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Mort aux rats

William s'avança lentement sur le pont, incapable de faire disparaître le stress qui l'avait envahi. Il allait aux devants d'une mort certaine. Therick, le contremaître du chantier, lui apparut enfin. Le jeune artilleur s'approcha de lui. C'était comme si le temps ralentissait un peu plus son court à chacun de ses pas. Il faisait comme abstraction de tout ce qui pouvait se passer autour de lui, se concentrant sur le colosse qui tenait les plans de La Ratelière entre ses mains. L'artificier ferait sauter le bâtiment de guerre en construction, quoi qu'il lui en coûte. Il savait pertinemment qu'il faudrait dégager une puissance colossale pour déchirer un navire de cette taille dans une explosion. Il fallait infliger suffisamment de dommages structurels pour qu'une reconstruction ne soit pas possible. Le bois d'épaves qui était utilisé pour constituer la charpente aiderait certainement William de par sa fragilité relative. Mais le souffle devrait tout de même dégager une puissance fabuleuse pour atteindre son objectif. Le jeune homme aborda enfin le molosse, qui jetait un regard distrait sur les ouvriers qui s'activaient sur ce qui devait certainement être le second pont, à en juger par les poutres qui continuaient de s'élancer vers le plafond de la caverne. L'angoisse de l'artilleur se transforma en terreur et sa voix faillit défaillir.

"Therick, j'ai un problème avec un canon et j'aimerai que tu viennes y jeter un oeil."

Le contremaître leva un sourcil comme seule réponse. Il restait impassible, comme sourd à la requête de son esclave. William jeta un coup d’œil autour de lui: il ne pouvait user de la force sans risquer d'être abattu par la légion de gardes qui surveillaient le pont. Il devait absolument réussir à traîner sa cible dans les entrailles du navire. Le jeune homme essaya de se montrer plus convaincant.

"C'est juste que.. si je me plante je risque de faire sauter toute la section dans laquelle je travaille. Je pourrai le faire seul mais j'imagine que tu préférerais éviter un contretemps du genre.. Et puis j'aimerai garder ma.."

"Boucle-la, tu me casses les oreilles."

La voix du géant était étrangement plus mélodieuse que ce qu'avait pu imaginer le jeune homme. Il n'eut pas le temps de s'étendre en de plus grandes considérations que Therick l'attrapait par l'épaule et le traînait dans la direction qu'il souhaitait. William ne pouvait pas croire que ce fut aussi facile de convaincre le contremaître de s'isoler au niveau des canons de la sorte. A bien y réfléchir, l'artilleur n'était pas censé être armé et son physique n'augurait pas grand chose en comparaison avec celui du colosse. Il baissait sa garde, il sous-estimait totalement les capacités de son esclave. Ce dernier ne put réprimer une sorte de sourire sadique à la commissure de ses lèvres. Pour une fois, ce ne serait pas lui la victime de sa naïveté. Ils ne mirent pas bien longtemps à rejoindre l'amas de canons qu'avait sabotés le jeune homme. Ils semblaient en état de marche alors qu'ils étaient tout bonnement prêt à sauter à la première utilisation. Therick s'approcha de la pièce d'artillerie que William avait laissé de côté la veille. Le jeune homme en profita pour chercher le pistolet qui traînait dans la doublure de son pantalon. Il l'attrapa et le glissa rapidement à l'arrière de sa ceinture, avant de s'approcher lentement du colosse. Ce dernier s'était penché sur le canon pour l'inspecter et ne tarderait pas à se douter du traquenard. Il posa les plans qu'il tenait dans sa main au sol et plaça ses deux mains sur le fût de la pièce. L'artificier sauta sur l'occasion. Le temps sembla ralentir de nouveau alors qu'il tirait l'arme à feu de sa ceinture et plaçait la tête de sa cible dans la lignée de la mire.

"Therick."

Il se retourna au moment où le coup de feu partit. La balle fila à travers l'air avant de se loger dans son visage. Une gerbe de sang tapissa le plancher tandis que le contremaître était projeté par l'impact contre la bouche du canon qu'il inspectait. William cria victoire trop vite en s'approchant. Il avança sa main vers les plans qui demeuraient au sol quand un coup de point vint le cueillir au creux du ventre. Il recula en se courbant, son souffle coupé par l'attaque. Un coup de genou trouva son menton et le projeta au sol. Il serra son arme de toutes ses forces pour ne pas la laisser échapper. Le bruit du chantier avait peut-être couvert la détonation mais il ne pouvait en être sûr. Des gardes pouvaient arriver à tout moment et c'en serait fini de lui. La douleur parcourait tout son corps mais les souffrances qu'il avait endurées jusque là l'avait endurci. Il prit sur lui et mit en joue Therick qui s'approchait, avec un regard plein de fureur et un tison à la main. Il tira, à deux reprises. La première balle se logea dans l'épaule du rat sans qu'il ne bronche. La deuxième alla trouer l'un de ses poumons. Cela ne l'empêcha pas de lever son arme pour l'abattre avec force violence sur l'artilleur. William eut le réflexe de rouler sur le côté et il préserva ainsi l'intégrité de son crâne. Il se releva rapidement malgré le tournis, qui subsistait après le coup de genou, et se plaça derrière le géant. Ce dernier voulut se retourner d'un mouvement vif pour venir mordre les côtes du jeune homme avec son arme. Il vacilla pendant sa rotation et s'effondra au sol, laissant échapper le tison dans le même temps. Il vivait toujours, ses yeux grands ouverts, alors qu'il était probablement en train de se noyer dans son sang. L'artificier le dévisagea quelques secondes, hésitant à lui donner délivrance. Mais il se ravisa, pressé par le temps et ne souffrant d'aucune empathie pour tel homme. Il ramassa les plans et allait repartir quand une frayeur traversa son échine. Therick s'était relevé dans un dernier souffle et se jeta sur le jeune homme. Il attrapa son bras gauche et lui insuffla un mouvement peu naturel. Un craquement déchira l'air et William retint un hurlement alors que le colosse tombait mort, achevé par son dernier effort. Il regarda son bras qui venait juste d'être cassé. Les larmes coulaient sur ses joues sous l'intensité de la douleur mais il se devait de continuer. Il était trop tard pour faire marche arrière. Il avisait l'escalier qui s'enfonçait dans les entrailles du navire, juste à quelques pas de lui, quand une lance de fortune se planta à ses pieds. Il jeta un bref regard à sa gauche pour apercevoir les gardes qui se ruaient dans sa direction.

"ATTRAPEZ-LE! TUEZ-MOI CETTE ENFLURE!"

