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Murinerie




Lundi.

Retour à Marie-Joie. J’suis rentré tard, hier. Du coup, j’suis allé me pieuter direct. J’avais profité de ma dernière promotion pour changer d’appartement, aussi. Le petit studio de quand j’étais agent en formation ou de catégorie deux avait bien vécu. Les déménageurs se sont occupés de tout pendant que j’étais ailleurs.
Puis la mission à Silence a été considérablement plus longue que prévu. Tout doit déjà être recouvert de poussière, heh. J’appellerai une aide à domicile pour qu’elle passe de temps en temps. J’aime pas m’emmerder à faire le ménage quand j’suis déjà presque jamais là. Du coup, à quoi bon déménager ? J’sais pas, besoin d’changement. D’un peu plus d’espace, aussi. Le coin est plus calme, plus proche des Bureaux.

Le lendemain, une fois mon rapport rempli et rendu, j’profite de quelques heures de calme pour aller déjeuner à la Taverne de la Dernière Erreur. Comme tous les marins et gens du coin, j’viens jeter un rapide coup d’œil au mât, histoire de voir si des bateaux connus ont fait naufrage, sont disparus, ce genre de trucs.
Les noms défilent, le Prestige Mariejoan, l’éclaireur foudroyant, et un paquet d’autres. Ma dernière venue remonte, en même temps. J’en vois un p’tit, tout en bas, quasiment au niveau du sol. J’le pointe à un gars que j’ai dû voir tellement souventt dans ce bar qu’il fait partie des meubles. Et il est toujours à côté du mât pour chopper des informations et ensuite les colporter. J’crois même qu’il écrit sur les murs, toutes les histoires.
« C’est qui, celui-là ?
- Un lieutenant d’élite, Showl Dark.
- Connais pas.
- Pas très connu, oui.
- Mouais, bon. Et qui c’est qu’a placardé ça ?
- Un type qu’on connaît pas, jamais vu dans le coin.
- Info fiable, donc ?
- Tellement fiable que j’hésite à la virer, cette pièce.
- Haha. »

Le rire qui m’échappe est bref comme un aboiement. De toute façon, celui que j’cherche vient d’entrer de sa démarche claudicante habituelle et son regard examine l’assemblée de marins et, sans aucun doute, d’agents qui zonent dans le coin. J’commande deux bières au comptoir puis j’vais m’asseoir à une table tranquille, dans un coin.
Il lui faut à peine cinq minutes pour venir prendre sa pinte, après avoir discuté rapidement avec le barman et les serveurs. Si quelque chose va mal, ça se lit pas sur son expression.

« Rinwald, hein ? La forme ?
- Ca va.
- C’était bien les vacances ?
- J’étais en mission.
- Et je sais lire entre les lignes d’un rapport. Un mois tranquille à Silence, hein ?
- Presque trop tranquille, cela dit.
- C’est pourquoi ?
- La même que d’habitude, que j’fais en posant des billets sur la table.
- Alors, qu’est-ce que j’ai dans mon sac à malices… Se demande Gilles en empochant le demi-million. Shaïness Raven-Cooper a ouvert un strip-bar à Logue Town.
- Mouais.
- Paraît qu’elles sont mignonnes.
- Mouais.
- Mais paraît que ça va pas plus loin que le spectacle.
- Mouais. J’aurais pu l’apprendre à la machine à café, ça. A tous les coups, ça a fait les gorges chaudes des Bureaux.
- Héhé, oui, c’est l’jeu, tu sais. Cela dit, si tu veux aller davantage dans le cancan, il paraîtrait que le Contre-Amiral Ackbar était à l’ouverture.
- Marrant, pas mal.
- N’est-ce pas ?
- Autre chose ?
- Tu repayes ?
- Oui.
- T’as l’argent ?
- Tu sais bien combien j’ai touché à Silence.
- Tu aurais pu déjà avoir tout dépensé.
- Hm.
- Allez, je te fais pas poireauter plus longtemps. Il se passe des trucs dans les Bureaux du CP5, aujourd’hui.
- Tu peux m’en dire plus ?
- Non, je te laisse la surprise.
- J’aime pas les surprises.
- Comme tout le monde, c’est ça qui sera chouette, justement. »

J’raque, pasque c’est l’deal avec Gilles le Traitre, et que si y’en a un qu’il vaut mieux pas se mettre à dos, quand on se s’informer sur ce qui se passe dans le Cipher Pol, c’est bien lui. De sa position au CP0, il est au courant de tout ce qui se passe, et surveille particulièrement les gens qui lui rendent fréquemment visite pour l’aider à arrondir ses fins de mois déjà confortables.

Délesté d’un million et demi au total, j’me décide à aller jeter un coup d’œil à ce qui se passe au bureau, bien que j’sois normalement de repos. Tout mon instinct me dit que ça daube du fion, mais en même temps, j’me sens tellement concerné que j’peux pas m’empêcher d’aller voir.
Il fait bon dehors, la fraicheur de l’air entame pas ma marche énergique et m’empêche même de surchauffer. Marie-Joie est toujours autant la Capitale du Monde, et surtout l’endroit où j’ai grandi. Les grands immeubles sont, en tout cas dans cette zone, tous en bon état, loin de la décrépitude qui touche certains autres coins. Et le niveau de sécurité est difficilement discutable, avec le nombre de Marines au mètre carré, et les Bureaux présents dans le coin.

Et dire que ça n’a pas empêché le Chien Fou et l’Ingénieur Jacob de tuer un ponte et d’disparaître… D’une manière ou d’une autre, un sort plus ou moins enviable. Limite Tahar Tahgel qui s’en est le mieux sorti, au moins, personne viendra le chercher six pieds sous terre et sous mer.

En arrivant au Cipher Pol, j’dépose mon formulaire de don de six millions à l’accueil, pour la caisse de retraite des anciens agents. Ils sont pas bien nombreux, mais ça leur remontera le moral. Puis ça fait bon genre de penser aux anciens, que les p’tits jeunes aient plein de considération. Ca fait que les plus vieux qui vont bientôt partir glander le reste de leurs années en paix t’aiment bien pasque tu leur files du pognon.

Politiques, heh.

Au-delà de la réceptionniste, l’ambiance des bureaux est toute autre. Quand j’rentre, on m’jette des regards en coin, tendus, suspicieux, et on salue à peine. Pas qu’on soit hyper convivial, mais quand même. D’habitude, c’est… moins pire. Là, les gars sont penchés sur leurs dossiers, les feuillettent frénétiquement, tout en lisant à toute allure.
Evidemment, ça m’met sur mes gardes direct. J’enchaine les salles jusqu’à arriver au coin où s’trouve mon propre bureau. Tous les tiroirs sont ouverts, des feuilles éparpillées dessus. Ca fait plaisir, y’a pas à dire. J’croyais qu’une des règles d’or du Cipher Pol, c’était qu’on espionnait les autres, pas nous-mêmes. Que ça, c’était la spécialité du CP zé… ro…

Hm. Ca mérite réflexion. Réflexion qui s’arrête quand, d’une salle de réunion quelconque, une blonde truculente sort, chapeau sur la tête, chemise fantaisiste. Elle ressemble plus à une ressortissante de Hat Island qu’une agent. Et inconnue au bataillon, même si ça, c’est pas si surprenant.
« Ah. Agent Rinwald, vous tombez à pic. Venez.
- Quel motif ? »
Elle soupire.
« Agent Ri Solète, CP0. Entrez. »
J’cligne des yeux. Putain.

Dans la salle, sur la table imposante, des piles de dossiers. D’autres, par terre, sur les chaises. Solète dégage un tas pour me faire une place et m’invite à s’asseoir en face de la seule personne présente. L’homme, la quarantaine bien avancée et la mèche bien gominée, m’observe fixement. Il est sappé comme au siècle dernier, aussi, et renvoit pas vraiment une impression de sympathie.
« Agent Rinwald, je vous présente l’agent Martins, de la Brigade des Affaires Internes également. Nous avons quelques questions à vous poser.
- Ah… Euh… Très bien, que j’dis en prenant mon siège.
- Vous savez pourquoi vous êtes là ?
- Non.
- Vous êtes sûr ?
- Oui.
- Est-ce parce que vous vous considérez irréprochable ou est-ce parce que vous avez commis tellement d’actes qui ne correspondent pas aux attentes des Bureaux et du Gouvernement Mondial que vous ne savez pas lequel vous vaut votre présence ici ?
- Irréprochable.
- Très bien. C’est bon à savoir. Nous allons continuer à éplucher vos dossiers. D’ailleurs, vous connaissez vos conclusions psychologiques ?
- Pas plus que ça, à part que j’suis apte à continuer.
- Nous avons obtenu l’autorisation de vous équiper d’un collier explosif pour toute la durée de l’enquête.
- Attendez voir… Un collier explosif ? Sérieux ? Comme les esclaves ?
- Tout à fait Agent Rinwald. Il serait regrettable que vous préfériez vous soustraire à l’investigation en cours.
- Dites, c’est pas du tout mon genre de…
- D’aller exercer votre métier en freelance à l’autre bout du monde ? Nous pensons que si. Vous vous présenterez également au Bureau tous les matins à huit heure et tous les après-midi à treize heure. En cas d’absence, nous ferons évidemment exploser le collier.
- On peut dire quatorze heure pour le vendredi ? C’est le jour où il y a frites à volonté à la cantine, on y reste toujours un peu plus longtemps.
- Hm, si vous voulez, accepte-t-elle, surprise. »

On prend les petites victoires là où on les trouve, tandis qu’on me place mon beau collier juste sous le col de la chemise. L’autre a pas décroché un mot de toute la discussion. Et comme il a pas l’air d’un p’tit nouveau à qui on montre les ficelles, il doit être celui qui commande le binôme.
Mais, au fond, j’m’en fous. Ce qui m’turlupine, c’est quand j’repasse dans ma tête tout ce qui s’est passé, du plus récent au plus ancien. Les vieux trucs doivent déjà être sortis ou ressortiront jamais, t’façon. Y’a bien cette fois mais…

J’sors à peine de la salle de réunion que la porte de René Reginald Scorpio s’ouvre en tapant fort contre le mur juste derrière et qu’il gueule « RINWALD ! DANS MON BUREAU IMMEDIATEMENT ! ». Bon. C’est l’heure d’aller jeter un coup d’œil ailleurs, pas vrai ? On va s’marrer un coup avec Scorpio et sa réputation d’être incroyablement tendre avec ses agents.
J’vais pour m’asseoir aussi, mais fait non de la tête.
« Rinwald, vous restez debout. Vous savez pourquoi vous restez debout ?
- Oui, Monsieur. C’est parce qu…
- Parce que je suis extrêmement irrité, Rinwald, voilà pourquoi. Et sachez que quand je pose une question réthorique dont vous connaissez la répondre, vous serez bien aimable de fermer votre clapet. Privilège de supérieur, compris ?
- Oui, Monsieur.
- Bien. Vous allez m’expliquer précisément pourquoi vous avez été convoqué par le CP0.
- Je ne sais pas, Monsieur.
- Comment ça, vous ne savez pas ?
- Je ne suis pas totalement certain de la raison qui m’a valu cette convocation, Monsieur.
- Bien, laissez-moi vous donner un petit indice. D’après mes informations, cette enquête est née d’une plainte déposée formellement par le CP1. Vous connaissez les missions du CP1 ?
- Oui, Mon… Non, Monsieur.
- Allez-y.
- Maintenir des liens diplomatiques privilégiés avec les royaumes du monde entier ainsi que faciliter les procédures d’adhésion des îles qui ne font pas partie du Gouvernement Mondial. Et ralentir et bloquer le plus possible les procédures de sortie.
- Bien. Maintenant que vous savez que c’est le CP1 qui est à l’origine de cette enquête, pouvez-vous supputer pourquoi vous avez été convoqué ?
- Oui, Monsieur.
- Allons-y, donc. »

J’tire sur mon tout nouveau collier qui me gratte pas mal le cou. Scorpio a pas l’air de rigoler des masses et, s’il sait pas pourquoi j’suis allé en réunion, il le saura rapidement, rien qu’en lisant mes rapports. Ou en les faisant lire à un gratte-papier, plutôt. Bref, aucune raison de…
« Monsieur, je pense qu’il s’agit d’une mission menée dans le royaume d’XXX. J’y ai éliminé une filiale révolutionnaire indépendante. Puis j’ai, comme qui dirait, euh…
- Oui, Rinwald ?
- Assassiné le souverain en place. »
Il soupire, se masse les tempes. L’image même du chef ployant sous le poids de la stupidité de ses collaborateurs. Ha. J’rigolerais presque si j’étais pas autant dans la merde et que Scorpio fournissait rarement une raison de s’marrer.
« Il m’a semblé percevoir que l’attitude du roi en place fournissait un terreau bien trop fertile de révolte et qu’il semblait donc plus judicieux de l’éliminer immédiatement. La suite des événements, avec un roi bien plus soucieux de son peuple, m’aurait donné raison. De plus, en faisant porter le chapeau à un révolutionnaire, je me suis assuré de les décrédibiliser dans l’opinion publique et…
- Toujours est-il que le CP1 n’est pas satisfait, et si moi je suis ravi de les voir se plaindre, je ne voudrais pas que ça ait des répercutions sur MON Bureau, compris, Rinwald ? Je vais donc laisser l’enquête suivre son cours et vous allez subir de plein fouet les conséquences de vos actes, idiots au demeurant.
- Bien Monsieur, oui Monsieur.
- Et maintenant, SORTEZ ! »

Après avoir doucement refermé la porte après moi, j’relâche doucement mon souffle. Rétrospectivement, ça s’est plutôt bien passé. Quand j’me retourne vers mon bureau, y’a l’Agent Stern qui y zone. C’est que j’commence à devenir drôlement populaire. Allez, j’suis plus à ça près.
« Agent Stern ? Quel bon vent t’ amène ?
- Ca te dirait d’en parler ailleurs ?
- ‘Sûr, j’ai plein de temps libre. »

Jusqu’à demain matin huit heure précise, plus exactement.

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Les cordes graves nous parviennent dès le parvis du Bureau, bien avant les aiguës de la guitare principale que nous ne percevons qu’après avoir traversé la place. Les musiciens du soir sont déjà à s’échauffer sur la scène, devant ce qui n’est encore qu’une maigre foule majoritairement composée de touristes. La plupart des collègues sont restés à subir le feu du Zéro sur ordre de Scorpio, et en leur absence le Primaire a encore l’atmosphère particulière des salles de concert en journée : vide, bruits parasites, conversations décorrélées de la musique en train de se jouer, et fumées de tabac éparses qui le partagent à la poussière dans les rais de lumière naturelle.

Rinwald me suit au comptoir, où Lloyd m’a déjà servie. Le sourcil arqué sans en avoir l’air, attentif distillateur de ses boissons, il attend le choix de mon collègue qui peine à choisir comme souvent. Dès qu’il ne faut plus se fondre dans un milieu pour une mission, retrouver les goûts de qui ils sont fondamentalement semble un problème pour beaucoup d’agents. Il le masque mais est distrait aussi par le collier sous sa cravate. Parfait, il n’en sera que plus réceptif. Je laisse les mélodies parfois abruptement interrompues du quatuor se répandre. Sympathiques. Il veut prendre l’initiative.

Tu aimes le jazz ?
Hors-propos.

Il hoche la tête, pas vraiment surpris ni dépité par ma réponse. Nous sommes sur la même longueur d’ondes et c’est tant mieux.

En gage de bonne volonté.

Appréciateur, il sirote de lèvres distraites son poison. La pochette beige que je lui tends l’attire, forcément. L’information se vend cher dans notre métier. Ma franchise, par contre, le rend circonspect. Tant mieux. Je surveille machinalement les têtes aux tables alentour pendant qu’il prend connaissance de l’amuse-gueule sur l’homme qui a détruit sa famille. Il a fallu beaucoup creuser pour excaver la suite, heureusement que John a pu m’aider au pied levé hier, je n’aurais pas eu le temps de préparer ça avec les Affaires Internes sur le dos. Heureusement aussi qu’ils se concentrent sur Rinwald pour le moment. Personne de suspect, et Lloyd est hors de portée de voix. Le grand brun s’allume une tige à cancer et se recentre sur moi. Heureusement aussi que j’ai eu le temps de construire ma stratégie grâce à l’avertissement de Drahez. Vérifier pour quelle raison tordue autre que rembourser mon petit service de l’an passé il m’a prévenue. Il est déjà parmi les suspects.

Ça n’s’arrête pas à la page 2, j’imagine ?

Je pense que John voudra me livrer un autre colis demain, en compensation. Il faut vraiment que je lui trouve un autre exutoire. Inutile que je réponde, Rinwald sait comme le négoce tourne. Il agite son mégot entre ses doigts comme pour dessiner dans l’air avec les volutes grises.

Quel genre de bonne volonté tu attends de moi en échange ?
Aucune. Je t’offre aussi une chance de clouer le bec de De Vimille.
Je ne vis que pour apporter le sourire à notre bon guide Scorpio. Je t’écoute.
Il y a différentes qualités d’os à ronger et tu es loin d’être le haut du panier.
J’ignore comment je dois le prendre...
Prends-le bien. Les molosses aussi prendraient bien que tu leur tendes meilleur que toi.
Ta générosité est légendaire, St
Freja, ici.
Une question me taraude, Freja. Pourquoi ne bénéficié-je de tes faveurs qu’aujourd’hui ?

Près de la scène, quelques applaudissements que je reprends. Zut, le guitariste à l’oreille trop affûtée me repère, agite son chapeau, me sourit et cligne de l’œil. Il est limpide que je suis généreuse parce que j’ai besoin de l’être et pas par disposition d’âme, mais j‘hésite dans le choix de mes mots pour Rinwald, tout en douchant froid du regard l’artiste. Il abandonne, blessé dans sa fierté.

L’os est trop gros pour moi, et les molosses pourraient en faire partie.
Traduction : ça t’arrangerait aussi qu’ils chassent un plus gros os et tu as besoin d’aide ?

Je tiens son œil gris et me mordille la langue plutôt que la lèvre. L’alcool pique aussitôt la micro-blessure. Toujours cette manie qu’ils ont de se placer sur le piédestal du bon sauveur alors qu’ils vous mangent dans la main... Mais soit, si ça peut le rendre plus efficace.

Comment puis-je t’aider, très généreuse Freja ?
L’os est a priori un écheveau de cinq fils, dont j’ai identifié le premier.
Un écheveau ?

Le grand moment. Ces mois à recouper les informations a priori sans lien. J’observe la routine de Lloyd en train de sécher sa vaisselle, qu’il repose ensuite soigneusement sur les étagères derrière lui.

Un groupe parmi les molosses s’est formé, qui veut les soumettre à sa propre vision des os à ronger.
Des traî...

Je repose mon verre en le claquant contre le bois de la table pour l’interrompre. Quelques collègues du cinquième chiffre, quelques confrères des autres bureaux également, sont rentrés depuis dans la salle, ils sont assis un peu partout autour de nous. Aucun ne figure parmi mes suspects, mais je préfère être prudente. Rinwald apprécie l’information avec la fin de son propre verre.

Et le problème avec ce premier fil ?
C’est une brute à grandes oreilles.
Quelle branche ?
Le jeu par équipe.
Hu-ho, je vois.

La perspective d’aller chasser dans les terres gardées par Ao Novas le fait se refermer un peu, son visage se renfrogne tandis qu’il écrase sa cigarette déjà éteinte depuis un moment. Mauvais souvenir peut-être ? Je n’ai rien vu dans son dossier à ce sujet mais je n’ai pas pu accéder à l’intégralité. Il faudrait que je profite de ce que les Zéros ont tout étalé pour compléter mes fiches. Trouver un moyen d’éloigner Solète et Martins des livres ouverts pendant quelques moments. Tolérer les colis suspects et encombrants de John un peu plus, peut-être, finalement ?

Un bouchon qui saute au comptoir, des mains expertes de Lloyd, me rappelle que l’heure avance. La salle ne cesse plus de se remplir et les clients au comptoir s’amassent, les conversations des autres deviennent envahissantes. La lumière baisse et les premières lampes à huile s’allument. Les musiciens, sortis de la scène il y a peu, commencent à réapparaître. Je pointe du doigt à Rinwald le feuillet brun sur lequel il a négligemment posé son avant-bras, pour appuyer sur le bonus que j’aurais très bien pu me passer de lui offrir en plus du reste. Il en fera bien ce qu’il veut mais ça lui est accessible, et pour si peu. Wilson est en effet un gros bras dont il devrait pouvoir se tirer, si j’en crois le rapport sur la mission à Silence et son arrestation musclée de Lemure. Resterait à trouver un moyen de le soustraire à ses collègues du huitième bureau sans heurts excessifs. Resterait à l’avoir convaincu.

Si ton collier te gêne pour dormir cette nuit, passe me voir.
Dès cette nuit ?
Demain, porte 5-24. Ou ici, avant huit heures.
Pas de concert entre collègues, donc, tristesse.
J’ai à faire.

Congé signifié, quelques pièces roulent là où se trouvait le dossier sur la table. Ses yeux sont légèrement interrogatifs alors que je ne bouge pas pour ma part.

J’ai à faire ici, Alric.

Il s’éloigne, anonyme comme nous tous parmi la masse. Ils rient et dansotent et chantonnent en rythme. Je rejoins le coin du comptoir où une vodka solitaire m’attend de frais. Je ne distingue pas un pli qui bougerait dans les tentures.

