Flamme, fumée et Cendre ; Buster Call - Acte II.V

Priorité ! Vice-Amiral Jurgen, ici le Commodore Raines, quelle est votre situation ? A vous !

Les arbres de la forêt de Brocéliande défilent à toute vitesse autour de moi alors que je saute de branche en branche à toute vitesse.

Priorité ! Han… Je halète, peinant à parler alors que je suis à bout de souffle. Je cours, je saute, j’esquive les branches à une allure folle, sans m’économiser ou penser à autre choser qu’au fait de simplement mettre de la distance entre ces monstres qui s’affrontent et moi. Vice-Amiral Jurgen ! Ici le Commodore Raines ! Quelle est votre situation ? Répondez !

Toujours pas de réponse si ce n’est un grésillement de la ligne qui ne présage rien de bon.

Enseigne ! Je change de destinataire, tentant de joindre mon équipage.
Commodore ? Vous souhaitez un rapport sur la situation ? Ma seconde décroche.
Enseigne, écoutez-moi bien ! Contactez le Vice-Amiral Fenyang, ou n’importe quel autre officier qui répond ! Niklas Aldo est sur l’île, et il se bat avec le Vice-Amiral Jurgen et Mountbatten ! Les coordonnées sont… Sans arrêter ou freiner ma course, je sors l’exemplaire de la carte de l’île dressée par notre taupe du Cipher Pol et qui m’a été confié avant la mission. 31T EN… 26845 51A ! Collationnez !
Niklas Aldo en 31T EN 26845 51A. En plein milieu de la forêt de Brocéliande ?
Correct ! Je marque une courte pause pour vérifier que je me dirige toujours dans la bonne direction, lançant un regard hâtif aux arbres et à la mousse qui pousse dessus pour m’orienter sommairement. Dépêchez immédiatement des renforts pour leur prêter assistance ! C’est un monstre, il n’est pas à prendre à la légère !
Bien reçu, Commodore, je transmets. Et de votre côté ?
Je retourne vers Elysée pour essayer d’obtenir de l’assistance ! Terminé

Je raccroche sans attendre de réponse. Bien que j’essaie de maintenir mon allure, je sens que la mobilisation mentale de l’appel me fait inconsciemment ralentir. Je me concentre sur mon parcours et reprends ma course effrénée en direction de la capitale d’Aeden.

Lorsque j’arrive, le combat bat toujours son plein, mais le chaos des premières minutes de l'assaut a laissé sa place à une bataille de prise de position bien plus calme et ordonnée. Je rebrousse le chemin effectué avec le Vice-Amiral Jurgen sur la piste de Mountbatten et de Thomas Bolton, jusqu’à tomber sur le camp qui a été sommairement monté pour coordonner l’opération. Un lieutenant, dont j’ignore le nom mais que je reconnais être l’aide du Vice-Amiral Jurgen, visiblement en charge du commandement, m’accueille en se plaçant au garde-à-vous.

Commodore… ?
Raines ! Je lui aboie mon nom, et dans la panique, ne lui autorise même pas à se mettre au repos. Il semble toutefois saisir l’urgence de la situation… Ainsi que là où réside le problème.
Le Vice-Amiral n’est pas avec vous ? Je serre le poing et les dents.
Négatif… Je souffle la réponse entre mes lèvres… Et je baisse la tête.
Vous n’étiez pas ensemble ? Où se trouve-t-il ?
Je… Je ne sais pas. Dans la forêt. Nous… Nous avons été séparés.

Le lieutenant hausse le sourcil et me dévisage. Je baisse le regard, fuyant le sien. Nous n’avons pas étés séparés. Je l’ai abandonné.

Je… J’ai besoin d’un moment…
Vous êtes blessé ?
Je… Oui… Je crois…

Je tourne les talons et fais quelques pas dans le camp de commandement qui a été rudimentairement dressé.

J’ai été blessé. Physiquement, Niklas Aldo m’a mis à mal. Mais mon corps à déjà souffert. Côtes et os brisés, poumons perforés, plèvre et rétine décollés, articulations luxées, commotions crâniennes… Je suis familier avec les traumatismes violents, depuis mon plus jeune âge jusqu’à tout récemment lors de ma chute du haut d’un des Drum Rockies, les montagnes Drumoises… Là, je n’ai rien de tout ça. Pourtant, je me sens bien pire. Parce j’ai toujours été persuadé que même lorsque le corps abandonne, un esprit fort reste inflexible. Tant que je suis invaincu mentalement, tant que mes convictions et mes idéaux prévalent… Je ne peux pas perdre. Et en vingt-cinq ans d’existence, malgré la difficulté des épreuves et l’adversité, je n’ai jamais perdu.

Jusqu’à aujourd’hui.

Il a suffi un regard à Niklas Aldo pour me faire ployer sous son aura écrasante. Comme si je n’étais qu’une fourmi sous sa botte. Je m’effondre contre le mur d’un bâtiment et m’y adosse, puis je me claque simultanément les deux joues pour me remettre du plomb dans la tête… Mais c’est plus compliqué que ça. Tout mon être tremble. Comme si je m’étais retrouvé nu en plein blizzard, je suis transi jusqu’à la moelle… Et il faut plus qu’une boisson chaude et de quelques minutes passées près du feu pour se remettre d’une telle hypothermie. Je peste intérieurement. Allez, Raines, bon sang. Ressaisis-toi. Je tente de me relever, mais je suis encore chancelant et n’y parviens pas. La gerbe me monte à la gorge. J’ai beau me persuader que je n’ai rien, que tout va bien… Que je somatise entièrement ces douleurs… Rien n’y fait. Alors je ferme les yeux, et je souffle un grand coup. Je visualise mon avenir idéal. Mon endroit heureux. L’appartement avec les moulures chryséléphantines à Marie-Joie. Le fauteuil en velours bordeaux. Les dossiers impeccablement rangés et mon costume d’un blanc immaculé. J’expire à nouveau, et parvient à reprendre un peu le contrôle de moi-même. A croire qu’au final, je suis plus solide que je ne le pensais… Et que la proximité avec le petit feu de camp à fait son effet.

A moins que ce ne soit ce véritable brasier qui vient de prendre à quelques blocs de moi, et dont les ombres projetées par les flammes dansent contre les murs.

Commodore !
Que se passe-t-il ?!

Je me redresse immédiatement, reprenant mes esprits en un instant. Le rush d’adrénaline a le mérite de m’éclaircir l’esprit…

C’est une contre-attaque des révolutionnaires ! Ils sont en train de tout cramer !

L’instinct et les réflexes forgés par les années d’entraînement et de protocole prennent les commandes. Je repasse ma veste par-dessus mes épaules, passe mes doigts dans mes cheveux pour les replaquer en arrière, et ajuste le nœud de ma cravate. Je frappe ensuite le sol dix fois en une fraction de seconde, et disparaît grâce au Soru en ne laissant à côté du lieutenant que la trace de l’impact de mes bottes dans le sol. Bondissant de façade en façade, je parcours en un rien de temps la distance qui me sépare du lieu de la riposte des révolutionnaires. Me perchant sur le balcon d’un immeuble, je dresse un rapide état des lieux de la situation en contrebas. Tout d’abord, il semblerait que le terme “contre-attaque des révolutionnaires” n’a pas forcément été correctement utilisé… Étant donné qu’au centre du brasier, il n’y a qu’un seul individu. Il semble complètement recouvert d’une armure de métal sombre, et projette des flammes sur des distances phénoménales à partir de canons greffés sur ses avant-bras. Je lâche un soupir d’exaspération. Comment se fait-il qu’où que j’aille, je tombe systématiquement sur des cyborgs ou des robots ? Il marque une pause dans son incinération, et éjecte une cartouche de ce qui est sans doute une munition incendiaire.

Cramez ! Cramez tous ! Vous voulez Aeden, chiens de marines ? Et bien vous n’aurez que des cendres !

La voix est mécanique, mais semble contenir suffisamment d’émotions pour que je raye de mon esprit la possibilité qu’il soit une sorte de Pacifista sorti tout droit des laboratoires scientifiques révolutionnaires. Ceci étant dit, je n’ai pas la prétention de comprendre comment ces anarchistes réfléchissent… Il recommence à tirer, sans cible apparente… En se contentant simplement de pulvériser de napalm la zone qui l’entoure comme s’il était possédé. Alors qu’il recharge à nouveau, j’en profite pour m’interposer et me dresser face à lui.

Je suis le Commodore Raines ! Cessez tout de suite vos activités pyromanes ! Les destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes sont réprimées par les articles 322-5 à 322-11-1 du code pénal du Gouvernement Mondial dont cette île est désormais sous la jurisdiction !

