A l'aube d'un carnage ; Buster Call - Acte I

J’émerge de l’eau, tenant dans mes bras une dernière grappe de soldats que je sauve de la noyade. Mettant ces hommes que j’ai sortis de l’eau et qui sont au bord de l’épuisement en sécurité, je me hisse ensuite à nouveau sur le pont de mon navire. La Sergent Zaitsev me tend, toujours de manière impassible, une serviette dont je me saisis pour essuyer mes cheveux dégoulinant d’eau salée.

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Merci Sergent. Je me tourne vers mon Enseigne, qui nous rejoint. Tout se passe comme prévu ? On est toujours dans les t…

Je suis interrompu par un flash incroyablement lumineux accompagné d’un vrombissement tonitruant, qui vient interrompre le rythme saccadé des canons des cuirassés. Oh. Mon. Dieu. Le Vice-Amiral Fenyang a un énorme canon laser sur son bateau. Il ne lui manque plus qu’un puissant fruit du démon et des compétences de ninja pour être l’amiral que j’aurais rêvé d’être lorsque j’étais enfant. Bien sûr, depuis, je suis devenu plus pragmatique et mes ambitions ont gagné en maturité, mais… Avoir un énorme canon laser sur son bateau reste quand même hyper classe… Si on met de côté la destruction déraisonnée qu’il apporte. Ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de violence qu’est déjà le Buster Call… Mais je ne peux m’empêcher de sentir mon cœur se nouer dans ma poitrine alors que les tirs de canons cessent et que le voile qui semblait inexplicablement recouvrir Aeden se lève… Et que je vois le résultat du carnage auquel je participe.

L’île est verdoyante. On y distingue une grande forêt et une magnifique montagne. De plus, dans les rapports d’intelligence qui nous ont été transmis par les agents infiltrés du Cipher Pol, que l’unité qui était présente à la réunion est venue aujourd’hui extrader, on parle de lieux enchanteurs : les miroirs d’azur, la vallée d’émeraude… En résumé, l’île semble paradisiaque, et particulièrement riche en ressources naturelles. Dans d’autres circonstances, la vie aurait pu y être paisible. Un royaume prospère, le centre mercantile de West Blue, se ralliant fièrement à la bannière du Gouvernement Mondial… Notre offensive prive cette île de cet avenir. Enfin… En partie. Désormais, le paradis sera cerné par un anneau de plusieurs kilomètres de poussière et de brûlé, sous lequel seront ensevelis les morts. Nous aurions pu tellement mieux faire. Nous aurions dû mieux faire.

Commodore ? Vous m’entendez ?
Je… Oui ? Je reviens à moi après avoir été perdu quelques instants dans ces pensées.
Le navire est prêt à partir, nous attendons vos ordres pour rejoindre le détachement du Vice-Amiral Fenyang.

A la fin de notre réunion et briefing pré-bombardement, le Vice-Amiral Fenyang avait assigné les rôles de chaque Vice-Amiral et dispatché les officiers supérieurs dans les différentes unités. Et dans le cas des indépendants comme moi qui s’étaient rajoutés à l’opération en dernière minute, le choix de qui accompagner nous avait été laissé. Il m’avait fallu donc choisir lequel de ces Vice-Amiraux j’allais suivre. Le Vice-Amiral John Scar semblait le choix évident, au vu de nos mentalités similaires. Le beau gosse balafré était en effet autant connu pour le fait qu’il essaie au maximum de capturer ses cibles vivantes que pour ses penchants exhibitionnistes qui frôlent dangereusement les limites de l’article 222-32 du code pénal. Cependant… J’avais eu le sentiment que mon discours à la réunion me forçait en quelque sorte la main pour prouver au Vice-Amirale Fenyang que j’étais bien un homme de parole… Et j’avais eu le sentiment qu’il prendrait toute affectation au Vice-Amiral Scar comme une tentative de ma part de me défiler. Et puis… C’est le responsable de toute cette opération, et à l’heure actuelle l’officier le mieux pressenti pour remplacer feu l’Amiral Tetsuda, même si ça ne m’enchante guère. Alors en plus d’être présent, si je peux briller directement sous ses yeux… J’avais donc fait le choix de l’accompagner, lui. Peut-être que je parviendrai à le raisonner, aussi…

Remontez l’ancre, on y va.

Notre cuirassé commence à virer de bord, emboitant la marche derrière le Néo-Léviathan, le navire du Vice-Amiral Fenyang. Dans quelques dizaines de minutes, nous accosterons et commenceront un débarquement qui constitue la deuxième phase de notre opération : une purge de la population.

Je déglutis lentement, ferme les yeux, et souffle un grand coup. Je tremble de tout mon corps, de tout mon être. Est-ce que je regrette de faire partie de cette mission ? Peut-être un peu plus chaque seconde, alors que je parviens à l’admettre à moi-même. Au fond de moi, je sais que l’objectif était également de me faire du mal, de me confronter à quelque chose qui se trouve aux antipodes de mes idéaux, pour m’endurcir… Mon modèle,  l’Amiral Fujitora, qui a été en poste il y a plus de cent ans, avait écrit dans ses mémoires s’être ôté la vue après avoir été témoin des horreurs du monde. J’espère que cette folie n’aura pas le même impact sur moi.

Je rouvre les yeux lorsque nous sommes à une distance suffisante du rivage pour mettre les canots à l’eau et entamer le débarquement. D’aussi près, je peux clairement apercevoir les conséquences du bombardement du Buster Call. Il ne reste plus rien que du sable et des débris… Et des cris. Un mélange entre les cris de détresse des rares malheureux qui ont survécu à la première phase de l’offensive, et des cris guerriers de soldats de la marine galvanisés par cette démonstration de puissance. La pluie semble redoubler d’intensité. Une larme perle sur ma joue, dissimulée parmi les gouttes qui tombent de mon front détrempé.

Commodore, vous êtes prêt ? Mon Enseigne, concernée, pose une main sur mon épaule. Je passe rapidement la mienne sur mon visage.
Affirmatif, Enseigne.

Je m’élance dans les airs avec le Geppou et rejoins le rivage, me préparant à commander mes hommes. Peu m’importe la vision du Vice-Amiral Fenyang, et les conséquences de mes actes. Sans désobéir aux ordres, nous sauverons le plus de vies possibles, même si c’est une peine perdue. Je resterai fidèle à ma Justice.

Le soleil auroral est toujours masqué derrière les nuages, alors que le carnage s’apprête à continuer. On dirait qu’il ne se lèvera pas, sur Aeden, aujourd’hui.

Comme si même le ciel savait qu’il fallait pleurer sa perte.