yeux. J’inspire un mince filet d’air par ma bouche. J’ai l’impression qu’une couche d’odeurs graisseuses se pose sur ma langue. J’crache par terre.

      Il fait sombre, mais mon crachat a réagi bizarrement en touchant l’sol, foi d’Arnol D. Olga. Mashin fait l’premier pas, j’le suis. On s’dirige droit vers le comptoir. Mes pieds collent un peu par terre. Des paires d’yeux nous regardent avec méfiance. Pas que des paires. Un paquet d’borgnes dans l’assemblée. Des vieux, des jeunes, dans un état de délabrement plus ou moins avancé. Une bonne moitié est déjà complètement bourrée.
      On s’accoude tous les deux au bar, synchro. Le barman nous regarde, comme le veut la tradition, en essuyant un verre. J’prends la parole en premier, histoire de pas trainer ici. J’aime pas trop l’endroit.

      « ‘Soir, barman.
      - ‘Pouvez m’appeler Lloyd.
      - Sûr, Lloyd.
      - Vous consommerez quoi ?
      - On cher…
      - Deux cafés bien serrés, me coupe Mashin. J’lui jette un regard en coin.
      - Deux cafés bien serrés, c’est parti.
      - Et qu’ils soient bons, sinon j’te pète les dents sur ton compt…
      - Woh, Mashin. Calme-toi, mec !
      - Ouais, restez calme. J’veux pas m’faire emmerder. Et, pire que tout, les gars dans la salle veulent pas s’faire emmerder non plus. »

      On attire déjà trop l’attention. Le brouhaha des conversations a déjà baissé d’un cran.
      « Ouais, désolé, Lloyd, que j’reprends. En fait, on cherchait un bonhomme.
      - M’doutait bien. Z’avez pas des têtes de consommateurs.
      - Elijah Williams.
      - Au fond d’la salle, vers la droite. Là où c’est un peu sombre pasque la bougie est morte.
      - Merci. »
      On s’tourne déjà pour aller voir le mauvais payeur quand Lloyd nous réadresse la parole :
      « Faut que j’range les bouteilles ?
      - Vaudrait ptet mieux, que j’réponds.
      - Serait plus sûr, on sait jamais, ajoute Mashin.
      - Puteborgne… »
      L’barman pose deux cafés sur la table avant de se mettre à planquer des trucs sous le comptoir. J’espère qu’on en arrivera pas là.

      Comme indiqué par le type, en tout cas, on s’dirige droit vers le coin le plus sombre de la taverne. Un bonhomme est assis contre le mur, tout seul à une table. Il nous regarde approcher sans bouger, une bière à moitié sifflée posée devant lui.
      Mashin s’asseoit sur le tabouret juste en face. Merde, j’le voulais, ce siège. J’en crochète un du pied à côté avant de m’poser à sa droite. On allume une clope avec un bel ensemble. Quelque part, ça m’fait mal au cul d’être synchro avec ce taré. Il a qu’à faire la discute, vu qu’il m’a coupé la parole tout à l’heure.

      « Elijah Williams ?
      - Ouais ? Répond-il, la mine patibulaire.
      - Ardoise, ça vous parle ? Demande Mashin.
      - Dépend.
      - Ross. »
      Rien qu’au nom, j’ai l’impression que la moitié de la taverne s’est figée. Pas de peur, malheureusement. Des mains disparaissent sous les tables autour de nous. Des verres et gobelets en tous genres sont reposés bruyamment. Ca semble résonner. Sale histoire. Mashin goûte son café, tranquillou, concentré. Il veut plus causer ? Bon ben j’m’y mets.
      « Ross veut son pognon, Elijah.
      - Qu’il vienne le chercher.
      - L’est trop occupé pour ça.
      - Pour ça qu’il m’envoie deux p’tits nouveaux avec la morve au tarin ?
      J’le regarde en m’penchant en avant.
      - On fait ça dehors ou dedans ? »

      Elijah renverse d’un coup sec la table, nous aveuglant. J’la bloque, toujours assis. Mashin se lève brusquement et fout son poing dans la gueule d’un type qui voulait nous assommer à coups de tabouret par derrière. Un deuxième gars se fait envoyer le café brûlant dans la tronche, suivi rapidement par la tasse, puis d’une manchette à la pomme d’adam. Efficace, le bonhomme, mine de rien, derrière son allure de gros loser.
      J’reste pas à m’la couler douce, j’dévie un coup d’poignard avec ma tasse qui tient pas l’choc avant d’faire jaillir une dague de ma manche. J’plante le type à l’épaule et j’le fauche d’une balayette avant de l’étendre d’un coup de talon dans la gueule. Méthodique.

