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L'orage dans leurs cœurs

Ancre jetée à plusieurs mètres de la plage visée, Lilou attrape l'une des rames en venant se glisser dans la barque qui les conduira tous les deux jusqu'à la terre. Elle s'installe, malgré le ressac des vagues, sans les sentir. A force d'être au large, elle a pris l'habitude de n'en avoir plus rien à faire. Son équilibre ne se résume plus à ça, elle est une fille des eaux, les plus déchainées, les plus dangereuses, et rien ne peut vraiment l'inquiéter. Kiril lui fait passer le sac dont ils auront besoin pour récupérer des ressources pour la suite de leur voyage. Mais dans ce dernier, c'est le bruit caractéristique du verre qui s'entrechoque qui lui fait relever les yeux vers lui.

Sérieusement ?

Avec le bruit, il y a toujours l'odeur de l'alcool, et son attitude de vrai con lorsqu'il en consomme. Parfait. Tout ce qui manquait à ces dernières journées difficiles sans un cap fixe où se rendre. Son regard se fait dur, elle est peut-être surtout étonnée qu'il ait encore de la réserve.

La question reste parfaitement silencieuse, il n'a plus besoin qu'elle l'articule pour l'entendre. Avec dédain, elle relâche le sac à l'intérieur de la barque et vient s'asseoir en lui refilant les deux rames. Il se débrouillera pour atteindre la plage et pour se faire la conversation tout seul, de fait. Elle, elle lui tourne consciemment le dos, ramenant ses jambes contre elle, posant ses bras sur ses genoux pliés, à regarder l'horizon qui se dessine malgré la pénombre de la nuit. Seulement à la lumière d'une lune qui tient déjà ombrage, elle lâche un soupir de circonstances.

Laissez-nous deux jours, indique-t-elle autant à Aimé qu'à Linus, qui hochent la tête de concert. Deux jours d'un silence glaçant s'il le faut, quand bien même l'oasis au loin n'a rien d'un coin d'hiver. Une fine bruine rend l'ambiance plus moite encore, alors qu'ils s'éloignent de l'attrape-rêve. Elle l'entend tenter derrière, éclaircir sa voix pour prendre la parole, mais d'un signe de la main : elle le coupe tout net. Ne t'avise surtout pas. Son ton est sec, aussi intraitable qu'elle.

De lui parler. De lui adresser la parole. Elle lui a déjà dit : ils n'échangeront pas un mot lorsqu'il sera dans cet état. Sa déception est palpable, comme à chaque fois qu'il se laisse sombrer au fond de sa bouteille. Mais plus encore, c'est l'impuissance qui la ronge de ne rien pouvoir faire contre ça. Elle a beau être forte, parfois plus que bien des hommes qui l'ont sous-estimé, elle perd chaque bras de fer en cherchant à faire plier les démons qui le hantent. Aucun n'a frémit en sa présence, n'a osé reculer d'un pas pour prendre de l'élan.

Il n'y a qu'elle qui lutte pour deux, dans un combat perdu d'avance avec lui.

Elle n'exprimera pas sa déception. Elle n'a jamais réussi à mettre des mots dessus, sans doute parce qu'on n'en a pas inventé qui saurait expliquer concrètement ce que ça lui inspire. Entre l'énervement et la frustration, la balance ne s'équilibre jamais. Et puis des soirées où ça va trop loin, le ton monte parfois plus qu'il ne devrait. Il n'y a jamais trop d'elle pour le maitriser, et jamais assez d'excuses pour qu'elle lui pardonne à bord de l'attrape-rêve. De toutes les facettes qu'il collectionne, il n'y a que celle-ci qu'elle abhorre vraiment.
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J'avais la vie qui me piquait les yeux. J'avais pas appris à trouver un sens. Je m'en étais rendu compte avec elle : je n'avais que des obsessions et je confondais les deux. Lilou en faisait-elle partie ? Couard. Bah, alors ? Trop peur de répondre à la question ? Trop peur d'y voir trop clair ? Peut-on seulement croire la parole d'un alcoolique ? C'est si troublant de ne pas savoir quoi faire avec ses propres pensées. De ne pas pouvoir soi-même les saisir et les traiter. J'étais confus et vide. Mais je ne savais pas m'arrêter. J'avais pensé qu'elle m'accorderait une ou deux bouteilles. Donc j'en ai pris cinq, au cas où. Si j'avais honte ? J'avais toujours honte, de toute manière.

Des fois, je ne savais pas ce qu'elle faisait avec moi. Des fois, je me disais qu'elle n'était avec moi que par obligation. Qu'elle n'avait pour le moment pas d'autre solution. Des fois je me demandais si elle me regardait vraiment ? Je ne le pensais pas. Mais l'idée qu'elle puisse m'entrevoir me paraissait terrifiante. Après tout, je ne savais rien de moi-même. Et je ne voulais pas qu'elle le découvre. Alors de plus en plus, je devenais faible. Je devenais pire qu'avant. Nounours me l'avait dit. Nous nous étions même fâchés. Il m'avait dit Lilou a raison. J'étais enragé que même lui s'y mette. J'avais failli lui décocher une beigne dans ta gueule avant de me raviser. Et puis je m'étais isolé avec la topette, et Yarost qui me regardait étrangement.

Je me demandais s'il se pourrait qu'il ne s'agisse en vérité que d'excuses pour continuer à trimballer avec moi la topette partout ? Dans la poche collée à la poitrine côté cœur ?

Côté cœur du problème.


