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On sonnera le glas ...

La quiétude de l’océan… Navire qui vogue paisiblement sur les flots, assise sur le pont, adossée au grand mât, paupières closes, j’inspirai l’air marin qui gonfle mes poumons et caresse de son doigté frais et délicat la peau de mon visage. Tout est si calme. Autour de moi, d’étranges objets de navigation qui demeurait encore pour une énigme gisaient sur le pont. Entre mes doigts, reposés sur mes jambes étendue, une feuille de papier et un crayon, vestiges si anodin de ma vie d’antan. 
Ennui et solitude, les journées en mer me semblaient de plus en plus interminables à chaque nouveau cycle de l’astre incandescent, seigneur du ciel. Je n’avais plus mis pied sur terre depuis mon escapade sur Kage Berg. Mes réserves de nourriture se faisaient de plus en plus maigre. Je me privais le plus possible afin d’en conserver suffisamment jusqu’à la prochaine île. Dans l’espoir que je parvienne à y accoster mon navire…

Un manque récurrent d’activité, j’avais la sensation de me ramollir, aussi bien physiquement qu’intellectuellement. Des cernes sous les yeux, les sourcils légèrement froncés, une migraine bénigne perturbait ma réflexion, alors que j’essayais de m’occuper l’esprit. Sur la feuille de papier, de mystérieux symboles. Cherchant de ma mémoire, je tachais de me rappeler des leçons du Maître, ces écritures dans le temple… Je me divertissais dans l’intention de l’invention de messages codés, mais je m’y perdais parfois moi-même. Les écritures sacrées étaient si complexes à comprendre. Même, aux souvenirs de la traduction des symboles du temple de Shimakuma, je persistais dans mon idée de certains détails qui me paraissaient presque incohérent, comme s’il manquait quelque chose, qu’il ne s’agissait là que d’un fragment d’une gigantesque fresque…

Un soupir franchit la barrière de mes lèvres. L’instant d’après, en seulement quelques fractions de secondes, je me saisis de mon sabre de la main droite, posé non loin de moi et rangé dans son fourreau, puis parai d’un geste ample et rapide tout me redressant pivotant autour de ma jambe gauche, l’attaque furtive du serpent qui venait de fondre sur moi, la gueule grande ouverte !


L’animal rejeté qui non frustré d’avoir été contré s’en retourna en rampant jusqu’à disparaître à nouveau de mon champ de vision. Ma main gauche posée contre le mât, je le suivis du regard, puis je me concentrai d’avantage sur la stabilité de mon rythme cardiaque qui venait brièvement de s’emballer au cours de cet épisode. 
Telle était la raison de mon manque de sommeil, l’origine de mes cernes… Le reptile si pacifique aux premières heures de mon voyage avait entrepris ses attaques intempestives depuis plusieurs jours déjà. Chaque instant de répit pouvait être fatal. Il était là, tapis dans l’ombre, prêt à bondir pour me sauter à la gorge. Ce manège semblait sans fin. Cependant, ses attaques ne se produisaient toujours en une seule et unique tentative. Comme s’il voulait tester et aiguiser mes réflexes, si je devais prêter des pensées et une réflexion à cet animal, je pourrais penser qu’il me jugeait également trop inactive et qu’il cherchait à palier ce manque d’entraînement de ma part. Par conséquent, c’était à peine si j’osais m’assoupir de peur de ne jamais me réveiller d’un sommeil qui se révèlerait éternel. Ma fatigue se faisait cuisante. Quant à ma faim… Mon ventre gronda furieusement de mécontentement. Il semblerait que rejoindre la terre ferme devenait de plus en plus urgent. Une terre propice à la chasse serait sans doute la bienvenue, réserve de nourriture et terrain d’entraînement.

Tous mes sens semblèrent se diriger vers un seul et même point, la paume de ma main, le contact du fourreau au creux de celle-ci. Mes yeux bleus, poussières d’océan, se posèrent instinctivement sur le sabre. Je ne pourrais l’ignorer encore bien longtemps. La voix de mon devoir résonnait un peu plus chaque jour dans ma tête. La lame avait soif de sang. Le démon devait être tout aussi affamé que moi. Sa patience atteindrait bientôt ses limites.

Une goutte d’eau tomba sur le dos de ma main. Je relevais les yeux vers le ciel. Un nuage passa devant le soleil, émissaire d’un armada grisâtre qui se déployait au-dessus de l’océan. Une goutte de pluie. Puis, une seconde. Et enfin, tout un florilège qui dévalèrent la pente vertigineuse depuis le ciel jusqu’à la Terre. Je demeurai immobile et stupéfaite, contemplant le ciel. J’assistais là à la toute première averse depuis mon départ de Shimakuma. Fruit du hasard aux yeux de bien des gens, au mien il ne faisait pas l’ombre d’un doute : un message céleste m’était envoyé. Le sang allait coulé pour revenir à la terre nourricière de l‘île qui serait ma prochaine destination…
******


Deux jours se sont écoulés depuis que la pluie s’est mise à tomber. Une journée et une nuit sans relâche. Pas de remous tumultueux sur l’océan. Je dois m’en satisfaire. Ce ne fut qu’un premier avertissement, mais à présent, je dois rejoindre la terre ferme le plus vite possible avant que l’impatience du Démon ne devienne colère. Piètre navigatrice, la mer aurait tôt fait de m’engloutir si je venais à devoir affronter une tempête. De toute évidence, il devenait également pressant que je m’améliore en ce domaine, mais comment ? Renfermé sur lui-même, prisonnier des eaux maudites, mon peuple n’avait guère l’esprit marin et les connaissances en la matière étaient restreintes. En tant qu’ancien prêtre puis maître d’armes, mon mentor suite au massacre de la population n’avait pas été en mesure de m’enseigner quoi que ce soit au sujet de la navigation. Pour l’heure, je m’en remettais entièrement à la chance pour mon voyage, malheureusement, je n’ignorais pas à quel point elle peut vite tourner.


