Entre deux odeurs de poissons. (Derrick)

Entre deux odeurs de poisson.
Printemps 1627

La période qui arrivait allait être compliquée. Et il ne fallait surtout pas se relâcher ou même baisser les bras si on ne voulait pas se faire virer. Le printemps c'était le retour des beaux jours, le retour des poissons et évidemment, le retour des clients sur le marché. Comme chaque année, les patrons étaient déjà tous fous, ou carrément trop avides en fait.

Alors avec un sale air de déjà vu et de routine infernale je disposais la première fournée de poisson que l'on avait reçu sur l'étalage. Aujourd'hui c'était carpe et dorade à volonté pour la clientèle. Le tout à des berrys plus ou moins raisonnables. Enfin, ça c'était le discours de notre chef. On savait tous que le marché coutait plus cher que les surfaces commerciales. Mais ironie du sort, à Poiscaille ceux qui n'achetaient pas au marché étaient vus comme des dissidents.

...

« Au moins il y a du soleil aujourd'hui, j'ai bien de la chance. »

Avec une petite pointe d'ironie, j'essayais de relativiser. Il devait sûrement exister des métiers pires que le mien. Mais le changement trottait dans un coin de ma tête depuis quelques semaines, voire quelques mois déjà. J'avais envie de nouveauté.

Un nouveau souffle ?
Une nouvelle aire ?

Oh et puis appelez ça comme vous voulez, je voulais juste arrêter de sentir le poisson.

...

Mon collègue avait déjà réussi à vendre une vingtaine de carpe et une dizaine de dorade. Pour ma part, je ne devais en être qu'à la moitié de sa performance. Je ne voulais pas me trouver d'excuse, mais il avait un certain charisme qui faisait que les clients s'intéressaient à lui. Puis un beau visage pour parfaire le reste.

C'était bien connu, les beaux visages attiraient toujours. Et dans le cas présent, certainement plus qu'une femme un peu timide à la peau bleutée. Mais j'essayais quand même de toujours garder mon sourire, et de ne pas trop partir défaitiste. *Allez Kat', toi aussi tu peux bien vendre une trentaine de poisson !*

Alors je me lançais, sans trop savoir ce que ça donnerait.

« Aujourd'hui Mesdames et Messieurs ! De magnifiques carpes et dorades.. kof kof... fraîchement pêchées en haute mer de South.. kof kof... Blue... »

Je n'avais vraiment pas de chance. Entre la gorge trop sèche et les coups de vent je m'étais mise à tousser en pleine tentative d'attention. Je n'étais pas prête de les vendre mes poissons.

Pas prête jusqu'à ce qu'il passe tout prêt de mon étalage. Oui lui là : un homme d'une quarantaine d'année, assez grand mais fichtrement grassouillet. Il était là, à observer les différentes couleurs de mes poissons, c'était le moment ou jamais pour lui vendre mon produit.

« Bien le bonjour monsieur ! Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? »

J'affichais un petit sourire sincère, la vente ne devait pas seulement se résoudre à de la stratégie commerciale. Il fallait garder une part d'humanité.
    Revenons-en aux valeurs sûres. Moi aussi j'ai mes filets à Poiscaille, je viens les récolter tous les deux-trois mois histoire de voir si la pêche est bonne, puis le G.M se retrouve gratifié d'une belle petite somme pour ses comptes occultes. La dernière fois, y'a eu quelques cafouillages mais.... ça se reproduira plus. Y'a eu une restructuration du personnel qui s'est terminée à la fosse commune depuis, une sale histoire, vraiment. M'enfin on triture pas du poisson sans se salir les pognes.

    Les embruns marins mêlés à l'odeur des écailles, cette île ne change donc jamais. Tant mieux. Quand je pense que ces abrutis du bureau veulent pas aller se compromettre dans les environs à cause des fragrances locales. Faut-il avoir les naseaux remplis de foutre pour pas savoir distinguer la pestilence du délice.
    Je passe à l'entrepôt, y'a pas un petit jeune dans le caillon pour me dire que j'ai rien à faire ici, y sont tous bien domestiqués comme y faut ; on n'a pas oublié de leur dire à qui y devaient leur allégeance. Tiens, y'en a même quelques uns qui me saluent d'un signe de tête en transbahutant des caisses qu'y doivent faire le double de leur poids. C'est vaillant à cet âge là, y'a pas à dire. Pas moi qui me ferait chier à me tuer les lombaires comme y le font avec tant d'entrain. Peut-être pour ça que je suis à ma place et qu'y sont à la leur, le manque d'exigence de leur part.

    Au diable la marmaille, c'est pas pour passer les troupes en revue que je viens dans le coin mais pour la petite enveloppe. Les petites enveloppes en fait. Quand on bosse dans ma branche on finit par maîtriser les arcanes de la quadruple comptabilité. Un pécule pour les patrons, un pour les fournisseurs, quelques miettes pour les intermédiaires, pis... je me gêne pas pour me nourrir sur le dos de la bête au passage. Qui ne le fait pas ? Le tout c'est de savoir être mesuré dans la rapine.

    Voilà que je renifle les enveloppes poisseuses que le contremaître m'a remise.

    - Et on dit qu'l'argent a pas d'odeur.

    Un petit trait d'esprit, ça fait pas de mal même si c'est un peu perdu sur des cons pareils. J'y décroche même pas un sourire à mon gars. Avec ce qu'il se met dans les fouilles grâce à moi, y pourrait peut-être faire une tite risette à tonton Oletto. Après tout, j'y ai bien sauvé son entreprise à cette loque d'armateur. Alors certes, c'est pu lui le patron, ça... y'a bien fallu qui se le mette dans le crâne.
    Criblé de dettes qu'il était, j'éponge tout avec ma cagnotte personnelle - comme quoi, qu'on aille pas dire que mon petit prélèvement à la source est totalement illégitime - et je rachète le bousin.
    Là-dessus, je dis à mon contremaître de mettre les bouchées double pour garder la tête hors de l'eau. Et pis.... en coulisse.... je calme un peu la concurrence. Pas d'assassinats non... ça c'est pour les tanches du C.P 9. Baiser son monde dans ma profession, ça se fait dans la grâce et la volupté.
    Disons que pour des raisons qui leur échappent, certains armateurs se sont retrouvés avec des marchandises de contrebande sur leur navire et des livres de compte qu'y z'avaient jamais vu avant. D'ailleurs, z'ont beau eu crier au complot, la marine les a pas cru. Sont si fainéants à la régulière qu'y s'embarrassent pas d'enquêtes approfondies. Eux, y voient un truc... ça ressemble à du chocolat, ça a la couleur du chocolat, la texture du chocolat... bah ils le mangent. Et c'est comme ça qu'on leur fait bouffer de la merde par kilotonnes et que je peux faire plus ou moins emprisonner n'importe qui avec des preuves fabriquées.

    Les quais Ouest nous appartiennent plus ou moins, mon homme de paille a pu acheter un joli entrepôt et multiplier les navires. C'est là qu'il a commencé à se demander pourquoi des types un peu louches venaient mettre dans ses bateaux des caisses dont il avait jamais entendu parler, l'a même été d'autant plus étonné quand les types en question montaient à bord des embarcations et balançaient le tout à la mer à une latitude précise.
    Peut-être pour ça qu'y me sourit pas, l'a peut-être compris ce qu'y avait dans les caisses. C'est qu'y serait moins con qu'il en a l'air.

    Qu'est-ce qu'il a cru ? Que j'étais un philanthrope ? Quand un type que tu connais ni d'Ève ni d'Adam arrive avec une mallette pleine de biftons, normalement tu sais que tu vas pactiser avec le diable. Enfin... on pactise tous avec puisque ce même diable soumet les populations conquises à un impôt. Mais ça, c'est une autre histoire.
    Quoi qu'il en soit, Poiscaille c'est pas juste bon pour la pêche. Y'a une jolie tite forêt, et dans la jolie tite forêt, y'a des trucs qui poussent. Des tas de trucs. Des trucs parfois considérés comme illégaux, mais ça empêche pas quelques téméraires d'en cultiver dans les coins les plus reculés de l'île. Généreux qu'y sont ces gugusses là, y z'ont dans l'idée de partager leurs récoltes avec le plus grand nombre - moyennant quelques berries - et c'est là que j'interviens.

    On fait transiter leurs... herbes médicinales, on va appeler ça comme ça même si ça tue plus que ça ne soigne, dans des bateaux réglos, on graisse la patte à quelques fonctionnaires pour pas qu'y mettent leur nez dans le chargement et on jette les cargaisons hermétiques en haute mer. Dans la journée, venus d'îles diverses et variés selon qui a fait la commande d'un stock, y'a des entreprises de remorquage - dont je suis aussi propriétaire, y'a pas de petit profit - qui viennent repêcher le bousin et l'écouler par chez eux.
    Et la machine tourne comme ça depuis des années. Évidemment, dans telle ou telle garnison, on a toujours un vindicatif qui vient se prendre pour Mouetteman avec dans l'idée d'arrêter les injustices, les trafics et les méchants pas beau. Alors pour que la machine reste correctement huilée, j'adresse une petite lettre de doléances au bureau, histoire qu'y fassent remonter en hauts-lieux. Et là, grâce à la magie administrative, l'empêcheur de tourner en rond se retrouve promu et muté sans même avoir eu le temps de mener l'enquête à terme. Tout le monde y gagne dans l'affaire ; pas de cocu, pas de mécontent, tout le monde y trouve son compte. Les affaires c'est avant tout une histoire de diplomatie, mais allez dire ça à la plèbe, elle comprendrait pas.

    Les «dividendes» du G.M en poche - à peu près cinquante millions pour les caisses noires - me reste pu qu'à aller au fin fond de leur forêt de bambou à la con pour jeter les quelques os aux clébards qui s'improvisent agriculteurs dans le coin. Sont gourmands. Faut dire, c'est leur affaire, normal qu'y z'espèrent en tirer la part du lion, mais ça peut pas durer. Faudra que je leur trouve des substituts à l'occasion.

    Mais avant de gambader gaiement dans la forêt pour rendre une visite à mère-grand, la pause s'impose. C'est que ça épuise son homme de devoir prendre des enveloppes, elles sont sans cesse plus lourdes. Mais faut savoir prendre sur soi et rester digne.
    Qu'est-ce que je vais bien pouvoir grailler maintenant ? Non mais... je viens sérieusement de me poser cette question ? On est à Poiscaille, ça sent la marée, les poissonniers gueulent partout à nous faire sauter les tympans et je me demande ce que je vais manger. La fatigue sans doute.