J'avais retiré mes pompes sales et ma redingue de mouette d'antan, empoigné les deux rames, incliné vers le bas le museau et fermé ma tronche. J'arrivais même pas à la regarder, de honte.  Je ne méritais que mes pieds. Lilou avait à son arsenal bien des variétés de silence qu'elle pratiquait d'un temps à l'autre lorsque nous nous taquinions ou nous disputions. Celui-là, celui de quand je me fichais une mine bien que je détestais tous les autres, c'était lui qui était le pire. Le pire de tous. Parce que d'abord, il me tuait la mine en question, mais surtout parce qu'il me faisait me sentir comme un lard, comme un blattard, comme le dernier homme sur Terre après l'apocalypse auquel elle refuse tout de même d'accorder le regard. Non. Je ne supportais vraiment pas silence. Je le supportais mal.

J'avais envie d'être en colère, de lui dire que j'étais pivé dans la plupart des aventures que je lui écrivais à l'époque de notre correspondance. Qu'elle l'avait toujours su. Que j'avais toujours été plutôt honnête sur cette question. Mais j'omettais une partie de l'histoire. Lorsqu'il me fallait lui écrire, Nounours en était le témoin, je déposais la bouteille et j'y repensais plus une seule seconde (sauf une fois où on ne sait pas parler pendant longtemps, ça m'avait remis les idées en place). Il n'y avait que me concentrer à écrire des belles lettres. Et j'échouais. Et je recommençais.

Alors pourquoi pas lui dire que j'étais posé le coude sur le comptoir lorsque j'ai appris la nouvelle mondiale la concernant et que j'ai décidé de venir la chercher ? Mais alors j'en revenais à cette question de l'obsession. Et je n'avais pas envie de connaître la réponse. Pas encore. Jamais ?

On arrivait sur la terre ferme. J'enfonçais mes pieds dans le sable et déchargeais la coque de noix. J'avais envie de me servir un verre. Lilou était déjà descendue du bateau, et même si elle me tournait encore le dos, je sentais son regard sur moi. Conscient de tout.

J'avais envie de me servir un verre.

Tu penses vraiment que c'est comme ça que tu vas réussir à arriver à tes fins, Lilou ? Sérieusement ? Tu penses que c'est comme ça que tu vas réussir à m'aider ?

J'en avais plus qu'assez. Avec le silence, on ne réglait rien. Elle n'arriverait à rien comme ça avec moi si ce n'est me faire me renfermer encore plus sur moi-même, si ce n'est me donner encore plus envie d'y voir flou.

Tu ne fais rien pour moi du tout quand tu boudes. Quand tu me fais le coup du silence négateur d'existence. Tu crois que j'ai plaisir à me sentir comme un tocard devant ta tronche ? Tu crois ça ? Que ça me fait bander ?

Quitte à recevoir le traitement du silence, je préférais que l'on règle tout d'un coup. Cela suffisait de croire que ça fonctionnerait comme ça, avec moi. Ca aussi, c'était moi. Il fallait qu'elle l'accepte, et si elle avait un problème avec ça, qu'elle le prenne à bras le corps. Pas qu'elle fuit comme moi. Surtout pas. Pas qu'elle fasse exactement ce qu'elle était en train de me reprocher. Et puis quoi encore ?


Dernière édition par Kiril Jeliev le Sam 17 Sep 2022 - 10:08, édité 1 fois
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Tu penses vraiment que c'est comme ça que tu vas réussir à arriver à tes fins, Lilou ?

Elle s'obstine, continue tout droit. Ses chaussures sont trempées, le bas de son pantalon également. Elle tire sur sa veste et la referme sur sa poitrine pour la boutonner doucement. Dégageant sa tresse du pli, elle ne rabat pas encore la capuche qui protège sa chevelure trop vive. Son identité se doit d'être recouverte, sans arrêt, partout où ils se rendent. D'autant plus quand ils veulent un petit peu de tranquillité. Ce soir, c'est censé être le cas, mais Kiril essaie d'amorcer une discussion ou, au mieux, susciter une réaction.

Tu penses que c'est comme ça que tu vas réussir à m'aider ?

Elle s'obstine encore. Droite dans ses bottes trempées, elle avance en s'enfonçant dans le sable, essaie de se concentrer sur ça. Mais la voix enraillée par l'ivresse de son ami la rappelle sans arrêt, et comme un boulet à sa cheville, l'empêche d'avancer. Il y a des fois où Kiril est capable de briser les chaînes qu'elle se met. D'autres où elle doit y mettre toute sa rage pour arriver à la porter. Ce soir, elle sait le genre que c'est. Elle sait à l'avance comment il va l'être, jamais pourquoi.

Tu crois que j'ai plaisir à me sentir comme un tocard devant ta tronche ?

Elle se fige, sans se retourner. Les poings serrés dans les manches trop longue de son manteau, la rouquine inspire longuement pour garder son calme. Elle aimerait lui répondre qu'elle commence à le penser. Qu'il aime ça. Que c'est une forme de masochisme, une manière comme une autre d'être maltraité, pour expliquer la douleur qu'il ressent à ne pas savoir s'aimer lui-même. Elle aimerait lui dire que s'il cherche sa peine, ils peuvent juste se battre sur cette plage, et sans doute qu'il pourra mieux s'expliquer les plaies qu'il a à l'âme. Elle aimerait lui parler des regrets qu'elle a de le voir s'échouer dans l'alcool, sans rien pouvoir faire pour lui.

Tu crois ça ? Que ça me fait bander ?

Elle ferme les yeux. Inutile de respirer désormais, l'agacement prend le pas sur le contrôle qu'elle a. Qu'elle perd. Je ne sais pas à qui tu crois parler de cette manière, mais ça n'est certainement pas à moi, lui lance-t-elle sèchement en se tournant vers lui. Ses yeux d'ambres le fixent longuement, le défie d'en rajouter une couche. De toute façon, n'est-ce pas déjà trop tard ? La fermeté de son oeillade n'augure rien de bon pour la suite du programme : Tu sais ce que je crois, Kiril ?