      J’fais gaffe à pas trop faire dans la subtilité. Faut rester grossier pour s’fondre dans la masse. A l’autre bout de la taverne, le patron sort un gros gourdin de sous le zinc. Il a mis ses bouteilles à l’abri, l’est temps pour lui de canaliser un peu la violence. Et d’y participer, pas d’raison qu’il s’amuse pas.
      Mashin et moi, on a tous les deux vu Elijah prendre la poudre d’escampette par la porte de service. Plantant là les autres débiles en leur lançant deux tables coup sur coup à la gueule, on lui emboîte le pas en courant. On l’rattrape dans la ruelle.

      J’avais pas vu dans le bar, mais l’gars est vraiment balaise. J’calcule vite fait les alentours, quelques caisses, pas un chat mais des rats, des excréments et du vomi dans les coins. Charmant. Ethan plonge sur Elijah, le prend aux jambes. J’saute sur le dos du gars pour l’immobiliser au sol.
      Peine perdue, le colosse nous déloge tous les deux et s’relève. Il a pris un mauvais coup à la gueule, quand même. Il s’essuie la lèvre de l’avant-bras et s’mouche par terre pour virer un caillot de sang.
      « Va falloir faire mieux qu’ça, dit-il en nous narguant. »

      On peut, ouais. J’sors deux couteaux. Mashin sort ses poings. Elijah sort sa machette. Mazette ! Du coup, j’essaie de couvrir mon coéquipier, qu’il frappe dans les ouvertures. Le gros est puissant, et plutôt agile pour quelqu’un de son gabarit. J’peux pas utiliser le rokushiki, en plus, sinon ma couverture saute.
      A un moment, on arrive à le désarmer, mais il m’enchaine un coup de poing dans l’bide et m’tape la tête contre le mur. J’suis un peu sonné mais Mashin en a profité pour frapper les rotules, fort. Il tombe à terre, tente de ramper vers son arme. J’lui écrase les doigts de la main.

      « Ok, ok, j’vais payer !
      - Ross veut t’parler, j’pense. On sait même pas combien tu dois.
      - Hein, quoi ? Nan mais on peut s’arranger, j’suis sûr !
      - M’étonnerait, fait Mashin en lui pétant le coude puis il ajoute, le café était dégueulasse, en plus. »

      On allume une clope en trimballant Elijah.

      Quelques jours plus tard, j’ai mal partout. Des bleus, des coupures, des éraflures, j’en passe et des meilleurs. Ross nous a envoyé sur tous les coups un peu pourris comme ça. Il a l’air content de nous, remarque. Sean Renfree, Patrick D. Marco, Jacquizz Rodgers, Eric Weems. Des noms en vrac que j’ai retenus. Pas tous. J'ai l’impression d’être pris dans une lutte politique. Intestine ou pas, j’saurais pas dire.

      « Bon, les gars, entame Ross, j’suis ravi. Dans mon métier, faut avoir l’nez creux, et faut croire que j’suis bien tombé.
      - Merci.
      - Et j’ai justement un p’tit truc que j’ai besoin de refiler à des types à qui j’peux faire confiance. Vous.
      - Sûr, dis-nous, boss.
      - Y’a ce colis que j’veux que vous livriez… »


      Dernière édition par Alric Rinwald le Lun 30 Nov 2015 - 16:40, édité 1 fois
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      J'en ai plein le dos de cet endroit. J'en ai plein le dos des pirates, j'en ai plein le dos du café dégueu', j'en ai le plein le dos de me coltiner Arnol vingt-quatre heures sur vingt-quatre, j'en ai plein le dos de taper sur les mêmes tronches de cake tous les jours pour leur faire cracher du blé. Mais je laisse rien paraître derrière le sourire benêt du sous-fifre qui prend du galon. Le sourire benêt d'un maso qu'on trimbale à gauche et à droite et qui apparemment apprécie de s'en prendre plein la gueule... Et qui même en redemande. La preuve. On est une fois de plus au Cochon de Fer. Une fois de plus dans cette chambre miteuse. Une fois de plus assis devant une table de chevet faisant office de bureau pour Ross.