Un cri aiguë déchira le ciel. Un vol de mouette. La terre ne devait plus être loin ! Bientôt, une immense toison de feuillage se dessina à l’horizon. Enfin ! Un monceau de terre verdoyant surplombé d’un arbre gigantesque, à l’allure paisible, se déployait devant moi au fur et à mesure de mon approche. L’île ne semblait pas bien grande, mais peu m’importait, du moment que j’y trouvais un terrain de chasse propice. Cette fois-ci, j’emmènerais mon fusil avec moi. Je ne savais si la faune locale y était dense mais je me sentais bien l’âme à traquer ma proie. Un peu de gibier pour aiguiser mon instinct, une vie humaine pour le satisfaire.

Le bateau glissant sur les vagues en direction de la terre, je scrutais celle-ci de mon regard bleu, franc et glacé. Déterminé. Je ne repartirais de cette île sans avoir ôté une vie humaine de la lame de mon sabre. Je ne suis pas assoiffée de sang. Je ne ressens aucun plaisir à l’assassinat. Mais outre ma foi, je ne parviens pas à me détacher de mon devoir. Cette voie est tout ce qu’il me reste. Je cours à travers le monde après un fantôme que j’espère être toujours vivant. Le souvenir de mon frère est mon souffle d’espoir. Seule cette pensée me maintient en vie. Je ne puise la force de me mouvoir que dans la perspective de le revoir un jour. Je vous en supplie, rendez-le moi…

Je mène une quête pour laquelle j’ignore tout du chemin à suivre. Je ne sais ni par où commencer, ni comment… Je suis totalement perdue. Ma foi et mon sabre me rattache à mon existence. Je n’ai plus rien. Ni famille, ni patrie, ni ami… Je suis seule dans cet immense univers. Je n’ai pas de scrupule à tuer. Je n’ai plus rien à perdre, puisque je n’ai plus rien en ce monde. Pas même un avenir. Mon devoir envers le démon m’apparait comme ma seule chance que le destin me guide afin que mon chemin et celui de mon frère se croisent un jour à nouveau. Dans ce monde ou dans un autre… Alors, oui, sans émotion, ni haine ni remords, j’accomplirais la tâche sanglante qui m’incombe !
******


A mon arrivée sur cette île où trônait un arbre démesurément grand, il me semblait que le jour ne s’était levé que depuis quelques heures. Je jugeais que nous étions encore qu’au matin, même si le temps était une notion que je perdais un peu plus à chaque couché du soleil et à chaque nouvelle aurore. L’île était petite mais son port paraissait bien dynamique. Le nombre de bateau qui était amarré laissait supposer un trafic maritime assez important : marchands, touristes ou encore forbans ? La flamme de la curiosité quant à savoir ce qui allait m’attendre là-bas s’embrasa peu à peu dans mon coeur.
Et quel soulagement lorsque j’eus enfin foulé la terre ferme de mes pieds à la descente plus que pressante de mon navire, lui aussi amarré à quai dorénavant, aux côtés de ses pairs, modestes et de faible envergure. L’envie de me prosterner à genou afin de baiser la terre originelle de toute vie humaine me traversa bien l’esprit.

Cependant, je ne pouvais me permettre une attitude aussi indécente pour le fier inconnu capé et mystérieux que j’incarnais sous le regard des individus qui croiseront mon chemin. Tête haute, mais visage dissimulé dans l’ombre de ma capuche, j’avançais m’éloignant du port dans une démarche assurée toute en demie teinte afin de ne pas trop attirer l’attention sur moi. Sur le registre des quais, j’avais fait consigner mon bateau au nom de « William E. », accompagné de quelques berrys provenant de la bourse dérobée sur Kage Berg et l’affaire avait été enregistré. J’étais à présent libre de me mouvoir partout sur cette île, dont l’arbre semblait être le principal, l’unique peut-être, centre d’intérêt.  Longeant les rues d’une petite ville non loin du port, il me fut aisé d’apprendre à la vue d’affiches « publicitaires » que cet arbre abritait une bibliothèque très particulière. Pour ma part, à l’heure actuelle, je n’avais que faire des bouquins ! A moins que … Mais oui ! J’y trouverais certainement des ouvrages qui sauront m’être utile sur le sujet de la navigation ! Finalement, peut-être n’aurais-je pas pu mieux tomber que sur cette île ! Par contre… Dans l’instant, je ressentais surtout un besoin d’aller me défouler, de courir à en perdre haleine, de traquer tel un redoutable prédateur, en résumé de vivre comme je l’avais fait au cours des cinq dernières années plutôt que de m’enfermer dans le sanctuaire du silence, le nez dans un livre !


Parler ! Ce besoin aussi se faisait de plus en plus grand ! Me mélanger parmi la foule d’un peuple inconnu m’offrait une opportunité qui ne m’était plus possible depuis plusieurs années : communiquer, échanger ! Pourtant… Je n’allais au-devant de personne, pas même un commerçant avec lequel je pourrais facilement engager la conversation sous un prétexte lambda en entrant dans son office. Non, je n’avais plus peur comme à Kage Berg. Cette appréhension m’était passée. En vérité, je ne savais plus vraiment comment m’y prendre pour parler aux gens. J’hésitai, ce qui était totalement nouveau pour moi. De plus, je ne devais briser mon masque de solitaire à l’attitude de glace. Mon visage, l’intonation de ma voix, tous mes gestes devaient se retenir d’être trop expansifs ou chaleureux. Nul effort à faire sur ce point-là, les gens ne le voyaient pas mais un rictus de mépris se peignait sur mon visage. Je les détestais ! Tous ces gens heureux, qui rient, qui sourient… Des amis qui se charrient. Des enfants qui tiennent la main de leurs parents. Ils vivent ! Et le gouffre qui me sépare d’eux ne fait que se creuser d’avantage à ce constat de mes propres yeux. Peut-être respire-je encore, peut-être mon coeur bat-il encore et mon sang coule-t-il dans mes veines, mais je ne vis plus. Je n’ai plus de véritable existence. Plus de nom. Je ne suis qu’un mirage, une illusion, un mensonge… Je ne suis plus qu’un fantôme de l’inexistante Shimakuma dont toute trace a été effacée de l’histoire. Je ne suis qu’un spectre, présent pour représenter les morts de mon peuple et faire entendre leur voix. Celle de la vérité. Celle de la vengeance !

