- « Il m’est plusieurs fois arrivé de venir voir ton rendement sur le terrain ces deux dernières semaines. Le moins qu’on puisse dire, c’est que tu fais du bon boulot, sous-lieutenant. Tu es vraiment le digne fils de Keegan ! »
- « Ce n’est pas grand-chose, mais vos mots me touchent, colonel ! »
Mon supérieur eut un sourire et me fit signe de rompre ma position. J’hésitai un moment avant de relâcher la pression et adopter une pose un peu moins militaire. C’est qu’il était sympa, ce colonel. Mon vice-amiral de père avait une grande estime pour lui. C’était la raison pour laquelle il m’avait confié au vioque assis devant moi pour peaufiner ma formation et faire de moi un excellent officier. Six mois que je l’étais maintenant ! Enfin. Et sans aucun piston dû à mon nom ou à la position de mon père. C’était pas trop mal. C’était clairement pas trop mal. J’étais quasiment certain d’avoir la force brute d’un colonel, mais l’expérience et le savoir-faire me manquaient cruellement. Un constat qui me poussa à accepter la proposition de mon père et à m’en remettre à ce vétéran qui tirait sur sa pipe, l’air amusé de voir à quel point je progressais de jour en jour. Un brave zig, même s’il semblait un peu trop gaga avec moi. Il devait me considérer comme son propre fils, mais je n’allais pas trop me plaindre de cette approche ; les traitements de faveurs étant assez différents des pistons après tout. Tout refuser reviendrait à s’engluer dans un trop plein d’humilité. Et un excès de modestie pourrait être clairement être mal perçu, même de mon supérieur.
- « Je te laisse faire la sélection des futurs matelots de deuxième classe parmi les nouveaux venus. Tu as carte blanche, Salem. »
- « Cette tâche m’honore, colonel. Je ferai au mieux ! »
- « Bien. Tu peux disposer. Tu peux revenir me parler quand tu le souhaites. Tu es très bonne compagnie. »
J’eus un sourire sans rien dire, avant de me mettre au garde à vous pendant quelques secondes, histoire de le saluer comme il faut, puis je sortis de son bureau. Une fois à l’extérieur, j’eus un soupir las, puis un sourire. Voilà maintenant un mois que je m’occupais des nouvelles recrues à l’aide de quelques autres sous-lieutenants de la base de Saint Uréa. Ce job ne me déplaisait pas vraiment dans le sens où j’avais clairement l’étoffe d’un instructeur. A défaut de finir dans l’amirauté comme mon père, j’en deviendrais surement un, et un de bien. D’ailleurs, dans le lot des gamins et jeunes que je supervisais, dix personnes étaient susceptibles de devenir matelot deuxième classe. Ils en avaient l’étoffe. Le mois suivant allait être une confirmation, mais je ne m’en faisais pas trop. L’une des recrues m’intéressait particulièrement pour son potentiel : Dara Kol. Outre sa beauté qui en faisait pâlir plus d’un, c’était ses aptitudes qui m’impressionnaient. A l’aise, tant sur la théorie que sur la pratique, elle éblouissait pas mal de monde. M’enfin, les gens avaient plus l’art de s’arrêter sur sa plastique qu’autre chose. Sauf qu’elle était une noble. Comme moi. Comme tout le monde ici, d’ailleurs. Sauf qu’elle semblait ne pas utiliser le nom de sa famille pour se faire une place.
Semblait seulement.
- « Salem ! Tu viens bouffer un coup ? »
Alors que je sortais de la bâtisse qui abritait tous les locaux du colonel, un autre sous-lieutenant m’approcha. Brun, petit, gros, maladroit mais assez puissant, Timothée était le gars avec lequel je m’entendais le plus ici. Ceci étant dit, il était assez gourmand et ne loupait aucune occasion pour bouffer tout et n’importe quoi. Un morfale, si vous voulez. Côté qui exaspérait un bon nombre de personnes, mais qui m’amusait moi. C’était à se demander si ce type était vraiment un nouvel officier issu de la noblesse locale. Marrant dans un sens. Je passai une main dans sa chevelure, avant de remuer ma tête pour marquer mon approbation. Le p’tit gros eut un sourire et me fit suivre rapidement dans un restau pas très loin de nos garnisons. Une fois sur place et comme à son habitude, il commanda plusieurs cuisses de poulets qu’il allait se faire un honneur de terminer sans aide. Pour ma part, je pris tout simplement un steak, ce qui l’étonnait. « Je me demande comment tu fais pour ne manger que ça ! Je peux pas me contenter d’un seul morceau moi ! » Ses dires m’arrachaient toujours un petit sourire et une certaine affection pour le p’tit gros. Il semblait si insouciant que ça en était presque rigolo. Là-dessus, nous eûmes un bon repas et une petite soirée sympa.
- « Je dois m’en aller, Tim. Entrainement oblige. »
- « A cette heure ? Mais t’es un fou, toi ! »
- « Vu qu’on entraine les nouveaux, on a pas trop le temps pour nous même. Alors… »
Tim soupira, haussa les épaules et me laissa prendre congé de lui. Lorsque je quittai le restaurant, j’eus un sourire en contemplant le ciel. Une voute céleste étoilée, la pleine lune, une faible brise fraiche… Bref, une très bonne soirée pour s’entrainer. Sur ce constat, je me mis à courir jusqu’à ce que j’arrive cinq minutes plus tard vers la garnison que j’avais en charge : Après tout, si j’étais un noble, je n’étais cependant pas originaire de cette île et il n’y avait donc aucune chance que je travaille ici. Ma présence était donc temporaire. De façon vulgaire, on pourrait dire que j’étais en stage. Ceci étant dit, je n’étais pas vraiment proie à de la xénophobie. Dans son ensemble, le groupe d’officiers qui avait en charge les différentes garnisons m’appréciait bien. En plus d’avoir une belle gueule et une force notable, j’étais surtout le fils du renommé vice-amiral Fenyang et qui plus est, un noble comme eux. Ça pesait pas mal dans la balance, il fallait l’avouer. L’idée me fit doucement rigoler, lorsque j’arrivai à bon port et que j’ouvris les portes d’un petit dojo, un peu à l’écart des dortoirs dans lesquels les recrues devaient surement dormir après la dure journée d’aujourd’hui. Rapidement torse nu, je m’armai d’un baton de bois et commençai à m’exercer dans la pénombre.
Sauf qu’après un quart d’heure d’intenses exercices…
- « Qui est là ?! »
J’avais senti une présence. Quelqu’un m’observait depuis un moment.