      Y’a ce colis que j’veux que vous livriez... Qu'il nous sort. Bizarrement, ça colle pas. J'veux dire... Ça fait quoi, quatre, cinq jours peut-être qu'Arnol et moi on fait que "Ross-er" de l'alcoolique mauvais payeur ? Et subitement, on nous confie un colis ? On a collecté assez de tampons sur notre carte de fidélité ? On a fait tomber assez de dents pour que Ross se fasse un joli collier ? J'y crois pas. Ça sent la mission foireuse à plein les narines. Mais c'est aussi le signe qu'on se rapproche du patron de Ross. Et que si on se fait pas égorger d'emblée de partie, y'a moyen de se planquer quelques cartes dans les manches, en attendant une éventuellement rencontre avec Shaliston... Je commence déjà à perdre patience, et à en avoir marre des intermédiaires. Pas bon ça. Quand on pense au légendaire Cipher Pol 9 qui était resté sous couverture pendant cinq ans entiers...
      Ok. Où, quand, et à qui ? Et surtout, ne jamais demander ce que pourrait contenir le colis. Déjà, on s'en fout, mais en plus, ça fait pas pro... Ross esquisse un sourire.
      Ce soir, minuit, au chantier naval. Au boss, une grande pointure de l'île. Demandez Juan D. Rekshion et filez-lui le colis. Réussissez ce coup et vous serez bien récompensés. Et surtout bien vus de la patronne.

      J'en ai plein le dos d'aller voir des intermédiaires. J'ai l'impression d'être trimbalé à gauche et à droite comme un personnage de jeu sur table, comme ceux auxquels mes frères et moi jouions enfants, par un maître du jeu pervers et sadique... Et qui n'a pas une once d'imagination en ce qui concerne les noms. Par contre, et pour rester dans cette métaphore, niveau pièges... Parce que ouais, c'est ça la question. Où qu'il est le piège ? Pourquoi Mashin, euh, machin (déformation professionnelle) ne peut pas venir le récupérer lui-même ?

      On peut donc discerner deux possibilités qui répondraient à ce fameux "Pourquoi nous ?". Primo, le colis contient quelque chose de grande valeur, qu'il faut ni paumer ni voir. D'où l'intérêt d'avoir des hommes des confiances pour le balader. Secundo, le colis peut intéresser d'autres personnes qui seraient susceptibles de vouloir l'intercepter. D'où la nécessité d'un convoi. Hmmm. Personnellement, comme à mon habitude de voir le complot partout, je pense pour le tertio, la troisième possibilité : c'est encore une connerie de mission toute pourrie pour voir si on est dignes de confiance. Et j'en ai déjà plein le dos.

      Sans demander notre reste, on se lève, et Ross nous donne le colis. Un carton pas trop gros, et pas bien lourd. Je me demande ce qu'il y a dedans. Ou pas. J'm'en care un peu, en fait. Je le donne à Arnol. Sois utile un peu, et porte... Et pis on part en direction des docks, dans une nuit aussi noire qu'asphyxiante, et qui empeste la gerbe et la vinasse bon marché. J'l'ai déjà dit que j'en avais plein le dos de cet endroit ? On arrive au lieu du rendez-vous, et on poireaute contre un poteau de métal en attendant l'heure... Et en buvant du café. Du moins pour ma part. Malgré mes nombreuses tentatives désespérées, l'ami Arnol ne semble pas réceptif au divin nectar que représente la caféine. Tocard.

      A minuit pétante, une silhouette finit par s'approcher de nous. Une silhouette qu'on discerne pas de suite. Quand elle devient reconnaissable... Ben ça nous avance pas plus, puisqu'on connait pas le gusse. C'est un jeunot d'environ une vingtaine d'années, aux courts cheveux châtains et assez propre sur lui. Tout le contraire de ce qu'on trouve comme racaille ici.

      Juan D. Rekshion ?
      Non. Justin B. Beur. Dit-il d'une voix mielleuse et particulièrement désagréable à l'oreille.
      Ah, mauvaise pioche. Désolé l'ami.
      Je ne crois pas, non. Ce carton que tu as là, pour combien tu me le vendrais ?

