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Demain ne meurt Jamais

"De l'indifférence qui nous régit, moi et tous mes semblables, de l’égoïsme qui nous dissocie, qui nous consigne, nous borne à notre propre peur comme à celle de l'autre, j'aime à croire que ces temps obscurs, aussi profonds et épais puissent t'il être, emboîteront bientôt le pas à une époque miséricordieuse, placés sous de meilleures auspices. Oui, j'en suis bel et bien certain. Et Sache bien, qu'en dépit de toutes les apparences, je ne meurs pas isolé, esseulé sur ce lit de fortune, l'amertume en bouche, le regret dans l'âme. Je meurs mais auprès des miens, de tous les miens car ce qui nous unit, qu'importe l'adversité, qu'importe la fatalité et toute les tribulations de nos existences,  est bien plus grand et bien plus prodigieux, que ce qui nous divise." Hans Jaeger


J'eus beau relire toutes ces notes des journées et des nuits durant, l'essence même de ces mots m'échappaient encore. J'eus beau me murer dans l'introspection et la solitude, réfléchissant interminablement, mettant en abîme ces quelques lignes avec ma propre vie et toutes ses incohérences, de débauches, de vices et d'excès, le sens profond me glissait encore à travers mes phalanges toutes crispées, désireuses de capter ce savoir secret. Lorsque le sage pointe la lune, l'imbécile regarde fiévreusement le doigt.

Pourtant cette année entière à potasser les lignes griffonnées de Hans m'avait profondément et radicalement changé et avant que je m'en aperçoive, j'avais peu à peu épousé la philosophie de vie de Jaeger. Au fil des mois, j'avais accepté mon passif haïssable et déplorable, parfois funeste et toujours répréhensible, qui me rejaillissait bon gré malgré droit dans la trogne chaque fois que l'occasion s'y présentait.   J'étais l'un des dépositaires de sa volonté, de cette flamme éternelle, indomptable qui l'anima jusqu'à ce qu'il rende dans le silence le plus abscons, son dernier râle de douleur. Le dépositaire et le garant. Aussi avais-je changé fondamentalement de vie, avais-je regagné la grande Logue Town où nul âme n'avait jamais eu à subir les affres de celui qui répondit au nom de Sharp Jones. M’immisçant dans la foule qui me servait autrefois de souffre douleur, je me fondais désormais dans tous ces aspects fussent t'ils aussi étranges que nombreux, j'étais devenu l'un des maillons de cette chaîne bien huilé, et je savourais d'une certaine façon cette existence rangé à laquelle je n'avais jamais été accoutumé. Une vie teinté de hauts et de bas, de ses péripéties quotidiennes, de ses joies frivoles et souvent futiles comme ponctué de ses frustrations toutes aussi superficielles.

Toutefois, cette chaîne là, suffit d'un rien, même d'un grain de sable malencontreux pour l'enrayer et emballer tout le mécanisme de pointe qui se figure derrière et ce jour là, j'étais bien loin de me douter que l'heure était venue pour la mienne, de dérailler salement. Ce jour là devait voir sur cette terre-ci, l'arrivée de Costa Bravo et d'un autre de ses comparses, escortè par une vice-amirale et toute sa cohorte de navires armés jusqu'aux canines. Exécution en place publique que gueulaient à tue-tête les colporteurs des rues à travers toute la cité portuaire. La marine avait mis les petits plats dans les grands et n'avait rien laissé au hasard puisque nos deux amis allaient avoir l'insigne honneur de se vider comme Gold Roger périt autrefois sur les mêmes planches. Fallait que çà en jette et que çà ait du cachet.   Une véritable pièce de théâtre savamment orchestré par les émissaires de la mouette, lesquelles n'avaient pas lésiné sur les moyens pour que le dernier acte de la tragédie se fige dans toutes les caboches de nous autres, mauvaise graine, au cas où il nous prendrait pas l'envie de prendre le large.

L'affaire était sur toutes les lèvres et dans toutes les têtes, véritable sujet de conversation auquel chacun, des artères pullulantes aux coupe-gorge les plus sordides, y allait de son petit mot, de son grain de sel pour grossir le trait et gonfler davantage tout le brouhaha qui entourait l’exécution. Toute la presse de Loguetown s'était bien entendu engouffré dans la brèche et se faisait les choux gras de l'affaire, l'encre coulait à flot et apportait son lot de ragots et de rumeurs en tous genres. Bien entendu, la garnison de Logue town n'était pas en reste, des interviews inédites étaient donné pour l'occasion, grand défilé de témoignages en tous genre où mêmes les soldats les plus émérites donnaient leurs avis sur l'épineuse question Costa. Moyen de se refaire dorer les épaulettes pendant les temps troubles vécues aujourd'hui.

En fin de compte, cette exécution capitale déchainait les passions inavouables de toute une frange de cette population. Une envie de sang presque insondable, comme seul sait l'être la nature humaine, une envie de spectacle funeste et atroce où les têtes des condamnés seront dressés sur des pics et présentées au peuple, souverain, libre, unifié, scandant la mort dans un élan d’infamie qui dépasse l'entendement de chacun.

Un amas de gens ininterrompu se massait aux embarcadères du grand port de Logue town pour porter main forte à l'Amirale et réserver aux détenus un accueil de circonstance.Dans cette attente presque providentielle, la garnison de Logue town spécialement dépêché pour l'occasion livrait en pâture à cette foule avide, carnivore, tous les actes répréhensibles imputés à Costa & consorts. Une masse informe, sourde, dénué d'identité et de personnalité, comme un bourdonnement permanent, à l'affût de la figure de proue du vaisseau de l'Amirale s'amassait. La tension déjà palpable, qu'on pourrait presque couper à la serpe était pesante et ne faisait que s'envenimer encore et encore, échauffant davantage les esprits déjà incandescents des citoyens.  J'avais, de mon côté, pris position sur les hauteurs du port, mirant à la longue-vue, les appontements en contrebas, lorsqu'à quelques encablures de la côte, la tête de pont du cortège se profilait. La clameur populaire s'éleva des tréfonds du port, une huée forte qui ne désemplissait pas, jusqu'à exploser lorsque Costa finirait fatalement par poser le pied sur le ponton, les fers aux chevilles.

Ce n'était pas tant Costa qui m'intéressait, c'était celui qu'on avait identifié comme son compagnon de cellule, un certain Richard Bradstone, un homme riche en facettes, qui a plus d'une corde à son arc,  à en croire le Logue télégramme. Un homme qui en dépit de toute attente avait connu Hans Jaeger dans sa jeunesse et qui pour ce seul attribut, ne mourra pas ce jour. Le vaisseau finit par accoster dans la rade dans un tumulte que seul l'histoire de Loguetown pourrait produire. Le goudron et les plumes, c'était tout ce que cette assemblée d’assoiffées avaient au plus profond du crâne et ils n'hésitèrent guerre à lancer aux prisonniers fruits et autres joyeusetés moisies par leurs soins, dés qu'ils foulèrent l'appontement, du moins jusqu'à ce que l'Amirale fit cesser ce spectacle pourtant si salutaire, si délectable, pour les autochtones. La grande première, l'acte premier, débutait et c'était à tout à chacun de prendre toute mesure de ce qui allait advenir sur les planches.

    Nous étions Costa Bravo et moi au fond de la cale du navire de la marine qui se chargeait de nous amener à Logue Town pour notre exécution. Les soldats nous avaient attachés l'un en face de l'autre, sans doute pour pouvoir discuter plus facilement l'un l'autre. Je regardais mon compagnon de cale qui semblait parfaitement serein, tandis que mon moi intérieur se mettais dans tous ses états. Ce Costa Bravo m'intriguait, et le fait de le voir si calme m'intriguait, si bien que je lui demandai

    Comment faites-vous pour être aussi calme ?

    Vous savez...
    Dit-il avant de se faire interrompre après ce silence

    Richard, je m'appelle Richard Bradstone.

    Vous savez Richard, je n'ai pas l'impression que les cartes soient en notre faveur.
    M'avoua-t-il

    Comme je me le répète souvent, rien n'ai joué jusqu'à la dernière minute. Lui dis-je

    J'aimerais avoir autant d'espoir que vous, mais nous somme sur un bateau du gouvernement et lorsque nous poserons le pied sur terre, tout un régiment dirigé par l'amirale Bii nous amènera jusqu'à notre mort. Me lança-t-il

    Mais vous ne pensez pas que la Révolution puisse venir nous sauver ? Lui demandais-je

    J'en doute... S'ils vous ont envoyé vous, un homme qui ne connait rien à l'espionnage pour venir me sauver, je doute que l'on vienne nous sauver... Sans vouloir vous offenser... Répondit-il

    Pas de soucis, je savais que cette mission n'était pas pour moi, si je l'ai accepté, c'est uniquement parce qu'il s'agissait d'une requête de Freeman en personne. Lui dis-je

    Vous avez vu le chef ? Me demanda-t-il

    Non du tout, j'ai juste reçu une lettre signé de R. dans laquelle on me précisait que la requête venait du guide en personne. Lui répondis-je

    Sacré Raven... Finalement je vais leur manquer. Confessa-t-il

    Raven ? M'exclamais-je

    Une personne forte sympathique, je suis sûr qu'elle vous aurait plus. Me lança-t-il

