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Rencontre Chimérique

Inquiet ? Moi ? Non, pas du tout voyons. J'avais juste affronté un Cerbère de sept mètre qui m'avait pratiquement envoyé rejoindre mon créateur en me cramant les ailes, récupéré un sabre maudit qui ne demandait qu'à avoir ma peau à en juger la fréquence d'illusions meurtrières qu'il m'envoyait, et récupéré de mes blessures après avoir participé à une réunion dont ma seule présence à celle-ci me classait parmi les pires Criminels Mondiaux. Qui serait inquiet juste avec ça ? Bon d'accord... j'avais limite mouillé mon pantalon pendant le combat, l'épée me filait la pétoche et j'étais loin d'être optimiste quant au fait de ne pas finir sur un échafaud avec deux guignols de la Marine chargés de me transpercer le torse. Mais par chance, j'avais toujours une chose qui me remontait le moral et que je m'évertuais à faire quand je me sentais aussi stressé que maintenant, à savoir : jouer de la musique. J'avais en effet voyagé en bateau jusqu'à l'île de Shimotsuki, avec mes armes, mon animal de compagnie et ma guitare. East Blue était connue pour être une mer de "faibles" selon la plupart des pirates. Mais quoi que l'on en dise, le Seigneur des Pirates, Gol D. Roger, ainsi que celui qui reprit son flambeau, Monkey D. Luffy, venaient tous de cette mer. Mais malgré cela, il était rare de se faire attaquer au cours d'un simple petit voyage d'agrément. Cependant, l'agrément était pour les touristes, car de mon côté, j'étais venu ici dans un but bien précis.

En effet, après plusieurs recherches, il s'était avéré que les deux épées trouvées dans la grotte au trésor que j'avais découverte, n'étaient autre que deux Meitou d'une qualité exceptionnelle. Si la première d'entre elles et la plus ancienne n'était autre qu'Hiryuushirô, l'une des douze Saijou-Oo-Wazamono, la seconde, quant à elle, prétendait au même rang, à la nuance près qu'il s'agissait du Shodaï Kitetsu, à savoir la plus grande des épées maudites, également comptée parmi les douze lames exceptionnelles de premier rang. C'est dans l'espoir de trouver des indices qui m'aideraient à "dompter la bête", que je m'étais tout naturellement rendu sur l'île de Shimotsuki, berceau de nombreux bretteurs de qualité et patrie du célèbre Roronoa Zoro. S'il était bien un lieu sur terre où l'on pouvait m'aider à récolter des informations sur les épées, c'était sans nul doute celui-ci. Débarquant du navire de plaisance dans lequel j'avais embarqué avec mon chien tricéphale, ce dernier fut assez content de sortir. En effet, pour ne pas indisposer les autres passagers, on m'avait demandé de le laisser dans la cale avec les valises. Inutile de dire que l'animal ne s'est pas privé de se venger, mâchonnant sans scrupule les effets des passagers "indisposés par sa présence", urinant et bavant à tout bout de champ jusqu'à l'arrivée à Shimotsuki. C'est sans doute cette raison qui expliqua le fait que nous partîmes avec une certaine hâte lorsque je découvris le carnage, afin d'éviter que nous ne nous fassions flageller.

Après une course assez intense pour moi, équivalent à une promenade de santé pour l'animal massif, nous finîmes par arriver en vue du village principal. Difficile de ne pas savoir que l'on est dans une ville de bretteur lorsque l'on voit des dojos pousser comme des champignons au milieu d'un village en apparence paisible. Sourcillant légèrement, je finis par reprendre la route pour me diriger vers le bar du village. J'eus la brusque impression de ne pas être à ma place en voyant arriver une flopée d'individus habillés en kimono, tous avec des sabres à la ceinture. Si certains paraissaient normaux, on pouvait en voir qui avaient entre cinq et huit épées à la taille. Assez perplexe, je m'assis au comptoir en commandant un verre de lait, laissant Gehennos devant l'entrée de l'établissement, préférant éviter une nouvelle émeute. Je soupirais en saisissant le verre, avant d'abaisser légèrement mon foulard qui cachait la partie inférieure de mon visage, juste assez pour pouvoir boire sans que l'on ne voit pour autant mon faciès. Si j'avais pu, j'aurais également ôté le bonnet qui recouvrait ma chevelure, mais je ne tenais vraiment pas à ce que l'on aperçoive mon visage. Pour le Leader de la section espionnage au sein de l'Armée Révolutionnaire, rester anonyme était une excellente chose. Néanmoins, même rester discret était une tâche ardue. A peine avais-je bu une gorgé qu'un bretteur, sans doute élève au sein de l'un des dojos, m'aborda de manière assez lourde.


- Dîtes, ça serait pas une lame d'exception à votre ceinture ? Hein ? Dîtes ? Allez ! Hein ! Hein !

Une chance que Kurayami-Hime soit emballée dans du tissu brun. La seule vue d'Hiryuushirô avait visiblement ameuté le bretteur. Mais sa remarque manquant cruellement de discrétion attira aussitôt tout un amas de parasites qui m'entourèrent en me posant la même question, parlant entre eux, et tentant même de toucher mon épée. Entre les "Quelle grosse lame" et questions du genre "Vous devez l'astiquer souvent pour qu'elle soit si douce", je n'étais plus très sûr du sujet vis-à-vis de tout ce brouhaha. Jamais une foule d'inconnus ne m'avait autant mis mal à l'aise. Je préférais ne pas répondre, mais le fait de me faire limite harceler, n'ayant plus d'espace vital pour moi boire tranquillement, me poussa à vider cul sec mon verre et sortir de l'établissement. Une fois la double porte style saloon passée, j'étais toujours suivi par l'amas de parasites énervants. Ces derniers durent se demander pourquoi je me mis à faire un rapide sifflement. Aussitôt, le chien tricéphale qui avait attendu que je sorte avança en remontant ses babines, dévoilant les crocs acérés de ses trois gueules baveuses, fouettant l'air de ses trois queues en rythme. Étrangement, les curieux n'étaient plus si curieux que cela. Allez savoir pourquoi.

Déambulant dans la ville, après avoir cherché dans les archives de la bibliothèque, de la mairie, avoir visité plusieurs dojos, toujours en m'enfuyant suite à la foule de bretteurs maniaques me questionnant sur mon épée blanche, je finis par arriver sur la place de la cité, complètement vidé de mes forces. Au milieu de cet endroit, une fontaine assez imposante. Voir l'eau couler abondamment de la sorte, par le biais des différents jeux de jets, avait le don de m'apaiser. Posant mes fesses sur le rebord de ladite fontaine, j'écoutais le ruissellement de l'eau, sentant une légère odeur d'iode émaner de l'édifice, alors que je me détendais enfin. Malgré mes efforts, pas moyen de trouver quoi que ce soit sur le Shodaï Kitetsu et la manière de calmer ses ardeurs. Outre le fait de renforcer mon endurance aux casse-pieds, ce petit voyage n'avait pas réellement de conclusion satisfaisante. Posant les coudes sur les genoux en joignant mes mains, baissant la tête, je soupirais de fatigue, alors que Gehennos restait allongé devant moi, ses trois têtes se mettant à bailler les unes après les autres une fois qu'il eut croisé ses pattes de devant. Au moins, lui ne se laissait pas mourir. Par chance, le soleil était au rendez-vous et me permettait de lézarder tranquillement pendant ce court instant de paix. Et pourtant...

J'ignorais ce à quoi j'allais être confronté.
    ~Ils dansent, ils dansent, ces sabres, en silence, sur l’île de Shimotsuki où la perfection semble infinie ~



    Depuis qu’elle avait été repêchée telle une âme en peine dérivant sur les fleuves de l’oubli, Calliope n’avait jamais quitté l’île qui l’avait accueillie à bras ouverts. Bien sûr, elle avait déjà vogué sur les flots grâce aux marchands qui peuplaient les mers d’East Blue mais ce n’était pas considéré comme un voyage à part entière. Ainsi, après une semaine marquée par les pluies diluviennes et les orages violents, la jeune amnésique décida qu’il était temps de partir pour quelques jours. Le fait de rester toujours au même endroit la rendait folle… Surtout qu’aucun souvenir ne lui était revenu en tête depuis sa ‘renaissance’. Puis, le mauvais temps n’était pas une chose dont elle se délectait avec passion… Au contraire.

    Lorsqu’elle fit part de ses envies à la vieille femme qui veillait sur elle comme l’aurait fait une grand-mère, elle fut approuvée, à son grand bonheur. D’ailleurs, sachant très bien que sa protégée ne se souvenait plus du monde actuel et des mers qui le peuplaient, elle lui conseilla de se diriger vers une île dont les vertus allaient la séduire. Bien entendu, de nature très mystérieuse, la doyenne n’en dit pas plus afin de susciter la curiosité à l’état pur.

