Hurlements dans la jungle

Cher journal,

Cela fait un jour et deux nuits que la tempête s'abat sans discontinuer, emportant le navire dans un torrent furieux qui le malmène et le secoue comme s'il n'était qu'un vulgaire canard en plastique dans le siphon d'une baignoire qui se vide ! Le ciel noir est zébré d'éclairs qui illuminent par intermittence les vagues sombres qui se soulèvent et se déversent, creusant de profondes fosses qui semblent vouloir nous avaler avant que que d’autres vagues ne viennent les combler dans un vacarme assourdissant, pour en faire naître aussitôt de nouvelles ! Nous avons fini par voir en les nuages, le vent et la mer un esprit capricieux qui s'acharne sur nous avec cruauté, ce qui à propos de la mer qui forme la route de tous les périls n'est pas si aberrant tout compte fait.

Dans la dunette arrière, ni le capitaine, ni son second, ni le maître barreur ne semblent en mener large. De leur propre aveu notre situation est précaire, ils sont dépassés, et nous sommes à la merci des excentricités de la météo jusqu'à ce qu'elle daigne nous libérer, à moins qu'elle ne nous noie avant. Me tenant la plupart du temps en leur compagnie, j'affiche un air calme et serein qui en déconcerte plus d'un. Oh, évidemment que je suis inquiète moi aussi, journal ! Mais comme je n'y connais absolument rien en navigation, je sais que je ne serais d'aucune influence pour nous sortir de cette situation. Dans ce cas, autant utiliser mon énergie pour justifier à peu de frais la réputation des agents du Cipher Pol auprès de mes compagnons de voyage plutôt que de brasser du vent !

"- Que dit le log pose ?" demande la capitaine pour ce qui me semble être la quinzième fois de la journée.
"- C'est à n'y rien comprendre !" constate son second dépité. " Tantôt l'aiguille pointe à bâbord, tantôt droit devant, tantôt derrière. Soit il est déréglé, soit la tempête est en train de nous jouer un sale tour !"

A l'origine, j'avais pris place à bord de ce navire de la marine qui devait relier l'Archipel aux Eveillés et les Pythons Rocheux parce que cela semblait être une occasion en or: un voyage tous frais payés par le gouvernement, effectué en toute sécurité en compagnie de soldats aguerris, une cabine plutôt confortable, et l'occasion de faire valoir mon statut d'agent d'élite, ce qui n'arrive pas si souvent quand on passe son temps à faire des missions secrètes ! Si j’avais su j’aurais prolongé mon séjour à l’archipel de quelques jours, ou bien j’aurais demandé une autre destination !

Soudain, un marin entre en trombe dans la pièce. Son manteau est en vrac, sale et recouvert de poussière. Il salue avec empressement et balbutie:

"- Capitaine ! Je viens au rapport !
- Qu'est-ce qu'il y a encore ?
- Nous sommes pris... dans une tempête de sable !"

Eh bien tu vois journal, ça, sur la route de tous les périls, c'est un événement parfaitement normal. Autant que d'alterner les brusques changements météorologiques, de se faire harceler par une tempête, de voir tomber de la neige sous un soleil radieux ou de croiser des poissons-vagues ! Je jette malgré tout un regard curieux par la porte ouverte pour constater que, effectivement, la pluie qui balayait presque sans discontinuer le pont a été remplacée par un rideau de sable qui s'abat avec violence sur notre navire ! Le vacarme est assourdissant, comme si la tempête elle même hurlait à notre encontre telle une créature féroce qui chercherait à nous atteindre !

Je tourne de nouveau mon regard soigneusement neutre en direction de la capitaine et réalise que, apparemment, pour elle une tempête de sable en pleine route de tous les périls semble loin d'être un événement normal !
Et puis tout à coup, un horrible craquement retentit ! J'entends une voix horrifiée crier :

"- Le mât est en train de céder !"

Même une parfaite ignare du fonctionnement d'un navire comme moi est capable de deviner qu'il s'agit de quelque chose de grave. Vite ! Je boutonne mon manteau jusqu'au col et je sors avec les autres marins pour leur venir en aide ! Je sais bien journal que ça ne correspond pas vraiment à l'image de dame élégante que je veux donner, mais si on fait naufrage en pleine mer je n'aurais de toute manière pas l'air très élégante !

Roooaaaaarrrr !!!

Le grondement du vent est terrifiant, semblable au cri d'une énorme bête sauvage ! Le pont est balayé par des rafales de vent charriant des brassées de sable ! Je peine à garder mon équilibre alors que chaque nouvelle bourrasque de sable semble déterminée à m'emporter ! Une main devant les yeux, l'autre tendue devant moi pour me protéger d'un éventuel obstacle, j'avance péniblement en suivant la silhouette du marin juste devant moi que je distingue à peine.

Roooaaaaarrrr ! Fsshhhhhshh !

J'ai du sable plein le nez et la bouche, pouah ! Avancer devient de plus en plus laborieux ; je finis par poser les genoux au sol et à avancer accroupie pour donner moins de prise au vent.

Roooaaaaarrrrshhhhhh !

Le vent souffle tellement fort, le sable s'insinue tellement partout sur mon visage que je n'avance même plus ! C'est idiot, je suis bonne à rien. Je n'aurais jamais dû sortir, je n'aide même pas et je me met en danger ! Je ne dois pas rester sur le pont sinon je vais me faire emporter par la tempête !! A cette idée je sens un frisson de panique me parcourir le corps... Vite ! Toujours à quatre pattes, j'entreprends de me retourner laborieusement et de prendre la direction de la cabine... quand soudain je me sens jetée à la renverse !

Fsshhhhhshh !

Le choc que j'attendais ne vient pas. Au lieu d’atterrir violemment par terre je suis ballottée dans tous les sens, incapable de distinguer le haut et le bas, emportée par la tempête de sable sans savoir où je suis ni où je vais !


Dernière édition par Caramélie le Ven 13 Nov 2020 - 20:52, édité 2 fois
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Cher journal,

J'ignore combien de temps j'ai volé. Assez pour éliminer tous les grains de sable infiltrés dans mes yeux, ma bouche, mon nez, mes oreilles et mes cheveux en tout cas ! Je ne l'ai pas tout de suite réalisé tant cela s'est fait instinctivement, mais je dois remercier ma forme gazeuse d'avoir pris le relai une fois que je me suis retrouvée éjectée hors de la tempête. Si je ne m'étais pas transformée en un nuage de gaz plus léger que l'air, je me serais simplement retrouvée projetée dans l'océan ! Bon évidemment sans mon fruit du démon j'aurais parfaitement su nager et peut-être pu espérer remonter à bord du navire, mais vu les légendes que l'on raconte à propos des créatures horribles et tentaculesques qui peuplent le dessous de la surface de la route de tous les périls, pour une fois je suis bien contente de ne pas pouvoir m'y aventurer quoi qu'il arrive ! Tout comme je suis contente de ne pas avoir mangé un autre fruit que le mien. Alors c'est sûr, c'est facile de faire la maline: "regardez comme je suis une belle humaine-tigresse! Et je suis super forte en plus, roar !" "Et moi alors, j’ai le pouvoir de transformer tout ce que je regarde en un champ de ruine" ! Peut-être, mais à ma place vous vous seriez noyés !
Bien sûr que non c'est n'est pas de la mesquinerie, journal. Je ne suis jamais mesquine !

La tempête a filé tellement vite que je n'avais aucun moyen de la suivre, et avec elle le navire si bien que j'ai à présent peu de chances de le retrouver. J’en suis donc réduite à me laisser porter au gré du vent, dans l'espoir de trouver une île ou n'importe quoi d'autre avant qu'un orage ne s'abatte sur moi, qu'un éclair ne me pulvérise, ou que je meure de faim, de soif et d’épuisement, déportée sans fin au dessus de l'océan.

Au moins, de la hauteur où je suis je peux profiter d'une vue magnifique sur l'océan. Et puisque le calme plat est revenu, je peux admirer à perte de vue de l'eau, de l'eau, de l'eau et encore de l'eau ! De l'... on dirait une espèce de tâche là bas... ?! Osant à peine croire ma chance je décide de me donner un peu de vitesse en poussant quelques geppou pour me propulser, et me diriger aussi rapidement que je peux vers ce qui, en me rapprochant, est bel et bien une tache verte et blanche au milieu de l'océan saphir !
Je suis sauvée, journal ! Et même si j'ai 90% de chances de tomber sur une île déserte, et que sur les 10% restants il y a une chance sur deux que cette île soit hostile et remplie de détraqués, au moins je ne vais pas mourir noyée et dévorée par les monstres-poissons-tentacules !

