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Camaïeu de bleu

Voilà même pas dix minutes que j’avais débarqué sur une Inu Town baignée par le soleil que je me perdais déjà volontairement dans les rues, bagages en main, époustouflé par ces bâtiments aux pierres brunes. Leur teinte était peu commune, et il fallait bien avouer que le voyage depuis Marie-Joie avait été long, alors le moindre exotisme aussi infime qu’il pouvait être comblait mon besoin de m’aérer l’esprit et de me dégourdir les jambes.
J’avais erré comme cela jusque dans les ruelles des quartiers les modestes de la cité portuaire de Karnutes, plein de plénitude, devant des gosses qui s’amusaient, insouciants, jusqu’à ce que je me plante devant eux, un sourire béat aux lèvres.

L’inconnu que j’étais à leurs yeux était de trop, je les avais stoppés net dans leurs petits jeux, et ils me fixaient presque tous avec le regard interrogatif, parfois dur : je n’avais clairement rien à faire ici. Il ne me fallut pas très longtemps pour comprendre, ils ne devaient pas souvent rencontrer des personnes vêtues comme je l’étais, dans son sempiternel costume que j’affectionnais tant. Alors ne voulant point les déranger davantage, je partis.

De toute façon, il me fallait gagner l’autre grande ville de l’île, Chom, qui résidait en son plein centre, coincée entre des champs vallonnés et une montagne derrière elle, et il était hors de question que je fusse en retard, puisque, effectivement, j’avais été envoyé ici même en mission par mon coordinateur, William Clifton, un agent d’un âge certain, boulimique de travail mais chaleureux, pour infiltrer la caserne locale. Je devais dresser un état de la situation révolutionnaire de cette île, ce qui comprenait sa présence et son activité, tout en calmant autant que faire se peut les insubordinations et les autres joyeusetés qui pullulaient les rapports abondants de ces derniers temps. De ce fait, il devait me faire passer pour un marin, assez gradé pour me faire écouter, mais pas trop pour être proche de mes hommes.

Ce fut ainsi que je devins Caporal Lars Blomberg, fraîchement muté du QG de North Blue, la base G-6 dans laquelle je fis mes preuves. Pourquoi Caporal ? Parce que s’il y avait insubordination, je présumais qu’elle venait des matelots. Peut-être de plus haut également, ce qui aurait expliqué les cas de zèle abusif, mais avec les marins recadrés, cela allait sûrement s’arranger, cela n’étant qu’une conséquence de leur manque de discipline.

Pourtant, si les bambins des quartiers modestes pouvaient jouer tranquillement que leurs parents n’aient à s’inquiéter, c’était que l’ordre devait tout de même régner. Et j’aimais me dire que tout cela n’était dû que grâce qu’à la présence Gouvernement mondial pour lequel j’oeuvrais. Que malgré le fait que je n’étais qu’un agent parmi une foultitude d’autres agents, un grain de sable d’une plage, j’en étais en partie responsable. C’était gratifiant ...

Mais trêve d’errance ! La route était encore longue donc je pressai le pas pour sortir de la ville, faisant mon maximum pour ne pas m’atteler sur des détails originaux. Et au bout de quelques minutes de marche intensive, je gagnai enfin le large chemin de terre qui me séparait de Chom, m’y engageant par la même à la même allure, quand soudain j’entendis un bruit de sabots et de roues grinçantes, et alors que j’allai pour me retourner, ce que j’imaginais être le conducteur s’adressa à moi :

- Ola, bleusaille !

Bleusaille ? L’homme qui m’avait devancé et à qui cette voix rocailleuse appartenait ne manquait pas de culot ! Je me retournai aussitôt pour savoir de bois il était fait.
C’était un quinquagénaire trapus, les cheveux grisonnants, aux rides appuyés et aux traits burinés. Il conduisait un chariot destiné à l’acheminement de minerais, tiré par une mule-de-bât.

- Tu t’rends à Chom ?
- Euh ... oui ...
- Grimpe, j’y vais aussi !