Le ton est intraitable. Au fil des années, Lilou le sait : elle est devenue si dure, si sèche. Elle s'est blindée, par nécessité. Ses os de verre se sont renforcés à force de fracture, elle ne ploie plus, et hors de question de briser de toute façon. Avec les autres ? C'est pire. Je crois que tu adores retrouver ta solution facile dans la bouteille, celle où tu peux être n'importe quoi, parce qu'il n'y a qu'à travers elle qu'il veut bien se définir. Sa voix vibre de la colère qu'il suscite chez elle. Je crois que tu es lâche, médiocre et méprisable lorsque tu tombes dans tes raccourcis, ajoute-t-elle alors.

Elle hausse les épaules. Ne prend aucun plaisir à lui rappeler ces évidences, mais n'a aucune hésitation à les faire. Avec un peu de chance : il s'en souviendra au moins le lendemain. Tout dépend s'il en a trop consommé ce soir. Et je crois aussi que je n'ai pas à m'occuper d'un bébé qui se complet dans son impuissance et dans ce qu'il est de pire, elle le lui a déjà dit : Quand tu es comme ça, je ne veux pas te parler. Donc non, tu ne peux pas bander dans ton état, pour ça il faudrait être un homme avec un peu d'assurance, et pas un enfant qui se cache encore des monstres sous son lit, elle hausse les épaules.

Combien en a-t-il, qu'il a voulu enterrer pour ne pas avoir à y penser ? Les sourcils froncés, elle l'interroge d'un regard. Si le silence ne marche pas, elle peut en venir aux cris, elle a le coffre qu'il faut pour ça. Elle peut frapper où ça fera mal. Il y a une part d'elle, méprisable. Celle que la part de lui, lâche, réveille sans cesse. De la pire des manières. Je ne te sauverais pas de toi-même, lui annonce-t-elle froidement. On peut y retourner maintenant ? Ou faut-il encore régler des choses qu'il ne veut pas voir ?
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Tu sais quoi Lilou ? Va chier
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Moment de silence.

Elle le fixe longuement, il reste renfrogné, ivre de sa colère. Va chier. C'est un sourire qui perce sur ses lèvres un temps, un sourire qui a tout d'inquiétant finalement. Les poings toujours serrés, la rouquine se rapproche de lui, et sans avoir besoin de les planter dans le nez de Kiril, elle prend tout juste assez d'élan pour le maintenir en place et lui renvoyer un grand coup de genou dans le service trois pièces.

Mesquin, certes.

Mais terriblement satisfaisant.

Tu veux répéter, pour voir ?
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C'est donc là.
C'est maintenant.
Maintenant que ça arrivait, hein.
Que ça m'arrivait.

En y repensant, les pognes maintenant compressées sur mes roubignoles, ça faisait parfaitement sens que ce soit elle. Que ce soit Lilou. Je l'avais toujours envisagé arriver plus ou moins de cette manière-là, à la suite d'un dépassement de cap. Jamais dans un troquet ni dans un rade où j'ai trop touché la bibine, que j'ai provoqué deux trois poivrots de comptoir un peu trop lourdement. Parce qu'il nous restait au moins ce respect-là, chez les pivés : on se défonce simplement la tronche. Pas ça. Jamais ça.

Elle, je l'en avais toujours su capable. J'en avais l'intuition depuis qu'on s'était rencontré pour la première fois à Boréa. J'avais flippé que ça m'arrive après m'être rendu compte que c'était pas Lana. Aujourd'hui, au vu du coup, de sa force, de la précision dans l'exécution du geste, je savais que j'étais pas son premier et qu'il fallait que, selon elle je l'ai vraiment mérité. Et mérité beaucoup.

Je m'effondrais sur le sol en me pinçant les lèvres et en plissant les yeux. Une ch'tite larme coulait au bout d'un oeil. J'avais terriblement mal.

***

"Et mérité beaucoup."

Sauf que c'était pas le cas.

Pendant le restant de la route, pas une parole adressée. L'un à l'autre. L'un comme l'autre. Pas une goutte d'alcool consommé. Pour ma part. J'écrivais dans ma tête. Je lui en voulais à mort. Après la stupeur venait la colère. Jamais j'aurais envisagé rien qu'une seule minute la frapper, ni même l'insulter. Vrai que j'avais été un brin colère, à cause de ses remarques martelés comme des accusations à ma figure, comme si elle me pointait du doigt pour mes défauts, comme si j'étais responsable de quoi, en fait ? De son impuissance face à la situation ? Elle retournait le problème, et pour le régler : un coup dans les burnes. Selon moi, c'est elle qui avait dépassé les bornes. Peu importait sa frustration, peu importait ma réaction.

En vérité, j'avais juste la haine. Des mecs qui m'ont latté la tronche, je pouvais en compter des centaines, te donner les raisons du pourquoi que. Et ça m'avait jamais offusé outre-mesure. J'étais un sacré fils de radasse, renard, roublard et tout le tintouin. Là, c'était juste injustifiable.

Maintenant, c'était à moi de l'ignorer absolument, complètement et définitivement.
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Il a fallu attendre qu'il se reprenne pour avancer. C'est tout l'inconvénient des coups de ce genre, un peu trop expéditif : quand on compte derrière sur la personne pour se remettre et suivre la marche, c'est tout de suite beaucoup plus compliqué pour gérer. Elle avise que sa stratégie n'est pas vraiment payante. Quand Kiril retrouve son souffle, c'est pour entamer une séance de bouderie de gosse de trois ans qui n'a pas eu de glace pour le dessert. Formidable. Elle roule des yeux sans cacher sa frustration.

C'est ça, prouve-moi que tu es un enfant, ça manquait d'évidence, grogne-t-elle entre ses dents en haussant les épaules : Tu feras attention, quand on appuie sur ton nez, y'a encore du lait qui en sort, ajoute-t-elle d'un ton aussi défiant.