♦♦♦♦

Mon approche prudente de l'île me donne un assez bon aperçu de l'endroit où je me trouve. Dominée par deux montagnes jumelles qui ressemblent aux silhouettes de deux créatures géantes endormies, elle est presque entièrement recouverte par une jungle d'arbres dont le feuillage d'un vert pimpant s'étend sur presque toute sa surface. Pas de ville ou de village en vue, ni de navire amarré dans un coin. Même pas de petit hôtel "Paradiso 5 étoiles, piscine bar & sorbets glacés à volonté pour tous nos clients".
Bah, c'est toujours mieux que les poissons !

Lors de ma descente, je repère une petite crique relativement dégagée où je décide d'atterrir. Fiou, ça fait du bien de retrouver une forme normale ! J'ai beau commencer à m'y habituer, c'est vraiment perturbant de sentir son corps sous une forme inconsistante et étalée un peu partout dans l’air !

Bon. Devant moi il y a la plage, une étendue de sable blanc parsemée de quelques galets et autres saletés de mer à base d'algues. Devant moi un petit remblai à moitié sablonneux-moitié herbeux, où poussent quelques palmiers et buissons. Et encore plus loin, à une vingtaine de mètres environs, une forêt dense aux allures de jungle.
J'ai encore du mal à le réaliser, mais ce matin je me suis réveillée dans un lit confortable, j'avais plein de projets et de responsabilités, et maintenant je suis naufragée sur une île déserte tandis que mon champ de priorités vient de changer radicalement. Quelle poisse !
En plus de ça je commence à avoir faim et soif, et comme il n'y a rien à manger sur cette plage je crois que je vais être obligée de m'aventurer dans l'intérieur des terres...


Dernière édition par Caramélie le Ven 13 Nov 2020 - 20:51, édité 2 fois
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Cher journal,

Le monstre pousse un grognement sonore qui fait trembler la terre et les arbres, et s'enfuir les oiseaux aux alentours ! Je n'avais jamais vu un être vivant aussi gigantesque ! Si je ne n’avais pas eu connaissance de l'existence des dinosaures, ces créatures géantes qui peuplaient la terre dans les temps anciens, j'aurais eu la certitude qu'il s'agissait d'un dragon ou d'un démon. Peut-être même le démon des fruits du démon, venu récupérer son dû après que j'aie trop usé de son pouvoir !
... D'ailleurs tu es vraiment sûr que ce n’est pas ça, journal ?
Non, sans doute pas, mais est-ce que tu trouves ça vraiment rassurant pour autant ? Démon ou créature bien réelle -mais censée être éteinte depuis des millénaires-, je suis face à un dinosaure avec une immense mâchoire garnie de longues dents pointues !

Le plus calmement possible, m'efforçant de contenir la peur sourde qui naît dans mon ventre comme une boule de plus en plus lourde à porter, je m'efforce de reculer  tandis que les tout petits yeux meurtriers de la bête me braquent avec intensité. Je fais un pas, puis un deuxième, un troisième, ensuite je me retourne... et je COURS ! Je cours aussi vite que je peux !!! J'entends avec horreur le monstre s’élancer derrière moi et chacun de ses bonds résonne dans la jungle comme un coup de tonnerre annonciateur de la fin du monde ! De la fin de mon monde à moi en tout cas en tout cas, et du tiens aussi journal si la personne qui t’écris meurt écrasée ou dévorée !!! Je fuis plus vite que je n'ai jamais fui, et le monstre sur mes talons pousse un cri cauchemardesque:

MUUUUAAAAAAARRRRRRHHHHH !!!

Son rugissement me vrille les oreilles. Il est trop près, beaucoup trop ! Il… Le soru le plus rapide et le moins élégant que j'aie jamais réalisé me propulse à l'abri d'un large tronc, me permettant d'échapper de justesse à sa mâchoire qui claque dans le vide !
Quelle horreur ! J'ai à peine le temps de reprendre mon souffle, de chercher de quel côté fuir et de me demander si, sous ma forme gazeuse, je pourrais me propulser assez haut pour traverser la canopée et me réfugier au dessus des cimes, quand soudain le tronc disparaît littéralement, pulvérisé par une immense patte de tyrannosaurus rex qui se pose devant moi d'un air vengeur !!!

Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça, journal ?! A quel moment ai-je pris la mauvaise décision dans ma vie pour que moi, l'amatrice des baignoires d'eau tiède, des vêtements neufs et des thés glacés, je me retrouve à courir pour ma vie dans cette terrible jungle préhistorique avec ce monstre à ma poursuite ?!

Je détale de plus belle, alternant les soru à un rythme beaucoup trop dangereux pour une personne qui n'a rien mangé de la journée ! Je me suis cognée au moins six fois sur un tronc d'arbre, vautrée deux fois dans un buisson piquant, et si mon corps n'était pas faite de gaz il ne resterait plus que de la Carabouillie !
Mais je t'entends venir journal, avec tes gros sabots. Si je suis faite de gaz, pourquoi je ne me contente pas d'ignorer le dinosaure ? Et moi je te réponds: tu as vu la taille de ses dents ?! Tu voudrais vraiment que je me laisse dévorer par lui, pour voir si je suis bien immunisée ?! Tu as vraiment envie que je prenne le risque de passer les douze prochaines heures dans son système digestif ?!!!

A force de déambuler au hasard entre les arbres avec un monstre meurtrier aux talons, je finis par atteindre la plage. Vite, grâce à un dernier soru suivi de quelques geppous je me jette au dessus des vagues et me maintient en l'air tandis que je prends de la distance par rapport à la plage. Le tyrannosaure, lui, fait quelques pas dans l’eau mais est bien forcé de rester sur le bord.

"- MUUUUAAAAAAARRRRRRHHHHH !!! ROAAAAARRRR ! GRAAAAAAA !!!"

"- C'est ça, braille tant que tu veux ! Mais moi je suis à l'abri, nananère !"
"- MUAAAAARAAAAARAAAH !!!"
"- Na na na, tu m'attraperas pas !"

Et, summum de l'humiliation pour lui, je lui tire copieusement la langue !

Spoiler:

♦♦♦♦


Cher journal,

Je lui ai échappé... je crois ! Le dinosaure a fini par se lasser de me voir lui faire des gestes obscènes en l'invectivant, et il est reparti dans la jungle de sa démarche pesante. Une fois certaine d'être en sécurité, je suis retournée me poser sur la plage ; me voilà donc de nouveau à ne pas trop savoir quoi faire. La plage n'offre pas grand chose d'intéressant, mais la forêt est beaucoup trop dangereuse !

"- Vous n'auriez pas dû être aussi vilaine avec lui vous savez ? Alex est très susceptible.
- Aaaaaah !"

Je me retourne en hurlant, pour me retrouver face à la bouille sympathique d'une homme barbu, entre deux âges, aux vêtements rapiécés quoique propres et copieusement agrémentés de feuilles. Il est également coiffé d'un fier chapeau en cuir.

"- Vous m'avez fait peur !
- Je vois ça, héhéhé !
- Qui êtes-vous ? Et qu'est-ce que vous faites là ? Vous m'épiez depuis longtemps ?
- Euh... juste assez pour vous avoir vu faire des doigts d'honneur à Alex.
- Alex ? Quel genre de type bizarre donne des prénoms à des monstres horribles comme lui ? Et d'où vous le connaissez ? Répondez un peu à mes questions avant que je ne continue d'en rajouter !!
- Eh bien, euuh, c'est-à-dire que j'ai déjà oublié les premières. Vous savez, je n'ai plus trop l'habitude de tenir une conversation avec de vrais gens. Enfin j'imagine que vous êtes une vraie personne, pas un fantôme ? Parce que je vous ai vue flotter au dessus de la mer tout à l'heure mais je dis que, d'un autre côté, un fantôme n'aurait sans doute pas eu peur de moi."

Je le gratifie d'un regard un peu hautain. On ne traite pas les gens de fantôme comme ça !

"- Au fait, moi c'est Jones. Little Garden Jones, comme on m'appelle par ici.
- Parce qu'il y a d'autres personnes ici ? A part Alex hein, je veux dire. Des humains.
- Bein... jamais très longtemps."

Attends voir journal... Little Garden ?! Comme Little Garden, l'île la plus pourrie, la plus perdue et la plus dangereuse de la route de tous les périls ?! Celle dont la simple recharge du log pose prend un an, et que tous les équipages sains d'esprit s'efforcent d'éviter ?!

"- Mais vous vous en sortez bien ! D'habitude les gens ne résistent pas à Alex. Il va vous en vouloir vous savez ? C'est lui le roi des dinosaures, et il prend très à cœur le fait de le faire savoir.
- Vous avez l'air de drôlement bien le connaître ?
- Et comment ! Ça fait douze ans que je vis ici !"