Malgré ses familiarités, il s’avérait plutôt altruiste. Je devinais que c’était un mineur qui venait certainement de livrer le fruit de son labeur aux forgerons que j’avais pu croiser ça et là en ville.

- Eh bien ... merci ! C’est très sympathique de votre part !
- Bah ... Autant s’entraider ! On aurait l’air fin si on s’bouffait le nez sur p’tite île comme celle-là !


Il me tendit la main pour que je pusse monter à bord, je le remerciai d’un large sourire.

- J’te préviens, c’est pas très confortable, c’est pas prévu pour ça c’t engin !
- Oh, ne vous en faites pas, on ne vas pas très loin, je crois que je pourrais m’en remettre !


Il lâcha un rire franc, et ce fut dans cette bonne humeur que nous reprîmes notre route. Et pour tuer le temps du voyage, nous entamâmes rapidement la conversation. Il me demanda ce que je venais faire ici, et pourquoi je m’y enterrais. Je lui répondis que j’allais intégrer la caserne et que je n’avais pas le choix, c’était ici que l’on m’avait muté, alors il me rassura qu’outre les “gueulantes” de mes supérieurs, ça allait plutôt calme. A nouveau, je lui répondis d’un sourire.

Bientôt, nous arrivâmes à destination. Il m’avait laissé devant l’enceinte de la caserne, et après l’avoir remercié, il repartit alors que ma mission allait enfin pouvoir débuter ! Et en m’approchant, ce fut un Colonel à en croire ses galons, et donc sûrement le plus haut-gradé d’ici, qui m’accueillit. Il était entre deux âges, assez bourru, le crâne rasé, impeccable. Clairement quelqu’un avec qui on ne pouvait pas plaisanter.

- Caporal Blomberg, je présume ? me demanda-t-il sèchement.

Je le saluai solennellement avant de lui répondre.

- Tout à fait.
- Bienvenue, soldat. Je me présente, Colonel Perkson. Nous ne vous attendions pas si tôt, mais puisque vous êtes là, allez enfiler votre uniforme ! Plus tôt nous commencerons le briefing de la journée, mieux ce sera !

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- Bonjour Caporal, Adjudant Novic. Veuillez me suivre s’il vous plait.

La jeune Adjudant, une blonde aux cheveux longs, tentait de rester aussi ferme et solennelle que possible, mais il y avait ce petit quelque chose qui sonnait faux.
Après un bref salut, je la suivis dans les couloirs qu’elle empruntait jusqu’au dortoir des hommes, des chambres de douze personnes un peu austères, à raison de six lits superposés.

- Votre armoire est là, votre uniforme est dedans. Je vous attends derrière la porte.
- Bien, merci.


Elle partit aussitôt, et je me changeai sans même prendre le temps de ranger mes affaires. Quand je vis mon déguisement, une seule idée me vint en tête : uniformisation. J’allais devoir troquer ma chemise et mon gilet préférés pour un costume que tout le portait. La seule différence résidait dans mes galons que j’allais partager avec les quelques autres caporaux ... Crinière dressée et casquette vissée, je pouvais enfin rejoindre l’Adjudant Novic et les autres dans la cour pour l’appel du matin et le briefing.


~


- Bien, tonna le Colonel Perkson. Maintenant que le Caporal Blomberg est de retour, nous pouvons commencer. Je vais faire simple, pour connaître l’affectation de votre journée, vous irez en référer à vos supérieurs directs. Pour ceux qui patrouilleront sur l’île, comme d’habitude nous avons dressé la carte sur le tableau dans le hall d’accueil.

Il s’éclaircit légèrement la gorge, fronçant les sourcils, l’air grave, et le ton sec.

