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Scaramouche

Cher journal,

La lumière de l’aube illumine le parc d’une délicate lueur orangée. Elle se glisse entre les hauts cyprès, fait chatoyer les parterres de fleurs, et scintiller les pelouses couvertes de rosée.
Face à moi, distante d’une vingtaine de pas et fermement campée sur ses jambes, se tient une femme d’une quarantaine d’années. Elle est vêtue d’une redingote et d’un pantalon blanc, ensemble assez typique des tenues qu’affectionnent les membres de la bourgeoisie de Goa. Moins typique, le pistolet qu’elle tient à la main, tendu dans ma direction.

« - Mesdames, préparez-vous ! »

A ces mots, l’assemblée attroupée autour nous fait silence. Malgré moi, je sens mon corps se raidir et les battements de mon cœur s’accélérer. Je tiens mon propre pistolet fermement, le canon pointé vers le haut. Cela fait longtemps que je n’ai plus utilisé ce genre d’arme, rendue obsolète par ma maîtrise du rokushiki. Même si des années d'entraînement m’ont donné une certaine aisance dans le maniement des lames et des armes à feu en tous genres, je dois confesser un certain manque de pratique…

« - Trois… »

L’arbitre commence le décompte. Mon adversaire ne me quitte pas des yeux et son regard dur, souligné par une double couche d’eye liner qui lui donne une allure de tueuse, me fixe sans ciller ! Je choisis une attitude plus décontractée, presque provocatrice, avec une posture de duelliste : je me tiens de profil, mon avant-bras gauche -celui qui tient l’arme- (comme toutes les personnes dignes d’un minimum d’intérêt je suis gauchère) replié contre mon corps tandis que ma main droite est posée de manière décontractée sur la hanche. Mon visage affiche un sourire assuré, doublé par un regard pétillant que je m’efforce de laisser planté dans celui, imperturbable, de mon adversaire.
Je feins l’assurance, mais je dois avouer que je suis dans le flou. J’ignore à peu près tout de ses capacités : je la sais adepte de la chasse sportive, ce qui faisait d’elle une candidate susceptible d’accepter mon défi, mais à la réflexion j’ai peut-être été un brin optimiste. Ne serait-elle pas du genre à me cribler de balles en quelques secondes ?

« - Deux… »

Mmmh, trop tard pour changer d’avis de toute manière.

« - Un… »

Si jamais ça tourne mal journal, je…
Oh et puis tu trouveras bien quoi faire.

« - Feu ! »

D’un même geste, nous déplions notre bras et tendons notre arme vers l’adversaire. BANG ! BANG ! La double détonation rugit dans le parc, et résonne en écho. Une volée de corneilles s’enfuit en croassant. Devant moi, au bout de mon bras toujours tendu, un épais nuage blanc fume du canon de mon pistolet, m’obstruant un moment la vue. La fumée est également assez épaisse pour dissimuler celle qui s’échappe de mon épaule en train de se reconstituer, là où la balle de mon adversaire l’a transpercée sans douleur. Je n’ai pas cillé, personne ne devrait avoir remarqué.
Comment ça journal, c’est de la triche ? Bien sûr que c’est de la triche ! Tu ne croyais quand même pas que j’allais défier une simple bourgeoise dans un duel à la loyale ?! Une experte de la chasse au canard, en plus !

Experte ou pas, mon adversaire a été touchée elle aussi. Hélas pour elle, faute de logia, sa blessure au flanc sa cuisse se met à saigner généreusement, inondant sa redingote tandis qu’elle se laisse tomber dans l’herbe humide sans un mot, pas même un gémissement, et que ses témoins, ses proches venus l’accompagner et l’encourager, accourent autour d’elle pour la soutenir.
L’arbitre s’avance solennellement devant nous, fier et imperturbable dans son pantalon rouge et sa veste militaire, brandissant sa canne de parade pour nous séparer. Il annonce :

« - La vainqueure est Caramélie d’Isigny ! »

Quelques applaudissements se font entendre dans l’assistance. Je pourrais me sentir soulagée, mais…
Je me retourne vers la foule venue assister à l’échange. Ils sont venus nombreux, beaucoup plus que ce qu’on pourrait attendre pour un simple duel entre une députée de l’assemblée de Goa et une jeune aristocrate. Si quelques-uns d’entre eux sont de mes amis et ma famille, notamment ma sœur Réglisophie et mon cousin Augustin qui ont eu la gentillesse et le sens du devoir de venir me soutenir, les membres du camp d’en face sont plus nombreux. Beaucoup plus nombreux ! Parmi eux se trouvent en particulier une quinzaine de députés, tous issus de la bourgeoisie de Goa et membres du camp républicain à l’assemblée. Et tous partagent un point commun : je les ai défiés en duel pour ce matin.
Eh bien… au suivant j’imagine ?
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Assemblée nationale de Goa, la veille

Cher journal,

L’ancien théâtre royal a été établi comme siège de la nouvelle assemblée des députés de Goa. Dans ce lieu autrefois emblématique de la riche société du royaume déchu se réunissent à présent quelques deux cent cinquante élus du peuple, chargés de faire vivre la politique de la jeune république. La décision du gouverneur de déléguer soudainement une partie de son pouvoir, jusque-là pratiquement sans limites, et alors que depuis quatre années il tenait fermement et sans partage les rênes de Goa, pourrait paraître surprenante. De moins en moins de personnes étaient dupes à propos du fait que l’objectif de l’amiral Fenyang, probablement guidé par quelques hautes instances, était de transformer l’ancien royaume en une simple division administrative au service du Gouvernement Mondial, suffisamment verrouillée et assagie pour ne pas risquer une nouvelle fois de tomber entre les mains de la révolution.  

Hélas, passée une certaine période de grâce où, auréolé de son statut de sauveur de l’île et de bouclier contre la révolution, il avait pu renverser les institutions d’une part, et diriger d’une main de fer une population encore ébranlée de l’autre, la réalité a fini par rattraper le gouverneur. La reconstruction n’avance pas aussi vite que prévu, la situation économique de l’île s’est sévèrement détériorée, et le soutien populaire lui est de moins en moins acquis chaque jour. Depuis l’assassinat d’un de ses principaux ministres, Don Mendoza, la contestation s’est même amplifiée à un point où elle est devenue intenable ! Mendoza étant le principal soutien des nostalgiques de l’ancien régime au sein du gouvernement, ces derniers ont vu avec effroi dans son élimination une tentative de les éradiquer définitivement. La forte mobilisation des anciens nobles et de leurs nombreux soutiens, et le retour massif de ceux qui étaient partis en exil, ont fortement déplu aux promoteurs d’un basculement plus franc vers une vraie démocratie ; ces derniers faisant remarquer avec de plus en plus d’insistance que, pour une soi-disant république, celle de Goa ne laissait pas beaucoup de place à la représentation du peuple !

