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[1626] Faux-Semblants.

Personne.

La voie lui semble libre et voici qu’il s’engage dans la ruelle sombre au cœur de la nuit. Quelques bruits inquiétants lui font dresser l’oreille, la capitale n’est plus aussi sûre qu’avant pour les truands nocturnes, depuis les frasques du Chien Fou et de Lilou Bennet Jacob, chacun en leur temps. On se méfie, les patrouilles n’ont pas été diminuées, les dents des militaires sont aiguisées comme leurs lames et les refus d’obtempérer se règlent rarement dans la paix. Mais lui ne peut se permettre de se faire repérer, la relation publique n’est pas son domaine d’action, pas avec sa tête qui lui vaut des misères à chaque fois qu’il la montre. Quat’Zyeux est un tueur et sa mère était une ivrogne.

Les deux laissent des traces. Son regard est noir derrière les verres qui, de loin, le rendent inoffensif avec la stature courbée, recroquevillée comme celle d’un bibliothécaire, dont il se revêt souvent à titre de précaution. C’est le noir de celui qui a donné la fin de vie. Et, comme si elle avait vu l’avenir grâce à l’absinthe, et peut-être l’a-t-elle bien vu, sa mère a tenu à ce que personne ne s’y méprenne. La terrible cicatrice qui lui zèbre le visage du maxillaire droit au sourcil gauche n’est pas une source de pitié. Elle est dure, comme lui. Elle est horrible, comme lui. Chacune de ses boursouflures, jamais totalement résorbées, fait peur à qui les regarde, comme lui.

Quat’Zyeux est un tueur et dans la nuit de la capitale la fin de sa victime approche, comme sa maison.

Les volets sont clos, sombres, pas un mouvement devant le bâtiment particulier, et pas un chat sur les toits. Le vent est au repos, parti fouetter la mer des docks en contrebas. La lune est masquée par des nuages que roussissent les lampadaires encore allumés, dans les lieux emblématiques de la ville.

Un bruit. L’exécuteur se fond soudain parmi les caisses de matériel déchargées devant les grilles de l’hôtel privé. Des semelles claquent à sa droite, accompagnées de voix à la violence de cri en cette heure trop avancée pour les braves gens. Une patrouille, aussi peu discrète qu’il est possible. Ces hommes compliquent la tâche des mauvaises âmes, mais comme ils sont perceptibles à trois lieues à la ronde, ils ne l’empêchent pas. Tant mieux. Quat’Zyeux se frotte les mains, une crise du marché du meurtre le mettrait en difficulté financière, il doit encore deux ou trois millions à un ponte de l’underground notamment, pour un investissement dans l’immobilier, pour ses vieux jours et les moins vieux de ses nièces. Les uniformes s’ébranlent et disparaissent au coin de la rue.

Il est temps.

Les épaules se redressent, le cou se dynamise, la silhouette gagne presque un pied de hauteur. Le meurtrier franchit l’obstacle des barreaux avec l’aisance d’un chat. Quelques instants de guet à nouveau pour laisser la poussière retomber, vérifier qu’il n’y a pas eu de couac ce soir dans la programmation des rondes, qu’il n’y en a pas une seconde en approche. Personne.

De ses poches, l’ombre extirpe quatre petits accessoires d’acier qu’il fixe, à ses bottes d’abord puis à ses mains. Les griffes ne lui apprennent pas l’escalade mais elles préviennent une chute éventuelle. Il grimpe, et les coudées défilent. Objectif, le deuxième étage, première fenêtre à gauche.

Eh !

Eh ! Vous, là !

Figé, Quat’Zyeux ne bouge pas un cheveu. Comment...
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Arrêtez-vous je vous dis ! Qu’est-ce que vous faites à flâner par ici, je peux savoir ?
Euh, je suis désolé, c’est une zone protégée ? Je ne savais pas, officier, je vous le jure !
Vous êtes qui ? Qu’est-ce que vous faites ici ?
J’habite à trois rues de là, je viens de rentrer de voyage il n’y a pas deux jours, je n’ai pas encore assimilé tous les édits sur le couvre-feu, je suis désolé ! Pitié !

La sueur point, puis perle. D’abord dans la paume des mains, puis sur les tempes. Ne pas bouger.

