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Présentation de Weissmann Silke

WEISMANN Silke

Age : 27 ans
Sexe : Femme
Race : Humaine
Métier : Scientifique (Chimiste en particulier)
Groupe : Pirate
But : Ne plus jamais ressentir les affres terrifiants de l'ennui.
Équipement :
- Un sac avec quelques tenues de rechanges, simples et confortables,
- Diverses bagues et colliers bons marchés,
- Une carte des Blues, une boussole,
- Une sacoche avec du matériel de chimie de base.
Parrain : Aucun
Ce compte est-il un DC ou un "reroll" ? Oui, de Suisou Hayato.
Si oui, quel @ l'a autorisé ? Nom du @ Jessica Hellhound
Codes du règlement :

Description physique


Une goutte de sueur perla sur son front. Lentement, elle roula le long de son nez aquilin pour enfin, d'un ultime soubresaut, se détacher. Au ralenti, Silke vit la gravité l'attirer, avant qu'elle ne s'écrase sur le sol molletonné de sa cellule. La tête en bas, son corps athlétique droit comme un « i », la jeune femme plia les coudes. Lorsque son crane toucha le plancher, elle tendit les bras, ses jambes fines et musclées dressées en l'air. Encore. Encore. Encore !

Aucune émotion ne filtrait sur son beau visage. Une beauté froide, à la peau claire et aux yeux en amande teintés de glace. Ses lèvres délicates ne se crispaient pas sous les contractions. Sa mâchoire allongée ne se contractait pas sous le labeur. Ses sourcils effilés d'un blanc de neige ne se tordaient pas, malgré les répétitions incessantes. Au delà des apparences, l'effort prélevait son dû. La désagréable sensation de cuisson se répandait dans tout son corps, à mesure que les séries défilaient. Pourtant, la jeune femme restait de marbre. La douleur, dans ses bras vigoureux et sa sangle abdominale dessinée, l'aidait à tromper l'ennui.

Elle redescendit ses jambes et retrouva son équilibre, du haut de son mètre soixante dix. De ses mains aux longs doigts habiles, elle rejeta une mèche de ses cheveux blancs en arrière, avant de contrôler sa respiration. Comme une lionne en cage, Silke fit le tour de la pièce en quelques pas, d'une démarche souple et rapide. Son regard intense détailla en un instant les pauvres seize mètres carrés, dans lesquels elle avait passé la majeure partie de sa vie. Des murs en acier et un sol idoine, doublés d'une couche capitonnée. Une ouverture de dix centimètres par vingt, en verre blindé, était percée dans la porte qui la retenait captive. Un matelas usé à même le sol. Une éponge dans une bassine d'eau et une serviette. Une tenue de patient. Des latrines sommaires, dieu merci dotées d'une évacuation. Une pile de quarante deux livres, changés une fois par mois. Voilà tout.

La malade mouilla l'éponge dans la bassine, avant de laver son corps de gymnaste. On lui refusait l'accès aux douches, depuis qu'elle avait étranglé à mort une autre patiente qui l'avait agressée. Aussi, devait-elle se contenter de cette toilette sommaire. Sur sa peau d’albâtre, serpentaient des tatouages d'ébène aux motifs complexes. Ses deux solides épaules, son dos musclé, sa poitrine ferme et son ventre dessiné avaient été marqués, six cent trente quatre jours auparavant. Son père avait tenté une approche expérimentale, venue tout droit de Grand Line. Alliant à l'encre des produits chimiques, dont il lui avait tu la nature, il avait souhaité diffuser en permanence toute une pharmacopée sous sa peau. À la surprise générale, elle avait accepté sa demande sans broncher. Silke avait laissé un inconnu lui infliger des douleurs aiguës des heures durant, marquant à jamais son anatomie. Un fin sourire finit par émerger, en repensant à l'expression de son père. L'espoir ! Ou plutôt le désespoir. Qu'un cerveau aussi sophistiqué que celui du médecin en soit réduit à ces procédés... Oui. Elle gagnait du terrain. Force était de constater, encore une fois, que cette tentative pour la domestiquer s'était soldée par un cruel échec.


- Encore un peu de patience, se murmura-t-elle, d'une voix étonnamment douce et grave.