Voilà une entrée en matière aussi distinguée qu’impressionnante. Après une telle démonstration de force législative de ma part, il ne peut que se rendre sans opposer de résistance… N’est-ce pas ?

CRÂME !

Sa réponse est négative, et associée d’une déflagration qui n’a rien à envier à celle que peut provoquer la grixendre de Koneashima. J’esquive in extremis en sautant à la verticale, accélérant mon mouvement grâce au Soru. L’odeur de grillé qui me vient immédiatement aux narines me fait comprendre que je ne suis pas passé loin… Baissant les yeux vers mon costume, je remarque que l’ourlet de jambe gauche a pris feu. Je peste à voix haute en constatant qu’une fois de plus, mes adversaires ne connaissent aucune limite à leur vilénie en s’attaquant à mon uniforme. Mais je n’ai pas le temps de le maudire intérieurement qu’il pointe désormais son deuxième bras vers moi. L’orifice au centre de son avant-bras commence à luire et à crépiter d’énergie.

Je déglutis lentement.

Oh merde, je connais la suite. Je frappe l’air sous mes pieds pour le compacter juste assez pour effectuer un autre Soru, qui me renvoie vers le sol en diagonale. Le cyborg tire alors une volée de rayons d’énergie accompagnée d’un vrombissement sourd… Et ajuste le tir après mon esquive, ciblant désormais ma nouvelle position. J’esquive à nouveau, en changeant successivement de direction grâce à mon Kamisori et à pleine vitesse. Mes yeux s’écarquillent quand je me rends compte qu’il est parfaitement capable de me suivre avec une précision… Robotique. Je peste intérieurement. Forcément… Le Soru me permet de me déplacer plus rapidement que la rétine humaine ne peut le percevoir… “Humaine” étant le terme important… A l’instar de la Sergent d’élite Zaïtsev, qui est sous mes ordres, il doit avoir des yeux augmentés. Ma théorie se confirme quand je me déplace dans son angle mort sans décélérer, pour tenter de le frapper au flanc, et qu’il riposte et m’assénant un puissant coup de coude. Surpris, j’encaisse la frappe de plein fouet et suis violemment projeté en arrière, amortissant tout de même le coup avec un Tekkai justement placé. Mes pieds dérapent dans le sol alors que je me réceptionne en posant la paume contre la terre.

J’essuie un filet de sang qui coule du coin de mes lèvres. Malgré ma défense, j’accuse tout de même le coup… Il tape fort. Rien de bien étonnant étant donné que son corps est renforcé par des plaques métalliques… Mais rien à voir avec des monstres comme le Vice-Amiral Fenyang, ou Niklas Aldo. Même Mountbatten, qui n’était pas au niveau des deux autres, est dans une catégorie supérieure. Je ne peux peut-être pas lutter à leurs côtés… Ni avoir un vrai mot à dire dans ce carnage qu’est le Buster Call… En revanche, je peux neutraliser ce cyborg et l’empêcher de réduire Elysée en cendres et de blesser plus d’innocents. Je penche la tête vers la gauche pour faire craquer ma nuque, puis je fais également craquer mes phalanges. C’est parti.

Nouveau déplacement instantané et nouvelle offensive de ma part. De son côté, il continue à incinérer tout ce qui se trouve dans son champ de vision comme si je n’existais pas… Ou plutôt comme s’il en avait déjà fini avec moi. Okay… Il ne veut pas me prêter attention ? Je frappe de toutes mes forces la cuirasse qui recouvre son dos avec une série de coups de poings et de Shigans. Ma main crible le métal comme le feraient des impacts de balle, cabossant et enfonçant son armure sur plusieurs centimètres de profondeur. Il laisse s’échapper un chuintement rauque que j’associe à un grognement de douleur. Cette fois, il se retourne vers moi.

Tu veux à ce point jouer avec le feu ? Alors CRÂME !

Deux anneaux perforées se mettent rapidement à tourner autour de ses poignets, jusqu’à atteindre une vitesse si prodigieuse qu’ils se mettent à chauffer à blanc. Et puis, après le bruit d’un mécanisme qui s’enclenche, ses deux avant-bras s’embrasent subitement. Il fond sur moi et commence à me rouer de coups. Ses frappes sont lourdes et brûlantes. Alternant les esquives avec le Kami-E et les parades avec le Tekkai… Mes manches se noircissent petit à petit. Putain. Je ne peux pas continuer à bloquer comme ça. Après avoir encaissé deux attaques, je juge plus judicieux de mettre de la distance et d’éviter ses attaques et je change de stratégie. Au lieu de sagement attendre que ses coups m'atteignent, je défends agressivement en attaquant directement ses poings. J’accélère le rythme de mes coups, frappant de plus en plus rapidement et générant de minuscules lames d’air qui enrobent mes avant-bras et constituent une couche protectrice qui m’empêche de me brûler.

Nous enchaînons les coups, mes muscles faisant jeu égal avec sa cuirasse grâce au Rokushiki et mes nombreuses années d’entraînement. Je reste concentré, dans la zone, strict et discipliné dans ce combat comme je le suis dans la vie de tous les jours, n’ayant rien à envier à la précision mécanique que lui donne ses augmentations cybernétiques… Et avec lesquelles je commence à me familiariser. Petit à petit, je prends le dessus, et commence à porter mes coups. Cependant, j’ai l’intime conviction que ce ne sera pas si simple que ça…

Je ne crois pas si bien dire.

Mon adversaire semble s’emporter et s’agacer que j’ai l’ascendant sur lui… Ce qui n’a rien d’étonnant. Au vu de ses beuglements plus tôt, plus le fait qu’il utilise des attaques destructrices sur une large zone et sans cible réelle… Tout porte à croire qu’il est de ceux qui gèrent mal leur frustration, et sont les plus à même de perdre patience et de commettre des erreurs en se laissant dépasser par leurs émotions. D’un autre côté… Ils sont également très dangereux, car prêts à prendre tous les risques inconsciemment. Mais il y a encore plus dangereux : les colériques suffisamment intelligents pour ne pas perdre le contrôle. Et mon adversaire fait partie de ces derniers, changeant de stratégie et s’adaptant pour renverser l’issue de notre affrontement.

Alors que je contre un de ses coups et frappe son bras droit pour le dévier et l’empêcher de m’atteindre, ce dernier… Disparaît. Purement et simplement. Au moment où mes phalanges devraient se cogner contre l’acier de son armure, je passe au travers en ne sentant qu’une infime résistance, comme si je frappais un fantôme. Qu’est-ce que ? La surprise est telle qu’elle me fait perdre les moyens, et que je mets plusieurs dixièmes de secondes à essayer de rationaliser et de comprendre ce qui vient de se passer. Et en ajoutant le fait que mon élan m’emporte vers lui… Une occasion en or s’offre à lui, et je me prends son bras gauche de plein fouet. Le choc est si lourd que mes pieds décollent du sol et que je suis propulsé dans les airs.

Qu’est-ce qui vient de se passer ?

J’émets des hypothèses et conjecture des situations à toute vitesse dans ma tête. Je sais qu’il y a des avancées scientifiques qui rendent possibles des choses que je ne soupçonne même pas… Et le voile qui recouvre Aeden et la rend invisible aux yeux de tous est la preuve que l’Armée Révolutionnaire innove au moins aussi bien que la Division Scientifique… Est-ce qu’il a utilisé une technologie similaire ? Ce serait sensé… Hormis le fait que le bras de mon adversaire n’est pas devenu invisible. Je suis littéralement passé au travers. Il a tout simplement disparu. De la téléportation ? Peu probable… En tout cas je l’espère. Si la révolution est capable d’une telle prouesse scientifique… Ce serait désastreux. Je chasse ces pensées de mon esprit. Rien ne sert de me préoccuper de tout ça : je dois rester concentré sur ce combat. D’autant que le révolutionnaire n’à pas l’air de vouloir en rester là…

Alors que je suis toujours dans les airs, il me pointe ce qui est désormais son moignon de bras droit dessus… Et une violente détonation se produit. L’air est déformé par une puissante onde de choc qui arrive à toute vitesse sur moi. Je croise les bras pour me protéger, et durcit mon corps grâce au Tekkai. Le choc est terriblement puissant, et accompagné d’un bruit tonitruant qui manque de m’arracher les tympans, et qui me propulse encore plus haut dans les airs. Je crache une gerbe de sang à côté de moi, puis tente de me stabiliser avec le Geppou… Et de comprendre la nature de son attaque, furieusement similaire à une lame d’air… A ceci près qu’elle était contondante et non tranchante… Je n’ai cependant pas le temps d’admirer cette technique de pseudo bombe d’air, puisqu’il me cible à nouveau avec son bras “invisible”. Dès que je sens le différentiel de pression atmosphérique se produire au niveau de son avant-bras, j’esquive avec le Soru. Il enchaîne avec d’autres tirs pour essayer de m’atteindre lorsque je me stabilise et que je ne peux esquiver… Sans réussite. Je virevolte dans les airs en changeant de direction à toute vitesse, utilisant une jambe pour créer une surface d’air compacte grâce au Geppou, et prenant appui avec l’autre pour repartir en Soru.

