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H5N1



1626
Marijoa


La nuit est sombre et pleine d'espions.
De lourds nuages obstruent les rayons de lune dans ce ciel automnal. Dans une immense pièce éclairée aux luminos-dials, un huit clos se déroule depuis quelques heures. Autour de cette table ronde, sont rassemblées les pontes du renseignement. Une réunion inter Cipher Pol, rare par essence et sous haute tension. Aucun service n'aime partager ses informations, surtout pas pour qu'un autre en profite et en retire toute la gloire.

- Bon. Tous les sujets ont été abordés, plus ou moins traités alors passons aux alertes maintenant, marmonne le Modérateur en consultant ses notes. Le représentant du CP6 a la parole.
- Y a une rumeur qui circule actuellement. Des bruits de couloir diffus, rapportés par nos agents dispatchés un peu partout. Ça parle d'un nouveau QG que la Révolution serait en train de mettre en place sur les Blues. Un QG pour les quatre Blues, ce serait inédit.
- Des confirmations ? demande un homme massif, à la barbe en broussaille, envoyé du CP8.
- Nos infiltrés ont remarqué des mouvements massifs de matériaux en partance du NM vers Calm Belt l'année passée. Au début, nous pensions que c'étaient des équipements destinés à soutenir les rebellions dans la principauté de Tamarès et dans la Baronnie des Lowlands, voir même à destination du fameux chantier naval Révo "Darkside" dont nous n'avons pas encore localisé la position exacte mais il semblerait que nous fissions fausse route.
- Où serait donc situé ce problématique QG ? Calm Belt ceinture le Nouveau Monde au nord et au sud. Par le premier, on débarque sur North Blue, par le second, sur West, détaille une blonde au visage avenant.
- Selon nos recoupements, le sud serait la destination la plus probable. Même s'il peut s'agir d'un moyen de diversion et de désinformation. Tout comme l'idée même de ce QG, précise le CP6.
- Mais vous ne pensez pas que c'est du flan, rétorque la dame.
- Non. La révolution bat de l'aile sur les Blues et c'est déjà une bonne raison d'y établir un QG centralisé. Et le peu d'information glanée à ce sujet m'incite à penser qu'une chape de plomb très hermétique entoure ce projet. Les accréditations semblent très élevés et même mes meilleurs éléments se sont heurtés à un mur de silence. Aucune trace, aucun écrit.
- Mais vous n'en êtes qu'au début de vos investigations. Vous avez tous le mot de la fin. Si les gars à Freeman établissent un centre névralgique sur les Blues, trouvez-le ensuite, place au Buster Call ! conclut le Modérateur.



[...]

Un an plus tard...
1627
Hinu Town, Attalia


Les mains profondément enfouies dans son manteau claquant au vent, celle qu'on surnomme La Cuistote déambule dans une venelle boueuse d'un quartier malfamé de la première ville portuaire de la "petite Alabasta". Blonde, de frêle constitution, on aurait dit l'archétype de la fille poursuivie et dévorée par le monstre dans de nombreux romans policiers ou d'horreur. Sauf qu'en tant que cheffesse d'équipe de CP5, c'est elle qui dévore habituellement les monstres. Elle bifurque à un embranchement et voit enfin le moulin qui désigne son lieu de rendez-vous. Un homme potelé vient à sa rencontre, tout égayé.




- Agent Cuistote ! claironne-t-il, les bras tendus comme pour enlacer une vieille amie. On vous attendait pas avant une heure. J'ignorais que vous étiez là.
- Je suis pas là. Et toi non plus. Puis arrête ces familiarités où tu l'emporteras pas au paradis. Rappelle-toi que tu n'es qu'un agent de Troisième Catégorie, Molotov !
- Euh... Désolé... Je v-voulais juste... bafouille-t-il, refroidi par le ton acerbe de sa supérieure.
- Assez de blabla. Montre-moi le sujet.
- V-veuillez me suivre.

Déconfit, Molotov montre la voie à son chef. Le moulin n'en est pas un, et même si l'extérieur ressemble à un dépotoir, l'intérieur rendrait jaloux certains laboratoires de pointe. Marbre blanc, box en verre, des bidules et machines clignotantes sont installés là. Une poignée de personnes en blouse blanche travaille, note dans des dictaphones ou gribouille dans des calepins. Ils passent par un couloir immaculé puis débouchent sur une pièce séparée en deux par une vitre. A l'intérieur de la cage de verre, un homme mitraille la paroi de coup de poing en vain, en beuglant des imprécations à tout va.

- C'est un miroir sans tain. Il ne nous voit pas.
- Donc ?
- On va le soumettre à un interrogatoire où il sera obligé de nous dire la vérité et rien que la vérité ! s'excite le rondelet agent. Ça s'appelle le Memory Hack et ça été inventé par l'Ingénieur en chef Zeke Romanov de la Brigade Scientifique.
- Je vois pas pourquoi tu t'exaltes sur l'invention de quelqu'un d'autre, déclare sèchement la blonde. Pour une fois, essaie de retirer le fruit de ton propre travail !
- M-mais... j'ai réussi à modifier le gaz Memory pour en faire une sorte de sérum de vérité... Normalement, le gaz efface graduellement les souvenirs en rendant le sujet docile. Dans cet état, on peut lui poser toute sorte de question et il y répond...
- Dans certaines régions du monde, le puma est appelé couguar après avoir été "redécouvert" par un pseudo scientifique. Ça n'empêche que "puma" soit l'appellation première et demeure la plus connue. On ne se souvient que des premiers, Molotov, et toi, depuis que j'ai eu le malheur de te recruter, tu es toujours à la traine ! assène-t-elle de son ton le plus dédaigneux qui donne à Molotov, l'impression de se ratatiner sur place. Active ce foutu gaz qu'on sache ce qu'il sait !

Plus désarçonné que jamais, le scientifique lance la séquence. Le gaz se propage dans la cage et le pauvre cobaye cours de planquer le plus loin possible de l'orifice d'émanation. Une vaine tentative. En quelque seconde, il toussote, flanche puis glisse le long du mur. Une légère brume emplit la prison de verre. Le sujet a les yeux dans le vague, la bouche grande ouverte d'où suinte un filet de bave. Molotov est légèrement revigoré par le spectacle. « Ton nom ! » intime-t-il au prisonnier, la main sur interphone.

- Rock... Hamsa, répond le gazé d'une voix lente et absente.
- Ton métier ?
- Pécheur... de... crustacés.
- A d'autres. Ton vrai métier, pas celui de ta couverture.
- Passeur.
- Passeur ? Vers où ? Pour qui ?
- Passeur vers... Aeden.
- Aeden ? C'est quoi Aeden ? demande-t-elle, soudainement avide. Enfin, se dit-elle, elle tient le nom ! Serait-ce l'endroit dont parlait le CP6 un an plus tôt ?
- Le QG... Le nouveau QG...
- OUAIS ! exulte Molotov avant de se calmer sous un regard impérieux.
- Où se trouve Aeden ?  
- West... Blue.
- Où exactement ? Longitude, latitude. On veut des coordonnées !
- Connait... pas.
- Argh ! Comment ça ? Comment tu fais passer des gens vers un lieu que tu ne connais pas ?
- Bateau... vient les prendre...
- Et t'es jamais monté dedans ?  
- Si... Yeux bandés...
- Ça c'est le bonbon ! Tu peux nous dire quoi sur Aeden ?  
- Paradis.
- Mais encore ? Qui la dirige ? Un nom.  
- Paradis... Habitants heureux... Pas de noms.
- C'est pas vrai ! rage Cuistote en donnant un coup dans un mur. Il ne peut pas nous cacher des infos, t'es sur Molotov ?  
- O-ouais m'dame. Il-il nous dit la v-vérité. Ou ce qu'il pense être la v-vérité, baragouine-t-il, apeuré.
- Ma foi, tu veux vraiment finir en vendant des tacos à Amerzone, c'est ça ? Rappelle-moi ce que j'ai dit quand tu as proposé de faire capturer ce type ? rugit-elle.
- Q-qu'on d-devait le l-laisser sous surveillance. Qu-qu'on en apprendrait plus...
- Et tu m'as assuré que ton dispositif allait lui faire dire tout ce qu'il savait !  
- Il a dit tout ce qu'il savait... se défend-il d'une petite voix.
- TOUT CE QU'IL SAIT EST INSUFFISANT ! SI ON L'AVAIT LAISSÉ SOUS FILATURE, ON EN AURAIT APPRIS PLUS ! SES CONTACTS, LE BATEAU DONT IL PARLE, TOUT !