    Tiens, la mignonne là, elle va bien me servir un merlan à faire frire d'ici à ce que je la fasse passer à la casserole. Rien de tel qu'un peu d'exercice après un repas copieux pour bien digérer.
    Quand on a mon physique, la séduction ça reste encore une affaire de gouaille et de confiance. C'est d'ailleurs avec ça que je travaille en priorité.
    Alors c'est sûr, y'a plus glamour qu'un stand de poisson pour faire la cour à une jeunette, mais ça rajoute de la difficulté. Faut que je me jette des défis comme ça pour un peu entretenir mes capacités de persuasion. Pis au fond... ça a beau sentir le poisson maintenant, mais si je conclus ça sentira les fruits de mer de toute manière.

    - 'Jour mademoiselle. Que je dis tout sourire. Sourire c'est encore le meilleur moyen de séduire son monde, on incite pas à la confiance en faisant la gueule. Vous conseillez quoi pour un malheureux qui s'est perdu en vos contrées et qui connaît rien à la fricassée ?

    Évidemment que je suis incollable en fricassée, la bouffe c'est quand même mon rayon. Le savoir-être, le savoir-vivre, ça a beaucoup à voir avec le savoir-manger, et Dieu sait que j'en ai à revendre. Seulement, en me montrant vulnérable dans un domaine, en lui laissant croire qu'elle a une emprise sur moi, je lui fait gagner de la confiance en elle, et ce surplus de confiance, y va me retomber dessus à terme. Là, c'est moi qui aurai mon emprise sur elle. Les relations humaines, que ce soit professionnelles ou affectives, c'est avant tout une question de confiance, et ça, je sais en générer.

    - Elle pourrait m'dire aussi comment les cuisiner. P'têt' même me montrer qui sait.
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    C'était mon moment. Là maintenant : la chance était à saisir. Alors j'observais l'étalage tout en réfléchissant à ce que j'allais bien pouvoir lui vendre. Le choix n'était pas compliqué en soit, de la carpe ou de la dorade. J'aurais pu jouer à pile ou face pour décider de la race, mais il ne fallait pas se résoudre à un simple choix du hasard. Je voulais lui vendre un pièce dont ses papilles se souviendraient longtemps.

    La carpe était bien plus grosse que la dorade, à une dizaine de kilos près. Mais je ne voulais pas, en servant un gros poisson au client, qu'il se sente vexé. Il aurait pu se dire que le morceau était proportionnel à son poids. Ou plutôt à sa capacité à en manger. Ou bien j'exagérais et je m'imaginais n'importe quoi ? Peut-être bien.

    Alors, le plus délicatement possible, j'attrapais la plus belle pièce de dorade et l'enroulais dans un petit emballage prévu à cet effet. Pendant ce temps, il m'avait même suggéré de lui donner des conseils. Je n'étais pas très bonne en cuisine, mais pour ne pas le décevoir, j'essayais d'improviser.

    « Et voilà pour monsieur une belle dorade ! Je dois vous avouer que je ne suis pas une as de la cuisine mais si je peux vous donner mon avis c'est avec les sauces citronnées qu'elle s'accorde le mieux. »

    Ça, je l'avais appris grâce à un des livres du chef. Parce qu'on devait être un minimum renseigné sur les poissons qu'on vendait, et surtout dans le cas où des clients nous poseraient des questions un peu plus poussées. Histoire de ne pas faire pâle figure.

    « Mais si je peux vous donner un avis encore plus personnel, avec un énorme bol de riz on l'apprécie encore plus. Vous pouvez même rajouter des petits légumes... »

    Je lui souriais. Vous savez ça aurait pu être le genre de sourire que le patron t'oblige à faire aux clients. Mais pour ma part, il était naturel et sincère.

    « J'aurais bien voulu vous montrer, mais je n'ai pas trop de quoi cuisiner ici, vous m'en voulez pas ? »

    Je lui trouvais un certain charme à ce monsieur, au-delà de l'apparence physique ou je ne sais quoi. Il avait un petit air sympathique. Du moins, j'en ressentais l'intention. Et puis, il s'était arrêté et avait pris le temps de discuter un peu. Pas comme les autres pignoufs qui passaient en coup de vent pour vous acheter le premier poisson qu'ils voyaient sans vous accorder la moindre considération.

    Mais à défaut de ne pas pouvoir lui faire une démonstration, je pouvais au moins essayer de continuer la discussion. Et puis j'étais curieuse de savoir ce qu'il faisait le monsieur. Moi qui cherchais à changer de métier et à découvrir de nouveaux horizons, peut-être qu'il aurait pu me donner une idée, ou même m'enrôler. Qui sait.

    « Mais dites moi monsieur, vous faites quoi comme métier vous ? »

    Il avait le profil du mec derrière les bureaux à boire du café. Mais quelque chose me disait que c'était trop évident pour être vrai et qu'il cassait sûrement tous les clichés. Et si tel était le cas, c'était vraiment un type cool.
      Elle en a des manières la ribaude. Qu'est-ce que c'est que cette lubie de demander le métier des gens qui passent ? Trop tôt pour demander ma grande, où t'as été éduquée ? Y'a un minimum de règles de savoir-vivre à respecter d'abord, des phases à suivre dans l'ordre quand on fait connaissance. D'abord on demande le nom, ensuite on déblatère sur des banalités confondantes, pis là seulement on commence à aborder la CSP.
      Celle-là, j'ai à peine commencé à lui faire du gringue qu'elle lorgne déjà sur ma fiche de salaire. Elle en veut, y'a pas à dire. Mais elle veut croquer un morceau un peu trop épais pour sa petite gueule. Enfin... façon de parler. J'ai même pas entamé les rituels de séduction conventionnels (R.S.C) qu'elle songe déjà à me foutre la bague au doigt pour que je l'emmène loin d'ici et qu'elle hérite à terme. Mollo, mollo jeune fille, un melon, ça se tâte avant de savoir si on peut croquer dedans.

      Le plus loin qu'on pourra aller de toute façon c'est jusqu'à la chambre d'hôtel, pis c'est marre. Encore que... si elle se débrouille pas trop mal sous les draps... je dis pas que je l'emmènerai pas voir du pays, mais on est dans les prospectives hasardeuses là. Rien n'est jamais joué, c'est généralement quand on est sûr de l'avenir que celui-ci se réalise pas.

      Qu'est-ce que je fais ? Je lui dis que je suis C.P ? Normalement je me contente juste de la faire sous entendre à des gugusses qui pourraient être utiles pour engraisser le monstre à cinq étoiles. Mais là... c'est pas avec trois cabillauds et deux morues qu'elle va nous renflouer les caisses la petite. Faut quand même que je lui balance un truc un peu tape-à-l'œil histoire qu'elle ait les yeux qui brille et l'abricot qui mûrisse. Qu'est-ce que ça aime la jeunesse ? Les aventuriers. C'est quoi les aventuriers de nos jours ?...

      - J'suis entrepreneur 'vec des succursales sur plusieurs îles.

      Vu la fiscalité qui matraque tout lascar cherchant à créer son affaire, faut vraiment aimer l'aventure pour ouvrir son commerce. Pis surtout, c'est raccord avec ma couverture.
      J'oublie pas de mentionner à quel point les affaires vont bien, en achetant les poiscailles, j'ouvre généreusement le portefeuille. «Oh ! Que d'oseille Oletto-samaaaaaa»... On va pas se mentir, les greluches, ça se pêche plus facilement avec du pognon que de la tchatche. Après, ça fait pas de mal d'avoir les deux à disposition. Pis toute minaude qu'elle est, dans son bled paumé, m'en vais l'impressionner comme il faut pour bien l'appâter. Toute mauvaise cuisinière qu'elle soit, c'est elle qui me concoctera ma pitance demain matin au petit déjeuner. Du poisson de bon matin, je crache pas dessus.
      Ouais demain matin, je pense avoir suffisamment bossé pour la journée, l'autre bande de paysans clandestins attendra demain pour que je leur file leur part. De toute façon, à rester planqués au milieu des bambous comme ça, y voient la civilisation deux jours par mois, alors y risquent pas d'être en rade de fric d'ici là. Un jour de plus ou de moins à attendre...

      La petiote, l'a les yeux qu'ont pétillé quand j'ai mentionné "plusieurs îles". Quand on est cloîtré au même endroit trop longtemps, on a envie de voir le monde, je la tiens.

      - Pis, si vous avez pas de quoi cuisiner ici, v'pourriez m'donner des cours à domicile. J'ai une chambre à l'hôtel des trois mérous avec cuisine dernière génération. Allez quoi... dites pas nan, ç'doit être frustrant d'vendre du poisson toute la journée sans jamais p'voir y goûter. Savez quoi ? J'vous laisse même choisir les poissons que j'vais ach'ter et qu'vous me cuisinerez ce soir.

      On la prend par les sentiments, on lui en met plein la vue en mentionnant le nom d'un hôtel quatre étoiles - faudra d'ailleurs pas que j'oublie d'acheter une chambre avant ce soir - et pis on lui fait un joli sourire. Allez, elle peut pas dire non. Tiens, je vais en rajouter une couche, histoire de l'achever.

      - On pourra discuter de choses et d'autres, j'ai tell'ment voyagé, tell'ment d'trucs à dire, toute timide qu'vous êtes, z'aurez pas à parler, juste à t'nir le crachoir.

      Lui vendre du rêve, c'est pas malhonnête. Et puis tout mensonge est bon à ce genre de jeu du moment qu'on triche pas. Que je sache, j'ai bel et bien voyagé, et pas qu'un peu. Suffira d'un peu enrober les histoires et censurer les passages où je nuis aux intérêts d'une nation et de son peuple pour que le G.M s'en mette plein les fouilles. J'improviserai, c'est encore à ce jeu là que je suis le meilleur avec celui de la bête à dodo. Et on fera une partie de chaque une fois que je l'aurai appâtée.

      - Allez... pouvez pas m'refuser ça. R'fusez de v'nir me concocter un bon p'tit plat de chez vous c'est... c'est m'condamner à mourir de faim quelqu' part. Parfait'ment ! Y'aurait non-assistance à personne en danger !