      Je sors une tasse de café (soucoupe, cuillère, et petit gâteau inclus) de ma veste et l'avale aussitôt, d'un trait, gardant la sucrerie pour plus tard. Je m'avance vers le type. J'crois que tu t'es trompé de personnes, mec. Barre-toi.
      Je ne crois pas, non... Il dit ça avec un sourire et une candeur qui feraient vomir un éducateur pour mômes. Ember veut ce paquet. Hors de question que je vous laisse le livrer à son concurrent direct.

      Qeuwah ? Mais c'est pas justement à Shaliston ou un de ses hommes de main qu'on doit refourguer le paquet, justement? Je n'ai pas le loisir d'être pris par l'étonnement bien longtemps, quand une ribambelle d'autres silhouettes sortent de la pénombre et s'avancent vers nous. Sauf que cette fois, je les reconnais. En partie. A peu près. Y'a Elijah Williams, Sean Renfree, Patrick D. Marco, Jacquizz Rodgers, Eric Weems et bien d'autres. Bizarrement, tous ceux à qui on a du coller une raclée cette semaine. Et qui font craquer leur poings ou crisser leurs battes en fer sur le sol. Quewah vol. 2 ? Bordel de merde. Tu parles d'une situation daubée. Si j'étais le héros d'un récit, j'aimerais bien pouvoir rencontrer l'auteur et lui coller mon pied dans les miches... Surtout si j'apprends qu'il fait ça par flemme de trouver de nouveaux personnages.

      On va passer un petit marché tous les trois. Vous me filez le colis, et je vous laisse la vie sauve et l'occasion de vous tirer d'ici avant l'aube. Alors vous en dites quoi ?

      Ma réponse ? Un petit gâteau, encore enrobé dans son papier plastique, que j'lui envoie entre les deux yeux. Celle d'Arnol ? Ses deux couteaux qu'il dégaine. Comme si on allait se laisser faire... Tous ces ploucs, et mon partenaire y compris... Ils ont jamais vu ce qu'était un vrai agent du Cipher Pol prêt à tout pour servir sa cause... Et j'vais leur montrer...

        Et v’là tous les fantômes du passé qui rejaillissent pour nous faire la peau. M’rappelle un bouquin qu’j’ai lu. Sauf qu’eux sont vachement plus en chair, en nerf, en muscle. Pas beaucoup de gras, mais beaucoup de hargne, de colère, de haine. Et des armes. On s’croirait à une expo.
        De la batte en acier, de la machette, du poignard, du poing américain… Tout l’arsenal du bon petit truand. Coup d’bol, semble pas y avoir d’armes à feu. Juste une bonne dizaine de types pas vraiment fréquentables à la mine patibulaire.
         
        J’en vois un ou deux qui claudiquent encore de la raclée qu’on leur a mis, avec Mashin. Des bandages, des pansements de fortune. C’est pas les seuls à être mal en point. J’crois qu’on traine tous des bobos plus ou moins graves. Y’en a, on leur avait pétés des trucs, pourtant, z’ont l’air gaillards. Faut que j’me rappelle qui a eu mal où, histoire de taper là où ça picote.
        Ouais, faudra cogner fort, précis, et bien. Sont nombreux. Et y’a Justin B. Beur. Lui, l’est frais comme un gardon, et l’air du gamin qu’a fait une bonne farce. Un gros sourire sur son visage. Mais ses yeux ont l’air de s’marrer vachement moins. Dangereux. Il a l’attitude du gars qu’envoie les ronds de cuir se faire tabasser pendant qu’il regarde. Et pas le sournois planqué, nan. Le bonhomme un peu haut dans la hiérarchie.
         
        Par contre, la hiérarchie de qui… Jusqu’à présent, j’pensais bosser pour la fille Shaliston, et voilà que lui dit pareil, sauf qu’il veut nous péter les dents. Du coup, soit il essaie de nous embrouiller, soit Ross a pas de goût particulier pour le côté larbin de la hiérarchie. Lui ou son boss.
        J’ai pas le temps de calculer que j’sors mes couteaux. Ouais, j’suis pas convaincu que tous les potes de Justin vont nous laisser partir tranquillou si on donne le colis. Colis dont j’sais pas trop quoi faire. L’est coincé sous mon bras. Deux couteaux, j’étais ptet trop enthousiaste, en fait. J’en jette un par terre pour reprendre le paquet bien en main. Le surin se plante dans le bois des docks. Bien aiguisé. J’suis fier de moi.
         