Bon... voilà qui ne m'aide pas à nourrir beaucoup d'espoirs quant à mes perspectives de retrouver rapidement le confort de la civilisation. D'autant que j'en suis encore à me demander dans quelle mesure je suis vraiment heureuse de rencontrer un autre être humain.
Après un court silence je demande:

"- Vous avez fait naufrage vous aussi ?
- Pas du tout ! En fait, j'ai été laissé ici par mon équipage. J'étais le matelot... enfin je veux dire le serg... cap... l'amiral Jones autrefois ! Mais je n'ai jamais trop aimé la vie militaire, ni la vie citadine tout court d'ailleurs. Alors quand j'ai découvert cette île sauvage où tout était à faire, et où la vie était un combat de tous les instants contre les créatures les plus formidables que j'aie jamais vues, je n'ai pas hésité !"

Je crois que mon expression dubitative n'est pas exactement ce qu’il espérait. Alors pour donner un peu de crédit à son affirmation, il commence à donner quelques coups de machette dans le vide, comme pour découper un dinosaure invisible:

"- Haha ! Tchac ! Han ! Tchoc !
- Et dites, à tout hasard, vous n'auriez pas à manger quelque part ?
- Je suis un ermite vous savez, ce n’est pas dans mes habitudes de…"

Il semble réfléchir, et puis son regard s’illumine tandis que son visage se fend d'un grand sourire étonnament bien entretenu:

"- D’un autre côté, ce n'est pas tous les jours que j'ai l'occasion d'inviter une jolie demoiselle à ma table !"

Le regard glacial que je lui décoche lui fait comprendre qu'il peut tout de suite oublier le "jolie demoiselle". Mais va pour l’invitation !
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Cher journal,

Il nous faut quelques heures pour parvenir à destination, si bien que le soir tombe lorsque je découvre enfin la demeure de Jones. Cette dernière est beaucoup moins misérable que ce que j'aurais pu attendre de la part d'un homme qui vit en naufragé volontaire au milieu de la pire jungle des océans: c'est une petite cabane perchée dans les arbres, à une hauteur suffisante pour la tenir à l'abri de prédateurs tels qu'Alex. De forme carrée, faite de rondins de bois solidement attachés, elle est recouverte d'une copieuse couverture de feuilles et de fougères qui la rend pratiquement invisible vu de l'extérieur, et à vrai dire sans mon guide je serais certainement passée à côté sans la voir.
On y accède grâce à une corde que Jones me tend aimablement:

"- Après vous mademoiselle !"

Je décline, autant parce que grimper ce genre de truc en robe ce n'est pas pratique que parce que j'ai ma propre solution: me faisant soudainement bien plus légère, je quitte le sol tel un ballon gonflé à l'hélium et me dirige avec grâce vers la trappe qui permet d'accéder à l'abri. Mon compagnon semble un peu dépité, je ne sais pas trop de quoi, mais il ne dit rien et monte par ses propres moyens.

L'intérieur de la cabane est plus spécieux que je l'imaginais vu du sol ! Il est doté du strict minimum en matière de confort: une table avec un tabouret, un lit et une cantine ; on y trouve aussi un râtelier à armes et à outils, et ce qui ressemble à un petit atelier. Son constructeur l'a même dotée d'une ouverture amovible dans l’un des murs par laquelle je peux observer la mer de feuillages, percée çà et là de trous qui sont autant de fenêtres vers l'intérieur de la jungle.

"- Qu'est-ce que je vous sers ? J'ai de la viande séchée, des racines séchées, des champignons séchés et de la confiote."
"- Séchée elle aussi ?"

Il ouvre le pot et grimace:

"- J'en ai bien peur..."

Nous nous asseyons face à face (moi sur un tabouret, lui sur son lit) et tandis que nous étalons des cubes de confiture découpés au couteau sur nos tranches de viande séchée, Jones me livre quelques commentaires sur sa vie dans la jungle.

"- Honnêtement, la bouffe est le seul manque que je ressens ici. Si je devais recommencer ce que j’ai fait ici, je m'arrangerais pour atterrir avec une plus grande variété de provisions et de quoi planter un potager. Le reste je pourrais m'y faire: le bruit la nuit je m'y suis habitué, pareil pour le lit qui me cisaille le dos. Les hivers sont pratiquement inexistants et l'été la canopée me protège de la canicule. Quant aux dinosaures, une fois qu'on les connait ça se passe bien. Même la nourriture en fait je pourrais m'y faire, mais il y a un truc qui me manque par dessus tout."

Je hoche la tête, ce qui semble lui convenir et il poursuit:

"- Ça fait six ans que j'ai vidé ma dernière bouteille d'alcool. Six ans, trois mois, une semaine et trois jours que je n'ai pas pu boire un bon whisky d'Alba ! Mon Dieu je donnerai n'importe quoi pour me remplir à nouveau la gorge d'une bonne boisson !"

Je n'ose pas imaginer ce que donnerait un Little Garden Jones chargé au whisky dans une jungle remplie de dinosaures après dix ans de sevrage, mais je me garde de tout commentaire. Et puis c'est un grand garçon, il fait ce qu'il a envie.

"- Vous n'avez jamais de visites ici ? Personne avec qui marchander ?
- Peuh ! J'ai laissé l'argent et les autres inventions de la société derrière moi en venant ici ! Et puis à part des pirates une fois de temps en temps, il ne vient pas grand monde sur cette île."

La femme d’affaires en moi commence déjà à cogiter, et je suggère dans un murmure:

"- Vous savez, moi, si j'avais la possibilité de vous faire livrer une caisse d'alcool tous les six mois en échange d'un ou deux petits services je le ferais.
- Ah oui ?"

CRAAAAAAAAAC !

C'est comme si le tonnerre s'était abattu sur la cabane ! Au craquement suit une violente secousse, comme si quelque chose essayait d'arracher le toit de la cabane, et tout le reste avec ! Je me prépare déjà à sauter par l’ouverture dans le mur pour me mettre à l'abri, mais Jones me devance et tend le cou à l'extérieur. Il jure copieusement (ce dont je t’épargnerai au maximum dans mon récit, journal) et s'exclame:

"- Encore elle ? Saleté de crotte de bique*
- C'est un autre de vos amis dinosaures ? Vous ne croyez pas qu'on devrait se mettre à l'abri ?
- Ce n'est pas une amie ! Cette chipie* de Garance est encore en train de bouffer mon toit !"

Je regarde à mon tour par l'ouverture et découvre avec effroi un monstre au long cou, le corps haut de quatre ou cinq mètres pour une longueur que je n'arrive même pas à déterminer et la tête perchée à notre hauteur, occupé à se régaler en engloutissant la garniture de feuilles ! Son oeil noir, qui semble minuscule comparé au reste de son corps, brille de satisfaction et semble nous ignorer complètement.

Spoiler:


Jones sort sur le toit armé d'un bâton et commence à l'invectiver:

"- Va-t-en d'ici vilaine bête* ! C'est ma maison, dégage ! Il y a plein d'autres arbres à manger ailleurs !!"

Je ne peux retenir un rire amusé devant le spectacle de cet homme insolite en train d'agiter une arme aussi ridicule devant un brachiosaure dont la tête trône à plus d’une dizaine de mètres de haut et qui l'ignore royalement. Mon hôte s'en rend compte et me jette un regard courroucé:

"- C'est ça, ne m'aidez pas !"

La pauvre Garance ne semble pas particulièrement dangereuse et je n’ai rien contre elle, mais il s'agit de protéger le seul lieu habitable de toute l'île et le bien de mon seul allié ici !
Prenant la forme d'un gracieux nuage de gaz aux teintes fluorescentes, je quitte la cabane dans les arbres et serpente parmi le feuillage jusqu'à me porter à la hauteur de la dinosaure. Je vise la mâchoire à l'extrémité de son immense cou, et ma main avec l'index tendu émerge sous forme humaine du nuage de gaz pour projeter un shigan de toute beauté !

GYAAAAAAAAAAAAH !!!!

Ma puissante attaque ne cause qu'une blessure superficielle dans son épaisse peau, pourtant le glapissement de la bête est horrible ! Je m'attendais à ce que ça l’effraie et la repousse, un peu comme les vaches avec des barbelés tu vois ? Mais avec une vache un peu plus grosse et un barbelé un peu plus agressif... Sauf que là elle recule brusquement, piétine les arbres derrière elle... puis revient à la charge avec fureur !

"- Noooon ! Qu'est-ce que vous avez fait ?!" S'affole Jones avec effroi alors que la bête se rue sur sa maison !