La goutte d'eau pour Cuistote qui explose de la somme de l'incapacité chronique de Molotov. Derrière cet énième échec, elle voit ses chances d'être la première à localiser le nouveau QG réduites à néant. Ce "passeur" était bien ce qu'ils pensaient. Il était sous filature depuis deux mois sans avancée notable mais au vu de ses infos, ça aurait sûrement fini par payer... Mais ce scientifique à la noix l'avait convaincue de s'en saisir et de lui retirer les informations, sans douleur, sans qu'il puisse en faire rétention. Terrible erreur. Mais soudain, une idée vient illuminer cette brume de désespoir. La seule échappatoire... « On peut effacer sa mémoire d'aujourd'hui et d'hier ? Qu'il oublie qu'il a été enlevé et interrogé ? »
Négatif. Le Memory Hack est aisément réversible, il lui suffira de prendre de l'air pour retrouver ses moyens. A pas vif, elle quitte ce cauchemar non sans avoir ordonné d'éliminer le sujet et d'en faire disparaitre toute trace. Puis pour la bonne mesure, elle renvoie définitivement ce guignol de Molotov.

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1627
Aeden.


Aaron gratte sa barbe de plusieurs jours, puis raye les lignes d’un coup rageur qui perce la feuille. Il la froisse ensuite méthodiquement, avec tout le texte qu’elle contient plus bas, et balance tout dans la corbeille à côté de son bureau. Au temps pour ce pan de ses recherches, qui vient de s’achever dans un nouveau cul-de-sac. Le sabre ionique de découpe ne sera pas pour tout de suite…

L’idée de départ est pourtant vouée à être géniale, Aaron n’en démordra pas. Permettre aux gens qui n’ont pas trop de dorikis de quand même pouvoir trancher des matériaux extrêmement résistants sans des efforts démesurés simplifiera considérablement la vie des ouvriers, rien que ça. Enfin, quand il y sera arrivé. Pour le moment, même la théorie lui échappe. Peut-être une autre voie ?

Le scientifique se frotte les yeux, le nez, passe la main dans ses cheveux. Un peu d’air lui fera du bien, pas de doute là-dessus.

Quelques pas l’amènent à la porte de sa petite chambrette, constituée spartiatement d’une couche étroite, d’une table et d’une seule chaise. Il y a des endroits plus sympathiques où avoir des visiteurs, ce qui justifie les monceaux de papiers et matériaux qui recouvrent à peu près toutes les surfaces possibles et imaginables, jusqu’aux étagères branlantes fixées aux murs.

Un escalier plus tard, Aaron est brièvement ébloui par la lumière du jour et, une fois ses yeux habitués à la luminosité extérieure, part d’un bon pas vers le centre-ville. Il devait de toute façon y retrouver des connaissances et passer une soirée à se relaxer avant de se replonger dans ses recherches. Et, qui sait, être possiblement muté dans une division du DRAGON, maintenant que toutes les broutilles administratives sont résolues.

Marrant, d’ailleurs, que dès qu’un mouvement révolutionnaire s’établit, il tombe dans les mêmes travers bureaucratiques que le Gouvernement Mondial.

Son chemin l’amène sur une petite place ombragée de quelques arbres. Il y trouve, comme prévu, deux terrasses ouvertes aux badauds et aux clients, quelques boutiques et points de restauration, et une des entrées de l’hôpital. Sans hésiter outre-mesure, il s’asseoit à une table ronde et se prépare à attendre les cinq ou six personnes manquantes. Une petite demi-heure au calme, songe-t-il, pour réorganiser ses idées.

Aaron commence à peine à reprendre le processus de ses recherches –il ne peut pas s’en empêcher, en partant des macro-concepts, qu’un ramdam attire son attention à une dizaine de mètres. Les gens font place suite aux cris d’un groupe d’hommes. La foule qui s’agglutine rapidement l’empêche d’y voir quoi que ce soit, et ce n’est pas sa taille en se levant qui y changera quoi que ce soit, songe-t-il avec humour.

Quelques gaillards s’extraient en portant entre eux un homme qui doit bien faire deux bons mètres. Ils s’engouffrent sans hésiter dans l’hôpital et il faut quelques instants pour que les badauds se dispersent, après avoir parlé entre eux. Le malade devait être connu. Ou avoir une blessure un peu bizarre, se dit Aaron avant d’écarter cet élément de ses pensées.

Ca tombe bien, les premiers invités arrivent justement. Il s’agit de la dernière promotion des écoles d’Aeden : Paris et Babylone. Le jeune chercheur ne connaît que la première, qui s’est orientée vers la Section Renseignement. Une petite brune anonyme, fluette, dont les yeux noisettes brillent d’entrain. Toujours fêtarde. A côté d’elle, Babylone Fate, visage poupin et sourire jovial. Paris lui a déjà parlé d’elle, la petite pile de la Division Guerre.

« Salut, Paris, Babylone, vous allez bien ? »
Après les salutations et civilités d’usage, tout le monde commande joyeusement et sa pinte arrive devant Aaron. Ils trinquent à l’avenir, au changement, et à un monde meilleur, comme les fiers révolutionnaires qu’ils sont. Ils ne savent pas où le DRAGON va les envoyer, s’ils seront ensembles ou non, mais quoi qu’il arrive, ils visent la même chose.

Drôle, Babylone a pris de l’hydromel, et Paris de la cervoise. Le jeune homme se sent tout d’un coup très normal.

« Au fait, Aaron, les autres auront du retard.
- Ah, mince. Il se passe quelque chose ?
- Une convocation, apparemment.
- Pour leur mission ? La chance.
- On verra quand ils seront là. Baby n’est à l’heure que parce que je l’ai trainée ici en même temps que moi.
- Hahaha, rit-elle.
- Et sinon, tes recherches, Aaron ? Tu étais sur quelque chose, non ?
- Oui. C’est l’échec, ce coup-ci. Je suis à court de pistes, donc je pense que je vais me réorienter vers autre chose, en attendant. J’ai l’impression d’avoir fait le tour de mes options, en fait, en tout cas avec mes théories actuelles…
- Zut. C’était quoi, déjà ?
- Un sabre de découpe ionique. Peut-être même capable de trancher le granit marin et… »

La discussion se poursuit sur ce ton, avec Aaron qui parle à toute vitesse pendant que Paris ponctue de hochements de tête. Babylone se contente de boire son hydromel à petites gorgées en suivant vaguement la conversation. Ils ont quelque peu interrompus par des cris un peu plus loin sur la place, quand une cariole menée par un cheval au trot bouscule tous ceux sur son chemin pour s’arrêter devant l’hôpital.

