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L'autre visage de Kamabaka

-Bon... c'est vrai que ça aurait pu être pire. Mais ça m'inquiète, tu sais. Il y a toujours quelque chose de pire que ce qui devait advenir qui arrive, quand je me dis que ça aurait pu l'être, pire...
-T'es vraiment pas bien, frangin. Qu'est-ce que tu veux qui nous arrive ? On est à une terrasse, les pieds dans le sable, le patron est une patronne...
-Sûrement une exilée. Une pauvre fille qu'a fait naufrage ici et qu'a trouvé que ça pour tenir le coup.
-N'empêche, sa bière est bonne. Et pas rose, ni sucrée.
-Ouais, me demande comment elle arrive à vendre ça dans un coin pareil. Sans qu'on lui ai fait fermer sa boutique... eh, tiens, je change de sujet.
-Brillante idée.
-Tu veux pas m'appeler autrement que « frangin » ?
-Quoi ?
-Cherche pas.

Je trinque en regardant ses yeux, franchise et honnêteté, puis la mer. Liberté. J'sais bien pourquoi, au fond. Grosse maladresse, d'appeler « frangin » le mec dont la sœur a été réduite en esclavage si c'est pas pire. La sœur qui devait l'appeler souvent comme ça. Eh, comme quoi je suis pas la seule de cette table à faire des transferts malsains et carrément louches. L'autre soir, avant de m'endormir, j'ai imaginé qu'Andy serait en fait bel et bien mon frère, que ce serait moi qu'il aurait protégé ; qu'on s'en serait sortis tous les deux, et qu'on l'ignorerait. Ce soir là, j'ai bien dormi. Mais je sais aussi que c'est pas bon de vivre en prenant des fantasmes pour des brassards. D'autant qu'on a tous les deux passé l'âge d'apprendre à nager.

-Alors ? Comment qu'elle passe, cette blanche ?
-Super bien.
-Première fois que j'en bois une qu'a pas le goût d'eau de vaisselle.
-On peut reprocher beaucoup de choses à Kamabaka ; mais on y trouve les meilleures variétés de houblon aromatique de toute la Route...
[color:86c0=brown ]-Vous dites ça bien tristement.

-Oh, vraiment ?
-Allez, vous faites pas prier. Prenez une chaise, et racontez-nous votre histoire. On n'a pas grand chose à faire... et je suis curieux de savoir comment une femme seule en est venue à ouvrir un troquet dans un coin pareil.
-J'en déduis que vous êtes des échappés du camp de vacances ? Il paraît qu'on y a logé des marines en permission.
-Ouais. Vous nous dénoncerez pas, hein ?
-Aucun risque. Je ne suis pas en bonne amitié avec eux.
-Je l'aurais parié. Vous êtes naufragée, alors ?
-Franchement, est-ce que j'ai l'air d'une naufragée ? Regardez-moi un peu ce comptoir ; tabourets, bois d'adam ciré, appareils à pression importés de South Blue. Ça fonctionne à dials.
-A quoi ?
-Peu importe. Bref, non, je suis venue ici de mon plein gré, il y a trois ans, avec mon mari. Et si nous sommes venus, c'était en raison des conditions météorologiques et de la géologie exceptionnelles. L'idéal pour la culture du houblon. Température constante toute l'année, avec un sous-sol idéal pour les fermentations basses... l'eau qui coule des sources est parfaitement équilibrée, sans chlore, bien sûr, et assez pauvre en calcium... sans parler des facilités d'importation liées au réseau commercial hors du commun des okamas. Bref. Le rêve du brasseur.
-Parce que la bière c'est vous ?
-Effectivement. Target, Simcoe, Aramis et Citra, tout en provenance de l'île. Mes deux fils et ma fille m'aident à garder le champ en état.
-Et votre mari ?
-Nous n'étions pas là depuis six mois qu'il est devenu bizarre. Déjà, il ne brassait plus. On se tapait tout avec les enfants. Son énergie était entièrement tournée vers la confection d'alcools bizarres, des trucs à base de fleurs, mais d'un mauvais goût... puis petit à petit, il a lâché ses préparations pour la pâtisserie. Je voyais bien que je le perdais, mais quand j'essayais de lui parler, il se fermait. Un jour, j'ai craqué, je l'ai menacé de balancer une jerricane de mille litres à la baille s'il ne parlait pas. Et il n'a rien dit. Au lieu de ça, il est parti les rejoindre. J'ai gardé la jerricane pleine en espérant qu'il revienne, mais maintenant, ça fait des années. Et j'ai eu le temps de la remplir et de la vider trois fois.
-Comment il s'appelle ?
-Baruch. Baruch Friedrich Mounthood.
-Je doute qu'il s'appelle toujours comme ça.
-Moi aussi. J'ai bien essayé de les approcher, mais ils n'aiment pas les femmes. Quand ils ont compris que je cherchais à récupérer un des leurs, ils ont commencé à prendre l'habitude de me chasser à coups de sac à main. Ils sont lourds, leurs sacs à main, vous savez ? Je parie qu'ils les renforcent avec du plomb dans la doublure... Grand Line, quoi.
-On peut peut-être faire quelque chose, non ?
-N'y pensez pas trop. Vous allez sûrement perdre une partie de vos hommes au cours de l'escale. Ils n'hésiteront pas à se retourner contre vous si vous cherchez à les sortir de là. C'est pour ça que Kamabaka n'a jamais été mise au pas par la piraterie ou quoi que ce soit d'autre. Ils sont redoutables, et ils disposent d'armes susceptibles de changer le cœur d'un homme. Je vous en remets une ?
-Oh que oui !
-Avec plaisir. Mais alors, quel genre de clientèle est-ce que vous avez, pour tenir le coup ?
-Des pirates de passage qui ont capté l'aubaine. Ma carte traine sur tous les comptoirs des îles précédentes de la voie. Les révo, je les vois pas souvent, ils sont en bonne intelligence avec les okamas. Parfois, des agents en mission, tous ceux qu'ont envie de rester discrets passent par chez moi. C'est pas la vie que j'avais rêvée, mais on s'y fait.