Une chose est certaine: il essaie de tirer au maximum profit de ses armes et de ses capacités à moyennes et longues distances… Alors il paraît naturel pour moi de ne pas vouloir le laisser jouer selon ses termes. Sur mes esquives suivantes, je me rapproche petit à petit du sol, esquivant les bangs supersoniques qu’il produit et qui explosent les façades de pierre et de verre des bâtiments derrière moi. Finalement, lorsque mon pied à à peine touché le sol, je change de trajectoire et fuse en rase-motte sur lui, les doigts raidis par le Shigan et prêt à prendre sa cheville gauche. Je suis bien trop rapide pour lui. Même s’il parvient à me suivre des yeux grâce à ses implants, sa lourde armure ralentit suffisamment son corps pour le rendre incapable d’égaler ma vitesse.

Je vous tiens !

Je sens la résistance de l’acier sur mon index et mon majeur alors qu’ils s’enfoncent dans son articulation mécanique… Et puis, alors que je referme ma main, plus rien. Quoique cette fois-ci, et je parviens à m’en rendre compte parce que j’ai déjà expérimenté la sensation… Je sens tout de même une légère résistance. Comme si je perçais un voile et qu’une légère brise soufflait sur mes doigts. Comme si j’essayais d’attraper de l’air.

Comme si j’essayais d’attraper de l’air.

Alors que le scénario se profile comme une évidence dans mon esprit, je traverse sa jambe devenue invisible… Non, transparente… Et dérape sur plusieurs mètres. Je me rétablis rapidement et me relève, toujours sans baisser ma garde.

Un pouvoir basé autour de l’air, hein ? Je ne vois pas comment cette prouesse serait possible grâce à la technologie… Alors je vais me risquer à penser que c’est le pouvoir d’un fruit du démon ?

Impossible de discerner le moindre sourire sous le casque de son armure… Toutefois, un ricanement rauque se laisse entendre alors que sa jambe redevient visible. L’air se met à crépiter autour de lui alors que je sens que la température est graduellement en train d’augmenter. Quelque chose me dit que je ne suis pas au bout de mes peines…

Je profite du court instant de répit dans le combat pour poser mes pensées à plat et réfléchir. Son canon lui permet de projeter des boules de feu particulièrement destructrices, et il semble pouvoir enflammer ses avant-bras grâce à ses prothèses… Mais je soupçonne ces capacités de n’être que le résultat de ses augmentations cybernétiques. En revanche, pour le reste… J’ai désormais la quasi-certitude qu’il est devenu et a produit de l’air. Et il n’y à ma connaissance qu’une seule capacité qui permet de faire ça… Un fruit du démon de type logia. Je n’y ai jamais été confronté, et tout ce que j’en sais, je le dois notamment à mes lectures des biographies et faits d’armes des Amiraux de la marine, qui ont de tout temps et de tout âge détenu des pouvoirs similaires… Ainsi qu’à un bref souvenir d’avoir été témoin des capacités de l’Amiral Tetsuda lors de ma croisière à bord du Cuisino. Si mon adversaire possède le fruit du démon de l’air, ou bien du vent… Bref, quelle que soit son appellation, la situation est critique. Rien que le fait qu’un tel pouvoir existe… J’en tremble. Comment puis-je le battre si son corps est littéralement fait d’air ?

Je souffle un grand coup.

Il y a quelque chose qui ne colle pas. Je suis sûr de savoir que les utilisateurs de logias sont insensibles à toutes les attaques. Alors pour quelle raison est-ce que sa cheville porte les marques de l’attaque je viens de lui porter ? Ne devrait-elle pas se régénérer ? Et pourquoi ai-je clairement pu “sentir” mes doigts se plonger dans le métal ? N’aurais-je pas dû ne sentir rien d’autre que de l’air, en premier lieu ? Ce n’est pas tout. De ce que j’en sais, pour une raison qui défie mon entendement des lois de la physique et de la nature, cette invulnérabilité s’étend également à leurs vêtements… Pourtant, son armure est toujours cabossée de mes Shigans du début de notre affrontement. A moins que le fonctionnement soit différent, pour un cyborg ? C’est crédible. Après tout, personne n’est sûr de comment fonctionne réellement la transmission de pouvoir des fameux fruits démoniaques d’un point de vue biologique… Alors que les implications biomécaniques soient différentes n’est pas particulièrement choquant.

Toujours est-il qu’il y a trop d’inconnues. Le choix le plus sensé serait, dans une telle situation, d’opter pour un repli stratégique et d’éviter de me frotter à ce que je ne connais pas et ne comprends pas… Mais je ne peux le laisser saccager les environs et blesser nos hommes… Et dans ces circonstances, ma seule option (et c’est assez ironique puisqu’elle s’oppose en tout point à la première envisagée) est de l’attaquer sans relâche. Si je ne le laisse jamais imposer son rythme, il ne peut pas déployer toute l’étendue de son arsenal offensif. Et puis, il faut que je multiplie les situations, que je fasse varier les conditions opératoires unes à unes, pour ainsi comprendre comment sa capacité fonctionne… Et comment je peux la contrer.

Sans prévenir, je disparais grâce au Soru et me propulse à nouveau à toute vitesse sur lui, répétant le schéma classique que nous avons mis en place depuis le début de notre affrontement. Réapparaissent subitement devant ses yeux, j’attaque directement son bras avec un coup de pied latéral. Je monte mon genou à ma poitrine en fléchissant la jambe, armant ma frappe… Mais au lieu d’achever le mouvement, je fléchis juste assez ma jambe droite (qui porte mon poids) pour me pousser dans les airs. Ma jambe gauche s’étend alors, et effectue une sorte de Geppou vertical qui me désaxe par rapport à lui, et me propulse sur le côté. Comme si j’utilisais le Kamisori, je change alors encore une fois de direction et fuse vers son casque, genou en avant. L'enchaînement, rapide et difficile à prévoir du fait de mes nombreux changements de direction aériens, est un succès : je lui porte un coup violent à la tête qui l’envoie valdinguer… Et remarque alors que la totalité de son bras droit est transformée en air.

Alors qu’il s’écrase lourdement au sol dans un bruit de fracas métallique, je tente d’interpréter ce qui vient de se passer. Manifestement, ce n’est pas un logia. Lorsque les criminels piégés à bord du Cuisino contre-attaquaient et essayaient de blesser le Loup Vert, leurs attaques n’avaient aucun effet sur lui, même s’il était pris par surprise. Or, ce n’est pas le cas de mon adversaire. Manifestement, ma feinte a marché comme je l’espérais… Et le fait que le bras que je visais initialement soit devenu évanescent montre bien qu’il ne s’agit pas d’un mécanisme de défense automatique… Mais bien une transformation qu’il contrôle et doit activer sciemment. C’est également pourquoi elle n’a pas été instantanée lors de mes précédents assauts : si j’attaque plus vite qu’il ne peut réagir, ou de façon à ce qu’il ne soit pas capable de prédire mon mouvement, il y a une certaine latence dans l’activation de sa capacité… Et je peux profiter de ce délai pour lui causer des dégâts.

Il se relève en fulminant, et je devine un regard furieux sous son casque cabossé par l’impact avec ma jambe. J’esquisse un sourire satisfait. Plus qu’à recommencer, et continuer sur cette lancée.