      Une petite plaisanterie là dessus parce que femme qui rit... hein... n'est-ce pas... et puis j'insiste encore pour la faire craquer, lui fermer toutes les voies cognitives qui pourraient l'amener à dire "non". Ouais, la disruption c'est encore une technique qui fonctionne aussi bien dans le champ politique que celui de la drague. D'ailleurs, la politique n'est-elle pas qu'un vaste exercice de drague dont l'issue là encore et de baiser son monde ?
      Faudra que j'évite de causer politique au dîner, j'ai tendance à devenir cynique quand j'aborde le sujet. Déformation professionnelle, on se refait pas.
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      Mais c'est qu'en plus d'être quelqu'un de sympathique, il avait voyagé un peu partout. Ce bonhomme m'intriguait de plus en plus. Enfin, tout ce qui touchait au monde extérieur m'intriguait, qu'il s'agisse des îles, des différentes coutumes, des pirates, du gouvernement mondial, des trésors secrets ou des cultes anciens. Je m'émerveillais pour tout et n'importe quoi. En même temps il y avait tellement de choses à voir dans ce monde que même toute une vie n'aurait pas suffi.

      Et ce client avait sûrement dû en voir plein les yeux. Je souriais. Mais quel genre d'aventurier pouvait-il être ? Je me souvenais bien d'un livre que j'avais lu plus jeune, à la bibliothèque. Une histoire qui mettait en scène plusieurs types d'explorateurs. Un sacré récit.

      Alors il y avait le bon que tout le monde aimait pour sa bravoure et son courage, celui qui ne reculait devant aucun danger en quête des plus beaux paysages. Et puis il y avait aussi l'érudit, celui qui voyageait pour sa culture personnelle à la recherche de mythes, légendes et civilisations anciennes. L'historien qui donnait du sens à ses quêtes et qui donnait envie d'en apprendre plus sur l'histoire de notre monde. Et puis il y avait aussi le malhonnête qui se servait de ses explorations pour mentir et s'enrichir sur le dos des gens en publiant des articles douteux.

      Je ne me souvenais même plus de comment l'histoire se terminait. Avec des coups de hache ou un empoissonnement me semblait bien. Toujours était-il que je voyais mon client comme l'érudit ou même le courageux, bien qu'il n'en avait pas le corps. De toute façon, il ne pouvait pas être le malhonnête.  

      « Ben dis donc monsieur, ce que j'aurais aimé être à votre place ! Vous avez dû en voir des choses ! »

      Et puis il m'invitait pour ce soir. J'espérais qu'il n'ait pas vu le petit teint rosé qu'avait pris mes joues. Disons que j'étais flattée, aucun client ne m'avait jamais invité chez lui. C'était une grande première. Bon, je me souvenais encore de ce que m'avait dit le borgne avec le kidnapping et tout ça donc je devais me méfier, mais là il n'y avait pas lieu de paniquer ou de refuser.

      Et même si le timing était mauvais, je pouvais m'arranger.

      « Oh oui j'adorerai ! Je dois bien pouvoir déplacer mon cours de peinture ce soir... »

      Je m'étais inscrite à ce cours depuis trois mois déjà et franchement j'adorais. Mélanger les couleurs et créer de jolies choses ça me détendait, ça m'empêchait de stresser aussi. En ce moment je travaillais sur un magnifique coucher de soleil. Mélange des tons jaunes, oranges, rouges, avec le bord de mer et l'envol des mouettes.

      Et j'adorais ce que je faisais, je sentais la fibre artistique et poétique me traverser à chaque coup de pinceau. D'ailleurs ma professeur me disait que même son enfant de six ans s'en sortait mieux, mais ce n'était qu'une ruse pour me motiver encore plus. Maintenant je ne faisais plus des traits tout droit mais en vagues pour le soleil.

      « Vous pourriez me donner l'adresse ? Et puis on s'y retrouve ce soir ? Vers... vingt-heure ? Enfin sauf si vous avez quelque chose d'autre de prévu avant... »

      J'essayais de prendre les devants pour ne pas paraître trop distante ou longue à la détente. Et puis il ne fallait pas oublier que j'étais en train de travailler. Faire une petite pause pour parler aux clients ne posaient pas de soucis. Mais si cette pause s'éternisait, ça faisait perdre du temps. Et le temps c'était de l'argent. Connerie. Et mon collègue me regardait depuis quelques minutes déjà.

      Alors j'ai tendu un petit papier et un crayon à mon interlocuteur pour qu'il puisse m'écrire l'adresse. Même si Poiscaille n'était pas la ville la plus touristique des blues, il y avait quand même pas mal d'auberge. Je voulais être sûre d'arriver au bon endroit. Je récupérais le petit papier avant de lâcher un :

      « Ah oui ! Et si mon collègue essaye de vous vendre un poisson... n'hésitez pas à refuser ! »

      Je lui faisais un petit clin d'œil au passage. Pour cette fois, j'avais bien le droit de garder ce client pour moi.

      ...

      Je ne m'étais pas mise sur mon trente et un mais presque. J'avais troqué ma tenue de poissonnière contre un joli jean noir et un petit t-shirt blanc. Je m'étais aussi un peu mieux coiffé et j'avais mis du parfum. Bon ce n'était pas le rendez-vous du siècle, mais quand on vous invitait, il fallait être présentable. Juste une question de politesse.

      Et puis j'étais arrivée à l'auberge. Un très bel endroit avec des petits fauteuils et des magnifiques fleurs à l'entrée, des tableaux plein de couleurs et un superbe accueil. Ce n'était pas l'auberge des pirates crasseux.

      Je l'attendais dans le hall, tout en consultant ma montre. J'étais un peu en avance mais il ne devait plus tarder. 


      Dernière édition par Katsue Yazaki le Mar 3 Avr 2018 - 20:42, édité 2 fois
        Bon, elle n'a pas été jusqu'à sortir la robe de soirée, mais le paquet est alléchant quand même. Me tarde de le déballer en tout cas ; mais chaque chose en son temps. À trop vouloir se presser on grille toutes ses chances. Ça, la jeunesse elle comprend pas. Une femme c'est comme une biche quand tu pars à la chasse ; si en bout de course tu veux qu'elle passe à la casserole, faut avancer à pas feutrés avant de tirer ton coup.
        J'arrive pas à l'heure. C'est voulu. Faut savoir se faire désirer, montrer qu'on n'est pas impatient, qu'on n'attend pas après elle. C'est de la domestication dans le fond. Enfin... dans le fond... ne présumons pas d'avance sur la tournure des événements.

        L'auberge a un restaurant. Évidemment que l'auberge à un restaurant ; je sais vivre après tout. Même pas aux frais du bureau, sur mes deniers propres. Parce que chez nous au C.P 2, on est un peu des radasses en hautes sphères. Puisqu'on sait dégoter du blé pour le silo gouvernemental, bah on s'imagine qu'on peut se démerder pour payer pour tout par nous-même. Système D qu'on appelle ça. D pour Démerde-toi, D pour Derrick Oletto.
        Aussi parce que comme ça, personne peut remonter les flux de monnaie pour lier nos méfaits au G.M. C'est la version officielle qui veut ça en tout cas. Un métier bien ingrat que le nôtre que je me dis en sirotant une cuvée Luvneel 1619. Y'a pas que des inconvénients cela dit.

        La belle môme a l'air intimidée. J'ai mis les petits plats dans les grands faut dire. Repas à la carte oblige, je lui suggère de prendre ce qu'y a de plus cher. D'expérience, je peux dire que c'est pas toujours le plus cher le meilleur. À bien choisir, plutôt que de me bâfrer à une grande table comme je le fais, j'aimerais encore mieux un petit restaurant familial. On est généreux quand on sert à la louche, et le terroir, y'a que ça de vrai quand ça vient garnir l'assiette. M'enfin, je vais pas l'amener Chez Dédé pour un premier rendez-vous, on va attendre d'être mariés un ou deux ans avant qu'on diminue en gamme.
        Parce que là la gamme, c'est poussé jusqu'au dernier octave. C'est pas reconnu comme un restaurant cinq étoiles malheureusement, mais bon, ça en jette au niveau de la présentation, y'a le petit côté prestige avec le clinquant qui va avec, les donzelles en demandent généralement pas plus.
        Ce qui importe pour ces dames, c'est pas le bon goût, le raffinement ou le sens de l'humour. Faut en avoir, évidemment, pour la forme. Mais leur plus grande préoccupation, ça reste de savoir ce qu'on peut débourser. On dirait pas comme ça, mais c'est vorace une bonne femme.
        Mon père disait, «Ouvre grand ton porte-feuille, elles t'ouvriront grand leur cœur», là-dessus il se mettait une rasade de bourbon et y l'ajoutait «Et leurs cuisses aussi. Surtout leurs cuisses». Un grand philosophe le pater. Il a avait l'art et la manière de synthétiser des siècles d'analyses des rapports humains en un adage bricolé sur le tas. Et avec trois grammes dans le sang ! S'il vous plaît !

        Je verse encore un peu de vin à ma mignonne. Elle dit «non». Je la ressers quand même l'air de rien en continuant la conversation. On a à peu près parlé de tout, c'est à dire de rien. Entre «la richesse culturelle des populations éparses des Blues» et «Le caractère majestueux d'une faune marine si fascinante», je l'ai ferrée, je le sens bien. Faut vendre du rêve pour qu'elle achète du Oletto. Moi je fais pas la cour mais plutôt une O.P.A sur une croupe qui me plaît. C'est pas élégant, mais là encore, on mettra ça sur le compte de la déformation professionnelle.

        On n'est pas loin de l'addition et je soupire discrétement. Un sans faute pourtant, je pourrais être fier. Seulement, y'a un tout petit détail qui me dérange. J'avais espéré qu'il s'agissait d'une mauvaise intuition de ma part, mais à bien y regarder tout au long du repas, y'a plus de doute : on m'encercle.
        Deux types assis à la même table à droite, un mousquet dans la veste pour l'un, à la ceinture pour l'autre. Derrière ma Katty d'amour, un type qui tend l'oreille depuis qu'y s'est installé, à ma gauche, un type tout seul à table et qui prend son temps - c'est encore lui le moins discret - et dans mon dos... y doivent être au moins trois. C'est moi qui visent.
        Alors que je finis mon dessert, toujours à tailler la bavette à ma charmante compagnie, restant tout sourire, je m'efforce de dresser la liste de tous ceux qui pourraient me vouloir du mal dans le coin. Mon contremaître se serait retourné contre moi ? L'a pas le profil à s'encanailler avec des voyous, et l'a surtout pas les couilles. De la concurrence ? C'est trop tôt pour réunir une organisation viable depuis que j'ai éliminé tous les caïds potentiels. C'est pas des assassins, sinon ils auraient essayé de me dégommer depuis un moment. Si c'est pas ma peau qui veulent, c'est du pognon.