Des infirmiers en descendent, et l’un d’eux se précipite à l’intérieur, puis ressort rapidement avec cinq de ses collègues qui portent des civières. Cela attire l’attention des jeunes révolutionnaires.
« Un incident, vous pensez ? Suppute Aaron.
- Sûrement, peut-être à un entrainement.
- Allons voir ! S’exclame Babylone. »
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1627
Attalia
Trois mois avant les événements d'Aeden


Au dehors, quelque chose tombe bruyamment et fait sursauter Vasiliev Molotov. Il se précipite à la fenêtre obstruée par un lourd rideau qu'il décale juste assez pour observer l'extérieur d'un œil. Un soleil cuisant brille sur Attalia, rien à signaler dans sa petite cour entourée de grillage. Il trouve ce qui a causé le boucan, juste un sceau vide renversé par le vent. Soufflant de soulagement, le petit scientifique empoté retourne dans son canapé en se frayant un chemin dans le capharnaüm de son salon miteux. Depuis qu'il a été renvoyé des Bureaux un mois plutôt, Molotov est devenu paranoïaque par crainte de ses anciens collègues. Il a déménagé trois fois, ne sort quasiment plus de chez lui et garde toujours à proximité un vieux colt acheté au marché noir. Ce qu'il craint, c'est une volte-face de l'agent Cuistote, qui pourrait subitement décider de l'éliminer, soit pour éviter toute fuite, ou soit parce qu'elle est toujours en rogne.

Tristement, Molotov soupire et s'enfonce un peu plus dans son fauteuil aussi rembourré que son propre vente. La pitoyable réalité c'est que personne n'a cherché à le faire taire et les rares fois où il s'est aventuré dehors, seul un chien galeux l'avait pris en chasse. C'est dire qu'il est tellement insignifiant que personne n'a pris la peine de le considérer comme un danger. Et à vrai dire, que sait-il ? Quels secrets du Cipher Pol pourrait-il divulguer si l'envie lui en prend ? Rien... Pas grand-chose, tout ce qu'il a touché de ses mains a inéluctablement foiré depuis son entrée dans les Bureaux. Projets ratés sur projets capotés et gouffres financiers. Rien de potable en somme, rien de monnayable.

Et pourtant, Molotov se considère comme un génie incompris. Combien de fois de grands cerveaux dans l'histoire de l'humanité ont-ils d'abord été persécutés et qualifiés de fous avant d'être reconnus à leur réelle valeur ? A n'en pas douter, il est de ceux-là, se dit-il avec le peu de fierté qu'il lui reste. Il doit rebondir, ne pas se laisser cancériser par le défaitisme. Il doit prouver à la Cuistote qu'elle a eu tort de le renvoyer. Comment ? En retrouvant ce "paradis" bien sûr. Cet "Aeden" que leur a lâché le passeur Rock Hamsa. S'il parvient tout seul à localiser ce nouveau QG de la Révolution... A lui l’ascension professionnelle, la gloire, les filles...

Tout ce qu'il n'a jamais eu dans sa vie.


[...]

Aeden, Rivia
Présent


Ils font des coudes pour se frayer un chemin dans l'attroupement qui encercle la carriole. Parvenus aux premiers rangs, ils aperçoivent trois personnes -deux femmes et un homme- qui gisent dans la voiture attelée. Les infirmiers s'affairent autour d'eux. De deux pas, Babylone recule. Elle n'a jamais été un grand fan des hôpitaux, rien que l'idée de se retrouver clouée dans un lit, de rester inactive pendant des jours lui est insupportable. Et tout dans cette scène évoque une certaine gravité de la situation. Les ordres que se beuglent le personnel d’hôpital, les gants qu'ils portent, leurs masques, leurs coiffes... Mais plus que tout, il y a les patients. Inertes qu'on dirait morts, ils sont constellés de pustules de la taille d'un raisin, tellement qu'il n'y a plus un seul centimètre de peau lisse sur eux. Les malades sont embarqués sur les brancards et conduits à l'intérieur de l’hôpital. Quand le dernier passe sous leurs yeux, Paris tire la manche d'Aaron et de Babylone.

- Hey ! C'est Yves !  
- Pardon ? dit Babylone.
- Où ça Yves ?
- C'est Yves là ! J'vous jure !
- Je sais qu'il a une bouille passe-partout mais faut pas voir Yves partout non plus. dit Aaron.
- Yves, tout le monde n'est pas, renchérit Baby.  
- Non mais vous allez la fermer et vous servir des trous que vous avez sur la tête ?! Regarder son bras gauche ! dit-elle en orientant leurs têtes sur le malheureux.

Bien que déformé par les bubons, ils arrivent à distinguer le tatouage immortalisant un condor noir que leur ami Yves arbore sur son avant-bras gauche. Tous se souviennent des conditions dans lesquelles il s'est retrouvé affublé de cette marque indélébile. Choqués, ils se précipitent à la suite du malade, sauf Babylone. L’hôpital, tous ces germes qui y circulent... Subrepticement, elle se demande si elle ne serait pas en train de développer une quelconque phobie. « Ben alors, t'attends quoi ? Viens ! » clame Paris avec de grands signes de la main. « Désolée, je suis. Mais les hostos m'horripilent. Vous attendre dehors, je vais. Être malade, je n'y tiens pas. Choper une saloperie qui traine dans l'air, élevé le risque est. Rester à son chevet et aider les toubibs à l'identifier, vous allez. Moi, chercher ses parents, je cours. » déclare-t-elle en un souffle en partant au quart de tour.  

Construite à flanc d'une colline solitaire dans une infinie plaine, Rivia est ville verticale en terrasse. Pas de rues à proprement parler, juste des successions de traboules et d'escaliers qui relient toutes les habitations via ce complexe réseau. Tout autour de la ville s'étendent jusqu'à l'horizon les immenses verdures des champs qui nourrissent tout Aeden dont Rivia est le grenier. Descendant les marches quatre à quatre en bousculant les importuns sur le chemin, Babylone déboule dans la ville basse puis en sort en empruntant un petit sentier qui s'enfonce dans la campagne. A l'instar de la plupart des familles de la ville, celle d’Yves vit du travail agropastoral et de ses dérivés. Après quinze minutes de sprint, le sentier bordé par des haies sauvages s'achève sur une clôture de taille moyenne où une pancarte indique : « Le Cimetière, Abattoir familial. » La famille de Yves possède l'une des principales boucheries d'Aeden mais le nom "Cimetière" laisse perplexe plus d'un. D'ailleurs depuis longtemps à l'académie, Yves est appelé "Yves du Cimetière", une blague l'intéressé ne goûte pas du tout.

La propriété est grande, composée de plusieurs hangars horizontaux où volailles et bétails sont quotidiennement abattus pour la consommation de l'ile. Il règne ici un brouhaha indescriptible provenant des animaux vivants qui attendent leurs tours et des détaillants en charrette qui patientent pour convoyer leurs viandes vers l'intérieur du pays. C'est encore plus effervescent qu'une place de marché. Se frayant un chemin dans la masse, elle se dirige vers le bâtiment à l'écart des longs hangars, un petit pavillon à étage. Elle toque et un homme mûr et baraqué lui ouvre. « Bonj... Kof ! Kof ! Kof ! Kof ! Kof ! Kof ! »
A peine le père d'Yves ouvre-t-il la bouche qu'il est pris d'une quinte de toux et arrose la pauvre Babylone d'un nuage de postillons. Elle reste tétanisée pendant qu'il s’effondre à genou. Tournant des talons, elle s'enfuit à toute jambe laissant le père de son ami en proie au mal qui le ronge. « Oh non ! Oh non ! Oh non ! Oh non ! Oh non ! » ne cesse-t-elle de se dire en courant vers la ville. « Des antibiotiques, il me faut ! Des vaccins ! »

Elle ignore ce qui se passe, mais c'est certain, quelque chose est en train de se propager dans Rivia. Tout comme Yves, sa famille est atteinte. Mais quid des dizaines de bouchers qui travaillent dans leurs abattoirs ? Quid des chargeurs, des détaillants et de tous ceux qui viennent s’approvisionner chez eux ? Loin de ces préoccupations, Babylone court comme une démente à la recherche de la première pharmacie.


[...]

