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La lame fantôme

Les ventes aux enchères avaient cela de bien, qu'elles constituaient à la fois un spectacle et l'occasion de se procurer des biens intéressants. C'était une foire, où l'argent était roi. La star du moment était celle qui posait le plus gros prix, qui dépensait le plus, et qu'importe fut la valeur réelle de son achat ; les chiffres impressionnaient à eux seuls. C'était du proto-capitalisme de divertissement, un cirque dans lequel les Berries forgeaient une foule en délire. Au-delà du simple voyeur, du manant de bas étage, se trouvaient les vrais acheteurs. Le profil était disparate. Il y avait l'acheteur compulsif ; celui qui pouvait se perdre dans des surenchères peu profitables, par adrénaline et par soif de gloire temporaire. On ne comptait plus les fois où le prix d'achat dépassait les estimations de plusieurs centaines de Berries. Il y avait aussi l'acheteur froid et calculateur, expert dans un ou plusieurs domaines. C'était lui qui connaissait le plus – ou en tout cas, s'efforçait de – le prix réel des choses. Il y avait également l'homme à la recherche de quelque chose de particulier, le chasseur. Il savait ce qu'il voulait. Le reste ne l'intéressait pas. Il était proche des deux profils précédents : compulsif, car il n'était pas prêt à lâcher l'affaire si facilement lorsqu'il s'agissait du lot qu'il prédatait. Froid et calculateur, parce qu'il n'avait que faire du reste. Il attendait son heure, tapis dans l'ombre, tandis que spectacle continuait tout autour de lui. C'était une rare anomalie. Peut-être bien la meilleure, d'ailleurs. Tandis que d'autres vivaient pour les applaudissements, il vivait pour son objectif final. Par définition, il était plus déterminé et discipliné que les compulsifs, plus passionné et moins cupide que les calculateurs. Les enchères n'étaient qu'un moyen.

Dans les salles de vente de la zone de non droit de Shabondy prospéraient les compulsifs. Des pirates en attente du revêtement de leur navire, qui en profitaient pour augmenter le prix d'un item quelconque sans n'avoir aucune connaissance de la chose. Rares étaient les calculateurs. Shabondy était une terre de passage. Peu de gens s'y installaient durablement. Ceux dont c'était le cas étaient relativement modestes, et savaient qu'ils pouvaient être facilement surpassés aux enchères par des forbans ayant pillé de multiples endroits sur Grand Line. Ils n'avaient donc que peu de raisons de s'y rendre, quand bien même cherchaient-ils à faire un profit. Alors, sur l'archipel plus qu'ailleurs, les commissaires-priseurs agissaient comme des chefs d'un orchestre désaccordé et absurde. Eux aussi, étaient de la pire espèce. Des sadiques, pour la plupart, qui appréciaient voir de mauvaises personnes s'appauvrir, tandis qu'eux s'enrichissaient. Il y avait bien le risque qu'un pirate un peu trop sanguin s'en prenne directement à sa personne, mais les maisons de vente avaient suffisamment de moyens pour se permettre de payer de puissants gardes. Alors derrière leurs larges sourires carnassiers, ils exultaient à chaque vente. Ils en étaient même addicts : chaque coup de marteau était semblable à un snif de cocaïne ou à une injection d'héroïne. Ils devenaient plus actifs à mesure que la séance s'étendait, plus dynamiques et plus fous ; si bien que leur énergie dévorante, à son tour, motivait les clients compulsifs à dépenser plus, toujours plus.

Une vente aux enchères était ainsi très révélatrice de la nature humaine. Là-bas, la cupidité était reine. L'homme était insatiable de richesses, sujet à des accès de violence, mauvais, incivil et incivilisé, dès lors que les billets et les pièces entraient dans l'image. C'était un bien triste spectacle pour tout homme moral ; mais c'était bien parce qu'il n'y avait que des immoraux que tout ceci était permis. Moralité et cupidité sont deux antonymes. Il suffit d'entrer dans une salle de vente à Shabondy pour s'y rendre compte.