Je suis un soldat du diable envoyé dans son monde pour étancher sa soif de sang. Que la plaie béante qui lui a été infligée en plein coeur lorsqu’on est venu lui dérober son peuple, lui qui condamna alors sa propre île au naufrage en proie au plus déchirant des désespoirs, soit enfin purifiée par toutes les âmes impies que je saurais lui offrir afin qu’elles pansent ses maux.

D’un revers de main, je chassai la rancune qui avait pu envahir mon coeur. Je ne devais me laisser  envahir de la sorte. Tous mes sentiments, toutes mes émotions, afin de devenir un parfait soldat dévoué, je devais m’en défaire. Je devais les annihiler !

******


Ainsi, je m’en étais allée de la ville pour m’enfoncer plus loin dans l’île, là où la nature reprenait ses droits. Il y avait, parmi la flore locale, des végétaux qui m’étaient totalement inconnus. Curieuse, je m’arrêtais pour les observer, inscrire leur image dans ma mémoire, oubliant mon objectif premier : celui de chasser ! Pour l’heure, je ne me préoccupais que du gibier qui pourrait me remplir l’estomac et éventuellement mes réserves de nourritures pour la poursuite de mon voyage, si je trouvais suffisamment de proie. Cependant, cette terre ne semblait guère peuplé de véritables animaux de proie. A en juger par le peu d’empreintes que j’avais pu pister une fois reconcentrée sur  mon ouvrage, je ne pourrais certainement espérer mieux que quelques lapins. Au moins, ce serait toujours mieux que rien. Mais bien qu’il faille se montrer discrète et silencieuse afin de ne pas éveiller les instincts de survie de ces petits animaux qui auraient tôt fait de s’enfuir dès lors que leurs sens remarqueraient tout danger éventuel, la chasse n’en demeurait que peu grisante en comparaison à un animal plus fort voire plus féroce. Pour un peu plus de distraction et de plaisir dans l’art de la chasse, je renonçai rapidement à l’usage du fusil, dont la détonation risquait d’attirer l’attention sur moi - j’ignorais si ce terrain de chasse était régulier ou non, si le port d’armes à feu était autorisé sur cette l’île, ce qui n’était le cas que sous l’ascendant d’un ensemble de règles très strictes sur Shimakuma -, pour lui préférer l’égorgement au couteau. Un emplacement stratégique à en juger par les traces de passage des lapins, un piège tendu, un peu de patience, un animal insouciant du danger qui tombe dans le panneau et enfin, un grand coup sec sous la gorge afin de trancher la jugulaire pour lui donner la mort. Le sang coule sur le sol de la terre qui s’en délecte en digne retour à la mère qui lui à un jour accorder la vie. C’était une première prise, cela me suffirait pour me rassasier momentanément, j’entreprendrais une chasse plus importante un peu plus tard, quand mon estomac cesserait de crier famine.


Le lapin mort entre mes doigts, je cherchais un endroit paisible où m’installer pour enfin déguster ce que je pourrais appeler un vrai repas. J’avais déjà la viande, il me faudrait à présent un feu pour la faire rôtir. J’en avais déjà l’eau à la bouche, et mes pas me guidèrent vers une colline éloignée, excentrée avec un panorama imprenable sur l’océan. Un filet de fumée qui montait jusqu’au ciel émanait depuis cette colline. Sans doute aurais-je dû renoncer à m’y rendre, d’autant plus que le toit d’une modeste habitation se distinguait de mieux en mieux au fur et à mesure que je me rapprochais. Indéniablement, quelqu’un résidait sur cette colline, or je cherchais plutôt à éviter les gens pour le moment, cependant …

Mes doigts enlaçant déjà le pommeau de mon sabre, il était trop tard, je n’étais déjà plus moi. Le sang dans mes veines ne faisait qu’un tour et se glaçait finalement. Je n’étais plus qu’un serpent qui se meut en direction de sa proie, celle-ci ne soupçonnant même pas mon approche. Je ne marchais plus, je ne faisais qu’effleurer le sol. Caresse silencieuse qui faisait ployer les brins d’herbe sur son passage. Il était dehors, debout face à son feu. Un homme de dos qui ne pouvait deviner ce qui allait prochainement lui arriver. Qu’il respire donc, bientôt, il ne le pourrait plus. Sans doute était-ce déraisonnable, certainement même était-ce en totale contradiction avec mes projets sur cette île, à peine l’aurais-je exécuté que je devrais me préparer à m’en aller à nouveau, voguer  vers une autre île, sacrifier d’autres personnes… Mais dès lors que je me saisissais de mon sabre sacré, je n’étais plus la même. Je n’étais plus la fille perdue, mais celle dont les cris d’agonie de tout un peuple résonnait dans la tête au point de lui en faire perdre la raison. Elles ne se tairaient qu’une fois que j’aurais assouvi la soif de la lame, que j’aurais apaisé mon coeur que la haine rongeait peu à peu, malgré toute l’indifférence que je tendais à prétendre… J’espérais devenir insensible, mais je ne pouvais m’empêcher, tout au fond de moi, d’en vouloir aux assassins de ma famille. Je leur ferais payer !


Et une, deux, trois foulées d’élan, je bondissais, sabre en l’air, réverbération du soleil sur la lame, avant de fondre sur ma proie dont la chair serait déchirée sous le coup de mon attaque accompagnée du sang qui giclerait sur mon visage. Du moins, était-ce à quoi je m’attendais, mais … Sans que je n’ai véritablement le temps de comprendre quoi que ce soit, l’homme s’était retourné, de son tison de fer qu’il tenait en main, il vint parer mon attaque et me désarma avec une facilité déconcertante. Mon sabre ôté de mes mains, celui-ci tourna dans l’herbe avant de se planter dans le sol en terre à quelques mètres de là. La flamme d’un feu aussi ardent que glacial qui animait jusqu’alors mon regard bleu s’éteignit instantanément. Je demeurai totalement stupéfaite tandis que l’homme que je venais d’attaquer se détournait déjà de moi pour continuer à attiser son feu.