Tu es là ?
Non.
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J’sors du Primaire, l’enveloppe brune à la main. Tout dans mon attitude démontre ostensiblement que j’veux pas causer, donc les collègues qui zonent vaguement dans le coin m’dérangent pas. Un des avantages du Cipher Pol, c’est qu’on décrypte toujours tout le monde, donc on peut aussi communiquer comme ça. Et là, j’ai pas du tout envie de communiquer.

Demain, à tous les coups, les rumeurs courront dans le Bureau. J’ai pris un râteau par Stern.

Cela dit… C’est plutôt exactement ce qui s’est passé, même si j’avais d’autres choses en tête aussi. Mon beau collier. Scorpio qui m’laisse me démerder. Cinq petits traitres qui trainent. Une enveloppe sur une porte du passé qu’en quasiment onze ans au Cipher Pol j’ai jamais voulu ouvrir. Les informations détaillées sur le gars qu’a évincé mon père de l’administration marijoanne et qui s’est remarié avec ma mère, que j’ai jamais revue. Sale histoire, putain.
J’secoue la tête. L’enveloppe, plus tard, j’vais même pas l’ouvrir maintenant. Stern qui veut s’servir de moi, on laisse de côté aussi. L’important, c’est ce qui va m’tomber sur la gueule à coup sûr quand le CP0 aura tiré tout ce qu’il voudra du CP5, comment Scorpio va probablement essayer de m’faire porter le chapeau pour le plus de trucs possibles, et des traitres dans la zone qui peuvent m’servir de contrepoids dans la balance.

Et surveiller mes arrières des fois que des CP1 se sentent de se faire justice eux-mêmes ? Possible, on dédaigne pas quelques leçons amicales et taquines entre nous.

Chiasserie.

Quelques heures plus tard, j’passe devant Stern au Primaire.
« Ca va, le collier ?
- Ouais, j’ai mis un foulard de soie entre pour pas que ça gratte trop.
- Très bien. Prêt à y aller ?
- Où ?
- Faire une partie en équipe.
- Ouais. C’est où, du coup ?
- On ne va pas tarder à le savoir. »

Pas tarder, pas tarder… Plusieurs heures plus tard, toujours rien. J’ai eu le temps d’vider mon paquet de clopes pendant qu’on attend dans nos silences individuels. A des tables éloignées, mais dans le champ de vision, on commande tranquillement, en écoutant les concerts, le brouhaha des conversations. J’ai deux ou trois collègues qui passent faire un peu la causette, ce coup-ci.

Dans tous les cas, mes petites affaires m’occupent assez. Le temps de trou est pas perdu de mon côté. J’aurais p’tet dû prendre l’enveloppe au lieu de la laisser chez moi, finalement… Faudrait que j’me penche là-dessus d’ailleurs, histoire de pas être victime de l’asymétrie d’information qui domine actuellement nos rapports. Puis c’est mal élevé de fouiller les placards des petits camarades. J’la vois mettre la main à la taille. Elle décroche, écoute, puis se lève dans un mouvement parfait. Pas besoin d’un mot pour que j’la suive, j’ai rien d’autre à foutre, de toute façon.

Dehors, il se fait tôt plutôt que tard, et même un peu frisquet. Le genre dernière heure avant l’aube. J’remonte le col de mon pardessus, à la fois pour cacher le bas de mon visage et surtout pour bloquer le vent. On marche côte à côte sur les pavés qui deviennent un peu inégaux à mesure qu’on s’enfonce dans la ville. Faut croire que le gars avait pas tant envie de vivre dans un beau quartier ?
Mais mes aprioris s’avèrent faux quand on revient dans le coin où j’ai emménagé récemment, tiens. Un peu plus et il sera mon voisin. En tout cas, y’a davantage de lampadaires, et on croise même une patrouille de la Marine qui surveille les environs, sans s’arrêter plus que ça sur nous. Presque dommage qu’on soit pas des révolutionnaires en goguette.

En bas d’un immeuble, un type adresse un discret signe de la tête à Stern. Elle s’dirige vers lui. J’le zyeute. Casquette, brun, pas bien grand, pas bien remarquable. Doit être un sbire quelconque. Quoique, ça paraîtrait bizarre si le Cipher Pol est noyauté, de faire appel à un type en interne… J’fouinerai, si j’m’ennuie.
« Il est dans son appartement ?
- Troisième étage, porte de droite, rentré il y a une quinzaine de minutes. Il n’est pas encore couché.
- Alric, tu te sens de le maîtriser ?
- On verra. Je monte, un couvre la porte de devant et l’autre l’arrière ? S’il passe, je serai probablement sur ses talons dans tous les cas. »
Les deux hochent la tête. Personne est très bavard. J’me demande si j’suis pas en train de faire la sale besogne pour, justement, un traitre potentiel. Ca serait éminemment possible, mais pour le moment, à part continuer à m’enferrer et en essayant de me renseigner en chemin, j’ai pas grand-chose à faire à part attendre que le CP0 finisse de jouer avec moi.

J’rentre dans l’immeuble qu’ils ont toujours pas décidé qui couvre quoi. Le temps que j’monte au troisième étage, puis toque poliment à la porte, ils sont sûrement calés. Stern reste agent, quand même. Il faut à peine deux minutes pour que des bruits de pas retentissent de l’autre côté du battant de la porte, que le judas s’actionne, puis que la porte s’ouvre devant mon air civil et amical.
L’individu est de taille moyenne, un peu d’embonpoint, du blanc dans sa chevelure relativement opulente et un gros bouton sur la joue, pas loin de sa moustache fournie. Il est toujours sapé, par contre, quoique sa chemise est entrouverte légèrement. J’crois que j’arrive au bon moment.
« Bonsoir. C’est pour quoi ?
- Brigade des Affaires Internes.
- Hein qu… »

Il a pas le temps de finir son exclamation de surprise que ma main se plaque sur sa bouche et, le tenant fermement, j’le projette à l’intérieur de son appartement cossu. Deux doigts de mon autre pogne s’enfoncent dans son gras et frappent le foi. Il a tenté d’utiliser un Tekkai, trop lent. J’sens son glapissement à travers ma paume. J’avance et j’ferme la porte derrière moi.
D’une balayette j’le fais chuter. Il commence enfin à s’défendre sérieusement. Son genou heurte ma hanche, pas assez fort. Le mien s’écrase sur son ventre, lui coupant le souffle. D’un mouvement du poignet, j’dégaine un surin que j’appuie juste sous son œil. Un Shigan marcherait aussi, mais c’est vachement moins suggestif que le Rokushiki, pas forcément discernable d’une technique plus classique d’arts martiaux.

J’pose un doigt devant ma bouche en signe de silence pendant qu’il halète, puis acquiesce. De ma poche, j’sors de la corde, que j’utilise pour l’attacher fissa. J’lui fourre aussi un mouchoir dans l’museau, puis j’vais rapidement dans les autres pièces sans rien allumer, en larguant le gars dans son salon. J’ouvre une fenêtre. Cours intérieure, raté. Une autre, et j’ai la rue de derrière que j’cherchais. Un signe de la main, et l’inconnu monte. Il préviendra Stern en montant, comme ça.

Assis dans le salon du mec, j’lui retire son bâillon et j’commence à fouiller. Il sait que s’il commence à parler un peu fort, ça va mal se passer pour lui. Rapport qu’on est pas des tendres au Cipher Pol, et qu’il le sait de première main.
Les deux autres arrivent et on met à sac son appartement avec méthode. On l’a rebâillonné, finalement. On regarde les tiroirs, on cherche des double-fonds, on vérifie sous les matelas, dans les coussins. On suit le manuel, puis on va un p’tit peu plus loin. Après tout, le livret explicatif, il l’a eu aussi. Et, pendant tout ce temps, on garde les yeux sur lui pour déterminer le moindre signe qu’on approche de quelque chose. Rien, il connaît l’truc aussi.

Dehors, ça fait un moment que l’jour est levé. Ca m’rappelle justement qu’il faut que j’sois au Bureau bientôt.
« Bon, faut que j’y aille. Sinon, Solète et Martins vont faire la gueule. »
Stern hoche la tête, l’autre moufte pas. Pas muet, il était à l’escargophone, mais pas loin. C’est Wilson qui sursaute en entendant les deux noms. Ses mirettes s’écarquillent. Et ça n’a échappé à personne.

Un autre filon à creuser pendant que j’me fais recenser comme présent.

Mardi.

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Stern, c’est ça ? Ta réputation te précède...

Wilson profite du départ de l’homme qui l’a maîtrisé, pour essayer de reprendre l’ascendant. Pendant que je fouille encore un peu çà et là, je sens dans mon dos son œil torve qui me reluque des pieds à la tête. Ce n’est pas de la lubricité, il est en trop mauvaise posture pour se le permettre ou même y songer et c’est sans doute seulement sa moustache qui le rend inquiétant, mais je n’ai pas la patience de m’en soucier. La soirée à attendre les informations de John m’a tendue, je le lui laisse le bénéfice du doute : il rappelle dans sa tête ce que ma réputation lui dit sur moi, ce qu’il pourrait utiliser comme prise pour redresser la barre. John, justement, ne bouge plus quant à lui. Il est adossé contre un mur près de la fenêtre sur cour, bras croisés, et sonde le Murin.

Toi je ne te connais pas, par contre. Je n’ai pas retenu ton nom, d’ailleurs... ?

Le ton persifleur de Wilson manque sa cible, John ne sourcille même pas. Je crois qu’il m’en veut de lui avoir encore demandé de passer cette nuit à m’aider sans lui expliquer de quoi il retourne, après la précédente. Il sait que cet homme entravé est la clef de beaucoup d’informations qui l’aideraient à comprendre, et c’est ce qu’il doit pondérer en cet instant. Mais nous ne trouverons rien ici et, même si la contrainte horaire n’est pas aussi vitale que pour Alric de mon côté, il faudra aussi que je pointe au Bureau, à peine d’être remarquée par les mauvaises personnes alors que c’est ce que je cherche à éviter. Il fait plein jour derrière les rideaux. Et pourtant Wilson ne peut rester ici, la grande famille de ses collègues ne tardera pas à le chercher. John a soudain un fin sourire en coin, se décolle du mur et se rapproche d’un pas doux du centre de la pièce. Il porte une main calme à la poche de sa veste et se penche vers le moustachu en lui laissant le temps de s’imaginer juste ce qu’il faut. Quand ses yeux percent ceux de Wilson, il attend encore un peu puis chuchote en détachant bien les syllabes.

Dommage, Solète et Martins m’en voudraient tant si je t’abîmais...
Ha ! C’est tout ce que tu as ? La menace ? Tu sais qui je suis ?
Aucune idée.
Hngm !

Le bâillon remis dans la bouche ouverte de surprise étouffe le cri, tandis qu’un poing lourd s’abat sur sa tempe et finit le travail de Rinwald. Wilson s’endort et John entreprend de le détacher de la chaise pour le saucissonner plus finement, au sol. Appliqué, il me tourne le dos tout du long.

Solète, c’est une collègue ?
Vois-la pour Alric comme Kaas Brick pour toi.
Et pour toi ?
Potentiellement la même.
C’est elle qu’il connaît. Plutôt en mal.
Pas Martins ?

Il ne répond pas, l'information devait être évidente dans les iris de Wilson. C’est à peine si j’attrape une lueur d’indifférence dans son regard tandis qu’il charge le colis sur son épaule. Il grogne, le bougre doit peser son poids. Je vais pour l’aider mais il m’indique sa casquette tombée à terre dans le mouvement. Sa mauvaise humeur me rappelle à la mienne, je me pince le nez. Il a déjà atteint la porte à l’arrière de l’immeuble quand je le rattrape après avoir remis un peu d’ordre et fermé l’appartement. Wilson échoue sans soin dans le fiacre que John a prévu. De sous le corps inconscient, il extirpe une capeline de cocher et l’enfile. Le couvre-chef que je lui tends finit dans une poche alors qu’il revêt son tricorne, celui qu’il portait quand nous nous sommes rencontrés sur South Blue.

Je vous le garde au frais. C’est tout ?
Merci.

Douchée, changée, j’arrive tard au Bureau, la réceptionniste me fixe trop longtemps avant de plier. Je me demande quels ragots vont filer au café de mi-matin. J’espère juste que Rinwald ne vient pas de passer les portes... Non, il serait mort avant que ce ne soit le cas. Mon bureau est bien rangé quand j’y arrive, le Zéro n’a pas encore trop débordé du dossier Rinwald. Seulement une question de temps. Je flâne un peu en observant les allées-venues vers le bureau de Scorpio, vers celui vide de Yakutsuki. C’est assez calme, peut-être un peu trop. Je mets le nez dehors à la pause. Pas de trace d’Alric. L’avantage de travailler dans un univers où tout le monde se tire dans les jambes cependant est que tout le monde se renseigne sur tout le monde. Quelques banalités échangées avec les collègues m’apprennent entre autres qu’il n’est pas mort. Pas de ragots sur moi, peut-être dans mon dos. Solète et Martins quant à eux sont toujours dans la salle qu’ils ont réquisitionnée, je peux entendre la voix de la blonde derrière les piles de dossiers.

Ils n’en sortent pas avant midi, c’est mon moment.

Agent Stern ?
Quoi ?
Je, euh...

John. Cette fois il faut que je « signe un accusé de réception ». Je fulmine en arrivant à l’accueil. Kell Kin me tend la planche que je griffonne avec un geste d’énervement mal contenu. J’en déchire presque le papier. Il se cache derrière sa casquette pour esquiver mes œillades furibardes et inquisitrices. Le colis n’est pas un homme cependant, pas à craindre que ce soit Wilson qu’il vienne me donner pour me mettre dans l’embarras. Il repart après m’avoir tendu une toute petite boîte dans laquelle rien ne bouge quand je la secoue près de mon oreille. Sur le bordereau qu’il y a joint, je lis après quelques pas trois mots qui m’enlèvent un peu de ma colère, en même temps qu’ils me rendent nerveuse. « Trois sonneries déjà. »

L’avatar de John a disparu quand je me retourne vers la réception. Je déteste quand il fait ça... Je remonte quatre à quatre dans mon bureau, mais une silhouette me bloque l’avant-dernier palier. Ri Solète n’a pas pu apercevoir le colis, glissé dans ma poche par réflexe. Par contre, elle note mon essoufflement. Maudite fouineuse. Elle remonte la visière de son chapeau ridicule pour mieux me regarder, faussement soucieuse. Je n’essaie pas de l’éviter, ce serait me trahir.

Un problème, agent Stern ?
Un stupide colis.
Vous recevez souvent des colis, il me semble, ces derniers temps ?
Pas que ça vous regarde.
Jouez sur un autre ton avec moi, Stern, vous valez mieux que ça.


Je dirai seulement que certains hommes ne savent pas lâcher prise.
Je vois...

Elle a mis le temps à répondre, examinant dans son esprit ma prestation en quête d’une expression qui m’aurait trahie. J’ai pensé à John, je dois avoir eu l’air sincère. Elle me toise encore un peu puis décide de passer outre pour l’instant. Elle me souhaite bien du courage avant de s’éloigner vers ses conversations sans doute passionnantes avec Martins. L’affreux visage de son partenaire me revient en mémoire en même temps que la conclusion tirée de Wilson par John à son sujet. Je l’interpelle avant qu’elle tourne au coin du couloir.

Bon courage aussi, Solète.

Elle se retourne mais son visage ne trahit rien. Dame d’Acier, son surnom dans les services, flotte au-dessus de sa tête près du plafond. Rester tard ce soir, essayer de partir après eux. Ouvrir ce paquet, pister en douceur le signal du den den qu’il doit contenir. Et où est Rinwald ?
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Tout à l’heure, quand j’suis rentré dans le bâtiment, un peu avant l’heure du feu d’artifice qui n’a finalement pas eu lieu, j’ai directement été alpagué par Solète et Martins. Et, dans le petit bureau qu’ils se sont appropriés pour l’occasion, on a pu causer. Comme d’habitude, c’est la femme qui parle.
« Rinwald, vous avez l’air fatigué.
- Ouais.
- Comment cela se fait-il ?
- Mal dormi.
- A votre dégaine, on dirait plutôt que vous n’avez pas dormi du tout.
- D’accord.
- C’était une question.
- Je n’ai effectivement pas dormi.
- Seriez-vous en train d’étudier des moyens de vous échapper ?
- Non.
- Pourtant, votre dossier semble indiquer que vous en seriez capable.
- Capable d’essayer, de vouloir. De réussir ? Personne ne sait enlever les colliers explosifs sans se faire sauter, et vous le savez bien, Solète. »

Le silence retombe. J’repense à la réaction de Wilson quand il a entendu les noms de la Brigade des Affaires Internes. Les lâcher comme ça, c’était plus qu’à moitié un accident, la perspective de revoir la gueule de croquemort de Martins et celle de Solète m’occupant l’esprit à ce moment-là. Mais ç’avait donné du crédit au mensonge par lequel j’avais ouvert le bal quelques heures plus tôt. Il doit être persuadé que c’est bien le CP0 qu’il a croisé, et que ses petits copains sont sur la liste aussi.

« Sortez quelques instants, Rinwald, nous reprendrons cette conversation plus tard. »

Congédié promptement, j’profite de l’occasion pour aller faire un tour aux archives et récupérer ce que j’peux sur le dossier de Stern. Pas grand-chose. Photographie, signalement, d’autres trucs pas bien intéressants. J’crois que j’ai pas les autorisations pour fouiner plus profondément dans son dossier. P’tet chef d’équipe, administrateur, voire CP0 seulement. Un peu déçu, j’remonte voir Solète, qui a un café à la main et semble songeuse. J’demande la permission d’en prendre un aussi.

J’croise Stern dans un couloir. J’vérifie, mais si elle fait un signe, j’le vois pas.

Rien que l’odeur du café noir et fort vire un peu ce qui semble me piquer les mirettes. Retour dans la salle d’interrogatoire.
« Bien, nous allons effectuer un changement dans la manière dont nous vous interrogeons, Rinwald, entame Solète. »
Martins se lève. Méthodes plus musclés ? J’reste totalement immobile, réaction bien loin du naturel mais bon, c’est ça ou flipper sec. J’scrute, aussi.
« Bien entendu, nous n’allons pas utiliser de méthodes violentes ou douleureuses. Inutile de garder le secret là-dessus. L’agent Martins possède le Fruit de la Vérité, donc vous n’allez plus pouvoir mentir. A noter que cette information est classifiée, et que vous ne pouvez donc pas la communiquer. C’est noté ?
- Oui, agent Solète. »

Il pose sa main sur mon épaule. Le fruit qui était à Ivan, hein ? M’rappelle sos orphelinat et… Hm, ouais.
« Bien, Rinwald. Avez-vous commencé des préparations pour vous enfuir ?
- Non.
- Envisagez-vous ou avez-vous envisagé de le faire ?
- Oui.
- L’envisagez-vous toujours ?
- Non.
- Que faisiez-vous hier soir ?
- J’étais au Primaire.
- Le Primaire ?
- Le café Primeurs, juste en face du Bureau.
- Bien, nous nous arrêterons là. »

C’est toujours Ri Solète qui a parlé du début à la fin. J’lève les yeux et un sourcil vers Martins.
« Vous ne me posez pas de question sur la plainte du CP1 ?
- Voulez-vous nous apprendre comment faire une enquête, Rinwald ?
- Nan, pas spécialement.
- Alors sortez. »

J’avale ma tasse de café d’une traite, en me cramant un peu la langue au passage, puis j’gicle. Assise à son bureau, Stern consulte des dossiers quelconque, en complète certains, en remplit d’autres. Elle lève à peine le regard vers moi quand j’vais m’mettre au mien. Le temps de vérifier ma propre paperasse, j’me rends compte que y’a un papier qu’est pas à moi dans ma corbeille. Pas qu’on utilise pas les corbeilles des autres, mais c’est rare, et mon coin de travail est un peu excentré.
J’le ramasse. ‘’Primeurs, quatorze heure.’’ J’fais non de la tête dans le vide en remettant le papier, rapidement recouvert par d’autres. Maintenant que les deux autres savent pour le Primaire, ils vont rapidement se rendre compte que j’y étais avec Stern, puis longuement tout seul, et enfin qu’on était sorti à quelques minutes d’intervalle.

Et s’ils sont côté traitres comme Stern a l’air de penser que c’est possible, ils peuvent facilement nous éliminer en montant un dossier béton contre nous qui nous enverra promptement six pieds sous terre, officiellement ‘’disparus en mission’’.
A treize heure, après m’être à nouveau fait contrôler comme n’ayant toujours pas fui, comme si j’le pouvais, j’me dirige vers la Taverne de la Dernière Erreur en lâchant un gribouillis dans la manche de Stern. Au moins, si j’me fais virer, j’pourrais toujours faire magicien-prestidigitateur.