Dans cette atmosphère enivrante et folle se déroulait une session bien particulière. La seule, peut-être, qui intéressait Mountbatten.

Il avait pénétré dans la salle en invisible, afin de ne pas être reconnu et perturbé. Il se tenait dans un coin de la salle, à l'abri du tumulte et de la foule qui s'était rassemblée en ce jour. Plusieurs lots intéressants avaient réuni un nombre plus nombreux que d'ordinaire dans la salle.

"- Deux millions !

Trois millions !

Quatre millions !

Je vois ici huit millions !" Hurlait le commissaire-priseur, au gré des mains levées et baissées.

"- Neuf pour le monsieur là-bas !

Dix millions !

Dix millions une fois… Dix millions deux fois…

Douze millions pour la jeune femme à ma gauche !

Treize millions !

Treize millions une fois… Treize millions deux fois… Treize millions trois fois… Et adjugé vendu !"

Et ainsi partait un lot de tableaux de grand maître, probablement volé sur l'île même. L'acquéreur était richement vêtu. Un grand homme brun, d'au moins trois mètres, avec une barbe et des favoris bien développés. Il portait une grande tunique violette et une lavallière assortie. Une sorte de dandy, qui portait pourtant un sabre étincelant et gravé à de multiples endroits. Il faisait assurément partie de ces équipages pirates qui constituaient une noblesse des mers, ceux dont le capitaine aux origines aristocratiques avait imposé un certain code au sein de son navire. Ils étaient loin de déplaire au Fantôme, mais il ne pouvait s'empêcher de penser au comique de la situation.

"- Et nous passons maintenant à un lot d'exception, mesdames et messieurs… Ce n'est pas d'un simple sabre dont nous parlons ici, non." Expliquait le commissaire-priseur, avec une mine bien plus sérieuse et mystérieuse qu'avant.

Il s'accoudait à son perchoir, comme s'il s'apprêtait à conter une histoire autour d'un feu. La salle se tût, et l'attention de chacun se portait sur les lèvres grossières du maître des lieux. Ses épais sourcils se rapprochèrent de ses yeux globuleux, et il se penchait vers son audience, tout en instillant une once de suspens.

"- Ce lot génial, incroyable… Que dis-je ! Exceptionnel ! Vous ne le verrez qu'une seule fois dans votre image. Et sachez-le, c'est déjà une aubaine pour vous que d'apercevoir sa garde ! Beaucoup de gens paieraient cher pour entrevoir ne serait-ce qu'un pauvre petit centimètre de sa lame… Et voici que la Maison Lafitte, ici même, vous présente le fameux, l'unique… J'ai nommé : Enma, Roi des Enfers !"

Et la foule entra en délire.

Le volume sonore de la salle s'amplifia à ces mots. Des cris de stupéfaction furent entendus. C'était un rêve pour tout sabreur digne de ce nom que de voir de ses propres yeux un Meitou de premier rang. Cela s'appliquait aussi au Marijoan, qui écarquilla les yeux à la vue du chef-d'œuvre de Shimotsuki Kozaburo. Les hommes se bousculaient pour la voir de plus près, mais la sécurité de la salle de vente les repoussèrent à chaque fois. Reconnaissable à sa garde en forme de trèfle, et à la couleur violette de sa garde et de son fourreau, il n'y avait aucun doute. C'était la lame double centenaire originaire de Wanokuni, qui fut utilisée contre l'Empereur Kaido aux Cents Bêtes. Un sabre que beaucoup considéraient comme disparue. Certains étaient même convaincus qu'elle avait été détruite, ou qu'elle reposait au fond de l'océan, à la suite du naufrage de son dernier propriétaire connu. Ce n'était pas seulement une lame de renom qui se présentait à eux : c'était une légende, un mythe, un fantôme qui n'était pas censé exister.

Bien sûr, pour attirer les acheteurs potentiels, la salle de vente avait promu la présence d'un Meito dans un des lots. Néanmoins, jamais, Ô grand jamais, n'avait-il été mention d'Enma. C'était un secret qui avait bien été gardé pour éviter une trop grosse attention sur les entrepôts de l'entreprise avant le jour de la vente aux enchères. Mais maintenant, elle était là. Enma, Roi des Enfers.