Si ces deux courants de pensée, monarchistes et républicains, sont frontalement opposés sur presque tous les aspects, il y en a au moins un sur lequel ils semblent être tombés d’accord : la situation actuelle ne va plus, et c’est de la faute du gouverneur !
De là est venue l’idée de faire élire les premiers députés, siégeant dans une assemblée qui, en dépit de ses pouvoirs limités, a au moins le mérite d’exister. Une manière pour le gouverneur de lâcher du lest, ou au moins de faire semblant. De faire quelques pas vers une réelle transformation vers un véritable modèle républicain qui est, si j’en crois les informateurs du Cipher Pol placés au plus près de l’entourage de Fenyang, un souhait sincère de sa part. Mais sans leur en donner trop non plus, parce que le problème de demander leur avis aux autres, c’est qu’ils ne sont pas toujours d’accord avec nous !

Est-ce que ça a calmé la situation ? Absolument pas ! En quelques semaines d’existence, l’assemblée nationale de Goa n’a eu de cesse de réclamer de nouvelles prérogatives (et de les obtenir, dans une certaine mesure !), soutenue à la fois par une population toujours insatisfaite et par des ministres souvent acquis à leur cause, que ce soit pour leurs propres intérêts ou pour sauvegarder leur clientèle, ou leur position !
De nombreux rapports ont été produits par les équipes du Cipher Pol présentes sur place, pour avertir aussi bien le gouverneur que notre propre hiérarchie du danger que courait Goa à laisser la situation s’enliser. Nos recommandations étaient de rétablir au plus vite un souverain légitime, d’étouffer la flamme du républicanisme qui est source de beaucoup trop d’accointances avec la révolution, et de faire un sévère ménage parmi les défenseurs de ce modèle politique, dont les idées sont beaucoup trop subversives. Conseils qui ont été passablement ignorés…

Qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans ? Et quel rapport avec le fait que je tire sur de vieilles bourgeoises au petit matin dans un parc ? Beaucoup plus de choses qu’on ne pourrait le croire, et tout commence la veille, alors que je participais innocemment à la plus belle réception de l’année…
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Scaramouche Mqzy

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Palais du Printemps effervescent, Goa, l’avant-veille…

Cher journal

La fête donnée ce soir-là est d’une magnificence que n’aurait pas reniée la Goa du temps de l’ancien régime. Le spectacle musical est assuré par la fanfare militaire de la garde royale de Saint Uréa, ayant fait le déplacement pour l’occasion, et cette dernière n’a cessé de jouer ballets, marches et symphonies, choisies parmi les meilleures de leurs répertoires. Les couples de danseuses et de danseurs semblent se multiplier à l’infini à travers les splendides salons de ce palais situé dans l’un des quartiers les plus recherchés de la ville haute, non loin de l’immense palais royal dont les murs à demi effondrés dominent encore la ville de son aura sinistre, et dont le gouverneur a fait son logis de la moitié encore intacte.
Une petite armée de serviteurs, dirigés par un fourmillement de chambellans, eux-mêmes dirigés par un grand chambellan, s’assurent du bon déroulement des danses et du bien-être des convives.  Les nobles dames, baronnes, comtesses, marquises et duchesses, rivalisent de parures ostentatoires, des belles robes, de plumes rares, et de cascades de diamants sur leurs décolletés et leurs robes hors de prix. Les nobles seigneurs arborent tantôt des uniformes de parade, tantôt d’élégants costumes dont certains n’ont pas grand-chose à envier en termes d’extravagance eux habits de leurs partenaires. Au signal de chaque nouvelle danse, c’est une foule incroyablement organisée qui se presse, et défile, dans un mélange incroyable de tenues colorées et rutilantes, que décuple la réverbération des lustres.

Les vedettes de la soirée, ce sont cet homme et cette femme qui dansent au centre du plus beau salon. Il lui tient sa main gantée d’un bras, sa taille de l’autre, et tous les deux tournoient, virevoltent avec une aisance presque surnaturelle au milieu des lumières et des convives.
Lui, c’est le prince de Saint Uréa. N’étant pas citoyen de Goa, il peut se permettre d’afficher toute l’extravagance dont il le souhaite sans attirer la suspicion et la jalousie, et il ne se gêne pas. Après tout, même dans un état où tous les privilèges ont été balayés, rien n’empêche encore un noble originaire d’un royaume allié d’organiser une fête privée et d’y appliquer le protocole qu’il souhaite ! Quant à elle, c'est sa cousine, issue de sa parenté de la vieille noblesse de Goa. C’est en son honneur qu’il tient ce bal, pour l’anniversaire de ses vingt ans, même si la fête est en réalité un prétexte pour réunir tout ce qui vit encore de l’ancienne aristocratie du royaume. C’est un prétexte pour lui permettre de vivre, l’espace d’une soirée, comme dans l’ancien temps, et montrer que l’âme du royaume n’est pas morte.

Je fais partie des convives, et même pas en tant qu’agent du Cipher Pol venue espionner les magouilles d’un prince étranger. J’ai été conviée, et je suis munie d’un véritable carton d’invitation ! Beaucoup de membres de la jeune noblesse comme moi sont également présents, et s’adonnent avec plaisir aux joies de la danse à laquelle ils ont été formés depuis leur enfance. J’aime danser également, mais j’aime encore plus observer. C’est un jeu passionnant que de regarder les relations sociales et de comprendre le petit jeu subtil qui se joue entre cette masse d’individus parés d’assez de richesses pour acheter une île. Je ne suis pas la seule à pratiquer ce petit jeu et parfois, lorsque nous nous identifions entre « observateurs », nous échangeons un petit regard complice.

Si je ne suis pas particulièrement proche de la reine de la soirée, et encore moins du prince, je le suis en revanche beaucoup plus du duo qui danse à quelques pas d’eux. La première est ma grande sœur Réglisophie : c’est le genre de peste que tout le monde trouve adorable, oubliant ses défauts à une telle vitesse, lorsqu’elle sourit, que l’on la croirait capable de produire un effet amnésique sur les gens. Le second est notre cousin, Augustin d’Augustin, huitième duc d’Augustin. Il faudra que je te reparle de lui plus en détail à l’occasion, journal, mais cette histoire n’est pas la sienne. C’est un proche parent, un homme d’une trentaine d’années arborant une élégante moustache châtain clair et des cheveux de la même couleur, désespérément rabattus en avant dans le vain espoir de dissimuler une calvitie déjà bien avancée.  
Si Réglisophie tire son influence de sa parenté avec l’ancienne famille royale (enfin notre parenté, mais tout le monde a l’air d’oublier que, étant sa sœur, j’ai la même hérédité) (non journal, ça n’a rien à voir avec le fait que je la qualifie de peste. Si tu avais passé ton enfance avec elle tu serais convaincu qu’elle en est une, toi aussi !), Augustin tient la sienne de son haut rang nobiliaire, de son indéniable intelligence et de sa force rhétorique qui lui ont permis de s’imposer comme l’un des meneurs du camp monarchiste à l’assemblée de Goa. C’est d’ailleurs leur point commun : tous deux font partie des têtes d’un parti de députés regroupant la tendance monarchiste, travaillant activement pour un rétablissement de la royauté ou, à défaut, le retour des privilèges de la noblesse. Ils ne sont pas les seuls : la totalité des cent députés royalistes sont présents au bal de ce soir. Quand on sait ça, et quand on constate le faste déployé, la raison de cet évènement prend un tout autre éclairage…