Toutefois… Mon adversaire ne semble pas l’entendre de cette oreille. Il fait redevenir visible une partie de son bras droit et le pointe vers moi. Il veut à nouveau m’attaquer à distance avec ses bombes d’air ? Parfait, je sais à quoi m’attendre. Je m’élance dans sa direction comme lors de mon offensive précédente, réfléchissant en cours de déplacement à l'enchaînement de feintes que je vais effectuer. Absorbé par mes pensées, je commets l’erreur de me persuader que bien que je varie mes attaques, lui ne le fera pas… Et c’est à peine si je remarque l’anneau métallique tournoyer autour de son bras et produire une étincelle alors qu’il charge son canon à air. La déflagration qui s'ensuit est phénoménale. L’air sous pression s’embrase violemment… Et explose, tout simplement. La détonation produit une onde de choc bien plus violente que celle de ses autres attaques, fissurant la pierre et fracassant en mille morceaux les vitres des bâtiments alentour. Mon Tekkai est la seule chose qui m’empêche d’être complètement réduit en charpie par la puissance brute de l’attaque alors que je suis une fois de plus propulsé dans les airs. Je commence à en avoir ma claque de me faire valdinguer comme si je n’étais qu’un vulgaire fétu de paille… Et puis…

Je porte les yeux sur mes avant-bras que je viens de baisser, et que j’avais placé en croix devant moi pour protéger mon visage. Ils sont nus. L’uniforme qui les recouvrait n’est plus. Alors que les dernières bribes du tissu calciné s'effritent… J’ai une pensée pour lui. Il n’avait rien demandé à personne. Ce n’était pas sa guerre. Pourtant, il est une des victimes de ce combat. Ô destin ! Pourquoi tant de cruauté ? Pourquoi infliger tant de souffrance à d’innocentes frusques ? La rage me remonte dans le fond de la gorge. J’en veux à la révolution. Combien d’habits devront être décousus, déchirés, tachés de sang avant qu’ils ne se rendent enfin ? J’en veux au gouvernement. Pourquoi, depuis le temps, n’avons nous pas des uniformes dans des matières plus résistantes ? Que font nos couturiers ? Je me reprends. Je ne peux pas leur en vouloir. Je ne peux que m’excuser. Implorer leur pardon alors que j’adresse une énième missive au service dédié pour leur demander un uniforme de rechange… Toutefois… Je me méprends. Je peux faire autre chose que pleurer sa perte ou m’excuser. Je peux le venger. C’est mon devoir, ma mission sacrée.

Comme une furie, je fuse à toute vitesse en piqué vers mon adversaire et combinant Geppou et Soru… Sans pour autant perdre mon sang froid et mon esprit d’analyse. Nos échanges m’ont prouvé qu’il souhaitait me maintenir à distance pour abuser de ses attaques dévastatrices… Sans considération pour les nombreux édifices qu’il endommage et sur les dégâts collatéraux qu’il cause. Étrange, de la part d’un soldat de la révolution… Bien qu’il semble préférer réduire l’endroit en cendres plutôt que de le laisser tomber entre nos mains… J’ai de la peine à croire qu’un soldat de l’Armée Révolutionnaire puisse si facilement abandonner et détruire et sans aucune retenue une île qui se vante d’être le paradis gris… Je crois plutôt que malgré sa grosse armure et tout son équipement, il cherche à éviter de m’affronter au corps-à-corps. C’est peut-être même justement pour ça qu’il est autant protégé… Ce qui est plus que possible. Ma maîtrise des arts martiaux et notamment du Rokushiki, ainsi que mon agilité et ma rapidité font que j’ai un net avantage…

J’arrive à son contact, prêt à le marteler de coups, à feinter, puis frapper, pour qu’il ne puisse pas suivre mes attaques et ne puisse pas se transformer. Mon premier enchaînement fait mouche. Léger sur les jambes, je bondis en avant et frappe avec un jab. Mon poing a le même impact qu’un boulet de canon contre son armure. Je me repositionne en faisant un petit saut en arrière, de manière à ne pas me faire brûler par ses flammes… Puis repart à l’assaut. Je me suis rapidement adapté à ses mouvements et à son rythme : plus besoin de faire des combos aériens complexes pour le berner et le frapper quand il ne s’y attend pas… Et je calque plutôt mes mouvements sur ceux d’un boxeur. Je flotte comme le papillon, pique comme l’abeille… Et je cogne de toutes mes forces. Voyant une opportunité, je mets tout mon dos dans un coup qui je sais causera d’importants dégâts.

Ça suffit !

Alors qu’il prononce ces mots, une grande gerbe de flammes l’enveloppe. Mais hors de question que je recule pour autant. Je ferme les yeux, serre les dents, et décide de continuer avec ma frappe. Le feu brûle commence à me brûler la peau, mais je tiens bon. Si je porte mon attaque, le souffle qui l’accompagne devrait être assez puissant pour disperser les flammes qui m’entourent, et me laisser suffisamment de temps pour me retirer et me mettre à nouveau en sécurité.

Mais rien ne vient. Mon poing continue sans atteindre sa cible alors qu’une seconde passe, puis une autre. Il n’y a que la lueur rougeoyante qui traverse, par transparence, mes paupières fermées. J’aurais déjà dû le toucher, et l’envoyer valdinguer. Il y a quelque chose qui cloche. Je tente d’entrouvrir les yeux, sans y parvenir. Je ne sens que la chaleur mordante du feu qui me lacère la peau. Et puis d’un coup, de manière quasi imperceptible, l’air s’alourdit et un frisson parcourt ma peau roussie par le feu. Je l’aurais probablement ignoré si je n’avais pas déjà fait les frais de ce qui va suivre. Alors, en dernier recours, je fais un petit bond dans les airs, me recroqueville, et contracte mes muscles grâce au Tekkai.

Et puis c’est l’explosion.

Je traverse plusieurs pans de mur sur ma trajectoire, comme si j’étais un véritable boulet de canon. Les décombres de l’édifice tombent et ensevelissent mon corps encore fumant. Je parviens à m’en extirper, non sans mal… Et non sans douleur. Je passe ma main dans mes cheveux qui me sont retombés sur le front, pour les remettre à leur place. Ils sont trempés de sueur. J’ôte ma main et regarde ma paume, qui est en réalité couverte de sang. Je ne crois pas avoir pris de coup particulièrement violent… En tout cas, je n’ai pas l’impression de subir une commotion cérébrale. J’ai dû simplement m'ouvrir le cuir chevelu… Ou plutôt l’arcade, au vu de la quantité de sang… Malgré mon Tekkai, le choc a été suffisamment puissant pour me causer des dégâts… D’un autre côté c’est normal, vu que je me trouvais au centre de l’explosion… Comment est-ce que ça a pu se produire, d’ailleurs ? J’étais pourtant sûr de le toucher… Sûr d’avoir réussi à le berner avec ma feinte… Comment avait-il pu esquiver ? Et surtout, comment avait-il pu contre-attaquer ? M’avait-il lui-même feinté en se déplaçant comme avec un Soru pour se mettre dans mon angle mort et me tirer dessus avec son canon d’air boosté par ses flammes ? Il y a décidément trop d’inconnues, trop d’éléments que je ne saisis pas… Ce qui commence à sérieusement user ma patience… Et entamer ma confiance en moi. Après avoir été témoin de l’écart de niveau écrasant avec Niklas Aldo, je pensais cet adversaire plus à ma portée… C’est en quelque sorte le cas… Mais ça ne veut pas pour autant dire que je suis capable de le vaincre. Je baisse les yeux, vers mon uniforme complètement calciné.

Ah.

Okay, maintenant vous commencez à m’agacer !

J’émerge du bâtiment avec le même fracas que lorsque j’ai été propulsé dedans, défonçant un pan de mur d’un coup de pied frontal. Le fait de poser à nouveau le regard sur mon uniforme en encore plus piteux état que précédemment avait suffi à me redonner la motivation nécessaire.

Décidément, vous êtes comme la gangrène, vous autres marines… Vous continuerez de pourrir ce monde de votre présence tant que vous ne serez pas complètement éradiqués… Il commence, en ricanant de son rire métallique, comme tantôt. En le voyant du haut du balcon où je me tiens, je me rends compte qu’il se tient exactement à l’endroit où il était avant que je ne l’attaque… Il se serait repositionné après m’avoir catapulté dans le décor ? Je n’ai pas le temps d’y réfléchir plus longtemps alors qu’il me braque à nouveau avec son canon. Et je vais commencer par toi !