        Délicatement, je glisse ma main jusqu'à la poser sur celle de Kat. Elle est gênée mais pas outrée, tout ce que j'aime. Légèrement fiévreuse après cinq verres de pinard, baratinée comme elle est, je pourrais en faire ce que je veux. Ce serait en principe à ce moment que je lui suggère de venir m'aider à cuisiner le poisson qu'elle m'a vendu avec un petit clin d'œil par-dessus. Malheureusement, ces messieurs qui se croient discrets autour de nous en ont vraisemblablement décidé autrement.
        Presque langoureux dans le ton, j'y dit :

        - Katsue... z'avez d'jà été témoin d'une prise d'otage ?

        Y'en faut pas plus pour que le type derrière nous se lève et sorte une arme. Tous ses petits camarades l'imitent dans la seconde.

        - PERSONNE NE BOUGE ! PERSONNE NE JOUE AU HÉROS ET TOUT LE MONDE ABOULE LE FRIC !

        Pendant que tout le monde pousse des "ah" et des "oh", mes yeux restent rivés dans ceux de ma poissonnière préférée et je soupire encore.

        - Ça va bien s'passer si on leur obéit. Que je dis pour pas qu'elle s'inquiète.

        Le chef de bande - le premier à avoir quitté le cul de sa chaise - m'a en joue.

        - ET TOUT LE MONDE SE TAIT ! ÇA VAUT AUSSI POUR TOI LE GROS !

        Troisième fois que je soupire. Cette fois, je ferme doucement les paupières en le faisant. Quand je disais que tout allait bien se passer, je voulais dire pour elle et moi. Lui ? Je miserai pas cher sur sa survie d'ici à ce que le jour se lève. Me rabaisser comme ça devant ma bonne amie... c'est pourtant pas des choses à faire.
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        Le vin m'avait un peu retourné les papilles gustatives, mais je restais encore assez mesurée. L'alcool avait de l'effet sur moi, indéniablement, mais comme je ne buvais pas beaucoup, on ne me resservait pas tant que ça. Les techniques pour rester sobre je les connaissais.

        On pouvait dire qu'il savait ce qu'il faisait le bonhomme. Rien n'avait été laissé au hasard. Que ce soit les boisons, la nourriture, l'ambiance ou la décoration de l'endroit. Un parfait sans fautes. Venant d'un ménage assez modeste, j'avais rarement connu tant de luxe. C'était grandiose, et ce qu'il m'avait raconté sur ses voyages aussi. Le temps d'un instant, j'avais changé de monde, d'univers. Et vous savez quoi, ça faisait du bien de se sentir importante, au moins pour un soir.

        « J'espère que ce repas ne va pas vous coutez trop cher.. En-tout-cas je.. je vous remercie vraiment ! »

        Pour certaines personnes, cela semblait naturel qu'un homme invite et paye. Comme si c'était de l'acquis, quelque chose de dû. Mais pour ma part, je trouvais que c'était plutôt honorable et respectable, que ça méritait un merci. Peut-être que j'étais trop innocente, ou trop gentille. Mais avant même de pouvoir y penser, il changea totalement de sujet.

        J'ai à peine eu le temps de cligner des yeux. Même pas le temps de comprendre ce qu'il se passait. Parce que tout s'est enchainé très vite. Trop vite. Et on se retrouvait encerclé par une ribambelle de mecs armés. M'sieur Oletto tentait de me réconforter, mais honnêtement, j'avais peur. Même si je savais ce que c'était de se faire attaquer, je n'avais jamais été prise en otage à proprement parlé. C'était impressionnant.

        « Écoutez-moi bien, z'allez nous donner c'fric et tout l'monde s'en sortira sans problèmes, quelqu'un à un truc à redire ? »

        Il avait fixé mon compagnon. Nan mais déjà, pour qui il se prenait cet abruti pour insulter les gens sur leurs physiques ? Comme si on choisissait d'être gros petit ou bleu. Hein.

        Je croisais les bras, une moue énervée sur le visage. J'avais certainement pas l'intention de lui donner quoi que ce soit. Mon argent, je le gagnais moi-même et je trimais pour.

        « Dîtes-moi, vous avez déjà connu une situation comme ça ? »

        Mais je le demandais en chuchotant, je voulais pas me faire prendre. Peut-être qu'avec toutes ses aventures il avait eu des mauvaises expériences. Ou du moins des expériences plus compliquées dans le même genre. Mais manque de chance, le boss m'avait vu me pencher.

        « HÉ ! Ca va on te dérange pas ? Allez donne l'argent, dépêche, pas qu'ça à faire. »

        « Non. »

        Il a eu un bug. Genre quelques secondes.

        « Ouuulala, j'crois qu'j'ai pas bien compris. Aboule la money. »

        Je ne répondais même pas et hochais la tête de droite à gauche.

        « J'AI DIT L'AR-GENT ! TOUT-DE-SUITE ! »


        Il s'est approché de moi en criant et j'ai tourné la tête. Je ne le regardais pas. Je regardais par terre. Les larmes me sont montées mais j'ai tenu bon. Le soucis, c'est que le mec était plutôt vénère, il aimait pas être ignoré. Alors il m'a attrapé par les cheveux et m'a mit debout. Pistolet sous la gorge.

        « Alors on fait moins la maline là hein ?»


        J'ai regardé Oletto avec un regard qui voulait dire : aide moi ou au secours. Il avait le choix. Mais le mec qui me tenait a insisté, encore plus.

        « Okay m'sieur, je vais vous donner de l'argent mais avant je peux aller faire pipi ? »

        C'était maintenant. Le gars était déconcerté. Il comprenait pas le rapport et c'était fait pour. J'espérais que monsieur l'aventurier utilise ces précieuses secondes pour me sortir de là, qu'il me prouve un peu qu'il avait pas fait tous ces voyages pour rien et que c'était bel et bien un vrai type badass.
          L'occasion en or. Un bon repas, bien baratiné, bien arrosé, ça signifie pas qu'on va secouer de la gueuse dans la foulée à coup sûr, c'est pas une science exacte cette affaire là. Mais sauver une demoiselle en détresse... là c'est dans la poche. Si je puis dire.
          M'a quand même l'air vénale la petite dame, des spécimens qu'ont assez de sang-froid pour ne pas donner leur blé à des types qui les menacent d'une arme, j'en connais qu'un et on l'a nommé capitaine corsaire pour récompenser sa radinerie. Faudra que je me méfie d'elle quand même. C'est un coup à se retrouver marié et lui payer du sac à main par wagons entiers.

          Mais on se souciera de ça plus tard, là, c'est le moment de briller. L'est bien mignonne à tenter de faire une diversion, mais j'ai pas besoin de ça. Ô que non.
          Je m'essuie la bouche - parce que faut être raffiné quand on est avec une dame - et je me lève. L'autre a l'air d'halluciner. L'avait sans doute tout prévu mais pas ça. Y me voit debout, y me toise avec son pétard tendu vers moi sans trop savoir quoi faire. C'en est gênant.

          - Qu... T... tu te rassois gros porc !

          Et hop, une claque pour le marmot. Du bout des doigts seulement, le but était pas de lui péter la nuque, juste de l'humilier comme le ferait un bon daron pour rappeler un certain sens des hiérarchies à un moutard impétueux. Y se frotte la joue, l'air tout con, y me regarde avec ses yeux de chien battu.

          - Sur un aut' ton jeune homme.

          Bon, ça va qu'y a une dame à séduire, autrement le pignouf faisait un tour de manège et l'atterrissait sur les dents en bout de piste. C'est pourtant pas mon truc les coups d'éclat, mais je vais pas laisser un merdeux me causer comme à son chien. Y'a le respect merde.
          Y dit pu rien. Tu m'étonnes, y doit se sentir tout con. C'est toujours comme ça avec les petits cons, y se prennent pas assez de soufflantes quand y sont jeunots et y finissent par se croire tout permis. Pis un beau jour, y'a une figure d'autorité qui leur rappelle une certaine notion de la réalité, alors là... y tombent de haut.
          Soyons diplomate, les femmes aiment les brutes à condition qu'elles soient cordiales. C'est compliqué les bonnes femmes.

          - Allez garn'ment.

          Que je dis en lui mettant cinq mille berries dans sa pogne.

          - Voilà cinq sous pour t'ach'ter d'la réglisse. Oublie pas d'partager avec tes copains.

          Ouais, la diplomatie chez moi ça vire toujours au foutage de gueule. Bien malheureux à dire, mais je fonctionne qu'au rapport de force. Tergiverser, c'est perdre du temps. Là, tout en restant feutré et élégant, je lui colle mes couilles velues sur le nez. Pas littéralement bien sûr, je vais pas déballer le paquet devant la Katsue alors qu'elle va bientôt défaire elle-même le papier cadeau.
          L'a l'air vexé mon con. Y peut avec ce que je viens de lui mettre.
          Ah, y tremble de rage et y me braque à nouveau.

          - FLINGUEZ-MOI ÇA !

          Ses copines ont l'air assez partagées sur le verdict. Mes pauvres enfants, quand on sort un flingue faut être prêt à s'en servir. Là, tout ce que je vois, c'est des puceaux qui font les marioles avec des pistolets en se prenant pour des grands. C'est émouvant quelque part. Enfin, ça le serait si c'étaient des gamins aux joues roses et pas des trous du cul mal rasés.

          - Eh bah ! Z'attendez quoi pour obéir ?! Un peu d'discipline bordel.

          Je mets une main sur l'épaule du couillon en chef de manière complaisante pour lui faire part de toute ma sollicitude. Pauvre gosse, l'a besoin d'un de ses otages pour se faire respecter. Y'a pu de petit personnel ma brave dame, moi je vous le dis.

          - TIREZ J'AI DIT !