Mais il ne réagit pas. C'est atteint dans sa fierté qu'il est. Soit, ça le concerne, s'il attend qu'elle s'excuse, il risque d'attendre longtemps et de s'en faire des cheveux blancs. En attendant, c'est à elle d'atteindre la première le village qui prend place sur cette île. Dans la bourse accrochée à sa ceinture, elle soupèse un temps l'argent qu'ils ont de côté. De quoi s'offrir cette oasis avec un peu d'efforts, sans doute.

Quand tu auras décidé de te battre pour toi-même, tu me feras signe, lui souffle-t-elle en lui indiquant la direction qu'elle compte prendre : Je me casse par-là, avec lui sur ses talons ou non, ça ne la concerne pas. Il suit s'il veut, il part s'il veut, à la nage ou à la rame si ça lui chante. Ses pas l'amènent plus loin, dans un silence déférent, conversation rompue de toute évidence, elle ne jouera pas son jeu. Bouderie pour plus tard, pour longtemps. Qu'importe.

...

Les affaires ont été bonnes, on peut le dire comme ça. Sans grande peine, elle a trouvé de quoi remplumer les stocks de l'attrape-rêve et avec la caisse qu'elle se trimballe et qu'on lui a gentiment proposé d'amener sur le navire, Lilou voit pour au moins deux semaines de marge. Bon, elle pèse son poids, Kiril n'a pas décidé à venir l'aider. Il n'a pas décidé non plus de lui reparler. Aucune idée d'où il se trouve. Un soupir lui échappe. Elle ne l'a pas croisé de la nuit et de la matinée.

Et dans les faits, elle craint de le trouver attablé avec un verre et quelques bouteilles entamées.

C'est un autre soupir qui lui échappe, alors qu'elle lève les yeux au ciel. En tombant sur le sable, elle lui laisse une heure. Si d'ici là, il n'est pas réapparu, elle ira le chercher oui. Et ils parleront peut-être. Ou se battront sans doute.
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Je me promenais mes grolles sur le pavé, à la recherche d'un endroit à gnôles fortes, je croyais, mais c'était pas vraiment le cas. Je repensais à l'altercation avec Lilou, et puis à ce qu'elle m'avait dit de mordants qui m'avaient fait lui parler comme ça. J'avais la crête reposée et pas touché la goutte depuis, y avait quelque chose qui me retenait dans mes tripes. L'envie de dégueuler certainement.

L'engin s'était remis, mais pas mon cœur, pas cette sensation amère de brume de l'absurde. Absurde de notre relation. Malgré tous les dangers du monde, bien qu'on y était traqué comme si nous étions la brebis et lui le loup, elle et moi étions toujours comme des gosses, à s'embêter, se chamailler et des fois rire ensemble jusqu'après la nuit, bien après même Nounours. C'est dire. Ca nous arrivait quelque fois, mais j'ai l'impression quand même que nous étions le plus souvent en conflit, et jusque là j'étais persuadé que c'était à cause de nos caractères respectifs : y a pas à dire, hein, Lilou c'était pas du tout le modèle de nana toute ennuyante à mort, qui se foutait dans un coin, y restait, fermait sa bobine et parlait pas de la soirée en lâchant des sourires de convenance comme une serveuse automate toutes les demi-heures. Non, Lilou elle pouvait facile te gueuler plus fort que trois clampins et un lézard en cœur, elle mettait plus d'énergie que tout à avoir le dernier mot, c'était à se demander si c'était pas pathologique hein, et, bon, j'avais appris qu'elle pouvait aussi te cogner dans les burnes quand tu lui disais d'aller chier.

J'arrivais finalement au pied de la taverne d'une auberge dans laquelle j'entrais comme si j'y avais toujours bu au moins le café. La capuche crantée à ma tête, j'entrais et observais l'endroit désert. Parfait. Je demandais une feuille et un stylo à la patronne qui s'attendait pas à recevoir un étranger. Elle voulait me faire les hospitalités, mais j'étais pas vraiment du tout d'humeur. Ca s'est vu tout de suite. Elle accédait à ma demande et me laissait tranquille le reste de la soirée.

J'avais le syndrome de la page blanche depuis que j'avais arrêté de parler à Lilou. A quoi bon ? A qui ? Et pourquoi ? J'avais l'impression qu'il y avait si peu à lui dire et je le regrettais. Je regrettais les moments où je prenais la plume avec hâte, que je m'essayais à coucher sur le papier ce qui me rendait heureux, inquiet ou triste, et que je pouvais lui raconter. Le papier devant moi, tout ça m'apparaissait tout de suite. Maintenant qu'elle était là, j'avais cessé d'être ce type. Je me demande ce qu'elle ressentait. J'espérais qu'elle me le dise, mais c'était comme elle avait dit : elle me parlerait pas alcoolisé. Elle ne m'aimerait pas non plus, en toute logique, alcoolique.

Sans trop réfléchir, je décidais d'y poser les questions auxquelles je souhaiterais avoir des réponses de sa part, si un jour elle le lisait.

Kiril Jeliev a écrit:
Est-ce que c'est ça que tu crois ?
Que je te demande de me sauver ?

Oui, je crois qu'il y a du vrai en ça. C'est même certain.

Je me souviens de nos lettres. C'étaient du soin. Quand j'y repense, je n'aurais pas pu survivre sans. Peut-être est-ce pour ça qu'il m'a fallu à tout prix venir te chercher quand j'ai su que tu étais en danger. Que je m'en veux que ce n'ait été que pour moi-même. Pas véritablement pour toi, je dois l'admettre. Que tu disparaisses signifiait ma fin. Tout simplement.

Alors oui, tu as raison. Que c'est exactement ce que je te demande : de me sauver. De me sauver de moi-même.