Aeden, Élysée

- Ils se passent de curieuses choses à Rivia, vient-on de me communiquer, introduit l'Ambassadrice de la Branche Affaire. Y a une semaine, deux cas suspects de grippe ont été identifiés. Sept jours plus tard, on compte dix malades dont les états sont très préoccupants.  
- C'est à dire ? demande Bachi Bouzouk, Ambassadeur de la Branche Guerre.
- Très forte fièvre, délire et très récemment, apparition de bubons sur le corps.
- Ouch... grimace l'Ambassadeur de la Branche Orientation, Denis Spoon. Ce n'est pas bon les bubons...
- C'est pas le moment de faire un jeu de...
- Ce n'est pas un jeu de mot, coupe-t-il. Les bubons, ça signifie du pus. Donc une possible contamination au toucher. On peut vite avoir une épidémie sur les bras.
- C'est ce que craint Valverde, le directeur de l’hôpital de Rivia qui a sollicité de l'aide, précise l'Ambassadrice. J'ai réuni le conseil pour déclencher le Plan Vigivirus. On doit passer en Phase 5 "Alerte Épidémie".  
- Je vote pour, dit Bachi Bouzouk. Y a pas d’autres cas dans une autre ville que Rivia ?
- Pas encore mais avec la Phase 5 en action, on va mettre tous les centres de santé à contribution pour repérer les nouveaux cas et surtout identifier la maladie, parce que pour l'instant, le personnel de Rivia est dans le flou. Ça se comporte comme une grippe mais ni les toux, ni les expectorations des malades ne sont contagieuses. On ne sait pas comment le virus ou le microbe se transmet, on ne sait pas comment ces gens l'ont attrapé. Mais comme l’a dit Denis, peut-être qu’on verra plus clair avec les nouveaux symptômes que sont les bubons. La Branche Développement va mettre en place une cellule d'investigation immédiatement.
- Joyce, qu'est-ce qui est prévu par rapport à la population ? L'information ? La gestion de la panique ?

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Excusez-moi. Joyce Reed, j’écoute.
- Ambassadrice Reed, ici Nairo Valverde.
- Directeur Valverde, les nouvelles sont bonnes, j'espère ?
- Malheureusement non. On a eu quatre nouveaux cas ce matin ce qui porte à quatorze le nombre de malades. Et il y a deux minutes, M. Chang, le premier patient est décédé des suites d’une grave défaillance respiratoire.
- Oh non... marmonne-t-elle d'un ton grave. Bon… son corps doit être remis aux éléments de la Branche Développement dont le responsable est en chemin. Cela dit, l'information doit être tue, jusqu'à ce qu'on trouve comment annoncer ça à la population sans causer d’affolement. Je me suis bien faite comprendre, directeur ?
- Oui, Ambassadrice, assure-t-il avant de raccrocher.  
 
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Paris et Aaron tentent de suivre Yves à l’intérieur de l’hôpital, mais ils sont rapidement bloqués par des infirmiers quand la civière passe une double-porte blindée.
« Désolé, personne ne peut entrer au-delà.
- Mais on le connaît, c’est Yves du Cimetière !
- Nous allons prendre son nom pour contacter sa famille au plus vite.
- Il se passe quoi, exactement ? Questionne Aaron.
- Peut-être un début de grippe, c’est dur à dire. On préfère isoler les malades pour éviter tout risque de contagion. Les bubons sont un nouveau développement de la maladie.
- Des bubons ?!
- Allez, circulez, circulez, il y aura sûrement une annonce officielle. »

Après avoir reporté l’identité du malade à l’accueil, les deux jeunes révolutionnaires sont ressortis sur la petite place.
« Et Babylone ?
- Elle est partie au Cimetière à toute vitesse, je ne sais pas si on la reverra tout de suite.
- J’espère que ce n’est pas une épidémie mortelle, en tout cas.
- Elle a très mal réagi à l’annonce de maladie. Tu crois qu’elle serait terrifiée par les microbes ?
- C’est probable. Ou alors elle a vécu un traumatisme dans sa jeunesse. »

Aaron et Paris ont trainé quelques heures aux alentours du bâtiment, sans que de nouvelles victimes ne soient apportées. Ils ont uniquement pu voir une civière avec un gros sac noir être transporté vers une diligence rapide des forces de l’ordre d’Aeden, sous bonne garde. Le sac noir, mauvais signe, pense immédiatement le chercheur.

Finalement, Babylone réapparaît enfin, alors qu’ils boivent un café. Le regard dans le vague, elle tient sous le bras un sac qui semble rempli à ras bord.
« Babylone ! Appelle Paris.
- Hein, oh, là tu es ! Cherché je vous ai.
- Tu as prévenu les parents d’Yves ? Demande Aaron.
- Oh non ! Oublié de le dire j’ai !
- Vraiment ?
- C’est que, comment dire…
- Tu ne trouves pas qu’elle a des yeux bizarres ?
- C’est vrai, ça… »

Aaron claque des doigts sous le nez de Babylone, qui se met à loucher. Paris immobilise sans mal son visage et lui écarte les paupières pour la fixer droit dans les yeux.
« Pupilles totalement dilatées. Drogues ?
- Non, médicaments, corrige Aaron en fouillant le sac. Tu en as pris combien ? Lesquels ?
- Tous, je crois, répond affablement la révolutionnaire.
- Ouille.
- On l’emmène à l’hôpital pour un lavage ?
- Dans l’hôpital jamais rentrer je ne vais ! »
Elle se débat alors un peu plus violemment, avec des mouvements désordonnés.
« On la force ?
- Tu en es capable, Aaron ?
- Vu l’entrainement qu’elle a suivi par rapport au mien, manifestement pas.
- Bon, donc on retourne voir la famille du Cimetière.
- Quel nom pourri, n’empêche.
- Tu ne manqueras pas de le leur signaler, je suppose.
- Oui, je rêve de me faire découper au hachoir de boucher.
- Ha. »

Ils font donc le trajet de Babylone Fate une fois de plus, et petit à petit elle revient à la normale. Elle semble avoir pris de tout, mais en petites quantités, et le pharmacien ne lui avait rien vendu de trop dangereux. Elle peut donc leur communiquer qu’ils sont également affectés par la toux à postillons, et qu’il faut donc au plus vite les faire examiner. Le père sort du hangar en tenue intégrale de paysan.

« Bonjour Monsieur, nous sommes des amis d’Yves.
- Kof-kof, bonjour, oui… kof-kof-kof.
- Votre fils est actuellement à l’hôpital pour une maladie, et il semblerait que vous soyez aussi touché.
- Kof, c’est donc là qu’il était fourré. La fer-kof… ferme doit toujours tourner. Pas le temps de –kof, s’arrêter pour si peu.
- Vous avez une maladie grave, monsieur, il y a des gens qui en meurent !
- Vite partir d’ici si on ne veut pas être infectés il faut ! Crie Babylone de là où elle se trouve, dix mètres plus loin, loin de tout.
- Et qui va s’occ-kof-uper de la ferme en mon absence, heh ? Vous peut-être ?
- Je ne suis pas fermier.
- Je ne maîtrise pas ce pôle de compétences.
- A rien je ne touche !
- Kof-kof-kof, je ne laisse pas mes animaux –kof, sans surveillance ! Kof-kof-kof-kof… »

Après avoir continué d’essayer de le persuader pendant une autre dizaine de minutes, sans le moindre succès, les jeunes gens se sont écartés puis se sont mis d’accord sur le fait que la meilleure marche à suivre était de prévenir les autorités que d’autres malades se trouvaient sur la propriété. Ils entamèrent alors le retour vers la ville de Rivia, où un immense panneau trônait désormais à côté de la grande porte.