          Y fait un caprice et enfin la symphonie de la poudrière en Do mineur commence. Z'ont mis les petits plats dans les grands, faut leur accorder ça. Sept mousquet par tête de pipe. Largement démesuré pour une prise d'otage de ce que j'en dis, mais y'a de l'idée. Les tirs s'arrêtent pas, y recharge sans arrêt. Moi, dès le premier coup de feu je me serais arrêté en voyant que le gaillard que je cherchais à refroidir mouftait pas et gardait le sourire. L'impétuosité de la jeunesse dans toute sa splendeur.

          Ah, ça se calme. En face y se sont décomposés. Les bras sont tout mous, z'osent même plus lever leur pétaudière en ma direction. Doivent se demander pourquoi je meurs pas. C'est une bonne question, ça je leur accorde. Mais bon, causer du Tekkai c'est quand même confidentiel, donc y mourront idiots.
          Y mourront... pas de ma main hein ! J'ai beau être sans scrupule, y'a aucun intérêt stratégique et économique à les éliminer.

          - Bon, maint'nant ça suffit les conn'ries, hauts les mains. Que je leur dit en gardant les mains dans mes poches trouées.

          Ouais, trouées. Le Tekkai ça protège le corps, pas les fringues. Petits cons va.
          Eh bah y sont obéissants comme tout. Tous, y déposent leurs armes à terre pis y lèvent les bras. Attirés par les coups de feu, la marine arrive sans trop rien comprendre. Y'a de quoi être déphasé quand on voit des preneurs d'otage se rendre à vous avant que vous ayez compris ce qui se passe.
          Je me rassois pendant qu'y z'interrogent un peu le personnel.

          - Elle donne pas ses sous la d'moiselle, qu'elle est radine !

          Je dis ça avec le sourire pour plaisanter et un peu la détendre. L'a eu l'air d'avoir peur à cause des guignols. Je peux comprendre. Faut battre le fer pendant qu'il est encore chaud, l'est encore toute retournée par ses émotions, je capitalise là-dessus.

          - Dites-moi ma mignonne, avec tout le boucan qu'y a eu... préfér'riez pas un cadre plus intime pour finir la soirée ? Boire un verre dans m'chambre par exemple.

          Et je joue un peu des sourcils pour faire comprendre le sous-propos. Moi les prises d'otage, ça me met d'humeur à la chose.
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          Je respirais, déjà mieux qu'avant. Se faire prendre par le cou et se faire à moitié étrangler pour quelques berries c'est pas super top niveau respiration. Surtout quand on panique facilement. Et j'avais ce genre de tendance, malgré moi. J'ai bu un grand verre d'eau. Et oh shit. J'avais vraiment envie de passer aux toilettes.

          La police est arrivée. A la fois choquée/déçue. Choquée qu'un petit mec comme m'sieur Oletto ait forcé ce groupe de malfrat à se rendre sans trop de difficultés avant eux et déçue de ne pas avoir réussi à s'imposer dans le bon timing face aux ravisseurs.

          En fait, la marine c'était cool je trouvais, mais dans les blues y'avait certaines garnisons qui n'avaient jamais connu de situations réelles. Alors on se retrouvait avec certaines escouades... inefficaces. Eh, je critiquais absolument pas le travail des soldats de Poiscaille, mais fallait dire qu'ils étaient pas très réactifs et sûrement meilleurs pour boire que pour courir. Enfin c'était ma vision des choses, simple mais qui se basait sur ce que je voyais.

          En soupirant j'ai demandé à Derrick si je pouvais prendre l'air cinq minutes et il a accepté. Pour la peine, il m'a accompagné. Sympathique.

          L'air frais caressait mon visage. Dix degré au plus. Moi qui avait l'habitude d'être en t-shirt je tremblotais un peu. Pensive, je repensais à la scène. Enfin surtout à ce que Derrick avait fait. J'veux dire, il s'était carrément mis à parer toutes les balles sans exceptions. Il n'avait même pas pris une munition. Pas une éraflure. Pas un coup.

          Rien.

          Ce mec était incroyable et maintenant je comprenais mieux pourquoi il avait tant voyagé. Il devait travailler pour des gens spéciaux, une organisation ou un truc du genre. Mais déjà, il était lui-même spécial. Je l'ai regardé de haut en bas. On faisait la même taille. Son costume était totalement troué et ça, ça m'a fait rire. Comique de situation.

          « Mais dîtes, vous êtes un surhomme ou quelque chose comme ça ? »


          Je l'imitais brièvement en train de parer les balles.

          « Je veux dire, c'est une sacrée prouesse. Parer les balles tout ça. Vous êtes in-cro-ya-ble m'sieur. Ca vous dirait pas de m'apprendre votre technique ? J'suis sûre qu'avec un peu d'entrainement moi aussi je me déplacerai comme un léopard. »


          Oletto n'avait certainement pas pour objectif de ressembler à un léopard, mais moi ça me faisait bien rire comme comparaison. Et puis j'ai haussé les épaules.

          « Mais m'sieur, vous voyagez beaucoup okay, mais c'est quoi votre vrai métier ? Vous êtes pas vendeur de cigarette c'est sûr. Un mec comme vous il se fait recruter par des big organisations top secrètes, c'est sûr sûr sûr ! »


          Mais est-ce qu'il allait me dévoiler son secret ? Pas ce soir en-tout-cas. Quand il m'a redemandé de l'accompagner chez lui, j'ai accepté. En fait, on s'est plutôt retrouvé dans la chambre d'auberge qu'il avait loué pour le séjour, c'était comme un petit appartement. Mais en trois fois plus classe que le mien. Il devait aussi avoir un sacré salaire.

          ...

          Je me suis farcie le canapé. C'était pas vraiment mon truc de dormir avec des inconnus, et puis j'aimais bien avoir mon espace personnel. Je me suis réveillée assez tôt. En fait, je me levais toujours plus ou moins en temps que le soleil. J'avais pris la fâcheuse habitude de ne pas fermer les volets.  Il devait être six-heure et demie ou sept heures. Je suis descendue en peignoir à l'accueil. J'ai demandé à louer des vêtements. Ils m'ont prêté un jean noir assez mom et un pull bleu marine. Pour le reste j'avais mes chaussures.

          Quand je suis remontée, je n'ai pas croisé Derrick. Je n'ai pas osé me pointer dans sa chambre. Alors je me suis mise à chercher de quoi déjeuner. Le frigo et les placards avaient beaux êtres grands et remplis il n'y avait ni céréale, ni jus de pomme.

          Pauvre malheureuse que j'étais.

          Alors je me suis contentée de lire le journal qui traînait sur le plan de travail. Les dépêches de l'Agence Requiem Presse étaient toujours croustillantes. Il fallait que je me mette à les lire plus souvent. Il y avait un article intéressant sur Saint-Urea, des attentats visiblement. J'ai fais une petite moue de tristesse. Parce que le monde était bien triste.

          Quand j'ai enfin vu débarquer Derrick vers huit heures, mon visage s'est illuminé.

          « Dites, vous savez pas où ils auraient planqué les céréales par hasard ? J'ai vraiment trop faim. »





            D'abord, j'ai capté son attention. Après, j'ai arrosé le dîner. Normal. Et là, aubaine parmi les aubaines, voilà qu'un groupe de pisseux me donne l'occasion de briller devant elle. J'avais le tiercé gagnant dans l'ordre, le jackpot à portée de vue. Alors là, elle me suit jusqu'à ma chambre. Pas de souci. Je la fais entrer, et...
            Et comment j'ai fait pour me la mettre sous le bras après tout ça ? La demoiselle a dit «non».
            M'enfin ! En voilà des manières. Entrer dans la chambre d'hôtel d'un mâle passé minuit pour lui dire «non», mais c'est pas des choses qui se font, c'est même franchement indécent. Criminel même.
            Et pis ça fait pas du bien à mon estime. La dernière fois qu'y en a une qui m'a dit «non» comme ça c'était... c'était en 1603. C'est dire si ça remonte. Mais en ce temps là, j'avais ni le flouze ni les moyens d'impressionner la nana.

            Dans l'histoire de l'humanité, est-ce qu'y est arrivé un seul incident où une nana a dit «non» après le resto et être entrée dans la chambre d'hôtel ? Y'a pas de précédent. Ça fait de moi un mythe vivant : «L'homme qui n'a pas tiré sa crampe avec avoir sorti le grand jeu». Ça c'est de la légende que je vais m'empresser d'étouffer fissa. Faire disparaître les preuves, ça me connaît. Empoisonnement «naturel» des eaux, accidents «providentiels», suicides «spontanés», décès «malencontreux», j'ai un répertoire garni. Par contre... le coup d'une nuit d'abstinence après avoir sorti le pinard à deux millions la bouteille et sauvé une demoiselle en détresse... y'a pas à tortiller du cul. Je capte même pas comment c'est humainement possible.
            Pis, c'est pas comme si je pouvais lui demander «pourquoi» comme une fleur le lendemain après que je l'ai laissée roupiller sur le canapé - très classe Oletto, très classe - en cherchant à étancher ma soif de connaissances sur l'origine du «non».

            «Non». Rien que le mot m'hérisse le poil maintenant. Prochain qui me balance ces trois lettres à la gueule, y va avoir droit à un concentré de rage refoulée dans les gencives. Je t'en foutrais moi du «non».

            - Les céréales ? Z'auriez partagé mon plumard que je vous les aurais servies au lit héhé.

            Elle a pas l'air convaincue. C'est un mystère cette bonne femme. Malgré la déformation professionnelle, je suis pas un intriguant dans l'âme. Les mystères, j'aime pas. Me faut un monde clair, limpide, intelligible. Un putain de monde où on dit pas «non» bordel !
            Enfin, je vais arrêter de pleurer sur le lait versé, ou en tout cas sur le lait qui n'a pas été versé justement... ressaisis-toi Oletto. C'est pas parce que ça s'est pas passé comme tu l'espérais qu'y faut se mettre dans tous ses états.
            Mais quand même... dire «non» après le grand chelem... est-ce bien raisonnable ?

            D'un coup d'escargophone, je mande le petit personnel. Elle veut des céréales ? Elle les aura servies sur un plateau d'argent. Ouais, en argent le plateau, pas en or. Si elle avait voulu du minerai précieux y'avait qu'à... enfin, voilà qu'arrive le rigolo sapé comme un milord avec un bol de lait et des céréales. À la tête qu'y tire, j'en déduis qu'on n'a pas dû souvent lui faire la requête.
            Et c'est que ce petit fumier ose en plus hausser un sourcil quand je lui lâche un pourliche de mille berries seulement. Et ouais mon gars, aussi paradoxal cela puisse paraître, je suis plus disposé à débourser quand mes bourses sont vides au petit matin. Comme quoi.

