La salle est creusée à même la roche de Red Line et, au milieu de ces pierres laissées brutes, aux arêtes encore tranchantes, sur la scène, il y a Ela intégralement nue à l’exception de ce collier explosif qui m’empêche de fuir à peine de la tuer, comme elle l’est en ma présence depuis deux huitaines sur la nouvelle lubie du Maître. Attiser mais jamais donner. Désirer mais ne jamais avoir avant ta mort, chose. La dernière femme que tu voudras, et tu as beau te défendre, crois-moi tu la voudras, t’échappera. Elle est assise est repliée sur une sorte de pupitre, de façon que ne nous soit visible que son dos déjà marqué des sévices passés. Elle est silencieuse. Tendue mais muette.
Bien que je sache que c’est impossible, pour avoir déjà essayé et essayé et essayé toujours, je tâche de m’extirper du fauteuil du parfait spectateur où je suis logé, ma tête impossible à détourner, mes yeux impossibles à fermer à la mode de ClockWork Island. Je suis contraint à regarder, à mémoriser chaque courbe pour les avoir vues cent fois déjà, à conserver, encore et encore, l’image du bourreau qui s’approche, passe sa main sale et grasse et rêche sur la peau dont je ressens en plus chaque pore frémir en réaction. Pudeur, température, simple sens du toucher, peur. La peur sans nom, perverse, sans objet, celle de la douleur inconnue qui va venir.
Je ne fais pas que voir, je vis avec elle, et je m’en maudis, et c’est ce qui me fait hurler si fort à chaque fois malgré moi, et c’est ce qui plaît tant à Glinglin toujours à mes côtés. Il exulte, il attend que je craque encore, que j’assomme de mon aura toute tournée vers le meurtre de ce cafard qui gravite autour là-bas de cette femme, réduite comme moi, pire que moi, à rien, au néant de toute résistance pour le plaisir d’un seul grand malade. Oh, pas besoin de fauteuil spécial, pour Saint Glinglin des Cadenhead, non... Il est tout ouïe, il est tout vue, il ne perdra pas une miette.
Et comme à chaque fois je veux mourir d’abord plutôt que de choisir entre deux options toutes aussi cruelles. Entre essayer de ne rien faire et laisser une main neutre accomplir le méfait, ou céder à la haine, assommer le neutre, et permettre au monstre parmi les monstres de monter lui-même près du chevalet, où il pourra laisser libre-court à ses tares les plus infâmes. Et je brûle, et de la voir elle brûler de honte et de fierté impotente et bafouée, et de le voir lui trépigner à m’observer, et de brûler à ressentir dans mes chairs et dans mes esprits leurs émois tous deux insupportables. Et les douze enfers s’ouvrent sous nous quand le bras armé, d’un fer porté au rouge cette fois et non d’un fouet, là-bas se lève puis redescend vers la peau claire, si claire, luisante déjà du chaud qui va la cuire. Je bous, la pupille de Glinglin est dilatée à ma gauche, sa narine frémit, sa langue bave sur son col mais il n’a d’yeux que pour moi, pour elle, pour
- ELA !
Les chaînes qui me maintiennent ne cèdent pas plus que les menottes de granit, qui me contraignent en permanence même dans la jarre. Les maillons gémissent mais ne rompent pas, résonnent dans mon cerveau comme autant de cloches funestes annonçant la suite. Sur l’autel l’anonyme s’est effondré et de sous sa cagoule perlent les glaires de ses nerfs grillés par ma rage exacerbée. Il est mort autant qu’Ela et Glinglin pantèlent.
- Chic, chic !
Je l’ai vue qui baissait la nuque un peu plus après le soulagement très, trop momentané. J’en suis certain. Et en plein contraste avec ce fatalisme jaillit l’éclat de joie, si clair que la bulle de verre ne l’étouffe même pas, alors que mes muscles, après s’être contractés au sang contre les entraves, retombent sans force. Encore un peu tremblant mais déjà tourné droit vers son but, le Diable a quitté le fauteuil de cuir où il était assis pour pleinement préparer cette suite, prévisible, prévue et fatidique. Il grimpe sur l’estrade avec la souplesse d’un chat, replonge le fer avec trop d’habitude dans la lave de la forge, sur un côté de la cave, et se retourne vers moi, l’œil mouillé des larmes du plaisir bientôt extatique.
- Merci chose, de m’offrir ce délice !
Et au tour désormais de son gant reconnaissant de lécher les peaux offertes d’Ela, tandis qu’il se penche à son oreille pour lui murmurer quelques mots que, contrairement à l’accoutumée, je perçois.
- Et toi, n’oublie pas ta promesse.
Quelques instants encore, infernaux à m’en faire défaillir presque, et la patte du dragon s’abat sur les chairs de celle qui souffre pour moi. La fumée s’élève, et ses beuglements mêlés des miens et des rires du tortionnaire.
- NOOON !!!