William tira deux coups de feu dans leur direction pour vider son barillet avant de descendre les marches quatre à quatre. Il lui sembla voir l'un des rats s'effondrer, touché à un point vital par les coups de feu. Le bras du jeune homme continuait de vibrer mais il essayait d'utiliser la douleur comme stimulant dans sa course. S'il venait à faiblir, le trépas l'attendrait avec certitude. Il tenait les plans dans la main gauche. Il lui fallait absolument trouver un endroit au calme pour pouvoir déchiffrer les plans, pour trouver l'endroit qui serait le plus propice au déclenchement d'une explosion. Il s'arrêta au niveau du quatrième pont et courut entre la multitude de pièces qui composaient l'étage. Il trouva un escalier dérobé qui s'enfonçait plus profondément encore dans les étages inférieurs. Il l'emprunta et répéta la manœuvre sur le cinquième pont. Le navire était un véritable dédale. William était déjà persuadé d'avoir semé les gardes mais l'angoisse ne le lâchait plus. Il risquait sa vie et l'idée de la perdre au fond d'un trou pareil l'effrayait au plus haut point. Alors qu'il passait devant une file de chambres, il décida soudainement de s'engouffrer dans l'une d'elle. Il avisa un espèce d'interstice entre une armoire et un lit superposé, qui lui laissait juste assez de place pour se dissimuler. Il s'y engouffra et jeta enfin un œil sur les sept feuillets qui composaient la liasse du plan. Il se concentra et chercha le point sensible du navire. Celui où il devrait concentrer tout les explosifs qu'il pourrait trouver.


Dernière édition par William Burgh le Lun 11 Fév 2019 - 15:40, édité 1 fois
    William avait déjà eu l'occasion par le passé de lire des plans de navires. Son beau-père lui avait appris les rudiments concernant le placement de l'artillerie au sein de plusieurs modèles, mais aussi celui de la cale à munitions. Cette dernière devait se trouver dans des endroits difficilement atteignable par les projectiles adverses, pour des raisons plutôt évidentes. L'artificier se chargea d'abord de localiser ces dépôts pour savoir où il se chargerait de prélever toute la poudre dont il aurait besoin pour faire sauter le bateau. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que chaque bordée au dessus de la ligne de flottaison possédait deux endroits de ce genre pour approvisionner efficacement les dizaines de canons qui constituaient l'armement du géant des mers. Le jeune homme pourrait y trouver toutes les ressources dont il pourrait avoir besoin à en juger par la quantité phénoménale de munitions qui étaient nécessaires pour mettre en branle un tel armement sur la durée. Il se concentra par conséquent sur la recherche de son point faible. Il lui fallait considérer la structure du navire pour parvenir à déterminer ce point faible. L'endroit où se concentrait toute la charge du navire. Il fit de rapides calculs selon les bases de charpenterie qu'il avait pu acquérir. Il lui fallait fragiliser l'ensemble par le bas, en semant de petites explosions qui viendraient affaiblir le bateau dans sa verticalité. Ensuite, il faudrait provoquer une explosion massive au niveau du sixième pont, deux niveaux au dessus de la cale. Le souffle se propagerait vers le haut, en exploitant les faiblesses créées. Le bâtiment serait coupé en deux et le feu se propagerait sans aucun doute. Il faudrait s'extirper en vitesse après avoir mis le feu aux poudres. C'eut presque été un véritable jeu d'enfant si la porte de la cabine où il s'était réfugié ne s'était pas ouverte avec violence, laissant entrer trois gardes qui écumaient de fureur.

    "Fouillez-moi ces cabines!"

    La voix venait du corridor qu'avait emprunté l'artificier une poignée de minutes auparavant. Les rats qui étaient entrés ne le remarquèrent pas tout de suite, aussi il dissimula les plans sous le lit qui le cachait. Il porta la main à son revolver, bien que ce dernier n'ait plus aucune utilité sans munitions. Les trois encapuchonnés eurent vite fait de se rapprocher de sa cachette du fait de l’exiguïté de la pièce. William retint son souffle et pointa l'arme à feu vers le garde le plus proche avant de se lever rapidement pour lui asséner un coup avec la plus grosse partie métallique de l'arme. Il bascula sur le côté assommé, tandis que ses deux camarades se jetaient sur l'artificier blessé. Avec un seul bras valide, il ne put résister et les coups plurent. Une massue le cueillit au niveau du ventre pendant qu'un poing venait embraser sa mâchoire. Un coup de pied le propulsa contre la paroi en lui coupant le souffle. Son regard affolé l'empêchait de distinguer clairement ses adversaires. D'autres impacts lui tirèrent des cris de douleur. Quand ses yeux purent se fixer sur quelque chose, ils faisaient face à une longue lame recourbée sur le bout. Une vague de froid traversa le corps de l'artificier. Une sensation de mort provoquée par le risque qu'il encourait une fois de plus. Mais contrairement à toutes ces autres fois, ce n'était plus la peur ou le désespoir qui le dominait. Mais plutôt une terrible envie de survivre.

    "Vous aurez pas ma peau!"

    Il voulut s'élancer vers cet ennemi qui le menaçait. Mais la tête de ce dernier fut déformée d'un rictus avant d'être violemment détachée de son buste, tandis que les deux autres encapuchonnés étaient foudroyés par d'autres coups venus de l'arrière. Leurs corps s'effondrèrent pour laisser place aux soldats de la Marine, vêtus de leurs haillons et armés de lames de fortune. Pledge, qui commandait aux soldats, tendit sa main au jeune homme pour qu'il puisse se relever.

    "Heureusement que t'as crié, c'est un putain de labyrinthe ce navire!"

    Fliherty, un autre conscrit, gratifia William d'un sourire amical. Ce dernier ne put s'empêcher de se laisser choir sur le lit alors que l'adrénaline redescendait lentement. Il se releva vite pour attraper les plans et finir sa besogne. Il remercia, au passage, ses sauveurs.

    "J'ai une dette envers vous les gars. Je m'en sortais pas ce coup-ci. Merci!"

    "N'oublie pas qu'on veut surtout s'échapper, Coxner."

    "Fliherty, on reste des soldats du gouvernement, protecteur des populations."

    "A part pour ces fils de p.."

    Le soldat se ravisa au regard que lui lança son supérieur. William s'était concentré de nouveau sur les dessins d'architecture, reprenant là où il s'était arrêté dans sa réflexion. Il arriva au bout de son cheminement et se leva enfin.

    "On se dirige vers le sixième pont. Mais d'abord on va disséminer des petites charges le long du navire, sur deux colonnes."

    "Attends, attends! On va faire exploser ce tas de bois?"

    "C'est le plan. Ça va les distraire assez pour que vous puissiez prendre le large."

    Un instant de silence interrompit la discussion. Tout autour de la cabine, des bruits de pas, de courses et des cris résonnaient dans la structure. D'autres gardes finiraient par fouiller cette pièce-là de nouveau. Il leur fallait partir et mettre à exécution leur plan au plus vite. William ramassa le cimeterre qui aurait dû l'ouvrir de bas en haut. Pledge fixa gravement l'artilleur avant de prendre la parole pour ses hommes.

    "C'est une bonne diversion. Mais se balader dans ce bateau à poser des charges explosives, c'est une mission suicide. Mais sans ça, on ne passera pas les gardes indemnes de toute manière. Nous allons t'aider."

