J’ai pris du plomb dans le genou avant qu’on me foute à l’ombre. Au final, c’est dans la tête que j’en ai : va me falloir voyager, mais je sais pas à quel point peut être connu un Lieutenant de Corsaire. Mais ça tombe plutôt bien parce qu’on m’a rasé en taule. Ouais, j’ai fait tombé la crête ...
Va pas croire que j’ai accepté direct hein. Je maîtrise le Retour à la Vie, tu te doutes bien que j’ai fait chier les matons en me faisant pousser plusieurs fois une bonne grosse crinières des familles. Mais j’ai vite arrêté à force de me ramasser des coups de matraque dans la nuque. J’ai bien essayé d’en chiquer un ou deux -je suis la Hyène, tu te souviens ?- mais ça faisait encore plus mal après.
Maintenant que j’ai mes affaires en main, je vais pouvoir remédier à ça. Je me fous dans un coin pénard et je me pose. Je me concentre. Ouais, bon, “je médite” si tu veux. Je refais pousser mes cheveux et ma barbe. Bien long.
Je chope la tignasse du dessus de mon crâne dans la main gauche, et de ma main droite, je me rase le côté droit du crâne jusqu’à derrière avec un os de mouton. Je change de main, et je fais pareil avec le côté gauche. Le reste de mes cheveux, je les noue. Ma barbe, je la taille aussi. Je laisse un peu de volume proche de ma gueule.
Je remballe tout, et je prends la tangente vers le port. Et comme il a plu la veille, je me mate dans une flaque d’eau avant qu’elle s’évanouisse à cause du soleil. Visage fermé, presque dur, ça me va. Ca fait ni trop dégueulasse, ni trop déglingué. Par dessus mon marcel, j’enfile une veste en cuir.pour renforcer le look. Je peux enfin chercher un équipage pour me tirer d’ici, et de préférence pas dans un guêpier de fouilles-merde. Si je peux rester tranquille un moment, ça me va. Faut croire que j’ai apprécié le calme au trou. Ca m’a permis de m’entretenir sans m’en recevoir plein la gueule.
***
Me faut bien presque deux heures pour trouver un équipage qu’accepte de me prendre, qui tient la route, ou qui va pas se paumer dans le trou du cul du monde ou dans un nid à emmerdes.
Pis je vois enfin une ribambelle de gus qui font le plein. Si ça, ça veut pas dire qu’ils vont mettre les voiles, je suis pas un pirate. J’approche un des zigs qu’ont l’air plutôt clean.
— Salut l’aminche.Il me dévisage d’un sale air, de la tête au pied.
— Salut.
— J’pourrais parler à ton capitaine s’teu plait ?
— C’est moi le Capitaine.
— Ah merde, s’cuse moi. J’cherche à m’barrer d’là mais j’ai plus d’rafiot ni d’miens al...
— Hm. C’est pas la meilleure façon de te présenter à moi, ça veut dire que t’as foutu la merde et ton boss a préféré se tirer sans toi ...L’aurait pas eu tort quelques temps avant. Mais là, je me vois presque obligé de lui mentir.
— Bah ! Tu sais ce que c’est, j’parie ? On a picolé dans un rade, on s’est pris d’gueule. Les bouteilles s’sont vidées, les mots durs ont fusé, des coups s’sont donnés. Pis mon capitaine, c’est un susceptible de première alors bon ...J’vais pas lui parler de la partie de poker ou de l’incendie, ça le foutrait sur les pistes. Il me sonde du regard l’air sévère avant d’éclater un :
— Hahaha ! Ma foi ouais ! On serait pas de bons pirates si ça n’arriverait pas !
— Ouaip, tu l’as dit ! Du coup, j’ai pas trop envie d’rester coincé ici, ça pue l’religieux.
— Hin hin hin ! Toi je t’aime bien ! Nous aussi les cultes et tous les trucs du genre ça nous donne la nausée ! Alors on est restés ici le temps que notre log se recharge, mais juste ce qu’il faut ! On nous a rabâché les oreilles comme quoi on devrait s’élever mais nous, on voulait juste faire le plein et se poser avant de repartir !
— Tu m’étonnes ! Bon, et z’allez où comme ça ?
— Boarf, tu sais, on suit la ligne, on se casse pas le cul. Kikai no Shima, tu connais ?
— Nan.
— Bah c’est l’inverse d’ici ! Des casinos, des putes, et des rades ! Y’a de toute pour nous rendre heureux !Des jeux d’argent, hein ? Parfait ! Avec la petite partie de poker, ça m’étonnerait que j’y croise Biutag. Ca me va. Je pourrais peut-être même penser à prendre du bon temps, parce que ça fait un bail.
Du coup, je continue à tailler le bout de gras, histoire de.
— Hrhrhr ! Donc d’la pègre ! Faudrait pas v’nir y foutre la merde ! que je plaisante.
— Ah nan, tu sais, avec le bourrage de crâne d’ici, on a juste envie de se laisser aller ! Boire un peu, jouer beaucoup ! Et je parle pas que de jetons, hahaha !
— Alors y’aurait de la place pour un vieux bougre comme moi ?
— Ouais, sûr, mais ce sera pas gratuit !
— Nan mec, tu m’plum’ras pas avant Kikai ! Moi aussi j’veux profiter d’l’île héhé ! Nan, par contre, j’peux bosser pour payer ma dette. Même les postes les plus chiants s’tu veux ! On était pas nombreux avant, et fallait bien arriver à bon port, j’ai un peu touché à tout.
— Okay, alors à la manoeuvre.
— Ouais, vendu.
— Mais avant ça, je vais demander à mon cuistot si y’aura assez de bouffe.
— Ca marche.Je me mets à l’attendre, pendant qu’il grimpe à bord de son rafiot. Son équipage bien docile range la cale et s’apprête pour le départ. Deux minutes plus tard, il revient sur le pont et me fait signe de monter.
Je passe par la passerelle et les gusses la font sauter juste après.
— Bon, il m’a dit qu’un de plus ou de moins, ça changerait pas grand chose. Par contre, t’attends pas à du luxe hein.
— Ouais, ça me va. Tant qu’on arrive en vie ... Merci au fait.
— Hahaha ! Comment tu t’appelles ?
— John, que je mens.
Et toi ? — Ander. Bienvenue à bord l’ami ! Et au boulot ! Allez les gars, on lève l’ancre et on met les voiles !