« Tu es trop confiante, gamine ! » souffla-t-il.



Un léger soupir dans le ton de la voix, tandis qu’un léger rictus amusé vint se nicher au coin de ses lèvres. De mes grands yeux bleus écarquillés, je l’observai quelques secondes, bouche bée. Il était relativement grand, dans les un mètre quatre-vingt sept centimètres de haut. Ses cheveux gris témoignaient d’un certain âge mais sa carrure laissait comprendre une forte stature encore en pleine forme. Ses joues et les rides sur son visage avaient été creusées par le temps. Je venais d’essayer de le tuer et lui, il restait parfaitement serein. Certes mon attaque avait échoué, et je m’en sentais relativement ridicule, honteuse, néanmoins, n’était-ce pas une erreur de sa part de me tourner aussitôt le dos ? Peut-être pas puisque je ne réitérais pas ma tentative, d’ailleurs, toute exécution n’aurait d’intérêt que si elle était réalisée de la lame du sabre sacré, celle qui était prisonnière de la terre à ce moment même. Alors, je le fixais, décontenancée.

« Gamine ?! »

Comment avait-il pu le deviner ? Je rejetai alors en arrière ma capuche et révélai mon visage de poupée. Sans doute pouvait-il sentir sur lui toutes les interrogations de mon regard, car, sans se retourner, il continua à s’adresser à moi :

« Tu n’as pas douté de toi une seule seconde, c’est remarquable. Cependant, tu ne t’es pas interrogée non plus quant à savoir si ta proie ne pouvait pas être moins vulnérable qu’elle ne le paraissait. »

D’un geste de la main, il fit signe de le rejoindre. Troublée, j’avais perdu toute animosité et je m’exécutai docilement. Cet homme m’intriguait. Il jeta tout d’abord un regard à ma ceinture où pendait à présent le lapin que j’avais capturé afin d’avoir les mains libres, initialement pour le tuer.

« Et si nous préparions ce lapin, je comptais justement profiter du beau temps et du plein air pour déjeuner dehors, si nous partagions ce repas ? J’avais bien des légumes mais justement pas de viande. »

Ma surprise n’allait que croissante tandis qu’aucun son ne semblait pouvoir remonter le long de ma gorge afin de franchir la barrière de mes lèvres. Etais-je en train de rêver ? Quel était donc ce vieux fou pour inviter à sa table une inconnue aux intentions indéniablement meurtrières? Son regard d’un marron éteint par les années de son existence, se leva alors jusqu’à mon visage. Un très léger et presque indescriptible sourire s’esquissa sur ses lèvres aux coins ridés. Je compris alors que si je m’interrogeais à son sujet, il en était de même en retour. Probablement sûr de sa force, il n’éprouvait pas la moindre peur à mon égard. Sans doute semblait-il plus curieux de savoir quel genre de jeune femme au visage si délicat pouvait bien chercher à dérober des vies humaines sans motif apparent ?
Un soupçon méfiante, je détachai le lapin et le lui tendis. S’il voulait qu’on le mange ensemble, alors qu’il le prépare ! Car, avant de venir m’asseoir à ses côtés autour du feu de cuisson, je m’en allai récupérer mon sabre. Un instant de doute lorsque j’eus posé à nouveau mes doigts sur lui. Un soupir de soulagement lorsque je ne ressentis aucune vague m’envahir. La flamme s’était éteinte. Pour le moment…


Dans une situation où je ne parvenais pas à me défaire de la sensation d’étrangeté, je pris place, assise à meme le sol, auprès du feu de l’homme qui me demanda d’éplucher les légumes tandis qu’il se chargeait du lapin. Nous ne dire un seul mot pendant un bon moment, puis, je finis par être celle qui rompu ce silence :

« Comment avez-vous pu contrer mon attaque ? » demandai-je franchement sans faire de détour.


Il s’arrêta dans son ouvrage, redressa la tête puis se mit à rire :

« Hahaha ! Ce n’est pas un homme-poisson que l’on apprend à nager, jeune fille ! Si je n’avais pas été capable de déceler ton approche, je serais mort depuis bien longtemps ! 

- Qui êtes-vous ?

- Je suis un vieux loup de mer et personne à la fois. Je me nomme Léon et je suis un modeste chasseur de prime à la retraite.

- Un chasseur de prime ?
répétai-je quelque peu hébétée.

Je comprenais le principe, explicite de cette fonction de par son nom, mais il était bien le premier que je rencontrais.

« Oui, je pourchassais les pirates et autres criminels primés pour les livrer aux forces de l’ordre contre une rémunération, mais dis-moi Petite, d’où viens-tu ? »

L’expression sur mon visage se rembrunit dès lors. Je n’avais nulle envie de parler de mon passé à qui que ce soit. De plus, je ne savais à qui je pouvais me confier. Si ceux qui ont orchestré l’extermination de mon peuple venait à apprendre l’existence d’une survivante, qui me dit que je ne deviendrais pas leur prochaine proie ? Ne sachant qui ils sont véritablement, je ne devais faire confiance à personne, jamais !

« De Kage Berg, » mentis-je.

Je choisis ce nom par défaut, car seule île dont le nom m’était  connu pour le moment. Je crus décelé le scepticisme de mon interlocuteur qui ne but pas mes paroles avec crédulité. Cependant, il ne me contredit pas :

« Qu’est-ce que jeune fille de la campagne est-elle donc venue faire à la Nouvelle Ohara ? 

- La Nouvelle Ohara ?

- Oui, c’est le nom de cette île. Pourquoi ne me dis-tu pas que tu es perdue, jeune fille qui ne vient pas de
Kage Berg ?

- Je …

- Je ne demanderais plus d’où tu es originaire si tu ne souhaites pas me le dire, mais il est certain que ne tu viens pas de là où tu le prétends. J’ai voyagé à travers les quatre bleues, et même sur Grand Line du temps où j’étais encore chasseur de prime, je sais que ni tes vêtements, ni tes armes ne viennent de Kage Berg. Je suis juste étonné par ton étrange façon de demander ton chemin quand tu es égarée. »
fit-il référence à ma tentative de meurtre sur sa personne.