        Du coup, les hostilités commencent. S’il faut, j’peux toujours caser un kami-E ou un tekkai en douce, l’air de rien. Tant que j’me fais pas remarquer, ça devrait aller. Par contre, le soru, on va éviter, j’veux pas qu’on s’pose de questions.
        Elijah se précipite le premier sur Mashin. Lui, on lui avait pété l’coude, de mémoire. Ouais. C’était l’preums, le p’tit premier de la liste. Seconde d’émotion et… action !
        « Mashin, bras gauche !
        - J’sais, mêle-toi d’ton fion, Arnol ! »
         
        Ah ben voilà, on essaie d’rendre service et voilà comment on s’fait remercier. Mais il a pas tort, l’autre taré. Deux types s’jettent sur moi, les autres sont derrière. J’bloque un coup d’poing américain du bras droit et j’saute par-dessus la batte sifflante de Sean Renfree. Un gros coup de savate dans sa tête plus tard, j’retombe au sol et j’saute en arrière pour m’éloigner des deux assaillants qui les ont rejoints.
        Putain, ça va être tendax. Si j’m’y mets à fond, j’peux probablement les surclasser. Pas tous en même temps, hein. Mais j’peux pas vraiment foutre du rokushiki. Et Justin rôde en frange du combat, prêt à intervenir.
         
        Mes quatre guignols se jettent tous en même temps sur moi. J’ai pas beaucoup d’espace derrière moi avant de tomber dans la flotte. J’laisse tomber le colis par terre, tant pis, j’peux pas tout faire. D’un rapide mouvement du coude, en panique, j’lance un couteau sur un type. Epaule. Suffira pas. Le ralentit quand même.
        Dans la foulée, j’dégaine une autre lame. J’pare un katana de la main droite et j’dévie un coutelas de la gauche. J’encaisse une frappe horizontale d’une batte dans l’épaule. Mal de chien. J’ai eu le temps, en déviant, d’entailler sévèrement le poignet du bonhomme.
         
        J’saute à nouveau en arrière. Juste derrière moi, la mer. Putain il doit cailler sec, en plus, à cette période de l’année. S’ils se rejettent sur moi, j’les fous à la flotte. J’fais jouer mon épaule droite, précautionneusement. Tout a l’air de coller. J’grimace. J’transforme mon rictus en sourire carnassier qui fait la part belle à mes canines légèrement plus longues que la normale.
        Paraît que c’est intimidant, si ça les fait hésiter, c’est tout bon pour moi. J’sautille, j’prépare mes appuis. Putain, Justin a vu le colis par terre, malgré l’obscurité. J’vois à dix lieues qu’il va le prendre et s’barrer avec. J’suis pas enthousiaste, j’l’aime bien, c’colis, en fait. Ou plutôt, il m’est trop utile pour que j’le garde.
         
        Quand j’l’ai fait tomber par terre, en tout cas, j’espère que j’ai rien cassé. Pasque j’compte pas m’arrêter en si bon chemin.
         
        A la surprise des quatre guignols que j’ai en face de moi, j’charge. Une feinte d’attaque à gauche, un crochet vers la droite. Ils se gênent, ils sont trop proches. Un coup de pied dans un genou, j’sais pas lequel. Pendant mon assaut, j’ai inversé ma prise sur les poignards, j’les tiens pointe en bas, maintenant.
        Ca suffit à les mystifier la fraction de seconde dont j’ai besoin pour passer leur garde. J’taillade les tendons d’un avant-bras nu, musculeux et poilu. Mon autre attaque touche que du vide, le mec a réagi assez vite.
         