- Et maintenant, évoquons le sujet sensible. Je sais que vous en avez marre d’entendre toujours le même sermon ! Que la discipline de fer que nous tentons de vous inculquer vous pèse lourdement, que vous voudriez sonner la fin des suppressions de permission, des corvées à tout bout de champs et des séjours répétés au trou. Mais tant que ces choses qui troublent l’ordre des troupes sont encore présentes et gagnent des soldats, vous en subirez les conséquences. Suis-je bien clair ? C’est tout bonnement inadmissible et je ne permettrai pas la décadence de la 316è division ! Je ne l’ai jamais permise, ce ne sera pas aujourd’hui que cette promotion de misère le permettra ! Vous finirez tous par courber l’échine et entrer dans le rang. Et il serait préférable pour vous que ce soit de gré plutôt que de force, vous pouvez me croire ! Allez, rompez, et tous à vos postes !

Et pourtant, à voir les rangs se briser presque harmonieusement, il aurait été légitime de penser de ces troupes ne souffraient d’aucun relâchement. Ce fut le Sergent Foley qui vînt directement à moi, sans avoir eu le temps de me demander sous quel commandement j’avais été placé.
Il me fit rencontrer mes hommes, une escouade de cinq marins, puis j’appris que nous devions quadriller le secteur nord-ouest de Chom, et plus précisément, une partie du centre-ville ainsi que le quartier résidentiel plutôt aisé. C’était la partie la plus pénible et ennuyeuse de la mission : les patrouilles ! Elles me rappelaient un peu mes missions fastidieuses de surveillance sans action ... Lutter pour ne pas s’endormir alors qu’il ne se passait rien ...


~


Plus tard ...

- Allez, passez devant. Je veux vous avoir à l’oeil.
- Euh ... Vous êtes sûr Caporal ? C’est à vous normalement d’être en tête ...
- Pour que vous complotiez dans mon dos ? Devant moi. C’est un ordre.
- Grmbl ... Bien, “Caporal” ...


La journée commençait bien ... Sous le signe de l’amertume et de la méfiance, à peine arrivés sur place ... Elle allait être longue, cette fameuse journée ...


Dernière édition par Ludwig Asturm le Sam 18 Mar 2017 - 17:11, édité 1 fois
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- Laissez ça, Carmin.
- Oh, ça va ! C’est qu’une gazette ! On est dans un quartier huppé, ils en ont rien à faire d’une gazette ! Ils peuvent s’en acheter des milliers par jour s’ils veulent !
- Mais c’est déjà du vol. Je vous dis de laisser ça.


Ce qu’ils me pesaient ... De vrais enfants ! Une minute sans surveillance et c’était la bêtise assurée ! Je me tournais pour le réprimer, d’autres recommençaient dans mon dos ! C’était insupportable !

- Mais c’est pas vrai ! Colston ! Xarsas ! Vous autres, suivez-moi !

Ils avaient détalé comme des lapins pendant que je m’égosillais sur Carmin ... Aussitôt je les pris en chasse.

- Arrêtez de jouer aux plus cons, vous allez perdre !

Et ce fut comme ça toute la journée ... Déjà que jouer les Mouetteux n’était pas la partie de mon travail que je préférais, mais là, ils m’avait rendu la vie impossible.


~


Le soir arrivant, j’étais hors de moi et harrassé en même temps, alors je demandai à voir mes supérieurs. Et après de brèves et formelles salutations ...

- Bonsoir. J’aimerais mettre mon escouade au trou et m...
- Et comment !
s’exclama le Sergent Foley. On nous a signalé une infraction durant votre service !
- Oui, c’est pour cela que j’aimerais rejoindre mes hommes en cellule.
- Pourquoi ça ? Vous n’êtes pas l’auteur de ces troubles ...
- Non, mais je suis responsable de leur c...
- Alors vous n’avez rien commis
, coupa le Sergent. Ce sont eux, qui doivent payer, pas vous. Bien que votre initiative soit louable, quand ils seront de corvées, vous iriez les rejoindre ?
- Certes, m...
- Il faut une discipline de fer, Caporal. Et quand ça ne suffit pas, il faut faire du chantage : quand vous, vous aurez quartier libre, eux, ils mettront la main à la pâte. Action, réaction. Aller en prison avec eux, c’est leur donner raison.