    De ce fait, Calliope décida de prendre de large un jour où la météo fut clémente. Une brise fraiche caressait sa peau de pêche et des fines gouttes de pluie perlaient ses cheveux aux couleurs indéfinissables mais ce n’était pas désagréable… Du moment que le ciel ne grondait pas, il n’y avait pas de raison de s’inquiéter. Seule la mer, un tant soit peu violente, arrivait à effrayer la jeune femme. Mais cela ne l’empêcha pas de prendre la mer avec deux marchands qui se dirigeaient vers l’île qui portait le nom de Shimotsuki…

    Le trajet fut assez agréable. Le temps s’était plus ou moins stabilisé et la houle s’était calmée lentement au fur et à mesure. Bercée par les ballotements incessants, la belle s’était reposée un peu en contemplant l’horizon accoudée sur la rambarde. Ainsi, elle s’était rappelée d’un rêve étrange qu’elle avait fait la première fois qu’elle était partie en mer depuis sa nouvelle vie… Un rêve dont les acteurs principaux avait tenu un rôle qu’elle n’avait pu qualifier à cause d’un blocage psychologique dont elle ignorait le mécanisme… Totalement absorbée par ce songe si ancien, elle n’avait pas fait attention à la peur que l’on pouvait lire sur le visage des deux hommes qui faisaient aller la petite embarcation. Bien sûr, eux savaient que quelques pirates sillonnaient encore les mers bleues… Tomber sur eux n’était pas une chose dont ils rêvaient et ils furent heureux d’arriver à destination sans encombre.

    L’île n’avait rien de commun avec celle que Calliope connaissait... C’est donc aussi ébahie qu’une petite fille qu’elle marcha lentement afin de laisser ses yeux profiter des merveilles qui se trouvaient devant elle. La végétation ainsi que les habitations étaient différentes, tout comme l’ambiance générale. C’était paisible et calme… On pouvait entendre les oiseaux chanter en dépit des rires qui donnaient au lieu une touche de vie. Du paysage émanait une aura bienfaitrice qui rassura immédiatement la voyageuse. Suivant alors les deux hommes qui comptaient rester deux ou trois jours pour des affaires, elle contemplait les habitants ainsi que les armes avec stupéfaction. Des lames de toutes tailles étaient accrochées à leur ceinture… C’était ça, la spécialité de l’île…

    Prise d’un enthousiasme étrange, Calliope déposa rapidement ses affaires dans l’auberge du coin et informa ses deux accompagnateurs qu’elle désirait flâner en ville le reste de la journée. Ses yeux furent alors ravis par les innombrables bretteurs qui arboraient fièrement leur bijou. On pouvait donc voir plusieurs attroupements en ville autour des dojos... Lorsqu’une lame se montrait célèbre, le porteur la montrait fièrement… La jeune femme comprenait cet engouement pour ce genre d’arme mais quelque chose semblait lui échapper. C’était comme si certaines connaissances restaient enfouies dans les méandres de son esprit malade. Le regard vide, elle se baladait dans les rues, attendant qu’un souvenir lui revienne… C’est alors qu’une silhouette masculine reteint son attention… Stoppant alors sa course, elle fouilla dans la mémoire afin de mettre un nom sur cette personne qui la regardait droit dans les yeux… Mais à son grand désarroi, l’échange ne dura que quelques secondes… L'inconnu venait de prendre la fuite dans les petites rues désertes du centre ville. N’écoutant que son courage, Calliope se mit à poursuivre cet homme que personne ne semblait voir. Ses yeux lui jouaient-ils des tours ? C’était fort possible car lorsqu’elle tomba sur une place isolée où une fontaine se donnait en spectacle, elle se retrouva seule… Arme en main, elle se dirigea lentement vers cette eau pure qui volait dans les airs avec une grâce inégalable. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle vit qu’un homme était assis sur le rebord de l’œuvre d’art... De plus, il était accompagné par une bête qui semblait venir tout droit des enfers, il y avait de quoi être étonné. Ne désirant pas se faire remarquer, la jeune femme pensa à faire demi-tour… Mais l’envie de savoir si l’homme qu’elle avait pourchassé avait réellement existé était bien plus forte que l’asociabilité dont elle faisait preuve habituellement.

    Fermant les yeux, la belle prit alors une inspiration et s’approcha doucement afin de faire entendre le doux timbre de sa voix au jeune inconnu.

    « Excusez-moi… Auriez-vous vu quelqu’un passer dans le coin à vive allure ? »

    Maintenant un écart afin de ne pas être croquée par une des trois têtes du cerbère, Calliope attendit patiemment qu’on lui réponde. C’était étrange, jamais elle ne s’était montrée aussi agréable… A croire que la journée allait être le point de départ de l’aventure qu’elle avait tant attendue.





      Ayant décroisé mes bras, j'avais placé ces derniers légèrement en arrière pour me servir d'appuis sur le marbre rafraîchissant de la fontaine. La légère brise qui souffla suffit à envoyer quelques fines gouttelettes humidifier l'arrière de mon bandana, laissant un léger frisson assez agréable parcourir mon échine. Dieu que c'était agréable de se reposer un peu, de prendre du bon temps, et d'oublier temporairement le poids des responsabilités qui pesaient sur mes épaules. Pour la première fois depuis très longtemps, je poussais un soupir détendu, laissant mes muscles se relâcher, fermant mes yeux pour mieux sentir la douceur des rayons du soleil qui irradiaient ma peau. Cette chaleur paisible, je ne l'avais plus ressentie depuis assez longtemps. Elle me rappela de biens bons et vieux souvenirs. La dernière fois que j'avais pleinement profité d'un climat aussi calme, sans avoir de responsabilités à porter ou avoir à rester sur mes gardes, c'était lorsque je jouais dans les rues de l'Archipel Shabondy avec ma guitare.

      Cela faisait près de dix années que c'était arrivé, et pourtant, je m'en souvenais comme si c'était hier. Je n'avais pas tant changé que cela en dix ans, si ce n'était en taille et masse musculaire. Mais mon faciès avait toujours cette même singularité et il aurait été aisé de me reconnaître si quelqu'un de cette époque m'avait croisé. Néanmoins, la seule chose qui avait véritablement changé, depuis le temps, c'était mon regard. Le fait d'avoir été esclave chez les Tenryuubitô m'avait marqué, laissant pas mal de cicatrices, aussi bien sur mon corps que sur mon âme. Mes yeux, jadis plein de vie, s'étaient alors teintés d'un voile de soie, comme si l'étincelle qui les animait avait disparu. Préférer mourir que de vivre cette vie aurait fait perdre la raison à toute personne. Et pourtant, masquant le peu de désir d'exister qu'il me restait pour que mes "maîtres" ne se l'approprient pas, j'avais gardé espoir. J'avais vécu dans la peur de mourir et de souffrir pendant tant d'années.

      Mais un jour, j'avais finalement réussi à comprendre l'essence même de cette chose que l'on nomme liberté. Ne plus avoir peur de rien, ni de la souffrance, ni de la mort. Être prêt à faire un choix qui peut nous coûter la vie, car cette volonté, si elle surpassait la peur, pouvait nous permettre d'accomplir des miracles. C'est après avoir réalisé que la seule chose que j'avais à perdre était la vie, que mon regard a à nouveau changé. D'une expression de poupée vide, j'étais passé à celle d'un prédateur féroce, observant son environnement pour réussir à piéger sa proie. C'est en travaillant méticuleusement que j'avais réussi à organiser mon évasion de Mariejoa, après avoir assassiné le noble qui me servait de maître, me faisant alors passer pour mort en mettant le feu à l'écurie afin de couvrir ma fuite. Je n'avais plus ce regard d'enfant innocent, mais celui de la bête traquée, qui respire calmement malgré sa course effrénée dans l'espoir de semer ses poursuivants. Cette bête, le monde allait apprendre à la connaître tôt ou tard. Sans doute le Gouvernement qui couvrait les crimes des nobles allait-il la diaboliser, mais j'avais bon espoir que ses actes ne soient un jour reconnus comme allant dans le sens de la liberté.

      Mais qu'est-ce que je fais... je suis tranquillement installé au soleil, et voilà que je pense encore à la Révolution ! Il faut que je me décontracte un peu plus, bon sang ! Trop bosser et me stresser de la sorte n'aura comme effet que de diminuer mon espérance de vie. Je devrais prendre un peu plus exemple sur mon compagnon de route. Rabaissant ma tête, je l'observais, alors qu'il était allongé de tout son flemme sur les pavés de la place centrale, devant la fontaine, roupillant comme pas permis. Même lorsqu'il était dans les bras de Morphée, l'animal fouettait l'air de ses trois queues, signe que le rêve qu'il faisait était agréable. Finalement, je crois bien que c'était le fait de le voir ainsi qui m'apaisait le plus. Le soleil faisait luire son pelage noir, comme s'il s'agissait d'un bloc de marbre sombre sur lequel la lumière se réfléchissait. Poussant un léger rire à peine perceptible, je remerciais finalement le ciel de m'avoir donné un compagnon fidèle comme lui, qui m'aidait sans doute plus à supporter le fardeau qui pesait sur mes épaules, qu'il n'aurait pu l'imaginer.

      Alors que je pensais ainsi, des bruits de pas s'avançant sur la route pavée vinrent résonner à mes oreilles. Tournant légèrement la tête, j'aperçus une jeune femme qui se dirigeait vers moi avec quelques signes d'hésitation plus que visible. Néanmoins, le fait qu'elle ait à la main une arme hors de son fourreau ne m'engageait pas à prendre cette visite de manière détendue. Doucement, je portais ma main droite à mon ceinturon, posant mes doigts sur le pommeau d'Hiryuushirô, juste au cas où, sans pour autant témoigner un quelconque signe d'hostilité. Cependant, je doutais fortement du fait que la jeune femme n'ait des intentions hostiles à mon égard. A bien l'observer, elle avait davantage l'air perdu et déboussolée, le tout mêlé à une légère expression d'appréhension lorsqu'elle jeta un regard sur Gehennos. D'une taille assez grande, ses vêtements étaient plutôt atypiques, son bustier écarlate laissant ses épaules à nue, alors que son ceinturon formé de plusieurs tissus soyeux s'accordaient admirablement pour faire la transition entre le côté pastel de son pantalon, et la teinte plus agressive de son haut. Par contre, je devais admettre que ses bottines étaient loin de passer inaperçu. Ses cheveux blonds légèrement frisés et attaché en arrière par un ruban pourpre lui donnaient un air pour le moins... chimérique. Quant à son regard, il était indubitablement troublant. On y sentait une certaine mélancolie, mais également une expression de vide amer déroutant.