Avis à la population !
Suite à l’activation du plan VIGIVIRUS de niveau 5
Il est désormais impossible de consommer de l’eau courante
Des bouteilles d’eau sont à disposition dans tous les locaux municipaux
L’épidémie n’est pas contagieuse
Merci de signaler aux autorités toute personne malade
Tout personnel formé aux premiers soins est prié de se signaler d’urgence à l’hôpital

Nous vous tiendrons informés de l’évolution de la situation
Gouvernement d’Aeden


« Ah. Je suppose que nous devons aller à l’hôpital, alors, hasarde Aaron.
- Oui, tous les étudiants d’Aeden ont été formés, c’était dans les bases, ajoute Paris.
- Dans l’hôpital, entrer, je refuse ! Assène Babylon.
- Mais pourquoi ?
- Trop de maladies s’y trouvent, mourir je risque.
- Ce ne serait pas de la désertion ?
- Il doit être possible de la diagnostiquer comme hautement paranoïaque.
- Cela ne va pas améliorer son dossier.
- Tu penses qu’elle a sa place dans l’hôpital ?
- Manifestement pas.
- Me rendre utile ailleurs je peux.
- Tu peux vérifier si ma famille va bien ? Demande Paris.
- Me charger de cela je peux.
- Bon, allons-y. »

Cette fois, c’est eux qui abandonnent Babylone pour se rendre dans l’hôpital et recevoir leurs instructions. Qui au final s’avèrent n’être que des conseils basiques de vigilance, et de surveiller les zones qui leur sont affectés. Paris reporte également que la maladie semble toucher le père d’Yves.
« Quand même, plus d’eau courante…
- C’est pour empêcher la propagation de l’épidémie, si les nappes phréatiques sont touchées. Simple mesure de précaution en attendant d’en savoir davantage.
- Bon, retrouvons Babylone, c’est sur le chemin, puis allons patrouiller.
- On a écopé de la zone extérieure, en plus, il n’y a pas un chat, juste quelques fermes.
- Tant mieux, ça sera calme. »
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1627
Attalia
Trois mois avant les événements d'Aeden


Malgré la hantise de voir ses anciens collègues débarquer au détour d'une ruelle et lui régler son compte, Vasiliev Molotov s'est aventuré dans le monde extérieur, aiguillé par un désir plus fort que la peur de la mort : la soif de reconnaissance. Trouver Aeden, ce paradis Révolutionnaire est soudainement devenue plus qu'une hantise. Par où commencer ? Rock Hamsa, le Passeur, évidemment. Mais quelle piste n'a-t-il pas exploré, qu'ont bien pu rater ces agents zélés du Cipher Pol que lui, simple laborantin -non, un pur génie, rectifie-t-il- saurait trouver ? En quête de réponse, il commence alors à creuser plus profondément sur Hamsa en faisant attention à ne donner aucune alerte que pourrait repérer le CP. L'agent Cuistote serait impitoyable si le bruit vient à effleurer ses fines oreilles.

Hasma était natif d'Hinu Town, découvre-t-il, mais de parents étrangers. Tous faisaient partie d'une communauté de pécheurs de crustacés et d'ostréiculteurs sur les côtes d'Attalia. Molotov se fait passer pour un privé, alors les gens sont éloquents, parce qu'ils ont constaté sa disparition. La dernière fois qu'on l'a vu, c'était au port, où il partait pour une semaine de pêche au homard. « En quoi ça p'bien aider à l'retrouver, ces loisirs ? » crache un pécheur à l'air patibulaire. Patiemment, Molotov leur explique qu'aucune piste n'est à négliger. Qu'il pourrait aussi bien s'agir d'un enlèvement crapuleux, d'une razzia de pirates que d'une fugue. Fugue ? Pourquoi fuguerait-il ? Alors, ils se montrent volontiers plus bavards, évoquent toutes les histoires que le privé peut rapprocher de chacune de ses hypothèses. Jour après jour, une toile faite de récits divers se dessine et forme la vie de Rock Hasma, vue d'un caléidoscope.

Molotov situe son revirement révolutionnaire vers 1624, à la suite de cet horrible incident qui lui fut conté. La fiancé du Passeur revenait alors d'une croisière quand le transocéanien fut attaqué par des pirates. La réaction prompte d'un bâtiment de la Marine pas loin transforma le raid en prise d'otages et quand les Mouettes donnèrent l'assaut, des dizaines de civils y trouvèrent la mort. Dont la fiancée, enceinte qui plus est. Le classique, se dit Molotov en hochant la tête, sûr que les recruteurs révos n'auraient raté pour rien au monde une telle occasion de retourner à leur cause un cerveau aussi tourmenté et choqué. C'est sûrement ainsi que Rock est devenu un Gris mais ce sont les jours d'après qui intéressent l'apprenti limier. En quoi consistait réellement son rôle de Passeur ? Surtout qu'il ne savait pas où se trouve l'ile ?  Là aussi, à force d'interroger, il finit par trouver une piste. Les mousses. Il est de notoriété dans la communauté que Rock en voyait passer plus que tous les autres pécheurs réunis. D'habitude, la pèche se forge autour d'un équipage solide, d'un capitaine, de son second et de quelques mousses qui s'aguerrissent au fil des saisons.  

- Mais pas c'bon Rock ! L'y changeait d'mousses comme une pute change d'pointeurs ! L'a jamais eu un seul gars qui dure sur son chalutier !

Donc, il était plus recruteur que passeur en fait, en conclut le détective. Après une certaine formation, il repérait sans doute les jeunes en crise identitaire, procédait au lavage de cerveau habituel des révos -qu'il a lui-même subi- puis sous le couvert de les engager sur ses navires, les emmenait au large à la vue et au su de tous puis là-bas, en haute mer, un navire venait sans doute les récupérer pour les emmener vers Aeden... Bien évidemment, personne ne semble avoir jamais accompagné le Rock dans ses pérégrinations en mer ; nul ne peut lui donner une indication sur les zones de pêches préférées du disparu parce que tout le monde garde les siennes secrètes. Une semaine après le début de son enquête, Molotov s'introduit à la faveur de la nuit au second niveau du duplex qu'habitait le Passeur. Il sait que c'est osé, que ses anciens collègues surveillent probablement le coin au cas où reviennent les associés du révolutionnaire. Avec d'infimes précautions, aidé d'une lumière vacillante et faible difficile à repérer de l'extérieur, il fouille l'appartement durant une heure.

- Rien, naturellement... marmonne-t-il de mauvaise grâce. Qu'est-ce que je fous ici ? Si les fouineurs professionnels du CP n'ont rien trouvé, c'est pas moi qui...

Il s'interrompt, la bouche ouverte. Le rai de lumière de sa torche vient d'éclairer un vieux cliché tout sale posé sur une table mangée aux mites, au milieu d'autres photos. On y voit Rock -et sa chevelure en coupe au bol- poser sur son chalutier au milieu d'une colonie de pélicans de Fukushima. Fébrilement, Vasiliev se rapproche de la table. Ce sont bien des pélicans de Fukushima, se dit-il, impossible de se tromper sur ces grands oiseaux et la volumineuse poche extensible de leurs becs qui leur permet de transporter leurs œufs tout leur servant aussi de garde-manger. L'ornithologie est une des passions du scientifique. Il compte seize volatiles en tout, attachés à une patte par une longue corde. Qu'est-ce que ça peut bien signifier ? Que les oiseaux sont apprivoisés ? Que Rock Hasma s'en servait pour la pêche ? Malgré lui, Molotov rigole et se demande où le Passeur dégota une idée aussi saugrenue. Bien vrai que la pèche au cormoran, au pélican et autres grands oiseaux marins existe encore dans certaines parties arriérées de cet océan mais globalement, c'est un art en voie de disparition.