Quand j’arrive, Gilles est assis à une table, à regarder ses clients en finissant de manger. J’me mets en face de lui. P’tet un truc à en tirer, finalement.
« Salut, Gilles.
- Bonjour, Alric. Ca va ?
- Pas top, tu dois savoir.
- Oh, ouais. A mon avis, ils vont pas te louper. C’est qui les agents sur le coup ?
- Solète et Martins.
- Ah, la paire. Oui, là, ça va sortir.
- Tu savais pas que c’était eux ?
- Je faisais preuve d’empathie.
- Dis, tu connaîtrais un dénommé Wilson au CP8 ?
- Oui, recruteur, pourquoi ?
- Je sais pas encore bien. »
Son denden de poche sonne.
« Bon courage, faut que j’y aille, pas de repos pour les braves.
- Ouais, bonne journée. »

Un peu après, c’est Freja qui entre. Elle jette à coup d’œil au poteau central, sans plus. C’est pas trop le moment de regarder si on a des copains qui ont fait une mauvaise rencontre en mer, vu qu’on a déjà les nôtres sur les bras, de mauvaises rencontres.
« Alors ?
- Notre ami est très sollicité. On a trouvé un escargophone chez lui, modifié pour qu’il ne puisse que recevoir des appels. Il a déjà sonné trois fois ce matin, peut-être davantage maintenant.
- Ah. Ses camarades de jeu ?
- Probable, vu son poste de recruteur, qu’il ne soit pas équipé d’un denden particulier pour ça.
- Sinon, autre chose. Le binôme de Solète est quelqu’un de très convaincant. Difficile de lui mentir. »

Elle me regarde d’un air interrogateur, attendant que j’en dise plus. J’vais pas l’faire. Si j’me souviens bien du fruit, on peut jouer sur les demi-vérités. Elle devra se contenter de ça.
« Du nouveau, à part les mauvaises nouvelles ? »


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La question se perd dans les airs et les conversations des soldats. Rinwald a une tête de déterré, je pourrais penser que Martins tape fort, mais je penche plutôt pour la nuit chez Wilson. Et je dois avoir piètre mine aussi... Si je n’arbore pas un aussi joli collier que le sien, ma peau et mes vêtements me grattent tout autant je pense, comme souvent après une nuit blanche et une journée à attendre. Attendre. Savoir provoquer son destin mais dans le même temps savoir patienter pour qu’il se provoque de lui-même, paradoxe de la vie d’espion. J’ai la voix pâteuse après toutes ces heures de néant. La trace du den den n’a rien donné, prévisible. Par contre, le silence de son propriétaire a dû inquiéter les mauvaises personnes. Je sens mon humeur massacrante revenir et, par une pas si curieuse association d’idées, une tête blonde s’impose à moi.

Solète est la personne qu’a reconnue Wilson.
Hein ?
Quand tu l’as mentionnée avec Martins, c’est sur son nom qu’il a tiqué.
T’es sûre ?
... J’ai réessayé après. Je sais bien écouter. Il doit en avoir peur.

Nous savons tous écouter, et Rinwald pas le dernier. Mais avec juste ce qu’il faut de chance, avec juste un tout petit peu de cette chance qui depuis ces deux jours sans rien me fait défaut, il aura mis mon hésitation à mentionner John, ou Kell, sur le compte de ma fatigue, non-feinte au demeurant. J’essaie de réprimer un bâillement, échoue. Il en profite, pas empathique pour un sou.

Et alors, Solète ?
J’ignore comment la sonder.
Vous avez pas fait amie-amie ? Tu m’étonnes, pourtant qui s’ressemble s’ass
Plaît-il ?
Je disais, il fait chaud ici, non ?
Hmf...
Ptet quelque chose à trouver dans leur bureau. J’pourrais la distraire si tu veux fouiner.
Et Martins ?

Martins, mon problème, hausse-t-il les épaules en s’allumant une nouvelle cigarette. Ce bar est un ramassis de fumeurs, et je préfère nettement l’ambiance du Primaire. Je le dis à Rinwald, qui m’explique qu’ils doivent déjà traquer nos présences là-bas suite à son interrogatoire. À part les mauvaises nouvelles, pas grand-chose, donc. Je hais tous ces grains de sable dans les rouages de ma journée morte. J’aurais peut-être dû le laisser se débrouiller avec les zéros, finalement, tenter de leur masquer John et Kaas Brick toute seule. Il y a peu de chances qu’ils le découvrent de toute façon. Et attendre un peu pour reprendre sur les Murins... Mais il est trop tard maintenant, Wilson est dans une cave quelque part, à la merci de John et sur mes ordres. Je regarde les mèches raides et rêches de Rinwald, ressens les miennes contre mes épaules et sur mes hanches. Briser le cercle.

Après une sieste, quand ils sortiront tous.
Sûr, c’est que sur ma nuque que porte le collier et le Zéro, de toute façon. No stress.
Oui ?
D’acc.

La cave où Wilson a été déposé n’est pas si loin, j’y suis en une petite marche dans des rues commerçantes. Le bruit que font tous ces gens a quand même le temps de me rendre à fleur de peau, et mon manque total de discrétion réveille John sans ménagement quand j’arrive dans le petit sous-sol. L’escalier depuis la surface me mène à une petite pièce pas si humide, aux murs de pierre nue et qui sert d’antichambre à la cave proprement dite, où doit être enfermé le Murin. Une forme bougonne sur son lit de camp lorsque j’allume plus que la simple veilleuse qu’il avait laissée, mais lui il a dormi. La planque est austère, je ne sais pas auprès de qui ni comment il se l’est procurée, si tant est qu’elle soit à lui. Une table, de quoi faire le strict minimum de cuisine, une armoire, le lit, deux chaises dont une cassée de frais. Le recruteur d’Ao Novas qui s’est rebellé ? Mon œil glisse comme vers un aimant sur l’atroce balafre au bras tandis que John passe une chemise puis une veste par-dessus son maillot sans manche. Il a vu que j’ai vu, mais ne fait pas de commentaire. J’en déduis que j’ai toujours sa confiance malgré la tension de ce matin. Il ne me laisse pas pour autant voir la patte de dragon dans son dos. Il tapote même le matelas, ceci dit, pendant que je lui fais réchauffer du café. Ça me rappelle des matinées au cimetière d’épaves. J’ai un petit rire qui doit sonner très las, étouffé par la voûte rocheuse et un peu sinistre.

Comme au bon vieux temps ?
Tu n’as pas invité « Alric » ?

Je note l’accentuation, mais il l’a marquée tout-à-fait sciemment, je le distingue dans ses traits malicieux. Le soulagement s’empare de moi en même temps que les bras moelleux du sommeil.

Je ne voulais pas que tu sois jaloux. Où as-tu trouvé le den den ?
Tu ne veux pas savoir. Aucun résultat ?
Rien de plus qu’ici hélas. On brise une ou deux règles de plus, ce soir...
Tu m’en dis trop, Freja. Bonne nuit.

Il ne laisse que la veilleuse, et je n’entends pas la porte claquer là-haut mais je sais qu’il est sorti, avant d’enfin sombrer. Quand je rouvre les yeux il est revenu. C’est le bruit du verrou qu’il referme, celui de la porte vers Wilson, qui d’ailleurs m’a réveillée. Sur la table, il dépose un plateau-repas intact et une seringue, vide. Les rêves du traître seront sans doute moins sereins que les miens.

Rinwald est au Bureau quand j’y retourne. La nuit s’étend dans mon dos, les portes se referment derrière lui qui sort, sur le parvis. Il allume une cigarette. Je ne sais pas s’il a dormi de son côté, il a toujours la même tête, celle de l’homme dont le destin flotte entre deux eaux, à un doigt de remonter à la surface comme d’être englouti par les bas-fonds. Il contemple moins ma forme un peu retrouvée, saisie que je suis en plus par la fraîcheur de l’heure tardive, que la silhouette derrière moi sur les marches. Kell Kin, le coursier en casquette de cuir.

Qu’est-ce qu’il fout là ? Wilson est tout seul ?
Il rêve.
Pas le savoir. Je veux qu’on avance.
On n’en tirera plus rien. Mieux qu’il dorme.

C’est John qui a répondu cette fois. Le « on » est sa manière de me dire qu’il fait partie de ce dans quoi je l’ai impliqué, et de marquer son territoire face à Alric. Le renseignement aussi il connaît. Je n’aime pas trop qu’ils se soient vus, j’aurais préféré que Rinwald reste à l’intérieur. Les deux hommes tentent d’enfin se jauger mais je coupe court. Il n’y avait pas le temps ce matin et il n’y en a pas vraiment plus ce soir. Kell fait innocemment jouer sa guimpette sur ses cheveux, air crâne et détendu. Il l’est je crois. Je me sens obligée de préciser la raison de sa présence pour briser là.

Pour Solète et Martins, si besoin.
Pas vu Solète de l’après-midi...

Rinwald hausse les épaules, jette son mégot à peine entamé vers les graviers beiges en contrebas. Martins est donc là-haut. John sort un nouveau petit paquet de sa poche, qui ne doit rien contenir d’intéressant, et nous suit à l’intérieur. Le grand hall d’accueil est désert et silencieux, bon début. Alric et moi allons pour entamer la montée des marches du grand escalier double vers les hauteurs, quand Kell me saisit par le poignet et me traîne dans une alcôve où nous suit aussitôt le collègue, avec une force qui me fige sur place de stupeur.

Freja...

À travers les colonnades, je suis la direction pointée par son sourcil tendu et m’efforce de garder ma meilleure composition. Rinwald me scrute à ma droite et il scrute également l’homme là-haut, forcément sans comprendre. Sans comprendre j’espère. Kaas Brick est aux prises avec les gardes attachés au bureau de la réception. Mon cerveau s’enflamme. C’est forcément l’agent Stern qu’il veut, mais comment m’a-t-il trouvée ici ? Aux dernières nouvelles, s’il a réussi à associer par des rapports de missions une présence régulière à des endroits où la cicatrice de John a été vue aussi, il ne sait toujours pas qui je suis, à quoi je ressemble, à quel corps j’appartiens, même. Est-ce que quelque chose est sorti tout à l’heure à la Taverne, avec Alric ? Et un soldat de ses réseaux le lui aurait relayé ? Mais quoi ? Et sinon, où ? Et pourquoi maintenant ? Et comment maintenant ? Quand j’expire ma voix est parfaitement tenue. Mes ongles s’enfoncent dans mes paumes mais j’articule très nettement, à voix très basse pour limiter l’écho malgré l’énorme volume du lieu.

Alric, tu distrais le monsieur. Kell ?

Je n’attends de réponse d’aucun. Le second opine en silence. Une partie de lui doit exulter, la mauvaise partie de lui. Kaas Brick n’a aucune idée de ce à quoi il ressemble non plus, alors le maintien global du plan est très risqué mais paraît jouable. Et il a bien compris que pour moi c’est ce soir ou jamais. Je lui donnerai des informations détaillées après. Lui et Rinwald montent d’un côté, et pour sa part il se dirige vers la réception et alpague la fille de permanence, qui ne m’aperçoit pas. Arrivée par les autres marches, je me faufile dans le dos de Brick et de tous les autres, le premier toujours trop occupé à vertement invectiver les gardes pour me remarquer vraiment. Je ne suis qu’une présence parfaitement naturelle dans sa perception. Je ne me cache pas, je n’ai rien à cacher. Pourquoi me cacherais-je ?

Même un colonel d’élite ne pénètre pas dans les bureaux des archives,
Les archives ?!
Oui monsieur, les archives. Vous avez votre lettre d’accréditation sur vous, d’ailleurs ? Je ne vous reconnais pas. Et vous êtes bien sûr que vous faites partie de la Flèche ? Comment avez-vous dit, déjà ? Krass Bique ? Tu connais, toi, Deb ?
N
Moi je connais, voyons voir, Mona Lisa, évidemment, Oko Tamak...
Kaas Brick ! Mais vous voulez vraiment que je vous pourrisse en fait ?! Laissez-moi pa

Je fais le vide dans mes oreilles et dans mon esprit. En dehors de quelques collègues retenus tard par les impératifs imprévisibles de leurs missions, les étages sont vides. Aucun bruit côté directorial, pas grands signes non plus de présence vers les espaces réquisitionnés par les affaires internes. Je reconnais le terrain comme une professionnelle en territoire neutre, sinon hostile. Martins finit par sortir du bureau, j’ai disparu avant. Sa tête repoussante dodeline un peu sur ses épaules ramollies par ces jours entiers passés dans un bureau fermé. Je pénètre la pièce vide le cœur battant. Je n’ai jamais doublé le Zéro, encore moins en pleine enquête sur mon service. Je ne suis jamais passée si près d’un colonel d’élite, encore moins d’un que je floue depuis tous ces mois à le traîner de fausse piste en presque vraie pour l’éloigner des totalement vraies.

Il faut que Rinwald ait fait partir Brick avant que Martins n’arrive en bas. Il faut que. Pour ne pas penser à ce qui se passerait s’il ne réussissait pas, je commence aussitôt à fouiller dans les paperasses étalées un peu partout. En quête de quoi, déjà ?

Bonsoir agent Stern, je vous attendais. Vous êtes un peu retard, non ?

La porte s’est ouverte, je manque crier de surprise. Si je me voyais je trouverais sans doute que ma bouche entr’ouverte offre un petit effet comique, alors que les horloges de Marie-Joie sonnent la pleine nuit à l’extérieur. En quête d’une indication sur comment sonder Ri Solète, agent d’élite.


Dernière édition par John Doe le Sam 31 Oct 2015 - 18:47, édité 1 fois
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Mercredi.

J’me lève et j’vais au Bureau. J’ai même pas bien dormi, alors qu’on a rien fait. Plus eu de traces de Kell, ni de Stern. Puis l’autre, Kaas Brick. Dans le genre qui rend nerveux… J’me souviens encore de la conversation de hier nuit.
« B’soir, vous avez un problème ? Que j’avais entamé pour faire diversion.
- Vous êtes qui, vous ?
- Un simple agent du Cipher Pol. Comme vous ont dit Deb et Nick, vous pouvez pas pénétrer dans les archives sans…
- Ecoutez voir, mon p’tit père. J’suis le colonel d’élite Kaas Brick, pigé ? Colonel d’élite.
- Non mais franchement, comme disaient les réceptionnistes, on vous connaît pas. Donc on va pas vous laisser entrer. Vous avez vos papiers ?
- Non mais…
- Vous avez un mandat pour fouiller les archives du Cipher Pol ? Pleins de documents confidentiels qui...
- Non mais…
- Imaginez si vous étiez un révolutionnaire déguisé. Comment on pourrait vous laisser entrer ? Franchement, c’est pas sérieux. Alors, m’sieur Bique, je vous prierai de revenir muni des autorisations en plusieurs exemplaires, signées et tamponnées par le bureau F-110 et…
- Ce n’est pas tout, intervint Nick. Il vous faut aussi un certificat d’identité validé par la hiérarchie et…
- SUFFIT ! »

Kaas Brick avait abattu son poing dans le mur, y laissant un trou et son empreinte. Pas un rigolo, et, sous nos dehors imperturbables, on balisait un peu. Evidemment qu’on le connait. Evidemment que c’est un colonel d’élite. Evidemment qu’il siège à la Flèche. Evidemment qu’on va le bloquer le plus possible, d’abord par principe, ensuite pasque fourre pas son pif dans nos archives qui veut, enfin pasque Stern me l’a demandé. Et que y’a un truc qui couve, et que j’compte bien le découvrir.

« Du calme, monsieur. Revenez demain, d’accord ? je suis sûr que nous pourrons tirer cette situation au clair et…
- Ce n’est pas en attendant demain que je suis devenu colonel d’élite. L’Ankou veut rentrer, l’Ankou va rentrer. »
Il a marché vers les portes qui mènent à l’intérieur. On a tenté de se mettre devant lui, mais d’une bourrade, il a nous dégagés de son chemin. Du colonel d’élite, un beau modèle, pas à en douter. Juste devant son nez, les portes se sont ouvertes sur Martins, le regard vague et la posture fatiguée. Rien que d’voir ce qu’il y avait en face l’a revitalisé, et, se redressant de toute sa taille, il a dû atteindre les épaules de Kaas. Impressionnant.
« Vous. Encore, avait entamé le Marine.
- …
- Toujours à trainer dans mes pattes, hein ? Laissez-moi passer. »
Martins a pas cillé, sur ce coup. Il est resté dans l’embrasure de la porte, ses yeux morts pointés sur Brick, le soupesant. Le silence s’est éternisé une bonne minute, et nous autres on est resté derrière, aux aguets, mais derrière quand même.
« Hmpf. J’reviendrai. »
Kaas s’est détourné et est sorti. Martins a pas arrêté de le fixer, avant de tourner les yeux vers moi. Puis rentrer chez lui.

Quand j’y repense, en passant les portes et en saluant Deb et Nick, j’frissonne encore, façon chair de poule. Et ils se connaissent, les deux. Brick, célèbre pour ses enquêtes, Martins, au CP0. Et vu que Brick a pas l’habitude des méthodes conventionnelles, et qu’on commence pas au CP0, j’suis prêt à parier que Martins a dû enquêter sur le colonel d’élite à un moment ou plusieurs de leurs carrières respectives.

Toujours est-il que ça m’a bien sauvé la mise, j’me voyais pas y aller en force contre un bestiau pareil. Et, partant, la mise de Stern, aussi. J’sens que la journée va être consacrée à ça et Kell, le livreur bien copain qui m’tape un peu sur les nerfs. J’vois pas du tout qui c’est, en plus. J’ai même pas l’temps d’aller me planquer quelque part en arrivant que Solète m’apalgue. Et qu’on va dans un bureau isolé, vide, poussiéreux. Tiens donc ?
« Rinwald. Vous avez toujours l’air fatigué, n’est-ce pas ?
- Probablement. Mal dormi cette nuit. Devait être le collier qui m’grattait.
- Vous êtes sûr ?
- Ouais, sûrement ça.
- Ce n’est pas plutôt parce que vous n’avez pas eu de nouvelles de Stern ?
- Ah, oui, maintenant que vous en parlez… »

Elle sourit, avec l’expression de celle qui sait.
« Vous êtes très proches, n’est-ce pas ? Je sais que vous étiez au Primeur ensemble.
- Euh…
- Mais, tout de même, Rinwald. Qu’elle rentre par effraction dans notre bureau pour examiner nos dossiers et les pistes que nous avons sur vous…
- Ah… Mh…
- Je vais être obligée de reporter cet écart de conduite dans son dossier, et dans le vôtre, évidemment. Après tout, être ensemble n’exonère pas de… »
J’cligne des yeux, imperceptiblement. Stern s’est faite gauler. Le reste, j’écoute plus. C’est le blabla habituel sur les relations au sein des Bureaux, de comment c’est pas bien et ça peut pourrir des missions. Stern a pas parlé des traitres, ou alors Solète me fait marcher. Et, derrière son chapeau de dame mature, elle a ce petit éclat dans les yeux qui dit qu’il faut attendre que jeunesse se fasse. Pas sûr qu’on soit tellement plus jeune qu’elle, vu comme j’approche de ma trentaine. J’acquiesce et j’décampe.

Première étape, essayer de trouver ce Kell Kin. J’visualise bien sa tronche, même s’il faisait nuit quand on s’est vu. J’aime pas trop la manière dont il s’inclut dans le truc, ça ressemble pas à un sbire. J’vais commencer par vérifier les grades supérieurs, du coup. Mais rien. J’commence par les chefs d’équipe, puis les catégorie un, et deux. Puis j’connais la plupart de ceux-là.
J’descends aux agents en formation, qui ont parfois tendance à se prendre pour plus qu’ils ne sont, maintenant qu’ils ont un mis un grand pied dans la porte des Bureaux. Que dalle. Sbire. Loin de mes pronostics. Et ils sont un paquet à être dans le coin. Les photos défilent, mes mirettes fatiguent.

Rien, putain.

Résultat, quand j’sors des archives, sans avoir vu personne de la journée, sans avoir trouvé quoi que ce soit, j’me dis deux choses. La première, soit ce Kell est pas du CP, soit il est d’un autre Bureau. Cette thèse semble vachement plus probable, reste à trouver lequel. La deuxième, c’est que j’ai pas encore fouiné un peu côté Stern, mais que c’est au programme. Et vu comme Kell a disparu comme brume au soleil… A creuser.

Sur mon bureau, un colis comme ceux que Kell a pris l’habitude de livrer. Des messages et un moyen facile de faire rentrer et de se faire rentrer ? J’vais p’tet prévenir les bureaux, après tout ça, des fois qu’un p’tit malin décide de faire livrer des saloperies genre des bombes. Pas que ce soit de notoriété publique qu’il s’agissent ici du cinquième Bureau, remarque.

En parlant de soleil, la nuit s’fait venir. J’ai pas revu Martins et Solète. Martins doit se renseigner côté Brick, pasque c’est bizarre qu’il veuille subitement entrer dans les bureaux du CP5. Y’a un truc à trouver dans les archives, visiblement. Solète, elle… Ca s’trouve, la situation était considérée comme jugulée du côté de Stern, pour elle. Pas d’raison qu’elle pousse davantage au lieu de se concentrer sur sa mission initiale, que j’me dis. Que j’espère, ouais.

J’trace direct pour la cave dans laquelle Wilson fait de beaux rêves. On en tire rien, putain, et mon cou est toujours sur le billot. Au-delà des traitres à éliminer pour le bien du Cipher Pol, ça serait bien qu’on ait quelque chose sous la main pour mon bien aussi.

Quand j’rentre, Kell et Stern sont tous les deux déjà là. J’ai bien fait d’aller acheter un autre paquet d’clopes, à leurs gueules, j’sens que la nuit va être longue.