Je réfléchis aussi vite que je peux alors tandis que mon cœur bat à toute allure dans ma poitrine. Le rokushiki n'est pas assez dévastateur pour un monstre pareil, c'est un art martial plutôt destiné aux humains. Quant à mes pouvoirs gazeux, ils ne sont pas assez rapides pour l'arrêter net avant qu'elle ne ravage définitivement la seule demeure habitable de toute l'île ! A moins que...

J’aligne mes poings fermés et tends les bras de manière à former la posture du rokugan, la plus dévastatrice des techniques du rokushiki. Puis je concentre entre mes mains une énorme quantité de gaz explosif, la plus grande quantité que je puisse réunir en un espace le plus réduit possible...

"- Ca..."

Mes poings commencent à irradier de lumière, et même Garance tourne ses petits yeux noirs dans ma direction.

"- ...ra..."

Je sens l'immense quantité de gaz bourdonner entre mes poings comme une bombe prête à exploser !

"- ...méhaméha !"

L'énergie explosive est projetée sous la forme d'un puissant rayon ! Ce dernier traverse l'espace qui me sépare de l'énorme dinosaure et lui percute le flanc dans un bruit de fin du monde !

FSSSHSHHHHBAAAAAAAAAM !

GYAAAAAAAAAAAAH !!!!

Un nuage de fumée noire et une horrible odeur de roussi émanent de l’immense corps de la dinosaure. Celle ci vacille, tremble, manque de s'écraser sur le côté et ne doit son salut qu'à la présence de plusieurs arbres qu'elle écrase et qui lui permettent de rester sur ses quatre pattes.
Je n’ai pas très bien visé et n’ai fait que l’effleurer, mais une bonne partie de son flanc gauche, de son épaule jusqu'à son abdomen, est creusée par sillon noir et fumant à l'aspect horrible. Quelle horreur... j'en viens même à culpabiliser un peu d'avoir fait ça, surtout quand j'entends les terribles glapissements de ma victime ! Je veux dire... tuer des humains ok, surtout quand c'est pour le travail, j'ai été entraînée à ça. Mais de pauvres petits animaux, de gentilles petites bêtes innocentes avec un nom en plus, ça c'est vraiment ignoble !

GYAAAAAAAAAAAAH !!!!

Quoi qu'il en soit, Garance a eu son compte. Avec un empressement maladroit, elle dévie sa course et s'échappe au milieu des arbres en semant derrière elle des branches arrachées, des fougères déracinées et une infecte odeur de chair brûlée...
♦♦♦♦

Techniques utilisées:
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Cher journal,

Il a fallu toute la matinée du lendemain et même le début de l'après-midi pour permettre à Jones de réparer les dégâts causés à sa cabane. C'est fou le bazar que peut mettre une simple mangeuse de feuilles en si peu de temps quand elle a un corps aussi énorme ! Bonne pâte, j'ai participé à l'ouvrage et je crois que ma contribution aérienne a été appréciée. Par ailleurs, je crois que la démonstration de ma puissance destructrice a nettement augmenté le respect dont mon compagnon fait preuve à mon égard ! Je le comprends, moi même je n'aurais pas imaginé pouvoir causer des dégâts pareils ! Bien ajustée, mon attaque aurait même pu tuer la pauvre Garance ! Si je recroise ce satané Alex il va entendre parler du pays... !
Non journal, je n'ai pas oublié ce que j'ai dit à propos de faire du mal aux pauvres animaux qui ont un nom. Mais Alex est un méchant animal dangereux avec un nom... ! Et puis si au Cipher Pol on avait des principes ça se saurait.

En attendant, il est temps de récolter les fruits de mon travail. Non pas que je ne commence pas à éprouver un certain attachement pour Little Garden et pour ses résidents, mais chaque minute de ma vie que je passe ici plutôt que dans un endroit confortable avec un bon thé glacé et une part de gâteau au chocolat entre les mains est une minute gâchée !

"- Dites, Jones ? Je vous ai bien aidée n'est-ce pas ? J'ai bien mérité votre aide en échange."

Jones, installé à côté de moi sur le toit de la cabane et affairé à lier plusieurs branchages entre eux, me jette un regard suspicieux:

"- Je vous ai déjà aidée. Je vous ai offert un abri et de la confiture sèche."

Je réplique, malicieuse:

"- Mais sans moi votre confiture serait dans le ventre d'une dinosaure !"

Il hésite à répliquer, mais je devine à notre échange de regards qu'il me sait prête à jouer la peste jusqu'au bout. Il soupire et grogne:

"- Bon, allez, dites moi ce que vous avez en tête ?"
"- Je veux que vous m'aidiez à quitter l'île ! Il me faut un moyen de signaler ma présence, ou mieux encore une embarcation et un log pose. En gros, tout ce qui pourrait mettre les chances de notre côté pour vous permettre de continuer à vivre votre vie tranquille d'ermite et moi ma vie tranquille de citadine !"

Je regrette que mon escargophone et mon log pose soient restés avec le reste de mes affaires sur le navire qui me transportait, mais de toute manière j'ignore s'ils m'auraient beaucoup aidée ici. quoi qu’il en soit je vais bien être obligée de composer sans eux.
Jones soupire de nouveau, semble hésiter, et finit par me dire:

"- Je ne possède ni bateau, ni log pose, ni contact avec la civilisation."

Il m'interrompt d'un geste de la main:

"- Cependant, il arrive de temps à autre qu'un équipage débarque ici et ne reparte jamais. Le temps de recharge d'un log pose est long sur Little Garden, très long. Et pendant l'année entière que cela dure seuls les plus forts et les plus déterminés peuvent survivre aux dangers de l'île... ou à eux-mêmes.
- Vous voulez dire qu'il existe des navires abandonnés ici ? Avec du matériel récupérable, et peut être même un nécessaire de navigation ?!
- Sans doute, mais je ne peux pas vous garantir leur état. Autrefois j'effectuais des raids pour récupérer du matériel et du wh... des choses de première nécessité pour survivre... quand on a le gosier desséché. Bref ! Mais tout ça c'était avant que le fléau qu’est la Tempête Meurtrière ne s’abatte sur cette île..."

Je sens qu'il meurt d'envie que je lui pose la question, alors j'attends volontairement que son effet dramatique s'estompe, se transforme en un silence gênant et qu'il reprenne:

"- Aliena, la Tempête Meurtrière, la plus terrible et la plus dangereuse des dinosaures à jamais avoir foulé le sol de Little Garden !
- Encore une de vos amies dinosaures ?
- Sûrement pas ! Cette créature est un monstre ! Ce n'est pas une simple bête: elle se déplace sous la forme d'une gigantesque tempête de sable, parcourant l'île et se ruant sur ses proies comme la mort elle-même ! Elle ne laisse derrière elle que des étendues de jungle ravagées et des cadavres à demi déchiquetés ! Elle tue pour le plaisir vous voyez ?! Depuis qu'elle a commencé à sévir, elle a attaqué et massacré tous les navires qui se sont approchés de l'île ! La plupart gisent au fond de l'eau ou ont été  fracassés sur le rivage. Quant aux membres d'équipage, je pourrais vous raconter en détail comment elle les éviscère avant de les abandonner à demi agonisants, les tripes à l'air et leur sang qui...
-Non merci, ça ira pour les détails...
- Non ? Dommage. Bref, quand elle a commis suffisamment de carnages à l'intérieur des terres elle s'aventure parfois au large, en volant sous la forme d’une immense tempête de sable. Elle se laisse porter par le vent et attaque les navires qui passent au loin. Son territoire de chasse dépasse largement l'île !"

Attends... attends journal... il est en train de me dire que la tempête de sable qui s'est abattue sur mon bateau et qui m'a emportée dans les airs c'était... un dinosaure ?! Quel genre de pouvoir affreux peut permettre à de tels monstres de faire des choses pareilles ?!

"- Et où est elle en ce moment, cette Aliena ?"
"- Elle a quitté Little Garden la veille de votre arrivée. Il lui arrive parfois de s'absenter plusieurs jours. Souvent je me prends à espérer qu'elle s'est noyée et que la malédiction de son fichu fruit du démon a eu raison d'elle. Mais elle revient toujours, portée par le vent."

Jones se lève, se hisse au sommet du toit de sa cabane, et me désigne de la pointe de sa machette la côte est.