            Elle les mange ses céréales. Bon sang, elle les bouffe comme si c'était de l'or. Lui en faut peu pour être heureuse. Moi aussi... mais ne ruminons pas.

            - Dites, vous vous souvenez de ce que je vous ai demandé hier ?

            Franchement ? «Non».
            T'es marrante ma mignonne, mais y'a un moment, quand une bonne femme parle trop, bah le mâle, l'a un mécanisme d'auto-défense qui s'appelle «Je fais semblant de m'intéresser à ce que tu dis en nourrissant quelques espoirs sur l'issue du dîner». On peut pas attendre de moi que je sois attentif tout du long pendant un dîner de trois heures alors que j'étais déjà occupé à faire gaffe aux types suspects qui nous entouraient.

            - Mais z'encore ?

            L'a dit tellement de trucs hier, pas évident de faire le tri. Y'a une chose dont je me souviens par contre. Un mot en fait. Il tient en trois lettres et y'a deux fois la lettre «N» dedans.

            - Vous savez, quand je vous ai demandé de m'apprendre à bouger comme hier !

            - À bouger ?

            Tout ce que j'ai fait hier c'est me lever de ma chaise et activer mon Tekkai quand les guignols ont commencé à s'exciter. Elle veut que je lui apprenne à comment se lever d'une chaise ?

            - J'pas bougé hier quand j'ai calmé mon monde.

            Me demande si elle y a pas été un peu trop fort sur le pinard. Ce qui ne rendrait son «non» que plus incompréhensible. Alors je lui resitue la soirée, parce qu'elle a l'air d'avoir la mémoire en charpie. C'est ironique ça quand même. Paraît que les poissons c'est justement bon pour la mémoire et y se trouve qu'elle fait profession d'en vendre. Que de paradoxes de bon matin.

            - Ah oui ! Le truc là où vous avez arrêté les balles, vous pouvez m'apprendre ?

            Bah, bien sûr. Je veux dire, le premier venu peut stopper les balles en durcissant son corps. Y'a pas eu un entraînement intensif derrière pour que j'en arrive là. Pas non plus comme si j'avais passé deux décennies dans la marine d'élite pour me tanner le cuir avant ça.
            Me demande si elle m'a vraiment écouté au dîner d'hier. Si elle l'a pas fait, c'est quand même foutrement scandaleux ! Normalement y'a juste les hommes qui ont le droit d'ignorer ce que disent ceux du sexe opposé.
            Pis la petite demoiselle elle apprendra qu'hier y'a pas que le Tekkai qui m'a rendu tout dur, mais que le Tekkai c'est quand même moins douloureux et inconvenant dans le genre.

            - Disons qu'c'est quand même de l'éducation militaire, ça s'improvise pas en deux z'après-m'di.

            Elle fait une petite moue.

            - Mais j'peux toujours tenter d'te transmettre les rudiments hein !

            J'ai lâché le «vous» pour le «tu». Allez, si je tente de la baratiner avec un entraînement bidon, y a moyen de se rattraper pour l'échec d'hier soir. Une crampe bien lotie, un massage bienvenu, et hop ! Avec un peu de doigté en bout de parcours on obtient l'essentiel.
            Seulement là maintenant, je peux pas.

            - Seulement là maint'nant, j'peux pas.

            - Vous pouvez pas ?

            Depuis hier je fais languir mes fournisseurs planqués dans la forêt de Poiscaille. Z'attendent leur part et je préfère pas trop traîner. À force de respirer la merde qu'y cultivent, y sont plus très frais sur le plan nerveux ou intellectuel. Je les trouve même un brin dérangés.

            - J'ai des fournisseurs à aller voir pour honorer une facture. Rien d'bien méchant, mais sont situés dans un coin perdu, j'en ai pour trois quatre heures à aller et rev'nir.

            Techniquement, je mens pas. Par omission seulement.

            - Je peux vous accompagner ?

            Ah oui c'est vrai qu'aujourd'hui c'est jour de repos pour elle. Faut quand même que je l'éconduise gentiment, si je la traîne avec moi, Dieu seul sait comment ces putains de secoués vont réagir. C'est un coup à ce que ça se termine mal cette histoire.

            - D'accord, mais tu t'feras passer pour ma secrétaire. Z'aiment pas trop les étrangers. Y sont... timides.

            Moi et ma grande gueule... Si j'avais eu ce que je voulais obtenir hier soir, je serais capable de penser avec ma tête ce matin et j'aurais pas répondu ça. Va falloir être prudent.

            - Pas de souci ! Je connais bien la forêt de bambou, je m'y promenais souvent quand j'étais gamine, ça sera l'occasion de se promener.

            J'espère qu'elle a raison et qu'on aura juste droit à une promenade. Peut-être que je me fais des idées sur mes furieux, peut-être qu'ils sauront se comporter correctement en voyant une fille et ce, malgré le fait que la plupart sont dans les bois depuis des mois sans avoir constaté la moindre présence féminine et sont défoncés du matin au soir.

            ...

            Faudra qu'elle reste près de moi.
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            Je me prenais une branche d'arbre en pleine gueule.

            Quand il m'avait parlé d'un coin perdu je m'étais dis : oh oui une petite cabane en bord de mer à l'écart de la ville. Histoire de se ressourcer et de faire ses affaires un peu plus loin de la police. Ou bien j'avais pensé à une petite maison abandonnée à la lisière de la forêt. Y'en a une dont je me souvenais bien en plus. Parce que quand j'étais petite, j'allais souvent jouer là-bas avec une de mes copines. L'endroit était calme et ça respirait la nature, la verdure. La cabane abandonnée, c'était un petit coin de fumeur, mais ils avaient jamais fait de mal à personne.

            Voilà dans quoi je pensais m'embarquer.
            PAS DANS LA FORÊT.

            « Ça aurait été sympa de me dire qu'on s'embarquait dans la jungle. J'aurai au moins mis des vêtements appropriés. »

            Non pas que ma tenue actuelle n'était pas en adéquation avec la nature, la campagne, l'esprit de la forêt, tout ça, tout ça, mais quand même. J'aurais pu mettre un treillis spécial camouflage, de la peinture sur le visage et un gros pull pour me protéger de toutes ces foutues branches qui germaient de partout.

            Parce que y'avais pas de sentier. Pas de chemin principal. Non. C'était à nous de nous débrouiller là-dedans. Et croyez moi, c'était pas gagné.

            Plus on s'engouffrait dans ces bois, plus je sentais mon espérance de vie diminuer. C'était dingue comment on pouvait prendre peur et penser à sa survie d'un coup. Mais je restais droite et vaillante. Forte et courageuse. Mais bon, je restais bien derrière Oletto quand même.

            Faut pas abuser.

            « Nan mais, pourquoi tu veux pas me dire où on va précisément ? Et oh j'te parle ? Tu m'écoutes au moins ? »

            Bah non. Il m'écoutait pas, parce qu'il était focus sur ce qu'il faisait. Concentré sur le chemin à suivre, la route à emprunter. Il était absolument sûr de lui, mais fallait qu'il se concentre.

            « Bon t'veux pas t'la fermer un peu là ? »
            « AAAAAAH ! Une... une... UNE ARAIGNÉE !!! »

            Je m'évanouissais cinq secondes avant de crier sur Derrick. Il m'avait totalement ignoré.

            « Chut. On arrive. »

            Les larmes aux yeux je voyais l'arachnide me fixer. Avec tous ses yeux globuleux et toutes ses pattes poilues. Berk. C'était dégoûtant. Dos à Oletto j'avançais en marche arrière pour être sûr que la bestiole ne me saute pas dessus une fois retournée. Ces bêtes là je m'en méfiais, surtout quand elles faisait un mètre de haut.

            Mais un truc m'interpellait. Pourquoi elle nous avait pas attaqué ? Peut-être qu'elle avait peur de moi ? Non. Oletto avait déjà dû lui régler son compte les premières fois où il était venu ici, alors elle s'approchait plus. Ouais, t'es le meilleur Derrick.

            Et puis on était arrivé dans une petite clairière. On pouvait apercevoir les quelques rayons du soleil qui passaient entre les arbres pour illuminer le taudis en bois qui se dressait devant nous. Mais ça n'avait rien de beau. Le sol était boueux et puis y'avait plein de déchets, partout, par terre. Y'avait comme un feux de bois un peu plus loin. Des tags et puis des vieux volets encore fermés, qui ne devaient probablement plus s'ouvrir. La porte était entre ouverte et grinçait à chaque fois qu'un courant d'air la faisait pivoter. Et puis des souris qui couraient partout.

            « Okay c'est bon moi j'me barre. »

            Oletto me choppa par le col.

            « T'restes là et t'bouges pas. »

            Que ? Quoi ?
            Genre privée de mon libre-arbitre ?

            Nan mais qu'est-ce qu'il me faisait là ? C'était un scène de crime. Une scène d'horreur. Quoi ? Il voulait me tuer ? Non Otello était pas un tueur sinon il m'aurait étouffé la nuit dernière. Mais y'avait tellement de scénarios qui se bousculaient dans ma tête. Tous aussi glauques les uns que les autres...

            *Mais Kat', tu peux t'en prendre qu'à toi en fait, fallait réfléchir avant de t'embarquer là-dedans. Tu le savais très bien, il t'avait prévenu.*

            Encore la petite voix qui revenait pour m'encourager. Mon fort intérieur me motivait, c'était beau.

            « Très bien je suis donc la secrétaire parfaite. »

            Et là j'entendais un bruit dans le cabane. Comme un verre qui se cassait.

            « Ok non je veux plus jamais être une secrétaire. »

            Les larmes aux yeux et le cœur qui battait vite.
            Mais comment Oletto me supportait ? J'étais insupportable.
              Y'a fallu que je plisse les yeux pour la voir l'araignée dont elle parlait. Cinq centimètres de circonférence. Et encore, je suis généreux. Qu'elle est chiante. Ça me rappelle l'incident d'y a quelques mois quand mes misanthropes du bambou ont ramené une femelle pour que le temps passe plus vite. Au bout de deux semaines, z'en pouvaient plus de ses caprices. Y l'ont décapitée. Faut croire qu'elle était trop chiante elle aussi. Comme je les comprends.
              Non, en fait je le comprends pas. Sont barges ces types. J'aurais vraiment pas dû autoriser la poissonnière à me suivre.
              J'ai eu beau lui dire d'attend' dehors, mes furieux y z'ont accès à la technologie moderne : les vitres. Y peuvent la voir qu'attend dehors. Habillée légèrement qui plus est. Quand Mahu'k l'a vue, l'a lâché son verre qui s'est écrasé à ses pieds. Tiens, il a des patins en forme de pattes de grizzli. Je saurais trop dire pourquoi, mais ça fait rigolo de voir un type de près de deux mètres avec un regard vide et qui coupe lui-même ses cheveux porter ce genre de truc.