    Surement... Si ce n'est pas indiscret, ça fait combien de temps que vous êtes dans le groupe ? Lui demandai-je

    Trop de temps pour m'en souvenir, en tout cas ça se compte en années. M'avoua-t-il

    Vous avez surement du rencontrer Ivan... Lui dis-je en soupirant

    De Cimetiero ? Celui qui est responsable de tout ceci ? Dit-il en sachant que je connaissais la réponse

    Je vois que vous êtes au courant ? Dis-je en ne sachant quoi répondre

    Je ne comprends décidément pas son retournement de situation. M'avoua-t-il

    Pour le coup je ne peux pas vous en dire davantage, il m'a aussi abandonné en plein milieu d'une mission sur l'île aux esclaves... Le pire dans tout ça c'est que je ne comprends pas, l'idée de base venait de lui, pourquoi vouloir nous trahir de la sorte ? Lui dis-je en m'interrogeant

    Vous savez Richard, les gens sont parfois prêts à tout pour le pouvoir et la richesse et nous autres sommes que les dindons de la farce. Me dit-il avec plein de sagesse

    Je sentais le vécu dans ces paroles. Pour moi Costa Bravo était un homme bien qui malheureusement avait croisé la mauvaise personne au mauvais moment – tout comme moi en fait... La seule pensée qui me venait à l'esprit était de voir Ivan mourir. Je n'étais pas du genre à dire des choses de la sorte, mais il s'agissait sans doute de la seule personne que j'avais pu croiser de toute ma vie que je voulais voir morte. Autant, j'avais pu rencontrer des gens horribles par le passé, mais la plupart revendiquaient clairement leurs faits et gestes. Ce que je haïssais chez cet homme, c'était la façon dont il m'avait trahi. Tous ces beaux discours sur l'intérêt du peuple, comme quoi il fallait faire de grandes choses pour changer l'ordre du monde. Je considérais maintenant toutes les paroles que j'avais bues comme des foutues carabistouilles... Je me lamentais sur mon sort en n'oubliant pas que dans quelque temps maintenant, j'allais passer de la vie à trépas. D'ailleurs, plusieurs gardes descendirent dans la cale afin de nous détacher de la coque, quand l'un d'eux cria

    On est arrivé les touristes !

    Les hommes nous poussèrent en direction du pont puis de la terre ferme. Nous étions donc à Logue Town, la fameuse ville où tout a commencé selon les archives. La ville ne me paraissait pas exceptionnelle, mais ce qui me choquait dans l'immédiat, c'était la foule qui s'était amassée sur le port pour notre arrivée. Tandis que Costa et moi avancions la tête baissée, je pouvais entendre toutes sortes d'injures, de menaces de mort et autres immondices à mon propos et celui de Costa. Certains ne manquaient pas de manifester leur haine de la révolution en nous jetant des fruits et légumes tandis que nous avancions doucement vers l'inévitable, en compagnie d'une horde de marins et d'une amirale toujours accompagnée de son poulpe.


    Dernière édition par Richard Bradstone le Sam 29 Nov 2014 - 0:03, édité 1 fois
      La foule s’agglutine autour de votre arrivée. Les voix s'élèvent de cette masse informe, en même temps qu'on insulte, qu'on injure, qu'on hurle comme des déments à votre intention. Évidemment, vous êtes des monstres. Des révolutionnaires sanguinaires. Des terroristes sans cœurs et sans âmes qui tuent pour le plaisir et l'anarchie. Tout du moins, c'est le portrait qu'on a fait de vous à Logue Town, en programmant cette exécution. Si Richard s'est imposé comme un invité surprise, il est désormais une attraction supplémentaire qui permet un déchaînement de haine.

      Les marines s'organisent au moins pour vous éviter une mort prématurée. Combien ici apprécieraient de vous suriner discrètement en vous bousculant ? Un peu trop. Mais non. Tout doit être parfait, bien fait, au millimètre près. L'Amirale Bii n'entend pas que ça soit autrement. Et il en va de même pour ceux qui régissent Logue Town et y font la loi. Les fruits pourris fusent dans votre direction et vous tombent souvent sur le crâne. Les soldats tentent de calmer la tension palpable autour de vous, pour éviter l'émeute...

      Jusqu'au moment où ce qui ressemble à un fruit vous arrive droit sur les pieds. Un fruit ? Non, pas vraiment. De la même taille qu'une pomme, mais aussi solide que du fer. Les soldats la regardent. L'Amirale Bii la remarque... Et tous comprennent :

      A COUVERT !

      Un cliquetis plus tard, et la boule lâche une épaisse fumée verdâtre qui prend au nez. Si épaisse qu'on ne voit très vite plus rien dans la foule. Les ordres fusent comme des balles de la part de l'Amirale qui ne perd pas son sang froid pour autant :

      Rassemblez-vous autour des prisonniers ! Attention ! A gauche ! Non, l'autre gauche !

      La foule hurle une fois la stupéfaction passée. Et le pire arrive quand des détonations se font entendre dans la masse de monde. On tire des coups de feu, sans aucun doute. Et la confusion emporte tout. La plèbe s'affole, les marines en font autant. Ils rendent les coups en tirant vers la foule et l’affolement se transforme en délire ! Deux coups de feu supplémentaires, et vous sentez les chaînes à vos chevilles éclater. On répond aux balles par d'autres balles dans la confusion. Un autre fumigène est lancé et épaissit encore la fumée. Une main se pose sur l'épaule de Costa et on le tire dans la foule. Une autre sur ton épaule, Richard, et tu te retrouves embarqué bon gré mal gré au milieu d'une plèbe furibonde...

      Sauf que la main te lâche, et te voilà bien seul au milieu d'un pur cauchemar...
        Le cortège débute sa longue et pénible procession dans les ruelles bondées de la cité. Je me tiens moi aussi au sein de cette masse informe, observant les deux conjurés, guettant le moment propice pour ôter les chaînes des deux bêtes de scène. La ferveur populaire revendique le sang et les larmes qu'on lui a promis, l'agitation est grande, le spectateur bouffi par la frénésie maladive de tout un peuple va crescendo, frénésie qui pourrait éclater avec violence et fracas si un tel déploiement de marins ne s’efforçaient de canaliser cette meute enragé.

        Pourtant, l'instant fatidique approche, implacable, inexorable et nul ne semble pouvoir entraver le cours de cette marche lugubre. Les deux condamnés restent stoïques dans l'adversité, ne laissant échapper aucun traître mot qui pourrait satisfaire tous ces bourreaux autoproclamés. La potence n'est qu'à quelques rues  de là et pourtant, aucun deux ne regrettera cette existence passé à servir envers et contre tout leurs desseins, leurs idéaux et tout ce qu'ils revêtent. Le tandem sait bien que ce chemin de croix n'est rien comparé à celui du peuple aveugle et bouffi des exécrables machinations maquillé en des jeux de pouvoir et d'influences, le tandem sait bien que s'ils doivent mourir pour que d'autres puissent prospérer alors il en va de leur devoir de succomber à ce trépas odieux, le tandem sait à la différence des autres. Costa & Bradstone se sont résolus au plus grand sacrifice dont les hommes peuvent se rendre auteurs, résolus et résignés bientôt, dans une poignée de minutes, devant le gibet et la tribune dressé spécialement pour tout le gotha des personnalités et autres grands pontes du gouvernement venu assiste à la sordide entreprise. Mais ils savent, ils savent qu'ils ne sont pas seuls, eux aussi, ils savent que le bien commun implique la renonciation et le don de soi à quelque chose de plus grand. Lorsque leurs têtes viendront à être placés sur le billot, ils seront assurés que leur idéal vivra encore, relayé par des milliers d'autres partisans de cette grande idée, des milliers d'autres âmes dissidentes formant une vague, une masse, oui elle aussi, ininterrompu, aux velléités plus fortes encore et transcendés par le trépas infâme de plusieurs des leurs.

        Pourtant, ce destin aux lignes déjà toutes tracées, en a décidé autrement. Les révolutionnaires ont modifié le cycle pourtant péremptoire, immuable, en offrant une diversion cocasse pour Costa & Bradstone et lorsque les vapeurs gagnèrent la place et que des tirs retentirent dans l'artère noire de populace, je pris conscience que c'était désormais, et à mon tour, d'agir pour ruiner cette vaste fumisterie perpétré par le gouvernement. La débâcle était immense, la débandade omniprésente et violente, les hurlements de hargne et de peur s'entremêlaient aux pleurs et aux larmes, la révolution n'allait sans doute pas encore gagner l'approbation de toutes ces personnes, mais elle allait tout du moins sauver deux âmes méritantes et poursuivre le combat. Un désordre de grande ampleur où bousculades et sauve-qui-peut deviennent les seuls maîtres mots, un désordre qui dérange, qui incommode, qui fait tâche pour tout une institution, pourtant bien ficelé à son maintien envers et contre tout. A trop attiser les braises, on finit toujours par se brûler les ailes.