Pour ma part, je ne sus que lui répondre. D’une part, il avait vu juste en devinant que j’étais en perdition. Cela  se voyait-il tant ? Peut-être bien, oui. Tout en ce monde m’était inconnu, je ne pouvais faire parfaitement semblant de maîtriser mon environnement. D’autre part, il venait de prononcer de nombreux  mots qui me firent écarquiller inconsciemment les yeux : « les quatre blues », « grande line ».

« Comment voyages-tu, Petite ?

- J’ai mon propre bateau.

- Tu y navigues seule ?

- Je n’ai besoin de personne !

- Alors, je suppose que tu sais naviguer ?

- Bien sûr !

- Accepterais-tu que je te l’enseigne ?


Étincelle de surprise - pourquoi ne m’avait-il donc pas cru alors que je venais pourtant de lui affirmer le contraire avec aplomb ? - suivit d’un souffle de méfiance : 


«  Pourquoi ? Pourquoi feriez-vous une telle chose pour moi alors que vous ne me connaissez et que je viens juste d’essayer de vous tuer ?

- Aurais-tu oser aller jusqu’au bout de ton intention, Petite ? J’ai moi aussi été perdu à une époque où je devais avoir approximativement ton âge, par la suite, je ne suis pas forcément très fier de la façon dont j’ai gagné ma vie, alors peut-être que si je venais en aide à une jeune fille égarée, j’aurais l’impression d’avoir fait quelque chose de bien dans ma vie, et ainsi je pourrais enfin couler des jours en paix avec moi-même pour ma retraite. »


Je ne lui répondis pas de suite. Je ne voulais le contrarier quant au fait que j’étais parfaitement capable de donner la mort à un être humain, le jeu de la traque avait fini par en devenir presque grisant pour moi même si je savais tout excès d’émotions prohibé. D’autant plus que cet homme me proposait justement en partie ce que j’étais venu chercher ici. Apprendre les bases de la navigation et les rudiments concernant ce monde représentait un luxe que je ne pouvais refuser. Je finis donc par accepter sa proposition, bien que dans un premier temps, je demeurai particulièrement méfiante à son égard. Lui, par contre, ne semblait nullement me considérer comme une menace.
******


A la suite de notre repas au cours duquel nous ne discutèrent guère plus, la seule information qu’il parvint à obtenir de moi fut donc le nom de la précédente île sur laquelle j’avais accosté. Quand il me demanda mon nom, je lui répondis « Will », puisque j’avais donné celui de William au port et qu’étant donné qu’il connaissait mon sexe, je le laissais libre d’interpréter que ce diminutif puisse être celui du prénom Wilhelmina. Un vent frais se leva, Léon m’invita alors à rentrer à l’intérieur de sa modeste petite maison isolée sur la colline. Je reconnais m’être montrer hésitante avant d’accepter. Une fois à l’intérieur, il m’invita à mettre à l’aise et à m’asseoir. Une maison… J’en avais presque les larmes aux yeux. Hormis ma tentative de vol sur Kage Berg, je n’avais plus mis les pieds dans une maison qui soit autre qu’un tas de ruines et de cendres. Une maison où on pouvait vivre. Un foyer, un chez soi… Je n’avais plus rien de tout cela. Pour autant en avais-je vraiment envie ? Non. Nulle demeure ne saurait être mon foyer sans ma famille, sans mon frère. Une cellule de prison en sa compagnie me serait d’un plus doux réconfort que le plus luxueux des châteaux en son absence.

L’homme reprit soudainement la parole, m’extirpant ainsi de mes pensées. Il commença à me parler de cette île. Une première approche pour tenter de m’amadouer ? Du fait de la longue et tragique histoire qu’il me conta, la stratégie supposée aurait presque pu aboutir. Cependant, je ne fus nullement compatissante à l’égard de ce peuple qui avait failli être exterminé à l’instar du mien. Pourquoi un tel détachement alors que j’aurais pu aisément y rechercher un reflet de ma propre histoire ? Mais pour ce mot : « failli » ! L’île était encore là. Elle était peuplée, et ses habitants semblaient vivre heureux, paisibles. Pourquoi eux et pas les miens ? Pourquoi respirent-ils encore alors que les poumons des miens ont été asphyxiés par la fumée et les cendres ? Pourquoi cette terre flotte-t-elle encore au-dessus de la mer alors que la mienne est en train de sombrer, emportant avec elle tous ses secrets et son histoire ? Ah ! Je me rendais alors seulement compte qu’au-delà de mon devoir envers le démon, je demeurai le seul être humain vivant en mesure de perpétuer la mémoire de tout mon peuple…

Cette narration m’avait davantage troublé qu’autre chose. Au bout de plusieurs heures de récit, le vieux chasseur proposa que nous sortions prendre l’air. En guise de prétexte, il me demanda de lui montrer mon navire. Sans grand enthousiasme, j’acceptai, revêtant ma capuche sur ma tête dès lors que les toits de la ville portuaire entrèrent dans notre champ de vision. Peut-être s’en étonna-t-il, mais je n’en avais que faire et jugeais ne lui devoir aucune explication. Sa venue en ville ne devait pas être coutumière au constat des regards qui suivirent notre passage. A moins que je ne sois l’objet de leur convoitise ? Il est vrai que les personnes capées sont par définition suspectes, ce qui s’avérait juste dans mon cas, néanmoins, je préférais être « dévisagée » mais méconnaissable, plutôt que de passer inaperçu tout en prenant le risque d’exposer mon visage au grand jour. Qu’avais-je à craindre ? Voyons, j’espère que vous n’avez pas déjà oublié ce que j’ai toujours en tête…


Arrivés sur l’embarcadère où mon bateau était amarré, je n’eus que le temps de bondir pour retenir le chasseur retraité qui s’apprêtait à poser un pied sur le pont. Avec vivacité, je saisis l’étoffe de ses vêtements pour le rejeter en arrière d’une main et avançai l’autre, bras tendu, sabre de son fourreau en guise de bouclier pour parer le nouvel assaut du serpent qui attaqua au même instant. J’avais la preuve qu’il montait férocement la garde et que je ne risquais pas d’être dépossédé du peu de mes biens en mon absence. Le vieux Léon lui n’était pas passé loin d’une morsure à la gorge. Aurait-il esquivé au dernier moment ? Je ne saurais le dire. J’avais dans l’idée que le serpent faisait encore un bien plus redoutable prédateur que moi. Personnellement, si j’avais été en mesure de réagir, ce ne fut nullement parce que j’avais pu le repérer mais simplement parce que je le connaissais suffisamment bien  pour anticiper ses actions.