À trois rues de là, hein ?
Oui ! Je vous assure !

Ne. PAS. Bouger. Même pour pointer les griffes sur le rebord de la pierre saillante là-bas, trop risqué. Le moindre gravillon qui dévalerait pourrait causer la fin de tout.

Allons vérifier ça, vous habitez seul ?
Merci, merci monsieur l’officier. Merci ! Non il y a ma femme et mes

Quat’Zyeux reste mort pour encore un long moment, bien après que les bruits se sont éloignés, eux aussi disparus derrière l’un ou l’autre des coins de la ruelle. Ruelle passante, décidemment. Puis, lentement, lentement comme un caméléon, il reprend son ascension. Le premier mouvement est le plus dur, il faut relâcher tous les efforts d’un coup pour aller prendre la prise suivante, mais sans perdre l’actuelle. Jeux d’équilibre. Ça passe. Respirer. Progresser. Atteindre.

Le professionnel ne peut retenir un rictus d’autosatisfaction quand il atteint le balconnet. Ses muscles lui crient leur tension et il doit s’arrêter une éternité à l’extérieur, dans la bise jamais nulle en altitude, pour reprendre le contrôle et éteindre les spasmes nerveux qui les parcourent. Quelques mèches de sa chevelure, humide de l’effort, lui chatouillent la nuque. Heureusement que je n’ai plus de moustache, se dit-il. La moustache, erreur de jeunesse. Qui croirait qu’un tueur professionnel se soucie de ses aspects de sa vie alors qu’un contrat est à dix toises de lui, en train de dormir dans le lit où il va mourir. Une fois calmé, la fenêtre devient un jeu d’enfant. Les riches préfèrent toujours les lourdes tentures aux volets, à l’étage, et il n’y a qu’une espagnolette à titiller un peu. Le mécanisme se laisse convaincre facilement et joue sans un bruit. Encore un bon point pour ces braves habitants, une serrurerie bien huilée facilite toujours le travail des cambrioleurs.

Indésirable, imperceptible, tapi dans le noir de ses projets, le loup est dans la bergerie.


Dernière édition par John Doe le Sam 24 Oct 2015 - 14:58, édité 1 fois
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Bonjour Edmond.
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Comme dans la ruelle, comme contre la façade plus tôt, Quat’Zyeux s’est figé.

Je pensais bien que tu reviendrais. Tu n’avais pas vraiment la tête d’un valet, et tu regardais trop autour de toi quand le majordome t’a présenté à moi.

Cependant cette fois le doute n’est pas permis. C’est bien à lui qu’on s’adresse. C’est bien à lui que s’adresse la victime qui vient de craquer une allumette, couchée dans son lit, et qui allume d’un geste doux, sans précipitation, la lanterne posée sur la table de chevet. Il y a un instant de flottement avant que le tueur comprenne. Pendant l’intervalle, le vieux monsieur dans le lit se redresse contre les coussins, rajuste un peu les draps autour de lui pour les lisser comme font les vieilles personnes. Il se donne une contenance. Son œil brillant, insomniaque, est vif pour un homme de son âge, mais les circonstances sont particulières. Les mains grêlées de vieillesse courent le long du lé des couvertures à carreaux. Rouge, vert et bleu. Pourquoi toujours ces couleurs dans les couettes des vieilles demeures ? Quat’Zyeux se surprend à réfléchir à ces détails. Il y avait les mêmes dans la maison familiale de son enfance, où il allait avec ses frères et sa sœur, mère de ses nièces.

L’assassin secoue la tête et reprend le nœud de sa cravate après avoir lentement enlevé ses griffes. Il est trop confiant alors qu’il vient de se faire prendre la main dans le sac. Un tel manque d’humilité ne lui ressemble pas, il faut se ressaisir. Un petit fauteuil de cuir est installé près d’un cabinet de toilette dans un coin de la grande chambre. Dessus, des accessoires de femme, inutilisés depuis plusieurs années mais vierges de toute poussière. Madame est partie mais restera toujours. Une œillade au futur mort le lui confirme : il est toujours amoureux d’elle. C’est beau. Elle était belle, elle aussi. Le portrait qu’il aperçoit sur le mur dont il vient, juste en face du lit, est saisissant. Une femme de haut lignage sans doute, peut-être bien une noble d’Alabasta d’après la mise en scène.