Elle disparaît un moment, et revient avec de nouvelles choppes, débordantes d'une mousse tellement odorante qu'on la sent d'ici. La fierté dans les yeux. On goûte ça religieusement. C'est épais, épicé, doux, avec un méchant retour de céréales et de fruits comme y'en avait plein sur Orange. Ça nous allume direct de la lumière dans le creux des paumes.

-A propos. Peu de chances pour que ça vous concerne, mais il y a un courant très favorable qui ramène tout un tas de choses sur la plage, juste ici. Et je ramasse souvent des messages dans des bouteilles, ou des colis perdus par les mouettes postales. Ceux qui sont adressés, je les garde, on ne sait jamais... est-ce que l'un d'entre vous s'appelle Stevenson ?
-Non.
-Willameete ? Egami ? Anthurus ? Marcel ?
-Non plus.
-Je m'en doutais. Une petite dernière : celle-là, vous allez rire, je l'ai reçue en treize exemplaires il y a un mois, dans de grosses bouteilles en verre, type magnum à bouchon mécanique. J'avais même fini par interdire aux enfants d'aller se baigner, tant ils risquaient de s'en ramasser une derrière la nuque en jouant dans les vagues...
-Sans rire ? Il y a vraiment de ces foutus maniaques...
-Serena Porteflamme ?
-... je n'existe pas... lalala.
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J'ai pas besoin de parler, ça se voit assez dans mes yeux et dans mon attitude pour qu'elle affiche un sourire ravi, et en même temps épouvanté. Elle a du la lire, cette lettre. J'appréhende le contenu sans pouvoir l'appréhender. Julius ? Peut-être qu'il tente de se retourner. Il a du encore prendre de l'âge, et c'est un vieux solitaire sans enfant... je lui dois la vie en même temps que des cicatrices légères aux pommettes et sur les poings. Mais de là à écrire une lettre en plein d'exemplaires pour les livrer à la mer ? Et puis, c'est un chasseur, il pourrait remonter ma piste...
Alors Rik ? Ah, non, pas Rik. Trop de taff d'écrire, déjà, alors rouler la feuille de papier pour la caler dans une bouteille, ça au moins treize fois... puis aucune raison qu'il cherche à me dire quoi que ce soit. C'est un esprit libre.
Peut-être Oswald, alors ? Sachant que je suis la dernière à lui avoir parlé avant qu'il nous fasse sa fugue, j'en doute... mais alors, qui ? Joe est un illettré, il connait pas mon nom. Il aurait jamais fait ça, même pour se foutre de ma gueule une fois de plus. Adrienne peut passer par le réseau des sœurs pour me retrouver...