« Eh beh ! Bons réflexes ! » siffla l’homme dans mon dos.

Je ne pris pas la peine de répondre à ce compliment. J’avais échoué dans mon intention de l’exécuter, je me rendais compte que je n’étais certainement pas une aussi bonne guerrière que je n’aurais voulu le croire.

« Il serait plus prudent pour vous de se contenter d’observer le bateau d’ici, rétorquai-je plutôt d’un ton froid et sec. Posez-moi des questions si vous avez besoin de renseignements que vous ne pouvez pas voir directement. »

Il hocha la tête et inspecta donc le navire à distance. J’ignorais ce qu’il y cherchait. Peut-être réfléchissait-il simplement aux conseils les plus avisés qu’il pourrait me prodiguer en terme de navigation adaptée à mon outil d’application.


De nombreuses heures avaient fini par s’écouler depuis notre rencontre, le vieux Léon évoqua ensuite la fameuse bibliothèque de l’île, tout en relevant qu’il commençait à se faire un peu tard pour s’y rendre à présent. Il me proposa donc de la visiter demain, dans l’idée que nous y trouverons probablement des ouvrages intéressants en matière de navigation. J’acquiesçai et il s’apprêtait à repartir, nous nous séparerions alors sur le port, lorsqu’il fit volte-face et m’invita à venir dormir dans sa maison. La première pensée qui me vint à l’esprit aurait été de refuser nettement et catégoriquement. Puis, un regard en biais en direction de mon bateau… Une nouvelle nuit de duel mortel avec le reptile qui hantait ces lieux… Un frisson me parcourut l’échine et j’acceptai finalement de suivre le vieil homme. Une occasion de dormir sur mes deux oreilles et pendant plusieurs heures complètes d’affilées était un luxe que je ne me permettais pas de refuser !
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Au lendemain matin, nous nous rendions donc à la bibliothèque après une nuit d’un sommeil, certes relativement léger car je ne parvenais pas à me sentir totalement en confiance dans la maison d’un inconnu, que j’avais tenté de tuer qui plus est, néanmoins plus doux que je n’en avais connu depuis plusieurs jours, des semaines peut-être. Son attitude à mon égard me laissait profondément perplexe. Enfin, temps que je trouvais à y servir mon intérêt, je continuais à profiter de la situation.
La bibliothèque se trouvait intégrée dans le tronc de l’arbre immense, fierté et symbole de la Nouvelle Ohara. Pour ma part, leur folklore m’exacerbait d’autant plus à présent que je connaissais leur histoire. Je ne tolérais pas cette injustice entre ce peuple et le mien. Tandis que mes yeux balayèrent l’immensité de la bibliothèque, la majesté du lieu voilée par mes ressentiments, je suivais le vieux chasseur tout en maintenant l’un de mes poings fermés, mon bras tremblant presque de la colère que je contenais. L’esprit embrouillé, ce fut à peine si j’écoutai les instructions de Léon alors qu’il m’expliquait comment procéder pour me repérer dans ma recherche d’ouvrages au sein des étagères de la grande bibliothèque. Nous étions à la recherche d’un thème plutôt banal et à un niveau d’étude basique, il ne fut donc pas difficile de trouver notre bonheur. Peut-être un peu trop même… Le chasseur à la retraite me fit porter une pile de livres qui ne cessait d’augmenter, et ce, je crois jusqu’à ce que mes bras n’aient plus la force d’en porter d’avantage. Il me dit ensuite que je n’avais plus qu’à lire l’ensemble de ces livres, de noter sur une feuille les questions qui me venaient en tête et si je ne trouvais les réponses à la suite de mes lectures, je n’aurais qu’à le lui poser lorsque je rentrerais chez lui au soir. Il tacherait de me répondre du mieux qu’il pourrait.

Au début, je me suis demandée si ce n’était pas une blague. Je n’avais pas vraiment besoin de son aide si c’était uniquement pour lire des livres dans une bibliothèque. Mais, il était parfaitement sérieux, et je devais reconnaître qu’il ne m’était pas désagréable de profiter de son hospitalité en bénéficiant du gite et du couvert gratuitement. De plus, les compléments qu’il apportait chaque soir à mes questions me paraissaient d’un grand intérêt. Je développais ma connaissance des diverses cultures de ce monde bien au-delà des simples concepts de navigation. Je découvrais également que toutes ces leçons s’avéraient effectivement indispensables et que je n’aurais probablement pas survécu encore bien longtemps si j’avais continué à naviguer à l’aveugle comme je le faisais jusqu’à présent.


Les journées se répétèrent et se ritualisèrent presque sur ce modèle, à l’exception que je me rendais désormais seule à la bibliothèque dès le matin et que non-accompagnée, je ne prenais plus la peine de dissimuler mon visage. Du moment que personne ne m’associait au vieux chasseur qui semblait vivre principalement en ermite, ce serait l’essentiel. J’aurais fini par attirer l’attention bien plus que je ne pouvais me le permettre si j’avais continué à me cacher de la sorte. Au quatrième jour, je parcourrai un épais ouvrage depuis plusieurs heures lorsque je sentis ma concentration commencer à défaillir. Les lignes dansaient sous mes yeux et il m’arrivait certains instants de piquer du nez brièvement. J’avais besoin d’une pause. Déjà que je me surprenais grandement d’être capable de faire preuve d’une aussi forte assiduité de la notion d’apprentissage passif. Je n’avais jamais fait preuve d’autant de calme et de patience que lorsque j’avais appris les symboles anciens et sacrés du temple. Commençai-je à ressembler encore un peu plus à mon frère, lui qui était capable de déployer force et énergie dans l’effort comme sérénité et concentration dans les études ? Quoi qu’il en soit, il semblait que pour l’heure, j’avais atteint mes limites. J’envisageai d’aller prendre l’air dehors, puis ma curiosité l’emportant, je m’enfonçais plutôt à travers les rayonnages des vastes étagères de la bibliothèque. Une idée m’était venue en tête, je me demandais s’il serait possible qu’il existe quelque part en ce monde, des livres qui pourraient témoigner de Shimakuma. Si tel était le cas, alors probablement était-ce ici que j’avais le plus de chance d’en trouver n’en serait-ce qu’un seul ?! Je me mis donc à chercher, en vain … L’île du démon n’existait pas, son histoire et son souvenir disparaitront avec moi …