« - Pensez-vous que la marquise de Touy et la dame de Chevaigné de Boisville vont réussir à se réconcilier ce soir ? »

Sans même me retourner, je jette un petit regard en coin à la personne qui vient de m’adresser la parole :

« - Vu les efforts que fait leur cousin M. de Charnoux pour les amener à se croiser, ce serait vraiment triste si elles n’arrivaient pas à se réconcilier ! »

Nous gloussons toutes les deux, et échangeons quelques banalités, comme le feraient deux quasi-inconnues cherchant à faire la conversation à propos d’un des grands potins parfaitement vains et pourtant croustillants qui anime les salons de commérages. Pourtant nous sommes loin d’être des étrangères l’une pour l’autre ! Dame Candice Clarcin de Batiolles, une très grande femme vêtue pour l’occasion d’une robe de soirée étincelante, n’est pas seulement une baronne mondaine qui reçoit beaucoup et connaît tout le monde : c’est surtout une cheffe d’équipe du CP5, la commandante des unités du Cipher Pol à Goa, et ma supérieure !
Elle et moi sommes des parasites : si en apparence nous fréquentons assidûment les cercles aristocratiques, et donc pro-monarchistes, c’est à la fois par opportuniste, pour disposer d’une couverture, et parce que leur lute présente un intérêt pour nous et pour les intérêts que nous défendons. Alors que les républicains gagnent du terrain chaque jour, au point de menacer sérieusement le pouvoir du gouverneur, utiliser à notre avantage leurs adversaires permet de rééquilibrer la situation et de maintenir un statu quo avantageux pour les affaires du Gouvernement Mondial. Faute de projet plus heureux à l’intention de l’île en tout cas, car je soupçonne nos seigneurs et maîtres de pratiquer la politique de l’autruche en ce qui la concerne, ou bien de ne plus vouloir entendre parler de cet endroit qui leur a causé bien trop de tracas et de déconvenues ! Même si je suis heureuse que ma mission actuelle converge avec la possibilité d’arranger les affaires de ma famille, et me fait déculpabiliser dans une certaine mesure de les utiliser à leur insu, mes vues personnelles importent peu : ce qui compte c’est avant tout de rendre heureux les décideurs au-dessus de nous. Et comme leur discours est : tout va bien à Goa, alors on fait ce qu’on peut pour que ça advienne…

Après quelques frivolités sur l’intervention maladroite de madame Smith-Matthieux-Al-Bennaoui qui risque de faire échouer au pire moment la réconciliation tant attendue madame de Touy et madame de Chevaigné de Boisville, dame Candice me glisse :

« - Avez-vous entendu parler de cette histoire au parlement ? Ce duel entre le député de Beaurepaire et le député Watson ? »

Ça fait beaucoup de noms depuis tout à l’heure journal, alors on va faire simple : tu peux tous les oublier. A part éventuellement celui de dame Candice ma patronne, Réglisophie ma sœur, et à la limite le cousin Augustin. Et si tu oublies celui de Caramélie, je te jette à la poubelle !
Ce qui compte, c’est plutôt ce qu’on fait ces deux députés aux noms oubliables, l’un noble et membre du parti monarchiste, l’autre bourgeois républicain, et qui alimente toutes les conversations mondaines :

« - J’en ai eu quelques échos… sale affaire.
- Ce serait parti, d’après ce que l’on m’a dit, du discours très véhément qu’a tenu monsieur de Beaurepaire à l’assemblée et qui aurait fortement déplu à monsieur Watson. Le ton est monté, entre eux, ils se sont échangé quelques passes très désobligeantes en public et, l’un et l’autre estimant leur honneur bafoué, ils ont convenu de régler ça par les armes. »

Je soupire en riant :

« - C’est bien un comportement d’hommes, ça !
- C’est bien un comportement de personnes dont l’ego est à fleur de peau ! Et ils ne sont pas les seuls à être aussi tendus, en ce moment plus que jamais. Les aristocrates sont particulièrement chatouilleux à propos de leur supériorité morale, que leur contestent les bourgeois avec un mélange de jalousie et de fierté. Dans des conditions pareilles, je parie que d’autres situations de ce genre se reproduiront.
- Vu votre réputation et votre instinct, je me garderai bien de parier contre vous !
- Ce qui est dommage, » murmure la baronne en baissant la voix ce qui, avec la musique qui fanfaronne autour de nous, la rend parfaitement inaudible pour quiconque à part moi, « c’est que ça n’ait pas été le député Davy qui se soit trouvée à la place de ce Watson. Ce dernier, pour ce que j’en sais, n’est qu’un animal politique tandis que Davy a des fréquentations beaucoup plus douteuses. Je ne serais pas mécontente de le savoir avec un coup d’épée ou de pistolet dans le ventre. Pas mort, mais disons juste assez mal en point pour que certaines personnes puissent lui mettre la main dessus… et faire ce qu’ils ont à faire sans que personne ne s’en alarme.
- Davy, c’est le député à l’air prétentieux et désagréable ? Celle qui fait toujours des remarques désobligeantes aux femmes ?
- On pourrait énumérer ses défauts toute la soirée ! Et je ne parle même pas de certains propos vraiment subversifs qu’on l’aurait entendu proférer en privé…
- J’espère ne jamais avoir affaire à lui ! » -Je me lève- « Profitez bien de la soirée, madame la baronne !
- Vous de même. »


Dernière édition par Caramélie le Sam 16 Sep 2023 - 18:08, édité 1 fois
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De retour au théâtre ! Enfin à l’assemblée des députés. Même si, vu le spectacle qui s’y joue, ou pourrait se demander s’il ne reste pas un peu du premier dans le second ! Ce lieu, en plus de sa magnifique architecture aux rideaux en velours rouge, colonnades aux dorures adoucies sous la patine du temps, et fauteuils de première classe, possède un avantage indéniable : il est très grand. Et puisqu’il est si vaste, trop pour si peu de politiciens à l’occuper, les sessions sont ouvertes à tous les citoyens pour peu qu’ils daignent se dispenser de parler. Ainsi, je ne me prive pas d’assister aux représentations en salle pleine et de profiter.
La présidente de l’assemblée frappe avec virulence son bureau à l’aide d’un petit marteau. Sa voix témoigne d’une profonde lassitude tandis qu’elle clame une nouvelle fois :

« - Mes chers collègues, faites silence ! »

Si les chers collègues en question ont entendu sa consigne, ils se gardent bien de faire mine de l’avoir comprise.