      Finalement, une fois assez proche, la demoiselle prit la parole. Sa voix était assez douce, en parfaite osmose avec la féminité qui se dégageait de tout son corps. Néanmoins, je pouvais sentir dans celle-ci une pointe d'hésitation dont je n'aurai su donner l'origine. Soit elle était légèrement troublée par la vision du Cerbère, comme ce fut le cas pour la plupart des habitants du coin, soit elle venait de vivre quelque chose qui l'avait plutôt déconcertée. A en juger le rythme légèrement plus élevé que la normale de sa poitrine qui se haussait à chaque inspiration, elle avait dû courir pendant un moment avant d'arriver ici. Ses paroles me confortèrent d'ailleurs dans mon idée, laissant à penser qu'elle poursuivait quelqu'un. Fronçant les sourcils en tournant mon regard en haut à droite, signe que je réfléchissais en fouillant dans ma mémoire, je finis par plonger mon regard dans le sien afin de lui répondre le plus courtoisement possible. Après tout, je restais le visage couvert devant une dame, je me devais au moins de bien m'exprimer afin de ne pas passer pour le dernier des goujats.


      - Désolé mademoiselle. Depuis que je suis là, il n'est pas une seule âme qui ait daigné s'approcher d'ici. Allez savoir pourquoi...

      Mon regard se porta alors immédiatement sur Gehennos, afin de faire comprendre à mon interlocutrice que c'était sans doute lui, la raison de ce manque de population alors que nous étions sur la place centrale de la ville. L'animal se réveilla avec un air potentiellement pataud, ses trois têtes baillant et se secouant lentement comme s'il tentait de se forcer à sortir de son état léthargique. Sans autre préambule, il s'avança vers moi, sa tête gauche soulevant mon bras droit afin de réclamer quelques caresses et grattouilles derrière son oreille. Souriant légèrement, bien que cela ne soit pas visible à cause de mon foulard, je répondais à la requête de l'animal qui frappa le sol à répétition avec sa patte arrière, signe que cela lui plaisait. Relevant la tête pour reporter à nouveau mon attention sur la demoiselle, je reprenais la parole, légèrement intrigué, tant par l'expression de son regard, que par sa question précédente.

      - Si vous cherchez quelqu'un, peut-être puis-je vous aider. Je n'ai pas grand-chose à faire aujourd'hui.

      Derrière cette requête d'apparence anodine et sympathique se cachait en réalité une certaine curiosité. Certes, j'avais observé beaucoup de micro-expressions en rapport avec le fait d'être décontenancé, mais jamais avec une telle... intensité. Je n'aurai su dire pourquoi, mais le regard de la jeune femme m'intriguait de plus en plus au fur-et-à-mesure que je l'observais. Je n'arrivais pas à déterminer la signification de cette impression de vide qui en émanait. Qui plus est, j'avais observé dans la posture de la demoiselle certaines choses intéressantes. Alors qu'elle tenait sa lame, elle avait effectivement une manière d'agripper celle-ci et de se tenir qui témoignait d'une certaine expérience dans l'art de l'épée. Ses bras étaient positionnés parfaitement pour parer à toute éventualité, tant d'une attaque frontale que d'un assaut se voulant en traître. J'ignorais si c'était parce qu'elle était sur ses gardes ou s'il s'agissait de réflexes que son corps avait assimilé à force de répétition, mais cela me laissait présager qu'il s'agissait d'une combattante émérite.
        ~Le sablier du temps semble s’être figé en proie à des souvenirs bien trop enterrés ~

        Le regard toujours aussi déroutant, Calliope n’en finissait pas de contempler de ses saphirs l’homme qui se trouvait devant elle. Son visage, qui semblait avoir une forme parfaite, était dissimulé habillement afin que personne ne puisse distinguer ses traits. Seules quelques mèches d’un bleu éclatant donnaient des indices concernant sa chevelure camouflée. Jamais la Belle n’avait vu pareille couleur auparavant ce qui vint illuminer ses pupilles quelques instants… Son accoutrement lui rappelait vaguement des hommes… Des hommes qu’elle avait sans doute connus avant son accident. Durant un court moment, elle les vit dans sa mémoire souffrante puis un frisson étrange parcourut son corps, lui donnant la sensation de tomber dans le vide. Ses sens n’avaient plus lieu d’être… C’était comme si elle s’était perdue à jamais dans cet espace clôt qu’était son esprit. Même son corps ne répondait plus, renvoyant l’image d’une poupée sans vie que l’on aurait abandonnée sur la place près de cette fontaine aux vertus apaisantes.

        Mais cet état de transe mystérieux ne s’éternisa pas plus longtemps… En effet, le jeune inconnu au visage caché avait fait entendre le timbre de sa voix, ce qui avait eu pour but de ramener Calliope à la réalité. L'amnésique cligna alors des yeux comme pour traduire son retour à la vie et se rendit compte qu’elle n’avait pas bougé d’un pouce… Les souvenirs concernant sa présence en ce lieu féerique qui s’étaient estompés lui revenaient petit à petit, tout comme les mots qui avaient été prononcés à son égard.

        Ainsi, personne n’était passé dans les parages et cela devait être du à la présence du cerbère qui n’avait rien de réconfortant. Baissant la tête, la jeune femme commençait à se poser des questions quant à sa santé mentale au moment où une scène attendrissante vint se dérouler sous ses yeux dépourvus de vie. Sa bouche fine légèrement entrouverte, la tête penchée dévoilant sa chevelure aux couleurs insensées, elle observait minutieusement les deux amis. Il était rare de voir une telle complicité entre un maitre et son animal, surtout si celui-ci était assez hors du commun. Ils lui rappelaient l’amitié qui liait la vieille femme qui veillait sur elle avec son chat du nom de Luffy… Ainsi, un léger sourire vint se poser sur son faciès qui avait l’habitude de rester figé à longueur de journée. Mais, il disparut aussitôt lorsque le regard perçant de l’inconnu ne fit qu’un avec le sien... C’était si stupéfiant que sa respiration un peu moins saccadée se coupa.

        N’ayant rien de prévu, il se proposait de l’aider dans ses recherches avec une amabilité parfaite. Prise au dépourvue, la Belle ne savait quoi répondre… L’homme qu’elle avait pourchassé n’avait rien eu de réel… Comment expliquer cela sans passer pour une folle qui mériterait d’être enfermée à jamais sur une île perdue d’East Blue ? De plus, elle était quelque peu effrayée par ce qui pouvait se passer par la suite. Bien sûr, une partie d’elle-même désirait en savoir plus sur ce jeune homme mais l’autre partie, plus solitaire et suspicieuse, préférait rebrousser chemin. C’était idiot voire un tantinet impoli mais c’était dans sa nature et elle n’y pouvait rien.

        Rangeant son arme avec une douceur féminine qui lui était propre, Calliope ne savait que dire. C’est donc après quelques secondes de silence qu’elle prit à nouveau la parole non sans se pincer les lèvres.

        « Je… Pardonnez-moi mais je ne saurais vous dire si la personne que je poursuivais était bien réelle, c’est compliqué. Cette poursuite serait une vraie perte de temps, je vous assure… Excusez-moi encore pour le dérangement. »

        Gratifiant son interlocuteur d’une courbette aussi gracieuse que sublime, la jeune femme cachait sa honte derrière le masque d’insensible qu’elle ne cessait d’afficher. Comment avait-elle pu être aussi franche ? A vrai dire, même elle ne le savait pas… D’ailleurs, jamais elle n’avait conversé autant avec un inconnu… A croire que son subconscient l’avait poussé à dire la vérité concernant ses problèmes d’amnésie qui la faisaient douter à chaque seconde. Il était vrai que certains moments de sa vie restaient coincés dans un monde entre le rêve et la réalité… Et chaque jour, il se passait des choses qu’elle ne pouvait classer dans aucun de ces deux espaces. Ainsi, à chaque fois que de bribes lui revenaient, elle ne pouvait faire la différence. C’est aussi pour cette raison qu’elle préférait éviter la foule, de peur de ne plus se retrouver et d’oublier son propre prénom.

        C’est donc avec lenteur qu’elle fit demi-tour afin de rejoindre le centre ville, telle une âme perdue sur les rivières du Styx. Cet homme avait du se faire une idée sur sa personne vu la phrase qu’elle lui avait adressée, fuir était donc la meilleure des solutions même si son cœur lui disait le contraire. La discussion à laquelle elle avait participé n’avait pas touché à sa fin, au contraire, elle ne faisait que commencer.