        Le tohu-bohu est partout mais l'Amirale a vécu bien pire qu'une horde de civils apeurés, l'Amirale sait garder la tête froide et lorsque l'escouade, bien moins aguerri qu'elle se met fébrilement en position autour des contrevenants, c'est avec une pointe de folie et sans doute de culot que j'ose me glisser en me fondant dans la masse dans tout ce charivari à la rencontre de Bradstone et son collègue. Me faufilant dans cette cohue sans fin, j'arrive bientôt à mes fins lorsque mes phalanges finissent par rencontrer le visage fiévreux de l'un des soldats. L'homme s'effondre et avant que je puisse intenter quelque action, des ombres s'extirpent de la masse grouillante et arrachent Costa & Bradstone de leur mort annoncé. Dans la confusion la plus totale, il n'est guère aisé d'apercevoir leurs visages et leurs déplacements furtifs, fugaces, mettent bientôt un terme à toute tentative de pouvoir les identifier. Bradstone s’engouffre bientôt dans une ruelle en perpendiculaire, un corridor sinueux et étroit, bien moins empli que toutes les autres. Il craint pour sa vie, il court comme jamais il n'a couru, à tombeau ouvert, comme un esclave connaissant pour la première fois le sentiment d'être libre si bien que j'ai beaucoup de mal à pouvoir suivre le nouveau relaxé. Livré à lui même dans un labyrinthe de rues qui se ressemblent toutes les unes par rapport aux autres, il quête la moindre cachette suffisamment élaboré pour que les soldats ne puissent le retrouver. Faire faux-bond à toute cette myriade de soldats, c'était cela son objectif et par extension le mien.

        Lorsque j'eus enfin pu lui mettre le grappin dessus, pogne sur l'épaule, il se retourna machinalement pour me coller son poing dans le bourre-pif. C'était spontané, mécanique, instinctif même, vous ne pouvez en vouloir à un homme esseulé, pourchassé de porter la main sur vous lorsqu'il sent la main froide de la mort touche sa peau brûlante et humide.

        "Qui êtes-vous, bon sang? Je vous préviens que je ne compte pas me laisser... "

        "Cachez vous sous cette bâche, une garnison se pointe dans le coin, Vite, depêchez-vous. Ne me posez pas de questions !"

        L'intimant de se calfeutrer sous une bâche branlante de fruits et légumes, l'homme n'hésita pas une seule seconde et s'employa aussitôt à la besogne, il n'avait pour ainsi dire pas le moindre choix. Soit il faisait confiance à ce quidam sorti tout droit de nulle part, soit il se faisait à nouveau appréhendé et croupirait en prison avant de rendre l'âme le lendemain. La garnison ne tarda pas à surgir dans la ruelle, l’œil inquisiteur et soupçonneux, baïonnettes aux canons. Il était temps de jouer, moi aussi, le rôle qui m'incombait dans cette grande pièce théâtrale.

        "Vous là ?!"

        "Moi ?"

        " Non, Ike Basara. Tête d'enclume. T'aurais pas croisé la route des deux condamnés par hasard?"

        " Il a fui, Il a fui dans les faubourgs, je l'ai entreapercu, menaçant une honnête jeune femme et s'en servant comme bouclier humain !"

        "Vous en êtes certain ? On nous a pourtant dit qu'il avait pénétré dans cette ruelle et que... "

        "Bon sang ! Il va la vider de son sang si vous n'intervenez pas ! Moi qui désirait faire mon devoir d'honnête citoyen, vous remettez ma parole en ..."

        Le soldat m'interrompit aussitôt, pressé et désireux de clore cette conversation.

        "Bien, bien. Merci citoyen"

        Revenant sur mes pas, je confiais aussitôt un couvre-chef assez épais pour dissimuler le haut du crâne de l'ennemi public.

        "Merci... mais je"

        "Çà ne suffira pas, on risque de vous reconnaître, on va procéder autrement. "

        Extirpant de mon barda de longues bandes de sparadra, je collais aussitôt de manière épars le tissus sur son faciès. C'était une solution de fortune mais elle avait au moins le mérite d'être robuste et d'être justifiable au regard des circonstances.

        "Si l'on vous demande ce qui vous est arrivé, n'hésitez pas à dire que vous avez pris des éclats lorsque les tirs ont retenti dans la foule. Désormais, suivez-moi, je connais le coin comme le fond de ma poche. L'Amirale risque d'organiser des patrouilles et de quadriller tous le secteur, c'est votre seule chance d'en ressortir Monsieur Bradstone "

          Mais qui êtes-vous pour vouloir m'aider ? Lui demandais-je

          Un ami d'un ami à vous. M'avoua le mystérieux individu

          Mon nouvel ami et moi faisions demi-tour, tandis que je me familiarisais au fur et à mesure avec mon déguisement. J'imaginais toutes sortes de scénarios pour expliquer les sparadraps sur mon visage, du héros de guerre blessé à un simple accident domestique, il y en avait pour tous les gouts. Je le suivais tel un chien qui suivait son maître, mais après tout, je n'avais guère le choix, c'était ça ou la mort par pendaison... Je le suivis donc en me disant que je pouvais toujours fuir par les toits au cas où les choses tourneraient mal. Nous étions donc dans l'artère principale par laquelle nous étions arrivés quelques minutes auparavant. Des marines encerclaient la zone afin de me trouver ainsi que Costa. Mon guide et moi profitions de la cohue générale pour nous faufiler dans ce chaos afin d'éviter les forces de l'ordre. Ces derniers arrêtèrent certains individus pour les contrôler, tandis que d'autres courraient dans tous les sens afin de ne pas faire mauvaise impression devant l'amirale Bii, mais visiblement il était trop tard. Celle-ci devait être furax de ne pas pouvoir assister à la pendaison qu'elle avait prévue. Je la vis d'ailleurs au loin crier sur des soldats alors que son poulpe attrapait des civils au hasard. J'espérais qu'il n'y ait aucun révolutionnaire dans le lot. Mon guide prenait le soin de ne pas me perdre de vue tout en avançant dans le tas. Curieux de savoir de qui il pouvait bien parler, je lui demandai

          Cet ami c'est qui exactement ?

          Désolé, pas le temps de parler, nous en parlerons une fois à l'abri.
          Me répondit-il

          Je ne sus quoi répondre à mon guide, mais je devais avouer qu'il avait raison. Cependant, je me demandais pourquoi il voulait me voir absolument vivant. J'avais connu du monde durant toutes mes années, mais je ne souvenais de personne suffisamment proche qui voudrait me voir en vie. Après tout, je n'avais rien d'important à révéler, aucun secret, je m'interrogeai donc sur les motivations de mon guide tandis que nous avancions au sein d'un bazar général. Nous continuions donc notre petit bonhomme de chemin quand un groupe de soldats qui se situait derrière nous, nous interpella

          Hey vous !

          Qui, nous ? Répondit mon guide

          Qui veux-tu que ça soit, il n'y a que vous ici. Répondit l'agent du gouvernement

          Et que vous nous voulez-vous ? Demanda mon guide

          Vous avez vu les deux fugitifs ? Demanda le soldat

          Non, désolé. Répondit mon guide

          Très bien.

          Alors que nous commencions à partir, le groupe de soldats resta sur place. L'un des soldats fit part de ses impressions sur mon collègue et moi, ce qui visiblement n'avait pas l'air d'être rentré d'un sourd. Celui-ci qui nous avait interpeller quelques secondes auparavant nous siffla dessus comme pour appeler avant de crier

          Hey vous avec vos bandages... Venez voir un peu par-là !
            A peine eu le temps de traverser quelques ruelles qu'on tombait nez à nez avec une escouade de soldats. Efficacité militaire, pas le temps de faire faux-bond. Notre petite épopée s'était terminé aussi sec qu'elle n'avait débuté, une cavalcade fugace et futile qui ne nous laissait désormais guère d'alternatives. Nous ne pouvions cette fois nous dérober dans la foule grouillante, les canons braquant nos mines, réjouies, vous vous en doutez, suffisaient à éteindre tout élan un peu trop héroïque ou orgueilleux de se faire la malle. L'index tremblotant sur le chien, la mire dégagé, l'anxiété qui leur perle le long de cette goute persistante au coin de la tempe, un geste brusque, incontrôlé de notre part et boum, tout ce beau monde ferait cracher l'acier dans l'allégresse.

            Nous étions faits comme des rats ou du moins tout corroborait cette hypothèse. Dans tout ce déferlement de beuglements et de cris, la question anodine, elle, avait retenti de manière très limpide si bien qu'aucun ne pouvait feindre de n'avoir rien entendu. L'absence d'écho à cette dernière et les longues secondes, lourdes et pesantes, qui lui succédèrent ne faisait qu'attiser leur suspicions. Bradstone pouvait flancher à tout moment et tenter de se carapater à tout instant, simuler un malaise ou même gueuler à tue-tête qu'il venait d'apercevoir Freeman à l'angle de l'avenue, rien n'aurait pu berner cette cohorte de types. Il obtempéra, il se résolut à marcher au devant, d'une démarche presque naturelle, avec pour seule arme l'excuse de fortune que je lui avais mijoté. Son galbe d'intellectuel dans la fleur de l'âge jouait en sa faveur, on ne se méfie jamais aux premiers abords d'une belle gueule à lunettes, c'est loin d'être le profil type des révolutionnaires qu'on coince pour avoir tagué les chiottes des restos huppés de la capitale.  C'était sacrément couillu et audacieux, et totalement imprévisible et c'est sans doute d'ailleurs pour cette raison que la chose ne rencontre pas l'effet escompté...