Je ne partageais pas ce point de vue, mais puisqu’il insistait ...

- Alors pas d’infraction, pas de trou ?
- Ca me semble élémentaire, mais oui, c’est ça.
- Alors pardonnez-moi Sergent.
- De ?



*slap*


- Mais vous êtes cinglé ?! Très bien, puisque c’est ce que vous cherchez, vous allez y aller ! Ca va vous rafraîchir les idées !

Eh bien ... Qu’est ce qu’il ne fallait pas faire pour se faire écouter ... Têtu et pas très malin par dessus le marché !
Gifler un supérieur ... Je n’aimais pas beaucoup cette tâche sur mon ascension professionnelle, même factice, mais c’était nécessaire. Je voulais être auprès de mes hommes pour leur montrer qu’on était tous dans la même galère. Qu’on ramait tous au même tempo et que sans cela, nous allions guère loin.

Il me fallut le temps du chemin qui nous séparait des geôles pour effacer ce discret sourire satisfait de mon visage. Avoir un bon jeu d’acteur était essentiel à tout bon agent. Et après avoir été poussé dans une prison comme un moins que rien dans le silence le plus complet, le Sergent Foley vexé et moi même tirant une expression faussement déconfite, un de mes hommes s’étonna enfin :

- Caporal ?! Qu’est ce que vous faites là ?
- Je suis responsable de vos conneries les gars ! Moi aussi je raque !


Si le premier faisait la moue, Carmin revenait à l’assaut.

- Ouaip, c’est ballot hein ?

Mais Xarsas, contrairement à ce que j’aurais pu m’imaginer, prit enfin ma défense :

- Mais ferme ta gueule ! C’est de ta faute si on est là !
- Eh oh ! Je te signale que t’es pas tout blanc dans l’affaire, hein !
- STOP !
les interrompis-je. J’en ai rien à faire de savoir à cause de qui on est là. Le fait est qu’on y est, on purge notre peine, terminé.

Le silence revint aussitôt. Mon but n’était pas de diviser mes troupes pour rallier une partie d’entre elles à l’obéissance et à la mienne en particulier. J’aurais pu m’en servir pour mieux régner et exclure Carmin ou tout autre perturbateur pour de bon, mais je tenais à ce que nous formions une escouade entière et soudée, quitte à utiliser la force et à faire payer aux autres, moi y compris, les erreurs de quelques uns. Même dans à l’ombre j’étais là à essayer de souder tout ce beau monde.

Jouer les Mouettes, oui, mais pas sans panache ! Et puis jouer ce Caporal Blomberg au franc parler m’amusait beaucoup au final, même si ses gars m'en faisaient voir de toutes les couleurs ...
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La nuit s’était déroulée sans encombre aucune. Alors que le soleil se levait à peine, Perkson m’avait déjà convoqué dans son bureau dès l’appel matinal.

- J’ai appris pour votre acte d’hier soir, Gromberg, gronda-t-il entre ses dents, tassé dans son fauteuil, l’air interdit. Toujours aussi glabre et musclé, cela le dotait d’une présence intimidante. C’est fâcheux, très fâcheux. D’autant plus que j’avais rappelé l’idéologie de la base le matin même. Vous comprenez que je ne peux laisser passer ça.
- Je comprends Colonel, et je vous présente mes excuses, dis-je platement. La petite courbette au passage était bien sentie, mais absolument pas pensée. Cependant, sachez que je ne voulais pas en venir jusqu’ici, mais le Sergent Foley ne voulait pas m’emprisonner avec mes hommes alors que tout ce que je voulais, c’est gagner leur montrer que nous sommes dans le même bateau, et pour cela, je dois gagner leur confiance.
- Hm. Voilà de belles paroles, digne d’une jeune recrue ! Sornettes ! Attendez de prendre de la bouteille, votre discours changera. En attendant, je lui donne raison. Vous n’aviez rien à faire, jusqu’à ce que vous lui donniez une gifle.