Sauf que la froide réalité, c'est que tu ne me fais pas toujours du bien. Alors quoi ?J'ai l'impression que tu sais toujours sur quelle corde tirer pour me faire vraiment du mal, me pousser à bout et me faire sortir de mes gonds. Seulement pour moi, ça s'apparente à de la méchanceté. Et je ne comprends pas pourquoi tu le serais avec moi. Je ne comprends pas les gens méchants, et à vrai dire, ils me font pitié. Alors, lorsque tu me fais ce genre de choses, c'est toujours là que nos disputes atteignent un non-retour et qu'on finit par s'en vouloir mutuellement parce que tu t'insères dans une case à laquelle, selon moi, tu n'appartiens pas. A laquelle tu ne peux pas appartenir.

Je suis désolé pour t'avoir dit ce que je t'ai dit, et de voir à quel point tu en as été blessée. Je n'explique pas autrement ce qu'il s'est passé entre nous, après. Je suppose que ce doit faire partie d'un tout. Je crois bien que je n'en prends pas véritablement la mesure. Comprends-moi, Rousse. Je te demande juste d'essayer de te mettre à ma place, d'essayer de comprendre d'où je viens. Il n'y a jamais personne qui ne m'ait rien dit à ce propos. Et il n'y a jamais personne de qui l'avis ait compté autant. Tu comprends bien qu'avec toi, c'est différent.

En tout cas, moi je le comprends bien. Je le sais depuis un bout, j'en ai discuté avec Aimé quelque fois. Et oui je voulais pas l'admettre, pour moi c'était juste toi et moi contre le monde. Peut-être qu'il y a un peu plus à ça, mais comment suis-je censé faire avec ?

Si je me bats pour moi-même ? Si je me bats pour moi-même, je retire le bouchon de mes oreilles,  je parviens à capter le message qui émet de toutes les zones bouillantes de mon corps,  de mon cœur, de mes tripes, de mes burnes, de mes gamboles, de mes paluches, de mo

Je m'endormais sur la banquette. Je ne l'avais pas terminé. Je ne savais pas si je lui donnerais un jour et quand. Je ne savais pas si à mon réveil, je ne la déchirerai pas et reprendrais la route comme un lâche, médiocre et méprisable. En ne lui disant rien, comme toujours.


Dernière édition par Kiril Jeliev le Mer 14 Sep 2022 - 13:18, édité 1 fois
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Evidemment.

Il les lui fera toutes. Ne serait-ce que pour la contrarier. Lilou laisse leur barque où elle se trouve, terminant de vérifier le chargement avant de reprendre sa veste et retourner vers la ville. Elle ne peut pas cacher qu'elle en est encore vivement contrariée, qu'elle aimerait qu'il se comporte parfois comme un adulte, au moins autant qu'elle, parfois plus qu'elle. Que si elle est la seule à devoir maintenir la barre pour que leur navire ne s'écrase pas dans les récifs, vu son sens de l'orientation, ils n'iront pas très loin avant la fin.

Mais ça, pour le lui faire comprendre, il faut viser les moments où il ne se matraque pas le crâne et la conscience pour faire taire ses démons les plus odieux. Un soupir, les poings enfoncés dans les poches, elle sait d'avance la direction qu'elle doit prendre et où elle va pouvoir le trouver.

...

Il s'est endormi là. Evidemment.

Elle ferme les paupières doucement, de son index et de son pouce, vient les frotter sans pouvoir cacher sa lassitude. Les épaules voûtées par la fatigue, elle ne fait même pas attention à ce qu'il se passe autour d'elle. Lorsqu'elle revient fixer Kiril, c'est pour saisir la plume sur laquelle il est endormi, les mots sur la page qu'il a noirci. Pas de verre. C'est ça, qu'elle aurait dû noter dans un premier temps.

Quelle idiote.

Elle tire la chaise devant elle, qui racle sur le sol. S'installe dessus. Les doigts autour de ce papier, la lettre inachevée, elle sait qu'elle ne devrait pas la lire mais ne peut pas s'en empêcher. Comme toutes les correspondances, elle devrait rejoindre le tas précieux de ses messages qu'elle a gardé, lu, presque dévoré, le cœur battant plus fort à chaque ligne. Mais sans son point final, elle sait qu'il ne s'agit que d'un mot qu'elle ne devrait pas parcourir, qu'elle ne peut pas s'empêcher de voir pour autant.

C'est un soupir qui lui échappe alors qu'elle repose le papier, le replie avec soin, en le faisant glisser sur la table. Elle croise le regard éteint de Kiril, qui vient de se réveiller sans doute, qu'elle n'a pas entendu, ou senti faire. Il y a des jours où elle peut entendre toutes les voix du monde et ne percevoir que la sienne pourtant. Aujourd'hui, le discours est trop chaotique, les émotions trop sauvages, pour y arriver. Ses yeux ambrés sont fixés sur lui, quand sa main vient se poser sur celle de l'homme. Lentement, ses doigts se nouent aux siens.

Quel est le message ?

Celui qu'il refuse d'entendre. Qu'elle n'a pas pressenti. Qu'elle a besoin de connaitre.

Et qu'une part d'elle ressent aussi jusqu'à ses os brisés. Tout le temps, à chaque instant. Une émotion sur laquelle elle n'a pas eu envie de mettre le doigt, peut-être aussi par lâcheté, comme elle le lui reprochait. Sans doute parce qu'il n'y a rien de plus dur à comprendre que l'idée d'aimer trop fort, au-delà de toutes les raisons pragmatiques qui peuvent exister.
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L'orage.