            " Faites-donc voir votre gueule d'amour, vous-là ! Eh bien, que vous est t'il arrivé, citoyen ?"

            " Je me suis pris des éclats et c'est que..."

            "Ouais bien sûr, vous avez l'air de vachement suinter là dessous... vous aviez pas l'air net de toute facon, allez hop, on l'emba..."


            "ADAM FREEMAN LA IL VOLE AVEC COSTA ! "

            "Qu'est-ce que"


            Il est parfois fou comme le patronyme d'un homme suffit bien souvent à faire tourner nerveusement les regards. La légende d'un homme et le voile de mysétère qui l'entoure éveille la curiosité inconsciente et maladive de tout à chacun. Bien entendu, tous savaient que pas le moindre pouce de Freeman n'apparaîtrait au devant de la scène aujourd'hui, pourtant l'encéphale a des raisons que la raison ignore et lorsque cette dernière intima aux muscles de lever toute la caboche vers le ciel, ils tombèrent droit dans le piège mesquin. Quelques secondes d'inattention seulement et pourtant me permirent de renverser la vapeur. Crosse droit dans les gencives, la baïonnette pointé sur la pomme d'adam, nous obtenons une monnaie d'échange momentané pour prendre la poudre d'escampette. L'acier des fusils grésillerait presque tant il trépigne à l'idée de plomber cet inconnu, on aime à dire que l'arme est la prolongation de celui qui le porte. En cette journée noire, elle est le reflet de la fougue qui émane de tous ces soldats.

            Richard file à l'anglaise aussitôt tandis que des soldats le poursuivent tête bêche dans l'agitation générale. Ils ne tireront de cartouches que s'ils ont l'horizon dégagé. D'autres soldats partent aussitôt prévenir leurs supérieurs. Tentant le tout pour tout, j'utilise le bouclier humain comme leurre jusqu'à me rapprocher suffisamment près pour le projeter au devant des soldats restants, façon jeu de quilles tout en tirant parti de la manœuvre pour m'emparer du fusil. Je n'en sors pas indemne pour autant, un pruneau me traverse l'épaule de part en part, imprégnant allègrement d'hémoglobine le tissu de ma chemise. Regagnant péniblement le marasme grouillant, je me précipite en direction de Bradstone qui n'essuient pas encore de tirs. Le dédale des rues n'en finit plus tandis qu'à quelques centaines de mètres et bien que je ne le sache pas, le pas cadencé, militaire, significatif d'une escouade de soldats fond droit sur nous. La donne se corse brutalement et nos chances d'en ressortir vivants se réduisent drastiquement. Encore davantage lorsque Bradstone emprunte la prochaine impasse...
              Une impasse !

              Ciel !

              Une impasse !

              Ce Richard n'est même pas foutu de bien s'orienter ! On peut lui trouver toutes les excuses du monde, c'est quand même lui qui vous fout encore plus dans la mélasse ! Et même pas un pardon ! Ignoble sale type à lunettes !

              Pourtant, les rues ne désengorgent pas de monde, de civils farouches qui hurlent à la mort, de marines par paquets qui essayent de canaliser la fièvre et le délire. Vous êtes presque chanceux, puisque l'Amirale a décidé de partir aux trousses de Costa, qui a plus de valeur à ses yeux que Richard. A vos trousses ? Le poulpe diabolique ! Bien entendu. L'escouade à vos fesses arrive à grand pas et vous n'avez rien pour retourner la situation en votre faveur...

              Mais deux solutions s'offrent à vous pour continuer la fuite : Les toits ou les égouts.

              La décision se prend d'elle-même, puisqu'aucun de vous ne suit l'autre pour des raisons évidentes : Richard part sur les toits parce qu'il le peut, Sharp se trouve plus à l'aise dans les égouts. Et les autres arrivent sur ses entre-faites.

              Et puisque vous décidez de vous séparer, les autres en font de même. Quand l'escouade prend la décision de suivre Richard, le Poulpe qui vient à peine d'arriver part en traque du zouave dans les bas-fonds de la ville.

                Les marins s'amassaient autour de l'impasse tandis que je grimpais le mur en face de moi en courant. Les soldats semblaient choqués de ma performance malgré le fait qu'un ou deux aient essayé de me tirer dessus. Je laissais donc mon sauveur se débrouiller seul, en espérant que le gouvernement n'allait pas l'attraper. Par chance, les marins se mirent à me poursuivre, laissant plus ou moins seul mon collègue. Une course-poursuite s'entamait donc sur les toits de Logue Town.

                Tel un esclave qui venait d'être affranchi, je me mis à courir comme jamais auparavant. Sans doute avais-je peur de me faire pincer de nouveau et de finir cette fois sur la place publique, mais il n'empêche que je courais telle une gazelle dans la savane, les lions étant le gouvernement. Des coups fusaient dans ma direction, ils étaient, à vrai dire, anarchiques - beaucoup n'arrivaient pas à tirer sur une cible en mouvement tout en courant en même temps. J'enchainais donc les toits de la ville sous les encouragements de certaines personnes, d'autres au contraire me huaient et tentaient de me jeter des objets. J'avais tout de même de la chance de me trouver en hauteur, si bien que je n'étais pas facilement capturable. Je n'avais pas le temps de penser à autre chose qu'à ma survie. Je souhaitais trouver rapidement un endroit pour me mettre à l'abri, car mine de rien, le gouvernement me faisait de plus en plus peur. Je comprenais enfin l'effet que cela faisait d'être déviant de la société... Il m'arrivait jadis de critiquer les gens ayant ce genre de comportement, mais je me rendis compte avec le recul que n'importe qui pouvait être désigné comme un criminel, même pour une action banale. Ce n'était pas mon cas, mais je connus de braves civils qui n'avaient jamais rien fait de mal et qui s'étaient retrouvés en prison l'espace de quelques jours parce qu'ils avaient eu l'erreur de soigner un criminel. Bien sûr qu'un criminel restait à jamais un criminel à mes yeux, mais après tout, même la pire ordure méritait d'être soignée. Je considérais ne pas être maître du destin des autres, mais je devais tout de même avouer que pour Ivan de Cimetiero je ferais une exception si jamais quelqu'un venait à mourir aujourd'hui. La course continua pendant un long moment quand je vis une séparation entre deux maisons. Je savais que je pouvais atteindre l'autre bout avec une certaine dose d'effort. Je m'élançai donc dans un dernier élan d'effort avant de sauter...

                ...Mais malheureusement pour moi je n'avais pas réussi à atteindre l'autre bout avec mon saut, mais cependant je tenais le mur de mes mains. Il me restait juste une simple traction à faire... Pas si simple lorsque l'on pend à plusieurs mètres de haut. Alors que je remontais doucement, une dame cria

                Un homme sur les toits, vite !

                Plusieurs soldats arrivèrent, tirèrent plusieurs balles dans ma direction et malheur...

                Diantre ça fait mal !

                Tirez ! Ajouta un soldat

                Une balle venait de rentrer dans ma jambe tandis que je venais de terminer ma traction. La douleur était atroce, mais bizarrement cette dose d'adrénaline m'avait permis de grimper plus rapidement. Comme quoi parfois la douleur permet de motiver les troupes. Je m'allongeais donc sur le toit afin de me reposer, en me disant qu'ici au moins personne ne pourraient m'atteindre. Alors que je tentais de me faire un bandage avec les moyens du bord, c'est-à-dire les bandages qui couvraient mon visage, un denden tomba de mon haut-de-forme. Surpris, je l'examinais de toutes ses formes pendant que les soldats qui m'avaient encerclé crièrent

                Vous êtes encerclé ! Veuillez-vous rendre Richard Bradstone.

                Je rigolais tout en toussant à cause de la douleur. Ils s'attendaient à quoi avec une blessure à la jambe ? Que je cours un marathon ? Ce n'était donc plus qu'une question de temps avant de voir les forces de l'ordre sur le toit.
                  Bradstone recelait de nombreuses surprises insoupçonnés, toujours cocasse de voir un gus grimper à quatre-vingt-dix le long des parois, comme si les lois de la physique s'appliquaient pas à son cas. J'esquissais un sourire, fugace, pour son audace, une fois encore. Plaisir rapidement balayé par l'irruption d'un bien étrange importun, véritable calvaire qui envoie valdinguer toute entrave sur son passage, marines compris. Pourtant aucun d'eux n'aura l'audace d'en décoller une bien sentie à cet invité surprise, ou plutôt ce trouble-fête qui vole la vedette à toute cette petite assemblée de soldats qui s'imaginaient déjà passer les bracelets à Bradstone et se faire mousser auprès de la patronne. Car oui, l'animal est le petit protégé de la tôlière, celle là même qui a senti le vent du boulet et qu'a décolle en trombe aux basques de Costa & consorts. Loin de faire le fier avec ma plaie toute rutilante, je peux pas non plus prendre la tangente, je me réfugie comme n'importe quel paria l'aurait fait dans l'un des seuls endroits où j'aurais pt'et une chance de fausser compagnie à tout ce gratin: dans les égouts. Pas tant que j'ai l'ébauche d'une idée qui me triture le crâne mais ca me fera tout de suite paraître moins con si le céphalopode me colle une trempe des chaumières. Les petons dans la mélasse visqueuse, je patauge là dedans comme un manche, l’œil rivé sur mes arrières au cas où j'apercevrais pas à la surface un tentacule vicieux ou une ventouse un peu trop entreprenante. Pas l'ombre d'un sillage dans l'eau trouble, la bête se terre, bien maligne, préparant minutieusement son coup fumant. Le poulpe est l'une de ces bestioles toute droit sortie de la côte de Poséidon, tortueuse et roublarde comme pas deux, trônant dans son élément, guettant le moment adéquate pour t'agripper et t'étreindre à petit feu comme s'il prenait son pied à te faire suffoquer de la sorte. Patience est mère de sûreté, le poulpe le sait et le fait que je n'entrevois pas son œil globuleux commencerait presque à me rendre anxieux. l'hémoglobine, c'est comme les mires des gens, çà trompe pas, a fortiori lorsque çà vous trace une droite rougeasse dans la flotte et que çà fait saliver de ce qui trône plus bas.