              - Argent.

              - Non, Oletto, tu t'souviens ? J'viens de temps en temps pour déposer des billets.

              J'aime bien me foutre de leur gueule. Mais avec eux, je devrais vraiment pas. C'est comme tirer sur la queue d'un fauve. Au début y bouge pas, après y remue une oreille et la troisième fois t'as pu de main.

              - Argent.

              - Bonjour d'abord.

              Pas parce qu'y vivent loin de la vie civilisée qu'on doit s'asseoir sur les convenances. Ça leur fera pas de mal un peu de rééducation sociale, à lui et à son taré de copain allongé sur le plancher derrière. Je veux même pas savoir comment ces cons là vivent.
              Et pis voilà t'y pas que Mahu'k plante un couteau dans une table pleine de rayures. L'en est pas à son coup d'essai.

              - Tu es en retard.

              Oh, mais c'est qu'y ferait presque des phrases complètes le fumier. Peut-être qu'y cherche à m'impressionner. Faut dire qu'avec ce qu'y consomment de leur production locale, c'est déjà un miracle qu'y soient encore correctement articulés.
              En retard qu'y me dit l'autre. Le type est là en pagne avec des chaussons grizzli à patauger dans la crasse et les bouts de verre et y voudrait que je sois à cheval sur la bienséance ? Tu m'étonnes que je suis en retard, j'y vais à reculons chez ces gens là moi. Mais ne nous faisons pas prier davantage. Je dépose la mallette et au revoir messieurs. Moi, faut que je rattrape un coup que j'ai loupé hier soir.

              Putain, j'ai pas le temps de tourner les talons que l'autre perche atavique et à gros yeux me répond :

              - Y'a pas assez.

              Non, y'a pas assez, y'en a de trop. Je me ruine avec ces cons là. Sous prétexte qu'y sont les seuls à savoir cultiver leur saloperie de dope sur toute l'île, y z'ont tendance à en profiter. Alors chaque fois je viens, chaque fois z'en demandent plus pour la prochaine fois. Seulement faut pas pousser mémé dans l'eau bain sinon ça va attiser l'étincelle qui mettra le feu au lac. Le lutte des classes chaque fois que je leur rend visite : merci bien, je m'en passerai.
              Je fouille dans mon porte-feuille et je rajoute 200 berries.

              - Tiens, t'as de quoi t'racheter un nouveau verre avec ça.

              - On négocie.

              Lui et ses phrases à deux mots... je le retiens.

              - Non, on négocie pas. À c'compte là, dans six mois faudra que j'ai une cohorte d'éléphants pour transporter des tonnes d'pierres précieuses.

              - On négocie.

              Ce type teste ma patience chaque fois que je viens lui rendre visite.

              - Y'aura pas plus d'pognon que c'que t'as là. Je suis monté assez haut, les réseaux de distribution ont aussi besoin d'être arrosés. Donc maintenant t'vas apprendr' à vivre avec c'que t'as.

              - Pas négocier d'argent.

              Aaaah, là évidemment ça change tout. Je suis plus généreux quand y'a pas de pognon en jeu.

              - La fille.

              Sur ce, je retrousse mes manches en dodelinant la tête de droite à gauche. Bon sang Mahu'k, pourquoi faut que tu demandes de choses comme ça. Ça m'ennuie de devoir lui casser les dents, surtout que c'est un partenaire en affaire, mais là... je peux pas faire comme si j'avais pas entendu. Même si je disais "non" il insisterait. Alors je vais le corriger à titre préventif.
              Et "crak" fait la porte quand je le balance à travers. Ça a même pas réveillé l'autre buse. L'a juste grogné un peu à cause du bruit et s'est rendormi.
              Je fais un petit coucou de la main à Katsue pour pas qu'elle s'inquiète trop. Mais en me voyant tabasser l'autre neuneu, elle doit quand même se douter qu'y a un peu de l'hostilité dans l'air.

              - Secrétaire. Z'avez des bandages ?

              Pas le tout d'abîmer mon producteur, faut quand même que je le remette au turbin dans la foulée. Toujours maltraiter ses employer, mais les maintenir en vie quand même. On peut être capitaliste ET généreux. Mais pas trop, faut pas déconner.
              Alors que la donzelle se rameute, y'a le deuxième larron qui se met à gueuler.

              - eeEEeEeH ! T'touches pas à mon homme ! Te... te l'touches pas.

              Putain. Et dire que je voulais pas savoir ce qu'y se passait ici. Y'a des informations dont on se passe volontiers. Ce dont je me serais passé aussi, c'est des pétards braqués sur moi et Katsue. Doué comme il est, y serait foutu de viser Mahu'k et je me retrouverai en rade d'un cultivateur.

              - Mais v'vous arrêtez quand en fait t'les deux ?

              «La fille» que continue à gémir l'autre au sol. Si on juge un homme à ses fréquentations, la petiote a maintenant de bonnes raison de ne pas m'estimer.
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              Des bandages ? Bien oui bien sûr. Même un kit de survie avec des médicaments, des pansements, de l'eau et de la nourriture.

              Blague annulée.

              Il aurait dû me prévenir. Moi j'aurai pris une valise avec le nécessaire avant de m'embarquer en pleine savane. Oui bon jungle ou savane dans les deux cas ça restait une faune et une flore ultra dangereuse. Mais je me serais mise en mode aventurière quoi. J'haussais les épaules et m'approchais d'Oletto.

              Le mec par terre il a poussé un vieux gémissement quand je me suis mise en mouvement. Et oui surprise, j'étais bien réelle, c'était vraiment pas une blague. Je me suis approchée de mon nouveau compère et j'ai regardé sa main. Y'avait quand même un peu de sang. J'ai posé la mienne dessus pour faire genre que je lui donnais des ondes positives. Vous savez c'est très important dans ces moments. Mais ça n'allait pas plus le guérir que ça. Sauf si on partait du principe que la guérison se faisait grâce au mental et non à la médecine. M'enfin j'étais pas là pour en débattre.

              Plus les évènements s'enchainaient, plus je me rendais compte que Derrick c'était un mec d'envergure. Enfin un mec qui en jette quoi. Disons qu'il était impressionnant. Moi à côté, je passais pour pire qu'une plante verte. Mais vous savez quoi ? Être discret ça paye aussi. Enfin, un peu.

              Parce que là clairement le fait que je me la ferme n'allait rien changer. *Aller, affirme toi un peu Kat !* Mais non. Fallait dire que j'avais trop peur, j'étais une trouillarde. Peut-être qu'Oletto allait m'aider à surmonter mes peurs, qui sait.

              Mais voilà pas qu'il nous visait avec des pétards l'autre. Qu'est-ce que j'avais fais pour mériter ça ? Peut-être que j'aurais jamais dû être poissonnière, pour ne jamais vendre de poisson à Derrick, pour ne jamais rencontrer Derrick, pour ne jamais être prise en otage avec Derrick, pour ne jamais me retrouvé en pleine nature aux côtés de Derrick, pour ne jamais être menacée par des marginaux au cerveau explosé acolytes à Derrick. Peut-être que j'aurais dû être boulangère.

              Avec la chance que j'ai, j'en aurai rencontré un autre.

              Mais fallait dire que y'avait quand même des aspects marrants à ces situations. Je veux dire, pas d'être faite comme un rat, mais plutôt de découvrir des nouveaux aspects de la vie que j'avait jamais vu. D'être confronté à des choses qui sortent de notre ma zone de confort. Après tout, c'est ce je commençais à aimer avec Derrick.

              Faut le dire quand c'est bien aussi.

              Mais le vagabond en face, il semblait perdre patience. Il devait pas aimer qu'on l'ignore. Alors j'ai tenté un pas en avant. Un pas un peu tremblotant et pas très assuré. Mais un pas quand même. Et puis quand j'ai vu qu'il s'affolait pas trop, j'ai tenté un deuxième pas. Vers lui. Bon j'étais pas trop proche, mais assez pour qu'il puisse m'entendre.

              « Vous... vous savez on... on peut parler.. enfin vous pouvez expliquer à monsieur Oletto pourquoi vous voulez plus d'argent et... il... il comprendra sûrement... non ? »

              La tentative était honorable, mais pas très réussite.
              J'ai jeté un coup d'œil à Oletto, il me fusillait du regard.

              « Ah. Non. »
              « Mais vous savez ça ne vous prendra que.. quelque minutes ! »
              « Et bah j'pas ton temps moi. »

              Je faisais une petite moue désespérée.

              « Mais quelques minutes sur une vie de.. quatre-vingt ans c'est pas grand chose vous savez... »

              Pour le coup, un peu moins de quatre-vingt ans pour eux.
              Et il a pointé son truc en ma direction l'air de dire un mot de plus et je te le balance en pleine face. J'ai fais demi-tour rapidos.

              « Ok on parle plus, Derrick donne leur l'argent et on se barre d'ici. »

              Je tenais un minimum à ma peau. Et si les pétards m'explosaient au visage ? Défigurée à vie. Et sur le bras ? Et la jambe ? L'œil ? Moi je jouais pas avec ça. Je tenais à chaque précieuse partie de mon corps. J'étais pas folle. Et je me suis dirigée vers la forêt. Mais y'a un troisième larron qui s'est dressé sur ma route. Deux mètres le gus, vous imaginez, quarante centimètres de plus que moi. Comment j'étais censée le regarder ?

              Ben je l'ai pas fais. J'me suis remise à pleurer dans mon coin. Et le monstre m'a chopé par la taille comme on porte un sac de farine. Nan mais pour quoi je passais moi encore ? Vivement que ce cauchemar se termine.