          Attendant une certaine réaction de la part de la demoiselle, je fus assez décontenancé, mon analyse de celle-ci alors que je la regardais dans le blanc des yeux l'ayant visiblement troublée. Il fallait dire que j'étais un espion formé pour mener à bien les interrogatoires. Même hors du cadre de mon travail, celui-ci me rattrapait visiblement à chaque fois... comme une sorte de déformation professionnelle. Le pire étant que la plupart du temps, je ne m'en rendais pas forcément compte. Néanmoins, observer de la sorte la jeune femme semblait la troubler légèrement. Il fallait dire que j'étais sensiblement intrigué par ses réactions depuis le début de cette conversation. Le fil de ses pensées semblait nébuleux, un peu comme si elle n'était pas certaine de savoir ce qu'elle faisait ici, son regard inexpressif restant l'élément le plus déroutant. C'était comme si elle restait dans les nuages, déconnectée de la réalité. J'avais constaté que lui adresser la parole l'avait bien fait revenir sur terre, mais je commençais de plus en plus à me demander si elle n'était pas sous l'emprise de substances illicites.

          Cependant, même si en apparence, la jolie blonde donnait l'impression d'être dans une transe pour le moins paisible, ses réactions et sa manière de témoigner ses sentiments par le biais de micro-expressions donnaient une impression de cohérence qui invalidait la théorie de la drogue. Trop vague pour être clean, trop cohérente dans ses réactions pour être stone. L'un dans l'autre, je ne savais quoi penser de la jeune femme à l'heure actuelle. Il se dégageait d'elle une aura mystérieuse que je n'aurais su décrire. Mais ma réponse à sa question sembla accentuer ce sentiment d'angoisse qui la tiraillait si j'en croyais mon analyse. Le résultat de son questionnement n'était visiblement pas celui qu'elle espérait, et à plus forte raison, elle affichait une mine encore plus pensive que précédemment. Plus que de l'angoisse, c'était de la honte que je percevais dans sa manière de se tenir et de me fixer. Ses yeux fuyaient légèrement alors que je percevais toutes les micro-expressions correspondant à ce sentiment de gêne.

          La jeune inconnue rangea alors son épée d'un geste assez ample et gracieux, ce qui témoignait d'une certaine habitude avec ce genre de choses que sont les armes. En général, les bretteurs débutants sont souvent maladroits et hésitants dans leurs mouvements. En l'occurrence, je ne percevais rien de cela dans la gestuelle de mon interlocutrice. Néanmoins, le silence qui régna suite à cette action, comme si la demoiselle cherchait ses mots, me confirma qu'elle était en effet perdue et déroutée. J'ignorais qui était la personne qu'elle poursuivait, mais il semblait que celle-ci soit assez importante pour elle. A la honte s'ajoutait la confusion, le tout donnant alors lieu à un balbutiement suivi d'une tirade qui exacerba encore davantage ma curiosité. La personne qu'elle poursuivait n'était pas réelle ? Je haussais un sourcil perplexe, non pas pour la juger, mais pour réfléchir à la signification de ces mots. Sa tournure de phrase laissait à penser qu'elle-même avait envisagé l'hypothèse comme quoi la personne après qui elle courrait n'existait pas, et ce avant même d'avoir ma réponse à sa question. A la honte et le trouble de cette révélation s'ajoutait désormais le doute.

          Suite à quoi, la belle inconnue fit une courbette en signe de reconnaissance, laissant sa chevelure bouclée s'agiter légèrement au moment où elle baissa sa tête. Il ne fallut pas attendre longtemps pour la voir me tourner le dos et partir précipitamment, sans doute gênée par l'allégation qu'elle venait de faire. Je devais avouer que je n'avais pas l'habitude d'être abordé de la sorte, surtout pour que l'on me demande si j'avais vu passer un fantôme, mais je restais tout de même inquiet. Oui, inquiet, quant à ce qui pourrait arriver à une jeune femme aussi perdue et troublée que celle-ci. Je savais que quelque chose n'allait pas, mais visiblement, elle ne voulait pas de mon aide. Lui rendant sa salutation d'un signe de tête alors qu'elle s'en allait, cette rencontre ne cessait cependant de me triturer l'esprit, et les hypothèses les plus saugrenues prirent forme dans ma tête. D'une certaine manière, la belle inconnue m'avait donné l'impression d'être un puzzle ambulant... et j'étais du genre à aimer les puzzles. En laisser un en plan me laissait toujours un certain sentiment d’insatisfaction profonde.

          Même si elle semblait avoir besoin d'aide, elle ne désirait visiblement pas en recevoir, du moins c'était ce que je pensais en me retournant vers Gehennos. L'animal me regardait fixement de ses six yeux, baissant les oreilles et ses trois queues. Ses pupilles écarlates luisaient, comme s'il avait l'air malheureux. Dieu que c'était fourbe de sa part ! Me faire le coup des yeux de cocker juste pour me pousser à agir... Animal diabolique va ! Levant les yeux au ciel en secouant la tête de droite à gauche pour manifester ma lassitude quant à ce harcèlement moral de mon compagnon, je me relevais lentement. Mes genoux craquèrent, sans doute parce que j'étais resté assis un peu trop longtemps. Je soupirais avant d'avancer vers la jeune femme. Quant au Cerbère, il semblait assez satisfait de me voir bouger si l'on en jugeait sa manière de remuer ses trois queues avec gaieté. J'interpelais alors la jeune femme, légèrement gêné d'agir ainsi car après tout, il était assez difficile de parler à une Lady de la sorte sans donner une impression d'insistance assez lourde.


          - Excusez-moi mademoiselle mais... êtes-vous sûre que tout va bien ?

          Mais quelle question stupide ! Décidément, je méritais des baffes. C'est à ce moment que Gehennos aurait dû me mordre un bon coup le mollet. Mais cet abruti laissait pendre sa langue à chaque tête avec un air de bon gros toutou pataud qui attend le moment où on daignera remplir sa gamelle. Pour peu, j'aurais pensé que cet abruti se moquait royalement de moi. Mais il semblait assez satisfait. Demander à une jeune femme qui avait apparemment des hallucinations, s'en rendait compte et était très gênée de cela, n'était pas ce qu'il y avait de plus délicat et encore moins de plus subtile. Pour peu, je me serais mis des baffes. Me grattant l'arrière de la tête à travers mon bandana, je repris la parole afin de faire amende honorable, pour ne pas accentuer le malaise. Cette fois-ci, je me laissais quelque peu emporter par mes propres souvenirs, toujours avec une voix dont le timbre était empli de douceur et dont on pouvait sentir une certaine inquiétude.

          - Je veux dire... j'ai beaucoup voyagé et j'ai rencontré beaucoup de personnes. Certaines d'entre elles avaient vécu pas mal de choses horribles et en restaient marquées à vie de manière assez particulière. On avait l'impression que leur existence n'avait plus de sens, et elles passaient leur temps à errer comme des âmes en peine...

          Génial ! En plus de passer pour un individu manquant cruellement de tact, je passais maintenant pour un pauvre idiot qui avait besoin de raconter sa vie. Ma gêne était tout aussi comparable à celle de la jeune femme qui devait sûrement me prendre pour un détraqué ou dieu sait quoi d'autre. Cessant de me gratter le crâne, je laissais reposer mon poignet droit sur le pommeau d'Hiryuushirô, ce qui me donnait un air assez décontracté, alors que mon autre bras se posa sur la tête droite de Cerbère à côté de moi pour lui caresser machinalement la tête. Fixant toujours la jeune femme avec un regard qui ne dénotait de rien d'autre que de l'inquiétude, je continuais sur ma lancée.

          - Ce que je veux vous dire... c'est que vous avez le même regard vide que ces personnes. Je ne suis peut-être pas ce que l'on peut appeler un bon samaritain, mais je n'ai pas pour habitude de laisser les gens courir à leur perte. Aussi je me permets de réitérer ma question avec un peu plus d'insistance. Êtes-vous sûre d'aller bien et de ne pas avoir besoin d'une quelconque aide ?

          Cette fois-ci, mon regard se fit plus profond et intense, alors que je plissais très légèrement les sourcils, essayant de lire dans les yeux de la belle inconnue ce à quoi elle pouvait bien penser. J'ignorais tout d'elle, mais le peu de temps que je l'avais observé m'avait laissé une impression de détresse comme j'en avais déjà connu. D'une certaine manière, elle me rappelait le regard vide de vie que j'avais lors des premières années de ma captivité, au sein d'une famille de Tenryuubitôs. L'ignorance de savoir ce qu'il va advenir de nous, la torture du doute, le fait de se demander pourquoi cela nous arrive, le sentiment de culpabilité lorsque l'on en vient à penser que tout est de notre faute... tout cela avait abouti plus d'une fois à un désir de mourir qui me faisait honte à chaque fois que je m'en souvenais. Même s'il n'était pas à un stade aussi avancé, le regard de la jeune femme en face de moi me rappelait cette période peu mémorable de ma vie... et le serment que je m'étais fait d'éviter de laisser un tel sentiment se dessiner à nouveau sur un visage.
            ~ Elle fuit, elle fuit, celle qui n’a pas envie de renouer avec la vie…~

            Ses petits pieds foulant le sol avec lenteur, Calliope faisait le point sur ce qui venait de se passer en espérant que tout cela était bel et bien terminé. Jamais auparavant la Belle ne s’était confiée de cette façon… Peut être était-ce à cause du fait qu’elle n’avait jamais connu quelqu’un en dehors de l’île qui l’avait recueillie… ? C’était plausible et pourtant, elle fit un léger mouvement de tête afin de faire disparaitre cette idée quelque peu idiote. Le fait de découvrir de nouveaux visages n’avait pas sa place dans cette étonnante histoire de confiance. De cet inconnu émanait une aura qui l’avait mise en confiance alors que son accoutrement n’avait rien de rassurant. Elle ne savait comment l’expliquer tant cette envie d’en savoir était forte… Peut être l’avait-elle connu par le passé ?