Dernière édition par Alric Rinwald le Dim 1 Nov 2015 - 21:39, édité 1 fois
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Il y a des instants, précieux, où le silence se partage activement. Ce n’est pas un de ces moments que Rinwald vient de briser. Depuis que je connais John, nous avons eu l’occasion d’affronter pas mal de ces phases où le mutisme prenait le pas d’un côté ou de l’autre, mais parler d’échange serait trop y mettre. Dans ces périodes, il me donne plutôt l’impression de se mettre en veille comme s’il économisait sa personne ou comme si, plus nécessaire, celle-ci s’évanouissait jusqu’à ce qu’elle le redevienne. Les bruits à la porte de la surface l’ont comme rappelé à la vie.

Posé à la table devant la deuxième chaise, réparée, et un café froid depuis longtemps, il s’est soudain réactivé alors que je n’avais encore rien perçu. Le raclement de sa tasse sur le bois m’a tirée de mes demi-rêveries et ramenée à la réalité. John s’est attardé un peu sur moi avant d’aller vider son mug et préparer une nouvelle cafetière à l’évier. Je l’ai senti examiner mon nouveau bijou, bien loin de mes standards et des siens. Quand je l’ai retrouvé tout à l’heure, mortifiée après une journée cloisonnée dans les bureaux à attendre mon sort, j’ai vu ses yeux vaciller pour la première fois.

Qu’est-ce que ?
Solète.

La colère dans sa voix était froide, j’entendais presque ses dents grincer les unes contre les autres. Je lui ai tout raconté, sur les Murins, les déboires d’Alric, l’enquête sur lui par les Zéros, et comment j’ai cherché à en profiter pour me couvrir moi de notre petit jeu avec Kaas Brick.

C’était une idée stupide.

J’ai tenu son regard plein d’une rage contenue. Il ne me fixait pas moi mais ce collier, le même modèle que celui de Rinwald, le même que celui qu’il portait quand il appartenait à Neetush Pah, et je crois que c’est l’intensité de sa haine qui m’a fait tolérer sa critique. J’ai continué sur l’entretien nocturne avec Solète, et comment je pensais avoir réussi à m’en sortir en rougissant pour Alric.

Tu aurais dû me parler de cette enquête, Freja.

Je n’ai rien répondu, et à son tour il a parlé de ses occupations nocturnes puis diurnes. Nourrir Wilson, se renseigner sur Kaas, le filer en train d’être filé par les sbires dépêchés par Martins après la petite scène d’hier. Le perdre qui les avait perdus, après un passage à la Taverne de la Dernière Erreur. Sans doute de là-bas effectivement que la fuite est venue. Nous avons mangé sans parler le dîner froid qu’il avait préparé en m’attendant. De l’autre côté de la porte, les ronflements chaotiques d’un Wilson sonné par l’opium nous faisaient un fond. Et puis il a fallu attendre, encore.

Et nous voilà, à nous regarder tous les trois, Alric en haut des marches, John sans casquette en train de remplir de caféine liquide trois tasses à côté de son tricorne, et moi à moitié étendue sur le lit, à moitié adossée contre le mur. Les yeux de Rinwald, plus noir que gris sous la faible luminosité, ne manquent pas le petit frère de son torque. Il a un sourire presque mesquin pendant que je rajuste l’écharpe avec laquelle je l’ai masqué pour sortir des bureaux. La pierre de son briquet joue, la fumée emplit la pièce. Il est temps de mettre en commun et à plat les éléments que nous avons.

Solète ?
Solète. Elle semble croire que
L’agent Stern et l’agent Rinwald, hein. Qui l’eût prévu ?
Ils en jasaient déjà tous dans les couloirs quand je suis partie.
Et ici, ça a jasé, Kell ?

L’intonation de Rinwald trahit son avis sur l’implication de John et les projections qu’il en a tirées. J’ai une petite idée de la raison pour laquelle je ne l’ai pas vu de la journée. Énervés l’un et l’autre, le premier par manque de sommeil flagrant et le second par le point où je me retrouve mouillée dans cette histoire, j’essaie de tempérer. John ne répond rien parce qu’il n’y a rien à répondre, se contente de prendre une cigarette d’un geste nonchalant dans le paquet qu’Alric a jeté sur la table en s’approchant. Celui-ci lui saisit le poignet aussitôt, avant qu’il ait pu s’esquiver. À nouveau, les deux hommes se jaugent.

Kell est sûr, fais-moi confiance.
Confiance ?

J’ai un maigre sourire. Le terme n’est pas très utilisé dans le métier.

Il est sûr.
Sûr comme Kaas Brick ? Qu’est-ce qu’il foutait au QG hier ?
Pas ton problème, agent Rinwald.
Si c’est pas mon problème, peut-être qu’on aurait des choses à se dire lui et moi, mh ?
Kaas Brick est une complication, mais elle est gérable, Alric.
Gérable, hein. Comme Solète était gérable, peut-être ?
Messieurs !

Nous sommes tous les trois debout maintenant, John a dégagé son bras brusquement et s’est levé dans un crissement de chaise, à deux doigts de provoquer physiquement Alric, ce qui serait une très mauvaise idée. Rinwald en face attend, immobile et raide mais sûr de lui, l’occasion d’enfin évacuer sa propre frustration. Et quant à moi les combats de coqs ne m’ont jamais intéressée, sauf à être utiles pour une mission. Là, bien sûr, ce serait tout sauf productif. Et une petite voix claire vient d’ailleurs nous le rappeler à tous, qui nous glace le sang comme elle sait si bien le faire.

Oui, allons, messieurs, un peu de tenue s’il vous plaît.

Ri Solète se tient là, dans l’escalier où se trouvait Alric un instant plus tôt. Toute en décontraction, avant-bras croisés sur la rambarde et chapeau au bout des doigts de la main gauche, elle savoure un peu l’effet de son entrée. Enfin, elle descend tranquillement les dernières marches pour s’avancer à notre niveau, le blond de ses cheveux et sa peau rosée semblent prendre toute la lumière de la pièce. John retrouve son flegme face au danger et consent à prendre ses distances. D’un geste des doigts, il allume la cigarette en même temps qu’il va s’asseoir sur un coffre entre le lit et la porte vers Wilson, que j’essaie de ne pas regarder. Nous sommes chacun à un coin de la pièce. D’une botte nonchalante, il fait glisser la chaise qu’il vient de libérer jusque l’intruse. Elle accepte l’invitation.

Grand merci. À la tension virile qui plane dans cette pièce, je déduis que vous êtes l’homme qui ne sait pas lâcher prise ? Je vous ai déjà croisé au bureau, non ?

Je me tends un peu, vais prendre une tasse de café encore fumant pour me donner une contenance puis retourne m’asseoir sur le lit. Personne ne sait quoi dire, il n’y a sans doute rien à dire, seulement à l’écouter. Elle semble s’en rendre compte, quand aucune réponse ne lui parvient. Elle a une moue un peu dépitée, demande à John s’il y a du sucre dans la pièce, et prend la tasse de café qu’il s’était destinée en y versant trois grosses cuillérées de la poudre rousse.

Je sais que vous ne cherchiez pas à protéger Rinwald, hier soir, Stern. Je ne suis pas aussi stupide que vous avez pu l’espérer.

À nouveau, rien à répondre, seulement à laisser tomber le couperet. Parce qu’il m’a déjà montré certains de ses tours de passe-passe, j’aperçois du coin de l’œil John fouiller imperceptiblement dans une sacoche suspendue au coffre sur lequel il est assis. Si je me rappelle bien, il y a des fumigènes et d’autres types de bombes dedans. Je lui demande d’attendre du regard. Solète sirote une gorgée, encore trop amère à son goût visiblement, dans sa tasse, et remet du sucre, toujours plus de sucre.

Voyez-vous, Rinwald, Stern, je pense que vous n’avez pas saisi toute l’ampleur d
AHURM.

Les lourds yeux bleus de Solète se posent sur Rinwald qui vient de grossièrement l’interrompre pour masquer les bruits de Wilson dans la cave. Le bougre s’est réveillé. Je regarde John qui ne joue plus avec les grenades, je les devine désormais dans sa manche, prêtes à l’emploi. Alric joue les piteux.

Pardon.
Voyez-vous, Rinwald, Stern, je pense que vous n’avez pas saisi tou

Cette fois nous avons réagi trop tard et c’est au tour de Solète d’être soudainement debout alors que nous restons assis. Inutile de chercher à dissimuler la suite des bruits que fait le Murin. L’agent d’élite se rapproche du panneau qui nous sépare du traître et mon cœur manque un battement. Elle pose une oreille contre la porte et analyse ce qu’elle perçoit. John n’attend que mon signal.

Un animal que vous gardez ici, sans aucun doute ?
Solète, que savez-vous de l’agent Wilson ?

Quittes à plonger.


Dernière édition par John Doe le Mar 12 Juil 2016 - 9:36, édité 1 fois
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J’jette à peine un coup d’œil vers Stern, surpris. Elle veut la jouer comme ça. J’cible directement Solète. Mes surins sont prêts à sortir, et ma position s’est un peu tendue. L’ambiance de la pièce, déjà pas joyeuse, est devenue presque irrespirable pour un individu extérieur. Ca pue le danger. Seule Freja est totalement détendue, appuyée en arrière contre le mur.
Ca se sent même pas tellement dans les attitudes, les regards, juste l’atmosphère qui a brusquement  changé. Les implications de la question de Stern flottent un peu, tandis que Wilson, à côté, manifeste à nouveau sa présence. Solète va de toute façon nous brosser dans le sens du poil si elle a pas du soutien qui attend dehors. Kaas Brick, par exemple ? Non, peut-être pas, il y avait Martins…

Tous les acteurs de l’affaire, leurs liens probables, possibles, cachés, défilent dans mon crâne alors que j’épie Solète. Elle laisse le silence s’éterniser un peu, tout en remettant une ultime cuillère de sucre dans son café. A ce stade, c’est un miracle qu’il ait pas juste débordé pour tacher la table en-dessus.
Finalement, l’agent du CP0 lève les bras pour montrer qu’elle va rien tenter qui serait super ballot, et s’asseoit à la table pour commencer à touiller son café. Elle va en avoir pour un moment à mon avis. Ca m’rappelle quand j’mangeais le sucre imbibé de café à la fin de la tasse. J’étais p’tit.

Au bout d’un moment, la blonde soupire.
« Bon. Wilson est dans la pièce d’à-côté, et soit vous avez des passe-temps que je n’approuve pas mais qui sont les vôtres, soit c’est du travail. »
Personne répond. Personne est prêt à montrer son jeu et mon doigt est quasiment en position pour envoyer quelques Shigan Bachi. La merde s’accumule et j’crois que j’vais m’noyer à ce rythme. D’abord l’enquête, puis ça… J’cligne des yeux pour virer un peu du sable qui s’acharne à s’y foutre.
« Au vu de vos dossiers respectifs –j’ai eu le vôtre aussi, Stern, ne vous en faites pas, une journée entière à m’y consacrer pleinement, après votre intrusion. Donc, comme je disais, si vous êtes des traitres, alors vous êtes rudement futés. Mais ce n’est pas ce que je pense.
- En même temps, si vous le pensiez, vous le diriez probablement pas, sauf à risquer ne pas sortir d’ici vivante.
- Certes. Vous avez demandé Wilson. Il se trouve que je le surveillais aussi, encore que de manière assez souple. Je le suspecte de faire partie d’un groupe interne, appelé les Murins. »

Stern hoche la tête. Elle a l’air de bien savoir de quoi on parle. Moi, c’est la première fois que j’entends ce nom, et rien que ça, ça m’rend pas jouasse. Freja, donc.
« Il en fait partie, effectivement. J’ai eu les informations par… Peu importe, en fait. Et il sait que vous êtes sur leur piste.
- Que s’est-il passé ?
- Nous l’avons capturé avant-hier. On se doutait de quelque chose avec vous, mais sans plus.
- Vous n’avez pas réussi à remonter la piste jusqu’aux autres ?
- Les quatre autres ? Non, pas encore.
- Je vois. Je peux lui parler ?
- Sûrement. L’opium a fait moins effet que prévu, c’est pour ça qu’il nous interrompt encore régulièrement.
- Normal, les agents sont entrainés à…
- Je n’ai pas mégoté sur la dose. »
Les premières paroles de Kell Kin prennent tout le monde de court, mais il reconnaît s’être planté.

Elle ouvre la porte et on traine Wilson sur sa chaise dans notre pièce, plus spacieuse.
« Bonsoir, Wilson, entame Solète. Vous allez bien ?
- Vous êtes venue me libérer de ces infâmes bourreaux, Solète ? Vous n’avez que trop tardé et…
- Tututut. Sommes-nous réellement obligés de jouer à ça ? Coupe-t-elle en prenant l’air dur, loin de ses manières affables habituelles. Vous comme nous savons que vous êtes là car vous êtes membres des Murins. Maintenant que vous êtes fichu, il serait temps de nous donner les noms de vos camarades.
- Très drôle. Mon denden de poche a déjà dû sonner plusieurs fois, vous ne pouvez pas tracer l’appel ni rappeler. Et, bien évidemment, il vous est impossible de répondre, puisque vous n’êtes pas moi. Toutes les traces sont ou vont donc être effacées sans que vous ne puissez rien y faire. Sans preuves, vous serez impuissants. »

Le silence retombe. On pense à nos petits outils, à nos moyens de faire causer des gens. Les moyens salissants. A part ça, difficile de lui donner tort. On patine depuis qu’on l’a choppé, sans parvenir à remonter d’autres fils, donc il va probablement falloir s’y résoudre. La dernière fois que j’ai fait ça, c’était pas joyeux, avec Matthias Lemure à Silence. Il faut c’qu’il faut.
J’me méfie toujours de Solète, un peu. Si c’est un stratagème élaboré pour nous la mettre à l’envers, par exemple. Cela dit, j’ai pas non plus un super a priori sur elle, rapport qu’elle est en charge de mon enquête.

Puis un escargophone frétille.

On s’regarde, mais c’est pas un des nôtres. Wilson se marre. Ah.

« Je peux répondre, dit Kell Kin. Mais vite, avant que ça raccroche.
- Comment ça tu peux répondre ? Demande Stern.
- Je dois pouvoir me faire passer suffisamment pour Wilson pour tromper l’interlocuteur au bout du fil, fait-il en imitant quasi-parfaitement la voix du traitre.
- A ce stade, effectivement…
- Ca ne marchera p… Entame Wilson. »
J’l’assomme, puis j’le bâillonne. Le denden de poche est placé juste devant lui et, derrière la chaise, il y a Kell Kin, dont l’expression rappelle celle du Murin. Celle de l’escargophone ne se calque pas, programmé qu’il est pour rester totalement neutre.

« Allo ?
- Enfin vous répondez, fait une voix masculine grave et maîtrisée.
- J’ai eu quelques soucis. Une mission impromptue qui ne m’a pas permis de m’isoler.
- Tout va bien ?
- Je n’ai pas beaucoup de temps.
- Notre ami commun est en chemin pour Marie-Joie, il arrive demain. Nous serons tous là. Tout le reste se déroule bien pour le moment.
- Très bien.
- Et de votre côté ?
- Rien à signaler.
- Parfait, je vous recontacte après-demain. »

On relâche tous doucement notre souffle. Une imitation tout à fait convaincante, et qui a en tout cas suffit pour le type au bout du fil. Pas d’doute, Kell est un agent. On développe pas ce genre de talent en faisant des spectacles de marionnettes. Du coup, j’culpabilise un peu de fouiller pour l’identifier. Un peu, mais pas assez pour m’en empêcher, évidemment, surtout depuis que y’a Kaas Brick dans l’équation. Mais j’m’occuperai de ça demain, plutôt, j’pense. Il reste à voir ce qu’on va faire maintenant, surtout avec Solète. Wilson, le danger est écarté pour un moment.

« Ils seront tous en ville à partir de demain.
- L’occasion rêvée pour un coup de filet, hein ?
- Oui, pour peu que nous réussissions à les attraper.
- En tout cas, Wilson va pas s’réveiller de sitôt, avec la prune que je lui ai collée. J’voulais pas qu’il ait subitement envie de faire du bruit pendant qu’on discutait avec son patron.
- D’ailleurs, quelqu’un a reconnu la voix ? »
On s’regarde, on réfléchit. Non, personne. De toute façon, maintenant, les denden permettent de modifier, trafiquer tout ça. Et puis on est assez nombreux dans les Bureaux pour ne pas reconnaître.

Finalement, Solète soupire.
« Nous verrons demain, après le travail, je suppose. Par contre, Rinwald, Stern. Je continue d’enquêter sur vous, et ce n’est pas cette collaboration temporaire qui va m’en empêcher. D’ailleurs, sachez que vous avez salement fait capoter mon agenda, et que si les quatre autres s’échappent sans qu’on puisse les retrouver, je risque de vous en vouloir très fortement. »
J’déglutis imperceptiblement. La rancune d’un CP0, c’est comme celle d’un administrateur, on veut jamais la voir, jamais la sentir, et, de manière générale, jamais rencontrer un de ces types.
« Et vous, l’inconnu, je me doute bien que vous n’allez pas me donner votre nom, mais sachez que je vous retrouverai, si nécessaire. Ne sous-estimez pas la Brigade des Affaires Internes. »
Il soutient son regard sans ciller. Puis elle se détourne et met son chapeau, puis nous souhaite bonne nuit. Ca m’semble être un bon plan, alors j’pars un peu après, pour pas donner l’impression que j’la file. De toute façon, à ce stade, on n’a pas grand-chose à se dire. On va pas partager les torts avec Stern sur qui s’est fait chopper dans le bureau, qui s’est laissé suivre jusqu’à la cave, qui… Qui rien du tout.

J’vais profiter qu’il soit pas encore trop tard pour pioncer un coup.

Et il est déjà le lendemain que je me sens presque pas reposé.

Jeudi.

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Une aube calme se lève. Je suis rentrée chez moi pour l’occasion. Un bon lit, un bon bain, des vêtements propres et l’idée de peut-être ne plus être seule contre les Murins n’ont pas compensé le stress d’avoir ce collier de malheur serré autour de ma nuque. Tous mes tendons et muscles cervicaux grincent et je me masse longuement, sans réel succès. Malgré tout, la vue coutumière de Marie-Joie qui se réveille dans la brume du petit matin humide a quelque chose de réconfortant. Penser à mes petites habitudes me fait penser à Wilson qui ne connaîtra plus les siennes.

John l’a transféré dans le début de soirée, par méfiance vis-à-vis de Solète, du mystérieux homme au den den, et d’Alric aussi. Il n’y a plus que lui qui sache où le Murin se trouve, et je doute que la nouvelle cachette soit aussi confortable que la précédente. Il devait repasser ce matin avant mon départ, mais il semble en retard. Il doit toujours être en quête d’information sur les mouvements de Kaas Brick. Avoir Solète plus ou moins intéressée à notre cause peut me tranquilliser, peut tranquilliser Alric, et peut ne pas l’inquiéter lui qui saura toujours disparaître à la prise de la blonde quand tout sera fini, mais que le colonel d’élite l’ait traqué jusque dans les bureaux du Cipher Pol a un aspect plutôt inquiétant, et pour moi aussi comme je le réalise là maintenant que j’y pense.

Kaas Brick, l’Ankou. Ma robe a frôlé son imperméable avant-hier soir et je ne suis pas bien certaine qu’on puisse tromper plusieurs fois le serviteur de la mort. J’enfile mon manteau à reculons, pour laisser à John le temps de passer s’il lui en prend l’envie malgré l’heure, mais toujours rien. J’oublie mes gants, la morsure du froid me fait frissonner tout le trajet. Ou bien est-ce là un pressentiment de ce que la journée ne se passera pas si bien qu’elle aurait pu se profiler ?

Quand j’arrive c’est l’effervescence des grands jours et mon sonar à récifs sous-marins, invisibles et révélés quand il est déjà trop tard, m’étreint. Personne cependant ne prête attention à moi tandis que je rejoins mon bureau. Mais je me retrouve bloquée dans un couloir par une foule de commères dont le dernier ragot n’est pas à propos de Rinwald et moi, à ma grande surprise en même temps qu’à mon grand soulagement. Non, on parle de renforcement de l’équipe des zéros et certains évoquent même l’arrestation de Solète. Quoi ?! J’avise Alric qui se fait petit dans un coin de pièce, pendant que les gros bras des affaires internes gardent la porte où je devine Scorpio aux prises avec Martins et un interprète qui ne doit plus être une blonde pulpeuse aux yeux bleus.

Paraît que Yakutsuki est sur le point de revenir pour régler ça.
Une idée de qui a rejoint Martins ?
Un certain Gloust. Même capital sympathie que Martins.

Tu le connais ?

Drahez Gloust. Ça ne peut pas être une coïncidence, il y en a trop eu depuis le début. C’est lui qui m’a envoyé l’information sur la visite du Zéro et l’enquête générale à prévoir. J’en fais part à Rinwald, qui reste silencieux, mine sombre. Ça pourrait être pire, ceci dit.

Ah ouais ?
Nous n’avons pas explosé...

Il admet que c’est un peu étrange, et ça me laisse l’espoir que Drahez ait besoin de nous encore assez longtemps pour qu’on puisse trouver un moyen de nous en tirer. Je rentre dans un bureau vide et ferme la porte pour contacter John mais il ne répond pas. Je me mords la lèvre de dépit. Le temps qui passe n’est ensuite qu’une période de tension qui fait bien vite oublier la relative quiétude du matin. Nous attendons chacun de notre côté la suite logique des évènements, être convoqués par Martins et Gloust. Mais quand vient le midi, toujours rien, et mon den den se met à s’agiter dans ma poche.

