L'alcool coulait à flots, c'était le moins que l'on pouvait dire. Le Gin Hakhram, l'unique véritable saloon de Bella Union, était connu pour être un lieu animé. Tout ce qui avait de l'importance à Union John avait peu de chances de se passer ailleurs qu'entre ces murs. Son propriétaire était une véritable araignée qui contrôlait plus ou moins toute l'île. Une sorte de maire, auraient dit certains, un véritable petit tyran pour d'autres, tout dépendait finalement des liens que l'on pouvait entretenir avec lui. Pour Méria, son statut d'homme ne laissait aucun doute sur le fait qu'il devait en réalité être la pire des pourritures. Comment aurait-il pu en être autrement après tout ? Un homme était toujours une roulure, point à la ligne. Malgré tout, il fallait reconnaître que Rackham n'était pas dénué d'intérêt. Il était puissant, influent et fortuné, tout à fait le genre de personnage que la jeune femme aimait se mettre dans la poche. Par conséquent, lors de son séjour de plusieurs mois sur Union John, il lui était parfois arrivé de travailler pour lui. C'était finalement en grande partie grâce à lui, et surtout aux prix qu'il faisait à la pirate, qu'elle avait pu se tourner les pouces si longtemps. Malheureusement pour elle, l'oisiveté ne pouvait durer éternellement. Son ardoise ayant furieusement grossi lors des dernières semaines, la relation entre la Marianne et le Gris avait sérieusement pris du plomb dans l'aile.
Ne prêtant guère attention à sa dette grandissante, la rouquine continuait de flamber l'argent qu'elle n'avait plus, agaçant toujours plus le propriétaire des lieux. Passablement ivre, la jeune femme s'approcha d'un mineur trapu. L'homme était particulièrement musclé et avait les traits durs. S'avançant vers lui avec grâce, Méria s'arrêta à côté de lui en se posant légèrement en avant sur le comptoir, offrant une vue suggestive au quidam. Le bougre ne manqua pas de se rincer l’œil. Les hommes étaient si prévisibles.
« Dis-moi... Tu ne penses pas qu'on devrait passer un peu de temps ensemble ? Tu sais, je sais me montrer très reconnaissante quand on est est généreux avec moi, et j'ai siiiiiiii soif. »
Le mineur plissa les yeux en observant la pirate. Il n'avait vraiment pas l'air convaincu, plutôt mal à l'aise à vrai dire. Serrant fermement son verre entre ses doigts, il renifla bruyamment.
« Tu m'as déjà fait le coup. »
Le cerveau imbibé d'alcool, la jeune femme grimaça en reculant légèrement. Elle avait beau le regarder en détail, il ne lui rappelait rien. Quelle idée de voir autant aussi !
« Hein ?
- On te connaît tous ici, Méria.
- Méria ? Oh mais c'est qu'on est intimes ! Mademoiselle Marianne pour toi, espèce de mange-merde. Maintenant tu vas payer toutes mes consommations à venir où je te noie dans l'abreuvoir pour chevaux devant le saloon. »
La douce et mielleuse charmante demoiselle venait de céder la place en un rien de temps à un misandre colérique sur le point d'exploser de rage. Un seul mot de travers et elle ne répondrait plus d'elle-même. Confiant en ses capacités, l'homme avala d'une traite son verre de scotch avant de se lever de son tabouret pour faire face à la pirate. Il la dépassait d'une bonne tête.
« J'aime pas qu'on me menace.
- Dois-je en conclure que tu dis non ?
- Je dis non.
- Parfait ! »
Un prétexte, voilà bien tout ce qu'attendait la rouquine pour se déchaîner, et voilà qu'il lui offrait sur un plateau d'argent. D'un autre côté, il aurait été étonnant qu'un homme de sa stature se laisse ainsi intimider par une jeune femme si peu épaisse. Offrant à son vis-à-vis un sourire carnassier, Méria lui mit un coup de poing à l'entrejambe sans prévenir. Tandis que l'homme se penchait par réflexe en avant, la pirate lui agrippa la nuque et vint écraser son nez contre son genou. L'os du mineur craqua contre celui de l'étoile montante alors qu'elle voltigeait en prenant appui sur le dos de sa victime pour se retrouver derrière lui. N'utilisant plus que ses phalanges, elle vint lui labourer les reins avant agripper ses cheveux pour l'étaler au sol. Sans la moindre délicatesse, la criminelle le roua de coups de pieds. Plusieurs autres consommateurs, certainement des proches du mineur, vinrent à sa rescousse assez rapidement. Un premier chercha à écraser une petite masse en bois sur le crâne de la pirate. Esquivant d'une drôle de manière, elle tourna sur elle pour se rapprocher et percuter l'homme en plein plexus avec son crâne. Le suivant n'arrivait pas plus à comprendre les mouvements de la pirate. Elle était ivre, c'était un fait, mais malgré tout, elle arrivait à combattre efficacement, peut-être même mieux que d'autres quand il étaient sobres. Après avoir vainement tenter de saisir la forcenée, l'homme reçut une bouteille de whisky sur le crâne et s'écroula à terre. Riant comme une démone, la rouquine continua quelques minutes à tabasser ses pauvres victimes devants les yeux médusés des autres clients qui se gardaient bien d'intervenir. Rackham restait également en retrait, mais il ne semblait pas avoir peur une seconde de Méria.