Avec la serviette, elle se sécha à gestes précis et méticuleux, comme à son habitude. Alors seulement, la patiente habilla sa nudité. En quelques mouvements rapides, elle masqua sa poitrine ferme d'une brassière blanche, avant de passer des sous-vêtements blancs, eux aussi. Tunique blanche. Pantalon blanc informe. Malgré cet accoutrement rabaissant, il était impossible de s'y méprendre ; cette femme développait un port altier, élégant, presque méprisant et hautain. Ses yeux gris bleu, dotés d'un reflet aussi argenté que sa chevelure, désarçonnaient et mettaient à nu. Si sa crinière blafarde, laissée libre et sauvage, ne laissait pas deviner son âge, sa peau lisse et la fermeté de son corps contaient une autre histoire. Incapable de rester en place, Silke tritura le repli de sa tunique d'un air absent, tandis que son cerveau s'activait en arrière plan. Son regard fusait en tous sens. La détenue détaillait sa cellule sous toutes les coutures, à la recherche d'elle seule savait quoi. Une aura inquiétante, presque instable, semblait émaner de tous les pores de sa peau.

Tout en elle respirait le danger.

Description psychologique


Le médecin reposa son verre d'eau sur son bureau en bois, l'air pensif. Les années s’enchaînaient et, pourtant, il ne trouvait aucune solution pour aider sa patiente. Le dossier de Weissmann Silke sous la main, il soupira, dépité. Du sang neuf arrivait ce jour ; autant de nouveaux élèves et collègues. Peut être pourraient-ils lui donner une piste, pour approcher cet épineux problème sous un autre angle ? Une énième fois, il ouvrit son classeur et reprit les données qu'il avait accumulées depuis la naissance de la jeune femme.

De ses multiples échanges avec elle, il la savait extrêmement cérébrale. Dotée d'un esprit analytique extraordinairement vif, la patiente pouvait repérer, trier, codifier et enregistrer une quantité d'informations astronomique en un temps record. Malgré toutes les précautions de Silke pour le lui cacher, son médecin avait compris que sa patiente utilisait de multiples outils de pensées, des modèles mentaux précis, souples et adaptatifs, pour faciliter les réflexions éclairs qui la caractérisaient. Des détails insignifiants, comme les replis d'une chemise, une marque de rasage ou de bronzage, le champ lexical choisi, l'expression faciale de son interlocuteur... tout était décortiqué en permanence, pour en retirer la substantifique moelle et, bien sûr, en tirer profit. Des problèmes complexes étaient simplifiées, par exemple en les « inversant », ou en séparant les divers fils qui en créaient les mailles, afin de les traiter séparément. Elle pouvait sans aucun doute se targuer de dizaines d'autres manières de procéder.

Capable d'une focalisation poussée, sa pathologie l'empêchait néanmoins de maintenir son attention outre mesure. Lorsqu'elle avait été hospitalisée, enfant, la garder concentrée sur un seul sujet plus de quelques minutes relevait de l'exploit ! Sa grande distractivité, ainsi que sa recherche permanente de la nouveauté et du frisson, étaient ses principales ennemies. Des années d'intenses et fréquents entretiens, d'innombrables heures de thérapies aussi diverses que complémentaires, lui avaient permis de lisser ce défaut. À présent capable de maintenir une concentration majeure sur un seul sujet durant une heure au maximum, Silke avait repoussé les limites de sa condition jusqu'à, finalement, faire de sa faiblesse une force. Si la célérité de son esprit lui permettait de suivre de multiples objectifs en même temps, toujours, le même écueil la paralysait. Ses angoisses innommables face à l'ennui, l'inaction ou l'indécision demeuraient un de ses majeurs défauts.

Car si la psychopathe brillait par son intellect, il lui manquait cruellement ce que le commun des mortels acquerrait dès le plus jeune âge : une maturité émotionnelle basique. Si elle pouvait reconnaître les émotions, les caractériser, les mimer même, ses capacités d'empathie et d'exploration de ses propres émotions demeuraient désespérément basses. Ses différents confrères et consœurs s'étaient relayés, des années durant, pour les lui inculquer. En vain. Frustration, plaisir et colère. Voilà tout ce que plus d'une décennie d'hospitalisation avait réussi à faire germer de manière certaine en elle. Toutes les autres pousses d'émotions lui demeuraient à peine perceptibles, elle qui les repérait et les maniait pourtant à sa guise chez les autres. Remord, culpabilité ou simple dichotomie du bien et du mal, par exemple, ne rentraient absolument pas dans son vocabulaire.