Le verre des fenêtres vole en éclats autour de moi, entaillant ma peau à plusieurs endroits. Il vient une fois de plus de tirer ses boulets d’air comprimé dans ma direction… Mais bien que l’attaque soit rapide, et particulièrement destructrice… Je n’ai aucun mal à l’esquiver grâce au Soru et Geppou. Je commence cependant à ressentir le contrecoup de l’enchaînement d’autant de techniques du Rokushiki à la suite : mes membres s’engourdissent et je commence à sentir les premiers signes de fatigue… Et le fait que ma peau soit rougie par les flammes et contuse à cause des chocs répétés n’aide pas. De son côté, l’armure prosthétique de mon adversaire est de plus en plus abîmée… Et j’imagine que ses différentes capacités robotiques, dont ses tirs, sont gourmands en une énergie qui ne doit pas être inépuisable…

Ce combat ne devrait donc pas s’éterniser. Des échos que j’ai rapidement pu glaner, en repassant par le camp, l’opération de conquête de l’île semble se dérouler comme prévu… L’effet de surprise couplé à la puissance brute et au nombre de troupes mobilisées a l’effet d’une véritable déferlante sur Aeden… Autrement dit, il n’y a pas besoin que je sois présent pour mener l’objectif à bien… Et je peux me vouer corps et âme à l’interception et la capture d’adversaires dangereux comme celui que j’affronte… En laissant les monstres comme Niklas Aldo à la charge du Vice-Amiral Fenyang et de Mountbatten. Alors je vais tout donner, même si je dois finir complètement carbonisé pour ça ! L’adrénaline fait battre mon cœur à toute allure alors que je m’élance et fonce à toute vitesse sur le cyborg.

Je suis le Commodore Raines de la 2ème division de la marine ! Vous pensez réellement que je vais être si facile à vaincre ?!

Je m’époumone en lui vociférant dessus, crachant toute mon âme et mes tripes. Il me répond avec son habituel rire rauque. Puis, il prend une grande inspiration, et l’air ambiant semble aspiré vers lui alors que son corps disparaît graduellement, comme lorsqu’il esquive mes attaques… Cette fois, c’est la totalité de son corps qui semble devenir évanescente, transformée en air.

Ce que je pense, c’est qu’il sera difficile pour vous de me vaincre si vous ne pouvez même pas me toucher !

Je me fige et ralentis dans ma course, alors qu’il pointe son bras vers moi, armant son redoutable canon dans un vrombissement sourd. Je déglutis lentement, et la sueur de mon front vient se mêler au sang qui coule de mon arcade.

Et maintenant, Raines ? Que vas-tu faire ?

J’esquive in extremis en changeant de direction grâce au Kamisori, reprenant ma course vers lui. Voyant qu’il ne se met même pas en garde, je lui assène une série de Shigans frappés comme des jabs en visant son ventre, son torse et puis sa tête. Rien ne se passe. Je le traverse, comme si ce n’était rien qu’un spectre. Pris de panique en voyant qu’aucun de mes coups n’a d’effet, je bondis en arrière pour remettre de la distance entre nous. Quelles options me reste-t-il ? Si je ne peux pas le toucher de mes mains, alors peut-être que je peux combattre le feu par le feu ? Ou plutôt l’air par l’air, dans ce cas précis… Tout en reculant et en continuant à m’éloigner de lui, je lui envoie plusieurs Rankyakus… Les lames d’air foncent sur lui, crissant l’atmosphère sur leur passage… Pour au final simplement le traverser, comme un sabre traverserait de la fumée. Je peste intérieurement. Même ça, ça n’a aucun effet ? Est-il invincible ? Je ne peux le toucher avec aucune de mes attaques, et il peut de son côté me harceler avec les siennes sans pour autant négliger sa défense…

Je suis désemparé.

Alors quand mon adversaire me met une énième fois de plus en joue, je prends mes jambes à mon cou. Avec mon Kamisori, je rentre dans un des bâtiments par une des fenêtres dont il a explosé une vitre. L’impact de la bombe d’air fait trembler l’immeuble tout entier. Passant par un trou dans le plafond, je monte à l’étage supérieur et m’adosse à une des colonnes qui assure la structure de l’édifice… Et je souffle un grand coup, fermant les yeux. Je ne sais pas quoi faire pour vaincre cet adversaire. Est-ce vraiment important ? Je me suis déjà fait la réflexion que cette opération serait un franc succès, qu’il ne soit capturé par ma main ou non… Alors est-ce l’orgueil qui me rend malade de ne pouvoir rien faire ?

Alors, petit rat… Dans quel trou te caches-tu ?!

Une nouvelle onde de choc s’écrase contre la pierre du bâtiment, alors que je peux l’entendre me chercher. Le temps m’est compté : c’est moi qui suis venu le chercher pour l’affronter, et il y a pléthore de marines dans les alentours pour qu’il laisse libre cours à sa rage destructrice… Autrement dit, si je ne sors pas de ma cachette pour l’affronter, il finira par se lasser de moi et passera à autre chose. Je ne peux pas laisser faire ça. Je ferme les yeux. Mais ce n’est pas tout. Il y a également indubitablement de l’orgueil en jeu. Et je m’en fiche. Depuis tôt ce matin, mes valeurs sont bafouées par ce carnage qui nous entoure. Et pourquoi ? Parce que je ne suis pas assez gradé, parce que je ne suis pas assez fort. Et ce n’est pas en tournant le dos à mon adversaire, en prenant mes jambes à mon cou et en attendant que quelqu’un d’autre vienne régler le problème que je changerai les choses. Que sont pouvoir soit une technologie ultra avancée, ou un fruit du démon, ou un don du ciel… J’imagine qu’il ne peut pas le garder éternellement actif. Ou plutôt j’espère. C’est la seule chose à laquelle je peux me raccrocher.

Alors qu’il tire une nouvelle série de bombes d’air vers ma position, je me décide à y retourner. Je profite de l’épais nuage de poussière soulevé par la chute des débris pour masquer ma présence physique et me rapprocher à nouveau de lui. Il n’esquive même pas la série de Rankyakus qui sort des gravats. Peu m’importe. Avec le Soru, je me retrouve instantanément à son contact et lui assène rapidement trois Shigans. Je sens la faible résistance du film d’air qui se perce lorsque mon doigt rentre en contact avec son enveloppe transparente… Sans lui causer le moindre dégât ou gène.

Cloporte… Je te l’ai dit ! Tu ne peux même pas m’égratigner ! Moi, en revanche…

Son corps relâche tout à coup une sorte de bourrasque qui me repousse légèrement en arrière. Surpris, je mets quelques dixièmes de secondes à reprendre pied… Ce qui lui laisse le temps de me mettre en joue. Une fois de plus, mon Tekkai protège d’un choc dont la violence briserait sans aucun problème les corps d’un humain normal. Je parviens même à ne pas me retrouver propulsé dans les airs, et dérape en creusant le sol de mes talons. Je relève le menton au-dessus de mes bras croisés, esquissant le sourire d’un homme possédé.

Je n’ai pas besoin de vous faire des dégâts ou de vous capturer moi-même… Juste de vous occuper jusqu’à ce que les renforts arrivent… Ou que vous n’épuisiez toute votre énergie !

Hahahaha ! Il rit de plus belle à gorge déployée, sans pour autant que son corps ne redevienne tangible. C’est ça que tu espères ? Qu’on vienne t’aider ? Jouer l’attrition, c’est ça le plan ? Il marque une nouvelle pause, puis reprend, toujours en ricanant. Vous pouvez débarquer avec vos gros sabots et raser la moitié de l’île… La seule chose que vous avez réussi à faire, c’est creuser votre propre tombeau. Le Diable et la Mort sont présents sur l’île, et que vous soyez 100, 1000 ou même 10000… Ils vous tueront tous jusqu’au dernier.

Je déglutis lentement. Le Diable ? La Mort ? Des concepts métaphysiques auxquels je n’attache d’ordinaire que peu d’importance… Mais quand ils sont également les surnoms de deux des plus puissants révolutionnaires au monde, ce n’est pas la même histoire… Je ne crois pas qu’il bluffe. Après tout, je suis déjà au courant de la présence de Niklas Aldo sur l’île… Et si le seigneur Ombre est bel est bien là, lui aussi… Alors les choses pourraient effectivement tourner au vinaigre.

Mais ça ne changera rien au fait que je n’aurais pas besoin d’eux pour te réduire en poussière ! Tu comptes attendre que je m’épuise, que je n’ai plus de carburant ? Pauvre imbécile… Mon pouvoir n’a rien à voir avec mes capacités de cyborg ! J’ai mangé le fruit de l’Alchimiste, qui fait de moi un homme-alchimiste capable d’assimiler la matière ! Il redevient tangible, puis fait un pas vers moi. Tout son corps change ensuite d’apparence, ou plutôt de texture, et devient semble-t-il de la même consistance que la terre sur laquelle nous marchons. Il fait un autre pas, prend une grande inspiration, puis se change à nouveau en air. Tant que j’ai un élément à ma disposition… Je peux le faire aussi naturellement que respirer !