Ielana.

La voix du vieillard se brise sur la dernière syllabe du prénom tant chéri. Comme encore habités par la dame, les murs se peignent de feu à l’évocation. La lanterne s’agite, quelques brins de la mèche n’ont pas été correctement imbibés par l’huile et brûlent à sec. Puis tout redevient calme. Une patrouille passe encore en contrebas, le quartier est très surveillé. Ne pas l’oublier en sortant.

Hnhm.

Quat’Zyeux se racle la gorge, il est tout-à-fait serein mais le silence se fait lourd et son crâne commence à bourdonner du vide dans la conversation. Le tuer maintenant ? Il a l’air d’attendre, dépassionné lui aussi. Mais est-ce qu’il se laissera faire ? D’expérience, c’est possible. C’est aussi rare. La plupart du temps, même les plus avancés des aînés voudraient bien profiter d’une dernière huitaine, d’une dernière lune, de dernières années peut-être. Pour voir les petits-enfants s’épanouir, ou pour eux-mêmes. Parfois, certains n’arguent que de respecter le temps naturel. Mais la mort par assassinat fait aussi partie de la vie, depuis la nuit des temps.

Mon fils t’envoie ?
Non.
Érik ? Je n’aurai pas dû dire à ce vieux bouc qu’il serait remboursé à ma mort...
Ce n’est pas Érik non plus.
Alors qui ?

Qui donc ? Je vais mourir, sinon de ta main de celle du ciel. Mon cœur palpite depuis avant-hier, j’ai fait une crise cardiaque le jour d’avant, ma fin approche de toute façon.
Milla, vieil homme.

Il n’y croit pas. Lui laisser le temps d’ingérer l’information. La petite-fille tant choyée, le monde est cruel. Comme souvent, Quat’Zyeux a un soupçon de compassion pour cet homme qui n’était qu’un nom sur sa tournée. Les gens se sentent souvent trahis quand un tueur à gages leur rend visite.
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Milla.
Bois donc.

Toute chose contient sa fin, je crois. À tes, à vos jours heureux. À Ielana.

Le respect de son ton est sincère. Personne ne respecte autant la vie qu’un type payé pour l’ôter. Quat’Zyeux lève vers le portrait le verre qu’il s’est servi au mini-bar en même tant qu’à son hôte, puis le repose en y ayant à peine porté les lèvres. Dommage, le genièvre semblait particulièrement doux. Mais jamais pendant le travail. L’ancêtre quant à lui n’hésite pas bien longtemps, à peine de quoi se remémorer une scène particulière de sa vie avec sa femme. Il prend une petite gorgée, puis une plus large. Sa main tremble quand il repose le cristal à côté de la lanterne. Quelques gouttes débordent sur le bois laqué. D’aussi près, le tueur peut sentir l’odeur particulière de la mort déjà ramifiée, dans l’organisme chétif de l’homme à côté de lui. Sa respiration siffle un peu, son œil est bien un peu jaune au coin. Le drap sur sa poitrine malingre s’élève et chute à intervalles irréguliers.

Ils ont tous peur au dernier instant. Quat’Zyeux sait qu’il aura peur aussi, un jour. Peut-être que ce sera la nuit aussi, comme maintenant. Ce serait sans doute mieux la nuit, plus intimiste.
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Tout va bien, Edmond ?
On m’appelle Quat’Zyeux, vieil homme.
Je connais peu d’hommes qui préféreraient un surnom... aussi... ridicule...

Le vieillard pâlit soudain. Ah non, il va mourir avant d’être tué ! Est-ce que le contrat vaut toujours dans ce cas-là ? Est-ce que des juristes sont spécialisés dans le domaine ? Quat’Zyeux est soudain troublé, la chaleur lui monte au front. Une chaleur étrange, inquiète presque. Il ôte ses lunettes pour les nettoyer méthodiquement avec son mouchoir de poche. Dans la réalité légèrement déformée que ses vrais yeux lui laissent passer, il aperçoit sa victime qui s’agite un peu contre la tête de lit. Il tousse. Il se contracte, une main sur le cœur et l’autre à la gorge.

Ah non !

Le tuer avant, le tuer. Avant. Zut, le binocle est tombé. Tant pis, le tuer avant tout.