                  Je tente pas le diable, ou je le tente plus plutôt, je remonte sur une corniche et poursuit la petite épopée. Concert de gouttes qui claquent sur les canalisations et de ces bruits glauques dans le lointain dont on ne sait pas trop ce que c'est et dont on ne veut pas savoir, ma pomme d'adam fait des siennes, les glandes salivaires qui font des leurs à force que je ravale ce qui effleure aux valves du gosier. Paumé dans ce labyrinthe de fer rouillé et d'amiante, je cherche la lumière au bout du tunnel comme on dit, sous l'oeil aiguisé de la pieuvre quelque part, je la sens bien cette étreinte dont je vous avais parlé. Elle se referme pétit à petit sur sa proie, obstruant rayon après rayon de l'espoir de lui en réchapper, véritable étau, froid et inflexible, il se galvaniserait presque de cette peur ambiante qui me prend brusquement, qui me donne cette sueur froide que j'avais plus connu depuis bien longtemps. Je m'enfonce dans des tuyaux tous plus étroits les uns que les autres avec l'idée futile qu'il passera pas au travers et plus j'avance, plus je me fais à l'idée qu'il sera aux abonnés absents, que la probabilité de le croiser toutes mandibules dehors chute au fur et à mesure. Je commencerais presque à me sentir soulagé, à me dire que le plus dur est derrière, que j'ai fait le gros du trajet et que le risque de croiser sa carcasse poisseuse frôle le zéro pointé. Sauf que le poulpe, au détriment de pas encore pouvoir résoudre des équations du deuxième degré, il sait que le risque zéro n'existe pas et il choisit ce moment cocasse, ce moment où tout indiquait qu'il avait mis les voiles ou qu'il ruminait comme le penseur de Rodin qu'il a toujours été, pour débarquer à toute berzingue par la canalisation du dessous.
                  S'ensuit une rude altercation avec le poulpe avec volée de baffes tentaculaires pour mon compte. C'est sa tournée, c'est lui qui régale et il fait pas les choses à moitié, je me tiens autant que faire se peut au delà de la portée de ses appendices tout en lui cognant comme un sourd les extrémités.

                  Il gagne progressivement du terrain, mètre par mètre, il me conduit là où il l'entend, en n'ayant rien laissé au hasard, sûr de lui, présomptueux comme on l'est tous. Pourtant, je ne peux pas m'empêcher à la trombine que taperait l'Amirale si son précieux, venait à se faire étriper au fin fond de l'antre de la créature. Perspective d'autant plus réjouissante que son animal pourrait un jour prochain se retrouver dans son auge au moment du souper et personne rechigne à goûter aux calamars et autres crustacés préparés avec soin et scrupules  à la table de Mallory Gentry ou de la vierge d'acier. Alors, je feinte ma chute, je simule la foulure et lorsque l'animal surpris entoure sa tentacule vivace autour de ma cuisse, j'amorce la riposte. Mandale sur mandale, gnon sur gnon, pogne après pogne, je lui assène du supplément de phalange car moi aussi, je sais avoir l'âme charitable et tout aussi généreuse, le don de soi, çà me connait. Sa chair tendre et molle succombe à l'amoncellement de frappes, l'animal encaisse cruellement, comme un premier de la classe se ferait rosser la couenne par la brute du coin. Quelque chose de sale, un sale quart d'heure même qui marque les mémoires et qui lui fera passer l'envie de recommencer. Dans toute sa détresse, l'animal emploie l'unique solution pour s'extirper de ce guêpier, la seule qu'il lui reste: l'encre. Un jet épais, pâteux, qui a le mérite d'aveugler votre serviteur et de donner tout le loisir au poulpe de prendre la poudre d'escampette mais une fois n'est pas coutume, je ne l'ai pas laissé filer et ait fini par assommer une bonne fois pour toute la bestiole. J'ai beau m'évertuer à faire partir le liquide, rien n'y fait, j'ai désormais la face toute charbonnée. L'heure d’appeler mon compagnon d'infortune et de me mettre au jour de ses misères. Le den den retentit dans le lointain...

                  Katcha

                  "Eh bien, Monsieur Bradstone, vous vous en êtes tiré? Très bien, donnez moi vos ..."

                  "Hey vous, Richard Bradstone, vous êtes en état d'arrestation ! Tu vas sacrément prendre cher lorsque l'Amirale va te mettre le grappin dessus, mon gars ! Attend qu'elle revienne avec la tête de Costa à son tableau de chasse, tu payes rien pour...."

                  " A votre place, Messieurs, je n'en serais pas si sûr. "

                  "Qui êtes-vous donc pour oser ..."


                  "C'est que voyez-vous L'amirale ne serait sans doute pas très enjoué d'apprendre que son cher et tendre poulpi s'est pris une branlée telle qu'il est dans les vapes. "

                  "Et Alors ?! Qu'est ce que ca peut nous foutre, on tient Bradstone et ..."

                  " et tu te figures que la vie de l'énergumène vaut plus que celle de son Poulpi ?! On est tombé sur un lumière. Pt'et bien qu'elle se fera des abat-jour avec vos peaux, ou bien des paillassons avec votre..."

                  "Assez ! "

                  L'ambiance est à son comble et la dernière chose que des marins ont envie de faire, est de pactiser avec l'ennemi. Pourtant, ils savent que leurs existences sont désormais coincés en étau entre celle de Bradstone et de Poulpi. Un dilemme, un choix cornélien? Bradstone ne vaut même pas la peine de se prendre une véritable tannée par l'Amirale. Résignés, ils se lancent dans la discussion.
                  "Qu'est ce qui nous prouve que c'est vrai?"

                  "Si l'on se parle tête d'enclume, c'est que le poulpe m'a pas éviscérer, tu songes pas? "

                  "..."


                  "Alors je propose un deal propre, Tu laisses partir Bradstone dans les faubourgs et en échange je te donnerais le lieu où j'ai laissé notre petit ami commun. "

                  Un bref moment d'introspection, d'hésitation, de crédulité le transperce, ce genre de moments qui vous tuent au plus profond de vous même et vous font regretter d'être un homme et d'avoir un jour souillé de votre empreinte le sol de ce monde.

                  "Allez-y, Richard, allez-y..."
                    Bon euh... Les marines se rassemblent et réfléchissent. Les gars, les temps sont graves. Bradstone, c'est personne pour nous, il a même pas d'primes sur sa tronche. Mais le poulpe... si on lui ramène pas le poulpe, elle va nous mettre en laisse et nous promener ! Y'a pas à chier, j'préfère faire la plonge parce qu'on a loupé l'blond plutôt que finir au trou à cause du poulpe...

                    Choix cornélien. Mais pas très long. Car la tête pensante de l'escouade se tourne vers l'escargophone et annonce :

                    Ok, gars, on accepte ton offre... Mais ça va pas s'passer comme ça ! On va amener Bradstone avec nous et on se retrouve ce soir, en dehors de la ville, dans le vieux champ de monsieur Klumer. Y'a des vaches, tu les reconnaîtras. Et là-bas, on fera l'échange ! Mais déconne pas mec ! Le poulpe doit être en vie, sinon, couic le Bradstone !

                    Et il raccroche, sans plus de cérémonie. On passe les fers à Richard et on le porte par les épaules pour l'aider à marcher. On fait un garrot autour de sa jambe. L'affolement des rues vous parvient encore...

                    Toi l'binoclard, tu nous suis. T'vas aller chez Joe, il a une bonne cave pour toi. Et nous, on va trouver ce fils de catin et lui faire sa fête avant ce soir !

                      Quel endroit des plus répugnants... Entre les gouttes d'eau qui tombaient au sol et le bruit des souris qui dansaient, rien ne me rassurait dans cet endroit. Si l'on m'avait mis dans ce lieu sordide que sous les barreaux, c'était avant tout pour éviter la colère de leur amirale, ce que je comprenais vu le tempérament de la femme. Celle-ci se moquait sans cesse de moi et me considérait comme un moins-que-rien. Il était vrai que la révolution était mal vue du gouvernement, mais je justifiais cela par la peur de l'inconnu. Qui n'a pas peur de l'inconnu ? Honnêtement personne. Je ne me considérais pas comme un homme peureux, mais j'avais toujours tendance à m'imaginer le pire sur des lieux dont je ne connaissais rien du tout. Etait-ce dû à mon pessimisme ou tout simplement à un tout autre sentiment, cela n'empêche que je n'étais pas rassuré en voyageant, mais malgré tout cela ne m'empêchait pas de partir à l'aventure.