            Touchée par cette pensée, la jeune femme ralentit encore plus sa course afin de réfléchir… Tout s’expliquait. La vision de l’homme étrange qu’elle avait eue n’avait été là que pour la guider vers une personne qu’elle avait connue… Mais dans ce cas, pourquoi lui n’avait-il rien dit ?

            *Peut être que j’ai oublié ce moment…*

            L’oubli… Voilà une chose qui l’effrayait au plus haut point. Bien sûr, ces amnésies profondes ne concernaient qu’un seul sujet… Celui d’un certain type d’hommes et de femmes qui sillonnaient les mers… Et si elle avait fait partie de cette catégorie, alors tout ce qu’il aurait pu lui dire à propos de son passé aurait été oublié à jamais… Prise d’une légère panique, Calliope ne savait plus où aller. Partir à jamais de cette île était sans doute la seule chose à faire… Finalement, ce voyage avait été la plus belle erreur qu’elle avait faite depuis son ‘réveil’… Mais alors qu’elle était déterminée à fuir pour de bon cette place qui respirait la perfection en accélérant le pas, elle fut interpellée par la personne qu’elle voulait fuir. Se retournant en faisant virevolter ses rubans ainsi que ses cheveux, la demoiselle prit un air quelque peu étonné. En effet, le jeune homme semblait douter quant à son état de santé. A vrai dire, après avoir entendu de tels propos, il était normal de s’inquiéter ne serait-ce qu’un peu.

            La jeune femme ne savait que répondre face à l’inconnu qui semblait gêné… Le regard toujours aussi vide, elle attendit patiemment qu’il continue de parler… Là encore, ce n’était pas son genre, mais ce n’était pas non plus le sien de partir en se faisant passer pour une impolie. Ainsi, elle écouta attentivement les paroles assez véridiques de celui qui avait réussi à retenir son attention. Trainer telle une âme en peine après avoir vécu des choses atroces… C’était elle, et elle le savait… Lorsqu’on avait retrouvé son corps au large, il portait des blessures que seuls des combattants hors du commun pouvaient infliger… Mais jamais elle n’avait pensé au fait que ses amnésies pouvaient être dues à un choc émotionnel…

            Complètement absorbée par cet homme à la chevelure saphir qui semblait s’inquiéter sincèrement, Calliope restait silencieuse tout en faisant abstraction du bruit que faisait l’eau de la fontaine. Ses paroles étaient bien trop précieuses pour être ignorées, surtout qu’il devait avoir vécu pas mal d’aventures pour n’affirmer que la vérité. De ce fait, il avoua qu’il avait croisé des personnes aussi perdues que la jeune femme et qu’il ne désirait pas la voir sombrer à force de trop errer. Voilà pourquoi il reposa à nouveau la question qu’il avait posée un peu plus tôt avec regard qui en disait long…

            Jamais de sa vie la jeune femme n’avait mentionné les problèmes d’amnésie qui venaient la hanter autant le jour que la nuit. Aborder le sujet n’était pas une chose facile pour celle qui n’avait pas l’habitude de faire entendre le timbre de sa voix. De plus, personne ne la forçait… C’était elle qui le voulait bien, trop touchée par ce qu’elle venait d’entendre. Certes, son état mental n’était pas des plus mirobolants… D’ailleurs, elle ne pouvait qu’approuver ce besoin d’aide qu’elle attendait depuis si longtemps. C'est pourquoi elle arbora un regard empli d’espoirs tout en dégageant cette aura assez mystérieuse dont sa personne était entourée. D’un air absent et peu assuré, elle posa alors un vrai regard sur celui qui venait de lui donner la force de raconter son histoire afin de faire entendre à nouveau son chant d’une douceur exquise.

            « Je… Je ne sais pas trop ce qui m’arrive… J’ai eu un accident dont je ne me rappelle pas et depuis je ne me souviens plus de mon passé… Certains souvenirs me reviennent, mais… »

            Seules quelques bribes de son passé lui étaient revenues en tête quelques semaines après son rétablissement… Mais concernant le reste, c’était tout simplement le néant. Malheureusement, il n’y avait pas que cette amnésie qui la rendait folle… Fermant les yeux comme si on était en train de lui infliger une douleur déplaisante, Calliope tenta tant bien que mal de finir le récit qu’elle avait commencé.

            « Mais… Ce n’est pas tout. Il m’arrive d’oublier certains moments de la journée, certaines conversations, même certaines personnes… Je ne comprends pas ce phénomène… Et ceux qui m’entourent ne peuvent rien faire… »

            Baissant la tête avec légèreté, elle ne savait plus quoi rajouter afin de retranscrire le mal qui la rongeait. Elle détenait si peu d’informations sur ses symptômes que cela était grisant…

            « C’est incompréhensible, irréversible peut être… Seuls des indices sur mes capacités peuvent m’aider et encore… »

            C’est dans un murmure à peine audible que la Belle avait prononcé ces mots… Très déterminée en temps normal, elle se laissait transporter sur les flots de la tristesse avec une facilité déconcertante. Dévoiler son secret à un inconnu l’avait déstabilisée au point de la démoraliser. En fait, c’était sa réaction qui lui faisait peur… Il ne restait plus qu’à prier pour qu’un fou rire énervant ne ponctue pas les aveux incroyables de l’amnésique aux foulards exubérants.


              Fixant la jeune femme, j'écoutais sa réponse avec attention. Mais plus que de me servir de mes oreilles, j'utilisais surtout mes yeux, à la recherche de la moindre mimique, de la moindre micro-expression, capable de me donner davantage d'informations sur son état. Suite à mes déclarations, elle sembla plus qu'hésitante. Son regard était fuyant et, bien qu'elle ne tremblait pas, sa gestuelle affichait clairement une attitude défensive. Je ne savais pas ce qui avait bien pu hanter le passé de la jeune femme, mais cela devait avoir été assez traumatisant si j'en jugeais sa manière d'éviter les regards, ou même simplement de parler. Là où, en temps normal, quelqu'un aurait repris la parole pour combler le blanc qui donnait suite à mes propos, je préférais ne rien dire, afin de ne pas brusquer la demoiselle. Se montrer trop insistant lorsque l'on fait face à quelqu'un de déstabilisé sur le plan psychologique n'est jamais une bonne chose. Cela n'a pour effet que de renforcer son besoin de protection et pousser cette personne à se fermer comme une huitre. Si le silence régnait, j'étais certain que du côté de mon interlocutrice, le fil de ses pensées comblait cette absence de sonorité ambiante. J'ignorais à quoi elle pouvait bien penser, mais cela lui faisait visiblement peur.

              Finalement, la Lady tourna son regard dans ma direction. Ses pupilles me semblaient légèrement dilatées et le ton de sa voix assez timide. Néanmoins, elle s'exprimait sur un ton assez doux, pour ne pas dire cristallin, qui allait parfaitement avec son apparence que les profanes jugeraient d'excentriques, mais que les personnes ouvertes d'esprit qualifieraient davantage de chimérique. Sa répétition et son balbutiement lors de ses premières paroles renforçaient mon impression sur le fait qu'elle ne se sente pas en sécurité suite à ce qu'elle allait dire. Sans doute qu'annoncer ce qui allait suivre était pour elle une épreuve. La légère crispation de son corps allait également dans le sens de cette hypothèse, alors que je l'écoutais parler. Cerbère, quant à lui, s'était assis à côté de moi afin de se gratter derrière l'oreille de sa tête droite avec sa patte, le tout dans une pose des moins gracieuses. Il ne semblait pas vraiment se préoccuper de ce qui de ce qui se disait ici.

              Si j'en croyais les dires de la demoiselle face à moi, elle souffrait d'une forme d'amnésie persistante. Tout en laissant un léger blanc, ne prenant pas la parole suite à sa première déclaration, je posais ma main droite de manière à prendre mon menton, ce qui me donnait un certain air pensif, mes sourcils se fronçant alors que je fixais les pavés devant elle. A n'en pas douter, la jeune femme était une combattante qui avait dû s'entraîner longuement. J'en avais la certitude de par sa posture qu'elle tenait au moment où je l'avais rencontrée. Néanmoins, je ne savais pas vraiment comment faire pour savoir qui elle était vraiment, elle-même ne semblant pas s'en souvenir. Peut-être qu'utiliser le réseau d'information de l'Armée Révolutionnaire pour voir si des affrontements particulièrement violents n'avaient pas eu lieu au moment de son accident aurait pu l'aider. Néanmoins, je n'étais pas encore prêt à mettre une section entière sous mon commandement à la recherche de l'identité d'une parfaite inconnue. Certes, je désirais l'aider, mais pour limiter les moyens dont j'aurais besoin, il allait falloir que j'obtienne un peu plus d'informations de sa part.