Je peste intérieurement, et fais un pas de recul en opposition à celui qu’il fait dans ma direction alors qu’il reprend sa consistance originelle. C’est la première fois que je suis confronté à un utilisateur de fruit du démon… Et qu’est-ce que c’est que cette sorcellerie ? Assimiler la matière ? Déjà que son corps de base est quasi entièrement métalliques du fait de ses augmentations cybernétiques… Il peut également se rendre intangible ? Mais je me rends compte que je ne suis pas au bout de mes peines lorsque les anneaux au niveau de ses avant-bras se mettent à tournoyer et à rougir, comme plus tôt lors de notre combat. Rapidement, les flammes apparaissent, et son corps se fait envelopper par les flammes… Et puis ne faire plus qu’un avec ces dernières. Il transforme complètement son corps en feu, et se dresse devant moi comme un démon flamboyant.

Je suis Cendre, As de la Révolution… Et des cendres, c’est exactement ce qui restera de toi lorsque ce combat sera terminé !

Le sol explose sous ses pieds sous l’effet de la déflagration alors qu’il se propulse vers moi, suivi par une véritable boule de feu. Que faire ? Bloquer avec le Tekkai ? Bloquer des flammes, Raines, vraiment ? C’est la réponse la plus intelligente que tu puisses formuler ? Non, je suis obligé d’esquiver.

Zanshin !
Je te tiens !

Il pose ses mains sur moi, et libère deux puissantes gerbes de flammes qui carbonisent l’air environnant ainsi que la terre et l’herbe sous mes pieds. Heureusement pour moi, ce n’est que l’image rémanente laissée derrière moi par mon déplacement instantané qu’il explose, et je parviens ainsi à esquiver l’attaque en partant dans les airs.

Qu’est-ce que… ? Quel couard ! Bombarder par surprise et fuir, ça vous savez faire !

Il se retourne immédiatement sur moi. Merde. Lui aussi,il commence à s’habituer à mes déplacements, et rajouter de la complexité à mes déplacements n’a l’air d’avoir aucun effet. Il pointe rapidement son canon sur moi, et les flammes autour de son bras droit s’estompent alors qu’il le transforme du feu à l’air. Je sais exactement à quoi m’attendre : il s’agit à nouveau de sa bombe d’air qu’il va embraser pour en décupler le potentiel de destruction… Et je sais que je ne peux clairement pas encaisser cette attaque. J’arme ma jambe et contracte mes muscles en mobilisant toute ma force, puis frappe juste au-dessus de moi, dans le vide. J’effectue alors un Geppou rudimentaire, à la forme imparfaite mais particulièrement puissant… Et qui, au lieu de me maintenir en l’air et me permettre de sauter, me renvoie violemment vers le sol et me permet d’esquiver la déflagration. Je heurte la terre dans le dos, protégeant à peine ma tête en marquant légèrement la nuque.

Le dénommé Cendre ne me laisse pas reprendre mon souffle et fonce directement sur moi… Souhaitant sans doute tirer avantage du fait qu’avoir un ennemi au sol est encore mieux que l’avoir dans les airs. Il abat son poing de feu sur moi, que j’esquive en roulant sur le côté. Lorsque je me retrouve face contre terre, je pousse d’un coup bref avec mes paumes pour me renvoyer en hauteur et esquiver la gerbe de flammes qui accompagne l’impact de sa frappe. Un nouveau coup de pied sec dans les airs me pousse dans son dos, et je me rétablis en dérapant sur le sol. Je crisse des dents. Ma jambe tremble et me fait souffrir. Je commence à subir le contrecoup de ces Geppous d’une seule jambe et avec une puissance accrue… Et ce alors que mon adversaire semble de son côté être passé à la vitesse supérieure.

Tu peux l’esquiver autant que tu veux, Raines… Comme tu peux esquiver autant que tu veux cette réflexion, dans ta tête : quel est le plan ? S’il dit vrai et que la Mort est venue prêter main forte au Diable, alors peut-être que les renforts n’arriveront jamais. Et puis dans tous les cas… Son fruit du démon le rend invulnérable. Y-a-t-il seulement quelqu’un sur l’île qui peut le vaincre ? Ou est-ce que son pouvoir le rend aussi puissant qu’un Amiral ? Je me refuse à l’admettre. Au plus notre affrontement avance, au plus je doute de mes chances dans un combat d’endurance. Et puis… Activer un fruit du démon consomme-t-il vraiment de l’énergie ? Je n’en ai pas la moindre idée… Et il me semble assez évident qu’il s’agit d’une information cruciale si je compte employer cette stratégie contre lui… Je me remets pourtant machinalement en garde alors qu’il se redresse et se retourne vers moi.

Je ferme les yeux un bref instant… Et la terreur infligée par Niklas Aldo glace mon sang en une fraction de seconde. Ce que j’ai ressenti à ce moment-là… Plus jamais. La fuite n’est pas… Non, la fuite n’est plus une option. Je dois trouver une solution. Et dans tous les cas, il est trop tard pour faire marche arrière.

Car lorsque mes yeux se rouvrent, les griffes enflammées de Cendre se referment déjà sur moi.

Maintenant tu n’as nulle part où t’échapper !

Il n’y a que des flammes tout autour de moi. Je suis dans la boule de feu, au cœur de l’enfer… Et je comprends alors mieux cette vision que j’ai eu plus tôt, lorsque je l’ai traversé. Il s’était déjà transformé en flammes pour esquiver mon attaque. La différence c’est que maintenant, il n’esquive plus : il est passé à l’offensive. Dès qu’il m’a vu hésiter, il s’est mis à foncer sur moi, emportant avec lui toutes les flammes qui l’entourent… Et qui me privent de mes quelques options pour fuir. Je ne peux aller ni à gauche, ni à droite, ni partir dans les airs… Ni même reculer. Je peux rester sur place et encaisser… Mais je juge que ce sera sans doute trop dangereux, et il sera sans doute prêt à me cueillir si je prends la mauvaise décision. Frapper le sol suffisamment fort pour y creuser un trou et essayer de fuir par en bas ? Je doute d’être capable de suffisamment de destruction pour éviter ses attaques dont le champ d’action est particulièrement large… Et tout ce que j’y gagnerais serait de m’enterrer et de creuser ma propre tombe. La seule solution que j’envisage, c’est de passer à nouveau à travers lui. C’est sans doute la décision qu’il anticipera le moins. C’est décidé. Grâce au Soru, je vais me propulser à toute vitesse à travers son corps brûlant en utilisant son intangibilité à mon avantage, tout en minimisant mon contact avec les flammes pour m’éviter de me brûler.

Et puis, tout d’un coup, un spasme déchirant à ma jambe droite vient balayer les minces fondations sur lesquelles je base mon plan. Je… Je ne peux pas bouger. Mes combats sont d'habitude bien plus équilibrés, et la charge de l’utilisation répétées de techniques du Rokushiki est d’habitude mieux répartie sur l’ensemble de mon corps… Mais là, j’ai passé mon temps à fuir, à mettre puis à réduire la distance entre nous, et à le feinter… Et mes jambes paient le prix fort. Je ne vais pas pouvoir esquiver à temps. Mon cœur bat à mille à l’heure, mon cerveau et mon sang sont en ébullition. J’ai beau réfléchir, me triturer les méninges… Je vais me prendre la pleine puissance de son explosion de plein fouet. Est-ce que je suis capable de l’encaisser ? Ou même simplement d’y survivre ? Je ne sais pas. Je doute. Mes pupilles bougent dans tous les sens, incapables de comprendre la situation. Et je vois ma vie défiler devant mes yeux. Je vois toutes ces fois où, durant une mission ou un entraînement, j’ai cru voir la mort en face. Toutes ces fois où finalement, je me suis fourvoyé, et où j’ai survécu.

Et puis, il y a Drum. Ma chute du haut des Drum Rockies. Je suis sûr d’avoir passé le bras à travers le voile, d’avoir trempé mes pieds dans les eaux de la frontière de l’au-delà, cette fois-là… Pourtant j’avais une fois de plus survécu… Sans pour autant que je ne sache expliquer comment. Je me souviens pourtant de cette sensation, dans le froid du blizzard environnant, quand tout mon corps me faisait tellement souffrir qu’il s’était engourdi et que je ne sentais plus rien… Tout d’un coup, j’avais comme été rempli par les flammes. Pas un brasier brûlant et mordant comme celui qui m’entoure actuellement… Mais plus comme un feu de cheminée, ou comme la sensation qu’on a en rentrant d’une patrouille d’hiver et que la chaleur d’un bol de soupe nous réchauffe de l’intérieur. Une chaleur réconfortante, galvanisante, localisée dans le creux de mon ventre et qui m’avait fait me sentir capable de tout accomplir.