    L'artificier aurait pu penser que les soldats auraient un avis différent de leur meneur. Mais leur expérience des conflits leur avait appris que toutes les opérations comportaient leur lot de risques. Ils n'avaient, dans les deux configurations, presque aucune chance de tous s'en tirer en vie. Mais dans l'optique où le vaisseau serait détruit, ils n'auraient aucun encombre à sortir des grottes discrètement. Ils formèrent un carré autour de William, avant de sortir dans le couloir. Pour une fois, c'était le jeune homme qui donnait la mesure aux soldats. Ils progressèrent avec prudence le long des corridors, restant au même étage pour commencer la pose des charges. Au détour d'une jonction entre deux allées, quatre gardes débouchèrent face à eux. Ils engagèrent rapidement le combat. L'artilleur abattit son cimeterre sur l'épaule d'un des encapuchonnés, sectionnant probablement l'aorte. Il s'effondra dans un cri, essayant de contenir l'effusion de sang qui le viderait rapidement. Ils continuèrent d'avancer, atteignant le dépôt de munitions du pont sur lequel ils se trouvaient. Ils s'organisèrent rapidement et ramassèrent des sacs de poudre, moins encombrants que les barils qui seraient au-delà de ça plus difficiles à ouvrir au moment de disposer les charges. Ils restèrent groupés tout du long et se rapprochèrent du premier endroit où ils fragiliseraient la structure. Des piliers s'étendaient sur tout la largeur du navire, supportant le poids des étages supérieurs. William prit rapidement la parole, voulant procéder vite pour éviter d'autres escarmouches.

    "Vous devez placer des charges en alternance. Un poteau piégé, un laissé intact. Ainsi de suite. On va procéder pareil jusqu'au sixième pont où on bourrera un point précis de tout ce qu'on pourra trouver comme explosifs!"
      Les explosions soufflèrent les poutres sans endommager leurs voisines. La détonation ne tarderait pas à ameuter tout les rats qui cherchaient déjà la troupe. Les militaires suivirent rapidement William qui se dirigeait dans la direction inverse à celle qu'ils avaient emprunté jusque là. Ils avaient fragilisé un côté du navire, il fallait qu'ils dépassent le point central pour déstabiliser l'autre. La structure s'effondrerait dans une sorte de triangle inversé, déchirant les deux parties de poupe et de proue du centre du navire. Des dommages de ce genre étaient totalement irréparables. Il faudrait construire un nouveau bateau. Et le jeune homme comptait bien couper la tête du serpent avant même qu'il n'en ait l'idée. Ils atteignirent un agencement de piliers exactement identique aux précédents. Répétant la manœuvre, ils trouvèrent refuge derrière une paroi alors que les poteaux étaient pulvérisés en copeaux de bois. Menant ses hommes, Pledge descendit à l'étage qui s'étendait sous leurs pieds. L'artilleur les suivit, donnant ses instructions. Il constatait avec quelle facilité les mouettes rendaient possible ce qu'il n'aurait jamais pu accomplir seul. En d'autres occasions, ils croisèrent des encapuchonnés qu'ils laissèrent pour morts. La taille titanesque du navire empêchait leurs ennemis de leur mettre la main dessus. Ils ne possédaient pas de chaîne de commandement claire et étaient dispersés en groupes similaires à celui qu'ils pourchassaient. Sauf qu'ils étaient loin d'être des soldats professionnels, entraînés par la guerre et aguerris par l'entraînement. Alors qu'il admirait l'attitude martiale de ses protecteurs, une gerbe de sang vint lui éclabousser le visage. L'un des cinq bleus tenait sa gorge alors qu'ils venaient de dépasser un couloir largement ouvert. Une flèche était logé en travers de sa glotte, ressortant de son cou. Fliherty l'attrapa rapidement et le traîna contre une paroi. Alors que William aurait pensé voir le groupe s'arrêter, il lui arrachèrent ses plaques, lui tapèrent sur l'épaule et continuèrent leur route. Les militaires étaient habitués à faire des sacrifices parmi leurs rangs. Combien avaient-ils pu être quand ils étaient arrivés dans cet enfer? Le jeune homme ne sourcilla pas, conscient qu'il avait pris en gravité. La situation exigeait de continuer où ils mourraient tous. Il tourna sa tête une dernière fois pour voir les premiers encapuchonnés perdre un pied pour l'un et un mollet pour l'autre dans une poignée de derniers coups de sabres. Rapidement, il les perdit de vue alors qu'il tournait à un angle pour se prémunir de l'archer. Tout allait soudain si vite que le tournis ne tarda pas à guetter le jeune homme. Ils firent sauter d'autres soutiens, les rapprochant de plus en plus du point médian. Ils débouchèrent enfin au sixième pont. Amochés, épuisés, ils suivirent l'artilleur qui rejoignit le stock de poudre central de l'étage.

      "Maintenant, on met tout ce qu'on peut mettre d'explosif ici, on allume la mèche et on se tire avant que tout explose. Ça va projeter des débris dans toute la caverne donc on a intérêt à trouver un abri en vitesse."

      Ils acquiescèrent sans l'once d'une hésitation. Ces hommes, à l'instar de l'artificier, n'avaient plus rien à perdre. Pledge prit la parole, demandant les instructions du jeune homme qui leur faisait face. Il déballa son plan, concocté pendant la course. Il n'étaient plus que quatre, il n'y avait plus tant d'options que cela.

      "On se divise en duos. Il faut qu'on remonte dans les étages et qu'on redescende des barils, au maximum. C'est pas compliqué, le plus sera le mieux."

      Fliherty tapa sur l'épaule du jeune homme tandis que Pledge sollicitait le dernier soldat, un homme entre deux âges qui répondaient au nom de Kutchen. Ils partirent en premier, tandis que William forçait la porte verrouillée du dépôt. Des barils étaient déjà réunis là, mais il ne provoqueraient pas une explosion assez puissante. L'artificier ne put s'empêcher de se demander comment les rats avaient pu réunir une telle quantité d'armes en se contentant de pillages d'épaves. La poudre n'y survivait que rarement. Fliherty l'attrapa par la manche et le tira vers l'escalier.

      "On se grouille le cul et on prends la tangente après, Coxner. Tu vas faire tellement de ramdam avec ton explosion qu'on va nous entendre jusque dans Marie-Joie."