Oui, qui est-ce ?
Personne.
Où es-tu ?
J’ai besoin de toi, tu peux bouger ?
Je
Agent Stern, veuillez poser ce den den et nous suivre.
Freja ?
Un contretemps, Pierce, je suis désolée.

Les gorilles sans âme du Zéro tentent de poser leurs grosses paumes vulgaires de bêtise sur mes épaules, mais mon tekkai les dissuade de plus que tenter. Bien sûr je ne me battrai pas contre eux, pas ici dans mes bureaux, mais il est hors de question que je me laisse mener comme une criminelle dans la salle où Drahez nous a convoqués moi et Alric. Alric qui, pour sa part, est déjà là. Assis dans un coin, visage tiré malgré la nuit de sommeil et cravate déjà défaite, il est quand j’entre en train d’allumer une cigarette dans un coin de la pièce près de la fenêtre, sous le regard impassible de Martins et sous celui désapprobateur de Gloust, qui passent tous deux à moi. Rinwald me salue d’un geste vague et blasé. A-t-il déjà été interrogé ? J’avise des curieux du service par l’entrebâillement de la porte qui se referme sur mes espoirs. Journée qui commençait bien.

Je suis menée par mon escorte de choc jusque sur une simple chaise devant le supérieur et le muet.

Agent Stern, savez-vous pourquoi vous êtes ici ?
Drahez, qu’est-ce que signifie tout ça ?
Silence, agent Stern, répondez à la question !
Non mais vous pouvez pas vraiment lui dire « Silence ! » et juste après lui dire de rép
Silence, agent Rinwald ! Dois-je vous rappeler la position dans laquelle vous vous trouvez ? La situation dans laquelle vous avez poussé Ri Solète ?

Derrière ses fines lunettes, la mine sévère de Drahez me marque par son sérieux. Il n’est pas triomphant, il n’a pas le ton doucereux de qui savoure une victoire sur le mal. Il est seulement professionnel, comme je l’ai toujours connu, comme Solète que je ne vois pas, maintenant que j’y pense, comme Martins même si je n’ai jamais entendu sa voix. Même Scorpio a les intonations plus chargées en émotions personnelles que lui, qui trahissent ses intérêts égoïstes. Je prends une grande inspiration en caressant ma nuque et le dispositif de mort qui la ceint. Nous n’avons pas explosé, nous avons un traître quelque part en captivité. Il y a une maigre marge encore. Je pense à John et son appel à l’aide. Était-il proche de Kaas Brick ? Je remonte doucement mes mains depuis mes cuisses jusque sur la table entre eux et moi, et fixe Martins qui ne cille pas, qui ne cille jamais.

Détaillez-moi les charges, Drahez.
Vous avez interféré dans l’enquête sur l’agent Rinwald ici présent.
Faux. Je n’ai jamais cherché à masquer la réalité de ses actes.

Gloust est perturbé par mon aplomb. Je comprends mieux ce dont m’a prévenue Alric en début de semaine. On ne ment pas en présence de Martins, si j’avais voulu je ne n’y serais pas parvenue. Les dernières affres d’Ivan de Cimitiero me reviennent en tête, les manchettes à son sujet, l’amiral Fenyang. Fenyang et les galons me ramènent à Brick, à cette pièce. Martins hoche la tête.

Niez-vous avoir conspiré avec Rinwald ici présent, Freja ?
Conspiré ? Oui et non.
Oui et non ?
Si se réunir à trois dans une cave est une conspiration, alors oui.
Et non ?
Nos réunions n’étaient en aucun cas un prélude à une attaque contre les intérêts que nous défendons au quotidien, Drahez.
Précisez.

Je m’en veux d’avoir dit « trois » mais n’ai pas pu le retenir. Maudits fruits démoniaques. Toujours ces regards entre lui et Martins, dont la pupille froide ne quitte pas un point quelque part au milieu de mon front. J’ai l’impression d’avoir une petite bestiole qui me marche entre les deux yeux, m’efforce de ne pas loucher à la chercher qui n’existe pas vraiment. Mentionner Solète, écarter John.

Solète, Rinwald et moi, traquons des traîtres au gouvernement, messieurs.

L’effet de mes propos est loin de la petite bombe que j’espérais, mais j’ai leur attention. Drahez n’a pas sourcillé différemment d’un enquêteur à qui l’on promet une information juteuse. Il n’y a pas de regard entre eux cette fois. Alric aurait dû tapoter sa cigarette au-dessus du cendrier, les particules grises sont tombées sur sa veste. Je vais poursuivre quand la porte vole en grand. Panique, il est là.

Les couloirs résonnent de son nom, je sais qu’elle est ici !
Mais enfin, Monsieur Bique, vous ne pouvez pas rentrer !
La voilà ton autorisation, peigne-cul ! Lâche-moi !

Kaas Brick se tient en plein milieu de la porte, menaçant, magistral et imposant de toute l’aura des membres de la Flèche. Le papier atterrit dans le front du sous-fifre qui recule de quelques pas, sonné. Et je me suis précipitée en arrière, derrière Gloust et Martins, toujours assis.

Et vous, Martins ! Laissez-la-moi maintenant. Réquisition par une autorité que vous ne pouvez pas refuser de servir. Cette fois c’est moi qui gagne.

Le colonel a la face défigurée par le triomphe administratif. Dans le silence qui suit, j’entends le pas lourd de Scorpio à l’arrière-scène. Le service dont il est maître devient un capharnaüm sans nom, et autant Rinwald que moi serons les cibles prochaines de son ire si les zéros ou la marine d’élite n’a pas raison de nous avant cela. Je ne sais pas quel feu je préfère, entre lui et Brick. Je sais que ma seule chance réside en cet homme à qui je ne peux mentir. Je chuchote et l’implore presque.

Martins, vous savez que je dis vrai. Si vous voulez ces traîtres, vous devez m, nous tirer de là.


Dernière édition par John Doe le Lun 2 Nov 2015 - 20:20, édité 1 fois
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Encore ce foutu silence. Solète a disparu on sait pas où. Probable que Martins ou Drahez lui sont tombés dessus, étayant la thèse comme quoi ils étaient p’tet des Murins eux aussi. Ca sent le pâté, et l’arrivée de Kaas Brick muni de son armada administrative augure rien d’bon. Y’a que le chuchotis de la dernière chance de Stern pour nous sortir de là, et l’arrivée de Scorpio qui se contente de mater les choses de loin. Le connaissant, il tire probablement tout ce qu’il peut de la situation et compte bien se placer dans le camps du gagnant. Comme d’hab’, à pas s’mouiller, mais toujours là pour retirer le fruit de la pêche.

Poc Poc, fait le stylo de Martins sur la table. Drahez lui jette un regard en coin sous ses lunettes et semble lire quelque chose dans son expression austère, décidée, impitoyable. Ou alors y’a un signal dans le tapotement. Drahez Gloust remet son col d’abbé de pacotille d’aplomb et ramasse les feuillets jetés par le colonel d’élite célèbre pour sa ténacité en enquête.
« Donc nous avons… Un mandat d’arrestation de l’agent Freja Stern du CP5, constitué par le Procureur Sperz et signé et tamponné par le Juge Suprême Couak lui-même.  Et tout ça dans la journée d’hier. Décidément, vous avez de sacrées ressources, Colonel d’élite Brick.
- On peut abréger sur la parlotte ? Je voudrais pouvoir me consacrer à l’interrogatoire, justement. Une mission de très haute importance confiée par Sainte Neetush Pah.
- Ce qui explique la célérité de la procédure, assurément. Bon, dans ce cas, je suppose que nous n’avons pas réellement le choix. Agent Stern, levez-vous et…
- Poc Poc Poc.
- Ah. Attendez un instant, je vous prie. L’Agent Martins souhaiterait ajouter quelque chose.
- Poc. »

J’me rends compte que j’suis en train de tirer sur le filtre de ma clope. J’l’écrase dans le cendrier et j’en sors une autre aussitôt. Mes doigts tremblent un peu, j’crois. Les Murins. Kaas Brick en fait partie ou non ? Et Martins ? Et Gloust ? Scorpio ? Trop d’inconnues possibles, pas assez d’avancées. Prochaine fois que j’croise Wilson, j’sors le grand jeu, comme pendant les cours. Surtout que j’risque d’être tout seul, avec Stern partie pour le grand plongeon.
Faudra que j’retrouve Kell. Ce sera pas facile. Et faudra que j’aille vite et en plus, y’a l’autre Murin qui sera là, justement, et ils seront tous à Marie-Joie, l’occasion rêvée d’un coup de filet d’ampleur qui… Martins farfouille dans son attaché-case. Il en sort une liasse de papiers. Tous arborent un tampon et une signature. Il les tend, sans un mort, à Kaas.

« Quoi, encore ? Bon, bon… Blabla… Stipule sur l’honneur… Qualité qui m’est conférée… Toutes affaires cessantes… Vous vous foutez de moi, Martins ? »
Il soutient froidement son regard. On peut lui accorder une chose, c’est qu’il a pas la pétoche, même contre un Brick qu’a pas l’air ouvert au dialogue. Avec un rictus, Kaas déchire le papier.
« Voilà ce que j’en fais, de vos papelards. Maintenant, c’est moi qui récup… »
Sans un mot, toujours, Veritas sort une nouvelle liasse de sa boîte. La même que la précédente, d’après la première page. Sans l’faire exprès, j’laisse échapper un p’tit rire. Ca m’attire direct les yeux foudroyants du Marine d’élite. Il tend la main pour reprendre les feuilles, mais Gloust est plus rapide, cette fois.
« Voyons, mon Colonel, nous ne voudrions pas que vous glissiez par accident et détruisiez à nouveau ces documents de la plus haute importance. Je dois avouer que je ne les avais pas encore vus. Je vais donc les résumer pour mon collègue Martins. Vous savez malheureusement le sacrifice qu’il a fait. »
Martins a justement un rictus mauvais sur les lèvres alors qu’il fixe Kaas. Le sacrifice ? Muet, donc. Comme j’pensais. Et pas besoin d’être un génie pour capter que c’est à cause du fruit. Celui qui fait qu’on peut pas mentir. Il se serait couper la langue pour pas causer, hein ? Ca, c’est de la dévotion ou j’m’y connais pas.

« Bien. Il s’agit ici d’un mandat d’arrêt à l’encontre de l’agent Freja Stern, du CP5, prenant effet immédiatement. Ce mandat a été signé par Messieurs Loisel, directeur de la Brigade des Affaires Internes, Konstantov, directeur du CP0, et, enfin, la Vénérable Etoile Mint Figura. La signature ayant eu lieu mardi, soit avant-hier, je suis au regret de vous informer que, selon les lois et accords en vigueur, Stern est, pour le moment et jusqu’à ce que la lumière soit faite sur cette affaire, sous la responsabilité du CP0. Cependant, sitôt notre investigation achevée, nous ne manquerons pas de vous la transférer et… »

Kaas Brick abat son poing sur la table, la brisant en deux sous la force du coup. L’onde de choc fait voler toute la paperasse accumulée dessus et souffle les mèches de ceux et celles qui ont des cheveux assez longs pour. Il est pas loin d’écumer de rage. J’crois qu’on va avoir le droit de vérifier de première main ces rumeurs sur les colonels d’élite et les empereurs pirates.
Tout doucement, Lews Martins ‘’Veritas’’ se lève et fait un simple Poc de son stylo sur sa chaise. Puis il s’approche d’un pas de Kaas. Et ajoute un nouveau Poc. Une seconde et dernière enjambée l’amène à quelques centimètres du Marine dans un ultime Poc. On retient tous quasiment notre souffle. J’regarde l’air de rien les sorties de secours. Mais c’est une salle de réunion, la seule sortie, c’est l’entrée, et Brick est campé dedans.

Derrière, dans les bureaux, c’est le silence le plus complet. Tout le monde a arrêté ce qu’il faisait, tout le monde regarde l’altercation. Bien que nettement plus petit et plus fin que son vis-à-vis, Martins semble ne pas en tenir compte du tout. Les yeux levés vers son adversaire, il laisse échapper un petit souffle.

Enfin, avec un grognement de rage, Kaas se retourne et envoie une main grande comme une pastèque dans le chambranle de la porte, arrachant un énorme morceau de pierre qui va s’écraser entre deux agents plus loin. Puis il part à grands pas en bousculant toutes les personnes sur son chemin et en fulminant.
Calmement, Martins remet sa mèche en place et se retourne. Derrière lui, Scorpio hésite visiblement à venir s’enquérir des raisons de tout ce vacarme dans son domaine, avant de ciller et de retourner dans son bureau, comme tous les autres, qui font comme s’il s’était rien passé. Il va être temps pour lui de remplir les documents pour réparer le mur, et il connaît justement une boîte qui fait ça pour pas cher… Pas vrai ? Faut bien payer cette piscine, hein ?

J’remets mon attention sur Martins. Il nous observe tous, et surtout la table. Puis il entame une série de gestes. Après quelques instants, Drahez acquiesce et file. Enfin, j’recommence à respirer. Ma cigarette s’est éteinte. J’la jette, mon envie est passée. Stern est aux abois. Elle sait pas. Elle sait pas si elle est couverte ou si elle va tomber encore plus bas qu’elle pensait. Alors que moi, ma situation a pas changé, ironiquement.

Un sbire vient nous chercher, nous montre une autre salle de réunion. Drahez attend à l’entrée, puis s’en va. Nous laisse seul avec Martins. Il sort un bloc-note et son stylo. Poc.
« Traitres ?
- Oui. Les Murins. Etablis au sein du CP0 surtout, mais pas que. Solète les traque également, et nous collaborons là-dessus, répond Stern sans pouvoir mentir et surtout sans le vouloir.
- Pistes ?
- Nous avons capturé l’un d’eux. Wilson, recruteur au CP8. Nous n’avons pas réussi à lui soutirer d’informations. Par contre, nous savons qu’à partir d’aujourd’hui, ils seront tous présents à Marie-Joie.
- Poc Poc Poc. »

Le silence s’étend à nouveau.
« Continuez votre journée normalement. Ce soir, nous irons voir Wilson et je lui soutirerai les informations nécessaires. »

Et, effectivement, Stern a pu contacter Kell, qui nous a guidé à la cave, où même Solète nous a rejoints. Une belle équipe, nous cinq, contre les cinq et maintenant quatre Murins restants. Martins pose les yeux sur Wilson et lui ôte son bâillon et…

J’commence à voir une porte de sortie, ou en tout cas un moyen de contrebalancer mon écart de conduite ayant occasionné toute l’affaire. Reste qu’à chopper les autres.

Ca s’fait, putain, ça s’fait.



Dernière édition par Alric Rinwald le Lun 16 Nov 2015 - 21:01, édité 1 fois
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Chèvre au milieu des loups.

L’image danse et danse devant mes yeux chaque moment où mes pensées m’échappent un peu, et elles m’échappent beaucoup. Un petit agnelet blanc, pas forcément innocent mais sans plus de défense désormais, à la merci des crocs monstrueux qui l’encerclent, sur le point d’en être égorgé et sans aucun recours hormis la pure fortune. Parfois le petit être qui bêle a le visage de Wilson, que tout le monde dans cette pièce veut voir crucifié à la croix montée par lui-même et ses complices, la croix de la culpabilité. Parfois l’animal prend les traits de Rinwald, qu’un rien peut encore envoyer à l’abattoir, et Scorpio lui-même appuiera sur la détente pour sauver son service et se débarrasser avec la première énergie d’un agent défectueux. Parfois enfin la petite chose revêt mes propres traits, de longs poils noirs encore frisés du mouvement plein de rage de Kaas Brick me fusillant du regard, tout à l’heure dans les bureaux. J’en frissonne encore.

Et au cœur des loups, Drahez bien évidemment, mais surtout Martins, et Loisel par derrière lui, et toujours plus haut Konstantov, et Figura. Mint Figura ! Le collier explosif qu’ils ne nous ont bien sûr pas ôté n’est qu’une pâle menace, à côté de mon nom monté dans les échelons jusque sur le bureau d’une Étoile, et quand je pense qu’en parallèle il est allé jusque sur celui du Toucan à Enies Lobby, j’ai peine à me contenir. La vie d’espion n’a pas de fin heureuse, se dit-on souvent parmi nous, mais je ne tablais pas sur une disgrâce si totale, et encore moins si précoce. Si j’en réchappe, j’aurai du mal à ne pas avoir été là. En fond de mes émois, Wilson craque puis débite, d’une voix morte comme le regard posé sur lui par Martins, ses noms en serrant les dents du mieux qu’il peut mais sans rien pouvoir, Chagas et les autres, trois autres. Martins ne note rien ailleurs que dans sa tête, Rinwald écoute et mémorise, Solète revenue dans les faveurs de son partenaire savoure un nouveau café trop sucré.

Vous n’oubliez personne, Wilson ?
Comme si je pouvais, grognaAÏE ! Putain maif ççah van pan ?!
Mufle.
Comme si je pouvais, grognasse.

Et John n’est pas là. Wilson est à sa place, ensanglanté désormais de la gifle lourde de Solète dans la chaise d’interrogatoire, mais aussi là, debout tranquille contre le mur, un tricorne éteignant son visage, pas physiquement là bien sûr et pourtant si, tellement physiquement présent. C’est comme s’il avait pris du volume, comme si ses épaules s’étaient affaissées un peu vers l’avant, grevées du poids de la graisse abdominale de leur maître, comme si ses bras pendaient plus écartés de son corps qu’avant, comme les personnes à embonpoint les ont en général.

Les trois autres se retournent vers John-Wilson, et Wilson lui-même, le vrai, contemple son avatar depuis son dernier trône, dépossédé de ses droits à plaider une défense équitable mais surtout dépossédé de sa personnalité. Je l’ai déjà vu faire, au Cimetière d’épaves, il avait mimé Peyn Aucho qui devenait fou à se confronter lui-même, jusque quitter la zone avant que les renforts que j’avais requis n’arrivent. Le mouton dans la prairie de mes songes prend soudain les traits de John mêlés de celui du Murin. Alric sifflote, Solète commente.

Vous avez des amis aux talents insoupçonnés, Stern.
Ve fchuis pas gomme sfa, perfonne ne s’y laiffera pfrendre.
Je ne suis pas comme ça, personne ne s’y laissera prendre.

Mais les protestations du désespoir de Wilson sont inutiles. Martins, qui a cillé pour la première fois depuis que je l’ai rencontré, s’est détourné de lui pour observer son clone. Au bout d’un long instant, il cesse de dévisager le sans-visage puis jette un regard à la blonde. Je crois qu’il va pour sortir de la pièce mais une dernière idée se rappelle à lui. Il griffonne quelques mots sur un papier qu’il agite devant les yeux du renégat. Rinwald lit par-dessus son épaule, pour moi et Solète qui sommes du mauvais côté. John-Wilson siffle depuis l’ombre, appréciateur.

Est-ce que Ri Solète fait partie de votre groupe ?
Fette pfimpo ? HahaAïe !
Cette bimbo ?

La reprise par John adoucit un peu l’ambiance. Solète ne moufte pas, regarde Martins qui la regarde. Elle hoche la tête, lui pas et il se prépare encore à sortir mais se ravise une seconde fois, semblant attendre quelque chose. Solète accède à son souhait.

Martins, est-ce que vous appartenez aux Murins ?

Les lèvres s’entrouvrent et se meuvent, et ne sort qu’un faible son, mais ce son étiré, sorti d’une gorge malade et modulé par une langue coupée, est « -on » et pas autre chose. La vibration de cette voix qui n’en est pas une s’écorche sur les murs sans crépi du sous-sol. Veritas sort enfin, impassible muet à nouveau. Je crois que c’est pour nous qu’ils ont joué cette scène, et je ne suis même pas sûre finalement que Solète ait bien été arrêtée. Martins l’a sans doute confrontée plus tôt, c’est seulement ainsi qu’elle a pu arriver aussi vite quand John m’a confirmé la nouvelle localisation de Wilson. Solète sort à son tour après un dernier regard chargé de sens sur Wilson, le vrai.

Adieu, Wilson.

Il ne répond rien, et John nous rejoint en dernier dans la salle attenante. Il jette les quelques bandes tachées de sang avec lesquelles il a dû nettoyer le prisonnier, peut-être pour mieux examiner son visage de près, retire sa veste, prend le temps de la plier soigneusement, secoue un peu ses manches de chemise pour les étirer, enfile le manteau du traître. La cravate et la coiffure suivent, ne manque que quelques artifices et, au moins de loin de toute façon, l’illusion sera parfaite.

Pas d’appel ?
Non.
Je vous souhaite d’en recevoir un.

C’est moi qui ai répondu et c’est à moi qu’elle adresse sa menace à peine voilée, mais elle tinte aux oreilles de Rinwald aussi, toujours un peu en retrait, toujours dans l’expectative. Je compatis au sens le moins émotif du terme. Son avenir est à peine moins sombre que le mien, désormais. Les Murins contre son sort, les Murins contre le mien. Et encore, restera la question de Kaas Brick et de la requête officielle qu’il a présentée, et restera la question de l’avenir de John après une telle implication dans une enquête qui n’aura jamais existé mais au cours de laquelle tant l’auront côtoyé, fût-ce sous les traits de Kell ou ceux de Wilson.