"- C'est là que l'on trouve la plupart des navires échoués ou abandonnés de ses victimes. Je ne peux pas garantir leur état, ni ce que vous allez y trouver. Ni qui vous allez y trouver... Mais si vous faites vite, vous pourrez peut-être échapper à sa folie meurtrière. Votre seul espoir est d'avoir pris le large avant qu'elle ne revienne..."
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Cher journal,

Me voilà repartie à crapahuter dans la jungle. Je serais certainement allé plus vite en volant par-dessus la canopée mais Jones y a opposé son veto: les ptérodactyles sont souvent de sortie, et ils ne feraient qu'une bouchée de nous s'ils nous voyaient ! Au moins le naufragé volontaire a décidé de m'accompagner, et rien que pour ça je suis prête à lui tolérer quelques caprices. Il n'a pas été trop difficile à convaincre dès l'instant où j'ai suggéré de lui laisser toutes les bouteilles d'alcool que nous pourrions trouver ! Je me félicite de l'avoir avec moi car il me guide avec aisance et efficacité, dégageant le chemin avec sa machette ou me montrant par quel espace me faufiler entre les branchages pour me déplacer sans alerter la faune sauvage. A mi-parcours, je réalise que je pourrais me contenter de tout traverser sous ma forme gazeuse -telle un spectre ou presque- sans subir aucune gêne notable, mais je sens bien que cela vexe mon compagnon alors je m'en dispense tant qu'il est avec moi.

Plusieurs heures de marche sont nécessaires pour rejoindre notre destination, et ces dernières m'apprennent une nouvelle chose: disposer des pouvoirs d'un logia n'immunise pas contre les douleurs aux pieds quand on marche dans la jungle en chaussures à talon !

La côte est est formée d'une surélévation de trois ou quatre mètres, juste à la lisière de la jungle, qui plonge en pente abrupte dans la mer. Il n'y a pas de plage en bas, juste quelques rochers acérés sur lesquels s'abattent les vagues. Entre nous journal, je préférais la plage par où je suis arrivée !

Jones me désigne de sa machette une masse sombre plus loin sur la côte:

"- Vous voyez ce navire échoué là-bas ? C'est ce genre d'épaves que l'on cherche.
- Mais il est tout cassé ! Je ne pourrais jamais naviguer dans une ruine pareille !
- Ce n'est pas le but. Vous ne pourriez pas le manier seule et il est hors de question que je parte avec vous. Mais les épaves comme celle-là abritent parfois du matériel encore utilisable. On trouvera peut-être leur log pose et, si vous avez de la chance, un canot de sauvetage en état."

Charmant. Je ne veux pas faire la rabat joie, donc je garde mes commentaires pour toi journal, mais la perspective de devoir fouiller des épaves dans un état de délabrement plus ou moins avancé, au milieu d'une mer moyennement calme, dans la perspective assez improbable d'y trouver du matériel, ne me réjouit pas trop !

"- En plus c'est pratique, vu que vous savez voler vous pourrez nous déposer directement dessus ! J'ai failli finir noyé plusieurs fois en essayant de nager au milieu des courants provoqués par les vagues entre les rochers ! Sans parler de la fois où mes bouteilles se sont brisées au retour !"

Je ne suis pas sereine du tout !

"- Je ne peux pas du tout nager vous savez, et l'eau de mer me fait fait perdre mes forces. Il n'est pas question que je monte sur un bateau dont le pont est certainement moulu, ni que je m'approche de ces vagues !
- Allons, vous n'êtes pas en sucre ! Vous n'allez pas fondre !
- Si !
- Bon... bon..." -il me donne l'impression assez vexante de s'adresser à une enfant- "dans ce cas vous n'aurez qu'à rester dans les airs et chercher tout ce que vous pourrez à la surface du bateau, et je m'occuperai de l'intérieur. Mais pas touche à l'alcool compris ?!
- Je pense que c'est complètement imprudent de faire ça, même pour vous. Enfin... après tout c'est vous qui voyez. Mais si jamais vous passez à travers le plancher moulu, il ne faudra pas venir vous plaindre que "ouin ouin je me suis noyé et en plus personne n'est venu me repêcher" !"

Jones m'ignore pendant plusieurs secondes, comme s'il ne m'avait pas écoutée, et finit par me lâcher d'un ton sec:

"- Chut.
- Comment ça, "chut" ? Je sais bien que vous avez perdu l'habitude des relations sociales bien élevées, mais ce n'est pas..."

Étrangement mon compagnon paraît plus inquiet qu'agacé. Il insiste:

"- Faites moins de bruit par pitié, j'entends...
- MUUUUAAAAAAARRRRRRHHHHH !!!"

Spoiler:

Le monstre enjambe le rideau d'arbres qui nous empêchait de le voir. Il est toujours aussi énorme et n'a rien perdu de son aura menaçante ! Campé sur ses énormes pattes aux griffes meurtrières dans une posture agressive, ouvrant dans notre direction sa gueule énorme et garnie de poignards, il me dévisage avec un œil franchement mauvais...

Il choisit bien son moment pour revenir, fichu Alex ! Tu crois qu'il se souvient de moi journal ? Tu penses qu'un simple animal comme lui peut se rappeler que je me suis moquée de lui et m'en garder rancune ?! Tu crois vraiment qu'il va vouloir se venger ?

Je n'ai pas beaucoup de temps pour me poser des questions car le dinosaure... charge !
Gnap ! D'un féroce coup de mâchoire il cisaille l'endroit où je me trouvais l'instant d'avant ! Mi-flottant, mi-roulant sur moi-même, je m'écarte en rasant l'herbe et me redresse à quelques pas du monstre. Je constate que Jones a évité l'attaque lui aussi et qu'il détale vers les arbres. Il fait bien, mais il ne semble pas craindre grand chose car Alex en a après moi et moi seule !

Je commence à générer du gaz explosif entre mes mains, mais déjà le monstre est sur moi. Il est rapide ! Sa patte s'abat avec violence sur le sol et creuse une profonde ornière tandis que je fais un nouveau roulé boulé dans l'herbe ! A peine remise sur mes pieds je riposte ! Mon attaque la plus rapide, le rankyaku, fend l'espace qui nous sépare avec une élégance consommée ! Mais le monstre voit le coup venir et, faisant preuve d'une intelligence inattendue, bondit pour l'éviter et se rue sur moi !
Alex atterrit furieusement sur le sol et l'instant d'après sa gueule grande ouverte fauche tout ce qui se trouve devant lui ! Mais je n'y suis plus, et je m'efforce par des geppous frénétiques de mettre de la distance et surtout de la hauteur entre nous deux. Ici la canopée ne devrait pas me gêner, alors si j'arrive à prendre suffisamment de hauteur pour me mettre à l'abri de ses attaques je pourrais riposter sans danger...

"- MUUUUAAAAAAARRRRRRHHHHH !!!"

Il a pensé à la même chose que moi ! Et alors que je me pensais déjà presque à l'abri, je le vois prendre son élan en pliant ses énormes cuisses de dinosaure... et bondir de toute sa puissance dans les airs ! Il fonce sur moi à la manière d'un missile, la gueule grande ouverte ! Tant pis pour la finesse journal: je relâche tout le gaz explosif que j'avais accumulé entre mes mains en un nuage que j'essaie de maintenir entre lui et moi, et lorsqu'il est trop près...

CARABOUUUM !

Le souffle de l'explosion, bien trop proche de moi au moment de la détonation, m'a projetée au sol. Au moins je suis indemne. Je me relève aussi vite que je peux et constate qu'Alex fait de même ! Il a la gueule fumante et noircie, mais il est bien vivant et plus furieux que jamais !

Puisque la fuite ne marche pas, je vais tenter l'attaque frontale avec tout ce que j'ai. Me concentrant de toutes mes forces et accumulant autant de gaz que je peux entre mes poings, je me prépare à lui asséner la plus dévastatrice de mes attaques explosives ! Alex, lui, prend déjà appui sur ses pattes pour se projeter vers moi avec ses sept tonnes de furie meurtrière d'un autre âge. Et puis soudain j'entends Jones me crier, depuis la branche d'arbre où il s'est abrité:

"- Soumettez vous ! Dites-lui qu'il est le roi des animaux, il vous épargnera peut-être !"

Sans tourner la tête vers lui ni cesser de préparer mon attaque je lui réponds, perplexe:

"- Parce que vous pensez qu'il comprend ce qu'on lui dit ? C'est un animal... et puis comment ça "peut-être" ?
- Il vous attaque par ego ! Il ne peut même pas vous manger, vous êtes en fumée !
- C'est du gaz. Et je n'ai pas envie de vérifier !
- J'ai eu plein de fois l'occasion de le voir à l'œuvre. Je sais comment il fonctionne. Faites ce que je vous dis !"