Je me réveillais doucement, sobre, la main de Lilou dans la mienne et muni d'une certitude. Peut-être que pour le reste du commun des mortels, il ne s'agissait de rien, c'était normal d'avoir des certitudes : moi, je n'en avais généralement pas. Je m'en protégeais beaucoup. Les certitudes m'enfermaient, me piégeaient et, le plus souvent pour moi elles étaient synonyme d'éradications d'espèces, d'ensemble de possibles. Pourtant, ce n'était pas le cas de celle-ci. Je savais que c'en était une. Elle n'était pas comme celle que je redoutais.  Elle ne détruisait rien mais elle faisait tout le contraire.

Je me réveillais avec le bruit du cadran, la grosse aiguille de cuivre dont je percevais le son lourd se compresser en un tic, se relâcher en un tac. Recommencer. Il y avait toujours ce qui se répétait, et, mes pensées enchevêtrées toutes entre elles s'évadaient au rythme du vacarme régulier des cadrans. Puis disparaissaient.

La première seconde comme la première fois que les yeux s'ouvrent : premières lueurs des tiens et de tes cheveux rouge. Où que nous sommes ensemble, c'est le jour.

Je crois que plus qu'une pensée, mon premier souffle, ma première certitude, ce que je jurais sur la mémoire et la dépouille de mon cœur ... !

Il y avait toujours le bruit de l'après-foudre car il n'y avait jamais véritablement le silence. Mais le bruit de l'orage. Il y avait le silence des choses qui se taisent et le silence des choses qui n'ont pas de voix. Dans les deux cas : orage immense. Le silence de, mais pas un silence. Le silence de, l'absence de bruit de quelque chose, et qu'est-ce qu'il restait ? Mon évidence, la seule, ma seule certitude.

Le bruit de l'orage s'intensifiait dehors, selon l'intérêt que je lui portais. Je ne lui portais pas grand intérêt. Mais avant l'orage ?

Il y avait bien longtemps que tout n'était qu'après-foudre avec toi. La naissance, c'était aussi fort qu'aimer. Et puis aussi fatal.

Je ne voulais pas faire de ma certitude ce qu'on lui avait toujours fait, partout, tout le temps, en tout temps, ce que l'on continuait à lui faire. Une expérience commune. Une expérience humaine commune à laquelle tout le monde contribuait. Par laquelle nous passions, assurément. Linus m'avait bien dit que si jamais nous découvrions la présence d'un intrus -comme une idée qu’on infuse - alors le laboratoire était déclaré contaminé et l’expérience contrainte d’être annulée. Les résultats étaient irrecevables.

Je voulais que tu comprennes que ce que je ressentais pour toi, c'était la naissance. Que tu comprennes que la conception d'amour était voué à contaminer l'amour lui-même, et ses possibles. Je voulais que tu comprennes que ce n'était pas l'amour qui était ou pouvait être multiple, indépendant à chacun, mais qu'il s'agissait de ses possibilités. Avec toi, tout était infini. J'avais plus que jamais envie de te le dire.

Je viens de me réveiller, Lilou...

Je lui serrais plus fort la main. Je n'espérais plus qu'elle comprenne quoique ce soit. Il ne me restait plus qu'à me battre pour moi-même. N'est-ce pas ?

Je m'étais réveillé avec cette seule certitude. Et voilà qu'elle m'apparaissait. Lilou m'était revenue. Elle était revenue me chercher. Peu m'importait de savoir si c'était pour elle, si c'était pour moi : je n'entendais plus le cadran. Je n'entendais même plus l'orage. Je n'avais qu'une seule certitude. J'aimais de tout mon cœur Lilou. Le bruit de cette certitude me poursuivrait jusqu'à la mort, jusqu'à la sienne si seulement un jour elle mourait. Et moi, j'avais l'impression de m'aimer peut-être mieux avec elle, j'étais fier d'être capable d'être si sûr de quelque chose. Qu'avais-je besoin de l'alcool ?  Le pouce de la main qui caressait le rose de sa joue, je ne voulais plus jamais en douter. Je le lui disais avec les yeux. J'ai une certitude, Lilou. Une certitude qui n'envahit pas mon corps, qui se diffuse. Doucement le bras qui l'entraînait vers moi sans qu'elle n'y oppose de résistance. Une certitude qui n'emprisonne  pas mon cerveau, qui le libère.

J'étais déjà né, et je renaissais maintenant qu'elle était dans mes bras. On ne renaissait pas pour vivre comme la première fois, si ?

L’erreur que j’avais faite, c'était de me dire qu’on choisissait d’entendre ce que l’on voulait. Mais l’amour reçu comme il le devrait, c’est accepter le silence des choses qui se taisent, c’est accepter le silence des choses qui n’ont pas de voix. L’orage n'était plus seulement un bruit, c'était l’orage qui était devenu la certitude. Et je t’aime.
Et cela suffit.


Dernière édition par Kiril Jeliev le Sam 17 Sep 2022 - 10:27, édité 2 fois
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Le coeur suspendu à ses mots, elle attend qu'il complète le message qu'il n'a pas eu le temps d'écrire avant d'être happé par le sommeil. Le sérieux imprégné sur les traits de son visage, elle le scrute longuement, impatiente et à la fois prête à attendre une vie entière qu'il se décide à parler. Il vient de se réveiller. Ce n'est pas à prendre comme c'est dit. Elle comprend. A travers son regard, son oeillade sombre, qu'il a saisi tous les contours qu'il se refusait de voir jusque-là. Par lâcheté ou par facilité, c'est toujours le plus difficile à établir. Mais elle ne lui reprochera pas d'avoir le courage qui lui a toujours fait défaut.

Un bref sourire perce sur l'ourlet de ses lèvres, une manière peut-être de le pousser, alors qu'il l'attire à lui. L'étreinte de ses bras se fait ferme autour d'elle, elle n'en sent rien pourtant. Tout contre elle semble terriblement fragile depuis de nombreuses années. L'obligation de se blinder, c'est elle qui est devenue l'armure qu'elle a construit, au point de ne plus en avoir jamais besoin. Elle peut deviner ses muscles, mais ne le sent pas vraiment lui en contraste. C'est si étrange, inexplicable. Elle le sait : elle pourrait le briser si elle y met trop de force. C'est peut-être ce qu'elle craint.