              La deuxième déclaration de la jeune femme me sorti de mes pensées, me faisant relever la tête dans sa direction, avec un air visiblement plus surpris que précédemment. Son amnésie ne se limitait apparemment pas seulement à ce qui était arrivé juste avant son accident, mais affectait également sa vie présente. Si sa mémoire lui jouait ainsi des tours, il pouvait s'agir soit d'un effet psychologique secondaire qui disparaîtrait lorsqu'elle récupèrerait ses souvenirs, soit des manifestations d'un trauma à la tête qui relevait davantage de la médecine et de la chirurgie. Dans tous les cas, je n'étais pas assez qualifié en la matière pour faire autre chose que spéculer. Regardant toujours la bretteuse, je vis qu'après cette tirade, elle semblait encore plus désemparée qu'auparavant. Sans doute qu'énoncer son mal était un pas assez important à franchir pour elle, en particulier face à un inconnu. Dans ses paroles résonnait une impression d'impuissance et de frustration assez évidente. N'importe qui se serait peut-être apitoyé, mais j'étais loin d'avoir le même raisonnement que le premier venu. Plus que tout autre chose, je ne regardais pas derrière moi pour voir les évènements passés et leurs effets sur le présent, mais bel et bien devant, afin de trouver une manière de mettre fin au problème.

              La dernière phrase de la belle inconnue ressemblait plus à un murmure qu'à une déclaration, comme si elle parlait davantage à elle-même qu'à moi. Je ne savais pas s'il s'agissait de l'expression involontaire de ses pensées ou d'une remarque qu'elle comptait réellement me dévoiler, mais toujours était-il que c'était peut-être cette dernière phrase qui me donna une piste pour aider la demoiselle. Cette dernière semblait encore plus fragile qu'auparavant, comme si elle craignait ce que j'allais venir à penser de tout cela. Du moins, c'était ce qui ressortait de sa manière de m'observer. J'avais vécu assez de drames, et vu assez d'autres se manifester chez des camarades, pour savoir pertinemment ce que l'on ressentait lorsque l'on se mettait ainsi à nu. Même si j'étais d'un naturel méfiant, je ne percevais pas la moindre marque de tromperie chez la belle amnésique, ce qui me poussait à agir également le plus sincèrement possible vis-à-vis d'elle. Sans ajouter le moindre mot, je m'avançais dans sa direction. Mon regard était assez sérieux, tandis que mes bruits de pas résonnaient sur la place déserte. Finalement, à peine à quelques centimètres d'elle, je levais ma main droite pour la poser sur le sommet de son crâne, comme le ferait un frère qui rassurerait sa sœur cadette.


              - Ca va aller. Ne perdez pas espoir.

              Tout en lui ébouriffant légèrement les cheveux comme pour la rassurer, on put voir que je n'affichais plus la même expression concentrée et passablement effrayante d'un instant plus tôt. Même si seul mon regard était visible, on pouvait deviner à celui-ci et à la manière dont mes pommettes remontaient légèrement que j'étais en train d'afficher un sourire franc et confiant. Retirant ma main de la tête de la jeune femme, je lui tendais celle-ci. Elle avait joué franc-jeu avec moi, et ce avec un certain courage étant donné les déclarations qu'elle avait faites. Il était donc tout naturel que je ne lui rende la pareille, afin d'augmenter le sentiment de confiance qu'elle pourrait avoir à mon égard. Tout en lui tendant la main, je décidais donc de me présenter.

              - Je me prénomme Reyes Damien, l'un des cinq Leader de l'Armée Révolutionnaire, responsable de la section Renseignements et Tactique. Enchanté.

              Certes, la déclaration avait de quoi être assez choquante, car ce n'était pas tous les jours qu'un Officier Révolutionnaire venait à se présenter de manière officielle. Mais ce n'était pas non plus tous les jours que l'un d'entre eux tombait sur une jeune femme amnésique et visiblement dans le besoin. En général, j'évitais de dire dans quelle section je travaillais, mais étant donné les circonstances, j'avais pensé que cela pourrait intéresser mon interlocutrice. Après tout, j'avais fait exprès de mentionner cela afin que dans son esprit, la relation entre renseignements, espionnage, et possibilité de l'aider grâce à cela, se fasse sans que je n'ai besoin de le mentionner. Néanmoins, j'espérais par la même occasion avoir l'identité de la jeune femme, en espérant qu'elle se souvienne au moins de son nom, prénom, ou même surnom, car je devais l'avouer, je n'étais pas très bon dans ce qui était d'inventer des prénoms aux gens.

              J'espérais également qu'en lui indiquant clairement mon identité, alors que cela impliquait pour moi certains risques, elle se déciderait à se confier sans crainte, que la gêne et l'inquiétude qui tapissait son visage lors de nos premiers échanges n'en vienne à disparaître. Plus j'en saurais sur elle, et plus je serais à-même de l'aider à retrouver son passé, quitte à devoir farfouiller un peu dans les archives de l'Armée Révolutionnaire. La Nouvelle Union venait de naître et c'était une bonne occasion de tester la mise en commun de nos ressources, même si cela était quelque peu dérangeant de le faire pour un problème qui n'avait rien à voir avec notre camp ou même notre cause. Mais qui sait, peut-être que la demoiselle face à moi pourrait également prendre part à la lutte si jamais nous en venions à l'aider. L'un dans l'autre, je ne pouvais que spéculer, mais dans tous les cas, je n'étais pas le genre de personne qui laissait dans la panade les gens en détresse. Peut-être que pour certains de mes camarades, cela relèverait de la faiblesse, mais pour moi, il s'agissait d'être en accord avec la mission révolutionnaire, à savoir amener la paix, la sagesse, l'égalité et la liberté aux peuples soumis. En un sens, la belle inconnue face à moi était tout autant prisonnière que les esclaves des îles éponymes. Comment pourrais-je aider ce monde si je ne suis même pas capable de venir en aide à une seule personne dans le besoin...
                ~Pauvre amnésique aux cheveux de blés, elle ignore tout de l’humanité…~

                Le regard toujours aussi dépourvu de sentiment, Calliope contemplait le visage camouflé de l’homme qui lui faisait face. Les aveux qu’elle venait de faire ne la mettaient pas très à l’aise mais elle refusait de montrer ne serait-ce qu’une once de tristesse. Ainsi, terrée dans un silence pesant, la belle attendait patiemment un semblant de réaction de la part de celui qui ne cessait de l’hypnotiser. Jamais elle n’avait rencontré une personne aussi compréhensive, et elle fut très surprise des gestes amicaux qu’on lui adressa. L’inconnu s’était lentement dirigé vers elle afin de poser avec douceur une main sur sa tête. Ce n’est qu’après lui avoir destiné des mots rassurants qu'il lui ébouriffa un peu sa chevelure aux reflets dorés. De ce fait, les yeux de l’amnésique s’écarquillèrent afin de traduire l’étonnement qui la fit frémir. Ce geste de compassion avait fait battre son petit cœur aux rythmes des tempêtes qui ravageait les mers les plus sombres… Comment pouvait-il être aussi agréable alors qu’il ne la connaissait pas ? Figée par la stupeur, la Belle prêta une grande attention à la main qui se détacha de ses cheveux… Enfin elle allait connaitre le nom de celui qui bousculait sa façon d’être avec ceux qui l’entouraient.

                Regardant la poignée qui se tendait à présent vers elle, Calliope écouta attentivement les paroles de son interlocuteur masqué. Ainsi, il se nommait Damien Reyes et était un des leaders de l’Armée Révolutionnaire… Mais qu’était-ce donc cette organisation dont la jeune femme n’avait jamais eu vent ? Fronçant les sourcils, elle hésita alors à se présenter à son tour… Et si l’homme qui se trouvait devant elle jouait à un jeu fort déplaisant dans le but de la piéger ? Tout était possible et aucune hypothèse farfelue n’était à exclure pour l’amnésique qui ne reconnaissait rien ni personne. De ce fait, elle plongea à nouveau son regard gorgé de saphir dans celui du fameux Damien afin d’analyser ce faciès qu’il cachait… Rien ne laissait présager qu’il voulait la tuer, au contraire… On ne pouvait lire que de bonnes intentions dans ses yeux…

                Gracieusement et après un moment de réflexion intense, la jeune femme aux cheveux d’or posa sa main aussi douce que la soie dans celle qui était tournée vers elle tout en se présentant d’une voix ensorcelante.

                « Je me prénomme Calliope… Calliope Ningyo, enchantée de faire votre connaissance… »

                Gratifiant l’homme d’une courbette élégante, la Belle ramena avec lenteur sa main vers elle… La présentation étant faites, il restait un point qu’elle désirait éclaircir rapidement afin d’avoir les idées fixes concernant l'étrange personnage. Le visage animé par la perplexité, elle prit le soin de choisir ses mots avant de faire à nouveaux entendre cette voix qu’elle cachait bien trop souvent. Ainsi, dès qu’elle fût prête, elle décida de se lancer non sans se sentir mal à l’aise.

                «Pardonnez-moi, mais qu’est-ce que l’Armée Révolutionnaire ? »

                Compte tenu du fait que l’un des leaders était masqué, Calliope avait doucement murmuré la fin de sa phrase afin de ne pas nourrir la curiosité d’une personne qui aurait pu se trouver non loin d’eux. Tout laissait penser que cette organisation n’avait rien d’officiel mais elle ne pouvait deviner la place qu’elle détenait au sein de ce monde de marins. De ce fait, elle prit la peine d’éclairer le jeune homme quant à certaines choses. C’est donc d’une voix monotone et mélancolique qu’elle fit un nouvel aveu.