                      Cette cave m'intriguait et m'angoissait. Je me demandais bien pourquoi il n'y avait aucune ouverture donnant sur la rue, mais en y réfléchissant de plus près, je me disais que c'était sans doute un lieu pour enferme les gens comme moi afin de les faire parler, les frapper ou les tuer. Après tout une cave c'était discret, à l'abri des regards et beaucoup n'osaient pas forcement s'introduire dans des lieux de la sorte. J'étais donc pris au piège en attendant mon sort. J'espérais voir l'échange se dérouler sans imprévus, mais il y avait cette pensée dans le coin de ma tête qui pensait le contraire. Elle n'avait pas tout à fait tort, car rien ne s'était déroulé comme prévu depuis le début de ma mission. Infiltrer une zone sensible, se faire repérer immédiatement, finir enfermer avec Costa Bravo, se faire exécuter, puis libérer avant de me faire capturer de nouveau, j'avais l'impression d'être dans des montagnes russes. La suite logique des évènements serait donc ma libération, mais pour le moment, j'étais juste dans un endroit glauque. Les minutes s'enchainèrent dans ce trou à rats et de façon interminable. Il y avait bien se rat qui venait de temps à autre me voir et que je repoussais d'un simple coup de pied, mais dans l'ensemble, j'avais l'impression d'être dans une bulle. Il y avait bien ces murmures venant du dessus que j'essayais de déchiffrer, mais je ne comprenais pas grand-chose à tout cela. Le silence était donc d'or quand tout d'un coup, un bruit se fit sentir dans les escaliers. Un homme imposant sans doute vu le pas ouvrit la porte de la cave avant de se poser face à moi avec les sourcils froncés. Il me fixa depuis sa chaise alors que j'étais au sol avant de me lancer

                      Tu vas nous dire où ton pote a caché le poulpe !

                      Héhé, j'ai quoi à y gagner ?
                      Lui demandai-je

                      Eviter la mort... Me dit-il

                      Que ce soit de la main de votre supérieure ou par la vôtre, je risque de mourir dans les deux cas... Je dois vous avouer que j'aimerais bien voir la tête de l'amirale Bii lorsqu'elle saura que vous avez perdu son poulpe. Lui avouai-je

                      Tss...

                      Le garde se leva de sa chaise avant de m'asséner un puissant coup de pied dans les côtes. Il avait le sourire aux lèvres et prêt à remettre ça tandis que rigolais comme je pouvais

                      Kof... Kof... héhé Kof...

                      Bon, tu vas me dire où est ce foutu poulpe ! Me cria-t-il

                      Kof... Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Lui répondis-je

                      Je me pris un coup plus puissant que le précédent qui m'empêcha de respirer quelques instants. Trouvant difficilement ma respiration, le soldat de la marine rigolait devant la scène, estimant sans doute qu'il avait le dessus sur moi. Il était vrai que c'était le cas, mais j'avais tout de même l'avantage de connaître une information sensible. Le garde m'attrapa par le col, me leva avant de me dire

                      Tu ferais mieux de ne pas faire le malin ! Dis-moi où est le poulpe ?

                      Kof... Kof... Un poulpe ça aime quel genre d'endroit ? Lui répondis-je

                      Tu veux te mettre aux devinettes ? Très bien... S'exclama le garde

                      Le garde me lança au sol avant d'appuyer sa chaussure sur ma blessure. Je criais de tous mes poumons de douleur en espérant que quelqu'un vienne m'aider. Visiblement, nous étions trop enfoncés dans le sol, car même le fameux Joe n'était pas venu pour que je baisse le volume. Le garde enchaînait donc les questions auxquelles je ne pouvais pas répondre du fait de la douleur, ce qu'il ne comprenait visiblement pas, car il s'amusait à appuyer sur ma blessure à chaque mauvaise réponse. Je hurlais de douleur, des perles coulaient le long de mon visage, mais ça n'empêchait pas mon ravisseur de me faire du mal bien au contraire. Il devait considérer les révolutionnaires comme la pire des pourritures, qui dans l'immédiat l'empêchaient de prendre congé. Le garde s'amusait à me faire du mal quand je lançai de toutes mes tripes

                      BORDEL ARRETEZ !

                      L'homme me fixa tandis qu'un long silence s'imposa. Ce n'était pas dans mes habitudes que de lancer des injures, il fallait vraiment me pousser à bout pour que cela arrive. Je reprenais difficilement mon souffle avant de lui dire

                      Les égouts ! C'est là-bas que les poulpes aiment trainer.

                      Bah voilà !
                      Ajouta le garde

                      Le garde me frappa une dernière fois dans ma blessure avant de remonter les escaliers avec son air de vainqueur. Je ne pouvais pas m'empêcher de repenser à cette bourde que je venais de faire, cet homme que j'avais trahi. Je me demandais bien comment mon sauveur allait le prendre s'il savait que je l'avais balancé... Mais s'il y a bien une chose dont je me rendis compte, c'était qu'être un homme de science dans ce monde ne suffisait pas pour survivre, que parfois, il fallait savoir passer à l'acte.

                        Plus finaud que je l'escomptais ces soldats, du moins assez lucide pour pas donner trop de mou à la perspective de rentrer bredouille. Fallait bien avouer que l'Amirale n'allait pas simplement leur foutre la tête au carré, elle allait prendre plaisir à arrondir les angles. Cette échange corsait un peu plus ma piteuse condition. Bien sûr, le poulpe était une bonne monnaie d'échange, la seule même, mais encore fallait t'il que je me débrouille pour l'embarquer là-bas sans me faire gauler par les autorités. Je les entends d'ici passer la zone au peigne fin comme ils disent, ca ratisse le patelin, ca fouille allègrement dans les poubelles, ca renifle partout où ca peut comme des lévriers en meute, levant le gibier pour la patronne. Des chiens de la casse au rabais, un poulpe cabossé, l'amirale avait su s'attirer les services de tout une ménagerie pour son bon plaisir. A force d’avilir les gens, elle a su forcer leur servitude et faire ployer tout ce qui faisait d'eux des hommes à part entière.

                        Peu de temps ou prou avant le crépuscule sans compter que l'affaire sent le sapin à des kilomètres à la ronde et j'ai pas la moindre idée du petit comité d'accueil. Fort à parier qu'ils ont assez de matière grise pour pas aller baver quant à cette simili félonie dont ils vont être les auteurs, une dizaine de gars parés à en découdre sans doute. Heureusement que la ferme est un coin isolé en périphérie de la cité et que l'emplacement a rien d'un coupe-gorge...mais je sens bien qu'il y a anguille sous roche. L'énergumène a pas sourcillé un instant pour me refiler ce bled. Dans le lointain, le bruit sourd des rangers tintent contre le fer froid, la cavalerie se pointe avec tout le barda pour débusquer le limier qui s'est prit pour ce qu'il n'était pas.

                        "Il est ici quelque part, il se terre comme un rat ! Dénichez moi cet enfant de putain ! "

                        Le verbe haut, l'écho qui porte, encore un qu'a inventé l'eau chaude. Le temps de mettre les voiles s'impose malgré moi. Par mesure de précaution, je ligote les tentacules de l'ami céphalopode entre elles avec le matos qui me reste, c'est pas du meilleur effet ou du plus discret mais l'animal me cherchera plus des noises. De corridor en passes étroites, je m'engouffre dans un véritable souterrain, j'y découvre ses locataires grouillants et inoffensifs tout comme sa faune plus inquiétante. Un microcosme que seule une ville comme Logue town peut abriter dans ses veines. Ce périple se poursuivit une heure durant dans ce dédale de fer, où chaque angle de mur devient votre ennemi, où chaque bruit suspect vous interloque, où chaque débouché est tout autant un danger qu'un échappatoire. Dans la puanteur des égouts, je me terre une nouvelle fois et murmure un plan pour me sortir du pétrin annoncé...

                        Lorsque le crépuscule pointe à l'horizon de la ferme de sieur Klumer, L'endroit est désert, pas le moindre chat qui rode dans les parages si bien qu'on s'entendrait même pisser si l'envie subite nous en prenait. Je rigole intérieurement, la perspective de me prendre une branlée monumentale force toujours le rictus d'anxiété. Calfeutré comme les derniers des couards, les soldats zieutent l'animal étrange qui gigote au coin dans le verre de la longue-vue, un homme qui ne figure sur aucun de leurs carnets, un quidam inconnu du grand public, inconnu au bataillon, comme seul la cause révolutionnaire sait essaimer à la surface du monde. Le rôle du bon samaritain en somme, ou du petit effronté qui les a grosses comme des œufs de caille parce qu'il défie l'autorité. Pas l'ombre d'un gus qui ramène son joli minois et encore moins d'une mouette, ces trucs-là volent toujours en escadrille, je hisse le poulpe à une rambarde apparente, façon ballot de foin, près du mur d'enceinte de la grange. Dans le couchant qui me flingue les mirettes, trois gars débarquent, les bracelets solidement fixés aux poignets de celui du milieu, la dégaine fluette, le pas contraint, pas d'erreur sur mon homme, le gratin arrive enfin.