N'étant pas très sereine à l'idée de prendre le risque d'encaisser son attaque et puisque jusque-là Jones a eu l'air de savoir ce qu'il faisait, je tente ma chance. Et puis si ça ne marche pas, il me restera toujours les explosions ! Sans cesser de me préparer à lui administrer le plus flamboyant caraméhaméha jamais projeté, je fais malgré tout l'effort de m'agenouiller et de courber légèrement l'échine devant le tyrannosaure. Ce geste, qui me paraît complètement hors de propos dans ce contexte, a des relents de la vie que je menais parmi la noblesse de Goa, et je crois que l'effet produit me fait me sentir encore moins à ma place ! Sans parler des mots que je marmonne de la voix la moins convaincante du monde:

"- Oh là là oui, c'est toi le roi des dinosaures Alex !"

A ma grande surprise, le monstre interrompt sont assaut. Il reste un moment interdit, le regard fixe, et laisse échapper un faible.

"- Grrrr...!"

Puis il tourne les talons et disparaît entre les arbres, aussi simplement qu'il est venu.

Je n'en crois pas mes yeux ! Je n'aurais jamais cru que quelque chose d'aussi bizarre allait marcher ! Enfin j'y ai forcément un peu cru puisque j'ai fait ce que Jones me disait, mais à vrai dire je pense que je l'ai surtout fait pour me donner bonne conscience ! Et puis là...

A la fois soulagée et exultante de bonheur, je tourne mon regard réjoui vers mon compagnon toujours perché dans son arbre:

"- Impressionnant ! Comment avez vous su que ça marcherait ?
- Je ne comprends pas non plus. D'habitude quand les autres dinosaures font ça Alex les..."

Je jette un regard interrogateur à l'ermite mais celui-ci a les yeux perdus dans le vague, le visage concentré. Je m'apprête à lui dire ce que je pense des gens qui s'interrompent en plein milieu quand nous entendons soudain, en provenance du large:

Roooaaaaarrrr !

... et le visage de Jones prend une expression horrifiée tandis qu'il dit d'une voix suppliante:

"- Oh non... pas elle..."
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Cher journal,


En quelques instants la tempête est sur nous. C'est une immense tornade qui domine même les arbres en hauteur et qui vole quelques mètres au-dessus de l'eau, charriant d'immenses quantités de sable. Le fait de savoir qu'il s'agit d'un être vivant, conscient, agressif, et suffisamment redoutable pour effrayer un baroudeur comme Jones et une brute comme Alex, la rend encore plus terrifiante !
J'ignore ce qu'elle peut voir sous cette forme, mais je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle nous a vus car elle avance droit dans notre direction, en poussant son grondement, semblable à un rugissement amplifié par le sifflement du vent !

"- C'est quoi votre technique pour ce monstre là ? Il faut lui dire qu'elle est la reine des dinosaures à elle aussi ?"

Pas de réponse. Je me retourne vers l'arbre où mon compagnon était caché; mais il n'y est plus.

"- Jones ? Little Garden Jones ? Matel... serg... "amiral" Jones ?"

Pas de réponse.

"- Hum... oh là là je viens de trouver une bouteille de whisky ! Elle a l'air délicieuse !
- Mettez-vous à l'abri ! Cachez-vous au ras du sol ! Personne ne court assez vite pour lui échapper. Et ne me parlez plus, je ne suis pas là !" Me répond un tapis de fougères à quelques mètres de moi.

Mon instinct me suggère de suivre son conseil, mais quelque chose m'en empêche. Si cette dinosaure-tempête de sable attaque et détruit tous les navires qui s'approchent de l'île, alors mon seul espoir de sortie est de de débarrasser elle. Je sais bien que c'est de la folie journal, et je n'ai sans doute jamais rencontré quelqu'un -ou quelque chose- d'aussi puissant et dangereux. Mais entre ça et la perspective de passer les vingt prochaines années en compagnie de Jones, Alex, Garance et les autres, je me dis que ça vaut vraiment la peine d'essayer ! Et puis tu sais, je suis devenue forte moi aussi !
D'ailleurs je tiens peut être une occasion unique. Hé ho, je ne suis pas suicidaire, journal ! Ça me vexe même que tu aies pu l'imaginer ! La bête est au-dessus de l'eau et si c'est bien un fruit du démon qui lui donne son pouvoir alors elle est plus vulnérable que jamais ! Si j'arrive à l'abattre en plein vol, ce serait l'élimination d'un logia la plus magistrale jamais faite !

La bête n'est plus qu'à une centaine de mètres du rivage et elle se rapproche vite. La tempête est immense, elle domine la forêt de toute sa hauteur, mais au moins ça devrait faire une cible facile à viser...
Avec le sourire de celle qui a trouvé la faille dans le système et qui s'apprête à faire une grosse farce, j'adopte une nouvelle fois la pose de ce qui semble destiné à devenir ma technique fétiche. Je me tiens les bras tendus en avant, l'un au-dessus de l'autre, les poings fermés et très légèrement écartés ; le gaz explosif que j'y concentre atteint une telle quantité que mes poings commencent à irradier de lumière ! Mes bras commencent à trembler sous l'effet de l'accumulation d'autant de puissance ! Lorsque je suis certaine d'avoir atteint la concentration maximale, je relâche le tout en un rayon concentré !

FSSHSHH... CARABAAAAAAAAAM !

Le rayon d'énergie gazeuse atteint la tempête de plein fouet ! L'immense tourbillon de sable dévie sa course et vient s'écraser sur la rive. Il renverse les arbres, broie les feuillages et projette des débris de terre et de végétaux dans toutes les directions !

Moi qui pensais qu'elle ne pourrait pas m'effrayer davantage, voilà qu'elle pousse des hurlements de douleur... non, de rage, qui doivent s'entendre à travers toute la jungle !

Roooaaaaarrrr ! Roa ! Roa ! Roooaaaaarrrrhhh !

Des débris de la tempête émerge un énorme monticule de sable, informe au début, mais qui prend peu à peu l'aspect d'un dinosaure de quatre, cinq, six... sept mètres de hauteur ! Alex passerait pour un gringalet à côté de cette colosse furieuse, perchée sur des pattes arrière épaisses et agiles, brandissant ses pattes avant dotées de griffes épaisses et tranchantes comme des faux ! Son dos est surmonté d'une haute crête encore fumante de sable tandis qu'elle achève de se reconstituer, et qui donne l'impression que la fureur la consume de l'intérieur. Sa longue et terrifiante mâchoire -celle d'un crocodile taille XXL- claque dans ma direction en écumant des gerbes de bave et de sable, tandis que ses yeux jaunes, grands et animés d'une folie assassine, me lacèrent du regard avec une telle intensité que je ressens une peur sourde s'installer en moi. Une terreur paralysante. La sensation d'être un misérable proie face au monstre le plus terrifiant et le plus meurtrier que je puisse trouver.
Tu crois qu'il est trop tard pour aller me cacher avec Jones, journal ?

Roooaaaaarrrrhhhh !

Spoiler:

Bon, je l'ai cherché cet affrontement après tout. On a pas dit que je prenais toujours de bonnes décisions ! (Cette dernière remarque tu la gardes pour toi journal j'ai une réputation à tenir !) Évidemment la dinosaure a les pouvoirs d'un logia comme moi, alors je peux tout de suite oublier ma panoplie d'attaques classiques. Restent mes pouvoirs gazeux. Et puisque je n'ai pas réussi à la faire tomber à l'eau, je vais devoir passer au plan B. Que j'ai prévu évidemment, et qui...

Les lames d'air et de sable, semblables à de gigantesques griffes, partent si vite dans ma direction que j'ai à peine le temps de remarquer le mouvement de patte que la spinosaure a fait pour les produire ! Vite ! Je riposte aussi sec en... prenant la fuite ! Je ne dois surtout pas la laisser me toucher et disperser mon gaz, car si ça m'arrive elle pourra me projeter au loin aussi facilement qu'elle l'a fait sur le bateau, et rien ne garantit que je trouve une autre île pour m'accueillir cette fois ! Sans parler du risque qu'elle me dévore purement et simplement... !

Je me plaque au sol au dernier moment, et les griffes de sable passent au-dessus de moi en sifflant. D'autres lames d'air fondent aussitôt dans ma direction, accompagnées d'un plus gros projectile... Aliena en personne, qui bondit tel un missile ! Un soru me permet d'éviter son attaque qui pulvérise l'endroit où je me trouvais ! Je riposte à mon tour et lui projette un rankyaku avec une élégance qui ne me fait pas défaut malgré le danger de la situation ! Non mais regarde moi journal, cette courbe parfaite, ce tranchant qui semble découper même l'air qu'il traverse... !
La bête ne se donne même pas la peine d'éviter l'attaque qui ne fait que disperser l'espace d'un instant les grains de sable qui constituent sa patte gauche. C'est terriblement frustrant !! J'espérais gagner un peu de temps pour déclencher une manipulation gazeuse un peu plus subtile, en vain. Une autre série de lames d'air fondent sur moi, accompagnées d'une tornade de sable vraisemblablement constituée à partir du flanc gauche de la bête. Des projectiles déchiquètent les arbres et les plantes autour de moi, et il me faut toute la souplesse du kamie, (l'art du cipher pol qui permet de déformer son corps comme une feuille de papier -le tout exécuté avec une grâce de danseuse étoile bien évidemment !-) doublée de mes aptitudes de logia, pour interdire au moindre grain de sable de me toucher !