                « Ne m’en voulez pas, j’ai oublié à peu près tout de ce monde… Les gens qui y vivent, les mers qui le font vivre… C’est comme si je venais tout juste de poser les pieds dans cet univers… »

                C’était frustrant de ne rien savoir mais de posséder certaines aptitudes qui lui permettaient de vivre comme les autres. La mer, l’air marin, les tempêtes… Ses connaissances ne semblaient pas avoir de limites mais ses amnésies la bloquaient totalement. Son esprit était un immense puzzle dont les pièces manquantes s’avéraient être les plus importantes… Soupirant d’exaspération, l’amnésique se sentait encore honteuse d’avouer ses faiblesses… Être sociable allait prendre du temps mais ça en valait sûrement la peine. Peut être que cette histoire de révolution allait l’aider dans sa course aux souvenirs… Le destin aurait-il fini par être tendre avec elle ? La réponse n’allait pas tarder à venir…

                  Tout en tendant ma main à la jeune femme, je sentais chez elle une partie de son être qui semblait pour le moins méfiant vis-à-vis de mes paroles. Néanmoins, je comprenais parfaitement cette réaction. Se retrouver seule, livrée à elle-même, était loin d'être une chose des plus plaisantes. Moi-même j'étais passé par ce détestable stade de mon existence. Il est difficile de savoir quoi faire, où aller, et même à qui faire confiance. Après m'être enfui de Mariejoa, j'avais erré, encore trop marqué par les années de torture que j'avais subi pour pouvoir me fier à qui que ce soit. Le moindre geste brusque me mettait en alerte et le moindre mouvement de sourcil trahissant une quelconque colère laissait chez moi une peur indicible s'enraciner dans mon esprit. Oui, commencer une nouvelle vie après avoir vu celle que l'on avait avant partir en morceau n'avait rien d'évident. Voilà pourquoi je parvenais à comprendre parfaitement le ressenti de la jeune femme en face de moi. Voilà pourquoi, plus que quiconque, je savais qu'il ne fallait pas la juger sur ses peurs et angoisses actuelles. C'était pour cette simple raison que je savais parfaitement à quel point il était dur de faire confiance dès la première rencontre.

                  Indubitablement, alors que je la fixais droit dans les yeux, j'avais l'impression de me revoir quelques années auparavant. Qu'est-ce qui avait pu se passer entre cette époque de peur constante et aujourd'hui ? Comment avais-je pu passer d'un crève-la-faim à un combattant émérite qui n'a pas peur d'avancer ? La réponse était plus simple qu'il n'y paraissait. Plus que tout autre chose, je regardais toujours dans le passé, mais non pas pour y revivre mes peines et souffrances, mais pour y trouver la détermination de toujours avancer sur le chemin que j'avais choisi. J'étais parvenu à trouver dans toutes ces éprouvantes épreuves une force inébranlable et une volonté plus solide encore que l'acier. Ce que j'avais vécu, ce que j'avais enduré, me servait maintenant de carapace pour affronter les dangers auxquels je faisais désormais face. J'avais su puiser dans mes années de calvaire m'ayant profondément marqué pour en faire ressortir quelque chose de bénéfique tant à autrui qu'à moi-même. Je savais qu'il était impossible de tourner la page, mais à défaut de me lamenter sur mon sort, j'utilisais cette expérience pour empêcher qu'elle ne se reproduise.

                  Voilà pourquoi, à l'instant où la jeune femme me serra la main avec une douceur féminine, elle put voir dans mes yeux le reflet de toute cette détermination. Quant à moi, je pouvais percevoir chez elle un brin d'espoir, comme un pas en avant qui pourrait sembler insignifiant pour n'importe qui, mais dont je savais mieux que quiconque qu'il symbolisait une grande avancée pour la demoiselle face à moi. Faire à nouveau confiance après une épreuve particulièrement difficile est toujours une étape difficile, aussi je sentais désormais peser sur moi la responsabilité que je venais d'endosser en acceptant cette confiance jeune et fragile que venait de me confier Calliope. Il s'agissait à la fois de quelque chose de gratifiant, mais également d'extrêmement difficile à porter, car la moindre traîtrise envers celle-ci pourrait sans nul doute entraîner un ébranlement total de la confiance que pourrait porter la jeune femme à l'ensemble de ce monde.

                  La saluant respectueusement lorsqu'elle fit une légère courbette, afin de lui rendre ce signe de respect, je sentais tout de même un certain malaise de sa part. Un silence assez pesant régna après cette présentation pour le moins difficile. Mais plus que tout, je sentais une certaine angoisse, ou peut-être une gêne, chez la jeune femme. Ses quelques mimiques trahissaient son envie de prendre la parole malgré cette sensation, aussi restais-je silencieux en attendant qu'elle ne trouve ses mots et le courage de les faire sortir de sa bouche. La brusquer en lui posant la question de savoir ce qui n'allait pas n'aurait sans doute eu pour effet que de la braquer, aussi valait-il mieux que je prenne mon mal en patience sans que cela ne me dérange pour autant. Finalement, elle lâcha sa question qui eut un effet assez... particulier. A la manière d'un vieux dessin animé, assez surpris par l'interrogation de la demoiselle, je manquais de me casser magistralement la figure avant de me redresser en me grattant l'arrière du crâne, prenant la parole avec une certaine surprise non dissimulée dans ma voix. Mais avant cela, la demoiselle s'excusa de sa question, peut-être à cause de ma réaction pour le moins surprise. Aussi parais-je au plus presser en la rassurant.


                  - Ne vous inquiétez pas, je comprends parfaitement. C'est juste que je me disais que comme l'Union Révolutionnaire est encore récente, il était de toute façon peu probable que vous ayez entendu parler de nous à l'actuelle.

                  Essayant de faire disparaître ma gêne en cessant de me frotter l'arrière du crâne, je percevais alors chez les trois têtes de Gehennos une expression pour le moins dépitée face à mon comportement. C'était comme si l'animal venait d'avoir soudainement pitié de moi. Oh, c'est bon, même moi je peux me faire surprendre que je sache, qu'il arrête de me lancer ce regard accusateur un peu ! Essayant de reprendre mon sérieux, je tentais alors d'expliquer ce qu'était l'organisation pour laquelle je travaillais à la jeune femme.

                  - Pour faire simple, disons que l'Union Révolutionnaire est une organisation qui... ne cautionne pas vraiment la manière dont le Gouvernement Mondial gère ce monde. Que ça soit par l’octroi de privilège à des hommes corrompus, ou par la tolérance de l'esclavage, leur politique nous semble pour le moins inacceptable. Voilà pourquoi nous les combattons, afin de mettre fin à ce genre d'inégalité et aux crimes qu'ils commettent sous prétexte de faire régner la justice. Pour résumer un peu la chose... nous sommes la catégorie de "criminels" que le Gouvernement exècre plus que tout... mais au final, nous sommes les gentils.

                  J'avais essayé d'ajouter une pointe d'humour sur la fin de ma tirade, car après tout, peu importe le point de vue que l'on adopte... le Gouvernement avait tendance à nous faire passer pour des monstres sanguinaires n'œuvrant que pour le plaisir de combat, ou encore nous faisait-il passer pour une bande d'anarchistes n'acceptant que l'idée d'un chaos politique. Personnellement, je n'avais jamais été pour l'anarchie... celle-ci comporte trop de règles. Néanmoins, j'espérais tout de même ne pas effrayer Calliope en lui avouant de but-en-blanc que nous n'étions généralement que très peu apprécié par la plupart des gens malgré notre combat pour la liberté. Aussi essayais-je d'aborder un sujet relativement différent qui l'intéresserait un peu plus. Du moins, j'osais l'espérer.

                  - Étant à la tête de la section Espionnage, disons que j'ai accès à un monticule d'informations qui pourraient vous être utiles. Je ne peux rien vous promettre, mais peut-être pourrais-je vous aider à savoir qui vous êtes.

                  En observant à nouveau l'épée fine et légèrement courbée de la jeune femme, je me disais que si elle était une combattante émérite, alors sans doute trouverais-je une quelconque trace d'elle dans un incident majeur. Après tout, les combattants de bon niveau ne passent pas inaperçus lorsqu'ils se battent. Et pour que l'accident dont elle fut victime ait été assez violent pour frapper sa mémoire, il devait s'agir de quelque chose qui avait pu attirer l'attention de nos services. Néanmoins, la vision de l'épée me fit alors penser à une autre alternative. Je plissais légèrement les yeux, un air concentré se dessinant sur mon visage, du moins sa partie visible, alors que je fronçais les sourcils très légèrement.

                  - Ceci dit, à l'heure actuelle, je pense peut-être à une autre solution un tantinet risquée, mais qui pourrait peut-être vous faire revenir la mémoire, ou du moins, vous rappeler quelques éléments. Étant de toute évidence une combattante assez entraînée, votre corps devrait avoir certains "réflexes" en cas de duel. En associant cette mémoire corporelle à la violence d'un affrontement, cela stimulerait peut-être votre mémoire... mais je ne fais que supposer. Pensez-vous que cela vaille la peine d'essayer ?