                        Bradstone avait visiblement souffert du traitement mesquin que ces petites frappes lui avaient fait subir. Tabassage en règle, façon de prouver qu'ils méritaient leur solde en fin de mois et qu'esquinter deux ou trois arcades permettaient de rendre le monde meilleur et tellement plus juste. Le pensionnaire faisait grise mine naturellement, il savait sans doute ce que toute cette ribambelle de presque véreux avaient au coin du crâne. Je ne marchais pas dans leur combine, je courais littéralement dedans cependant il est parfois des cas de forces majeures qui implique tantôt de se placer dans les griffes du prédateur. Qu'advienne que pourra. L'entourloupe dans ses hautes œuvres.
                          Logue Town grogne toujours malgré les heures passées. Les marines arpentent la ville de long en large dans l'espoir évident de mettre la main sur les prisonniers évadés ou sur ceux qui ont permis l'évasion. Les civils ont regagnés leur maison dans lesquelles l'on vient fouiller par moment pour être sûr que personne ne cache de rien, comme le permet désormais les lois établies par les grosses têtes de Marie Joie. Mais rien. Rien du tout. Costa reste introuvable, tandis que Bradstone est désormais une monnaie d'échange pour un terrible poulpe un peu trop entreprenant...

                          Et l'échange se passe en effet près de la ferme déserte. Quand Sharp s'avance avec son colis, les autres encadrent Richard pour éviter une autre entourloupe. S'ils sont en bas de l'échelle sur cette hiérarchie, n'empêche qu'ils ne sont pas forcément les derniers des crétins. Le leader de ce petit groupe, par exemple, s'illustre par un esprit vif et une grande perspicacité. Astucieux et méthodique dans le genre, il s'approche de Sharp avec l'air assuré, en l'invitant à s'arrêter à quelques mètres pour effectuer l'échange.

                          On va faire simple. T'envoie le poulpe, Bradstone va avancer. Au milieu, il nous renverra le poulpe et viendra vers toi.

                          L'homme défait les menottes de Richard et se tourne vers Sharp. Et la suite ? Bien entendu, il n'a pas donné son plan. Et il n'entend pas le faire. De là à savoir ce qu'il prépare...

                          SURPRISE:

                            J'avançais donc vers le centre en prenant le soin de me retourner de temps à autre vers mes ravisseurs. Ces derniers avaient l'air trop confiant et je me demandais bien pourquoi. Tandis que je me retrouvais au centre du point d'échange, je fixais le poulpe qui semblait désemparé, comme s'il n'avait rien avoir avec cette histoire. Je me disais que je pouvais écouter les marins, mais mon instinct me poussa à agir autrement. J'étais face à un choix cornélien qui aurait des conséquences si bien que j'attrapai le poulpe avant de me retourner vers les soldats avant de leur dire

                            Comment peut-on être sûr que vous nous laisserez partir sans histoire ?

                            Nous n'avons qu'une parole Bradstone, maintenant remet nous le poulpe ! Ajouta le soldat

                            Qu'une parole... Venant d'un homme qui venait de passer une demi-heure à me frapper, je trouvais ça drôle. J'avais du mal à croire ce qu'il me disait. Pourquoi il nous laisserait partir, alors qu'il pourrait très bien nous avoir. Après tout, nous étions au milieu de nulle part, deux contre tout un régiment. Je me retournai donc vers Sharp qui devait se demander ce que je faisais. Il était vrai que je prenais beaucoup de temps pour une simple transaction, ce qui d'ailleurs énerva de plus en plus le soldat qui me hurla

                            Bon, on n'a pas toute la nuit, filez le poulpe qu'on en finisse !

                            Je me retournai une dernière fois vers l'agent du gouvernement avant de prendre mes jambes à mon cou direction la grange qui se situait à une cinquantaine de mètres derrière mon sauveur. Je lui fis signe de courir tout en le rejoignant en boitant, car la blessure que j'avais reçue quelques heures auparavant se manifestait encore. Le soldat qui ne semblait pas plus surpris de ma réaction cria à ces hommes

                            Tirez bon sang, ne les laissez pas s'enfuir !

                            Les bruits de balles et les cartouches volaient à tout va, fort heureusement pour nous que les soldats avaient du mal à nous viser, la nuit jouant en notre faveur. Une pluie de balles se faisait sentir... Si mon guide les esquivait facilement, ce n'était pas tout à fait mon cas. Je pris une balle dans l'épaule gauche qui me fit perdre l'équilibre quelques secondes. Malgré tout, je tenais fermement ma monnaie d'échange en espérant pouvoir partir d'ici tranquillement. Le pauvre animal reçu d'ailleurs une balle dans l'un de ces tentacules, ce qui fut désagréable pour mes tympans et mes habits. Le chef du groupe s'énerva et hurla sur ces soldats

                            Bon sang, faites attention où vous tirez ! L'Amirale va nous faire passer un mauvais quart d'heure si l'animal crève...

                            Les tirs ralentirent tandis que mon guide et moi avancions difficilement dans ce champs.
                              Détaler comme des culs terreux dans la brousse avait presque quelque chose de comique si tant est que t'es celui qu'a le flingue au bout des paluches. Le feu nourri des canons, de l'acier hurlant comme pour emprisonner ses proies dans sa tourmente, avaient le mérite de pas nous faire songer à notre misérable condition. Du gibier bon à trouer et de préférence à écorcher vif, c'était le mot d'ordre officieux de cette petite sauterie, façon tir au canard improvisé sur fond de prairie. Le sourire carnassier aux lèvres, la bave qui suinte d'une moue trop longtemps bridé, d'une moue qui a soif de sang sous couvert d'apporter la justice des hommes à un monde en proie aux ténèbres. Je les imaginais presque se fendre la gueule intérieurement, se retenant de se gausser dans toute la suffisance des hommes qui sied si bien à leurs rangs, conscient de toute leur omnipotence du moment, à décocher avec frénésie la gâchette pour faire pleuvoir les balles.

                              Pauvres hères, on se carapatait bon gré mal gré, sachant que l'instant dernier pouvait advenir d'un moment à l'autre. Si l'un de nous y passait, inconditionnellement le second tomberait. Sorte de loi cartésienne qui veut que dans les moments craignosses, le pouvoir de l'amitié cède le pas à un trépas inscrit en filigrane, sorte de petits caractères en bas du contrat que personne prend la peine de lire si ce n'est les désaxés du Cipher Pol. Bradstone avait cerné tout aussi bien que moi le fin mot de l'histoire et on se serait déjà fait trouer si on avait pas embarqué le céphalopode dans la course poursuite. Lui aussi, le poulpe, faisait pas le fier, difficile de ramener sa fraise lorsqu'on sait qu'un marin sur trois est déjà pas foutu de faire mouche à 20 mètres en plein jour...alors au crépuscule, tu vois le tableau.

                              Les terrains maraichers récemment ameublis sont une épine de plus dans notre panard, çà nous ralentit, nous éreinte encore davantage comme si notre tandem d'infortune se figurait pas déjà tirer assez la langue. Brusquement, un cliquetis résonne dans l'écho de la nuit tombée, limpide, net et sans fioriture, un son pur, presque diaphane suivi d'un écho sourd, un écho qui couvre tous les autres dans son sillage funeste vers ses deux gibiers improvisés. Du calibre 50, rien que çà, du projectile couramment employé pour traquer du gros gibier et lui en coller une entre les deux yeux devant le fait accompli. De la chasse à l'homme, pure et dure, c'est à celui qui ramènera les miches de Bradstone à son tableau ce chasse, miches qui seront servies sur un plateau d'argent à l'Amirale. Les vl'a, les hommes valeureux de demain, ceux qui se lèvent tôt, tireurs embusqués, planqués, rendus à canarder, la mire dégagé, derrière leurs positions stratégiques, dans leurs beaux uniformes et leurs épaulettes toutes dorées. Pas de temps pour jacter avec mon comparses, la peur donne des ailes et dans cette chienlit généralisée, j'observe un homme héroïque qui poursuit sa route sans faillir, sans sourciller, je vois un gars qui serait assez fou pour me porter secours si je venais à m' écrouler comme une fiotte. Le genre d'illuminé, encore trop naïf sans doute, encore trop bercé par l'humanité et ses grands idéaux, le genre d'homme qui à cause de cette tare pourrait bien un jour, devenir un atout inconditionnel dans la main de ce guide occulte de la révolution. Et lorsque je me mets à rêver d'évasion, lorsque enfin cette lueur si indicible naît en moi pour la première fois, la réalité froide, sourde, frappe au judas, revenant prendre ce qui revient de droit à celui qui a tant pris aux autres. L'acier me perfore la chair mais j'ai au moins le mérite de pouvoir pousser Bradstone sur le versant du champ de Klumer, longue pente incliné abritant un verger ombragé où nous pourrons tenter de nous dissimuler aux griffes d'un ennemi armé jusqu'aux dents et en surnombre.


                              "Fuis, pauvre fou !"


                                Les balles fusent et ratent majoritairement leur cible. Elles ont le mérite de faire danser les deux criminels qu'on a traîné dans un endroit sombre et isolé, à l'évidence pour les suriner en toute discrétion. « Discrétion », cependant. Puisque les coups de feu finiront bien par attirer la curiosité de quelqu'un, trop tard pour Sharp ou Richard, par contre...

                                Peut-être pas...