Mais le mal ne s'arrêtait pas là. Ses addictions à l'adrénaline et à la dopamine s'étaient renforcées. Son penchant pour le mensonge devenait pathologique, presque comme un jeu cruel. Son sadisme avait pris des tons plus raffinés. Ses pulsions avaient même fini, ces dernières années, par muer en des formes plus répréhensibles encore : elle cherchait à dominer, physiquement et mentalement, ceux et celles qui croisaient son chemin. Puisqu'elle acceptait, chichement, de laisser filtrer quelques informations si on lui promettait une récompense, il avait découvert d'autres de ses penchants. Silke trouvait une certaine beauté dans la pyromanie, dans l'extase intellectuelle de la réussite, mais également dans la sombre torture de l'échec. Se retrouver face à un mur la stimulait, déclenchait chez elle son besoin viscéral de surmonter les obstacles à la seule force de son esprit. Prouver qu'elle valait mieux que la plèbe relevait de l'obsession.

Car, comme la plupart des psychopathes, la jeune femme avait développé un complexe de supériorité ineffable. Là où le monde pointait du doigt son défaut d'empathie, son incapacité à comprendre ses propres réactions émotionnelles élémentaires... Silke y voyait un avantage compétitif. Décisif, même. S'encombrer de réactions illogiques sous le joug d'hormones, de constructions sociétales ou de réflexes archaïques, demeurait le comble de la médiocrité, selon ses propres aveux. Plus jeune, il n'était pas rare de la voir enrager, exploser même, face à cette discordance évidente entre ce qui devait être fait de manière pragmatique et logique, et ce qui était communément admis comme « socialement acceptable ». L'âge et la thérapie aidant, elle réussissait à prendre sur elle, mais jusqu'à un certain point qu'il ne valait mieux pas dépasser.

Ce rationalisme morbide, cet émoussement affectif, ces angoisses qu'elle ne pouvait ni expliquer ni maîtriser, la rendaient particulièrement instable. Si la nouveauté la faisait frisonner d'extase, il en allait de même pour le risque ou la terreur primaire. Tout était bon pour oublier la sainte horreur qu'elle portait à l'absence de mouvement, à l'ennui, au néant. La confronter au vide ou la forcer à l'introspection, la renvoyait à un état de violence primale. Comme si contempler l'intérieur de sa psyché créait un cycle autodestructeur, qui ne pouvait que monter en pression pour finir par, fatalement, exploser avec pertes et fracas. Elle avait donc développé de multiples tics, obsessions et réflexes mentaux pour ne jamais rester oisive. Le seul moment de léthargie qu'elle s'octroyait, était lors de ses quatre heures de sommeil journalier. Si elle en avait l'occasion, il était prêt à parier que sa patiente succomberait volontiers à diverses addictions aux toxiques, dans le simple but de se distraire en stimulant ses sens, ô combien développés.


- Dr. Weissmann ? l'interrompit dans ses pensées la voix de son second. Le staff va commencer.
- J'arrive, déclara-t-il en refermant le dossier de sa fille.

Biographie


La nouvelle fournée d'étudiants et de jeunes médecins s'installaient, en toute hâte, autour d'une immense table ovale en bois laqué. La gigantesque salle de staff ne comprenait aucune décoration, tout juste quelques lampadaires, des armoires croulant sous les dossiers de patients, et des fenêtres qui donnaient sur la mer. Tous en blouses blanches, les plus anciens soignants étaient déjà attablés, leurs dossiers et leurs blocs notes devant eux. À l'autre bout, trônant tel un roi en ces lieux de haute science mentale, présidait Weissmann Kurt, un des psychiatres en avance sur son temps. Le quadragénaire au physique émacié arborait déjà une chevelure blanche comme neige. Il était rasé de près, hormis un collier de barbe blanche. La peau glabre et claire de son visage laissait ressortir ses yeux aux reflets métalliques, encadré par de fines lunettes. Le chef de service promena son regard sur la salle, avec un air inquisiteur. D'une voix grave et solennelle, il débuta le staff sans plus de cérémonie :


- Nous commencerons par le dossier le plus épineux. Patiente numéro A00001, Weissmann Silke, hospitalisée depuis quatorze années pour psychopathie avancée...
- Votre fille est atteinte d'une forme incurable, Kurt... osa l'interrompre son second dans un soupir résigné.
- SILENCE ! tonna le chef de service.