Tandis que la jeune femme commençait à se calmer, elle respira ostensiblement avant de se rappeler de sa promesse. Avançant vers le mineur qui avait refusé de payer pour elle, la demoiselle lui agrippa les talons pour le traîner dehors. Dans un piteux état, il n'arrivait plus à se débattre et peinait déjà suffisamment à respirer convenablement. Après l'avoir tiré jusqu'à l'abreuvoir dont elle avait précédemment fait mention, elle souleva l'homme et le plongea tête la première dans l'eau fraîche. Même s'il résistait, il ne pouvait rien contre la poigne de fer de la pirate. Les bulles qui s'échappaient de sa tête commencèrent lentement mais sûrement à devenir moins grosses et régulières. Moins d'une minute après avoir été plongé dans l'abreuvoir, son corps cessa de bouger, il n'en avait plus pour très longtemps. C'est alors que la pirate sentit quelque chose lui toucher le cou. Elle ne mit qu'un instant à reconnaître le contact froid de l'acier sur sa peau et son sang se glaça dans ses veines.
« Sors le de là tout de suite. »
La voix de l'homme qui s'adressait à elle était calme mais déterminée. Lentement, la jeune femme relâcha son emprise sur l'homme et sortit sa tête de l'eau pour le laisser s’effondrer à côté d'elle. Levant les mains en l'air, elle tourna légèrement sur elle même pour constater que Lloyd Bullet, le shérif local, pointait un revoler vers elle. Se sentir ainsi à la merci de quelqu'un la faisait enrager encore plus, mais elle savait qu'il était préférable qu'elle se calme, du moins pour le moment.
« Arrête de pointer ce truc vers moi ou il va te nettoyer le fondement.
- Charmante, comme toujours. Tu m'expliques ?
- Il a refusé de payer.
- Et alors ?
- Il m'a manqué de respect.
- Je m'en moque éperdument, tu commences à sérieusement me pomper l'air avec tes idioties. »
Reculant d'un pas, le shérif rangea son arme dans son holster avant d'ajuster son chapeau de cow-boy. Il avait l'air si blasé qu'on aurait pu se demander comment il résistait à l'envie de se tirer une balle en pleine tête.
« C'est la dernière fois que tu fous la merde à Bella Union. La prochaine fois que tu fais parler de toi, je m'occuperai personnellement de ton cas. C'est bien clair ?
- Oh tiens donc ?
- Ne joue pas avec moi jeune fille, j'en ai tué des bien plus coriaces, fais moi confiance.
- Si tu le dis, Shérif.
- Ne retourne plus au saloon non plus, t'as l'alcool mauvais. »
Crachant un mollard impressionnant non loin des pieds de la pirate, Lloyd tourna les talons et entra dans le Gin Hakhram. Il était probable qu'il souhaitait s'entretenir avec la patron de l'établissement rapport à la récente altercation. Vexée comme un pou, la rouquine regarda le représentant de la loi local lui fausser compagnie. Pensait-il réellement pouvoir menacer Méria D. Marianne impunément ? Il était absolument hors de question que la pirate laisse passer une chose pareille, oh ça non. Mettant un dernier coup de pied en plein visage du mineur, elle s'en alla. Ses pas la menèrent à quelques centaines de mètres, à l'étage d'une petite bicoque modeste où elle résidait depuis quelques mois. Son propriétaire était un vieux veuf lubrique qu'elle avait convaincu de l’héberger en lui faisant du charme à plusieurs reprises. Comme elle ne souhait pas lui parler, elle monta dans sa chambre depuis l'extérieur en grimpa à la façade tel un félin. Entrouvrant la fenêtre, elle entra puis se laissa tomber sur le lit en ruminant sa colère à l'encontre du shérif. Elle allait le tuer, elle allait le dépecer, lui faire la peau et lui faire regretter ses menaces. C'était une très mauvaise idée, elle le savait bien, oh ça oui elle le savait, malheureusement pour elle et pour lui, quand la jeune femme avait une idée en tête, il était en possible de l'en déloger.
ciitroon
Liberté, Liberté Chérie !