Cette pensée m’affecta grandement. Je n’avais plus le coeur à étudier. De toute façon, j’avais passé tant de temps à chercher sans succès qu’il serait bientôt l’heure de rentrer chez le vieux Léopold. Ce que je fis.
Sur le chemin du retour, je commençais à réfléchir à l’histoire de mon peuple, à m’interroger sur le fait de l’inscrire sur papier, du moins de ce que j’en savais - comme je m’en voulais de ne jamais avoir été plus attentive pendant mes leçons - afin que leurs souvenirs me survivent. Cependant, je n’étais pas certaine d’en avoir la force… Remuer tant de souvenirs, raviver un passé que je m’efforçais d’enterrer au fond de ma mémoire afin de ne pas tomber dans les méandres de la folie d’un coeur déchiré et désespéré.

Ce soir-là, ce fut à peine si je prononçais un mot au cours du dîner. Léon ne me força pas et respecta ce silence. Nous nous couchâmes assez tôt. Je dormais d’un sommeil moins paisible que les nuits précédentes. Dans mes songes agités, j’eus la sensation d’un pressentiment. La flamme du passé me hantait mais cette fois-ci, une ombre se détachait du brasier, fine et discrète. Elle rampa jusqu’à une colline où trônait une petite maison à l’intérieur de laquelle, l’ombre se glissa. Cette colline ! Cette maison ! Je me réveillai brusquement dans un sursaut et me retrouvai alors face au serpent qui me fit voir ses crochets gueule grande ouverte. J’étais à sa merci. S’il attaquait, je ne pourrais l’esquiver. Mais il n’attaqua pas. Son mécontentement, voire sa colère, exprimée, il descendit de mon lit en rampant pour aller s’enrouler autour de mon sabre soigneusement rangé et jamais bien loin de moi. A nouveau, le reptile regarda dans ma direction et se mit à cracher. Sur cet épisode il disparut et mes paupières se firent irrésistiblement lourde. Avais-je rêvé éveillé ? Une chose était certaine, j’avais compris le message …
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Cinquième jour sur la Nouvelle Ohara. Rituel habituel, un train-train quotidien qui à la réflexion ne tarderait certainement pas à me lasser. J’avais besoin de plus d’action. Au fond, les études m’ennuyaient toujours bien vite. Cet après-midi là, je quittais la bibliothèque plus tôt que les autres jours. Comme chaque fois, je prenais soin de recouvrir ma tête avant de sortir, et par instinct, je veillais à ce que personne ne me suive jusqu’à à la colline. Arrivée à proximité de la maison de Léon, je m’assurais d’être discrète. Une fois à l’intérieur, je trouvais le vieil homme assis à sa table en train de lire le journal. Je vins me tenir derrière lui, levant progressivement mon sabre au-dessus de ma tête. J’étais prête à toute éventualité. Il avait pu me désarmer une première fois, il essaierait probablement à nouveau, cependant, je ne comptais plus me laisser surprendre non plus.

« C’était inévitable, n’est-ce pas ? » brisa-t-il alors le silence d’une voix étrangement sereine.

Je m’attendais à ce qu’il pare mon attaque, mais pas à ce qu’il prenne la parole avec un calme aussi apparent. J’abaissai mon arme.

« Vous le saviez ?» me doutai-je qu’il n’avait pu être aussi naïf pendant tout ce temps.

Sans se retourner, il me répondit :

« Oui, je l’ai compris à cette lueur dans ton regard à l’instant où je t’ai désarmé. Elle s’était éteinte une fois le sabre ôté de tes mains, mais je suppose que dès lors que tu as brandi une fois ta lame sur une personne dans l’intention de tuer, tu persévéreras jusqu’à y parvenir, n’est-ce pas ? 

- C’est exact. Alors pourquoi m’avez-vous offert votre aide ? Et pourquoi n’avez pas essayé de vous défendre à l’instant ?!

- Je te l’ai dit, en m’occupant de toi, j’espérais pouvoir croire avoir racheté certaines de mes fautes avant de mourir.

- Vous étiez certain que je finirais par vous tuer ? Pourquoi ?! Je veux dire, c’est vous qui m’avez désarmé ! Vous sortiriez très certainement vainqueur si nous venions à nous affronter ! Vous…

- Ton excès de confiance fut ton erreur la première fois. A présent, tu sais qu’il y a dans ce monde des individus qui sont de meilleurs combattants qu’ils n’en ont l’air. De plus, en combat singulier, je doute que mon âge avancé me permette de rivaliser avec ta rapidité et ton agilité, privilèges de la jeunesse. Ne sois pas si certaine de ta défaite juste parce que j’ai réussi une fois à te surprendre, je suis persuadé du contraire.

- Avez-vous donc perdu toute envie de vivre ?