Le marteau de la présidente frappe de plus belle et elle s’exclame, de guerre lasse :

« - La séance est levée pour aujourd’hui ! Nous reprendrons demain, quand chacun sera mieux disposé. »

Des éclats de voix se font entendre toutes parts, certains scandalisés, d’autres ravis ou satisfaits, d’autres encore simplement blasés. Les gens commencent à quitter leurs sièges, par petits groupes. Nombreux sont ceux qui restent à débattre ou à planifier l’assemblée du lendemain.
Je quitte mon siège et descend d’un pas vif les gradins en direction d’un petit groupe de députés républicains en train de remonter vers la sortie tout en bavardant. Je me tiens devant eux, leur barrant le passage. Le visage froid et le regard neutre, j’invective l’un des leurs :

« - Monsieur le député Davy ?
- C’est moi-même. »

Le corps trapu, large de ventre et de poitrine, tout dans son visage carré à barbe courte et blanche, son expression dédaigneuse, ses sourcils (noirs au lieu d’être blancs) perpétuellement plissés en un air sceptique, me font ressentir de l’antipathie pour lui. Il a d’ailleurs un passif de provocateur, railleur, médisant, mauvaise foi, et surtout macho invétéré, qui font que je prendrai particulièrement de plaisir à mettre à bien ma mission !
Visiblement surpris mais satisfait qu’une jeune femme veuille lui adresser la parole, son visage s’illumine d’une lueur gaillarde et d’un sourire faraud. Il ne tarde cependant pas à se transformer en une moue méfiante lorsqu’un simple coup d’œil de ma part suffit à m’identifier comme une aristocrate :

« - Écarte-toi, petite fille. Je n’ai rien à dire aux gens comme toi.
- Je ne crois pas que vous ayez quoi que ce soit à dire d’intéressant à qui que ce soit. Vous l’avez d’ailleurs parfaitement démontré dans les débats aujourd’hui. »

Le député, tendue et énervée par des heures de débats intenses, semble prise d’une envie de me saisir par le col pour me jeter quelque part au loin. Tout son corps se tend, pourtant il se retient et m’adresse un simple geste agacé de la main :

« - Pousse toi de mon chemin, gamine. J’ai assez perdu de temps avec les aristos pour aujourd’hui.
- Monsieur Davy, votre attitude ne me revient pas du tout. Vous avez été extrêmement désobligeant pendant les débats aujourd’hui, en particulier avec la députée de Charnoux qui se trouve être ma cousine. Cette insulte demande réparation, et je vous défie en duel. »

Un ou deux de ses collègues ricanent, les autres se tendent encore plus. L’un d’eux se dresse même entre Davy et moi, essayant de calmer le drame qui semble être sur le point de se jouer, alors qu’un attroupement est en train de se former autour de nous.

« - Assez, ça suffit. »

Davy lance :

« - Retourne chez ta mère. Les duels c’est un truc d’hommes, et je m’en voudrais si on me prenait à frapper une gamine. »

Tout un attroupement s’est formé autour de nous. Bien que nous soyons dans la moitié du théâtre généralement dévolue aux membres des différents partis républicains, un certain nombre de députés monarchistes et de députés pro-gouverneur (oui, ce genre de spécimen existe, même s’ils sont terriblement minoritaires !) nous ont rejoints ; à la pression de rester à son avantage devant son groupe de compagnons, s’ajoute à présent pour Davy celle de garder la face devant nombre de ses collègues ! A l’inverse de lui qui s’efforce de se donner l’air supérieur et désinvolte malgré l’agacement, j’arbore une expression joyeusement impertinente :

« - C’est bien ce que je pensais, les roturiers comme vont n’ont pas assez d’honneur pour chercher à le défendre. Vous êtes tout juste bons à essayer de singer vos aînés mieux nés et mieux dotés. »

Piqué au vif, le député s’empourpre. Certains de ses collègues font de même.

« - Très bien, j’accepte le défi ! Et je vais te faire regretter d’avoir quitté tes poupées. »

Touché, héhé ! Dame Candice avait raison à propos de ce sentiment d’infériorité que les bourgeois de Goa ont besoin de combler, et qui les rend faciles à manipuler.

Nous nous séparons, et je suis aussitôt entourée par les collègues du camp monarchiste. Bien que n’étant pas élue moi-même, un certain nombre d’entre eux me connaissent de par nos liens de parenté, ou parce qu’ils reconnaissent en moi la petite sœur de Réglisophie. Sœur qui d’ailleurs se précipite sur moi, effarée :

« - Qu’est-ce qui t’as pris ? C’est complètement idiot d’avoir fait ça ! Tu vas te faire tuer !! »
- Au contraire, ça va être amusant !
- Je n’aurais jamais dû te laisser assister aux débats ! Je te croyais plus mature que ça ! »

Alors que Réglisophie semble scandalisée d’avoir une petite sœur aussi inconsciente, je trouve un soutien inattendu en la présence de notre cousin Augustin :

« - Tu ne devrais pas la disputer comme ça. Il faut savoir apprécier à leur juste valeur toutes les bonnes volontés. »

Il plonge ses beaux yeux très pâles dans les miens :

« - C’est très courageux ce que tu as fait, Caramélie.
- Oui… d’accord, je peux au moins lui reconnaitre ça. Mais ça n’en est pas moins de la folie ! »

Nous échangeons toutes les deux, par-dessus l’épaule de notre cousin, un regard noir pour elle et moqueur pour moi. « Vilaine ! » « Chipie ! »

« - Tu as vu comme moi la composition de cette assemblée, Réglisophie. Nous avons beau être nombreux, nos adversaires le sont encore plus et nous sommes en minorité dans les débats. Nous aurons beau mettre toute notre énergie et toute notre intelligence en œuvre, nous sommes condamnés à perdre si nous ne faisons pas plus.
Or, Caramélie a eu une brillante idée. En admettant qu’elle réussisse à mettre son adversaire hors-jeu, ça fera toujours un député de moins pour le camp d’en face, au moins pour un moment, le temps que ses blessures et surtout son ego s’en remettent !
Si plus d’entre nous avions le courage de Caramélie, nous pourrions tout à fait envisager de faire le ménage dans le camp d’en face !