      Ils remontèrent les quelques marches avant de croiser leurs camarades, les bras chargés de petits tonneaux. Ils perçurent l'amusement des deux marins, qui venaient de lancer une sourde compétition de leurs sourires. Les deux hommes s'échangèrent un sourire et coururent en direction du dépôt d'où revenaient Pledge et Kutchen. Ils attrapèrent quelques barils et descendirent à leur tour. Les gardes du navire ne paraissaient pas décidés à descendre aussi bas, s'efforçant de réparer les dégâts et de les chercher dans les autres étages. Ils eurent un petit temps de répit. Et rapidement les capuches apparurent autour d'eux. Utilisant le cimeterre qu'il avait ramassé, William s'engagea dans le combat avec ardeur. Son bras cassé l'handicapait mais il parvenait, avec l'aide de Fliherty à venir à bout des paires ou des trios d'ennemis qui s'avançaient. Mais très vite ils seraient débordés et ils en avaient parfaitement conscience. Pledge remplaça William, le chargeant de descendre la poudre à sa place. Le jeune homme ne se fit pas prier. Les ennemis ne cessaient de venir, s'étant surement réorganisés en ayant éliminés toutes les possibilités de cachettes sur les ponts supérieurs. Quelques allers et quelques retours seulement suffiraient. La fatigue s'emparait des muscles de tout les hommes. Willima haletait, presque incapable de maintenir la dernière charge qu'il convoya. Un coup de feu retentit et il prit peur. Il réalisa quelques fractions de secondes après qu'il aurait été mort avant d'entendre la détonation si la poudre avait sauté à côté de lui. Trois secondes plus tard, les trois marins descendirent rapidement l'escalier, Pledge entre les bras de ses deux compagnons. Du sang s'écoulait abondamment de l'épaule du commandant. L'artificier sentit un frisson de peur lui parcourir l'échine: il n'aurait jamais compté sur un autre que lui pour se sortir de cette mission suicide.

      "Bloque ce putain d'escalier, Cox!"

      William faillit ne pas réagir au faux nom qu'il avait donné aux soldats quelques jours plus tôt. Il s'éxecuta peut-être une seconde trop tard, alors qu'un dernier garde passait les marches, un revolver à la main. La lame recourbé de l'artificier l'arracha de son bras. Il prit appui de toutes ses forces sur l'étagère qui bordait les marches et la renversa en travers. Fliherty et Kutchner avaient posé leur chef près du local de munitions. L'artilleur ôta l'arme à feu de la main sectionnée et se dirigea vers Pledge, qui semblait proche de la mort. Le sang s'échappait à une vitesse folle de ce genre de blessures. Un air résigné sur le visage, il tendit sa main vers le jeune homme.

      "Donne moi ça et pars. Je vais faire sauter ce foutu navire.."

      "Mais chef..."

      "Fliherty, on a laissé Damos sans se retourner. Il vous faut en faire de même avec moi."

      Le soldat voulut s'approcher mais Kutchen le stoppa. Pledge commençait à faiblir. William posa sa main sur l'épaule de Fliherty et  fit un signe de tête au mourant. Ils avisèrent un des hublots de tir. Le sol se trouvait à moins d'un mètre s'il sautaient vers l'avant. L'artilleur s'élança et traversa l'interstice assez haut pour qu'un homme debout s'y tienne. Il se réceptionna sur le béton de la digue, trébucha et s'affaissa doucement sur son bras gauche qui lui faisait souffrir le martyr. Ses deux compagnons étaient aussi sortis et l'aidèrent à se relever. Puis ils prirent leurs jambes à leurs cous, attendant avec anxiété la déflagration. Les abords du navire étaient délaissés, les ouvriers comme les gardes essayant d'éteindre les incendies qu'avaient créés les trouble-faites durant leur descente au travers des étages du navire. William voulut jeter un œil vers le navire mais il fut soudainement projeté en arrière. Un craquement, digne du cri d'un monstre abyssal, déchira presque les tympans de tout les gens présent dans la grotte. Une boule de feu géante s'éleva contre le plafond et s'y écrasant, se diffusa le long des parois. William resta couché au sol et attendit alors que des morceaux du navire pleuvaient tout autour d'eux. Il pria pour sa vie.


      Dernière édition par William Burgh le Lun 11 Fév 2019 - 15:50, édité 2 fois
        La cendre tombait en tout endroits, recouvrant le sol d'un léger manteau. William avait l'impression d'avoir dévalé une colline à l'intérieur d'une barrique. Il toussa abondamment, alors que les résidus de bois avaient également infiltré ses poumons. Il ouvrit les yeux mais les plissa aussitôt. Des flammes léchaient les morceaux de bois qui avaient été propulsés en tout sens dans la caverne. Elles dessinaient des ombres fascinantes sur les parois de pierre. Le jeune artilleur se rendit alors compte qu'un bourdonnement vrillait ses oreilles. Il secoua la tête en sortant de cet état second mais ne parvint pas totalement à dissiper l’acouphène. Il chercha les soldats du regard. S'ils étaient proches au moment de l'explosion, le souffle avait pu les disperser assez facilement. Le jeune homme se releva péniblement et couvrit ses yeux de son avant-bras. Il tournait la tête frénétiquement, ne trouvant trace de ses compères. Il se figea alors qu'il réalisa ce qu'il était en train de faire. Même si ces hommes l'avaient aidé à accomplir sa tâche, il mettait en danger sa promesse envers Sariah. Il ne pouvait perdre de temps alors que des centaines d'autres gardes étaient sûrement en train de rappliquer droit dans sa direction. Il voulut s'en aller quand une faible voix parvint à percer ses oreilles. Où peut-être cela avait-il été un cri?  Il se tourna dans la direction présumée et aperçu alors Fliherty, adossé contre une poutre. L'artificier se rapprochait de lui quand son pied toucha quelque chose de trop mou pour être le support de la digue. Un rapide coup d’œil lui fit comprendre qu'il foulait la cervelle de Kutchen. Il enleva son pied et finit de s'approcher du dernier survivant, qui semblait totalement déboussolé. A cette distance, il arriva à discerner les mots du soldat.

        "Coxner.. Je vais buter tout ces enfoirés! J'vais leur arracher les tripes et je vais leur bouillir les bourses!"

        William remarqua la colère noire qui hantait les yeux du marin. Il avait dû voir son dernier compagnon mourir juste devant ses yeux et son esprit n'avait pas tenu le choc. Mais l'artificier avait encore besoin de lui et il ne lui semblait pas impossible d'exploiter cette rage. Il lui tendit son bras gauche, dans lequel la douleur osseuse semblait s'être estompée. Fliherty lui saisit le bras et ce fut à ce moment que William ressentit la brûlure dont il avait été victime. Il contint un cri de douleur et retira son bras dès que la mouette fut stabilisée sur ses pieds. Il était redevenu silencieux et l'artilleur l'observa. Le bourdonnement cessait enfin et le silence commençait plus ou moins à tomber, seulement perturbé par les râles de douleur qu'on pouvait encore entendre.

        "On va s'occuper d'eux Fliherty. On va leur rendre la monnaie de leur pièce."