Je ferme à nouveau les yeux. Cette chaleur est toujours là, quelque part en moi, même si les flammes qui m’entourent la rendent plus difficile à percevoir. J’ai juste besoin d’elle. Même pas. Juste une étincelle. A peine un instant pour embraser toute ma volonté et le faire jaillir. Et puis, alors que les événements défilent à toute vitesse devant mes yeux, je vois soudainement ma famille. Mon père, ma mère… Et mon frère. Ma jeunesse, à ses côtés. Mes rêves, mes aspirations. Sa trahison. Ce gouffre béant qu’il a laissé en moi, et dans lequel le désespoir s’est déversé. En grandissant, j’ai transformé ce désespoir en rage et en ambition. Ces émotions, comme un grand puits de gasoline, brûlent en moi depuis tout ce temps et sont le carburant qui alimentent ma volonté. Mais aujourd’hui, ça ne suffit pas. Aujourd’hui, j’ai juste besoin d’un petit peu plus de gaz. Aujourd’hui, je veux gagner, non pas pour ma famille, non pas pour me venger de mon frère. Aujourd’hui, je veux gagner pour moi, par pur égoïsme. Aujourd’hui, je veux écraser cet adversaire.

Voilà mon étincelle.

L’énergie accumulée au fond de moi s’embrase, égalant l’intensité des flammes qui m’entourent. Pour autant, je ne crois pas en avoir tout à fait conscience. Mon corps bouge de lui-même. Mon poing se serre, et du coin de l'œil, je peux voir qu’il se noircit, comme s’il se faisait calciner par les flammes de l’attaque de Cendre. Mais c’est tout le contraire qui se produit : la sensation de brûlure et de chaleur s’estompe, comme si ma main se recouvrait d’un gant ignifuge… Mon adversaire s’approche un peu plus de moi, écartant ses bras pour m’attraper au cœur de cette déflagration, oubliant tout semblant de garde grâce à son intangibilité. Et je frappe. De toutes mes forces. Je frappe sans conviction aucune que je vais le toucher. Et pourtant, c’est ce qui se produit. Le coup est lourd, et le choc violent, pareil à une bombe qui explose. Mon poing s’enfonce dans le ventre de Cendre, et je sens sa cuirasse métallique s’enfoncer dangereusement sous l’impact. Rien à voir avec les quelques Shigans et autres coups que j’ai pu lui porter jusqu’à maintenant.

J’ai mis tout ce que j’avais dans ce coup de poing.

Et bien plus encore.

Sous l’effet de du coup, son pouvoir démoniaque se désactive et les flammes s’estompent autour de mon corps fumant alors qu’il recule en titubant. Ses crachats résonnent dans un écho métallique à travers son armure et il porte une main à son ventre, chancelant.

Qu’est-ce que… Il commence, avant de s’interrompre à cause d’une quinte de toux. Du sang coule de la grille de la visière de son casque. En… Foiré… Le… Le Haki ?
Le Haki ? Je me redresse et baisse les yeux vers mon poing encore serré et encore noirci. Même si les flammes ne sont plus présentes, il irradie toujours d’une certaine chaleur. Je ne suis pas tout à fait sûr de saisir. Je pensais avoir enfin fini par comprendre, à cause des phrases prononcées par le Vice-Amiral Fenyang lors du briefing matinal, que le Haki était une sorte de pouvoir psychique… Mais il semble au contraire avoir décuplé ma force… Et permis de le toucher malgré son intangibilité. Est-ce ça, mon Haki ?
Putain… Et le rat ne sait même pas ce que c’est…

Je ne comprends effectivement pas tout, mais… La sensation est la même qu’à Drum, quand j'ai réussi à survivre à ma chute. A un détail près : cette énergie, cette force… Elle est moins fugace. Je la sais présente dans le creux de ma main, je la sens qui circule en moi. Je sens que j’ai un certain contrôle dessus. Ce pouvoir incroyable est le mien.

Mon poing retrouve sa couleur normale, et alors que mon regard se porte sur mon autre main, cette dernière se noircit et se renforce à son tour. J’esquisse un large sourire alors que mon adversaire achève de se relever. Obnubilé par l’acquisition de ce pouvoir, je l’ai laissé faire… Alors que la logique et mon entraînement auraient voulu que j’achève ce combat le plus vite possible. Mais je ne suis plus sûr désormais que la logique soit aux commandes de mon corps… A sa place, un esprit guerrier a pris le contrôle. Un maniaque dont la seule pensée en tête à l’heure actuelle est de repousser ses limites et de tester son nouveau jouet.

Tu vas regretter de ne pas m’avoir terminé quand tu en avais l’occasion !

Cendre réactive son pouvoir pour se transformer en air et me met en joue avec son canon. Mais je n’ai plus aucune inquiétude quant à l’issue de ce combat. Galvanisé et revigoré par le vent du combat qui a tourné en ma faveur, je retrouve ma confiance en moi et fonce à son corps-à-corps. Il tire plusieurs bombes d’air sur mon chemin, que j’esquive en effectuant des demi-Sorus : je frappe le sol juste assez pour esquiver l’attaque en me déplaçant légèrement sur le côté, tout en minimisant la contrainte sur mes jambes. Quand j’arrive sur lui, j’ai l’esprit tranquille : plus besoin de feinter, plus besoin de me creuser la tête pour le prendre par surprise. Quel pied d’avoir une lame qu’un adversaire ne peut parer ! Alors, concentrant mon Haki dans ma main, je frappe en Shigan. Son esquive est lente. Non… Plus que lente, elle est surtout tardive. Difficile pour lui d’effacer les réflexes et habitudes pris à cause de son pouvoir, et il a sans doute mis du temps à se rendre compte que je pouvais le toucher. Trop tard. Mon doigt s’enfonce entre sa scapula et son humérus, se faufilant entre la tête de ce dernier et la glène, juste dans le pli de son armure. J’esquisse un sourire. Avoir une armure aussi imposante est inutile contre quelqu’un qui a l’habitude de viser les points faibles du corps humain… Et bien qu’il soit un cyborg, son corps est bâti de la même manière que celui d’un individu lambda, la solidité des matériaux en plus. Il lâche un cri de douleur alors que ma frappe vient déboiter son articulation et déchirer le labrum glénoïdien.

Touché.

Son bras tombe le long de son corps, réduisant de manière massive ses options offensives et défensives… Et élargissant les miennes. Instantanément, les nombreuses ouvertures de sa garde diminuée m’apparaissent en tête, et il y en a tant que je peine à choisir celle qui est la plus appropriée. J’enchaîne les frappes sur son côté gauche, tout en continuant de le coller au corps-à-corps comme je l’avais initialement prévu avant de me faire surprendre par son pouvoir. J’impose mon rythme, dominant complètement cet échange de coup, et il se débat comme il peut. Profitant qu’il ne peut se défendre du côté gauche, j’y concentre mes assauts. Ce pouvoir qui palpite en moi passe d’une main à l’autre, noircissant le membre renforcé au gré des coups. Au plus je l’utilise, au plus je comprends comment le faire se mouvoir au sein de mon corps : ce ne sont pas que mes poings. Et Cendre en fait les frais, quand après l’avoir feinté avec un crochet chargé de Haki, je transfère l’énergie dans mon pied et le frappe en plein dans le genou. Mon pied est lourd, puissant, et la sensation particulièrement étrange… C’est comme si je portais à nouveau mes poids d’entraînement aux chevilles. Comme si je pouvais réellement sentir la force supplémentaire procurée par ce nouveau pouvoir comme une extension de mon propre corps.

Sous l’impact, sa jambe se tord dans un angle qu’elle n’est pas censée prendre dans un craquement d’os et de métal. Je ne sais pas si ce cyborg a toujours des ligaments croisés, mais si c’est le cas, il en aura besoin de nouveau… Il chute sur le côté à cause de la force de l’impact, et se retrouve déséquilibré dans ma direction. La tête de ce colosse de chair et d’acier est soudainement dangereusement à ma portée, et je ne laisse pas passer cette occasion. Dans la continuité de mon mon mouvement, alors que je ramène ma jambe à moi, je me sers de l’inertie du mouvement pour lui décocher un coup de pied circulaire dans la mâchoire. L’enchaînement est rapide, et le coup est lourd, et il est violemment propulsé en arrière. Un spasme foudroyant me traverse la jambe, juste après avoir porté ma frappe, et je serre les dents. Je ne sais pas si c’est dû au Haki ou tout simplement à l’adrénaline qui afflue dans mon corps… Mais le peu d’énergie qu’il me reste semble décuplée, et toute douleur que je pourrais ressentir inhibée… Mais tout de même présente. J’ai conscience de l’état de fatigue extrême dans lequel est mon corps.