Chèvres au milieu de loups, dont le destin dépend d’autres loups qu’une carcasse fumante calmera sans certitude aucune. Peut-être, un si gros peut-être. Je soupire. Comme un signe, le denden sonne alors que Solète allait pour remonter à la surface. Les cris du petit escargot traversent l’espace. John ne bouge pas. Je regarde l’infecte bestiole. Pulu pulu. Rinwald regarde l’infecte bestiole. Pulu pulu. Solète redescend pour regarder l’infecte bestiole. Pulu pulu. John attend encore. J’ose fendre le rien.

Kell ?

Il lève un peu la tête, j’aperçois son fin sourire sous la pointe de cuir. Une sonnerie encore et enfin.

Ah ! Et alors, quoi ?! Encore une mission de la plus haute importance ?
Chacun son business, mon ami, chacun son business...

La voix prise par John est un peu essoufflée. Il sort de la poche de la veste de Wilson un petit carton coloré qu’il me tend. Dessus, un prénom féminin, ce qui doit être une somme d’argent trop faible, et une heure, celle qu’il est actuellement. L’interlocuteur laisse passer quelques petits instants avant de lâcher un petit ricanement qui me rend triste, celui des hommes complices de se rouler dans la fange.

Muscle a eu un contretemps lui aussi. Le patron veut décaler à l’aube tout à l’heure, au départ d’une nouvelle ère. Bon pour vous ?
Hmhm. Quel genre de contretemps ?
Du trouble à la Flèche, Kaas Brick a fait du tapage. Rien entendu ?
Ah, ça. Il est passé au Cinq, m’ont dit mes sources.
Au Cinq ? Mais c’est là que...
Une sombre histoire d’agent indiscret, aucun rapport ni avec les héros ni avec nous.

Encore un silence, plus angoissant que le précédent. Mais moins long.

Très bien. À l’aube alors.
À l’aube.

Le silence revient. Wilson-John repose l’animal sur une feuille de salade sorti de la pelisse de John. Le soulagement se pose sur nous mais pour un court répit seulement.

Le départ d’une nouvelle ère ?
Il va peut-être falloir faire revenir Martins...

Mais ma suggestion meurt à peine née, car la réponse vient fort heureusement de Rinwald, seul Marie-Joan pure souche de notre sombre assemblée. Plutôt que des moutons, j’essaie d’imaginer les cinq murins se réunissant la première fois comme ils se réuniront demain. Était-ce dans une cave aussi humide que celle-ci ? Dans un bureau gouvernemental ?  Dans un lieu public comme la Taverne de la Dernière Erreur ou le Primaire ?

L’ancien nom de la gare.
Poétique.

J’aimerais bien voir cette aube. Surtout celles qui la suivront.


Dernière édition par John Doe le Mar 12 Juil 2016 - 9:50, édité 3 fois
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Vendredi - Aube.

Aux aurores, la gare de Marie-Joie est vide. Ca fait des années qu’ils ont viré les vieux panneaux. ‘’Au départ d’une nouvelle ère’’. Des dizaines, centaines d’années. Genre, depuis l’apparition et la démocratisation du train.
Malgré, ou p’tet en raison de l’heure extrêmement matinale, y’a quand même pas mal de passage. J’ai pas besoin de regarder dans la poche de ma veste pour y mater encore une fois les gueules des Murins. Face au fruit de Martins, même Wilson n’a pas pu se fermer comme une huître, et nous a évité de recourir à des méthodes plus salissantes.

Comme il fait pas chaud, j’ai un manteau, et même un borsalino gris. Les bords soigneusement dépliés cachent bien ma gueule, surtout avec l’écharpe en-dessous. Heureusement que tout le monde est pas couvert comme moi, un peu plus et on retrouverait jamais les autres traitres.
J’rentre le premier, Stern et Wilson-Kell devraient pas tarder à suivre. Un type me bouscule et continue sa route sans s’excuser. J’remets le surin en place alors qu’il a failli traverser ma manche pour trouer ses côtes. Faut que j’me détende. On a un coup d’avance. Solète attend dehors, et écoute tout par l’intermédiaire d’un mini-denden glissé dans la manche de Freja, la moins suspectible d’aller au charbon.

Celui dont on a aucune nouvelle, c’est Martins, qu’a débloqué la situation.

J’prends une longue inspiration que j’exhale en buée. Et j’essaie de faire le vide pour ressentir ce qui se passe autour de moi, et utiliser ce haki de l’empathie. J’ai la tentation de fermer les mirettes pour mieux m’concentrer, mais ça serait bizarre. Du coup, ça marche pass top. J’vais m’asseoir au café prévu, où j’prends un exemplaire de la gazette et une tasse. On a à nouveau pas tant dormi, occupé qu’on était à préparer des plans pour chopper tous les Murins d’un coup.

Par-dessus la bordure de mon journal, j’vois Stern pénétrer dans la gare à son tour, jeter un rapide coup d’œil autour d’elle puis se rendre à son point de surveillance, un truc de petit-déjeuner rempli de viennoiseries, de boissons chaudes et de tartines. Rien que l’odeur doit filer la dalle, et j’commande moi aussi un truc plus consistant que mon café. J’lis les mots de mon journal sans les comprendre, tournant lentement les pages en matant régulièrement la grande horloge qui tourne. L’image-même du type qu’a un train à prendre, quoi.

Avec un peu d’avance sur l’horaire, la mine essoufflée et le bedonnement tremblotant, notre copie-maison de Wilson rentre dans la station. Sacrée cicatrice qu’il a, sur tout le bras. Tant qu’il fait pas un strip-tease aux Murins, cela dit, ça devrait aller. Puis il marche, passe à côté de Stern sans lui adresser un seul regard, sort de mon champ de vision.
Cinq minutes plus tard, Freja m’adresse un discret signe du poignet sur lequel on s’était mis d’accord à l’avance. J’plaque quelques berries sur la table, de quoi payer le café et le petit-déj, puis j’ramasse mon journal que j’plie sous mon épaule. Ca le ferait pas qu’un serveur me poursuive dans toute la gare pour me gratter cinq berries de note de frais.

Quinze mètres devant, Stern se gratte le joue en marchant et, sans aucun doute, prévient Solète qu’on va opérer le contact. Une poignée de pas plus tard, j’vois Chagas, avec sa casquette, qui note la présence de Wilson et lui emboîte le pas vers un coin sombre. Un rapide Soru m’amène suffisamment à portée pour qu’avec notre transformiste et Stern, Chagas panique.
Mais pas assez vite pour nous empêcher de le menacer avec pleins d’objets pointus et de lui passer les menottes aux poignets. Une fouille rapide nous permet aussi de lui retirer le mini-denden qu’il cachait quelque part et qui lui permet de faire la causette avec son patron, Horton.

Un son vient de la manche de Stern. C’est Solète.
« Charcot en approche par l’entrée deux.
- On a Chagas. Wilson va attirer Charcot vers nous et on essaiera à nouveau de l’attraper.
- Bien reçu. »
On fait marcher l’informateur des Murins jusque dans une zone interdite au public, et on l’attache à un tuyau. Bon, au suivant, pas vrai ? On s’place, Stern et moi puisque l’autre est déjà parti faire l’appât, derrière une cabine de rangement, ou d’énergie, ou quoi que ce soit. La pression monte tout doucement jusqu’à ce qu’on entende le bruit de deux personnes qui marchent.

Vu son profil, pour Charcot, le genre gros bourrin, on a changé d’approche. Pas de gentille intimidation. On cogne direct. Donc, quand il passe l’angle de la petite construction, j’balance quatre Shigan d’affilée dans son côté, pendant qu’en face Stern frappe les articulations qu’elle voit. Mais il réagit vite. Son Tekkai manque de m’péter le doigt, et j’pense que ça aurait pu m’arriver si j’avais pas rajouté un p’tit Tekkai Kempo de mon cru.
Ca perce, quand même, et le sang coule, heureusement sans m’tacher ou m’en foutre plein les pognes. Mais même avec le bide troué, il trouve le moyen de lever sa garde et d’envoyer des coups de pieds et de poings qui font mouche. Stern s’écarte précipitamment, touchée.

Cela dit, avec Wilson en renfort, le bestiau tombe enfin à terre, ses muscles hypertrophiés se relâchent et son crâne chauve brille plus que le carrelage sur lequel il gît. On l’attache aussi. Heureusement qu’on avait prévu pleins de menottes et tout. Le pire, c’est quand on a eu du mal à les lui foutre aux poignets, tellement ils étaient gros. On a forcé un peu, il sentira plus ses mains.

Ca lui apprendra.

« Horton est entré dans la gare il y a au moins deux minutes ! Coupe Stern en se frottant le bras.
- Kell ? Pouvez l’attirer ?
- Je vais voir.
- Allo ? Allo ?
- Oui, Solète ?
- Horton a reçu un appel et fait demi-tour.
- On est grillé ?
- Je ne sais pas, pas moyen de lire son expression de là où je suis.
- Il est où ?
- Près des quais, il va vers la sortie trois.
- Noté, on va l’intercepter.
- Et les deux autres ?
- Chagas est attaché, Charcot est assommé et attaché aussi.
- Quelqu’un pour les surveiller ?
- On préfèrerait plutôt…
- Je m’en charge, fait Stern.
- Bon bah voilà.
- Et le dernier membre ?
- Pas de traces encore.
- On y va. »

Avec Kell-Wilson, on s’sépare. Il passe un peu devant, sur le côté, pendant que j’suis bien au centre. Il faut quand même cinq bonnes minutes pour qu’on repère Horton, sa haute stature dans la foule, son air impeccable, son costard aux plis millimétrés comme sa coupe de cheveux.
On s’adresse un signe de la tête, avec Wilson. Il va opérer le contact le premier, voir s’il peut l’attirer ailleurs, dans un coin avec moins de monde. Sinon, on utilisera nos prérogatives d’agents, mais ce sera mort pour l’action dans le feutré.

Allez vas-y copain, sois sympa, suis le monsieur dans un endroit isolé…



Dernière édition par Alric Rinwald le Jeu 12 Nov 2015 - 20:35, édité 1 fois
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Je retire les mains de la blessure au shigan de Charcot. Mes doigts sont souillés mais il vit, et il faut qu’ils vivent, tous autant qu’ils sont. Chagas, Horton, lui Charcot, et le quatrième larron hors Wilson. C’est l’anonyme qu’il nous faut. Horton est sans doute le chef mais le dernier doit être sa source, peut-être un commanditaire dans les institutions politiques mondiales ? Les autres ne l’ont jamais vu qu’une fois, Wilson l’a dépeint à Martins comme un petit type efflanqué, reparti très vite dès les premiers temps de la réunion, pas charismatique pour un sou et qui n’a dû ouvrir la bouche que le temps de quelques phrases sans importance. Aucun ne doit en réchapper, d’autant plus s’ils devaient tous venir aujourd’hui, ce serait beaucoup trop bête, une chance gâchée sans doute à jamais, et une chance de retourner dans les bonnes grâces de toute la hiérarchie s’effondrerait. Le visage de Kaas Brick se superpose à celui de monsieur Muscle qui gémit encore contre le sol, je crois qu’il m’insulte entre ses dents rougies mais il m’intéresse peu. Le mal me fait même oublier mon bijou maudit. Chagas quant à lui reste parfaitement silencieux, sonné bien sûr mais attentif à tout surtout. Il doit reconstruire le déroulé : Wilson qui n’est pas Wilson, les coups tellement subits, sa situation immédiate, son avenir presque certain.

Nous sommes dans des toilettes désaffectées, condamnées depuis des lustres. Elles sont sales mais l’odeur n’est pas si affreuse qu’on pourrait l’imaginer, trop de temps a passé depuis qu’elles ont servi pour la dernière fois. J’essaie un à un les robinets jusque le premier qui fonctionne encore. L’eau débitée est brunâtre, elle coule par cahots comme si la plomberie de la ville était défectueuse. Ça ne m’étonne pas dans ce quartier, dans cet endroit. Il y a peut-être un rat plus haut en train de se noyer dans les tuyaux. Quatre petits rats noyés... Je trempe un doigt dans le fluide un peu éclarici, puis l’autre, puis mes deux mains que je nettoie, me concentrant sur les bruits en fond plutôt que sur ma douleur. Charcot m’a fait du mal, tant mieux si la station allongée lui en fait un peu. Je n’entends pas de cris de panique, pas de gros bruits lourds. Horton doit faire des siennes trop loin pour mon ouïe. Malgré l’élancement continu dans l’aine et sur le flanc droit, j’aimerais être là-bas pour les aider.

Mon avenir se joue et je n’aime pas l’idée qu’on parie sans moi.

Des cris, soudain. La vieille gare toute entière résonne d’une détonation puis d’une suivante. Raté pour la discrétion, le Zéro aura fort à faire et sans un succès total je vois Brick se rapprocher petit à petit, sa gueule de molosse prête à s’ouvrir sur moi. Solète grogne dans ma manche, grogne après Horton qui s’en tire et qui tire. Elle entre en action aux côtés de Rinwald et John face à un affreux qui ne se rendra pas, aussi probablement que Charcot. Il y a des renforts dehors, mais faibles, bien trop faibles, et je serai le dernier rempart en cas de pépin. Pour l’instant je n’ai qu’à suivre les beuglements des uns et des autres, faible à mon tour.

droite !
Rinwald !
ui‘d’ssus...
Hmf !

La quadra blonde est la seule intelligible, les voix des hommes me parviennent étouffées, réverbérées par les hauts-plafonds, brouillées par des hurlements que je pense civils. Je jette un œil sur mes prisonniers, ils ont le visage impassible. La surprise de l’arrestation passée, ils redeviennent espions ou presque, entraînés à ne rien dire. Charcot, issu de l’élite avant tout, se permet un fin rictus narquois que son sang rend assez horrible. Ils entendent aussi, leur espoir. Mais leur espoir de quoi ? De finir fugitifs ? Jamais plus les Murins n’existeront. Ou alors, croient-ils vraiment qu’ils sont en guerre contre les bons adversaires, à percer comme ils faisaient la défense depuis l’intérieur ? Je suis tentée de lui demander mais je reste rivée à l’escargophone. Je m’assieds sur une des poubelles pour reposer mon bas-ventre. La contraction des tissus m’arrache un gémissement mais je peux souffler un peu mieux quand même.

on !
ain !
Solète ? Solète ?

Les bruits se font encore plus lointains, et Solète a dû perdre sa communication, ou au mieux passer en approche discrète, ce qui dans les deux cas me rend désormais aussi sourde qu’aveugle. Je me relève, serre les dents, vérifie les fers des deux traîtres, m’approche en boitant de la porte que j’entrouvre. Personne. Le grand hall est désert, la scène apocalyptique. Des journaux par terre, des tables renversées, éclatées, des présentoirs au milieu des bancs, le tableau d’affichage principal éventré. Des oiseaux, qu’on n’entendait pas tout à l’heure sous la rumeur fondamentale, roucoulent dans les recoins près des plafonds, imperturbables. Horton est un dur à cuire, mais au moins il ne s’est pas encore échappé. Wilson et Alric s’échinent contre lui sur un quai d’où ne partira aucune locomotive. Les formes toujours pesantes de John sont stupéfiantes de vivacité, pas si stupéfiantes. Le Murin est droit sorti du Neuf, ses réflexes malgré l’âge sur son dossier, impeccables. Pas de trace de Solète, sauf cette ombre là-b

Eh !

Mouvement dans mon dos. Le tekkai m’est inutile mais comme une gaine il m’aide à dépasser la douleur qui jaillit dans mon geste de recul précipité. Je sens une ombre, une autre qui n’est pas féminine, disparaître derrière un coin de mur et passer dans les stalles, en silence. Je me précipite.

Solète, rappliquez ! Il est icHI !!

Un rankyaku m’interrompt accompagné d’une porte dégondée, j’évite les deux de justesse mais mes articulations crient à ma place et se vengent, je perds l’équilibre, finis sur Charcot et Chagas que je ne me gêne pas pour assommer d’un nouveau tekkai. Et donc, le quatrième larron sait un peu se battre aussi, mais pas assez pour se dispenser de ses coéquipiers et espérer gagner. Il s’est déjà caché dans un nouveau recoin de la pièce, je l’ai senti passer quelque part dans mon champ de vision. Le soru crée des courants d’air, je balaie les cheveux devant mes yeux, et tâche de le repérer. Il ne tapait pas si fort, pas si vite, pas si précis, il doit être à ma portée. Juste l’attendre, encaisser la douleur présente et l’avoir au bon moment, en espérant que Solète ait eu le message. Je n’entends plus John et Rinwald, Chagas et Charcot sont dans l’expectative.

Gotcha !

Il est plus petit que moi, plus léger que moi, je cautionne d’autant la description de Wilson, que jusqu’ici j’imaginais disproportionnée à cause de ses propres proportions un peu en dehors de la moyenne. Mon shigan le manque, le sien me manque, mais ma poussée joue en ma faveur et nous envoie fracasser la porte d’entrée de la pièce. Nous roulons sur le carrelage dans le grand couloir d’accès au hall principal. La pierre lisse mais pleine de déchets du précédent affrontement me cisaille le front, les avant-bras, ma hanche va dans des positions peu courantes, mon coude s’enfonce dans du mou qui doivent être ses chairs, une voix faible rauque à mes oreilles, il est déjà debout.

Je roule-boule avec assez de vitesse pour éviter un nouveau pied vengeur, il y a mis toute sa petite force pas si petite. Les carreaux de marbre volent en éclats et m’abîment encore un peu. Si je m’en sors, Kaas Brick me fera moins peur. Une contraction des jambes m’aurait redressée à mon tour mais l’état de ma bande abdominale m’en empêche. Charcot... Je ramène mes talons vers mes fesses, passe sur les genoux, essaie de remonter en retenant le dernier de mes tekkai à pouvoir avoir assez de résistance pour me protéger. Après, c’en sera fini. Il me parle pendant que je cherche alentour, mais la poussière du sol m’est seule arme, et ce ne sera pas assez pour le déconcentrer.

Nous n’étions pas vos ennemis...
Pas des ennemis, non...

Il arme, je m’arc-boute, le noir monte.

Juste des traîtres...
Et une solution à beaucoup de problèmes.
QU

Mon air bravache faisait peu de poids face à l’exécution voulue par la petite fouine. Mais maintenant que John l’a immobilisé contre un poteau, je peux prendre le temps de l’observer pour la première fois. Sous les avant-bras épais, déjà contusionnés et débraillés, de Wilson, il a l’air encore plus chétif, un chauve malingre à la complexion nerveuse et aux yeux trop vifs. Ses lèvres gonflent à la pression contre le poteau où sa tête est appuyée, il se débat. John lui susurre de se calmer, s’il tient à rester conscient. La voix reste celle de Wilson, l’ancien allié, et c’est peut-être ce qui convainc momentanément le Murin. Son visage étonné ne me dit rien, en effet il pourrait autant être une source qu’un commanditaire, un de ces rats des couloirs de l’assemblée des nations. Je repense aux rats dans les canalisations d’eau, réussit à me reprendre d’aplomb sur mes deux jambes vacillantes.

Ça ira ?
Ç’a été ?

Mon œil est gêné par quelque chose, je passe une main devant et m’aperçois que je suis en sang. Une vraie reine de beauté et d’élégance, sans aucun doute. Je m’éponge d’une manche, affine de la seconde. Comme en réponse, Rinwald et Solète débarquent avec Horton entre eux deux. L’homme les dépasse d’une tête, mais sa tête est basse. Les deux costumes sont déchirés, la tenue de l’agent du Zéro ne vaut pas mieux que la mienne. Mais les menottes tiennent bon. Horton et celui que tient John échangent une œillade, ils auraient à se dire.

Nous aurons à dire. La gare est dans un état lamentable, et son état sera plus important que le nôtre.

Alric de sa main disponible, une main raide aux doigts marqués, extrait son paquet de cigarettes de sa poche intérieure. Elles sont écrasées, il gémit de tristesse. John lui en lance un, aux frais de Wilson. Deux des petits tubes chutent à terre dans les décombres, Alric en allume une troisième après cinq étincelles. La fumée s’élève, Horton passe à ses mains seules. Solète veut ramasser quelque chose, le pose sur sa tête. Scène d’après rodéo : la concurrente, foulée aux pieds par la bête, rajuste sa mise avec honneur et salut au public. Les regards s’interrogent, ma nuque me chatouille.
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On force Horton à s’agenouiller d’un coup de pied à l’arrière des genoux. Puis, avec Solète, on mate le p’tit maigrichon qui est arrivé à retardement avant d’être maîtrisé par Kell, qui reprend des traits qui me sont plus familiers, toujours à la vitesse qui m’avait surprise dans la cave, et dans la gare.

Quand on est tombé sur Horton, tout à l’heure, le gars a réagi tellement vite que c’est à s’demander s’il était pas au courant, s’il s’y attendait pas. Bon, si, c’était ça. Mais il a pas fait mentir son passif d’agent de terrain irréprochable et performant. Quand j’suis arrivé à moins d’un mètre de lui, il s’est retourné et m’a envoyé un coup de feu à bout portant. Heureusement, il a troué que ma veste.
Puis son coude s’est écrasé contre ma mâchoire, ratant mon pif. J’ai accompagné le coup et j’me suis laissé glisser au sol pendant qu’il partait en courant. Normalement, dans la gare qui s’était sensiblement remplie. Parallèlement à lui, Kell devait galoper aussi pour le garder à l’œil. C’est Solète qui l’a canalisé un peu, lui flanquant visiblement la pétoche.