        Le soldat attrapa un morceau d'épée qui traînait là. Il ne restait que la garde et une partie amoindrie de la lame. Mais le militaire ne sembla pas s'en soucier et ouvrit la marche. William lui emboîta le pas sans attendre, peu enthousiaste à l'idée de tomber seul contre une cohorte de gardes tout frais. Ils remontèrent ce qui restait de la digue en direction d'un des nombreux couloirs qui menaient vers la grotte centrale, celle où toutes les habitations étaient réunies. Mais ils choisirent également le corridor qui passait au niveau des prisons, là où il avait le plus de chances de retrouver la jeune femme. Aussi ironique que cela pouvait paraître, il n'y avait rien d'autre qu'elle qui comptait à présent à ses yeux. Il n'avait aucune raison d'espérer survivre sans elle. Des sentiments s'étaient bels et bien créés, bien qu'il ne le comprenait pas encore. Il avait cruellement changé. Les épreuves sur sa route l'avait endurci, l'avait rendu peut-être même insensible et égoïste. Mais il se souciait toujours du bien-être de Sariah. Et il comptait bien s'accrocher à ce sentiment tant qu'il existerait. Il regarda le marin qui ouvrait le chemin: un temps durant, il avait envisagé de rejoindre la Marine. Ses parents en avaient fait partie, ils lui avaient inculqué ses valeurs. Elles avaient failli le mener à la mort en de nombreuses occasions. Il regarda son poing droit, ensanglanté par les coups donnés. Il voyait bien là la marque de Cassidy Burgh. Son bagnard de père lui avait donné la moitié de ses gênes. Et c'était confronté au danger qu'il s'en rendait enfin compte. Il avait toujours eu une vision manichéenne des choses: des gentils combattaient des méchants. Mais il réalisait qu'il n'y avait que des teintes de gris. Et que celles qui tendaient plutôt à être foncées par nature s'en tiraient mieux que leurs concurrentes claires. Il ne voulait pas mourir, même s'il ne savait expliquer pourquoi. Il viendrait un jour à y passer. Mais il ne voulait pas que ce soit dans cette caverne. Il s'était trouvé un but et il comptait s'y tenir. On entendrait parler de lui, il en était sûr.

        "Attends, il y a un groupe juste devant..."

        Près de vingts mètres en avant, une bonne quinzaine d’encapuchonnés semblaient attendre patiemment, les armes à la main. Les deux compagnons s'avancèrent prudemment, en essayant de ne pas se faire repérer. Toutes les têtes étaient tournées dans leur direction et ils comprirent rapidement qu'ils ne passeraient pas inaperçus. Ils se mirent alors à charger, leurs lames vers l'avant, espérant simplement se tailler un chemin au travers de la troupe. Les agissements des rats les firent s'arrêter net. Ils venaient tous de lever leurs armes au dessus de leur tête, comme pour donner leur reddition. L'un d'entre eux prit la parole, à la grande surprise des deux camarades de circonstances.

        "Flint Coxner?"
          L'artificier dévisagea les hommes encapuchonné, confus, toujours sonné par la détonation qui avait pris place quelques minutes plus tôt. Les flammes avaient continué à se répandre sur les quais et les rares survivants de ce qui restait de la Ratelière, essayaient désespérément de s'enfuir. Certains erraient hagards au milieu des autres, des parties de leur corps manquant au rendez-vous. D'autres avaient pris feu en même temps que le navire et peinaient à éteindre l'incendie qui les consumait. William jeta un regard froid derrière lui avant de se concentrer de nouveau sur le groupe de rats. Le silence pesait encore et toujours. Fliherty, qui se trouvait à sa droite directe, peinait à contenir sa rage. Il était prêt à exploser, tuant toutes les capuches qui pourraient croiser son chemin. C'était son compagnon qui l'avait stoppé quand le groupe s'était dévoilé à eux. Sans cela, il les aurait certainement massacré. Ou aurait pour le moins essayé d'en faire autant. William se décida finalement à répondre.

          "C'est bien moi."

          Les rats semblèrent rassérénés et proposèrent aux deux hommes de leur emboîter le pas. Ils ne bougèrent pas d'un centimètre, serrant leurs armes respectives entre leurs mains. Le rat qui les avait interpellé, conscient de l'urgence de la situation, n'attendit pas plus longtemps pour jouer franc jeu.

          "Sariah nous envoie, William. On vous emmène directement à Rostand."

          Le jeune homme reteint son souffle en entendant son véritable nom franchir les lèvres de son interlocuteur. Il planta ses yeux dans le regard dur de Fliherty, qui le dévisageait avec une expression dure à déchiffrer. L marin prit la parole le premier.

          "Tant que nous sors de là en me laissant crevant jusqu'au dernier de ces fumiers, je m'en fous de ton vrai nom, Coxner."

          William acquiesça silencieusement avant de s'avancer vers les hommes et les femmes qui avaient laissés tomber leurs capuches sur leurs épaules. Chacun d'entre eux portait des cicatrices qui évoquaient assez facilement les heures de torture auxquelles ils avaient été exposés. Certains d'entre eux étaient plutôt agés, tandis que d'autres semblaient tout juste sortis de l'âge juvénile. Ils formaient un groupe homogène, la même flamme faisant brûler leur yeux. Des années d'asservissement n'avaient pu que renforcer leur volonté de retrouver l'air libre. Aucune situation n'avait jamais été aussi propice pour leur permettre de fuir que la pagaille monstrueuse que venaient de créer le jeune homme et les marins. Quatre d'entre eux étaient déjà morts au combat. Les victimes se comptaient probablement par centaines sur l'embarcation. Au sein des ouvriers, des innocents avaient été déchirés par le souffle. Mais William ne ressentait aucune pitié, il était en vie et cela lui suffisait amplement. Il arriva au niveau des rats et salua leur meneur d'un geste de la tête. Deux encapuchonnés s'approchèrent de lui et lui bandèrent rapidement le bras, pendant que d'autres habillaient Fliherty des mêmes robes qu'ils portaient. Le jeune artificier revêtit lui aussi son accoutrement et abaissa la capuche au-dessus de sa tête. Il était prêt pour la suite.

          "Allons nous occuper du Roi."

          Leurs nouveaux compagnons les intégrèrent à leur groupe et commencèrent à remonter rapidement les couloirs qui traversaient la prison. En quelques minutes, ils émergèrent dans la salle principale sans avoir croisé aucun autre groupe. La vision qui s'offrit à William ne put l'empêcher de sourire. Là où une gigantesque cité souterraine s'étendait quelques heures plus tôt, de véritables émeutes avaient pris place et il ne comptait plus les structures en prise aux flammes. Une véritable guerre civile, probablement partie d'un mouvement de foule, était en train de prendre place devant ses yeux. En quelques instant, l'apocalypse poussait tout les rats à quitter leur navire. Le groupe venait de sortir d'un de nombreux trous qui pavaient la paroi. Il fallut quelques secondes au meneur de la troupe pour repérer un chemin sûr au milieu des affrontements. Des flèches volaient en tout sens, des coups de lance étaient donnés sans considération de l'environnement proche. C'était une situation largement propice à une mort accidentelle. En quelques endroits, des mousquets claquèrent dans leur bruit facilement reconnaissable. Ce fut presque comme un signal pour que les rebelles se remettent en marche. William n'avait effectué le chemin jusqu'au siège du pouvoir qu'une seule fois, mais il reconnut assez facilement les rues qu'ils empruntaient pour le rejoindre à nouveau. Personne ne semblait vouloir les prendre pour cible, tous trop occupés à s’entre-tuer. Ils montèrent la rampe collée à la paroi rocheuse quatre à quatre, William et Fliherty en tête. Ce dernier se jeta avec toutes ses forces contre la porte, l'enfonçant net au milieu de la royale pièce. William s'avança juste après lui, son cimeterre entre les mains, un regard glacial planté directement dans les yeux de Rostand.