- Tu ne vas quand même pas l’encourager !
- Bien sûr que si !
- Je voudrais malgré tout que tu fasses attention à toi, Caramélie. Tu es jeune et courageuse, mais il n'est pas trop tard pour…
- Parfait ! Je trouve que c’est une très bonne idée que vous avez, mon cousin ! D’ailleurs… »

Alors que nous arrivons à la hauteur de deux hommes occupés à converser sur leurs sièges de députés, je m’avance au-devant d’eux et demande :

« - Monsieur le député Deschamps ?
- Lui-même.
- Je pense que vous êtes un goujat et un fat. Je vous défie en duel !
- Pardon ?!
- Et vous aussi monsieur ! J’ignore votre nom, mais votre tête ne me revient pas ! »
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Bon, j’avoue que j’ai un peu perdu le contrôle. Mais cette affaire de duels, c’est une très bonne idée ! Alors que la plupart des gens de mon entourage y ont vu une très mauvaise idée, et étaient persuadés de me voir me faire tuer, d’autres ont suivi l’opinion de mon cousin Augustin. Et puis, de manière pas si surprenante, ma supérieure dame Candice m’a elle aussi poussée dans ce vice alors que ma mission, à l’origine, était seulement d’éliminer le député Davy. Selon elle, moins les républicains sont forts, moins ils risquent de déstabiliser Goa ! Et si au passage on peut s’arranger pour en subtiliser quelques-uns afin de les interroger sur leurs activités suspectes…

Sans perdre de temps, je passe à mon deuxième adversaire qui n’est autre que le fameux député Davy, alias Monsieur Antipathique. Il me fait face en tenue de duelliste (pantalon cramoisi et chemise blanche ample), ses sourcils noirs agaçants inclinés en une expression intense et condescendante, comme s’il espérait me déstabiliser. Je me contente d’afficher le même air tranquille et légèrement provocateur. Celui-là, je prendrai du plaisir à l’affronter !
L’arbitre s’avance vers nous, un long coffret dans les bras. Afin d’éviter les combats truqués, il est de coutume que ce soit lui qui fournisse les armes. Une par duel évidemment. Ma petite aventure a fait le bonheur des armuriers de la ville !
Il ouvre la boîte, et nous présente à chacun un fleuret.

« - A la demande de la partie offensée, le duel se fera à l’arme blanche. »

Nous empoignons chacun notre arme. La lame est légère et parfaitement droite. La tenir donne une impression un peu enivrante de puissance qui donne envie de faire des moulinets dans tous les sens !

« - Le combat s’arrêtera au premier sang. Mesdames et messieurs… en garde ! »

La foule est moins silencieuse, et l’ambiance moins solennelle, que lors de mon premier échange. M. Antipathique est un harangueur de foules qui sait se mettre en spectacle, tandis que pour ma part j’ai attisé un certain intérêt en remportant mon premier combat.
Clang ! Les deux lames s’entrechoquent ! Je sens une pression s’exercer sur la mienne, mais j’y résiste sans mal. Tente-t-il de me jauger ? Ou essayait-il simplement de m’écraser rapidement avec sa force masculine ? Je cherche de la contrariété dans son regard, mais il se contente de s’écarter d’un pas en jouant à faire des moulinets avec son fleuret.

« - Alors petite fille, prête pour la leçon d’escrime  ? »

Je connais trop sa réputation de joueur de mots pour oser m’aventurer sur ce terrain avec lui. J’esquive la perche tendue avec un air de gentille cruchotte :

« - C’est comme les fléchettes, c’est ça ? Il faut saisir délicatement la lame et la lancer sur son adversaire ? »

Si je fais mouche, je n’en montre rien car il ne se départit pas de son air paternaliste et méprisant.

« - Ce n’est pas du tout ça, mais ne t’en fais pas petite fille, je vais t’éduquer. Première leçon d’escrime : le jeu de jambes. »

Il s’élance de manière étonnamment athlétique pour quelqu’un de son âge (il a les cheveux blancs donc il doit avoir au moins… chais pas… beaucoup. Vieux. Au moins quarante ou cinquante ans) et sa corpulence pas spécialement sportive. Dans une posture digne du parfait manuel d’escrime, il avance, me provoque de sa lame, mime un ample geste d’esquive. Puis il entame une fente, se penchant vivement en avant, les jambes fléchies et… TCHAC ! Le prenant de vitesse, ma lame fend les airs juste sous son nez, frôlant son corps d’assez près pour dessiner une longue déchirure sur son élégant veston.

L’homme recule d’un bond, avec une rapidité et une posture efficace que je ne peux pas lui dénier. En revanche, l’expression de son visage n’est plus hautaine et assurée du tout ! Je vois bien qu’il réfléchit à toute vitesse. Que s’est-il passé ? Ai-je eu un coup de chance, ou vient-il de se lancer dans un combat beaucoup plus difficile qu’il ne l’avait anticipé ?
Je m’empresse de lui apporter la réplique avec un sourire espiègle :

« - Leçon numéro deux, le mouvement du poignet ! »

A mon tour, je m’élance ! Il m’oppose sa lame mais je ne la croise même pas, déviant mon fleuret vers son bras. Je me garde bien de percer sa peau -pas encore, il faut savoir apprécier les bons moments !-, me contentant de planter ma lame dans sa manche, et de l’en extraire par un vif mouvement d’entaille ! Le tissu déchiré laisse tout son avant-bras complètement, sa manche pendant tristement au niveau de son coude. Je repositionne aussitôt mon épée pour esquiver une contre-attaque rageuse, frappe à gauche, pare à droite, et fais un petit bond de côté pour me mettre hors de sa portée.
L’arbitre nous écarte l’un de l’autre d’un mouvement autoritaire de sa canne, pour nous éviter de nous empoigner comme des chiffonniers, puis recule de quelques pas et nous laisse reprendre nos assauts.

Je suis satisfaite de constater que je ne suis pas rouillée à la pratique des lames. Sans doute serais-je mise en difficulté face à un expert, mais ici je peux miser sur mes bons restes, et les capacités de mon corps entièrement transformé en arme, pour jouer avec ce personnage détestable.
Ce dernier jette des regards de plus en plus appuyés à la foule autour de lui. Il cherche probablement une échappatoire, à moins qu’il ne soit simplement en train de constater les effets de ce duel sur son image. Je ne lui laisse pas davantage de répit : je prends appui sur mes jambes, et file une nouvelle fois en avant ! Je feinte de frapper par en haut, me penche sur le côté pour esquiver un coup de lame, et fais plonger une nouvelle fois la mienne dans son veston. Tchac ! Cette fois-ci, c’est tout un pan de son vêtement qui se déchire, et se met à pendre lamentablement.