Mais il n'a pas vu un seul de ces piafs dans la communauté et personne ne lui a parlé de ça. D'ailleurs, il n'a pas parlé du tout des techniques de pêches du Passeur. Pourquoi donc l'aurait-il fait ? Sur les autres clichés, ayant l'air plus anciens, Hamsa n'a pas d'oiseaux sur son navire. Uniquement un treuil mécanique et un filet assez large pour pécher d'un coup tous les poissons de North Blue... Pourquoi aurait-il troqué une méthode quasi industrielle de pêche contre une technique aussi désuète ? Fiévreusement, Vasiliev prend des notes, son cœur bat la chamade. Serait-ce l'anomalie qu'il espère tant repérer ? La chose qui aurait été anodine aux yeux de ses ex-compères mais vitale pour lui ? La pêche avec les oiseaux ferait-elle partie de la couverture nouvelle de Rock Hasma une fois son affiliation à la Révolution officialisée ? Ce dont il est sûr par contre c'est que ces volailles ne sont ni originaires d'Hinu, ni endémiques de la région.

Ils sont migrateurs...


[...]
Aeden, Rivia
Présent

Après s'être assurée que les parents de Paris n'ont pas partagé le sort de ceux des Yves, Babylone attendit patiemment ses camarades dans la grande zone extérieure de Rivia. Assise sur une branche de bouleau, perdue dans ses pensées alarmistes hantées par le cauchemar que serait une propagation générale de l'épidémie, Babylone entend de sourds grondements provenant de l'ouest. Rien d'inhabituel, dans cette direction à un peu plus de trois kilomètres se trouvent les Miroirs d'Azur, de hauts plateaux garnis de chutes d'eaux vertigineuses dont le fracas s'entend dans toutes la région. Encore heureux, se dit-elle, que le mal qui se propage n'ait pas encore atteint cette aire paradisiaque. Se baigner dans les eaux turquoises des cascades, faire de la plongée dans ses grottes sous-marines, s'entrainer à retenir sa respiration est un de ses grands plaisirs. Piaffant allègrement, volant loin de l'épidémie qui s'annonce, une volée d'oiseaux aux plumages multicolores passe au-dessus de Baby. Tout au long de l'année, les Miroirs servent de nichoirs à des centaines d'espèces migrateurs, se rappelle-t-elle. Comme eux, elle partira un jour de là, s'en ira de par le monde, au gré des missions. En répandant l'idéal de la Cause.

- Hey, Baby ! Descends de là ! qu'aboie Paris.
- Tu faisais quoi là-haut ?
- Admirer le paysage. Mystérieuse est la nature, magnifique est Aeden.
- Bah la nature, elle est aussi très dangereuse, renchérit Paris. Tiens, voici tes bouteilles d'eau.
- L'ordre de patrouiller ici, j'ai reçu. Mais les indications, pas du tout claires, elles sont.  
- Attends, je te fais un résumé. On a deux problèmes principaux sur les bras. On ignore comment se transmet la maladie et comment elle a débuté. Avant de quitter la ville, on a vu des gars de la Branche Développement arriver avec des combinaisons blanches et tout. Ils vont sécuriser le Cimetière et peut-être mettre en quarantaine la foule qui s'y trouve. Ça va être très tendu là-bas.
- Normal. Être confinés, les gens n'aiment pas.  
- Bref, d'autres équipes ont pour mission d'enquêter sur les vecteurs de la maladie. Nous on fait partie d'un groupe de quinze personnes dispatchées en unité de trois dont le rôle est d'enquêter sur les jours précédant la contamination de monsieur Chang. Le premier patient, le Patient Zéro.
- Découvrir comment il a chopé cette saleté, nous devons ? Mais... encourir le risque de l'attraper à notre tour, nous allons ! s'alarma-t-elle.
- T'es sûre que t'es prête à mourir pour la Cause ?
- Bien sûr que oui ! Bête est ta question ! s'emporta Babylone.
- Dans ce cas, ferme-là et contrôle ta phobie !
- Si ça s'appelle phobie, c'est que c'est irraisonnée donc, ça se contrôle pas. On va prendre toutes les précautions pour ne pas finir comme lui, Baby.
- Voici le support qu'on nous a distribué, dit Paris en tendant à Babylone une simple carte.

Au lieu d'y trouver le dessin d'un joker ou d'un dix de trèfle, le carré supérieur droit est garni d'une petite photo d'un homme au teint jaune, yeux bridés, moustaches en crocs coiffant un chapeau conique en paille. Juste en bas, Babylone lit "Cheng Chang, riziculteur". D'autres informations sont mentionnées sur la carte, entre autre l’âge du monsieur, son groupe sanguin, ses activités favorites, son statut également. C'était un civil tout ce qu'il y a de plus normal, sans entrainement particulier. Fugacement, Babylone se demande s'il existe une telle carte avec sa propre photo, contenant des éléments d'informations sur elle. Qu'est-ce qui peut bien y être mentionné ?
La raison pour laquelle ils ont hérité de cette zone lui est parait plus claire maintenant, à un kilomètre vers l'ouest se trouvent les grandes rizières de Rivia. Une zone marécageuse, en permanence inondée par une petite rivière prenant sa source dans les Miroirs d'Azur. On y trouve aussi une grande ferme piscicole et quelques ostréiculteurs d'eau douce. Grace à ses pérégrinations dans la campagne, elle connait par cœur la région, alors elle aiguille ses camarades vers les rizières. Ce qu'ils cherchent, nul ne le sait. Quelque chose qui sortirait de l'ordinaire, quelque chose qui leur sauterait aux yeux. Munie d'un calepin, Babylone scrute l'environnement en notant tout ce qui lui parait suspect. Elle prend son rôle de détective très au sérieux, surtout depuis la pique de l'autre qui a osé douter de sa dévotion. Quelle vipère, cette Paris !

- Ouais nan... Ce n'est pas du tout suspect, tu peux gommer ça, dit Aaron en lisant par-dessus l'épaule de Baby. Cet homme a quatre-vingt ans, normal qu'il souffre de la hanche, il a passé toute sa vie courbé à planter du riz !
- Sussssspect ? De quooooooooi ? demande l'ancêtre édenté qu'ils ont renoncé à interroger.
- De rien grand-père Phils, nos respects. On va plutôt interroger votre fils.

A contrario du Cimetière, personne n'est malade dans les rizières. Le choc de la mort de Cheng Chang se lit sur tous les visages et l'incompréhension est palpable. Surtout quand les investigateurs leur révèlent que le mal qui l'a fait passer de vie à trépas pourrait encore bien roder quelque part. Scrupuleusement, ils notent l'emploi du temps de Chang histoire de le reporter fidèlement à leurs supérieurs. Célibataire et sans enfant, ses voisins se souviennent qu'il a commencé à tousser il y a dix jours. « Trois jours donc avant son internement à l’hôpital » marmonne Paris. « Mais vous savez pas ce qu'il a fait durant les jours d'avant ? Il avait quand même une santé de fer d'après ce que vous nous dites. » Nul ne semble se souvenir d'une quelconque activité sortant de l'ordinaire. Comme eux tous, Chang se levait avant l'aube pour travailler dans sa rizière, prenait vite fait une pause quand le soleil était à son zénith, puis y retournait quand l'astre en déclinait. Rien, aucune piste. Babylone se sentit de plus en plus à l'aise, au fur et à mesure qu'il parait évident que leur filon n'est pas le bon. Au moins, elle risque pas de rencontrer cette saleté de germe. Après cinq heures d'enquête à interroger tous les riziculteurs, ils les quittent, leurs sacs chargés de généreuses portions de gâteaux au riz, de boulettes de riz que les fermiers les ont forcés à accepter.