Dernière édition par John Doe le Sam 24 Oct 2015 - 15:02, édité 1 fois
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Ah non.

Le vieillard a disparu mais Quat’Zyeux n’est pas tout seul pour autant. Ligoté à sa chaise, il tente de se détourner quand une masse sombre s’avance vers lui. Mais ce n’est qu’une main porteuse de ses lunettes. Les lentilles sur le nez, le monde reprend contours. La main est celle d’un homme plus jeune que lui, avec une balafre noire de la base de la paume jusque haut sur l’avant-bras, sous la manche. Mauvaise balafre, Quat’Zyeux relève que la sienne n’est pas pire, même si plus visible.

Tu m’aurais presque eu à mon propre jeu, Edmond.
Que...

La voix du nouveau larron est chaude, chaude de l’enjouement d’un homme bien dans ses chaussures. Un homme à la stature solide, qui s’affaire de-ci, de-là, dans la pièce, fourrageant parmi les commodes, le cabinet de toilette et le bar, et même sous le lit. Sans précipitation, mais avec la détermination de qui cherche un bien précis. Il s’adresse au tueur comme si la scène était normale.

Ç’aurait été un comble, dame. L’empoisonneur empoisonné...
Je ne
Chut. Tu vas réveiller la maisonnée, et nous ne voulons pas ça.

L’inconnu s’est redressé, l’oreille soudain aux aguets, contre le battant de la porte. Silence maintenu, Quat’Zyeux hésite à en profiter pour crier, mais ça aussi ce serait un comble. Récupérer ses idées. Soudain, dans un claquement de cape, l’intrus se précipite en avant pour, nez contre nez, sonder l’horrible regard noir du non moins affreux tueur Edmond Rossten. Analyser.

Tu es prisonnier, Edmond. Milla n’aura pas son héritage et donc pas de salaire pour meubler ta cellule, je le crains. Dis, tu ne verrais pas mon tricorne, le fieffé m’échappe ?
Mais...
Ah ! Je te tiens.

Éclat joyeux dans un chuchotis. L’anonyme tourne autour d’un tas de tissu près de la porte, dans lequel Quat’Zyeux reconnaît les draps au motif caractéristique de plus tôt. Il n’y a pas que ça. L’homme manœuvre comme un chat, tire d’une botte tendue l’un ou l’autre des coins de vêtements devant lui. Il y a du fauve dans la démarche qu’il a à leur tourner autour, du fauve en chasse de quelque chose qui pourrait s’enfuir. Et soudain, le saut, le combat féroce contre un peignoir, et le tricorne, un vrai tricorne, émerge de la pile. Le cuir rejoint la tignasse courte, dont le visage se retourne vers le type trop sonné encore par la surprise pour avoir esquissé le moindre geste de fuite.

Tu n’auras pas une cellule pour très longtemps je le crains, ceci dit. Alors autant que le brave vieil homme que tu venais décéder en profite de son côté.
Qui...
Je ne suis personne. Tu devrais récupérer ton énergie dans quelques instants, le temps que l’antidote fasse effet. Mais tu comprends, j’ai commencé par moi-même, j’en avais bien trop bu.
Comment...

Le regard vert tendance or se plonge dans le sien à nouveau, sérieux comme la mort. Un filet âcre coule entre les omoplates de Quat’Zyeux avant de se perdre dans les plis de sa chemise, sous sa veste.

Mithridate, Edmond, Mithridate. Un vieux roi des légendes alabastiennes, cette chère Ielana t’en aurait parlé avec plaisir j’imagine, mais après tout je ne l’ai jamais rencontrée. Ah, je vois dans tes pupilles dilatées que le poison se dissipe, ça y est ? On se sent mieux, n’est-ce pas ? Moi je sais que je me sens mieux. Mais ne tente pas de t’échapper, s’il te plaît, pas tout de suite. Moi je n’ai pas très envie de courir et toi tu n’as pas très envie de tomber par la fenêtre. Pense à tes nièces. Demain, une fois livré à ces messieurs de l’autorité, tu feras comme tu l’entends. D’accord, Edmond ?

Un jour, il aura peur lui aussi. Une nuit plutôt, la nuit ce serait plus intimiste.


Dernière édition par John Doe le Sam 24 Oct 2015 - 15:05, édité 1 fois
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Agent Stern ?