                  Je marquais alors un temps mort, observant à nouveau la demoiselle dans les yeux. J'ignorais si elle préférait attendre un peu que je vérifie les archives de l'Armée Révolutionnaire ou si elle été tentée par l'idée d'un duel qui l'aiderait peut-être dans sa quête et provoquerait chez elle quelques réminiscences de son accident, à défaut de lui faire retrouver totalement la mémoire. Cela valait certes le coup d'être tenté, mais je n'allais pas non plus lui sauter dessus par surprise sous ce prétexte. Lui demander son accord pour un duel serait sans doute une meilleure idée. Qui plus est, en y pensant, peut-être que Kuryami-Hime, grâce à son Saki, pourrait provoquer une sensation assez violente pour stimuler sa mémoire sans pour autant blesser la jeune femme. C'était une double opportunité en somme : pouvoir aider Calliope tout en m'entraînant pour maîtriser mon Kitetsu. Restait encore à savoir ce qu'en pensait la demoiselle.
                    ~De nombreux chemins vers le passé s’offrent à elle, mais un seul mènera à la vérité éternelle ~

                    Bien que le visage de Sir Reyes soit caché, Calliope aperçut une étincelle de surprise dans ses yeux envoutants. Jamais elle n’aurait pensé que sa question aurait cet effet... De ce fait, elle écouta les paroles du révolutionnaire avec un intérêt dissimulé derrière le masque de l’indifférence qu’elle ne cessait de revêtir. Elle apprit alors que cette Organisation n’était pas encore très connue car sa naissance ne remontait pas à des années. Jusque là, tout allait bien… La seule chose qui effrayait la Belle concernait les détails… Et si sa mémoire décidait de lui jouer des tours ?

                    Contemplant le jeune homme plongé en pleine perplexité, l’amnésique laissa un mine sourire étirer ses lèvres charnues… La situation semblait être cocasse mais cela ne voulait pas dire qu’il devait s’arrêtait là. Même si la peur de tout oublier commençait à se faire sentir, la jeune femme se laissait guider par sa curiosité. Ce Damien était la première personne qui lui parlait du fonctionnement de ce monde de marins…

                    A présent les bras croisés et les sourcils quelque peu froncés, Calliope prit le soin d’écouter attentivement les dires de son interlocuteur. C’est alors qu’un étrange frisson parcourut son corps au moment où les mots « Gouvernement Mondial » se firent entendre. Cette sensation nouvelle dictait à la Belle de se méfier… Il ne fallait en aucun cas faire confiance à aux types qui travaillaient là bas. Mais pourquoi donc ressentir tout cela ? Est-ce que ses souvenirs étaient souillés par ce gouvernement ? La vérité était-elle liée à tout ceci ? La réponse était indubitablement positive… De plus, d’après l’homme encagoulé, ce groupe n’était pas des plus purs. Des personnes qualifiées de corrompues jouissaient de certains droits ou de certains privilèges… Encore une fois, lorsque la jeune femme entendit ces mots, elle ne put s’empêcher d’éprouver l’envie d’en rester là…. Elle ne voulait pas en savoir plus concernant cette catégorie de voyous et s’il s’avérait que la discussion continuait dans ce sens, elle allait devoir y mettre un terme…

                    Mais à son grand soulagement, Damien continua son résumé… Tout cela était assez confus dans la tête de la femme à la chevelure dorée mais elle était sûre d’une chose. Ce groupe, ces révolutionnaires, œuvraient dans le bon sens même si en apparence, tout laissait penser le contraire. Jamais Calliope ne s’était faite avoir et ses premières impressions s’avéraient toujours justes. De plus, ce groupe avait vu le jour il n’y a pas si longtemps pouvait l’aider dans sa quête…

                    En effet, après avoir fait le point, le jeune homme parla de sa place au sein de l’organisation. Ainsi, il était à la tête de la section espionnage et pouvait avoir accès à des informations plus qu’intéressantes. Calliope n’en croyait pas ses oreilles… A croire que le destin avait décidé de changer de cap afin de la guider vers la bonne direction. Jamais de sa vie la Belle n’avait cru au hasard et à la chance…

                    Cependant, alors qu’elle se réjouissait intérieurement, elle fut prise d’un certain malaise… Et si son passé n’était pas des plus reluisants ? Et si elle découvrait qu’elle était une criminelle recherchée pour avoir tué sans vergogne sur les mers les plus dangereuses du monde ? Tout était possible puisqu’elle ne se souvenait de rien… Son corps commençait à se crisper mais avant qu’elle ait eu le temps de creuser ses sombres pensées, l’espion la ramena à la réalité en lui proposant une idée remarquable…

                    Il est vrai qu’elle maniait son arme à la perfection sans vraiment savoir pourquoi... De plus, se retrouver confrontée à un adversaire avait réellement des vertus insoupçonnées… Calliope se rappela alors du voleur qu’elle avait surpris non loin de chez elle quelques temps juste après son rétablissement. Sans aucune explication, elle avait réussi à le mettre à terre avec une technique assez violente mais efficace. Finalement, ce petit duel improvisé pouvait être bénéfique pour elle…

                    Posant alors une main délicate sur la garde de sa lame, l’amnésique plongea ses deux saphirs dans les yeux de son interlocuteur afin de lui parler de son groupe d’une voix ensorcelante.

                    « Vos intentions sont pures… Je pense que les miennes le sont aussi mais j’ai peur du passé… Lorsque vous avez mentionné le Gouvernement, j’ai ressenti de la méfiance… et… de la colère… Je ne sais pas ce que ce duel pourrait m’apporter mais je veux bien tenter l’expérience… »

                    Un son agréable se fit alors entendre au moment où la lame quitta son fourreau… Dirigeant la pointe de sa lame vers l’arrière, Calliope recula lentement et se positionna en se laissant guider par sa conscience. Saluant son adversaire avec une grâce toujours aussi sublime, elle l’invita alors à commencer les échanges… La peur de la vérité avait à présent fait place au plaisir excitant d’un combat singulier à l’arme blanche.





                      Écoutant la demoiselle, je ne pus m'empêcher de produire un léger sourire, toujours invisible sous les vêtements recouvrant mon faciès. Nobles, nobles... à force de trop penser à anticiper les réactions d'autrui et agir en conséquence, je ne savais plus vraiment si mes agissements avaient pour but d'éviter les mauvaises surprises ou si elles étaient la simple réaction naturelle de ma conscience face aux situations se présentant à moi. C'est un peu comme se demander si on aide quelqu'un parce que l'on sait que l'on peut obtenir quelque chose en retour, ou si c'est par bonté d'âme. J'étais plutôt perplexe sur mes propres motivations, signe que je ne me connaissais pas si bien que je le croyais.

                      A l'écoute des propos de la jeune femme, il semblait évident qu'elle ne portait pas le Gouvernement dans son coeur. Toujours était-il qu'elle semblait finalement partante pour essayer de remuer sa mémoire de manière un peu brusque. Je la vis sortir sa lame pour se préparer à l'échange, ce qui me laissa pensif un court instant. J'ignorais ce que j'allais provoquer, ou même si cela allait faire quoi que ce soit. Dans tous les cas, mieux valait que je n'y aille pas avec le dos de la cuillère si je voulais obtenir des résultats. Peut-être que face à un sentiment de mort imminente, la demoiselle verrait ressurgir des souvenirs extrêmement forts et violents. Et pour arriver à cela, je connaissais un très bon moyen.

                      Répondant à l'invitation de Miss Ningyo, je sortais mon épée noire de jais de son fourreau avant de la brandir devant moi. Allais-je rester immobile ? Oui. Allais-je ne rien faire pour autant ? Non. Sans l'ombre d'une hésitation, je resserrais l'étreinte sur la poignée de l'arme, projetant une soif de sang inextinguible et extrêmement malsaine. En l'espace d'une seconde, l'épéiste face à moi fut prise d'une vision atroce. Celle d'une lame noire, semblable à celle se tenant devant elle, qui lui traversait le corps, comme si le coup venait de derrière. Douleur, peur, sang... tout cela semblait si réel, y compris pour moi qui réussissais à voir le résultat provoqué. Peut-être que ce simple Saki allait éveiller en elle quelque chose.

                      Il ne fallait cependant pas en rester là. Tenant Kurayami-Hime de la main gauche, je la brandis horizontalement vers la droite, la faisant passer dans mon dos, comme si j'allais frapper à cette distance. Calculant par expérience des armes l'angle nécessaire pour éviter de frapper les habitations civiles, je lâchais une lame d'énergie en forme de croissant de lune. Bien que celle-ci se dirige devant moi, vers Calliope, son angle ascendant la promettait à s'élever dans les airs en frôlant très légèrement les maisons derrière la jeune femme si jamais celle-ci réussissait à l'esquiver.

                      Bien qu'il me fût possible de me jeter dans le corps à corps juste après ce coup, je préférais ne pas trop abasourdir la combattante face à moi et voir si elle était capable de contre-attaquer. Après tout, même si je comptais l'aider, il s'agissait également d'un test pour voir quelles étaient ses aptitudes à l'épée. Gehennos commençait d'ailleurs à avoir l'habitude de me voir agir ainsi : toujours faire d'une pierre deux coups afin de prendre un avantage indéniable. Restait à voir si cela stimulerait ou non notre jeune amnésique.

                      Mais brusquement, je fus coupé net dans mon action, entendant le bruit de mon escargophone qui "sonnait". Levant la main pour signaler un "temps mort", je répondis pour voir qu'il s'agissait d'une nouvelle qui demandait toute mon attention. Je finis donc par m'excuser auprès de la jeune demoiselle pour finalement m'éclipser avec Gehennos, afin de me diriger vers le lieu de la réunion mentionné par mon correspondant. Quelque chose semblait clocher, et mieux valait que je lui parle en personne. Voilà comment je finis donc par quitter la petite île, fort de cette rencontre que j'avais trouvé agréable, et ma foi, quelque peu divertissante.