Ils se sont fait face, se jaugeant. Le taureau et le rodéo ? Puis j’suis arrivé juste derrière et Horton a fait un Soru sur le côté, se jetant dans la foule et attrapant une pauvre âme courant par là pour la coincer devant lui, en bouclier, en otage. La tête du gars m’rappelait quelque chose, comme souvent. Les gens se ressemblent un peu tous, à force, aussi.
On s’est figé, un peu. A cause du coup de feu, ça commençait à courir. Il a retiré en l’air, plusieurs fois. Là, c’était la cohue. Mais au moins ça a isolé le coin. Les secours vont pas tarder, que j’me suis dit. Puis l’expression de l’otage a commencé à changer sous nos yeux ébahis. Horton était bien le seul à pas le voir, forcément, d’où il était.

J’ai éclaté d’un rire nerveux.

Kell a saisi la main au flingue, l’a immobilisée. Son talon a tapé le coup de pied du Murin avec une force qu’a dû le surprendre de la part de ce qui devait être un simple civil. Solète était déjà venu au corps à corps, et j’suis arrivé juste derrière. Il a lâché Kell, du coup. J’ai jamais pensé qu’il pouvait faire ça, Kell. Un truc effrayant. Un fruit du démon ? Un genre de Retour à la Vie ?
Puis Horton s’était dégagé, encore. Fort, le salaud de traitre. Il s’est barré vers les voies désaffectées. Probablement plus facile de nous perdre ou de nous prendre un par un, là-bas. C’avait pas marché fort pour lui, et même le départ de Kell pour aller aider Stern avait pas pu renverser la balance. Une vraie saloperie, quand même.

Ouais, maintenant qu’on a nos cinq, on les observe, ils nous observent et s’observent entre eux, se jaugent. Matent aussi bien Wilson, Kell. Il sourit.
« Vous n’êtes pas Wilson, pas vrai ? Affirme Horton d’une voix maîtrisée, calme, grave. »
Kell hausse juste les épaules et regarde Solète. C’est logique qu’elle prenne les rênes de l’opération, j’suppose. C’était sa mission, c’est elle qu’a toutes les cartes en main. J’vais pour m’racler la gorge.
« Y’a Veritas qui s’ramène. Il a bouclé le périmètre aux premiers coups de feu, puis établit le contact avec les types de la gare et de la Marine qui s’étaient ramenés.
- Il était là ? Demande Stern.
- Ouais, juste dehors, en second cordon, avec pas mal d’agents du CP0. Y’a aussi d’autres types, des pointures, apparemment.
- Oh… »
Stern et Kell échangent un regard. Ils doivent penser à Kaas Brick, à l’investigation, aux papelards signés par les pontes de la planète. Faut vraiment que j’trouve le temps d’enquêter sur tout ça, ç’a vraiment pas l’air net.

Et, comme il s’doit, Lews ‘Veritas’’ Martins arrive, accompagné de Gloust, et deux autres bonshommes. J’les connais pas, mais ils doivent pas être des ronds-de-cuir. Rien qu’à leurs mises, leurs mines, et les regards que jettent les autres. A tout hasard, les patrons des affaires internes et du CP0. C’est l’abbé Gloust qui commence à tailler la bavette :
« Félicitations pour l’arrestation, agents. Nous allons maintenant prendre les Murins et les interroger en détail et de manière exhaustive pour déterminer leurs actions exactes. Avec l’aide de l’agent Veritas, nous devrions tout savoir relativement rapidement. »
On grogne, tous.
« Votre participation indispensable à ces arrestations sera bien entendu dûment notée dans vos dossiers, Stern, Rinwald.
- On saura c’qu’ils deviendront ?
- Comment ça, Rinwald ?
- Ben, comme ça va s’finir, quoi.
- Cela ne vous concerne pas, plus, ne vous concernait pas depuis le début.
- Je vois pas en quoi l’existence de traitres et de cellules au sein du Cipher Pol peut ne pas me concerner.
- Je crois savoir que vous êtes vous-même sous le coup d’une enquête, agent Rinwald ? Coupe un des inconnus.
- J’crois pas qu’on ait eu l’honneur d’être présenté.
- Oui, bien sûr. Hector Loisel, chef de la Brigade des Affaires Internes. Et juste à côté de moi se trouve Vladimir Konstantov, directeur du CP0.
- ‘Chanté.
- Je n’en doute pas.
- Mais reste que j’voudrais bien suivre le dossier jusqu’au bout.
- Nous verrons, suivant les informations qui en ressortiront, s’il sera classifié et à quel point, vous connaissez les procédures.
- Hmm… »

J’le fixe droit dans les yeux. Il lève un sourcil. J’crois que j’l’intimide pas des masses. Il doit avoir l’habitude de croquer de l’agent au p’tit déj’, aussi. C’est Solète qu’intervient, ce coup-ci.
« L’enquête sur vous va continuer, Rinwald, Stern. Bien sûr, on notera votre implication dans l’affaire des Murins. D’ailleurs, nous devrions en finir avec tout ça demain… Tout à l’heure, en vérité. Il est déjà vendredi… »
Martins lève le doigt, attire l’attention de tout le monde. Il a un sourire qui ressemble davantage à un rictus, moqueur, ironique, j’sais pas bien. Il tire sur le col de sa chemise et montre l’espace qui entoure son cou. Lui, il a rien, mais Stern et moi, ça nous rappelle immédiatement notre situation. Au loin, loin des chiottes désaffectées dans lesquelles on a trouvé refuge, une cloche sonne. L’heure avance et on doit pas être loin du moment où on doit pointer au Bureau si on veut pas exploser.

C’est précisément ce qu’il nous signale en rigolant, alors qu’on est avec tout le gratin du CP0 pour nous surveiller. Bizarrement, j’aurais pas vu Martins comme le type à raconter des blagues, même avec sa langue. Quand il voit la réalisation dans nos regards, son sourire s’élargit et il a presque l’air de s’marrer franchement.

Salaud.

Sur un signe de la main, Stern et moi, suivis par Kell, on s’tire vite pour pas être à la bourre, même si eux arriveront après nous. Ils doivent encore avoir des trucs à se raconter, aussi. Tout le monde nous regarde nous tailler, l’air indéchiffrables.

Hé.

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Vendredi - Midi

La matinée a filé vite. Elle a été consacrée aux soins et à la rédaction de rapports de missions qui n'avaient jamais existé. Tout un service, sous la férule du Zéro, attaché à créer a posteriori les éléments d'une opération "mains propres", pour justifier les évènements que les unes du matin couvraient déjà quand nous sommes arrivés pour pointer sans exploser.

Réécrire l'histoire sans oublier la véritable. Mon compte-rendu et celui de Rinwald ne seront enterrés dans aucune archive autre que celles des Brigades Internes, pour mémoire, avec celui de Solète et Martins. La version officielle, conçue pour donner l'illusion qu'elle devait ne pas fuiter, sera communiquée à la presse bientôt. Je crois avoir entendu que Yakutsuki en personne, figure de proue et déjà publique du service, la délivrerait. De dangereux terroristes anarchistes, probablement rattachés à la mouvance de Freeman, ont cherché à détruire le symbole de progrès civilisationnel que représente depuis son origine la première gare de la capitale.

Chacun a travaillé de son côté, sans qu'il y ait contact. Mon état physique et la douleur envahissante, maintenant le feu de l'action retombé, ont dissuadé quiconque de venir me perturber dans mon bureau. Écrire m'a distrait l'esprit, pas le corps. Mes mains endolories couraient sur le papier avec quelques accrocs. Mais personne ne lira que Solète, Martins, et peut-être Loisel. Alors deux ou trois ratures ne sont sans doute rien dont me soucier.

Et puis j'ai de plus grosses inquiétudes.

Je déjeune, pour changer, avec Rinwald dans la salle de garde du cinquième étage, tandis que John doit tourner non loin du Primeur. Scorpio rôde autour de la pièce, mais depuis l'intervention de Kaas Brick il se fait étonnamment discret, comme s'il craignait de le voir sortir et casser un mur s'il m'approchait. En face, dans le couloir, les deux Zéros déjeunent aussi. J'ai une pensée triste pour Martins et ses purées, seul aliment qu'il peut goûter sans prendre le risque de s'étouffer avec un trop gros morceau que sa langue n'aurait pas glissé sous ses dents. Une autre pour sa blague de l'aube.

Je carresse mon cou. Le mouvement me tire les basse-côtes et presque jusque l'aine. Ni Rinwald ni moi ne sommes très diserts. Il y a peu à dire, beaucoup à tomber encore, nous attendons une convocation de la blonde pour avoir une idée de notre sort, et surtout moi du mien. Je me demande quel temps il fait à Enies Lobby, si c'est toujours un endroit aussi gris et humide, comme les trois ou quatre fois que j'y ai déjà mis les pieds. Y mettre les pieds en tant que criminelle ? Brr.

Problème ?
Je pensais à Brick, Couak.
Sale affaire, hein.
Rinwald, dans mon bureau.
Vous avez un bureau ici, vous ?

Le regard noir de Ri Solète éteint la gaieté d'Alric. Il tire une dernière bouffée et écrase sa demi-cigarette, suivant docilement la maîtresse de son destin sans un mot de plus. Je reste seule avec mes pensées et je n'aime pas le fait qu'ils me réservent pour la fin. Il est une heure, je repasse pointer à l'accueil et décider de prolonger mon parcours jusqu'au Primaire. Pierce est au bar, en pleine conversation avec Lloyd. Quand j'arrive, ils parlent de différentes qualités de lait. Foutaises.

Le barman va pour une bouteille de whisky mais je l'arrête du geste. Il plisse le front et relève les yeux, un peu surpris. J'ai l'impression que les ridules aux coins de ses orbites tressaillent un peu, c'est peut-être la première fois que nous nous regardons vraiment depuis l'année ou un peu moins qu'il a intégré le service ici. Son regard est clair. Il propose une vodka mais je refuse également.

Je vais prendre un thé. Noir, fumé.
Oh.

Encore la surprise ? John m'accompagne à la table où je nous fais dériver. Il n'y a pas foule, deux ou trois collègues et deux ou trois anonymes. Pas de musicien, le silence n'est brisé que par un ou deux coups de fourchettes, quelques mots parfois. Nous parlons bas.

Pas de nouvelles ?
Pas de nouvelles. Rinwald en aura bientôt.
Pas toi ?
Après peut-être. Rien sur Brick ?
L'Ankou toque à la porte de ses victimes sans avoir été annoncé.
L'histoire m'évoque quelqu'un...
Je ne vois pas de qui tu parles.
Tu ne crains pas qu'il te trouve ici ?
Il me trouvera partout ou il ne me trouvera nulle part.

Je soupire. Son fatalisme coutumier m'épuise subitement. Je suis si fatiguée par cette semaine, j'ai envie de dormir, ou d'un bon bain où je m'endormirais pour ne me réveiller que deux ou trois jours plus tard, dans mon lit et sans collier. Lundi matin serait bien, avec mes routines qui reprendraient comme avant. Avant John ? Ou avant les Murins seulement ? Il allume une cigarette avec le visage faussement coincé, pour se donner un côté Rinwald. L'effet est là, je lui rends un sourire si faible.

Une mention de moi quelque part ?
Non, mais je présume que ça viendra quand ils me convoqueront.
Hm.
Reste prêt.
Quelqu'un connaît Pierce ?

Je tends le menton vers le bar. Lloyd. Ça a trotté dans ma tête. Son regard. Je n'étais pas certaine sur le moment, je n'avais même pas réalisé, mais plus j'y pense et plus mon regard se biaise de la certitude paranoïaque que je le connais d'ailleurs, plus je me persuade que ce n'est pas qu'une bête idée, et plus je fais des rapprochements et moins esprit apprécie ce qu'il dégage. Penchée en avant, je saisis la main à la cigarette de John quand il secoue ses cendres. J'ai soudain l'idée que je ne peux pas le prévenir à haute voix, que peut-être des mini-denden nous écoutent. Sous les tables par exemple. Quel endroits meilleurs que le café Primeurs pour se fournir en informations ? Ma fatigue s'évapore.

À ce soir.

Il a le geste tendre d'un amant qui s'en va, la main qui glisse de mes doigts à mon épaule. Peut-être qu'il aura fait illusion. Je me demande combien d'individus ici sont des informateurs potentiels de Brick, de Scorpio, de Loisel. La brune là-bas ? Le type du 593, arrivé il y a deux mois dans les bureaux ? Vince je crois. Mais ni Vince ni la brune n'esquissent un mouvement. Lloyd continue d'astiquer ses verres, je n'ai pas vu ses mains disparaître. Mon inconscient rééxamine les preuves, et je vais pour régler quand une présence revient vers moi. Que fait John ?

Mais tu
Bonjour, agent Stern. Nous n'avons pas encore été présentés.

Je déglutis comme rarement j'ai eu du mal à déglutir.

Colonel...
Je voulais m'excuser pour mon emportement de l'autre jour. La pression est rude, vous savez.

Son petit jeu est limpide comme de l'eau. Je ne cède pas, me confine dans mon impassibiliité.

Je voulais aussi vous dire à tout l'heure. Nous allons avoir beaucoup de temps pour discuter.

Il indique son col de chemise, rajuste un peu sa cravate plissée. Je peux distinguer des taches de café sur sa chemise par-dessous son imperméable, et l'odeur du tabac fumé pendant les longues nuits de traque est bien plus lourde chez lui que chez Alric. Il sourit, un fin sourire en coin. Je dois être livide, serre toujours les dents. Qu'ai-je à dire ?

Vous n'auriez jamais pensé le regretter, je suppose.
Nous ne discuterons pas aussi longtemps que vous le souhaiteriez, vous n'avez rien contre moi.
J'ai tout contre vous, Freja.
Vous serez déçu par ma conversation et retournerez harceler d'autres jeunes femmes.

Son nez siffle un peu comme il souffle, appréciateur de mon aplomb. Il a raison. Je n'aurais jamais pensé regretter qu'on m'enlève le collier, s'ils viennent à le faire. Il a l'arrogance de payer la note à ma place en se relevant. Pas un signe de tête à Lloyd sur sa sortie, mais je sais que mon instinct était bon. Resterait à déterminer si ses allégeances ne vont qu'à Brick, mais toutes les autres sont très accessoires pour le moment. L'air semble s'alléger quand les portes claquent dans mon dos. Je me raidis et retourne au bureau d'un pas qui ne tolère aucun obstacle.

Alric m'attend contre un mur, bras croisés. Il n'a plus son collier. Pas de Solète en vue, pas de Martins.. Le tirant plus qu'autre chose, je l'emmène dans un couloir vers la salle de repos et le plaque brusquement dans un des débarras attenants. Il tente une boutade mais mon humeur n'y est pas du tout.

Oh-oh, attendons avant de fêt
Tu es descendu aux archives déjà, je pense ?
Je ne vois pas de quoi tu parles.
Kell.
Oh. Temps des confidences, on est amis et tout ça ?
On a déjà couché ensemble pour tout le monde, grâce à Solète...
Vrai. Hin. Amis n'est pas si pire.

J'ai un blanc face à son ironie. La perspective de m'entendre annoncer sous peu par Martins qu'ils me livrent au colonel, maintenant l'enquête finie et les Murins anéantis, me glace le sang.

Et donc c'est Kell le chaînon manquant ?
Je suis le chaînon manquant.
Brick le veut lui ?

Je hoche doucement la tête. Dans la pénombre qui nous entoure, jl est aussi stoïque qu'à l'accoutumée. Des voix dans le couloir, des bureaucrates vont faire la sieste après le repas. Ils sont bruyants, nous n'avons pas à nous faire trop discrets pour qu'ils ne repèrent rien. Leurs paroles s'éteignent, une porte bat, silence. À l'autre bout du corridor, à nouveau du mouvement.

Solète doit te chercher.
Parle-lui du Pantin.

Avant de sortir la première, je glisse l'escargophone dans la poche de sa veste.
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Vendredi - Après-midi

J’regarde le denden droit dans les yeux. Lui fuit mon regard. J’tapote le dessus de la table à laquelle j’suis assis. La journée est pas si avancée mais ça fait un bon moment que j’fais plus rien. J’suis allé prendre une salade à la cantine, Dédé a fait la gueule. J’lui ai dit que j’avais bouffé un truc qu’était pas passé hier.
Solète m’a pas raconté grand-chose. M’a retiré le collier, a dit que mon dossier avait été transmis à mon administrateur préféré, qui m’expliquerait tout ça. Puis elle m’a remercié, en retirant son chapeau, de l’aide qu’on lui avait apportée. J’ai dit ‘’Pas d’quoi’’ et j’suis sorti. Ca m’a pas soulagé plus que ça.

La porte du bureau de Scorpio claque contre le mur avant qu’il apparaisse dans l’encadrement. Je l’entends dire mon nom, tout doucement. Tout le monde l’a entendu quand même. Quand Scorpio cause, les agents écoutent.

Va être temps d’être fixé sur mon sort.

Quand j’me pointe, il est déjà assis derrière son grand bureau, pour une fois vidé de tous les dossiers habituels. Là, la pile est petite, et en pôle position, c’est moi. Juste en-dessous, une copie des conclusions du CP0, d’après ce que je lis à l’envers, puis, probablement le dossier de Stern.
« Rinwald, vous êtes là pour vérifier si je fais correctement mon travail ?
- Non, Monsieur.
- Alors cessez de regarder mes dossiers.
- Oui, Monsieur. Pardon, Monsieur. »
Scorpio est très à cheval sur le respect, surtout quand c’est lui qui le reçoit. Et son expression est aussi calculatrice qu’à l’accoutumée.
« Bon, Rinwald. Vous savez que l’investigation a été lancée par le CP1. Ils se sont plaints de vos actions destabilisatrices. En parallèle, vous avez profité d’être à Marie-Joie pour démanteler un réseau de traitres.
- Avec l’aide de St…
- Oui, j’ai lu le dossier, merci. Les conclusions de la Brigade des Affaires Internes sont que vous êtes difficilement contrôlable. Ce qui est fort dommage pour un agent du Cipher Pol. Vous savez pourquoi, Rinwald ?
- Non, Monsieur.
- Parce que les agents sont là pour obéir aux ordres du Directeur et des Administrateurs, voilà pourquoi. La liberté existe au sein de la mission, dans une certaine mesure, et non en dehors. Ce que vous avez fait sortait très nettement du cadre de la mission qui vous a été confiée. Vous avez donc outrepassé les ordres qui étaient les votres en tuant le roi de cette île. Vous me suivez, Rinwald ?
- Oui, Monsieur.
- Je ne tolèrerai pas de cow-boys dans mon service, Rinwald. C’est pourquoi des sanctions immédiates s’imposent. »

Il croise les doigts, s’appuie en arrière dans son beau fauteuil en cuir et me jauge par en-dessous. J’me retiens de bouger. Les sanctions du Cipher Pol, c’est trier les archives ou une balle dans la tête. Ou tout autre moyen plus ou moins ragoûtant. Y’a rarement un entre-deux, à cause de toutes les informations confidentielles qu’on manie, de tous les trucs qu’on fait et qui devraient pas ressortir. J’cligne des mirettes.
« Cependant, votre intervention en soutien de l’agent Solète a nettement parlé en votre faveur. C’est pourquoi les agents Martins, Gloust, et donc Solète ont tous intercédé pour vous. En addition au dossier d’enquête se trouve une annexe indiquant que vous êtes toutefois un agent de qualité prêt à tout pour le service. Cela vous impressionne-t-il ?
- Je leur suis reconnaissant de…
- Epargnez-moi vos foutaises, Rinwald.
- Je comptais là-dessus, Monsieur.
- Bien. Enfin nous parlons. »

J’raidis mon popotin. Inconsciemment.
« Le CP0 a donc décidé de me laisser toute latitude dans le traitement de votre situation. »
J’tressaille. Il reprend.
« Vous prendrez donc un blâme. Cela sera votre seul et unique avertissement, donc il vaut mieux pour vous que rien de tout cela ne se reproduise. Cependant, ce blâme ne sera pas versé au dossier. Officiellement, vous aurez agi sur mon ordre. C’est un arrangement avec lequel le CP0 est d’accord. »
J’le fixe, maintenant. J’essaie de comprendre. Scorpio fait rarement un truc gratuitement et…
« Bien entendu, quand je dis sur mon ordre, cela vaut aussi bien pour votre écart de conduite que pour l’affaire des Murins.
- Merci, Monsieur.
- Et j’ai justement votre prochaine mission de bientôt prête. Elle devrait vous apprendre la discipline.
- Oui, Monsieur.
- Sortez, maintenant.
- Encore merci, Monsieur. »

Scorpio aime bien quand on rampe devant lui, ça flatte son ego. J’ferme la porte le visage béat de reconnaissance sur une dernière courbette. Dans le couloir, ça lève des regards inquisiteurs vers moi. Mon expression s’relâche, tout comme le souffle dans mes poumons. J’allume direct une clope. Ca suffit comme indication aux autres. Ils retournent tous à leur travail.
Quand j’m’asseois à mon bureau, j’entends un son contre le bord du tiroir. J’l’ouvre, l’escargophone s’agite. Il a dû sentir la salade que j’ai prise pour lui juste à côté. J’lui en file un bout. Puis j’lui fais signe d’appeler, quand il a fini.