Finalement, c’était toute la bête qui était têtue et pessimiste. Ce n’était pas pas étonnant que les bleus se braquaient contre autant d’aplomb. Si personne ne faisait le premier pas, alors personne n’allait finir par céder, et d’ailleurs même, chaque partie campait sur leur position.

- C’est pour quoi vous serez corvée de pomme de terre pour ce midi. Pas de temps libre d’ici là.
- Entendu, répondis-je poliment.
- Vous pouvez disposer, m’aboya-t-il sèchement.

Après un énième salut, je partis avaler mon petit déjeuner avant le temps prévu pour cela. Ensuite nous avons une séance d’exercice durant laquelle je comptais bien à nouveau travailler mes hommes au corps.

- Bonne nouvelle, clamai-je à peine rentré du bureau de Perkson, un plateau-repas entre les mains. Le Colonel Perkson est formel : je serai des vôtres pour la corvée de patates.

Xarsas me regarda, blême.

- Je suis désolé de l’apprendre, Caporal ...

Carmin ne moufta pas, faussement concentré sur son petit déjeuner. Pour répondre à Xarsas, je haussai les épaules.

- Ce qui est fait est fait.

J’avalai un morceau avant de reprendre :

- Mais qu’est-ce qui vous passe par la tête, bordel ?

Ils échangèrent des regards, allaient-ils me cracher enfin la vérité ?

- Faut pas nous en vouloir, Caporal ... C’est qu’on pensait que vous étiez comme tous les autres ... Alors on voulait vous mettre d’équerre ...
- En faisant des conneries ? Vous plaisantez j’espère ? Un peu que je pouvais devenir comme nos supérieurs ! Et ce pauvre Benett ? Vous avez pensé à lui avant de le tabasser dans son coin ? Il avait rien demandé lui ...
- Nan mais Benett, c’est encore autre chose.


Tiens donc. Carmin venait enfin d’ouvrir grand son gouffre à merde !

- Et quoi donc alors ?
- Rien. Rien qui vous regarde en tout cas.


Je changeai immédiatement de place, d’une vraie irritation, poussant Colston qui était à sa place, juste en face de lui.

- Ah oui ? Et qui d’autre, si ça ne regarde pas votre supérieur direct ?

Il me fixa un moment, je lui tins le regard sans ciller. Alors que ses yeux transpirait d’une colère contrôlée, intériorisée, mon regard restait calme mais ferme. Il se ravisa un instant après, avouant à demi-mot sa défaite. Je savais qu’il me sondait pour savoir si j’étais digne de confiance ou pas.

Ainsi, je me levai pour rapporter mon plateau à moitié vide.

- Vous vous émoussez, Carmin, pas que ça me déplaise. Mais mon rôle, c’est pas de vous pourrir la vie, vous vous la pourrissez tout seul. Allez, debout tout le monde. C’est le moment de se chauffer les muscles.

La colère et le ras-le-bol n’étaient à qu’à moitié ressentis. Ou du moins, exacerbés. Je savais au fond de moi que ce n’était pas de mauvais éléments, et peut-être que je commençais à m’attacher à eux. Surtout à cause de leurs supérieurs bêtement et méchamment inflexibles.
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La semaine se termina sans aucune autre forme d’encombre, et malgré la distance d’un Carmin que je sentais tiraillé, comme pris entre deux feux, j’avais gagné petit à petit la confiance de mon escouade qui me suivait comme jamais l’on ne m’avait suivi. Et ça faisait chaud au coeur, même à l’agent du Cipher Pol que j’étais. C’était le sel de ma routine plate de patrouilleur.
Carmin essayait quelques coups foireux, mais toujours foirés. Soit grâce à moi, soit grâce à ses camarades. Et puis parfois même, il me suivait sans rien dire, il se fondait dans la masse.

Mais jusqu’ici, je n’avais encore aucune trace de la Révolution. Je l’avais même presque oubliée. J’avais tellement apprécié jouer les Caporaux droit dans ses bottes et galvanisants que j’avais presque oublié ma vraie mission.