Même si j'ai évité les lames d'air, c'est la tornade qui pose le vrai problème: elle ne se contente pas de se ruer dans ma direction: elle me poursuit ! Je cours, enjambe un tronc déraciné, lance un soru, un deuxième, manque de m'encastrer dans un arbre, saute encore, marche sur un tapis de fougères qui pousse des cris de protestation "Je vous ai dit de vous en aller, c'est ma cachette ici !", et quand je crois avoir épuisé la ténacité de la tornade... je tombe nez à nez avec deux autres qui me foncent dessus !

Roooaaaaarrrrhhh !!

Je ne vais pas pouvoir éviter trois tornades à la fois, alors je contre attaque: d'élégante voûtes de gaz blanc, légèrement mauve et diffusant une délicate odeur fruitée -légèrement exotique- s'échappent de ma silhouette. J'en relâche le plus possible, et lorsque la première tornade m'arrive dessus je fuis d'un rapide soru, en laissant tout le gaz explosif se faire absorber par le sable en mouvement. Et puis...

CARABOUM !!
♦♦♦♦

Cararsenal et lexique du rokushiki:
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Cher journal,


Je n'avais jamais autant couru depuis mes années d'entraînement au Cipher Pol ! Je galope au milieu des feuilles mortes, enjambe un faisceau d'arbustes, vire à gauche au dernier moment pour éviter une énième tornade, et repars de plus belle !
Faire exploser la tornade m'a accordé un petit répit, mais ce genre d'attaque n'est pas suffisante pour mettre la dinosaure en difficulté. Il va bien falloir que je trouve une solution pourtant car je n'ai vraiment pas intérêt à ce que l'affrontement s'éternise, parce que si nous nous lançons dans un duel d'endurance à base de "qui détruit le plus de fois l'autre" je n'ai aucun doute sur le fait que c'est la grosse bête de sept mètres de haut qui aura l'avantage ! Il y a ça, et puis le fait qu'à ce rythme toute la côte va être ravagée par les attaques dévastatrices que déploie mon adversaire en furie !

Cependant, je ne cours pas en vain. Derrière moi se répand pratiquement en continu une traînée de gaz qui se disperse dans d'air ambiant, quand il n'est pas aspiré et dispersé par les tornades. Pour le moment je ne cherche pas à riposter, pas encore. Je prépare le terrain. Et si dans ma cavalcade où à chaque instant je manque de me faire découper, exploser ou happer par des vagues de sable meurtrier, je m'efforce de toujours couvrir la même zone proche de la côte. Et au fur et à mesure, un odorat aiguisé n'aura pas manqué de remarquer le parfum de gaz qui commence à saturer l'air ambiant...

Comme je ne riposte plus, la bête en colère met les bouchées doubles pour m'atteindre: elle ne se contente pas de lâcher ses projectiles à mes trousses: elle me court après ! C'est une vision d'horreur que de voir cette énorme bête lâchée à toute vitesse qui couvre en une seule enjambée plusieurs des miennes tout en écrasant toute la végétation sur son passage !

BAM !!! je manque de me faire aplatir par une énorme boule de sable qui explose devant moi ! Je me jette sur le côté au dernier moment, manque de me faire happer par la déflagration, me relève en m'efforçant d'ignorer la douleur liée à ma chute, aux branchages qui me fouettent la peau et à la pointe de côté qui me vrille la poitrine, et je repars sans réfléchir.
Des bombes de sable ! La malade, elle me balance des bombes de sable ! Comment fait-elle pour avoir autant de matière à sa disposition ?! Quelle quantité est-elle capable de manipuler simultanément, d'ailleurs ?! On n'est même pas sur une plage ici !!
Question bête journal, je sais. Son corps est immensément plus grand que le mien, son expérience de manipulation de son pouvoir est le fruit de longs mois de massacres, ... et ce n'est pas le moment de réfléchir à ça alors qu'elle est juste à quelques dizaines de mètres derrière moi !!!

BAM ! Je saute sur le côté ! BAM ! Cette fois je suis obligée de vider mes forces dans un soru qui me met à l'abri au dernier moment ! Je me réceptionne à plat sur le ventre, accorde une demi seconde à déplorer l'étant dans lequel va finir ma tenue, me relève avec la souplesse d'une chatte aux abois et cours de plus belle ! BAM encore ! Cette fois le projectile porte trop loin, mais me force à bifurquer à droite pour ne pas marcher dans le tas de sable qui s'anime devant moi !


A force de tout détruire autour de nous, la visibilité commence à devenir mauvaise. Il y a tellement de poussière et de débris de végétaux qui restent en suspension dans l'air et qui...

... oh non, quelle idiote !!!
Au moment où je me fais cette réflexion, d'énormes pattes griffues et sableuses me saisissent à la taille ! Catastrophe ! Pourtant c'était prévisible: je ne suis pas la seule à avoir essayé d'aménager le terrain à mon avantage et la dinosaure a elle aussi entrepris de disséminer son sable un peu partout pour me piéger ! Couvrant une large zone pour mieux me coincer, ses pattes n'ont pris qu'un instant pour se reformer et m'attraper !
Étrangement je ne suis pas aussi terrifiée que je le devrais. Je crois que la situation est tellement irréaliste que je ne réalise pas que je suis coincée par la poigne implacable d'un monstre aux pouvoirs magiques. Même cette phrase est complètement invraisemblable à écrire !

De toute façon je n'ai pas à réaliser très longtemps. A la manière d'une cohorte de fantômes jaune-gris, plusieurs nuages de sables viennent nous rejoindre pour former le reste du corps d'Aliena. Elle me dévisage une seconde, et je jurerais voir un éclat de satisfaction dans son regard... avant qu'elle ne me lacère de ses puissantes griffes et éparpille mon corps en morceaux !

Évidemment que je ne meurs pas, journal. Mon corps gazeux se reconstitue presque aussitôt à quelques mètres de l'emplacement du meurtre, et je crois pouvoir interpréter dans l'absence de réaction immédiate de mon adversaire de la surprise. C'est sans doute la première fois qu'elle rencontre un autre logia que le sien, et jusque là je m'étais gardée de lui dévoiler cet aspect de mon pouvoir !
Pour ma part, je dois aussi t'avouer que je suis bien soulagée de ne pas être morte ! J'ai beau avoir conscience de mes capacités, il y a une différence entre savoir et être à l'aise de l'expérimenter !

A mon tour de faire mal ! J'ai accumulé suffisamment de gaz soporifique autour de nous pour que même une force de la nature comme Aliena ne puisse en ignorer les effets ! Je lève théâtralement mon bras en l'air, et dans un geste de commandement aussi inutile que terriblement classe, rappelle à moi tout le gaz pour qu'il s'abatte en plein sur mon adversaire ! A ton avis journal, ça a besoin de respirer un tas de sable ?

GNAP !

Il fait tout noir. Et chaud, et très humide.

Elle m'a mangée toute crue !!! Elle m'a gobée d'un seul coup de mâchoire, si vite que je ne l'ai même pas vue faire !!!

Ça ne va pas du tout ! Ça ne devait pas se passer comme ça ! Je fais quoi maintenant ?!
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Cher journal,


Les secondes s'écoulent, terriblement longues et angoissantes. Et puis comme rien ne se produit j'en viens presque à me résigner. Je me surprends à me dire que j'aurais peut-être dû écouter mon père quand il me disait de faire carrière comme officier dans la marine, que c'était une profession plus stable: la vie à la caserne, un poste à responsabilités qui n'en sont pas, de la paperasse, et l'ennui bienheureux qui est le propre des vies sans danger.

L'avantage d'être ici, c'est que j'ai le temps de me poser des questions intéressantes. Est-ce que, par exemple, je vais me disloquer au moment où Aliena va se transformer en tempête ? Ou bien je vais simplement tomber de son corps et être libre ? A moins que son système digestif ne se trouve dans une dimension parallèle ? Il y a beaucoup à apprendre sur les logias et je suis bien placée pour faire progresser la science là où je suis !