Dans l'immensité de sa vie, c'est si étrange de l'avoir trouvé.

Peut-être un peu trop tard par rapport à ce qu'elle aurait aimé. Parce que les brèches ne sont plus les mêmes. La tête posée dans le creux de son cou, c'est de lui qu'elle s'imprègne définitivement, avant de relever le nez à ces mots glissés à son oreille. C'est lui qu'elle vient embrasser, brièvement, pour n'y retrouver que sa saveur, elle exclusivement, et dont elle se défait au bout de quelques secondes volées.

C'est bizarre, admet-elle alors. La main contre sa joue, elle le scrute comme si elle le voyait pour la première fois, avant d'entendre l'écho de sa voix : Pas parce que c'est mauvais ! Précise-t-elle vite. Elle sait que l'égo des hommes est plus fragile que le verre, après tout. Mais toi et moi, nous sommes plus que ça, depuis longtemps.

Ils l'ont toujours été.

Il comprend, n'est-ce pas ? Elle lui offre un sourire, revient chercher ses lèvres plus par gourmandise que par nécessité. Ils peuvent rentrer, ils le devraient. Mais les conditions sont à placer, après les certitudes. Un soupir lui échappe.

Je ne veux plus que tu te laisses sombrer, Kiril, souffle-t-elle dans un murmure qu'il est le seul à pouvoir entendre. Murmure résolu, ferme. Elle ne veut pas négocier avec lui, pas au sujet de sa vie. S'il l'aime, c'est pour toujours, dans des promesses d'enfants qu'on ne sait pas tenir, mais qu'on veut entendre pour s'y accrocher. Parce que ça reviendrait à me laisser tomber. Tu n'en as pas le droit.

Sans lui, elle ne peut qu'être une boussole qui n'indique pas le nord. Qui tourne, qui tourne, sans savoir se fixer. Elle peut l'entrainer, le porter, elle peut l'aimer avec toute la force dont elle est capable, dans son cœur, un puits sans fond de tendresse qu'elle veut lui montrer. Lui prouver de mille manières. Comme leurs doigts encore liés.
Mais L, sans K, ça n'existe pas.
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Attrape-rêve

Je fêtais mon premier mois de sobriété aujourd'hui. Tout était devenu très étrange depuis que j'avais annoncé à tout le monde que j'avais pris la décision d'arrêter la boisson. La saveur des moments avec les autres me paraissait différente parce que réelle, chargée d'amour et de considération. Chacun des membres de l'équipage était très fier de moi et passait chaque jour à me le montrer.

J'avais appris à connaître Linus, par exemple. Chaque jour, il entreprenait de me décrire ou de me montrer un nouveau procédé chimique et puis m'apprendre le comment du pourquoi telles réactions. Il était très bon pédagogue parce que je ne comprenais rien du tout, surtout parce que je croyais qu'il ne s'agissait pas d'une discipline qui m'était accessible. Que nenni, qu'il me prouvait par son écoute et par ses tentatives d'explications, de réexplications, jusqu'à ce que je finisse par piger au moins quelque chose. Quand ça arrivait, nous étions tous les deux très contents. Au lieu de lui proposer un verre (c'était ce que j'avais fait la première fois), je lui apprenais à mon tour le fonctionnement poétique de l'Attrape-Rêve, les danses de l'eau et les différentes voix du vent. Il était surpris d'apprendre que c'était comme ça que je construisais mes bateaux : comme des poèmes. Et nous finissions toujours par en parler très longuement.

J'aimais encore plus Aimé. Il m'aidait à réfléchir intelligemment. A comprendre ce que je pensais, et pourquoi je le pensais. Nous avions des discussions silencieuses au bord de la couverte, nous regardions à l'horizon l'eau bleue onduler perpétuellement. Tous les deux ou trois jours, nous faisions un grand ménage sur l'Attrape-rêve. Il disait qu'il s'agissait avant tout de nettoyer son esprit, que c'était à peu près pareil que de regarder la mer, en somme, mais que le ménage rendait acteur du monde tandis que la mer rendait humble. J'avais intégré, comme lui, les deux dans ma nouvelle routine de vie.

Je n'avais pas un jour été sobre depuis février 1623. Depuis que j'avais été remercié et appris pour Harry et Lana. J'étais retourné à Lynbrook, en colère et sans avoir rien à faire que de semer le chaos. J'avais été envoyé sur Dead End. Il y avait le Scott, il y avait les Saigneurs, le Crack, l'île Maléfique, la fuite, Armada, Alvel... La boisson était la sève. Ou le sable. Autant dire que je n'avais jamais envisagé que les choses puissent être autrement. Je n'imaginais pas la vie sans rade, sans comptoir, sans Lloyd, sans topette, sans grimace après la première gorgée, sans neurones imbibés, sans paysage flou, sans sortie de bar, sans camarades de bastonnade.

Aujourd'hui, peu m'importait toutes ces choses, parce que la vie, je ne l'imaginais pas sans Lilou.