              « Mais quand est-ce que ça va s'arrêter... Derrick tu me le paieras, je sais pas comment encore mais... oh et puis zuuuut aaaaide mooooi. »
                Le scénario de la demoiselle en détresse. Elle m'a fait le scénario de la demoiselle en détresse. Je peux pourtant pas dire que je l'ai pas vu venir. Gros comme une maison que c'était. Qu'est-ce qu'elle a à partir courir toute seule comme un poulet décapité aussi ? Et depuis quand y sont trois surtout ?
                C'est qu'y me dit quelque chose le troisième larron d'ailleurs. J'arrive pas à le resituer. Qui que c'est que ce con ?... Y'a juste sa gueule qui me revient, pas de nom, pas de conversation avec lui. On se serait juste croisé quelque part, mais où ?

                Et c'est là que je découvre le pot-aux-roses. Même que je me le prends en pleine gueule. Je sais bien que quand on fricote avec de la pouillerie de compétition, on s'expose à quelques déconvenues. Mais là... y vont rafler la palme de la connerie avec médaille olympique en bout de parcours. Y z'ont osé.
                Ce type, y s'occupait de l'accueil à l'auberge où j'ai traîné la frigide. Je l'ai pas reconnu sans son uniforme.

                - Bordel Katsue, t'faire prendre en otages deux fois en deux jours. T'exagérerais pas un chouïa dis moi ?

                Détendu, tranquille comme Baptiste, je mets mes mains dans les poches pis je toise notre nouvel ami.

                - On s'connaît t'les deux, nan ?

                - Non.

                Réponse sèche et lâchée nerveusement. Y cherche Kil du regard qui lui rend tout aussi inquiet. Savent pas trop où se mettre visiblement. Vous embêtez pas va. Votre magouille je l'ai reniflée de loin. Vu que mes allers et venues sur Poiscaille sont réglés comme une horloge, y savent quand je me pointe avec les biftons.
                Les braqueurs à l'auberge, c'était pas un malheureux concours de circonstances. L'homme mystère a dû servir d'intermédiaire entre Mahu'k et Kil pis les petites frappes qu'étaient censées me piquer l'oseille. Alors il aurait fallu que je trouve à nouveau la somme pour récompenser leur labeur. Tout ce beau monde avait dans l'idée de me tondre deux fois sans que je m'en aperçoive.

                Y manquent pas de suite dans les idées.
                Y se doutent de rien surtout.
                Me demande lequel de mes deux furieux s'est dit «On va essayer de la faire à l'envers à Oletto, y se rendra compte de rien» en pensant sérieusement que ça fonctionnerait. Voilà ce qui arrive quand on laisse le petit personnel consommer la récolte.
                Et pis y me prennent au dépourvu les saligots. Pas comme si je pouvais les enterrer sur place et les remplacer dans la foulée. Y me mordillent les couilles et faudrait en plus que je les laisse en vie. Les affres des affaires je vous jure.

                - P... pourquoi tu reviens dans la cabane. Je vais tirer Derrick ! J'vais tirer !

                - Et si tu tires, qui viendra vous apporter la paie ?

                Là, y croise ses neurones pis y comprend qu'en fait son plan n'en était pas un. Un simple délire de névropathe camé jusqu'à l'os. Alors, tous flingues braqués sur moi, y me regarde entrer à nouveau dans le cabanon, vider la mallette de moitié et repartir avec le reste.

                - Mais...

                - Pas d'mais. Maint'nant vous travaillerez pour la moitié de vot' salaire de jusqu'à lors.

                Ce qui est toujours deux fois de trop.

                - Z'avez voulu jouer aux cons avec moi. Z'avez gagné.

                Et je quitte leur taudis en marchant sur la porte que j'ai défoncée tout à l'heure durant mon exercice de lancer de connard. Sur mon chemin je passe devant Mahu'k qui se redresse l'air ahuri - plus que d'habitude je veux dire - et y me demande comme un gosse qu'on a privé de son hochet.

                - Bah... l'argent ?

                Me fait de la peine le bougre. Le voir comme ça, pissant le sang à quémander son obole mensuelle, ça me fait presque regretter de l'amputer de la moitié de ses revenus - non imposables.

                - A pu l'argent. Tu vas toucher moins.

                - .... Non...

                Un vrai gosse qui veut pas se rendre à l'évidence. Sois une bonne figure paternelle Derrick, remets-le dans le droit chemin tout en te montrant généreux. Certes, l'a comploté pour m'escroquer du blé, ce qui dans certains milieux est assimilé à une forme de suicide, mais au fond, l'est trop déglingué pour que je le considère responsable de ses actes. Soyons généreux.

                - En r'vanche, si tu me débarrasses de l'andouille qu'a chopé ma dame de cœur, je veux bien te laisser un million en plus pour cette fois.

                Bon bon cœur me perdra.

                - ...Oui...

                L'a l'air d'avoir compris l'essentiel puisque je le vois sortir une serpe et courir jusqu'à son ancien acolyte en hurlant comme un barbare. Maintenant que j'y pense, me demande si y risque pas de blesser Katsue au passage. C'est les risques du métier, elle savait dans quoi elle s'embarquait en devenant poissonnière.
                Bah le gaillard, il la balance pour mieux s'enfuir dans la forêt. Tout est bien qui finit bien. Sauf pour lui.

                Beau prince, je vais aider madame «Non» à se relever - non, j'ai pas oublié - pis je lui dis au passage que je savais qu'elle risquait rien, que tout était calculé alors que dans le fond, ça aurait pu mal tourner pour elle. Seulement voilà, j'ai été trop protecteur avec cette mijaurée jusqu'à maintenant, et j'ai pas récolté grand chose, encore moins semé... donc peut-être qu'elle fait partie du cheptel de nanas qu'y faut négliger pour qu'elles vous sautent au cou. J'essaie toutes les stratégies possibles. Y'en aura bien une qui finira par être payante.

                Ah ! J'ai entendu un «Argh» qui venait du fond de la forêt. Mahu'k l'a eu. Ça c'est mon Mahu'k. Y revient couvert de sang en traînant la carcasse de son ancien ami derrière lui. Qu'est-ce qu'il a besoin de le ramener à la plantation ? Y pouvait le laisser où il était vu que personne ne passe dans les parages. Quand bien même quelqu'un l'aurait retrouvé, on aurait fait passer ça pour une attaque d'écureuil sauvage et la vie aurait repris son cours.

                - Engrais.

                - C'est bien mon bonhomme.

                J'oubliais que c'était une plantation «bio» ici. On recycle les cadavres pour en faire de l'engrais. Sont inventifs mes employés, y'a pas à dire. Complément à la masse, mais inventifs.
                Sur ces péripéties riches en émotions et en pertes de temps, je lâche le million comme promis avant de choper la femelle par le bras et la traîner derrière moi en m'empressant de faire coucou aux deux zigotos qui se battent déjà pour se partager les sous.
                Soulagé que ça n'ait pas tourné à la débâcle, je lâche bonhomme :

                - Eh bah ça s'est mieux passé que j'l'aurais cru !

                Kat regarde derrière elle encore un peu secouée.

                - Est-ce qu'ils viennent de tuer un homme sur tes ordres ?

                Mmmh... Je comprends que ça puisse la rendre perplexe. Là, mon portrait brossé d'entrepreneur itinérant doit être un peu terni. Avec un peu de chance elle aime les vilains garçons et me tombe dans les bras. Avec un peu moins de chance elle va vouloir appeler la marine et...
                J'espère sincèrement qu'elle ne va pas me forcer à retourner approvisionner mes gaillards en engrais. Pas envie de refaire la route.
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                Je me tapotais les cuisses pour me débarrasser de la terre et de la poussière qui s'étaient accumulées. J'avais une sacrée courbature en bas du dos. De loin, on aurait dit un zombie qui marchait. Je n'avais qu'une envie, c'était de rentrer chez moi et de prendre une douche. Oh oui, une bonne douche bien chaude avec un bon shampoing.

                Un shampoing à la lavande plus précisément. Pour cheveux sec, qui redonne éclat et brillance. Mais ce n'était pas le propos. Il fallait encore que je me retape la jungle et la savane de Poiscaille.

                « T'as pas répondu à ma question... »

                En même temps qui voudrait accepter d'admettre qu'un homicide avait été causé sous ses ordres ? Pas grand monde, certes, mais c'était pas négligeable comme action. Déjà, je me demandais si la mort de ces gus allait se savoir un jour. Je veux dire, c'était même pas sûr qu'ils soient recensés dans une quelconque marie avec une quelconque carte d'identité.

                J'haussais les épaules.

                « Et d'ailleurs tu les connais comment ? »

                Je me suis prise une branche en pleine tronche. Karma. Tu poses une question chiante, un truc chiant t'arrive.

                « Et si t'occupais d'tes affaires ma p'tite ? »

                Une petite moue de déception sur mon visage. En même temps, je ne m'attendais pas à plus. Oletto était un sacré bonhomme avec un petit paquet de mystères sur sa personne. Un gars qui encaisse des balles et qui se bat contre un groupe de mafieux pour aller donner de l'argent à un autre groupe de voyous ça cache forcément quelque chose.

                C'était peut-être un agent top secret du gouvernement, qui sait.

                Vous imaginez, comme dans les films, un mec prêt à traquer les criminels. A s'infiltrer dans les îles, dans les organisations mafieuses pour récupérer des informations et élaborer des stratégies. Faire du sabotage afin de déjouer les plans des affaires gouvernementales. Une sensation double rien qu'en y pensant. D'un côté, c'était super cool parce que rien que le mot agent secret était cool. Et l'infiltration ça puait la classe. Mais de l'autre, c'était assez flippant. Parce que qui dit agent secret, dit choses qui se font dans l'ombre, et choses pas forcément très sympa.

                Et là. Ploc. Je marchais dans une flaque de boue.

                J'en pouvais plus de cette journée.

                ...

                Le retour à la civilisation faisait du bien. Ce même si j'avais une tête de Robinson. Les passant me le montraient bien. Ouais, j'avais le droit à des petits regards indignés. Je soupirais. Derrick s'était déjà barré. Fallait que je trottine derrière lui pour le rattraper.

                « Bah alors, tu t'en vas comme ça ? »

                Il m'a regardé. Je savais pas trop comment interpréter son regard alors je me suis contentée d'attendre. Il m'a demandé de pas bouger et il a fait un tour dans la boutique d'à côté. Il s'est repointé avec un bout de papier.

                « Un numéro d'escargophone ? »
                « Si jamais. »

                J'ai souri et il est parti.
                C'est qu'on se reverrait Otello.