Alors qui ?

A TRANSMETTRE A SERENA PORTEFLAMME.

C'est écrit en gros derrière la lettre. Que j'ouvre. Je plisse les yeux. L'encre a coulé. Le bouchon devait pas être complètement étanche... je m'emmerde pas, j'en essaye une deuxième. C'est mieux.



-Serena, ça va ?
-Prends-en une et lis, si tu veux savoir.
-Euh, oui. D'accord.

Aimé... puis le punk. Je capte pas le délire, là. Ça pourrait être une mauvaise blague, mais pour l'échafauder, il aurait fallu que l'auteur soit dans ma tête et ait grandi avec moi. Du coup, ça doit être vrai...

Aimé. Je peux pas dire que je l'avais oublié, mais je le considérais comme quelqu'un qui existerait plus au présent, rien qu'au passé. Les fois où je repensais à lui, c'était toujours de manière fugitive et motivée par l'analogie ; je passais devant une décharge, un jour, avec un costaud qui fouillait dedans. Forcément que je pensais à lui, une manière de faire un détour involontaire dans la mémoire pour interpréter ce qui se jouait devant moi. Mais rarement, j'y mettais du cœur ou du sentiment, pour faire durer ces visions, ces rappels, ces bribes du passé. Tout a toujours été que pour Vaillant...

Aimé. En y repensant, c'est normal qu'il ait continué à penser à moi ; mais alors, pourquoi est-ce qu'il s'est pas mis sur mes traces plus tôt ? Quand je passais mes journées à les perdre en jouant les catins, quand je tuais et que je cognais des innocents dans les rades, quand je m'imbibais les veines pour plus les sentir me ressasser le même ennui et la même colère en circuit fermé, où est-ce qu'il était ? J'étais visible ; au moins rien qu'un peu ; il est devenu chasseur... habitué à traquer des noms et des visages. Alors, quoi ? S'il pensais à moi, pourquoi est-ce qu'il n'était pas là pour veiller sur moi ?

Le Punk. Je sais bien que c'est rien qu'une figure que je me suis imaginée pour incarner un destin possible que j'ai profondément renié, sur lequel j'ai craché pour mieux l'enterrer. Sale ironie de la Fortune qui m'en balance un physique et charnel pour venir me détourner de ma route. Parce que je vais y aller. Bien sûr que je vais y aller ! Si je laissais tomber Aimé comme il m'a laissée tomber, je serais rien que l'ombre de moi-même. Je commence tout juste à pouvoir me mater dans le miroir, et j'suis prête à mettre tout en péril pour pas rebasculer dans le gouffre. La gnôle, les grasses-mat', la déchéance, l'oisiveté.

Et puis, j'suis curieuse. Foutrement curieuse. Parce qu'il y a Joe ; mon objectif premier quand on a eu l'idée de m'envoyer grogner sur la Route plutôt que de me garder sur les Blues. Curieuse de voir quel espèce de petit salaud de bas étage il est devenu ; à quoi ça ressemble, le haut de l'affiche, dans le cœur d'un enfant roi devenu grand en se prenant toujours pour le nombril du monde. Avant Jaya, j'épluchais tous les articles qui parlaient de lui. Ça m'étonne pas qu'il ait fini par trahir le Calhugan. Un roquet, ça peut se soumettre face à un loup, mais ça fait jamais rien qu'attendre le moment où ça pourra lui mordre la couenne impunément. Y'a pas d'âme plus viciée que le Joe. Parce que pour lui, les autres existent que sous deux modalités : moyens ou obstacles. S'il capte la couverture d'Aimé, il en fera son esclave ; il le foutra à poil, il le battra tous les jours, il lui coupera des morceaux, il en fera un sous-homme, puis une bête, puis un insecte, puis une larve gémissante. C'est sa manière à lui de dire au monde qu'il existe : pas laisser de place pour les autres. Penser qu'il faut avoir droit de propriété sur tout, même les gens, et que la richesse est d'autant plus massive qu'elle ne se partage pas.

C'est pour ça qu'il est resté étroit, violent, désespérément con. Tous les despotes sont désespérément cons, quand c'est pas désespérés tout court. Faire saigner le monde, c'est leur manière de dissiper l'ennui.

-Andy, tu vas me détester...
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