          "Voilà donc les puces qui essayent de nous infecter, mes chers sujets."

          Le monarque était entouré d'une bonne trentaine de fidèles, armés jusqu'aux dents. Fliherty se releva doucement, en époussetant son épaule. Il tenait toujours son sabre brisé et semblait plus que jamais stimulé par l'idée de l'enfoncer dans la gorge de ceux qui leur faisait face. Alors que les deux hommes allaient se lancer directement à l'assaut, suivis par les encapuchonnés qui les avaient mené là, un autre groupe entra dans la pièce, mené directement par Sariah. Le cœur de William se serra légèrement en apercevant sa compagnonne d'aventure. Il n'avait pas eu le temps de penser à autre chose qu'à sa mission mais l'inquiétude avait sourdement grondé dans son esprit depuis la dernière fois qu'il l'avait vue. Elle s'approcha de lui et se plaça à ses côtés. Leurs mains se frôlèrent et la jeune femme resserra son étreinte sur la poignée de sa rapière.

          "La famille est au complet! Si on se mettait aux réjouissances?!"

          Rostand s'était levé de son siège dans une expression d'euphorie malsaine. William poussa un cri de guerre qui fut repris par chacun de ses compagnons, alors qu'ils s'élançaient vers leurs adversaires. L'artilleur comme la bretteuse ne lâchèrent pas le Roi des Rats de leurs regards. L'acte final commençait.
            Les deux groupes se percutèrent dans un fracas d'acier et de sang. Fliherty entra dans la mêlée comme un démon assoiffé de sang. Il sectionna plusieurs membres dans sa frénésie, mettant à profit ses aptitudes martiales pour mener à bien son carnage. William donna un violent coup d'épaule au premier opposant qui croisa sa route, avant de parer quelques coups de son bras valide. Il voulait conserver sa force pour abattre Rostand. Les péripéties de sa journée faisaient peser sur ses épaules un mélange de fatigue et de douleur qui donnait de l'énergie à son métabolisme. Il savait pertinemment qu'il était plus proche de la mort qu'il ne l'avait jamais été. Il pouvait mourir à chaque instant, mais chaque seconde qui passait lui donnait plus de rage, plus de détermination. Il voulait naviguer à nouveau, dévorer ce monde qui essayait systématiquement de se débarrasser de lui. Il voulait partager sa route avec Sariah, quelles que fussent les circonstances. Cette dernière taillait son chemin juste à côté de lui, s'attaquant aux adversaires qui essayaient de venir à bout de l'artificier. Ils s'avancèrent au milieu de la mêlée sans trop d'encombres, continuant à surveiller leur adversaire mortel. Rostand s'était infiltré au milieu de la masse et abattait ses adversaires avec une facilité déconcertante. Si les rebelles montraient plus de compétences martiales et d'acharnement que leurs adversaires, le monarque semblait rétablir la balance. Il évitait simplement d'approcher les deux compagnons, bien que ceux-ci ne comprenaient pas totalement la logique derrière cela.

            "Faut qu'on l'attrape rapidement, sinon ça risque de dégénérer."

            Sariah acquiesça à la proposition de William. Alors qu'ils s'avançaient prudemment vers les quelques adversaires qui entravaient leur chemin, une vision presque irréaliste s'empara de leur yeux. Fliherty venait de se jeter sur le Roi des Rats, toutes armes dehors. Les haillons qui couvraient son torse s'étaient déchirés pendant les combats et dévoilaient des coupures profondes sur le haut de son corps. Derrière lui, une huitaine de rats agonisaient, juste là où il les avait percuté auparavant. Il s'était armé d'une lance et d'un de ces vieux pistolet qui n'offraient qu'un seul tir avant le rechargement par la bouche de l'arme. Il lança un coup d'estoc de sa lame avant de faire claquer son arme dans une détonation assourdissante. L'espace d'un instant, la mêlée se figea entièrement, tout les visages tournés vers le monarque. L'estoc avait effleuré sa cuisse, laissant un léger filet de sang sortir de la coupure. La balle s'était logée dans le mur derrière lui, à quelques centimètres à droite de la tête royale. Un violent coup de sabre plongea vers la tête du soldat, qui le para habilement de la hampe de sa lance. Un duel rapide s'engagea entre les deux hommes.

            "Je vais te faire la peau, salopard!"

            "Comme j'ai fait la peau à tout la chaîne de commandant de votre galion?"

            "Espèce d'enfoiré.."

            William observait la scène avec appréhension. Fliherty était un bon guerrier, qui stagnait probablement dans les étages inférieurs pour profiter pleinement du combat. Ce n'était pas le genre d'homme à rester assis derrière un bureau. Il aimait la guerre, il aimait se battre. Néanmoins, ses coups n'entamaient jamais son adversaire avec autant de précision qu'il l'aurait souhaité. Rostand était naturellement doué pour l'affrontement, bien qu'il commençait à fatiguer sous le poids des blessures. Néanmoins, il semblait garder la main haute sur le duel. Il perfora l'épaule du marin avec ce qui lui servait de lame, d'une finesse et d'un tranchant incroyable. Une arme légère, parfaite pour abattre rapidement son ennemi, en privilégiant la vitesse et l'efficacité. Quelques secondes plus tard, c'était la cuisse de la mouette qui subissait le même sort. Fliherty posa un genou à terre sous la douleur qui l'avait saisi. William s'élança pour sauver le soldat. Rostand tourna alors les talons et s'échappa au travers de la mêlée qui avait repris de plus belle. Sariah n'avait pas tarder à suivre l'artificier et tout deux s'approchèrent de leur compère blessé.

            "Foutez le camp, suivez-le pendant que je m'occupe de régler leurs comptes à ces chiens!"

            C'était un ordre sans appel, qui convenait d'ailleurs parfaitement à leurs affaires. Fliherty se releva et repartit à la charge avec une prudence accrue. Il devait simplement s'occuper de vider la salle et de préparer l'évasion finale, une fois le Rat mort.

            "BUTEZ-MOI CES FILS DE..."

            Des cris de guerre étouffèrent sa voix alors que les deux compagnons franchissaient le seuil de la mêlée, pour voir Rostand ouvrir une porte qu'une bibliothèque dissimulait jusque-là. Ils prirent sa suite et s'engouffrèrent dans ce qui semblait être un escalier grossièrement taillé dans la roche. Une cinquantaine de marches alternées de couloirs les firent déboucher dans une vaste pièce, qui servait probablement d'entrée au repaire du Rat. Il se tenait là, au milieu de son salon, son arme à la main.

            "Ma parole, vous avez fait là montre d'un beau jeu."