L’arbitre nous écarte une nouvelle fois, et j’en profite pour apprécier le résultat sur le visage décomposé de mon adversaire, et de ses amis venus le soutenir. Mais c’est visiblement la goutte de trop : Davy se jette sur moi, fleuret en avant, et fait pleuvoir les coups ! Malgré sa colère, il n’abandonne en rien sa technique et je dois redoubler d’efforts pour éviter de prendre un mauvais coup. Il enchaîne assaut sur assaut, parade, feinte, bond avant, passe avant, flèche,… ! J’esquive autant que possible plutôt que de parer, déviant ma lame quand je le peux, ne l’opposant à la sienne que lorsque je ne peux faire autrement. Le bruit du métal résonne à chaque échange, et l’assistance est même obligée de s’écarter pour nous laisser de l’espace !
Et puis soudain, une ouverture ! Profitant de ce qu’il ait un peu trop étendu son bras, je vise directement l’abdomen et plonge ma lame qui s’enfonce profondément dans sa chair !

« - Aaaargh ! »
« - Fin du combat ! » S’écrie l’arbitre qui s’élance entre nous, nous écartant de toute l’autorité de sa canne. « La vainqueure est Caramélie d’Isigny. »

Plusieurs personnes se précipitent au secours du député dont la blessure saigne abondamment. On lui ôte les lambeaux de sa chemise, et applique un linge pour tenter de contenir l’hémorragie.
Ne t’en fais pas trop pour lui journal : je suis une professionnelle, j’ai bien ajusté mon coup. Ma mission consistait à le blesser assez sérieusement pour justifier qu’il soit hors circuit quelques temps, mais certainement pas de le tuer car ma cheffe a besoin de lui vivant.
Hum… en prenant en compte cet aspect, finalement tu devrais t’inquiéter pour lui, journal.
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Les duels se succèdent avec une certaine intensité. Les deux premiers échanges ayant donné le ton, mes adversaires suivants ne commettent pas l’erreur de me prendre à la légère. Un certain nombre d’entre eux a même rapidement réalisé qu’ils avaient fait une grosse bêtise en acceptant trop vite un duel contre une personne bien plus forte qu’eux ! Il faut dire que, vu la longue liste de mes adversaires, la plupart ont tout logiquement estimé que j’allais me faire mettre hors d’état de nuire bien avant que leur tour n’arrive, et que relever mon défi était juste un moyen de démontrer leur courage à moindre coût.
Un nouvel opposant se présente à moi pour un combat au fleuret. Je commence à avoir perdu le compte : j’en suis à neuf, ou à onze ?

« - Mesdames et messieurs… en garde !
- Aaargh, je suis blessé, saigne !
- N’importe quoi, je ne vous ai même pas encore frappé ! »

Décontenancée, je regarde mon adversaire, distant d’au moins cinq pas, qui montre à qui veut la voir une entaille sur le dos de sa main.

« - Elle m’a touché, j’ai perdu ! Oh mince alors ! »

L’arbitre hésite un instant. Il regarde ma lame, celle de mon adversaire où perle encore une petite goutte de son propre sang, puis il soupire et déclare :

« - Hum, peu importe. La vainqueure est Caramélie d’Isigny ! »

Je me sens un petit peu flouée, mais je dois avouer que j’apprécie ce petit répit que m’offre une victoire rapide. Cette succession de combats à commencé à me fatiguer, et je sens venir les premières raideurs dans les bras et les jambes.

« - Le prochain duel opposera mademoiselle d’Isigny -encore- à madame la députée Patience Cochard. L’arme choisie par la partie offensée est… la calèche. »

Même l’arbitre semble perplexe. L’assemblée également. Et moi de même ! Je jette un regard interrogateur à mon cousin Augustin, qui me répond par une moue un peu dépitée. « Pas le choix, c’était dans son droit » semble-t-il me dire.

On nous apporte effectivement deux calèches, chacune tractée par un cheval. Je choisis celle tirée par une jument grise mouchetée de noir, parce que son regard intelligent me plaît bien.

« - Elle s’appelle Susucre » m’informe son conducteur avant d’en descendre, et de me confier les rênes et un fouet.

Je me penche contre son encolure en lui chuchote :

« - C’est un nom un peu idiot, mais je ne t’en veux pas ma belle. Ne t’en fais pas, on va gagner ensemble !
- Hiii ! » Me répond-elle. Elle est partante, génial ! Ou peut-être qu’elle s’attend à recevoir ce fameux susucre ?

Je prends place sur mon siège tandis que mon adversaire fait de même. Malgré le ridicule de la situation, voir un tel attelage dirigé contre soi dans une intention meurtrière a quelque chose d’impressionnant. Et puis cette fois, je dois confesser ma totale inexpérience dans l’usage de l’“arme” du duel ! La foule semble partager mon appréhension, et se recule prudemment, cherchant parfois même l’abri des troncs des arbres les plus proches.

« - Le combat s’arrêtera au premier sang », énonce une fois de plus l’arbitre avec un professionnalisme qui masque parfaitement ce qu'il pense de l'hérésie sur le point de se dérouler sous ses yeux d'amateur de duels. « A vos marques… prêtes… partez ! »

Mon adversaire et moi fouettons de concert et nos attelages s’élancent, face à face, à la manière d’une joute de chevaliers ! Susucre semble heureusement savoir quoi faire, et elle dévie tout naturellement de manière à contourner son adversaire (un cheval brun avec une tache blanche sur le museau) qui trotte à bonne allure droit vers nous, et éviter de le percuter de plein fouet ; les deux véhicules passent l’un à côté de l’autre.

Clac ! Clac ! Au moment de nous croiser, la députée Cochard et moi tentons chacune de nous frapper avec nos fouets ! Gênée par les soubresauts de la calèche, le mien manque largement sa cible tandis que le sien heurte le bois de mon véhicule. Nous repartons chacune dans une direction opposée, et j’empoigne les rênes à deux mains, délaissant le fouet, pour rediriger mon attelage vers mon adversaire.

« - Allez Susucre, demi-tour ! A gauche ! Non ? Tu veux aller à droite ? Bon, à droite ! »

Je n’ai pu effectuer qu’un quart de tour alors que Cochard, visiblement meilleure maîtresse de son cheval, est déjà sur moi ! Elle fonce à vive allure, debout, les jambes fléchies sur son siège, les rênes nouées à un de ses poignets tandis qu’elle se tient fermement à son véhicule, agitant de l’autre son fouet avec toute l’allonge possible.

« - Vite Susucre, tourne ! Elle ne doit pas arriver dans notre dos ! »

Si ma jument ne semble pas du tout comprendre ce que j’attends d’elle, elle semble sentir l’urgence de la situation et la menace qui arrive sur elle, et redouble d’allure !
Clac ! Un son de fouet retentit près de mes oreilles, mais aucune douleur ne vient. Et l’instant d’après, je me suis déjà écartée à bonne distance de mon adversaire. Cette dernière reprend sa position de conduite, et hèle son cheval avec énergie.