Soudain j'ai une illumination. Mais non, pas à propos de la digestion gros malin de journal ! Qui ça intéresse vraiment ?! Mais je me dis que même si je ne peux plus sentir ni contrôler le gaz soporifique que j'ai produit à l'extérieur, il me reste du gaz à foison là où je suis: j'ai toujours mon propre corps que je peux manipuler et modifier ! Et puisque je peux toujours me déplacer et me transformer d'une part, et que d'autre part elle m'a mangée sans me demander mon avis, je vais lui faire avaler le plat le plus indigeste qu'elle ait jamais connu !

Pssshshhhhhht !!! Le gaz s'écoule à toute vitesse à travers le corps de mon hôte. Ma ravisseuse. Ma consommatrice. Bref ! Il remonte l'œsophage, atteint la trachée, et de là gagne les poumons. En un instant, l'équivalent complet du litrage d'une Caramélie en gaz soporifique se déverse à l'intérieur de son système respiratoire ! Je ressens un mélange d'appréhension mais aussi d'intense excitation à mesure que j'attends les effets qui ne tardent pas: ma prison se met à vaciller, à basculer dangereusement d'un côté puis de l'autre, avant de finalement s'écrouler violemment sur le sol !

♦♦♦♦

Pour la postérité, on dira que je suis sortie triomphalement en éventrant le flanc de la bête. Et que mon entrée était parfaitement calculée pour produire ce résultat ! C'est ce que je raconterai dans mes mémoires en tout cas, et à quiconque entendra mon histoire. Mais pour toi journal, je peux quand même avouer que je n'ai pas osé la faire exploser de l'intérieur pour m'en extraire de peur de la réveiller. Aucune blessure ne l'aurait empêchée de se reconstituer instantanément, et tout aurait été à refaire ! Je suis donc simplement sortie par une voie naturelle.

Je parle de ses narines évidemment, ne va pas t'imaginer des trucs !!!

Le monstre est là, endormi, étalé au sol comme s'il était mort sauf que sa respiration lourde et profonde ne laisse aucun doute sur son véritable état. N'ayant aucun moyen qui me vienne à l'esprit pour mettre efficacement fin à ses jours, je crois que je vais simplement lui faire respirer encore une bonne dose de cara-somnifère et puis la laisser sur place. Si quelqu'un veut prendre sa vie, qu'il se manifeste, moi j'ai eu mon compte !

Je retrouve un Jones hagard, en train de s'extraire de sous un amas de débris végétaux. Je crois un instant lire du respect dans son regard, et puis mon espoir s'éteint aussi vite alors qu'il marmonne en regardant son corps inanimé:

"- Vous l'avez eue ? Comme quoi elle n'était pas si forte que ça finalement."

Tu sais quoi journal ? Je me fiche de l'avis de ce vieux crétin ! D'ailleurs je raconterai à la postérité comment il s'est caché lâchement pendant que je faisais tout le travail, et je n'aurai même pas besoin d'enjoliver pour une fois !
Après tout, ma propre satisfaction me suffit comme récompense, surtout quand je réalise l'ampleur de ce que je viens de faire (et peu importe la manière !). Si j'ai réussi à battre le monstre le plus fort de tout Little Garden, ça veut dire que c'est moi le nouveau monstre le plus fort de l'île ?!

D'un commun accord, nous décidons de ne pas nous éterniser ici et de retourner à nos occupations en prenant le chemin de l'épave. Mais au moment où nous quittons la clairière dévastée, une silhouette trop familière émerge d'entre les arbres. Alex... encore lui !!! Ce n'est pas la mâchoire infernale qu'on devrait l'appeler, mais la mâchoire super-collante !
Il balaie la zone du regard, mais à ma grande surprise nous ignore complètement et se dirige vers Aliena endormie d'un pas décidé. Avec la même détermination il pose le sommet de sa tête contre le flanc de la spinosaure, plie ses puissantes pattes, et pousse. Il la pousse énergiquement, sans un grognement, suivant une idée qui semble l'obséder ! Il avance ainsi, centimètre par centimètre, et réussit à l'amener jusqu'au rivage, en haut de la pente qui tombe droit sur l'océan. Là, il la pousse encore... et la fait tomber dans l'eau !

"- MUUUUAAAAAARRRRRHHHH !!!"

Victoire pour le roi des dinosaures, je suppose.
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Cher journal,

La fatigue a fini par me rattraper, j'ai donc laissé Jones finir le travail tout seul. J'estime avoir largement mérité ma sieste au pied d'un arbre, et d'ailleurs mon compagnon n'a pas cherché à me contester ce droit. Avec un certain entrain, il a exhumé différents outils ainsi que plusieurs caisses en plus ou moins bon état de la carcasse du navire, qu'il a ensuite ramenées jusqu'à la côte grâce à un système de cordes coulissantes reliées à un arbre.

Lorsqu'il arrive avec son dernier chargement, je vais pour l'aider quand je remarque une silhouette qui se détache au loin sur la mer. J'écarquille les yeux un moment, n'osant croire ce que je vois, et puis je m'exclame:

"- Là bas ! Un bateau !
- Ah non hein, pas tout de suite ! Je fais au moins une pause avant de visiter une deuxième épave.
- Mais non ! Il y a un bateau qui approche !"

Plus les minutes passent et plus c'est une certitude. J'ai envoyé plusieurs nuages de gaz coloré en l'air pour signaler notre présence, et le navire a ostensiblement modifié sa cours pour se diriger dans notre direction. Il a l'air en très mauvais état: l'un de ses mâts est manquant, plusieurs de ses voiles sont sévèrement abîmées, mais au moins il flotte. Mieux encore, il s'agit d'un navire de la marine... je n'ai même aucun doute sur le fait qu'il s'agit du mien ! Je suis soulagée de voir qu'ils ont réussi à survivre à Aliena, et plus encore que la dinosaure-tempête en furie ne les ait pas trop fait dévier de ma propre trajectoire !

Little Garden Jones ne semble pas aussi heureux que moi. Il se désintéresse rapidement du nouvel arrivant en approche pour entreprendre d'ouvrir une à une les caisses récupérées sur le navire échoué. Caisses qui font toutes étrangement des bruits de bouteilles en verre qui s'entrechoquent quand on les manipule !
La première révèle un enchevêtrement de bouteilles brisées. La seconde des bibelots en verre, la troisième de la vaisselle et la quatrième des bouteilles en verre remplies de, si je me fie à l'étiquette, "eau de source Jouvencia, l'eau pure et saine pleine de bio-médico-éléments, qui prend soin du corps, aide à rester en bonne santé, donne une seconde jeunesse et fait revenir l'être aimé".
Voilà de quoi dépiter notre amateur de whisky !

De mon côté, si je compatis évidemment à la détresse de mon compagnon, j'y vois une opportunité à saisir. J'ai eu le temps de réfléchir à la situation de de mûrir mon projet, et je crois qu'au risque de me comporter comme une rapace je tiens une bonne opportunité. L'air compatissante, je lui dis:

"- Je suis vraiment désolée que vous n'ayez pas trouvé ce que vous cherchiez. Vous devez vraiment vous sentir frustré.
- Grmpf. Tous ces efforts pour rien. Les dieux des océans ont dû décider que je ne boirai plus jamais de toute ma vie !
- C'est trop injuste ! Vous ne méritez pas ça !" -je lui adresse un sourire réconfortant- "Et si je vous disais que j'ai peut-être une solution ?
- Pas question que je retourne à la civilisation !
- Évidemment que non ! Mais j'ai beaucoup réfléchi, et j'envisage d'installer un petit comptoir sur la côte. Oh trois fois rien, et surtout rien qui dérange votre retraite sauvage ! Mais ce petit comptoir recevrait de l'approvisionnement de temps à autre: du matériel, deux trois bricoles à vendre aux tourist... marins de passage, et quelques caisses de whisky. Alors évidemment, si vous pouviez me faire bénéficier de votre expertise pour ce projet, je suis certaine que cette cargaison pourrait vous être entièrement réservée !"

Jones semble hésiter un moment, et je devine à l'expression de son visage qu'il pèse le pour et le contre. D'un côté la volonté de préserver le caractère sauvage, aventureux et loin des autres humains de son existence, et de l'autre son besoin de plus en plus douloureux de soulager son addiction.
Je le pousse un peu:

"- Bien évidemment, si vous préférez profiter de l'occasion pour vous lancer dans un sevrage d'alcool...
- C'est bon. J'accepte !"

Nous nous serrons la main, puis nous nous asseyons et restons là en silence, à siroter de l'eau de source Jouvencia tandis que le navire qui vient me récupérer s'approche doucement de nous.
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