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Sevrage forcé [avec Feng Han]

Sevrage forcé [avec Feng Han]


« Un sommeil lourd, sans faille ni réveil. Quel délicieuse sensation… » La bouche pâteuse et l’esprit embrumé par une nuit factice, surnaturelle, que la bosse qu’il sentait sous ses doigts graciles expliquait volontiers, Haoyu Han se relevait doucement sur sa couchette. Une odeur de tabac froid collait ses vêtements et ses draps, signe d’une surconsommation somme toute bien caractéristique des excès usuels de l’onirocrite déchu. Cette déchéance spirituelle d’abord, matérielle ensuite, s’accompagnait d’une sensation de manque atroce qui le saisissait à chaque instant. Mu par l’envie, ou plutôt par le besoin impérieux de s’évader une nouvelle fois dans l’ambroisie turquoise des opiomanes, Haoyu fouillait ses vêtements collés par la sueur mais il n’y trouvait pas l’objet de sa convoitise. Pris de panique, il se jetait hors de son lit de fortune et fourrageait la pièce sans toutefois résoudre le mystère d’une disparition à la fois onéreuse et condamnatrice de ses besoins. Pour la première fois de mémoire d’Homme, il brisait son calme ordinaire et hurlait à gorge déployée d’un désespoir inhumain. « Où ?! Où est-ce qu’elle est ?! » Rien dans la pièce n’indiquait la présence de sa pipe ni de sa blague : une petite table et une chaise habillait le coin de ce qu’il comprenait être sa geôle et au-delà de sa couchette, auprès de laquelle se tenait un coffre, et de quelques étagères probablement branlantes, il n’y avait rien. Il retournait alors la couchette, cherchait dans les plis et recoins de ses vêtements, passait ses mains sur les étagères à demi-poussiéreuses, ouvrait le coffre, retournait le matelas de sa couche mais nulle traces de ses outils morphiniques. Passé la demi-heure, l’oniromancien abandonnait l’espoir d’une retraite thébaïque et s’asseyait à même le sol. « Que suis-je devenu ? Qui suis-je, finalement, sur cette terre maudite ? Ne suis-je que le récipient des rêves d’autrui ? Ne suis-je qu’un de ces opiomanes arriéré et abruti ? N’ai-je donc plus de volonté ? Cette volonté féroce qui définit les Han m’a-t-elle quittée ? Où est donc passée ma fierté ? Où est donc passé mon sommeil ? »

Les jambes en tailleur, les mains jointes dans l’expectative, Haoyu attendait patiemment qu’un événement se produise, qu’un sursaut moral survienne. Mais la léthargie le prenait, loin d’être celle qu’il aimait ressentir, cette léthargie médicamenteuse propre à l’alcaloïde d’opium, elle l’amenait vers une nébuleuse anti-cathartique. Une de ces nébuleuses spécifique aux afflictions névrotiques. Une de ces nébuleuses enjoignant au dernier sursaut de volonté qui convient aux malheureux ou aux hystériques. « Peut-être devrais-je en terminer avec ceci ? Un Han aux prises du marché noir ? Non… C’est indigne d’un noble. Indigne de ma lignée. Indigne de l’Empire, aussi ingrat soit-il. Peut-être devrais-je en finir pour ne pas être un pion dans une nouvelle injure ? Oui… Il est temps de rêver éternellement, si toutefois cela lèverait ma malédiction… »

Il se levait alors, prodrome à sa finalité. Il se fit un chignon, comme sa mère le faisait autrefois, lissa ses vêtements de ses mains marquées par le roulement des billes de madak, enleva ses chausses et enleva un drap qu’il nouait autour d’une poutre de la charpente. Les yeux fixés vers l’au-delà, un au-delà d’une teinte bleutée, il se laissait aller. « Pardonnez mes offenses. »
Codage par Libella sur Graphiorum
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Sevrage forcé


Un long sommeil avait happé le patriarche Han après ses pérégrinations sur les terres opiacées du fumoir où il avait récupéré son neveu. Son corps n’avait jamais vraiment apprécié les brumes sédatives et le comportement dolent des toxicomanes qui s’y plongeaient. Récupérer son filleul lui avait coûté car il ne pensait pas le trouver dans une forme de déchéance aussi avancée. Certes, les oniromanciens étaient pour la plupart de fervents consommateurs de substances psychotropes et de drogues en tous genre mais ils n’en étaient pas moins avertis. Avoir laissé le jeune Haoyu se débrouiller pendant de si longues années de son côté et n’avoir suivi son parcours que d’un oeil distrait faisait une tâche sur le devoir de piété filiale que Feng se faisait. Plus jamais s’était-il dit une fois sorti du fumoir. Désormais, son neveu l’accompagnerait partout, pour qu’il puisse dans un premier temps se remettre de sa condition.