Ca décroche drôlement vite, de l’autre côté du fil. J’m’isole.
« Freja ?
- Nan, c’est Alric, Kell.
- … Il est arrivé quelque chose ?
- Kaas Brick, voilà c’qui est arrivé. Et Couak, le Juge Suprême, derrière lui. P’tet d’autres.
- J’arrive.
- Ca, ça m’étonnerait.
- Quoi ?
- Paraît que j’dois causer du Pantin.
- D’accord. Merci, au revoir.
- Hola hola. Juste du Pantin ? Moi j’pense qu’on peut aussi causer encore un peu. Du Cimetière d’Epaves. De Stern. De Peyn Aucho et Sven Pacher, aussi.
- Quoi d’autre ?
- Ca viendra. Ce soir, pas au Primeur, ni la Dernière Erreur. Une suggestion ?
- T’en as pas, toi ?
- J’pense qu’on ferait mieux d’éviter les coins où des agents zonent d’habitude.
- Oui. »

Quelques secondes plus tard, la conversation s’arrête. C’est le milieu de l’après-midi mais j’ai une course à faire avant de retrouver Kell. J’passe les portes de la Taverne de la Dernière Erreur. On va bien voir si j’suis toujours en odeur de sainteté auprès de Gilles le Traitre.
A l’entrée, j’croise le type à qui j’avais parlé en début de semaine. Il a pas changé de fringues pour autant que j’puisse voir, ni de place, ni de posture. Il doit être là aussi souvent que le grand mât sur lequel on colle les piécettes des bateaux disparus. J’jette un coup d’œil pour voir si y’a eu des nouveaux naufrages.
« Tiens, salut. T’étais le mec en début de semaine ?
- Ouais.
- T’souviens du bateau dont on causait ?
- Ouais ?
- Intox, en fait. On a retrouvé le gars.
- D’acc’, merci de l’info.
- Pas d’quoi. »
Ca doit bien résumer le contact social qu’il a avec les gens, ce dialogue. Bah, faut bien des gens qui s’tiennent au courant de tout et transmettent aux autres.

J’suis assis depuis même pas trente secondes que Gilles le Traitre se pointe devant moi. Il tire la chaise d’un pied et pose les godets, petits. Whiskey, probablement.
« Pour fêter l’occasion. Des félicitations sont de rigueur, non ?
- Ouais, sûrement.
- Je te sens pas si jouasse que ça. T’as échappé à l’échafaud, pourtant.
- J’voulais savoir autre chose, que j’avance en faisant tourner le liquide dans mon verre.
- Oui, dis toujours ?
- Stern.
- Ah.
- Oui. ‘’Ah’’.
- Hm. »

Il fixe sa boisson, moi j’le fixe lui. Tiens, j’me demande si… Les yeux toujours ouverts mais sans faire plus attention à ce que j’vois, j’calme ma respiration, j’essaie d’effacer mes sens. La forme un peu sombre en face de moi, immobile. Le bruit du bar, les chaises qui grattent le sol, les choppes qu’on lève puis qu’on abaisse, les déglutissements. L’odeur de l’alcool, la sueur et le sel des corps. Ma salive, quasi-absente à part un léger goût de cigarette.
Puis j’essaie de me projeter vers lui, vers son être, ses pensées. J’bute contre les murs de mon crâne, comme à Silence, quand j’essayais désespérément d’en sortir. Une fois, deux fois. Gilles reprend la parole et j’reprends conscience de mes sens.
« Sous le coup d’un mandat de Couak.
- Je sais.
- Kass bosse pour le CP7 sur ce coup. Finnegan elle-même dirige tout ça.
- Oh. Mais… Ca veut dire que…
- Oui.
- Merde. »

Le silence retombe. J’m’isole à nouveau. C’est la prochaine question qui compte.
« Elle est où ?
- Je sais pas. »
Totalement immobile, j’sens soudain les gens autour alors que mon champ de vision s’rétrécit pour ne pointer plus le dessus de la table devant moi. Même mon corps m’semble lointain alors que ma concentration se tourne vers Gilles le Traitre, qui en sait toujours plus qu’il devrait, qui en savait p’tet un peu sur les Murins sans moufter. J’sens quelque chose, pas un sens, ni un sixième, probablement un septième. J’cligne et j’reviens.
« Ok Gilles, merci. Ca fait combien ?
- C’est pour la maison ce coup-ci, et aussi des suivantes. Merci d’avoir nettoyé le service, Alric.
- Pas d’quoi, c’était un plaisir.
- J’en doute pas. Bon week-end.
- Merci, toi aussi. »

J’avale mon godet cul sec, laissant la chaleur se répandre dans toute ma poitrine. Puis j’sors de la Taverne de la Dernière Erreur pour aller rejoindre Kell. Visiblement, il a les Dragons Célestes au cul, et même si j’lui suis reconnaissant, pas au point de m’mettre en première ligne devant les maîtres du monde.

En tout cas, l’après-midi et la semaine touchent à leurs fins.

Il fait beau et j’m’en suis sorti.



Dernière édition par Alric Rinwald le Lun 16 Nov 2015 - 21:01, édité 1 fois
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Vendredi - Minuit



Les docks sont humides, glissants. Ils ont à peine consenti à me laisser prendre des affaires chez moi. Kaas Brick jubilait, jubile encore. Il a fallu que Solète interfère, que Martins interfère. Que Yakutsuki interfère. Étrange sentiment que celui d'être en même temps choyée et abandonnée par son corps. Y a-t-il un corps des espions ? Sans doute pas. Un semblant de groupe qui s'allie quand il s'agit de faire piétiner des marins, sans vraiment de loyauté ni de sentiment d'appartenance. Scorpio n'a pas cillé quand j'ai franchi les portes du bureau au départ. Je me demande s'il avait déjà parlé à Rinwald à cette heure-là. Je me demande si Rinwald a parlé à John.

Tiens-toi droite poulette.
Un peu de respect, sergent. Pardonnez-le, futur ex-agent Stern.

Mes talons ne sont pas adaptés au terrain, j'ai failli tomber dans l'eau nuit du bassin. Un peu derrière moi à gauche, la monstrueuse ombre du colonel n'est éclairée que par la braise au bout de sa cigarette. Dans le noir plus noir encore qui doit marquer ses pommettes, ses arcades, je ne distingue rien, pas même le blanc de ses yeux. Le soldat qui me croit criminelle de droit commun se raidit un peu, baragouine des mots qui n'en sont pas. Nous continuons jusqu'au quai. L'embarquement se fait sous le manteau, comme si la Flèche voyageait incognito. Je ne comprends pas tout le cérémoniel de la procédure. Je ne comprends pas pourquoi je ne suis pas dans une cave avec Kaas Brick pour seul interlocuteur, et la fin de ma vie défilant devant moi tant que je n'aurais pas trahi John.

Est-ce qu'il se serait fait jouer à son propre jeu ? Est-ce que maintenant que lui et Finnegan ont remué ciel et terre pour m'obtenir, moi proie de peu d'intérêt, par tous les artifices légaux que même Martins ne pourrait contrer, est-ce que les voilà contraints de respecter la loi ? La douce ironie de la situation ne fait pas même trembler mes lèvres. L'odeur putride de la cambuse dans laquelle je me trouve enfermée me retourne l'estomac. Ils m'ont laissé mon collier à tout hasard, si par hasard j'arrivais à échapper à la prise de Brick, mais ils ne m'ont pas menottée. Je suppose que ce serait inutile. J'observe ma dernière demeure d'une toise carrée et je me demande si j'aurai droit à une cellule du même genre à Enies Lobby. Je me demande si Solète m'abandonnera aussi subitement que Martins, Scorpio et Rinwald, ou si elle essaiera de plaider que je suis à  l'origine de l'arrestation des Murins.

Je me demande si John tentera quelque chose de stupide. Je l'espère et le redoute à la fois.

Vous parlerez, Freja.
Vous n'êtes pas très galant homme, Kaas.
Kaas ? Oh-oh...
Vous êtes de cette classe d'hommes auxquels les femmes resteront fermées à jamais.
Contrairement à Joe ?
Qui est Joe ?
Bonne question. Vous voyez que nous avons des points communs.

Brick reste derrière la grille de ma geôle quelques instants, sans me quitter des yeux. Je me sens dévalorisée, réduite à rien. Dans son oeil, derrière son oeil, je ne suis qu'un pion, une pièce du puzzle qu'il essaie de reconstituer pour de plus hautes instances. Je ne sais même pas pourquoi il fait ce qu'il fait, s'il croit vraiment à la justesse de sa mise en branle dans cette affaire. Être le chien d'une noble mondiale complètement folle, le faîte de sa carrière ? J'ai une pensée pour le Major et son avis sur la question. Cette fois je souris narquoisement. J'ai entendu parler d'Edwin Morneplume et de la prétendante à la succession de Cadenhead. L'élite, hein.

Vous frétillez déjà à l'idée de récolter vos croquettes, Kaas, n'est-ce pas ? Vous tous à la Flèche, n'êtes-vous donc rien de mieux qu'un chenil, lancé aux trousses de fantômes pendant que de vrais vivants méfont, tuent, pillent ?
La vérité est dans la bouche de celui qui l'énonce, Freja. Pensez à ce réseau de traîtres que vous venez de démanteler. Ils croyaient au bien de leur action également d'après les rapports que j'ai aperçus. Vous auriez dû les laisser tranquilles selon vos standards, ils ne faisaient pas vraiment de mal après tout.
Oh, vous êtes bien pire opportuniste que moi...
Et pourtant vous voilà derrière ces barres alors que moi je suis devant.

Le couperet tombe. Il n'attend même pas que je rétorque pour tourner les talons et me laisser là, pathétique, déjà frigorifiée, dans la nuit et l'incertitude de la certitude. Wilson et l'agneau gambadent à mes côtés, s'enfuient en bêlant alors que je prends leur place Je m'emmitoufle dans mon épais manteau et me sers de mon sac comme d'un matelas de secours, à côté de la paillasse mangée par les puces. Le roulis ne me berce pas, le silence du navire filant déjà sur la mer ne m'apaise pas. Cette nuit va être parfaitement horrible. Elle l'est déjà.

Je fais des rêves où John vient me sauver et des cauchemars où il fait de même. Je n'ai jamais pensé à lui plus que comme un des seuls hommes en qui je pouvais avoir confiance, sans jamais en creuser les raisons, et j'hésite à penser que le moment est peut-être venu. À l'aube, un juge suprême me sommera de trahir le serment que je ne lui ai jamais prêté, qu'il ne m'a jamais prêté, et de donner sa localisation à Kaas Brick pour que de plus importantes questions puissent être traitées par son ultime autorité. La voix du Toucan résonnera dans une salle d'audience vide de tout public, exempte de tout témoin qui pourrait suivre l'arrêt de ma carrière jamais née et jamais bonne. Scorpio doit déjà faire gratter mon nom des papiers de l'épisode des Murins, le remplacer par le sien sans doute, dans les endroits où ça l'arrange. Rinwald a peut-être contacté John, lui a peut-être transmis mon message. Ou alors il l'a contacté, et il l'a fait coffrer à son tour pour l'offrir à Brick et gagner des galons quelque part. Ou alors il a juste jeté l'escargophone à la mer. John aura eu l'information de toute façon.

Peyn Aucho le Pantin, la Maison-Dieu, le fou, l'exubérant, la marionnette de fantasme. Il avait fallu fuir. Il avait fallu que John choisisse d'abandonner l'homme qui l'avait libéré ou partir avec lui et connaître son sort. Et aujourd'hui encore, il aura fallu qu'il choisisse, entre moi et entre lui-même. Et demain, et tout à l'heure, je devrai faire de même. Le bruit sourd du bois fendant l'eau m'arrache au repos autant qu'il m'en donne. J'essaie de garder un peu de fraîcheur malgré l'air gorgé de sel et le peu de souci pour ma personne de mes convoyeurs. Au cours de la traversée, je crois qu'on vient me voir une fois, mais je ne sais pas si c'est Brick venu contempler son oeuvre. Je me demande s'il est aussi désintéressé qu'il en a l'air, si c'est seulement professionnel ou s'il y a une part de mesquinerie envers moi, personnellement, qui l'ai fourvoyé aussi loin. Peut-être pas, peut-être.

Mes blessures mal soignées me plongent dans une léthargie dolente dont ne m'extrait que l'immobilité totale, dans une demi-lumière venue de la coursive vers ma cellule-cabine. Nous sommes à quai, quelques cris étouffés me parviennent de la manoeuvre d'amarrage. De lourds pas viennent me chercher et il est là.

Vous avez la première audience, estimez-vous chanceuse.

J'enrage autant que j'angoisse. La perspective de fuir ne m'effleure même pas, comme elle n'a pas effleuré Rinwald quand Scorpio l'a convoqué à son retour à Marie-Joie pour lui passer un savon. Je n'ai rien fait de mal, j'en suis sûre, et le seul délit véritable que j'aie commis a été celui de mentir par omission ou demi-vérités. Mais parfois les innocents sont châtiés. Il me laisse me changer, consent même à m'apporter un baquet d'eau froide à l'aide duquel je me rend présentable. Je dois être loin du compte mais il n'en montre rien, sans doute insensible au superficiel.

Agent Stern ?

Il faut deux répétitions à l'assesseur pour que je réalise que la scène a changé, que j'ai grimpé les escaliers depuis le quai, que j'ai passé les pavements sans les voir, que j'ai franchi la grande cour sinistre à l'aube naissante, que j'ai franchi les lourdes portes d'airain, que je suis face à mes juges et sous le feu de mon accusation. Accusation de quoi, je ne le sais toujours pas, je ne le saurai jamais.

Agent Stern, le colonel Brick a pensé adéquat, au regard de vos états de service, d'entendre les chefs d'accusations sous lesquels vous serez poursuivie si vous ne coopérez pas avec lui. Courtoisie professionnelle, a-t-il dit.
Quelle prévenance de sa part...

Derrière Sperz, je le vois qui hoche la tête gravement. Plus vieille ficelle du monde, impressionner la cible en possession des informations. Les simples faits me prouvent que ça fonctionne. Je ne suis pas à ma place ici. Je ne veux pas y être. Je ne mérite pas de subir cette humiliation.

Agent Stern, vous serez reconnue coupable de trahison envers l
J'ai toujours servi les intérêts gouvernementaux, demandez à Martins, pourquoi n'est-il pas ici ?
Agent Stern ! Vous êtes en possession d'informations concerrnant une personnalité d'intérêt pour le colonel.
C'est une question ?
C'est un fait.

Il est intervenu. Mascarade de procès où le dénonciateur peut intervenir. L'hermine au cou du Toucan s'agite un peu. Je sens qu'il est pieds et bec liés. Je voudrais qu'il se sente libre de le dire mais je sais qu'il n'en fera rien. Il est le juge suprême Couak et Sainte Neetush Pah est en définitive sa maîtresse, comme elle est leur maîtresse à tous. À suprême, suprême et demi...

Dans sa grande clémence, la Cour vous laisse dix jours pour réfléchir à votre position et en tirer les conséquences logiques pour vous, la carrière que vous avez bâtie, et l'avenir que vous pouvez encore vous garder. Durant ce délai vous serez à la disposition du colonel. Si dans dix jours son enquête n'a pas bénéficié de votre concours, nous nous reverrons. Réfléchissez bien, Agent Stern.

Le Toucan lève son aile, sa patte, sa griffe. Le maillet qui s'y trouve se lève, et toute l'hypocrise du monde s'abat dans mes oreilles tandis qu'il l'abat sans ciller. Les oiseaux ne cillent pas, ils annoncent la mort.


Dernière édition par John Doe le Lun 16 Nov 2015 - 23:33, édité 2 fois
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Vendredi - Minuit

J’jette même pas un coup d’œil dans la rue sombre, ni dans le vestibule, encore moins sur le palier, et vraiment pas dans l’appartement que j’viens d’ouvrir à partir de mon double des clefs. Dans l’entrée, j’bute contre des trucs étalés n’importe comment par terre, et m’faut la lumière de mes allumettes pour avancer jusqu’au salon.
« Fais pas gaffe au bordel. »
La pièce est aussi bordélique, sinon plus, que d’habitude, et j’hésite à m’propulser aux fenêtre d’un Geppou. Finalement, marcher va aussi, encore que pas sans mal, et j’tire les rideaux pour que la lumière d’un lampadaire tout proche illumine tout d’un nimbe jaune.

Puis j’me tourne vers Kell, toujours tapi dans l’embrasure de la porte, réticent à avancer.
« Vas-y, Kell, assieds-toi euh… là où tu peux, j’suppose. ‘Tain, il pourrait ranger un peu, quand même. Personne viendra avant l’aube, j’pense.
- Merci. On est chez qui ?
- On est pas là pour ça, si ?
- Non. Freja ?
- J’ai eu quelques informations, par un contact au CP0.
- Solète ? Martins ?
- Un autre. Il voulait pas se mouiller non plus contre les Dragons.
- Les Dragons ? Demande-t-il, interloqué. »

J’souris jaune dans la lumière jaune du salon. Juste les dents, pas les yeux. Et là, dans l’appartement de mon daron qu’est en train de se pinter au mauvais pinard à deux rues de là, j’veux mes réponses.
« Mais si, Kell… Ou John ? Tu sais.
- Et Freja ?
- Tu veux pas plutôt qu’on discute un peu, avant ? On a bien cinq minutes, que j’réponds en le scrutant.
- Chaque seconde compte.
- Ouais, mais comme tous les agents du Cipher Pol, j’aime pas pleins de trucs. Qu’on fouille dans ma vie privée et mon passé, d’une. Qu’on s’en serve pour m’appâter, de deux. Qu’on me manie comme un taureau devant lequel on agite une étoffe rouge, de trois.
- De quoi tu parles ?
- Du Cimetière d’Epaves, Stern, Peyn Aucho et Sven Pacher en 1624. Ca te rappelle quelque chose, John ? »

Il se lève brusquement de son siège et j’vois que c’était un carton même pas ouvert.
« J’ai pas le temps de jouer. Si t’as pas les informations dont j’ai besoin, je vais tout de suite…
- Hola, hola, du calme. J’ai les informations. Mais on peut bien commercer, pas vrai ? Comme des gens civilisés.
- Hmpf. Vas-y, alors.
- Avec la question ?
- La réponse.
- Mettons, en gage de bonne foi. Elle a été directement transférée, sous la garde personnelle de Kaas Brick, vers Enies Lobby. Stern est actuellement en route, donc, sur une frégate rapide. Là, elle devrait être entendue par le juge Couak en personne, avec un dossier instruit par le procureur Sperz. Le gratin rassemblé pour l’occasion.
- Merci. »

Le salaud, il va pour sortir, maintenant, mais j’m’y attendais un peu. Il pense tellement qu’à Stern qu’il s’en fout de moi, du coin, d’elle. Il s’est passé des trucs depuis deux ans, ou peut-être qu’il vit sur le souvenir, mais le fait qu’il ait été là-bas avec des révolutionnaires et Freja, puis ici avec elle, ça m’fait pas douter. Il est déjà trop bon en camouflage, en changement d’apparence. A tous les coups, comme il est pas au CP5, il est au Sixième Bureau, celui des infiltrations révolutionnaires longues durées.
J’suis à la porte juste devant lui, et j’la bloque nettement. Il tape de l’épaule, mais j’bouge pas d’un quart de centimètre, fort d’un Tekkai bien placé. Lui recule d’un pas et lève ses yeux changeants vers les miens. Et j’y lis une sale détresse, putain, qui m’fait douter de mon entêtement à tirer quelque chose de plus de tout ça, de plus que la survie de ma tête sur mes épaules.

« Quoi ?
- Mes réponses.
- Ta question ? Et ensuite…
- Oui, oui, ensuite, ce sera bon. Le Pantin dont j’ai parlé.
- C’était l’histoire d’un Pantin qui jouait dans sa propre pièce de théâtre, qui en était prisonnier et qui parvenait pas à en sortir. C’était l’histoire de deux inconnus qui pensaient pouvoir regarder tout ça du banc des spectateurs et se sont retrouvés, sans le vouloir ni le prévoir, sur scène. C’était l’histoire d’acteurs qui sont ensuite tous partis de leur côté en laissant la pièce dans son Cimetière avec son Pantin. Mais le Pantin est parti avec sa pièce. C’est bon ?
- Hein, euh… Oui. Bon courage. »
Il répond pas alors qu’il passe précipitamment à côté de moi, renverse un truc dans le vestibule puis claque la porte derrière lui. Et me laisse seul dans un appart’ qui pue la vinasse et mon nez met enfin un nom sur l’étrange odeur qui me titille depuis tout à l’heure. J’jette un dernier coup d’œil vers les chiottes, pleines de dégueulis sûrement, j’ferme doucement la porte avec mon double des clefs.

Dans la rues, j’m’éloigne rapidement pour pas croiser mon père qui me reconnaîtrait probablement pas et aussi penser. Le Cimetière, d’Epaves probablement. Donc le Pantin, ça doit être un autre surnom de Peyn Aucho. Le genre de trucs à consigner quelque part, ça. J’le remonterai, si j’ai le temps.

Alors que j’souffle une longue expiration, toute la tension retombe brusquement. J’vais pas aller sauver Stern des Dragons Célestes, et quoi qu’elle ait fait, elle doit maintenant en assumer les conséquences, et bon vent à John.

J’rentre chez moi.


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