            Les deux compagnons se regardèrent mutuellement, déterminé à récupérer Éléonore et à envoyer leur adversaires aux tréfonds de l'enfer. Il continua cependant à parler, d'une voix aussi élogieuse que suave.

            "Je connais vos intentions, mais je peux vous proposer quelque chose qui saura tous nous satisfaire."

            "Trêve de conneries, Rostand."

            "William Burgh. Un monsieur-tout-le-monde qui sait cacher ses talents et sa détermination. Tu étais une proie facile, un déchet qui dérive sur la mer, un homme de plus pour faire tourner les rouages de la machine. Je t'envoies dans l'arène pour te voir y mourir, puis je me retrouve ici face à toi, sans que cela ne me surprenne. Il semblerait que tu ais beaucoup pris de ton père, jeune homme."

            L'artificier serra les poings. Il était d'accord avec le discours du Rat. Il avait pris une partie de sa colère, de sa résilience. Il tenait, par circonstances, plus du bagnard que du soldat. Et il comptait bien s'en servir dans les années qui suivraient, gardant l'équilibre entre ses valeurs et ses capacités.

            "Et Sariah Burster. Ou Burgh? Peu m'importe au final. Tu étais douée dans ton domaine, retorse. Mais tu avais ton défaut et j'ai vite su le trouver. Et l'enfermer par ici."
              Les yeux de la jeune femme mêlèrent subitement une pointe de tristesse à la colère qui ravageait son regard. Rostand s'empara de l'occasion pour continuer son laïus.

              "Vous ne gagnerez pas contre moi, je vous surclasse largement. Alors voilà ce que je vous propose. Nous sortons tous ensemble de ces tunnels et je m'assure de vous tenir à l'écart de toute l'Escadre. Vous pourrez vivre en paix, où vous le souhaiterez. Mais si je viens à savoir que vous cherchez à me nuire ou à saboter mes affaires, vous mourrez. La paix est assurée."

              "Tu peux nous tuer immédiatement si tu le souhaites. N'essaie pas de faire planer une menace fantoche au-dessus de nos têtes. Ça ne changera rien, qu'on meure ou pas. Tu nous poignarderas dans le dos à la minute où tu en auras l'occasion."

              Rostand regarda la jeune femme avec un regard satisfait, presque fier. Il fit faire quelques moulinets à sa lame en fixant le sol, un sourire à peine masqué sur les lèvres. Il redressa le regard et le planta droit sur le couple en face de lui.

              "Vous êtes perspicaces, mais vous savez aussi que je n'ai pas d'autres intérêts que celui de survivre, et mon empire avec moi. Vous ne gagnerez pas, mais j'ai voulu faire preuve de générosité, comme un bon souverain. Vous avez décidé de refuser, grand bien vous en prenne."

              Il fut comme pris d'un sorte de soubresaut qui fit trembler l’entièreté de son corps. William eut l'impression de le voir grandir, alors que des moustaches venaient s'allonger sous ce qui était passé du nez au museau. Le jeune artilleur cligna des yeux plusieurs fois, son corps refroidi par une frayeur incroyable. Il n'avait jamais été confronté à un utilisateur de fruits du démon auparavant. Il n'avait à vrai dire aucune idée de la véracité de ces choses-là. Cela lui semblait par trop irréel pour être vrai. Et pourtant un rat de taille humaine se tenait là, des longues pattes puissantes armées de griffes terribles étaient toutes prêtes à le lacérer. Un rugissement guttural, comme sorti d'une grotte profonde résonna dans toute la pièce. Sariah plaça une de ses mains sur le poignet de William. Son regard était toujours plein d'assurance, avec une pointe de compassion. L'artificier se ressaisit immédiatement et avisa le Rat.

              "Tu vas déguster comme jamais."

              Emporté par sa colère, le jeune homme poussa sur ses jambes, courant à toute vitesse vers son adversaire. Il empoigna de sa main invalide la poignée de son cimeterre, pour s'assurer une prise plus solide. Une douleur traversa son bras mais adrénaline l'estompa rapidement. William lança un violent coup de son arme, que le rat para assez aisément. Sariah s'était aussi élancée, essaimant des coups rapides et plein de puissance. Mais Rostand gardait l'avantage. L'artilleur se lança dans un duel avec l'homme-rat, qui se contentait de dévier ses coups. Le jeune homme évita de justesse un coup de patte et raffermit ses appuis, utilisant la balance de son corps pour frapper droit vers le cœur de son adversaire. C'est là que des griffes entaillèrent la chair de ses côtes, le projetant contre une paroi dans la foulée. Il eut l'impression que le monde s'était effondré sur lui quand il percuta le mur de roche. Sa poitrine se vida d'air et il fut incapable de prendre la moindre bouffée d'oxygène. Sa blessure saignait abondamment, s'ajoutant aux dommages internes de l'impact.

              "WILL!!"

              Sariah se déconcentra suffisamment pour Rostand tente de la déchiqueter entre ses deux pattes. Par chance, la jeune femme avait gardé un œil sur le Rat. Elle se jeta alors que les bras du monarque se refermaient à l'endroit où elle s'était trouvée quelques secondes plus tôt. William retrouvait peu à peu son souffle et se retrouvait à observer la scène avec angoisse. Il était encore incapable de se relever. Il jeta rapidement un regard autour de lui, à la recherche d'une quelconque arme. Un revolver se trouvait à une demi-douzaine de pas de lui. Il se traîna péniblement jusque-là, se relevant peu ou prou sur le trajet. Attrapant l'arme, il se concentra de nouveau sur le combat, ajustant sa visée après s'être adossé à la commode sur laquelle il avait trouvé le pistolet. La jeune femme se trouvait en difficulté, acculée par un adversaire démesurément fort. William trouva un angle de tir et garda leur adversaire dans la ligne de mire. Rostand avait complètement oublié la présence du jeune homme, lancé dans sa frénésie destructrice. L'artilleur assura son tir et appuya sur la gâchette.

              "Maintenant!"

              Sariah lança un violent coup d'estoc en direction du cœur du monarque. Ce dernier, toujours alerte malgré la balle qui lui avait vaporisé plusieurs os avant de se loger dans une de ses côtes, réussit à se décaler légèrement. La lame pénétra profondément au travers de sa cage thoracique, le transperçant presque de part en part. Un filet de sang s'échappa de la bouche du monarque. Il avisa la jeune femme qui ne bougeait plus, accablée par la fatigue et ses blessures. Il leva une de ses pattes, voulant profiter de l'occasion pour se débarrasser de son ex-lieutenant. William courait déjà droit dans sa direction, ayant retrouvé un second souffle en voyant sa compagnonne en danger de mort. Il leva son cimeterre à son tour et sauta droit vers le bras, lançant une puissante taillade sur le membre. Une gerbe de sang, mêlée de fragments d'os, accompagna la main et la moitié de l'avant-bras droit vers le sol. Le Rat poussa un rugissement terrible alors que l'artificier projetait sa promise sur le côté avant de parer un coup de la patte encore valide. Il entailla profondément le poignet de la bête alors que ses griffes plongeaient de nouveau dans la blessure ouverte. Poussant sur ses limites, il plantant la pointe de son cimeterre à la base de la gorge du rat, trop bas pour sectionner la carotide et trop haut pour section l'aorte. Mais les liaisons sanguines de la région étaient assez nombreuses pour ralentir la circulation du sang vers le cerveau. Le Rat redevint un simple homme et s'effondra sur le sol, haletant dans une respiration caverneuse. Sariah s'était évanouie, submergée par la fatigue. William agrippa le col déchiré de Rostand et porta son visage près du sien.