Jusqu’à ce soir, après notre journée de patrouille, jusqu’à ce que Xarsas prît le risque de venir me parler en privé. Le stress pouvait se lire sur son visage quand il me prit à part.

- Caporal, je sais pourquoi Carmin est comme ça.
- Hmm ?
- C’est que ...
- Je ne le dirai à personne. Et si je devais le faire, je ne cracherai pas ton nom.


Il hésitait vraiment. Il voulait m’en dire plus, mais quelque chose l’en empêchait. Et puis je compris. Il ne voulait pas être victime de représailles. Il ne voulait pas finir comme Benett. Benett devait savoir et j’imaginais qu’il avait voulu raconter à un supérieur ce qui se tramait dans leur dos, jusqu’à ce que ceux qui sont dans le coup lui tombent dessus.

- Laisse tomber. Et toi, t’en es ?
- Je me suis sérieusement posé la question ... Pardonnez-moi Caporal, mais avec tous ces connards ... C’était une vengeance facile. Pis vous êtes arrivé. Alors je leur ai dis q...


Des bruits de pas ...

- J’en ai assez de vos conneries Xarsas ! Je passe l’éponge pour ce soir, mais je vous préviens mon petit vieux, que je ne vous y reprenne pas !

Il était resté coi une ou deux secondes, ne comprenant pas pourquoi je me mettais à lui hurler dessus. Jusqu’à ce qu’il comprît et aperçût ses collègues qui l’attendaient vers le seul de la porte.

- Entendu. Désolé et merci Caporal ! joua-t-il.

Je gardai le visage intentionnellement fermé, comme si j’étais vraiment en colère, avant de penser à ma mise en action. Approcher Carmin ? Non, une confrontation l’aurait braqué et mon travail aurait été vain. Approcher Benett ? La discrétion était de mise, sinon il n’aurait pas été étonnant que ceux qui étaient dans le coup lui tombassent dessus à nouveau. C’était risqué -pour lui- mais ça n’était pas moins la meilleure approche.
Aussitôt, je partis en direction non sans donner un dernier ordre à mes marins pour cette journée :

- Quand je reviens, je ne veux pas voir un seul d’entre vous debout, compris ?

Ils me répondirent par l’affirmative à l’unisson. De cette façon, j’étais à peu près certain de ne pas être suivi. Et puis ...

- Carmin, vous êtes responsable de la bonne conduite de vos petits camarades.
- Et pourquoi moi ?
- Comme ça, je sais que vous avez tout intérêt à vous coucher vous aussi.


Et à ne pas me suivre surtout ...

Il me fallut quelques foulées vite expédiées pour gagner le dortoire de Benett. Quand je pénétrai dedans, les lumières étaient déjà toutes éteintes. Mais je n’eus aucun scrupule à beugler sèchement un petit :

- Benett, debout et suivez-moi.

Rien. J’attendis quelques instants. Encore une fois, je ne voulais pas qu’on le rouât encore de coups, alors la fausse contrariété était ma façon de ne pas attirer l’attention des fauteurs de trouble.

- Je sais que vous ne dormez pas. Bougez-vous ou c’est moi qui vous sort de là !

Et peu de temps après, j’entendis enfin le bruit d’un lit que l’on défaisait. Dans la pénombre, je devinai les contours d’un soldat, je sortis donc m’éloigner de quelques pas du baraquement.

- Désolé de vous tirer de votre sommeil à cet heure et de cette façon. Mais j’aimer...

Nom de ... ! Une lumière venait dans notre direction !

- Caporal Blomberg ?! Qu’est ce que vous faites avec un soldat qui n’est pas de votre escouade ?
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Bordel de dieu ! Perkson ! Comme si j’avais besoin de lui à cette heure-là !

- Oh, bonsoir Colonel. Eh bien sachez que j’ai coincé ce petit oiseau de nuit en train de menacer un de mes hommes.

Benett me regarda, paniqué. Je lui fis les gros yeux en serrant des dents dans un petit geste de la tête lui signifiant de se taire.