« - Avance ! Yah ! Yah ! Yaaah ! »

Ça a l’air de fonctionner alors je fais pareil avec la mienne :

« - Avance Susucre ! Yah, yah, yah ! Et… tourne quand tu pourras… »

Mon attelage slalome entre les allées du parc, avançant de manière plus ou moins autonome. Chaque fois que je crois avoir trouvé une manière de le diriger, ma jument fait une nouvelle embardée et repart dans la direction opposée à celle où je crois la mener. Et plusieurs fois, Cochard nous rattrape ce qui donne lieu à quelques vains échanges de fouets, de cris, et puis nous nous séparons malgré nous.

« - Pas par-là Susucre, c’est la sortie du parc ! »

Je tire sur les rênes aussi fort que je peux, mais la jument n’en galope que plus vite.

« - Il y a une grille, n’y va pas ! Noooon ! »

BLAAAAM ! Double grille métallique est violemment écartée, et ma jument reprend sa course de plus belle, galopant à perdre haleine dans les ruelles de la ville !
RE-BLAAAAM ! L’instant d’après, mon adversaire heurte à son tour la grille et se lance à mes trousses ! Je peux entendre le claquement des sabots de son cheval quelques dizaines de mètres derrière moi, accompagné des cris et des protestations des passants. Il faut dire que l’heure a bien avancé depuis mon premier duel à l’aube, et que la matinée est bien entamée. Il y a foule dans les rues, ce qui n’empêche pas Susucre de galoper droit devant elle, sans contrôle ! Plusieurs fois je crois qu’elle va finir écrasée contre un mur, mais elle tourne au dernier moment ! De nombreuses fois je la sens sur le point de piétiner un pauvre passant, mais cette fois ce sont eux qui s’écartent de justesse !

« - Revenez ici ! » Me lance mon adversaire « Nous ferions mieux de retourner dans le parc avant de créer un accident ! »

Trop fière pour avouer que je n’ai aucun contrôle sur la situation, malgré l’évidence, je crie en réponse :

« - Avouez-vous vaincue si vous n’êtes pas capable de me suivre !
- Vous êtes complètement folle ! Je… bon d’accord, préparez-vous, j’arrive ! »

J’entends son fouet claquer, et son cheval brun redouble d’allure à son tour !

Nous nous trouvons dans la ville haute, et c’est une chance car les rues y sont bien larges, et pourvues de nombreuses places et espaces. L’autre chance dont nous disposons, c’est que nous nous trouvons actuellement dans une série de quartiers qui ont été réhabilités, et dont les belles demeures ont été transformées en logements pour les sinistrés de la ville basse. Ce qui veut dire, journal, que ce n’est pas très grave si on renverse quelqu’un puisque ça ne sera qu’un roturier !

« - Attention avec votre cheval !
- Poussez-vous !
- Non, vous, ralentissez !
- Vous, poussez-vous !
- Arrêtez, vous allez bousculer ma… »

BLAM ! Je me retrouve recouverte d’éclats de bois et de légumes qui volent partout autour de moi.

« - … charrette.
- Ah oui. Pardon. »

Je suis déjà partie au loin.
RE-BLAM !!

« - Pardon aussi ! » Lance mon adversaire toujours à mes trousses avant de crâner :

« - Alors on ralentit, d’Isigny ?
- N’importe quoi ! »

La rue s’élargit à cet endroit, et Cochard arrive presque à ma hauteur. Ayant renoncé à maintenir un semblant de guidage avec les rênes, je me retourne complètement sur mon siège, et fouette avec toute l’allonge que je peux ! Clac ! Mon adversaire riposte, et pare avec son propre fouet ! La lanière revient vers moi, manquant de me frapper, et je la fais tournoyer pour gagner de la vitesse avant de frapper à nouveau ! La lanière siffle, et vient s’abattre sur le rebord de la calèche adverse, à seulement quelques centimètres de ma cible. Pas le temps de me féliciter puisque je dois me projeter pratiquement à plat ventre pour éviter une attaque, balayée à l’horizontale, qui passe à un cheveu au-dessus de moi !

« - Plus vite Cacarotte, on va l’avoir !
- Non, plus vite Susucre ! C’est nous qui allons l’avoir !! »

Nos fouets balayant encore les airs, mais en vain. Et puis Cochard me lance :

« - Prenez à droite au prochain croisement, ça nous ramènera vers le parc. »

J’agite vainement les rênes et… victoire ! Ma jument part dans la bonne direction ! Elle cavale à grande vitesse, mon véhicule cahotant sur les pavés. Plus d’une fois nous manquons de percuter un passant, de nous écraser contre un arbre, ou de nous renverser, et pourtant mon attelage tient bon ! Je ne dois pas non plus nier le mérite de mon adversaire, qui se maintient à ma hauteur en réussissant l’exploit de diriger sa monture -contrairement à moi-, de l’amener dans la bonne direction, de n’avoir tué personne, et de malgré ça continuer à me lancer des coups de fouet ! Je riposte avec ferveur d’ailleurs et nos armes se croisent, de heurtent et se repoussent parfois, et…

« - Attention, la clôture ! »

Trop tard : projetées à pleine vitesse, nos calèche heures de plein fouet l’épaisse barrière de métal forgé qui borde le parc ! Dans un bruit de craquement horrible mêlé de hennissements paniqués, nos véhicules s’écrasent et de disloquent tandis que nous sommes projetées dans les airs ! Effectuant un vol plané je heurte la grille au niveau de ses pointes épaisses, passe à travers en me décomposant légèrement, et atterrit violemment dans l’herbe du parc, heureusement sans mal. Je dois remercier encore une fois mon logia ! Pour imaginer ce qui me serait arrivé sans lui… il me suffit de regarder la pauvre Cochard.
Après avoir tenté de tourner au dernier instant pour éviter de s’écraser elle aussi, elle a violemment heurté la clôture par le flanc, et a été projetée elle aussi par-dessus. Son corps malheureusement pas constitué de gaz a été en partie lacéré par les pointes en métal, surtout au niveau de l’épaule et du flanc, ce qui n’a pas pour autant stoppé sa violente course jusqu’au sol. Elle gît à présent par terre, gémissante, son épaule visiblement sortie de son logement et sa jambe formant un angle bizarre.

Des gens accourent rapidement depuis la rue, mais aussi du parc où les spectateurs du duel les plus rapides arrivent déjà. Certains s’affairent immédiatement autour de mon adversaire au sol, et tentent de s’enquérir de son état. Pour ma part je m’écarte un peu, me sentant vaguement coupable d’une bêtise.