Je dois achever ce combat et cet adversaire rapidement. Et pour ça, je dois lui prendre son deuxième bras… Et surtout son deuxième canon, pour l’incapaciter.

Je souffle un grand coup en passant une main sur mon front ensanglanté, puis serre le poing pour repartir à l’assaut de Cendre. Il n’y a pas que ma jambe qui me fait souffrir. Je suis à peu près sûr que mon index est fracturé, à force de frapper sa cuirasse métallique à coup de Shigans, et que j’ai une ou deux côtes fêlées… Mais il est hors de question que j’y pense et encore moins que je baisse les bras maintenant. Je me reposerai quand mon service sera terminé : je dois finir ce combat. Mobilisant les dernières gouttes d’énergie qu’il me reste, je fonce sur lui. Ma douleur à la jambe m’a fait perdre quelques précieuses secondes qui lui ont laissé le temps de se relever après ma frappe en pleine tête, bien que son genou soit affaibli… Je peste intérieurement. En temps normal, une telle frappe aurait dû directement le neutraliser. A croire que ma fatigue se manifeste également par une difficulté à appuyer mes coups.

Alors que j’arrive à son niveau, mon plan d’attaque est clair : je vais foncer sur son bras valide et le bloquer en clé avant de le mettre au sol. J’ai confiance en ma réussite : il est si diminué qu’il a désactivé son pouvoir, et ne semble même plus capable de contre-attaquer. Parfait. Je commence par essayer de balayer sa seule jambe d’appui avec pour objectif de profiter de son déséquilibre pour le faire chuter et me servir de son propre poids contre lui. Pour mettre toutes les chances de mon côté, je charge mon pied de Haki et frappe sa cheville avec un coup de pied circulaire au sol, rentrant dans son périmètre de garde en effectuant une vrille sur moi-même. Comme prévu, il n’essaie même pas de se transformer en air pour esquiver : il a dû arriver à la conclusion logique et inévitable qu’il n’y avait aucun intérêt… Sa cheville, déjà légèrement entamée par une de mes premières attaques de ce combat, explose sous l’impact. Alors qu’il commence à chuter en avant, je… Je ne fais rien, car un violent coup de poing dans le ventre me happe dans mon mouvement. Je crache une mélange de bile et de sang sous la violence d’un coup que je n’ai absolument pas vu venir.

Qu’est-ce que… ? Le temps que je comprenne ce qu’il vient de se passer, ses deux bras, même celui que je pensais hors-combat, m’enserrent avec force alors que Cendre s’effondre de tout son poids sur moi… Et je me retrouve complètement écrasé par le corps du colosse d’acier. Mes pensées fusent à voix haute. Vous avez sacrifié votre cheville pour me porter ce coup ?!
Keuf… Se sacrifier pour une plus noble cause… C’est ça l’essence de la Révolution ! Ce n’est pas quelque chose qu’un chien du gouvernement peut comprendre ! Il marque une pause pour tousser dans son casque, puis continue. Et maintenant, tu seras aux premières loges pour le grand final ! Je vais t’emporter avec moi !

Le centre de son corps se transforme au contact de l’air grâce au pouvoir de son fruit du démon, mais ses bras et la plaque centrale de son plastron restent tangibles pour me garder immobilisé. Puis, les anneaux de ses bras commencent à tourner et chauffer, m’indiquant que son auto-inflammation va se déclencher. Une pensée terrifiante me traverse l’esprit alors que je blêmis. C’est comme son attaque de toute à l’heure, où il enflamme l’air sous pression pour créer une explosion dévastatrice… Mais au lieu de l’expulser par son canon, il va le faire avec son propre corps. Et moi juste en dessous. La panique me gagne devant cette image que je me peins dans ma tête.

Vous allez vous faire sauter ?! Vous êtes fou !
J’ai échappé à la Purge, aux convois de la mort… Hors de question que je me laisse à nouveau capturer… Je me débats comme un forcené pour essayer de me libérer alors que le l’air chuinte dans son corps en se compressant, comme une théière qui siffle sur le feu. L’Empereur m’a donné une raison de vivre, une cause pour laquelle me battre… Et comme je l’ai dit, je préfère voir Aeden cramer que tomber dans vos mains ! Tant pis si je crame avec !

Le sifflement de l’air se fait plus aigü, puis se transforme assez contre-intuitivement en une sorte de vrombissement sourd.

Longue vie à la Révolution !

Quand les flammes jaillissent de ses poignets, je comprends que l’explosion est proche. Alors je mobilise mes dernières forces, et d’un coup de bassin brutal, je parviens à le déloger d’au-dessus de moi. Etant donné que la majeure partie de son corps est transformée en air, il n’a plus le poids nécessaire pour me maintenir au sol, et je parviens ainsi à m’extirper de son emprise. Puis, mon corps agit tout seul et je me saisis de ses poignets, empoignant avec force les anneaux brûlants qui vont bientôt agir comme détonateurs. J’essaie de noircir de Haki mes deux mains, mais je n’en suis pas capable. J’ai peut-être compris comment activer et déplacer cette carapace, mais la séparer et la répartir sur deux membres en même temps me semble impossible. Au mieux, quelques doigts et une partie de la paume de chaque côté se renforcent, mais le reste n’est pas protégé. La douleur est insoutenable, entre la chaleur du métal chauffé à blanc et la friction… Mais je parviens à stopper leur incandescence. La peau de mes paumes continue de se noircir, alors que je désactive pourtant mon Haki : elle se brûle, se cloque, se calcine. Mais je fais fi de la douleur, alors que je maintiens Cendre en place en lui tenant fermement les bras, juste à ma hauteur. Je concentre alors toute mon énergie et mon pouvoir dans mon front, et arme ma nuque.

Oh que non !

Je frappe sa tête de toutes mes forces, pour lui asséner un puissant coup de boule renforcé au Haki. L’attaque témoigne de mon important état de fatigue : en temps normal, je n’utiliserais jamais une technique aussi idiote et qui blesse presque autant son utilisateur que celui qui la reçoit. Mais dans le cas présent, je ne réfléchis plus. Alors autant me servir de ma tête pour quelque chose d’utile. Mon crâne renforcé au Haki s’enfonce dans celui de Cendre, dont la tête est violemment projetée en arrière. Il redevient complètement tangible et s’effondre sur le dos alors que je me relève péniblement.

Vous me traitez de couard… Mais vous voulez esquiver votre châtiment en choisissant la solution de facilité… Je marque une pause pour passer ma main sur mon front et relever mes cheveux trempés de sang et de sueur au-dessus de ma tête. La peau de mes paumes me fait un mal de chien. Tout mon corps me fait souffrir le martyr. Je crois que cette fois, il me faudrait un peu plus que quelques litres de lait et des steaks pour me remettre d’aplomb. Vous êtes en état d’arrestation, c’est fini.

Je ne sais pas s’il m’entend. Je ne crois pas, je crois qu’il est inconscient. Ce n’est pas grave. L’important, c’est que j’ai réussi à l’arrêter. Je me relâche, et mes jambes cèdent, me faisant tomber sur les fesses. Puis, je me laisse tomber sur le dos, juste à côté du corps inanimé de Cendre. Je pense au Vice-Amiral Jurgen et à Mountbatten, qui étaient aux prises avec Niklas Aldo. J’espère qu’ils tiennent bon, et que tout va bien. Je pense également aux autres soldats sur l’île, et de manière générale à l’ensemble des civils qui y habitent. Finalement, je n’ai pas pu agir à la hauteur des mots que j’ai prononcés en face du Vice-Amiral Fenyang. Finalement, je n’ai réussi qu’à vaincre un seul révolutionnaire. Mes lèvres se mettent à trembler alors que je contiens mes larmes, puis se crispent quand je serre les dents. Une fois de plus, j’ai manqué de force pour mettre en application mes valeurs. Une fois de plus, mes actions n’ont pas reflété mes paroles.

Je suis victorieux de mon combat. J’ai même acquis un pouvoir formidable en étant confronté à un adversaire aussi puissant. Pourtant, la route est encore longue vers mon objectif. Mes paupières s’alourdissent. Alors que mes yeux se ferment, l’image du Vice-Amiral Fenyang, de dos, m’apparaît. Aujourd’hui, un de nous deux achève sa route vers l’Amirauté avec un grand A, et l’autre… Vient de se rendre compte du fossé qui les sépare. Les flammes qui consument Aeden ne pourraient laisser rien que de la fumée et des cendres… Ou au contraire, apporter la chaleur nécessaire au renouveau… Seul l’avenir dira ce qu’il reste lorsque le brasier s’apaise…