              "Où est-ce qu'elle est?"

              "Dans la pièce d'à-côté. Mais laisse moi te dire quelque chose.."

              Sa voix était saccadée, incapable d'achever plus de deux syllabes à chaque expiration. Le jeune homme se concentra sur les dernière paroles de l'homme à l'agonie.

              "L'Escadre est réelle. Sinon, comment aurais-je pu bâtir un tel empire à l'abri des autorités?"

              Avant qu'il n'ait pu en dire plus, ses yeux s'agitèrent vivement une dernière fois avant de s'éteindre soudainement.

              "Le Rat est mort, vive le Roi."
                William se releva prestement, laissant le cadavre derrière lui pour retrouver Éléonore. Rostand avait faiblement pointé une porte avant de rendre l'âme. Le jeune artificier enfonça la porte et fut figé par la stupeur. C'était un petit cabinet, rempli de jouets divers. Absolument pas la cellule vierge à laquelle il s'attendait. Mais au delà de ça, c'était la forme brisée sur le lit à baldaquins qui l'avait stoppé net dans sa course. C'était une fillette, d'environ sept ans, qui ressemblait par trop d'aspects à Sariah pour ne pas être sa fille. Elle était là, couverte de son propre sang, massacrée dans ce qu'elle avait dû connaître comme l'unique chambre de sa vie. Massacrée dans son innocence. Le jeune homme vit rouge et il frappa violemment le mur, se brisant une phalange au passage. Il frappa encore quelque fois de ses poings fermés en retenant un cri de douleur. Il était profondément affecté par la tournure des événements. Quelque part, au fond de lui, il espérait qu'elle ne soit pas déjà morte. Il voulait encore voir des miracles dans le monde, il voulait croire que toute bonté n'était pas vouée à périr. Ses yeux ne s’humidifièrent pas. Il s'avança transi vers la jeune dépouille et la coucha dans ses draps, lui fermant les yeux au passage. Il récupéra le médaillon qui portait une photo d'elle et de sa mère et avisa la chambre. Il remarqua sur le bureau une étrange mallette, assortie d'un paquet en carton. Il l'ouvrit et observa l'instrument de navigation étrange qui se présentait à lui. Il lui semblait savoir qu'il servait à voguer sur les mers de Grand Line, sans qu'il sache comment s'en servir. Il décida de le garder et l'enfonça dans une de ses poches. Il s'empara de la mallette et attrapa l'une des torches qui éclairaient la salle principale. Il la lança sur le lit d’Éléonore et referma la porte avant de se diriger vers Sariah, qui restait toujours inconsciente.

                "Je suis désolé Sariah..."

                Il l'attrapa de son bras valide et la fit glisser sur son épaule, marchant péniblement jusqu'à l'escalier pour remonter les marches qui le séparaient de Fliherty et des autres. Il grimpa les marches une à une, la mallette dans sa main invalide et sa compagnonne sur l'autre épaule. Tout son corps semblait sur le point de s'effondre mais il résistait, trop désireux de trouver enfin la liberté. Au bout de longues minutes il émergea enfin dans la salle du trône. Le combat était terminé, mais il n'y avait de traces de personne autour de lui. William regarda les cadavres qui s'amassaient pour essayer de deviner la présence du soldat au sein des victimes. Mais il ne le trouva nulle part. Alors qu'il pensait éprouver une certaine satisfaction, il s'en trouva plutôt indifférent. Il continua sa route et pénétra dans la cavité principale en proie aux flammes et à la désolation. La plupart des affrontements étaient terminés et les rebelles avaient pris l'avantage sur les fanatiques. Quelque part au milieu du carnage, un homme semblait rallier les forces pour en finir avec les derniers rats.

                "Il s'en est sorti le démon.."

                William s'était habitué à la charge qu'il portait aussi il continua d'avancer tranquillement. Il n'avait pas pris la précaution de revêtir les toges habituelles avant de sortir mais la mode semblait avoir changé au sein des tunnels. Les robes ne semblaient plus portées que par les asservisseurs. Il continua de marcher, s'approchant petit à petit du tunnel qu'empruntaient certains fuyards. Le jeune homme les avait observés. Il avisaient la foule qui se pressaient vers le couloir principal et se dirigeaient systématiquement vers ce petit trou dérobé dans la falaise. C'était forcément un passage plus rapide et moins dangereux vers l'extérieur. Sariah bougea sa tête et émit une légère plainte. William lui caressa rapidement les cheveux avant de continuer d'avancer.

                "Je vais te sortir de là."

                Le jeune artilleur finit par attendre le tunnel et s'y engouffra sans attendre. C'était une cavité longue, assez haute mais plutôt étroite. Ils avançaient lentement, tournant pendant au moins une bonne heure dans le dédale. Au bout d'un moment, William crut distinguer une lueur devant lui. Ils débouchèrent sur un long tunnel parfaitement taillé dans la roche. Un canal le traversait dans la longueur, alors que des échoppes et des habitations bordaient ses berges. Un drapeau du gouvernement flottait au dessus d'une casemate de fortune. L'artilleur avisa la bourgade et commença à descendre aussi silencieusement que possible le chemin de terre qui débouchait du tunnel. Il ne tenait pas à se faire prendre avec sa compagne, tout les deux couverts de sang jusqu'aux pieds, blessés et portant une mallette au contenu inconnu. Il arriva au niveau du long tunnel et commença à longer la paroi. Alors qu'il avait seulement parcouru une dizaine de mètre, il remarqua les deux gardes de la Marine qui lui tournaient le dos quelques mètres plus loin seulement. Il déposa lentement Sariah et attrapa le cimeterre, qu'il avait pris le soin de ramasser en même temps que la rapière de la jeune femme. Il s'approcha aussi silencieusement que possible des deux hommes. Le premier des deux hommes s'étouffa dans son sang alors que la lame lui sectionnait la gorge. Son collègue se retourna dans une expression de terreur et eut à peine le temps de sentir le froid de l'acier s'enfoncer dans son torse.

                Après quelques minutes, William reprit sa route. Il venait de briser le dernier maillon qui le rattachait à la légalité. Ces deux hommes ne se trouvaient tout simplement pas au bon endroit au bon moment. Le jeune artilleur marcha droit vers ce qu'il savait être la sortie de la Flaque. Et il s'enfonça dans les ténèbres qui ne le quitteraient plus.