                                Puisqu'après que Sharp ait reçu sa balle et ordonné à Richard de fuir, les coups de feu s'arrêtent soudainement. Les trois marins les plus proches des fuyards mettent quelques secondes avant de s'en rendre compte, et l'un finit par convier les autres à se stopper pour comprendre ce qu'il se passe. Et à peine a-t-il fait ça qu'un disque gigantesque sort de dieu sait où pour s'imprimer dans sa tête et lui faire cracher quelques dents. L'arme ricoche sur le second marine qui se le prend dans le plexus, tandis que les derniers l'évitent de justesse en s'étalant sur le sol. Sauf que son sort se règle quand une jeune femme bondissant de derrière un buisson vient lui donner des coups de pied en criant « Tiens ! Prends ça ! Vilain ! Méchant ! Ah ! Tu m'énerves ! », rythmé par des « Aie ! » et « Ouilleuh ! »...

                                Tout ça, jusqu'à ce qu'elle pose les yeux sur les deux autres plus loin, récupère son arme après avoir terminé de maltraiter le dernier soldat, et lance d'une voix claire :

                                Mettre la main sur vous n'a pas été une mince affaire ! ♥ Mais enfin je vous trouve !


                                Il nous faut partir hein ! Logue Town est toujours sur le qui-vive, c'est pour ça que ça a pris autant de temps ! L'attention est pour l'instant focaliser sur Costa – Que j'ai mis à l'abri ♥ - ça vous permettra de vous échapper !

                                Elle fait déjà demi-tour, dynamique comme pas deux, prête à repartir :

                                Bon bon ! Suivez moi ! Mais euh ! L'un de vous est médecin, ou quelque chose comme ça ? Parce qu'en fait, euh... Costa s'est pris une balle dans la fuite et il refuse que je la lui retire - soi-disant que je saurais pas faire gngngh - Alors euh... Et il a refusé de partir sans toi, Richard ♥ Si c'est pas mignon, ça ! Costa est vraiment tellement gentil !

                                La jeune fille s'arrête et remet son arme autour de sa taille, comme un cerceau.

                                Enfin ! On verra plus tard ! Faut qu'on le rejoigne et qu'on quitte l'île ! Zou !


                                  Attendez !

                                  Hum ? S'exclama la demoiselle

                                  Je ne peux pas laisser cet homme derrière moi, il s'est mis en quatre pour me sauver ! Lui répondis-je

                                  La demoiselle me fit signe que son état était des plus problématique, mais cependant, elle accepta tout de même ma proposition. Etait-ce la solidarité entre révolutionnaires ou tout simplement qu'elle se doutait que je n'allais pas l'accompagner si mon guide restait ici, quoi qu'il en soit je me mis à porter mon sauveur avec le peu de force qu'il me restait, le poulpe étant toujours sur mon épaule. Mon guide essayait de lâcher des mots, mais je lui conseillais de ne rien dire pour économiser des forces, peut-être que l'on allait réussir à le sauver. Je suivis donc la révolutionnaire qui venait de vous sauver en me disant que je n'avais pas le choix, qui plus est lorsque Costa voulait personnellement me voir. Ce dernier était blessé, mais malgré tout, il refusait de partir sans moi, ça me touchait. Je me disais que la prison pouvait parfois être utile pour se faire de nouveaux amis, un mal pour un bien en somme. Notre escapade dura de longues minutes pendant lesquelles je m'inquiétais de l'état de santé de mon sauveur tout en expliquant au poulpe qui m'embêtait parfois qu'il ne fallait pas me cacher les yeux quand je marchais. Ce dernier semblait malgré tout bien calme depuis notre arrivée dans la ferme par rapport à notre première rencontre.La demoiselle me fit signe que son état était des plus problématique, mais cependant, elle accepta tout de même ma proposition. Nous nous retrouvions donc devant une bâtisse des plus sommaires à proximité immédiate de la ville. La demoiselle nous invita à rentrer chose que je faisais sans vraiment discuter. Une fois à l'intérieur des armes pointèrent le bout de leur nez avant de se rabaisser aussitôt. Nous étions dans une sorte de nurserie improvisée et je constatais qu'il n'y avait vraiment pas de matériels adéquats pour pratiquer une opération. Alors que nous nous dirigions vers les lits en fond de salle, une voix se fit entendre

                                  Richard ! Kof... Kof... Kof...

                                  Cette voix, c'était Costa Bravo qui semblait en bien mauvais état. Je le saluai en lui avouant que j'étais content de le revoir, puis je demandai à des révolutionnaires de s'occuper de mon guide. S'occuper était un grand mot puisqu'ils se sont contentés de poser le brave homme sur un lit de fortune. La demoiselle se tourna vers moi et me demanda si j'avais des connaissances en médecine. Je me souvenais bien de ces quelques ouvrages de médecines que j'avais pu lire, mais je n'avais jamais réalisé de cas pratiques. Je me contentai donc de dire

                                  J'ai bien des connaissances mais...

                                  C'est parfait !
                                  Lança la demoiselle en m'interrompant

                                  C'est-à-dire que je n'ai jamais vraiment exercé... Ajoutai-je

                                  Ce n'est pas comme si on avait le choix... Ajouta la demoiselle

                                  Je fis signe aux gens autour de moi de ramener de l'alcool, un morceau de bois, des serviettes et une pince à épiler ou l'équivalent. Le matériel était bien là même s'il fut difficile de se séparer de l'alcool. Je me retournai donc vers mon guide tout en disant à mes collègues

                                  Je vais d'abord m'occuper de lui, il est dans un sale état.

                                  ...

                                  Je ne vais pas mourir dans la minute, faite donc Richard.
                                  Ajouta Costa

                                  Je demandais donc à l'un des hommes présents de tenir mon guide tandis que je lui fis mordre un morceau de bois. Il n'était pas vraiment dans un bon état puisqu'il commençait à perdre la tête. Je me disais que je devais me dépêcher, sinon faute de quoi il allait mourir. Je pris l'alcool que je versais sur la blessure, ce qui provoqua un hurlement de la part du blessé. J'enchaînais ensuite par la phase de la pince à épiler que je venais de tremper dans l'alcool pour la rincer. Je devais enlever les morceaux de balles un par un, mais le souci étant que je manquais de temps et de moyens. Après tout, il s'était pris une balle de fusil de chasse, ce genre de munitions qui se diffuse dans la chair une fois le contact avec sa proie. Si les hurlements se faisaient sentir lorsque je commençais à enlever les morceaux, le silence fut ensuite pesant. J'enchaînais malgré tout mon travail sous le regard de mes collègues qui ne pouvaient rien faire à part attendre. Je savais qu'il était trop tard, mais en tant qu'humaniste, je ne pouvais pas me permettre de ne pas finir mon travail. Je tentai le massage cardiaque en vain

                                  Richard...

                                  NON...

                                  ...

                                  Je refuse...


                                  Je m'emparai de la bouteille en l'explosant au mur avant de m'écrouler au sol. Je n'étais pas de nature émotive, mais je ne pouvais pas m'empêcher de pleurer de toutes mes larmes. Autant la mort ne me dérangeait pas en temps normal, mais ici la mort de cet homme était due à mes agissements. J'étais écroulé au sol, pleurant comme un gamin en me disant que sa mort était de ma faute, que tout ce qui se passait était de ma faute.

                                  J'étais incapable de rien...

                                  Libérer Costa, incapable de le faire...

                                  M'enfuir, incapable de le faire...

                                  Protéger des civils, incapable de le faire...

                                  Je me demandais bien pourquoi j'étais dans la révolution. Si je n'étais même pas capable de sauver mon prochain, comment pouvais-je espérer évoluer dans l'organisation. Honnêtement, je n'en savais rien. Alors que j'étais au sol incapable de bouger, la demoiselle m'attrapa et me gifla en m'expliquant que j'avais certes perdu un ami, mais que si je restais ici d'autres hommes allaient y passer. Je me relevai donc les larmes à l'œil, prenant la pince à épiler et le bout de bois que je tendis à Costa. Il me fit signe comme quoi je pouvais y aller. J'opérais de la même manière que tout à l'heure, mais ici tout se passa beaucoup mieux. Bravo mordit souvent le bâton au lieu de crier et je terminai l'opération en un temps record. Suite à cela, je me posais au sol, pleurant dans mes mains la perte que je venais de subir. J'ignorais tout ce qui se passait autour de moi sauf cette voix de Costa qui me dit

                                  Merci beaucoup Richard et désolé pour votre ami.

                                  Ce n'était rien, mais mine de rien, ça me faisait chaud au cœur de savoir que quelqu'un me soutenait. Je ne souhaitais pas qu'il m'offre la lune, mais des mots de ce genre suffisaient à me faire plaisir. Je me demandais bien ce que j'allais pouvoir faire maintenant et une chose me vint à l'esprit...

                                  Tuer Ivan de Cimetiero...

                                  Si tout ça avait eu lieu aujourd'hui et les jours précédents, c'était avant tout à cause de ce vil faquin qui avait osé trahir tout un groupe de personnes qui avait accordé une confiance aveugle en lui. Je me disais que si un jour je le recroiserais, j'allais devoir croiser le fer avec lui. C'était de belles paroles, mais je ne savais pas me battre et j'ignorais tout de ses techniques de combat.

                                  J'avais maintenant un objectif clair tout en continuant à aider le peuple.