"- Le prix estimé est à 150 millions de Berries !"

Et la salle, encore une fois, se fit silence, le temps de quelques secondes.

Chaque acheteur avec des moyens suffisants revoyait ses attentes et sa stratégie. La somme était colossale. Très vite, pourtant, la passion reprit de plus belles. Les acheteurs compulsifs, peu nombreux dans cette gamme de prix, entreprirent de monter les enchères.

"- 155 millions…

160 millions ici ! ….

170 millions…

180 millions !

200 millions une fois…

Non, 225 millions pour le jeune homme là-bas !

250 millions ! Mais où irons-nous ?!

300 millions !

Et 350 millions pour le gentleman à ma droite !

350 millions une fois… 350 millions deux fois… 350 millions trois fois… Adjugé vendu !" S'écria le grotesque commissaire-priseur, dégoulinant de sueur sous la chaleur étouffante de Shabondy.

L'heureux acheteur, non content d'avoir dépensé bien plus que les estimations concernant l'objet, se leva de son siège. C'était un vieil homme d'une soixantaine d'années, chauve et à la capillarité faciale inexistante. Il portait un débardeur bien trop petit pour lui, qui laissait deviner des tatouages tentaculaires qui couvraient une bonne partie de son corps. À sa ceinture, pouvait-on distinguer un sabre dans un fourreau d'un blanc immaculé. Dans un silence de roi, ce dernier s'avança vers sa propriété, sous les innombrables congratulations du commissaire-priseur. Un employé s'avança avec le coussin en velours sur lequel reposait le Meito, et se présenta devant l'homme.

"- Sacré sabre… Tu es à moins maintenant, BWABWABWA !"

La seconde suivante, son rire gras, un violent courant d'air provenant du fond de la salle chamboula la foule, et envoya de nombreuses feuilles de papier en l'air. Avant que l'acquéreur légitime ne puisse même s'emparer d'Enma, une main se saisit de son bras.

"- Pas si vite, mon grand."

Mount désactiva son invisibilité, et dévoila son visage à la salle.

Un grand cri collectif d'effroi parcouru la salle. Certains s'engouffrèrent presque immédiatement par les portes de sortie. D'autres furent paralysés de stupeur. Et l'acquéreur, lui, s'emporta.

"- Qu'est-ce qu'il me veut, l'enculé d'ancien marine ?! Tu as un problème ?!

- Je te l'achète pour le prix estimé, soit 150 millions de Berries."

Mount lâcha un sac rempli de billets à ses pieds, qui était jusque-là invisible.

"- Mais… Tu te fous de ma gueule ?!

- Attention, c'est une offre flash…

- Hors de ma vue, fumier !" Dit-il, avant de dégainer vigoureusement son sabre.

L'instant d'après, le Marijoan se situait dans le dos de son adversaire. Et la seconde suivante, une fontaine de sang jaillit du corps du chauve.

Avant même que les gardes puissent agir, Mount prit les devants, et s'adressa au commissaire-priseur.

"- Les 150 millions vous reviennent dorénavant. Mais Enma est à moi. Un problème avec ça ?

- … Aucun…

- Bien." Finit-il, avant d'empoigner fermement le Meito et de se diriger vers la sortie de la salle, sous les yeux alarmés de la foule apeurée.

En vérité, le Fantôme était au courant de la présence d'Enma dans les entrepôts de Maison Lafitte. Il s'y était infiltré grâce à son fruit, à partir du moment où un Meito avait été annoncé à la séance suivante. Mais le vol n'était pas une pratique acceptable pour lui, quand il s'agissait de civils. Même si un commissaire-priseur n'était pas l'archétype du citoyen honnête, il n'empêchait qu'il ne pût pas se résigner à dérober un bien de cette manière. De cette manière-là, le bien avait été payé, et à la juste valeur. Il s'agissait à présent d'une transaction honnête et quasi légale, rien de plus, rien de moins.
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