        J’ai réussi à passer la ligne de quatre, en tout cas. J’l’ai quasiment pas senti, mais j’ai écopé moi aussi d’un coup de couteau à la hanche. Ma chemise colle à la blessure. J’arrive à côté du colis deux secondes avant Justin. Il a l’air méchant. J’gueule ‘’Mashin !’’ en shootant dans l’paquet pour lui envoyer. J’prie vraiment que y’avait rien de précieux dedans.
        Mon cri le distrait, il jette un œil sur le côté. Il s’en prend une. L’avait qu’à faire gaffe à ce qui se passait autour. Mon coup d’tatane m’a déséquilibré et j’me viande lamentablement sur le dos. Justin et deux autres gus sont sur moi. Vont pas m’louper. Sont armés.
         
        Putain.
         
        Une batte –encore, un poing américain et une épée s’abattent sur moi.
         
        J’sers les dents et les fesses. Et les neurones.
         
        Tekkai.
         
        Les coups s’écrasent sur moi, déclenchant à peine un léger stimulus de douleur. Aucun dégât occasionné. J’relâche instantanément ma technique. D’une pirouette, j’fauche une paire de jambes et j’me redresse avant de plonger sur le gars à terre. J’le surine sec et propre, un coup à la jugulaire. Pas l’temps d’faire dans la dentelle.
        D’ailleurs, j’prends un autre coup d’batte qui m’soulève du sol et m’envoie rouler sur quelques mètres. Putain, il commence à m’gaver, celui-là. En plus, il a frappé pile là où j’ai été entaillé. Ma chemise est poisseuse de sang. Quand j’essaie de me relever, mon bras se dérobe sous moi à cause de la douleur dans mes côtes.
         
        Justin B. Beur, lui, s’est désintéressé direct de moi. Il voit que son précieux colis qu’est maintenant aux pieds de Mashin. J’suis assez occupé comme ça. Lui, il a du mal. Quatre gars sur lui, aussi hargneux que les miens, avec Justin qui vient en prime avec son épée. D’un bond, j’me propulse à côté du couteau que j’avais fait tomber au début –et loin de mes assaillants, et j’le jette à l’arrière du genou d’un type qui s’effondre par terre en s’tenant la jambe. J’espère que ça lui suffira, j’ai les mains prises.
         
        J’roule sur moi-même pour m’relever, retenant un hoquet à chaque fois que j’touche le sol avec mon côté gauche. Pour une idée à la con, ça s’pose là. J’note de pas recommencer. J’sors un autre couteau et j’le lance fissa pour me ménager un petit peu d’temps. Puis un autre que j’garde en main. J’commence à être à cours, j’crois.
        Le type avec la batte, il m’a pas loupé jusqu’à présent. Il joue bien. Il reste en retrait, et dès que j’ai évité les premières attaques, il arrive avec un truc pas spécialement rapide, qui le laisse ouvert un truc de taré, mais dont j’peux pas profiter. C’est l’prochain sur ma liste, si j’peux.
         
        Trois qu’arrivent sur moi. Un poing américain et un couteau, puis la batte. J’esquive le surin, j’bloque le poing du manche de mon poignard et j’feins un déséquilibre. Comme prévu, la batte s’jette sur l’ouverture. V’là ma chance.
        Mais v’là que Mashin envoie le colis de mon côté d’une talonnade. L’est un peu overbooké, lui aussi. Si c’était qu’ça, j’aurais pu gérer, mais un des types à terre lance sa machette. J’ai déjà eu du bol de la voir, du coin des mirettes. Et de l’entendre, un sifflement désagréable dans les esgourdes.
         
        J’me déporte brusquement sur le côté, l’arme filant en tournant à côté de ma tête. Il avait bien visé, le salaud. Mais j’ai toujours mon vieux pote avec sa batte de baseball en acier qui m’attend, prêt à m’sauter d’ssus comme la misère sur l’pauvre monde.
        Et ça loupe pas. Le premier swing me jette à terre. Son collègue au poing américain me plonge dessus pour m’tabasser au sol pendant que celui au couteau se place pour m’achever. Et Justin doit vouloir son colis, pour pas changer.
         
        Quelques coups plus tard, que j’encaisse recroquevillé comme une putain d’victime, j’détends brusquement les jambes pour m’défaire du cogneur. J’lâche un surin pour attraper le poignet du gars qui veut m’planter et j’le fais basculer par-dessus moi. Un coup de talon lui éclate le tarin et j’entends le craquement distinctif du pif qui pète. En v’là un qui m’emmerdera plus.
        En tendant le bras, j’fous la main sur le colis qu’en désespoir de cause j’balance sur le bonhomme à la batte au moment où il va encore me fracasser avec sa putain d’barre. Vieux réflexe à la con ou quoi, mais il swing, et violent. Le colis part avec un son mat à plusieurs centaines de mètres.
         