« - Caramélie ! Tu vas bien ?
- Oui… je n’ai rien. Peut-être quelques bleus, mais pas une égratignure ! J’ai dû atterrir sur un coin un peu plus moelleux. »

Ma sœur m’inspecte des pieds à la tête, dubitative, pour constater que je dis vrai. Oubliant son angoisse et sa colère, elle m’enlace alors joyeusement ! Puis elle se retourne vers l’arbitre qui hoche la tête et s’exclame :

« - Eh bien… vainqueure de ce duel, Caramélie d’Isigny. »
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Un homme vêtu d’un complet noir, coiffé d’un élégant chapeau haut de forme, et arborant une moustache soigneusement lissée, pénètre dans la demeure du député Davy. C’est un très bel hôtel particulier, de belle taille et fraîchement rénové, dont il a fait l’acquisition après qu’il ait été vidé, pillé, et que ses occupants aient été massacrés pendant les tragiques événements de la révolution qui a secoué Goa. Davy est particulièrement fier de son acquisition qu’il a meublée avec grand soin, et à grands frais, ceci d’autant plus qu’avant l’abolition des privilèges les gens comme lui, quelle que soit leur fortune, leur éducation, et leur classe, étaient tout simplement interdits de résidence dans la ville haute. Une belle revanche sur la vie !

Cependant, pour l’heure, le maître des lieux n’est pas d’humeur à se réjouir de sa réussite immobilière ! Pâle, allongé dans son lit, l’abdomen ceint d’un épais bandage blanc, Davy semble à l’agonie. Douleur, Ô douleur, Ô cruelle souffrance et douloureuse agonie ! Malgré la réalité de sa blessure, son état est en partie feint, ou du moins il reflète davantage sa détresse émotionnelle que physique. C’est une manière de se décharger un peu de l’humiliation subie, en appelant plutôt l’inquiétude et la compassion. Le médecin est néanmoins accueilli avec soulagement lorsqu’une servante en robe courte -la demeure est remplie de femmes, mais aucune qui s’appelle madame Davy- le conduit dans la chambre et le laisse en tête à tête avec son patient.

« - Ah, vous voilà docteur ! Je vais si mal… ! »

Calme et compatissant, le médecin pose sa sacoche à côté de lui, et défait les bandages pour examiner la blessure :

« - Mmmh… hmmh mmmh…
- C’est grave docteur ? Soyez honnête avec moi, je suis préparé au pire.
- La blessure est bien nette, vos jours ne sont pas en danger. Je vais simplement la suturer, et dans quelque temps vous serez comme neuf !
- Ça fait un mal de chien !
- Je vais vous donner ce qu’il faut pour ça. »

Il tire de sa sacoche une bouteille de belle taille, qu’il débouchonne, et demande à son patient :

« - Fermez les yeux, et humez profondément. »

Davy s'exécute. Rapidement, la douleur s’estompe. Sa contrariété aussi. D’ailleurs, beaucoup de choses semblent s’estomper, y compris son emprise sur le réel. Après quelques dizaines de secondes, le voilà endormi dans son lit.
Plutôt que de chercher à se protéger des effluves de sa médecine terriblement efficace, le médecin tapote de l’index sur la paroi de la bouteille. Aussitôt, d’épaisses volutes de gaz coloré en émergent, venant former un nuage à ses côtés. Après quelques instants, ce dernier prend la forme d’une Caramélie toute souriante, et bien contente d’être enfin libérée de cette bouteille !

Il me fait un signe de la tête :

« - Agent d’Isigny. »

Je le lui rends :

« - Agent White. »

Lucien White, alias docteur Leblanc, alias professeur Branco, docteur Weiß, ou docteur Abyad, en fonction de son lieu d’exercice, est en infiltration à Goa depuis trois ans. Il y tient une petite clinique à succès, et dispose de sa patientèle parmi les strates les plus aisées de la capitale. Un médecin très aimable, discret et compétent. Un homme dont on ne se méfie pas… et que personne ne soupçonnerait d’être un agent du CP5 !

« - Et maintenant ?
- Maintenant, je vais être obligé de réparer vos dégâts. Vous l’avez bien embroché, le pauvre !
- Bien fait pour lui. Ça le rendra peut-être plus aimable !
- Il a toujours été très aimable avec moi.
- C’est parce que vous êtes un homme. Et que vous ne marchez pas sur ses plates-bandes.
- Je crois que vous dramatisez.
- Et moi je crois que vous êtes en train de dire du bien de notre suspect aux fréquentations douteuses ! Allez le couturier, refermez ses trous qu’on en finisse !

White rit, et me répond :

« - Et vous, soyez gentille de l’endormir assez fort pour donner le change auprès de son personnel. Et de retourner dans votre bouteille ensuite, vous y étiez bien plus sage !
- Jamais de la vie ! C’était le pire plan d’infiltration que vous ayez jamais eu ! Je sortirai par la fenêtre.
- Comme vous voulez. Vous me passez les ciseaux ?

Quelques instants plus tard, la tâche du médecin accomplie, je prends congé. Non sans avoir au préalable copieusement chargé une nouvelle fois notre victime d’une copieuse dose de gaz soporifique.
De son côté, White fait venir à lui la servante qui attendait de l’autre côté de la porte.

« - L’état de monsieur Davy est assez préoccupant. Il a perdu beaucoup de sang. Je vais devoir l’amener à la clinique afin de le garder sous surveillance.
- C’est si grave que ça, docteur ?
- La blessure est assez profonde, et le risque d’infection est présent. Cela risque de prendre quelques jours avant que son état ne se stabilise.
- Quelques jours, seulement ? Vous pouvez même le garder plus si vous voulez ! Enfin... je veux dire… gardez-le le temps qu’il faudra pour qu'il se remette !
- Ne vous en faites pas, il est entre de bonnes mains. »

Oooh oui, il sera entre de bonnes mains ! Des mains expertes en tout cas ! Des mains qui sauront lui arracher tous ses vilains secrets en tout cas. Ça risque d’être distrayant, j’essaierai de demander à ma cheffe si je peux y assister, juste pour le plaisir. Enfin… pour parfaire mon apprentissage et mes connaissances !
Jusqu’à maintenant, j’ai surtout fait payer au député Davy le fait d’être un macho antipathique. Mais dans les jours à venir, il risque surtout de payer les fortes suspicions de connivence avec la révolution qui pèsent sur lui ! Ce sera d’ailleurs le cas des quelques-uns de ces collègues que White, moi, et quelques autres agents allons « subtiliser » à leur tour, suite à une visite médicale ‘’préoccupante’’. Qu’on se le dise, il ne fait pas bon d’avoir des idées révolutionnaires à Goa par les temps qui courent ! D’ailleurs, il risque de ne pas faire très bon d’être député républicain non plus. D’après ce que j’ai compris, mes exploits d’aujourd’hui ont eu une forte résonance, et ils ont fait quelques émules ! D’autres soutiens et membres du parti monarchiste ont pris l’initiative de défier leurs concurrents pour qu’ils répondent de leurs crimes d’honneur, et il se pourrait qu’avant peu, la folie du duel gagne les rues de Goa !
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