Agent Stern, je, euh, je suis désolé de vous déranger alors que vous n’êtes pas là, mais il y a encore un colis pour vous à l’accueil. Le mot joint dit que cette fois c’est urgent même si vous n’êtes pas là, parce que le type à l’intérieur n’a a priori pas beaucoup d’air pour respirer...

Je, euh, je... et il y a un bouquet de fleurs aussi, des, euh, jolies fl... Enfin, des bleues...

Agent Stern ?
Apportez-moi donc les fleurs, si elles sont si belles.
Et le, euh, le colis ?
Envoyez-le à la 306, ils redirigeront.
La brigade pénitentiaire, vous êtes sûre de vous ?

Pardon madame, tout de suite.
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Tu es là ?
Non.

Le café Primeurs. Primaire, l’appellent par trait d’esprit les membres du cinquième bureau qui vont régulièrement s’y délaisser la paranoïa après, parfois pendant, les heures de service. L’établissement est situé juste en face du bâtiment terne où sont joués quotidiennement une bonne partie des sorts du monde. Parfois, une autre partie de ces fortunes sont jouées sur les terrasses avenantes d’ici, au milieu des badauds venus explorer la capitale pour sa place des Fleurs ou son jardin Viktor Baudeler, innocents et inconscients de leur proximité du nid d’espions.

Quelques tables en extérieur sont encore occupées malgré l’heure et l’humidité du soir qui tombe, et un ou deux marchands, venus boire leur dernier café du jour en solitaire, ont levé le nez pour apprécier la présence de l’agent Stern, Mademoiselle Freja quand elle vient ici. Mais à peine a-t-elle franchi les portes du troquet pour aller passer sa commande au comptoir, ils semblent avoir oublié pourquoi ils ont délaissé leur journal. Le monde est fait de mystères, et aujourd’hui l’un d'eux portait une fleur de delphinium derrière l’oreille. Le barman ne fait aucune remarque en apercevant le détail, se contente de lui verser son poison habituel. Quand elle vient ici toute seule, c’est une vodka sèche avant éventuellement un spiritueux moins neutre. Quand elle est accompagnée, juste le second.

Le coin du comptoir où il l’abandonne (la dame aime le calme quand elle sort du service des archives, juste en face, où elle travaille en tant que directrice de département) jouxte les fenêtres sur l’avenue et les lourdes tentures qui les éteignent à la nuit.

Je ne veux plus que tu fasses ça.
Tu l’as dit la dernière fois.
Et puisque tu t’en souviens je puis être sûre que tu arrêteras, donc.
Je me souviens aussi que tu stopperais le terrier à mes trousses.
J’y travaille.

La tenture hausse les épaules.

J’aimerais t’y voir. Sais-tu qui a mandaté Kaas Brick ?
Finnegan ?
Madame Glawdys Finnegan.
Je l’ai déjà rencontrée, elle m’a laissé l’image d’une femme sans doute raisonnable.
Pas tant, lorsqu’elle ordonne pour Neetush Pah.

Votre meilleur rhum, double. Un whisky tourbé pour Mademoiselle Freja.

Elle se raidit après ce silence brisé par la surprise. L’homme venu s’asseoir près d’elle est légèrement voûté, quarantaine poivre et sel. Le barman se fait la réflexion qu’il ne l’a pas entendu rentrer, mais c’est un habitué de l’apparition discrète. C’est un collaborateur de Mademoiselle Freja, un subordonné aux archives, a-t-il dû dire une fois, si sa mémoire est bonne. Pierce, Pierce Haun, quelque chose comme ça. Les consommations se suivent, et à nouveau le garçon leur laisse leur intimité. Quelques nouveaux clients, habitués et moins, viennent passer commande de toute façon. Les premières heures de la soirée. Certains saluent la femme du menton. D’autres collaborateurs, de l’agent Stern cette fois, et qui restent à distance d’elle, occupée qu’elle est avec ce contact dont ils ne perçoivent que la calvitie naissante et le dos de costume élimé.


Dernière édition par John Doe le Sam 24 Oct 2015 - 15:08, édité 1 fois
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J’aimerais que tu ne fasses plus ça non plus.