        D’ici, j’vois Justin qui soupire. Ca fait tout le combat qu’il trottine derrière ce paquet, à courir d’un bout à l’autre. J’me doute qu’il a envie de nous démonter définitivement pour enfin prendre son colis en paix, mais si quelqu’un d’autre le prend, il sera marron. Comme la merde dans laquelle il sera pour pas avoir accompli sa mission, téh.
        D’un mouvement d’reins, j’me relève, j’passe sous la batte et j’plante le type avec mon stylet dans l’bide. Tiens, mon gars, tu m’as pas loupé un paquet d’fois, mais moi, un coup, ça m’a suffit, tu vois ? J’le regarde droit dans les yeux. Malgré l’obscurité, il a toujours l’air furax. Il m’donne un coup d’boule, j’tombe à la renverse. Il aurait pas pu clamser direct ?!
         
        J’me relève cette fois de manière bien moins classe, en passant à quatre pattes avant. Poing américain  me revient dessus en chancelant. Il en a pas eu assez. D’un brusque pas en avant, j’passe dans sa garde pour lui mettre un coup d’tronche.
        Ouais, j’m’inspire des autres, y’a pas d’mal. Puis j’le choppe au collet avant de le balancer dans la flotte. J’suis sûr qu’elle est glacée, en hiver en pleine nuit. Bien fait, connard. J’ai un œil qui commence à s’fermer, la lèvre tuméfiée, sans parler de ma jambe qui boitille et de ma chemise imbibée de sang. Et c’est même pas fini.
         
        Mashin a réussi à étaler la plupart de ses ennemis, lui aussi. A une cinquantaine de mètres, Justin court vers le point de chute supposé du colis. J’arrive par derrière pour suriner le dernier type qui donne du fil à retordre à mon collègue. L’a beau être un putain d’taré et un gros enculé, il sait s’battre et il fait l’taf.
         
        ‘Pparemment, il avait surtout des gens à mains nues, le chanceux.
         
        M’enfin ça doit être normal, à la réflexion, j’ai des couteaux, j’me coltine les types armés aussi… Chiasserie. En plus, j’ai pas le temps de les ramasser, mes lames. Sur un regard, on s’lance clopin-clopant à la poursuite de Justin.
         
        J’essuie le sang qui m’tombe dans l’œil. J’avais pas remarqué que j’avais l’arcade pétée. J’cours façon grand-guignol, comme un hémiplégique. J’ai la moitié du corps douleureuse, qui fonctionne pas terrible. Justin ramasse le paquet par terre avant de s’engouffrer dans une ruelle.
        J’fais signe à Mashin de prendre à gauche. Si on le poursuit à la régulière, on le rattrapera jamais de chez jamais. Deuxième prière de la nuit. Pas dans mes habitudes. J’espère qu’il fait assez nuit et que y’a pas de curieux qu’ont été attirés par le bruit des armes, des soufflements et les cris de douleurs.
         
        Dès que Mashin est hors de vue, j’tape rapidement dix fois par terre. Le soru. J’réapparais au bout de la ruelle, juste derrière Justin. J’l’assomme d’un coup du tranchant de la main bien placé à la nuque. Puis j’lui fais un deuxième sourire, encore plus grand que le premier, un poil plus bas que celui-ci. J’voudrais pas qu’il raconte comment j’ai instantannément franchi une distance surprenante.
         
        Là, il racontera plus rien.
         
        Puis j’regarde cette saloperie de colis. Il est aux trois-quart ouvert, d’abord à cause des coups de pieds, puis le swing de batte et enfin Justin qu’a trifouillé dedans pendant sa fuite. C’que j’vois à l’intérieur, ça m’étonne même pas. Même plus. J’sentais ça venir depuis que les autres nous étaient tombés dessus.
        J’me laisse tomber par terre à côté du paquet et j’allume une clope. J’palpe ma gauche. La chemise colle à la plaie, j’ose pas trop y toucher en l’état. Mashin m’rejoint enfin en boitant.
        « Tu l’as eu ?
        - Ouais.
        - T’as fait comment pour l’avoir aussi vite ?
        - J’ai lancé mon couteau, ça l’a fait trébucher.
        - Dans l’noir ?
        - J’ai eu du bol.
        - Ouais…
        - Un problème ?
        - Nan. T’as du feu ?
        - T’en avais pas chouré un aux deux gorilles de Ross ?
        - J’l’ai paumé.
        - Attrape.
        - Merci. Tu veux un café ?
        - Putain, nan, j’veux voir Ross.
        - L’colis est vide, pas vrai ?
        - Vide de trucs intéressants, ouais. Des draps.
        - Putain.
        - Comme tu dis, putain. »
         