- Quoi ? Lui !
- Tout à fait, Colonel.
- Eh bien, vous me décevez grandement mon garçon ! Si les meilleurs éléments passent du mauvais côté, j’ai de la bile à me faire ! Mais vous pouvez compter sur moi, tous les bleus que j’ai eu sous mon commandant ont soit fini au trou, soit entré dans le rang, soit déserté ou démissionné. Vous savez ce que ça veut dire ?
cracha-t-il enfin, presque content.
- Oh que oui. Et je vais me faire un plaisir de le lui apprendre ! Allez, suivez-moi.
- Bien. Bien. Alors allez-y.


Grossier petit personnage que ce Perkson ! Ce que je pouvais le haïr ! Je voulais me dévoiler et le coincer pour zèle ! Toujours là, dans mes pattes, quand il ne fallait pas ! J’allais me faire un plaisir de m’occuper de lui à la fin de ma mission, mais d’ici là ...

Je tirai Benett par le bras, et lui chuchotai quelques mots à l’oreille après m’être assuré que Perkson ne pouvait plus nous entendre, à mi-chemin des geôles.

- Je suis désolé Benett, mais tu devras passer ta nuit en prison.
- M-M ... Mais pourquoi, Caporal ?!
- Parce que c’est mieux pour tout le monde ! Ecoute, je ne te veux pas de mal, bien au contraire. Après ton petit succès martial auprès de tes petits collègues et ce que je vais te demander ce soir, tu passeras ta nuit à me remercier.
- Ah ... Je vois ...
- Et donc ?


Et il se tordait les doigts d’anxiété.

- Si tu ne me dis rien, ton cauchemar ne se finira jamais. Peut être même qu’il empirera ! On sait tous que tu sais quelque chose qu’on ne sait pas, et qui te lie aux mauvaises troupes. Tout ce que je veux, c’est savoir de quoi il s’agit pour y remédier.
- Oui, et d’ici là c’est moi qui vais prendre !
- Mais tu continueras tant que tu ne nous diras rien ! Je te promets de faire vite !


Il était vraiment à deux doigts de s’effondrer en larmes !

- Rhaa ..., pleurnicha-t-il. Ecoutez Caporal : de ce que je sais, c’est qu’il y a des révolutionnaires dans la base ! Mais je n’ai pas de nom ! Ils essaient d’enrôler les recrues les plus malléables ! Ils ont essayé avec moi mais j’ai refusé ! Ils nous disent qu’on n’a pas à vivre un enfer avec de tels supérieurs, alors ils nous demandent si on veut les rejoindre, que la vie de Marin est infernale, que c’est qu’un début. Du coup, ils nous demandent aussi par exemple d’entraver les patrouilles pour qu’ils aient le temps d’agir ... Et puis il parait qu’on est surveillé par des hauts gradés ! Alors forcément ...
- Alors vous allez voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs, coincés entre l’autorité abusive et l’illusion de liberté que vous offre la Révolution, c’est bien ça ?
- Oui ! Mais je vous en supplie, ne dites rien ! Et faites vite ! Je ne veux pas qu’on nous croise ensemble ici !
- Oui, oui ... Je t...
- Parce que j’ai acheté mon silence ! Et s’ils me voient en prison ...
- Avance !


J’en avais assez de ses jérémiades, alors j’avais coupé court à notre petite discussion, même si je pouvais le comprendre. Quoi qu’il faisait, il vivait un enfer.
Alors je le trainais à grands pas jusqu’aux prisons.

- Tenez, Sergent. Regardez qui j’ai surpris à papoter avec mes hommes ! Benett ! Je pensais qu’il les menaçait, mais j’ai appris qu’il demandait leur aide pour déserter ... Une nuit entre des barreaux devait avorter ses envies de liberté ...

Avant de tourner les talons, je le poussai d’une tape dans le dos, à moitié compatissante, à moitié faussement repoussante.

Le surlendemain, j’allais avoir une permission. L’infiltration pouvait donc commencer !
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