- Je n’ai plus envie de me battre. Quand je regarde derrière moi, je vois les visages de tant de criminels dont le coeur était parfois bien meilleur que celui de nombreux marins auprès desquels j’ai pu les livrer. La lisière entre le bien et le mal est si difficile à cerner. Je voudrais pouvoir expier mes fautes. Et si je n’ai pu ramener une jeune fille sur le droit chemin, alors je me sentirai apaiser de remettre ma vie entre ses mains. »


Nous demeurions immobiles et silencieux quelques instants, comme si nous commémorions une mort à venir. Je repris fermement le pommeau de mon sabre en main. Il se leva, vint me faire face et planta son regard dans le mien. J’ignorai s’il y vit cette même lueur qu’il avait évoqué, mais mon état d’esprit lui restait le même. Je soutins son regard et dans un souffle, je lui dis :

« J’honorerai votre corps comme nous honorions nos défunts selon nos coutumes. »

Et la lame transperça alors sa poitrine, juste à l’emplacement du coeur. Un instant où le temps parut s’arrêter. Un râle en provenance de sa gorge. J’ôtai mon sabre de son torse. Un filet de sang monta jusqu’à ses lèvres. Il tomba, mort.
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Plusieurs minutes plus tard, sur la colline balayée par le vent, j’avais planté un poteau de bois dans la terre à l’aide des outils que j’avais pu trouvés à ma disposition. Le corps sans vie du vieux Léon que j’avais traîné jusqu’ici, toujours de mes mains gantées, j’e l’accrochais à présent à ce mât funèbre. Selon mon culte, les hommes adultes devaient avoir le corps nu, les mains fermement ligotées à des stèles funéraires et présenté dans une position agenouillée, afin qu’il soit à bonne hauteur pour être accessible aux animaux des alentours qui viendraient se nourrir de leur chair. Toute essence de vie doit revenir à la nature et au démon. Seuls les membres de la royauté étaient dignes de reposer sous terre dont cette dernière se nourrira directement de leur être tout entier. Les autres habitants étaient offerts en présents à la faune : les hommes aux animaux terrestres, les femmes et les enfants crucifiés en hauteur à l’intention des charognards ou des grands animaux. Les prêtres et tout individu appartenant à la communauté du Temple, eux, devaient être brûlés vifs afin que leur âme soit portée jusqu’au ciel par la fumée dont les narines du démon se délecteront. Les os de leur squelette et restes de chair eux étaient récupérés puis jeté à la mer en offrande à l’océan.

Je rendais donc le cadavre du l’ancien chasseur de prime à la Terre mère de toute vie. La proximité de la mort ne m’ébranlait pas. Mes actes qui paraîtront sans doute d’une ignominie intolérable pour certains, s’avéraient pour moi être tout à fait normaux, presque anodins. Il n’y avait là rien d’insultant à exposer le corps du défunt de la sorte, au contraire, je l’honorais. Et tout aurait pu en rester ainsi, si malheureusement, il ne se produit pas un événement inattendu…

Alors que je finissais d’attacher la corde liant les mains du défunt au poteau de bois, il me sembla entendre une voix. Je redressai la tête, regardant autour de moi. Je ne vis personne. Est-ce le vent qui rapportait des voix lointaines ou bien quelqu’un se trouvait bel et bien de l’autre côté de la maison ? Par prudence, je ne pouvais plus m’éterniser ici plus longtemps. Finalisant une dernière fois le noeud, je me redressai, prête à partir, mais …

« M’sieur Léon ! M’sieur Léon, vous êtes là ? Ma maman m’envoie vous apportez des petits p… »

Sa phrase demeura en suspend lorsque le jeune garçon qui débarqua de l’angle de la maison à la recherche du propriétaire découvrit la scène dont j’étais l’auteur. L’homme assassiné et sa meurtrière juste à côté de lui. L’enfant en lâcha son panier. Une expression effarée sur son visage, il effectua quelques pas en arrière. Je le fixai, immobile. Il avait été témoin de mon crime. Il avait vu mon visage. Il s’enfuit finalement à toutes jambes. Je ne pouvais le laisser partir. Détachant mon couteau de ma ceinture, je le lançai dans ses jambes afin de stopper sa course. La lame vint se planter dans la chair de sa cuisse et il en perdit l’équilibre sous la douleur de ses muscles déchirés. Je marchai tranquillement jusqu’à lui alors qu’il persistait à ramper dans l’espoir insensé de s’enfuir. Je l’entendais gémir et pleurnicher. Il avait peur. Il ne voulait pas mourir. Son cauchemar prendrait rapidement fin. Alors que mon ombre se dessinait au-dessus de lui, le petit garçon étendu sur le sol, au visage déformé par l’effroi, se tourna vers moi pour me supplier :

« Je veux pas mourir ! S’il vous plaît ! Laissez-moi partir ! Je veux revoir ma maman ! Je ne veux pas mourir !!!! » brayait-il entre chaque sanglot bruyant.



Puis, le silence. La lame de mon sabre avait transpercé son coeur, il ne pleurerait plus. Pas plus qu’il ne pourrait dénoncer mes actes et mon apparence. Cependant, sa présence risquait d’alerter les habitants de l’île plus tôt que s’il n’avait s’agit que du vieil ermite. Je n’avais vraiment plus de temps à perdre !


Avant de partir, je pris néanmoins le soin de suspendre le cadavre de l’enfant de l’autre côté du poteau où l’homme reposait déjà, plus en hauteur cette fois-ci. Puis, sans un dernier regard pour eux, je m’en retournai prestement vers le port, veillant tout particulièrement à dissimuler mon visage.

A mon embarcation sur le pont, le serpent ne me fit nul accueil hostile. A l’instar du sabre qui avait réclamé le goût du sang, le reptile semblait apaisé. Nous reprîmes alors la mer, riche de mes nouvelles connaissances en matière de navigation, et ce avant que personne ne puisse se rendre compte du drame de la colline. L’affluence touristique de cette île fut une aubaine, à mon arrivée comme à mon départ, je ne fus qu’un petit bateau parmi tant d’autres. Un touriste anonyme au milieu de la foule. Un visage inconnu…

Des scrupules ? Des regrets ? Un sentiment de culpabilité ? Si je prenais le temps d'y penser et de regarder en arrière, il y a bien longtemps que j'aurais sombré dans cette folie qui me guette, que je me serais tranchée les veines afin que mon sang vienne recouvrir celui que j'avais sur les mains. Je ne peux me permettre de fléchir avant d'avoir retrouver mon frère, alors, je préfère me voiler la face plutôt que de regarder la vérité en face.
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