- Interroger les pisciculteurs et ostréiculteurs, allons-nous ?
- Non, ça incombe à une autre unité. C'est pas notre zone.
- OHHHHH ! que s'écrie soudain la rizicultrice qui fourrait du jus de riz dans leurs poches.
- Des souvenirs qui jaillissent, vous avez madame Harper ?
- Chavais total'ment oublié. 'fin, chai pas si cha peut vous aider.
- Ce qui peut nous aider, nous l'ignorons nous-même alors... Dites toujours, recueillir tous les témoignages consiste notre rôle. Ce qui est utile, nos chefs en décideront.
- Chétai chinq chours environ avant qu'il commenche à toucher. Cheng était auchi est un bon chacheur, vous chavez. Duck Daffy qui diriche la ferme pichilocole Blue Mermaid l'a invité à chacher avec lui.
- Chasser quoi ? demande Paris qui n'a apparemment aucun mal à comprendre la dyslalie de la fermière alors que ses camarades semblent perdus.
- Des pélicans de Fukuchima.

Majestueux grands oiseaux pouvant atteindre plus de trois mètres d'envergure, les pélicans de Fuskushima sont reconnaissables à la large poche attachée à leurs becs. Babylone explique à ses camarades que ce sont des créatures dotées d'un fort instinct grégaire, se déplaçant parfois par millions. Aaron et Paris finissent par la stopper dans son intarissable exposé. Sans être de fins oiseleurs ou ornithologues, tous ont reçu les mêmes cours de biologie et de familiarisation avec la faune d'Aeden. Il y était notamment question de savoir survivre en milieu hostile, se nourrir de tout ce qu'on peut trouver de racines, champignons, rats, oiseaux de tout genre. Plus d'un révolutionnaire sont morts parce qu'ils n'étaient pas capables de distinguer une grenouille comestible d'un dendrobate, avait commenté le professeur. Ils avaient alors passé un mois à l'état sauvage au plus profond des bois, s'échinant à apprendre les tactiques de survie. Un pélican de Fukushima fut entre autre de leur dîner. « Oui, c'vrai, on a tiré sept Fuku-pélican Chang et moi. Ces satanés piafs v'naient bouffer mes poissons. Avec l'sac sur leurs gueules là, c'pas un ou deux qu'y prennent quoi. Peuvent vider votre bassin en deux temps trois mouv'ments. Donc, j'ai d'mandé d'l'aide à c'bon vieux Chang. Y tirait plus vite qu'son ombre. » Moins vite que le virus a priori, ironisa Baby. Le pisciculteur signale aux apprentis limiers l'étrangeté de la présence de ces oiseaux solitaires en cette période où leur migration vers Aeden n'a pas encore commencé. Alors qu'il conclut en disant que même dans la nature, il peut y avoir des excentriques, des non-conformistes et des Révolutionnaires, les trois amis se disent qu'ils tiennent peut-être quelque chose.

- Vous avez fait quoi des oiseaux que vous avez abattus ? s'enquiert Aaron.
- Chang les a gardés. Moi j'suis végétarien donc j'en avais rien foutre. Y m'a dit qu'y allait en troquer la moitié au Cimetière contre d'la viande d'porc. L'Cimetière, l'abattoir, vous connaissez pas ?
- Si. Mais on pensait que les animaux abattus là-bas provenaient de leur propre élevage.
- Ben non, ma p'tite. Les chasseurs peuvent v'nir y troquer leurs prises. La viande d'brousse et d'chasse est très prisée.  
- Wow... Si la moitié il a troqué, ça veut dire que l'autre moitié, il a mangé ?
- Probabl'ment. Vous pensez pas qu'c'est ces oiseaux qui l'ont contaminé ? s'angoisse l'homme.
- On sait en tout cas que vous êtes pas malade parce que vous n'en avez pas mangé. On sait que Chang est mort après en avoir certainement mangé et que les membres de la famille gérante du Cimetière sont très malades après que ces pélicans aient été apportés chez eux.
- Trop de coïncidences autour de ces pélicans.
- Si le fou, vous cherchez dans la maison sans le trouver, disait mon vieux maitre, c'est que le fou, c'est probablement vous !
- Hein ? Quoi ?
- Trop profonde est cette phrase. Comprendre, tu ne peux pas.
- Vous nous montrez où vous avez chassé les oiseaux ? interrompt Paris.

C'est dans un bois à l'écart des fermes piscicoles. Le genre d'habitat pas naturel du tout pour des pélicans de Fukushima qui aiment le grand air et les espaces dégagés. De plus en plus bizarre cette histoire se disent les amis en avançant prudemment entre les arbres aux troncs massifs. Que viendraient faire des pélicans ici ? Ils ont à peine de quoi étendre leurs grandes ailes. Nidifier ? Sûrement pas, ils transportent leurs œufs dans leur poche buccale. Le fermier les aiguille vers un séquoia centenaire où le premier a été abattu. L'arbre est marqué d'un produit fluorescent puis ils continuent leurs chemins, balisant ainsi les endroits où la chasse s'est dénouée. Juste avant la clairière où le dernier oiseau a trouvé la mort, le pisciculteur trébuche, flanche puis s'étale de tout son long. Sauf qu'au lieu de heurter le sol tapis de feuillages, il s'enfonce dans le sol. Quelqu'un a creusé là, sans bien le reboucher. Affolés, ils pensent d'abord à un piège à loup, ces redoutables machineries dentelées capables de vous sectionner une jambe. Puis, la panique laisse place à l'effroi et au dégoût. Ce qui les marque en premier, c'est l'odeur. Celle de la mort, celle de la décomposition. Babylone recule précipitamment jusqu'à grimper à un saule pleureur. De sa branche, elle cerne mieux l'horreur de la scène et en est encore plus estomaquée. Duck Daffy est empêtré dans une espèce de fosse commune creusée à la va vite, autrefois obstruée par un morceau de planche lui-même recouvert d'une fine couche de terre. C'est ce bois-là qui a cédé sous le poids du fermier. Dans la fosse, point de cadavres humains. Mais de pélicans de Fukushima. Par dizaines, les uns sur les autres, grouillant d'asticots.

- Oh c'est pas vrai... marmonne Aaron.

Une épidémie, c'est déjà quelque chose mais là... Ils réalisent ce que signifie leur macabre trouvaille. Ces oiseaux ne sont pas enterrés tous seuls. Une intelligence humaine est à l’œuvre...
Fébrilement, Babylone saisit le pistolet fumigène dans son kit et tire une fusée qui explose bientôt dans le ciel crépusculaire de Rivia dans une puissante lumière rouge. Alors qu'il intime à un Duck Daffy terrorisé de ne pas sortir du sépulcre sous peine de propager la mortelle infection, Aaron croit repérer dans l'ombre de deux acacias aux troncs noueux une légère lumière. Comme le reflet de la fusée éclairante sur des verres. Pas les siennes assurément. Quelqu'un les épie dans les ténèbres, tapis dans le sous-bois.
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« Hé, Babylone, regarde ! »

Les lunettes disparaissent brusquement dans un bruissement de buissons.
« Quoi, Aaron ?
- Je jurerais avoir vu quelqu’un…
- Le dire plus vite, il fallait ! »

Sous le regard du jeune homme, la révolutionnaire s’engouffre en courant dans la direction qu’il a pointée, sans qu’il ait le temps de réagir. Il jette un regard à leur spécialiste et commence à ouvrir la bouche quand Paris prend la parole avant lui.
« Restez ici en attendant l’arrivée des secours, nous devons tirer cette affaire au clair ! »
Il acquiesce d’un air hébété, tourne à nouveau le regard vers la tombe et se penche brusquement en avant, agité de hauts-le-cœur. Ils ont à peine le temps de commencer à voir le déjeuner souiller le sol qu’ils partent eux aussi au pas de course, dans la même direction que Babylone. Elle est déjà bien plus loin devant, et sa condition athlétique largement supérieur ne facilite pas la poursuite.