        On s’grille une cigarette chacun, à côté du cadavre dont la flaque de sang s’étend petit à petit sur les pavés, cendrant sur le mort. Puis on s’lève et, appuyés l’un sur l’autre, on va récupérer mes couteaux avant d’aller voir Ross.
         
        On est introduit directement. Le même bureau moisi, le même gros type derrière son meuble, les mêmes gorilles. On a fière allure. Couverts de sang des pieds à la tête, à moitié cassés…
        « Ah, vous êtes là, vous deux, fait Ross.
        - Ouais, boss, on est là.
        - Alors, le colis ?
        - On l’a pas livré à Juan.
        - Ah ? Et pourquoi ça ?
        - Hé, patron, j’peux vous raconter une histoire ? Que j’fais.
        - Dépend. Longue ?
        - J’suis pas en état d’en raconter une qui dure des plombes.
        - Vas-y.
        - C’est l’histoire d’un type. On va l’appeler Ross.
        - Gaffe à ce que tu dis, Arnol.
        - Ross, il veut pas rester en bas de la hiérarchie, donc il lance une p’tite guerre de territoire en douce. Mais pour ça, il peut pas utiliser ses hommes de main habituels. Ils sont marqués, connus. Donc il recrute des p’tits nouveaux, il les teste. Il regarde s’ils ont le niveau, la carrure.
        - Continue, fait Ross en adressant un signe de tête à ses gardes qui se placent derrière nous en bloquant la sortie. »
         
        C’est là qu’on marche sur le fil du rasoir. Mashin sort un café de sa veste de costume tâchée de sang. A la lumière des lampes, il a le pif bien enflé, il a dû prendre un mauvais coup. Il me laisse continuer. Il a dû raccrocher les wagons aussi.
        « Mais Ross, il sait que y’a des gens qui le surveillent. Des types pas forcément fiables dans son entourage. Pour les purger, il utilise ses nouveaux et leur file un colis. Ce paquet, ils doivent le transmettre à un ennemi notoire de la chef de Ross. On va dire qu’elle s’appelle Shaliston, tiens. Ember Shaliston. C’est joli, comme nom, non ?
        - Accouche, grogne Ross.
        - Sauf que les nouveaux savent pas que leur contact est un ennemi, intervient Mashin, qu’a bien compris.
        - Ce colis pourrait contenir des trucs importants. Donc la taupe dans l’entourage de Ross s’agite, va cafter. Et c’est là qu’avant qu’elle cafarde, elle se fait buter et balancer dans le port.
        - Belle histoire. Et vous savez ce qui arrive aux deux nouveaux qui utilisent un peu trop leur cervelle ? »
         
        Le moment du va-tout. Soit il nous a pris pour nous jeter quand il n’aurait plus besoin de nous, soit on peut…
        « Ces deux p’tits nouveaux, ils ont compris, mais sont quand même revenus voir Ross.
        - Ils savent qu’avec Shaliston, ils monteront jamais bien haut avant des années, dit Mashin. »
        Ca tombe bien qu’il se mette à causer, j’ai mal à la mâchoire, j’ai douille à parler.
        « Donc ils décident de se ranger du côté de Ross, qui les a amenés là où ils sont, et ils se disent qu’ils pourront profiter de sa montée dans les rangs pour suivre dans son sillage.
        - C’est des p’tits malins, hein ? Demande Ross.
        - Ouais.
        - Mmmh… »
         
        Ross réfléchit. J’calcule les angles de fuite. J’vois pas grand-chose, pour le moment. Mais j’m’applique. Au pire, j’crame ma couverture, même si ça me ferait mal au fion.
         
        Sale histoire, putain…
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