C'était d'abord grâce à elle. Que je n'avais rien subi. Mon attention n'était pas portée sur un quelconque manque, celui-là n'existait jamais plus, car tout n'était qu'abondance avec elle. Poser mes yeux sur elle me remplissait d'un sentiment inouï de profusion. J'avais une turbine à la place du cœur qui convertissait les jets de regard en feu interne, et dès que nous nous croisions, dès qu'elle me rendait mon attention, j'accourais en sa direction pour que nous jouions à nous embraser. Nous nous regardions fixement pendant de longues minutes. Nous parlions une langue seulement connue de nous. Nous régulions notre commune température : chaleur réconfortante, chaleur exaltante, chaleur insoutenable...
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Il y a des émois qu'elle ne connait pas et qui l'anime comme une flamme réchauffe un cœur. Voilà ce qu'il est pour elle, et ce qu'il lui fait découvrir. Des sourires qu'elle ne s'imaginait pas donner à qui que ce soit, dont elle ne se pensait pas capable non plus. Mais il y a les regards qui ne trompent pas, ceux qui parlent pour deux, qui disent les mots qu'on ne peut pas articuler. Et ces regards, elle les a pour lui à chaque fois qu'ils se croisent, se provoquent, rient comme des enfants de toute la tendresse qu'ils éprouvent.

Il y a les oeillades en coin qui témoignent de leur complicité nouvelle, de la naïveté de leurs échanges, parce qu'ils en ont leur monde des possibles, celui trop fou pour être raconté.

Il y a les mains qui s'effleurent et se tiennent quand elles le peuvent, comme pour nouer un contact qui ne peut se briser.

Et il y a les Je t'aime qui ne se disent pas. Ne s'articulent pas. Les mots laissés en suspens, à travers les regards échangés et les baisers brûlants. Ceux qui se traduisent dans les gestes chargés de ces sentiments, de ces émotions, de cette passion sans pareille. Les Je t'aime qu'elle se pensait incapable d'éprouver avec autant d'ardeur et de force, mais qui agitent désormais son cœur comme on danse la gigue.

Et les disputes, qui n'ont pas disparu. Et qui ne sont pas moins des preuves qu'il n'y a pas rien. Seulement un tout trop grand pour eux, parfois. Comme ces palpitations à chaque fois qu'il soutient son regard, et s'amuse - parce qu'il n'y a pas d'autres raisons à ça - à l'énerver, pour le plaisir seulement de la voir s'emporter. Parce qu'il n'y a qu'un monde où ils sont ensemble, et plus encore, que Kiril ne supporte pas une histoire où il n'y a pas de ça. Qu'il s'agisse de trop, de constante, d'intensité, il parle un langage qu'elle ne connait pas mais qu'elle embrasse pour le faire taire.

Parce qu'il n'y a qu'ainsi où elle en découvre les contours, et s'en familiarise.

Qu'elle les accepte, apprend à les aimer.

Qu'elle apprend aussi à se laisser aimer.

Sans en parler, parce qu'il n'y a pas de mots, n'est-ce pas ? Il n'y a pas de mots qui en parlent, il y a seulement les regards, les baisers, les caresses ou les disputes. Tout plutôt que rien.
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Je sens que tout mon être tremble en permanence. Les chaleurs ne me quittent plus. Au cœur de l'insomnie, la carte du ciel étoilé me semble être le seul bouquin qu'un Dieu ait pu écrire. Je me demande si dans mon délire, tout enfin n'aurait pas pris un sens. Mon visage change et j'ai grossi, mais mon cœur semble être serein. Toute ma vie dans l'extravagance, je suis descendu brutalement du haut de ma colline imaginaire. Sur la terre ferme, j'ai des amis et puis l'amour pour Lilou. Mais des fois, je me sens comme partir, prêt à être effacé. Je la regarde comme on regarde un souvenir.

La fièvre monte. J'ai essayé de faire semblant que tout allait bien. Mais Lilou sait, car Lilou sent. Elle me laisse faire l'homme-garçon, elle rit tout plein lorsque j'essaie de la taquiner, comme si de rien n'était mais chaque soir c'est très inquiète qu'elle se porte à mon chevet. Elle me serre la main et moi je lui arrache la peau. J'ai mal et elle le sait. Je lui briserai presque le poignet. Elle reste. Jusqu'à ce que je m'apaise. Et puis ça ne dure jamais longtemps.

Je faiblis. Plus de force. Nounours me porte jusque la couverte au lever et au coucher du soleil. Dans le silence complet j'observe le ciel et ses mystères. J'y vois la réponse à toute chose. Je n'ai jamais réclamé d'alcool. Mais j'avoue avoir pensé plus d'une fois sauter à l'eau. Je ne leur ai jamais dit. Etrangement, à chaque fois que ça m'arrivait, Lilou m'apparaissait comme pour me dire : ça non, jamais. Même dans cet état, je ne pouvais rien lui refuser. A chaque fois elle me rappelait comme rien ni personne ne m'avait jamais rendu si heureux.

J'ai essayé de lui écrire mais je ne peux plus prendre un stylo. Je ne parle plus? J'ai l'impression qu'il manque à mon cerveau quelque chose de vitale. J'ai l'impression qu'il se désagrège de l'intérieur. J'ai constamment mal au crâne. Je ne supporte aucun bruit sinon celui des vagues. Pas même la voix de Lilou. Celle-là me fait encore plus mal. J'ai mal d'avoir mal. Mal de ne pas pouvoir l'entendre. Ma vision peu à peu se noircit. Je commence à avoir des accès de colère.

Je ne peux plus rien faire moi-même. On me lave et on m'habille. Je m'en sens humilié et ça m'énerve. Je ne m'énerve plus comme avant. J'enrage. J'enrage de cette faiblesse. J'enrage de m'être empoisonné toutes ces années. J'enrage de Jack, j'enrage du Crack, de Michaela et des autres. Je m'en veux d'avoir été cet espèce de personnage inventé, de m'être caché à moi-même. De ne pas savoir qui je suis.

J'en veux à Lilou d'aimer cet homme. Car je me rends compte qu'il n'est pas le moi véritable. Que j'ai toujours été quelque part dans les abysses du Punk. Il est en train de s'éteindre, de perdre le contrôle du récit. De perdre le "Je".

Mettons qu'un jour je me réveille, que se passera-t-il ?
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