Les buissons se font rares, et ce sont rapidement les hêtres, chênes et des connifères plus variés qui se dressent en faveur de leur chemin. En respirant profondément, Aaron double Paris en sautant par-dessus un arbre abattu dont le tronc a déjà bien pourri. Sur une brève clairière dans laquelle le soleil perce artistiquement la canopée pour dessiner des rayons de lumière, il pique une pointe d’accélération et rattrape encore davantage Babylone.

« Par ici, il est ! L’attraper pour l’interroger, il faut ! »

Mais il semble que le possesseur des lunettes, surveillant des catacombes aviaires et principal suspect soit plus en forme que prévu. Babylone n’est pas en reste et, après avoir enjoint à ses camarades scientifiques de se dépêcher, elle se met à accélérer perceptiblement. Jamais je ne la rattraperai, songe Aaron. Et je ne suis même pas sûr qu’elle puisse rattraper le coupable…

Finalement, totalement essoufflé et avec un point de côté, le scientifique ralentit au bout d’une dizaine de minutes et est rapidement rejoint par Paris, elle aussi à bout. Plus loin, ils voient Babylone disparaître au milieu des arbres, tout en essayant de maintenir son rythme en saisissant son luth. Elle veut utiliser les abeilles pour distraire et empêcher l’inconnu de fuir.

« On ne les rattrapera pas, ahane Aaron.
- Au pire, on déclenchera une gigantesque chasse à l’homme…
- Il vaut mieux le capturer au plus tôt pour obtenir les informations dont nous avons besoin pour guérir les malades. »
Il y a un léger silence.
« Et nous aussi, maintenant, fait doucement Paris.
- Il y a des chances, oui, confirme-t-il. »

Le jeune homme secoue la tête en enfonçant sa main dans son côté tout en respirant profondément.
« Il faut que nous réussissions à l’attraper ou le coincer avant que Baby…
- Oui, si Babylone se rend compte qu’elle risque d’être contaminée, elle va paniquer et arrêter totalement la poursuite pour se diriger vers la pharmacie ou l’hôpital le plus proche.
- On pourrait utiliser les fusées de détresse, suggère Aaron. »
Le plan fait mouche aussitôt. Paris part vers la gauche, l’autre vers la droite, avec une foulée légère de joggeur, bien loin du sprint effréné d’il y a à peine cinq minutes.

Quelques notes de luth s’élèvent doucement dans la forêt, accompagnées d’un vrombrissement de mauvais augure. Elles servent surtout à Aaron à évaluer la position de Babylone. Au vu de sa vitesse, il est surpris qu’elle n’ait toujours pas rattrapé leur proie, d’ailleurs. Elle possédait des résultats physiques toujours impressionnants, à l’académie, contrairement à ses camarades plus ‘’cérébraux’’. Une information plus menaçante, également. Il va peut-être se retourner contre elle sans que nous soyons là pour la défendre et l’aider.

Les notes du luth seraient cependant bien plus rythmées, effrénées, si c’était le cas.

Il faut attendre un petit peu pour qu’une autre fusée de détresse, sur le gauche d’Aaron, n’illumine le ciel de la journée et ne reste en vol stationnaire pour que tous les révolutionnaires de l’île la voient. D’un bond, il franchit un cours d’eau et manque de se fouler la cheville sur un rocher glissant, recouvert de mousse humide. Il se rattrape à un buisson épineux, s’ouvre les doigts, la paume, mais n’y prête pas attention alors qu’il se hisse le long du flanc du coteau.

Après quelques minutes supplémentaires de course, couvert de sève, et autres produits des bois, fonçant comme un bœuf à travers les fourrés, Aaron voit leur dernière fusée de signalisation, loin devant eux. Par réflexe, sa main se porte à sa taille, là où son propre pistolet devrait se trouver si ce n’était pas Paris qui l’avait pris pour induire leur proie en erreur.

Par un effort de volonté, le révolutionnaire accélère, en se basant sur les notes qui lui parviennent parfois. Elles sont d’abord nettement sur sa gauche, puis s’infléchissent dans sa direction. Leur plan semble parfaitement marcher, et quand Aaron émerge du bois, il se retrouve au sommet d’une colline herbeuse et dégagée.

En contrebas, à cent mètres, une silhouette blanche se déplace bizarrement, poursuivie par une autre qui court plus traditionnellement. Un nuage sombre flotte autour du premier courreur, leur suspect. Mais il n’en tient qu’à peine compte, et il faut qu’il approche un peu pour qu’avec l’aide de ses lunettes il remarque le masque étrange que l’inconnu porte.

Sûrement pour éviter la contamination par les oiseaux morts…

Sans s’arrêter pour y penser plus d’une fraction de seconde, il reprend sa course, cette fois aidé par le dénivelé. Le responsable de la contagion mystérieuse l’aperçoit, et ajuste sa trajectoire, mais trop tard. A une dizaine de mètres, le scientifique agite le bras et une boule chimique fluo se coagule au-dessus de sa paume, en sortant des pores de sa peau.

D’un geste, la bombe atterrit aux pieds du fuyard, et explose violemment en soulevant un nuage de terre et d’herbe. Quand celui-ci se dissipe, Babylone est assise à calfourchon sur le dos de l’inconnu, et lui fait une clé de bras qui manque de lui démettre l’épaule. De l’autre main, elle lui arrache son masque, et une centaine d’insectes se posent sur son visage, sans piquer.

C’est qu’il risquerait d’en mourir.

Intrigué, Aaron tourne le regard vers l’engin de locomotion de l’homme, qui semble être un scientifique comme lui, équipé comme il est d’une blouse, de gants. Malheureusement, la création, constituée à première vue de chenilles mécanisées et d’une plateforme, a grandement souffert de l’explosion qu’il a provoquée avec le Chemical Juggling.

***

Quelques jours plus tard, la situation a enfin été tirée au clair. Les plus grands scientifiques et, probablement, tortionnaires, d’Aeden ont extorqué toutes les informations nécessaires à Molotov. Et Babylone, Paris, Aaron sont enfin sur la terrasse de leur café, à profiter des derniers rayons du soleil après leur décharge de l’hôpital.

« Bien, toute cette histoire finit, commente Babylone en prenant une gorgée d’hydromel.
- Vous pensez que notre service sera reconnu ? Demande Paris, avec son verre de vin rosé à la main.
- Sûrement, hasarde Aaron. Mais je me posais une question, en fait.
- Oui ?
- Babylone, tu savais que tu étais infectée pendant que tu poursuivais Molotov ?
- Pas au début. Pendant la course, je m’en suis aperçue.
- Et tu n’as pas paniqué ?
- Si, terriblement. Mais ma seule chance de m’en sortir, l’attraper c’était.
- C’est vrai. »

Un léger silence pendant qu’ils sirotent.
« Yves est quand même mort. Il était déjà trop tard. »
Aaron lève son verre.
« A la santé d’Yves du Cimetière. Et dire qu’il croyait à la réincarnation. Il sera peut-être bientôt à nouveau parmi nous… »
Paris lui colle une bourrade dans les côtes, et il manque de renverser son rouge.
« Tu devrais avoir honte de dire des choses pareilles !
- Ouille…
- Si nous n’avions pas attrapé Molotov, nous aurions pu nous-mêmes le rejoindre.
- Heureusement… »

« En tout cas, ils ont fait vite pour le vaccin et les soins.
- Un agent du Cipher Pol, c’était.
- Quoi ?! S’exclament Paris et Aaron.
- Le dire par un haut-gradé de l’hôpital, j’ai entendu.
- Ca veut dire qu’ils vont tous débarquer ?
- En solo apparemment, il était.
- Reste que le Gouvernement Mondial continue de représenter une menace… »

La soirée se déroula dans une ambiance alternant entre joie d’avoir réussi, de s’en être sorti, et sérieux à l’idée d’avoir évité le pire, d’avoir eu de la chance, et regrets pour les défunts.

Tout ça ne fait que commencer pour moi.
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