Pour cela, il avait tout d’abord décidé de le laisser dormir. Son corps en avait certainement plus besoin que le sien. Laissant comater le jeune homme, le Han avait consacré son réveil à la redécouverte du Bai Laohu, le navire qu’il venait de récupérer de feu Lee Yan au prix d’un combat assez risqué. Brûlant tout d’abord l’ancien pavillon, il considéré l’endroit où celui-ci était attaché un peu auparavant et se dit qu’à terme il devrait choisir le sien. Ha. La vie avait décidemment choisi de lui jouer bien des tours. Qui aurait pu lui prédire sa situation actuelle un an plus tôt ? Sans doute personne. Il était au faîte de sa carrière. Et tout avait changé. Pour ne pas s’apitoyer sur son sort, il décida de briquer et de lustrer le pont avec le matériel de nettoyage et d’entretien stocké dans la cage. Récurer l’endroit lui prit quasiment toute la matinée et son ventre se mit à grommeler pour lui signaler qu’il était temps d’arrêter. Il était grand temps de manger. Faisant un rapide aller-retour pour aller acheter quelques vivres à la capitainerie, il eût à peine le temps de revenir qu’il entendit que l’on s’agitait dans la cabine où il avait mis Haoyu la veille. Ce dernier ne tarderait pas à se réveiller. Eventrant un des sacs de riz qu’il venait de ramener, il en récupéra une partie en veillant à ne rien renverser dans un grand bol et versa sur le tout un petit filet d’huile avant de touiller jusqu’à ce que les grains s’en enduisent. Une fois cela fait, il glissa sa préparation dans la marmite d’eau à peine remplie d’eau bouillante qu’il venait de lancer sur le feu de la kitchenette et couvrit le tout. Une fois le tout bien cuit, il claqua un œuf sur l’ensemble et agrémenta de quelques épices les deux belles portions qu’il venait de servir. L’odeur eût tôt fait de sortir Haoyu de son lit. Ou plutôt le bruit sourd qui provint de la chambre fit bondir Feng dans celle-ci. Manquant de renverser le bol qu’il tenait dans sa main, il laissa une colère sourde l’envahir quand il comprit ce qu’essayait de faire son idiot de neveu. Renoncer à la vie ? Ce sombre idiot était-il donc devenu si faible ? Son corps commençait à trembler et ses bras, comme dans un appel à l’aide, s’agitaient.

D'une main, il empoigna au col l’imbécile qui faisait peu de cas de sa vie tandis que de l’autre il reposait lentement le bol sur un meuble attenant. Les yeux du jeune homme, vitreux, semblaient le dévisager sans vraiment le reconnaître. De sa main libre, il trancha le drap d’un revers de main le drap et, de son bras tendu, jeta son filleul comme une poupée de chiffon dans son lit, le laissant s’écrouler dans un bruit sourd.

« Sérieusement ? hurla le Han. Après toutes ces années c’est la seule chose que tu trouves à faire ? »

La main du Han le démangeait et son envie de gifler le pauvre idiot n’en était que plus forte. Mettre fin à ses jours ? Ici, dans une cabine isolée, reclus de tous ? Se déshonorer d’une telle sorte ? Feng ne savait pas ce qui le heurtait le plus mais il s’en voulait tout autant à lui qu’à Haoyu. Ravalant à grand peine sa colère, il laissa la masse étalée au sol se remuer et baragouiner quelque chose.

« Rien à cirer. Mange ça. »

D’un air autoritaire, il désigna le bol. Si son neveu voulait mourir soit. Il ne le laisserait pas faire. Et certainement pas le ventre vide.



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