Sans quitter des yeux ceux de Pierce, et pourtant semblant le traverser pour observer un point situé exactement derrière lui, elle trempe son rouge dans la liqueur ambrée après un toast silencieux à son généreux donateur du soir. Est-ce que c’est l’argent offert par son commanditaire pour avoir capturé Quat’Zyeux ? Les puissants effluves effacent tous les autres, même le rhum prend un peu goût de whisky. Pas désagréable. L’homme déguste aussi. Derrière ses pommettes bleuies par une barbe fournie qu’il a du mal à tailler tous les matins, les arômes se répandent doucement. Un fin sourire naît sur ses lèvres blanches quand il repose son verre. Il devrait sortir plus, penserait quelqu’un d’autre que Stern. Travailler dans un dépôt d’archives, comme dans une bibliothèque, rend blafard.

J’y réfléchirai.
Je ne t’abandonne pas, mais contrairement à toi je suis occupée.
Oh ?
Hmf.
Tu vois quelqu’un ? Le boutonneux à qui mon coursier personnel Kell Kin dépose ses colis ?
Si l’on veut. Non, pas lui.

Les orbes clairs de Freja se recentrent. Ils n’atteignent et ne se fixent que sur une façade camouflant un vide béant dans lequel elle prend garde de ne pas tomber. Les Murins sont un sujet dont elle ne peut pas lui parler. Non qu’elle ait aucun soupçon le concernant, évidemment, mais il voudrait l’aider, elle le voit d’ici. Et ce serait fâcheux, tant qu’elle n’a pas trouvé de solution viable concernant toute cette histoire avec Sainte Neetush. Quelle idée aussi d’être poursuivi par un dragon céleste. D’aussi loin qu’elle se souvienne, l’agent n’a jamais entendu une situation aussi absurde. Et pourtant son domaine d’activité regorge de croustillantes anecdotes, dont celle sur l’ancien espion futur vice-amiral devenu chef de la plus puissante organisation de pirates de Grand Line est loin d’être le sommet. À sa décharge, il n’a pas choisi de l’être. Il faudrait qu’un jour il lui raconte ce passage de sa vie, peut-être. Depuis un an elle n’a eu que des informations de seconde main.

Ton amant te fait rire à distance ? Pauvre homme.

Elle a eu un petit rire nerveux. Imaginer deux caméléons comme eux se raconter leurs histoires jamais arrivées, ou arrivées à des personnes qu’ils n’étaient pas, confine à l’absurde aussi. Mais elle se ressaisit en avalant sa dernière gorgée. Trop de monde présent alentour pour qu’elle puisse se relâcher. En fond, le pianiste attaque son concert du soir, le Primaire devient bar d’ambiance et c’est généralement le moment pour elle d’y aller. Les habitants de Marie-Joie qui ne sont pas ses collègues ont une fâcheuse tendance à devenir des importuns, une fois le soleil couché, et les importuns attireraient trop d’attention sur Mademoiselle Freja, chef de département au centre d’archives d’en face. En face. Du tabouret en face justement, on l’observe, serein comme toujours mais pensif. Ils n’en ont jamais discuté depuis que leurs chemins, communs puis disjoints, les ont ramenés à la capitale, mais il sait. Il sait qu’elle a déjà extirpé tout ce qu’elle a pu trouver sur lui, déformation professionnelle qu’il doit partager, elle en est sûre. Pas grand-chose à trouver, au demeurant. Et réciproque là encore. L’agent Stern n’a pas de passé, elle y a bien veillé.

Bonne nuit, Pierce.
Bonne nuit, Freja.

Du coin de l’œil, il la regarde s’éclipser. Elle traverse avec aisance la foule des consommateurs qui ne s’écarte pourtant pas pour elle. Puis la clochette de la porte tinte dans le brouhaha des conversations multiples, et voilà qu’elle a disparu, sans avoir jamais été présente. Quelques pièces traînent encore dans le veston de Pierce Haun et les consommations sont payées, ainsi qu’un verre pour le musicien qui jouait tout à l’heure un air lointain de Hinu Town. Entre les morceaux de métal, juste avant que la main du barman ne se referme dessus, il avise la fleur bleue dont elle s’est défaite sans qu’il le voie.

Quand l’homme derrière le bar a encaissé l’argent et revient, le tabouret est vide.
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