Son intervention mit immédiatement fin aux murmures qui s'étaient élevés dans la salle. Évidemment, découvrir que la propre fille du chef de service était hospitalisée en secteur de haute sécurité, dans le tout premier hôpital psychiatrique voguant sur les flots, étonnait fortement. Mais comprendre, par ailleurs, que même son père n'avait pas réussi à la sauver en quatorze ans... il y avait de quoi faire jaser. Car pourtant, le célèbre médecin avait réussi l'exploit jamais égalé à ce jour : juguler les pulsions des socio-psychopathes. À l'aide d'une combinaison sur mesure de diverses thérapies comportementales ciblées, d'un cocktail de drogues confectionnées au cas par cas et, disait-on, d'un savoir faire aussi poussé que son opiniâtreté, le Dr. Weissmann comptait à son actif des centaines de patients réadaptés ! Son taux de réussite avoisinait les quatre vingt dix pour cent ! Du jamais vu ! Mais, apparemment, seule une patiente l'intéressait.


- Weissmann Silke, vingt ans, atteinte de psychopathie avancée, sans élément psychotique ni trouble thymique... Prenez des notes, les internes.
- Oui, monsieur !
- Hospitalisé depuis ses six ans, après trois années d'errance suite à un mauvais diagnostic d'HPI par un confrère de ville...


Gêné, un jeune interne tapota discrètement l'épaule d'un chef qui somnolait à coté de lui. Petit, brun et timide, il devait se faire violence pour aborder de la sorte un médecin confirmé. Néanmoins, s'il voulait progresser, il ne pouvait pas se permettre de rester sans réponse lors d'un staff ! Après tout, il était là pour aider autant de personnes que possible. Le senior se gratta sa chevelure blonde, puis lui jeta un regard embué de sommeil, avant de sourire devant sa question. « Haut potentiel Intellectuel », voilà ce qui signifiait l'acronyme.


- C'est ton premier jour, mon gars ? lui chuchota-t-il.
- Oui... je suis interne depuis le mois dernier.
- Et tu t'embarques déjà ici ? Chapeau. Tu t'appelles comment ?
- Oliver. J'ai déjà perdu mon badge, désolé euh... Dr. Crown. Dites, on ferait pas mieux d'écouter le chef ?
- Oooh, après plus de dix ans à subir ce staff hebdomadaire, je suis capable de te faire un résumé, mon p'tit Oliver.


Née dans une famille de scientifiques, Silke avait baigné dans la recherche depuis son plus jeune âge. Sa mère, Mona, était une ingénieure de talent. Sa sœur Flora, son aînée de deux ans, gravissait déjà les échelons de la marine scientifique ! Sa vive intelligence, sa discipline de fer et son gout prononcé pour l'ordre et le travail bien fait, lui promettaient une carrière fulgurante. Laurens, son frère cadet de deux ans et demi, était bien plus simple, attentionné et doté d'une intelligence pratique. Bien qu'un peu plus limité sur le plan académique, il disposait surtout d'un physique robuste et d'une combativité hors du commun. Il avait naturellement été dirigé vers la marine d'élite, où il commençait à faire ses armes sur les mers, sa formation initiale terminée. Silke, quant à elle... avait toujours été particulière.

Depuis son plus jeune âge, elle avait démontré des prédispositions majeures pour la réflexion et l'apprentissage sous toutes ses formes. Que ce soit l'acquisition du langage, la compréhension de jeux simples ou plus complexes, la conceptualisation de plans en une, deux, parfois même trois étapes pour obtenir ce qu'elle désirait... Silke impressionnait même son père. Il se souvenait encore de la première fois où, à deux ans, il l'avait vue attraper un coussin, pour pouvoir grimper sur une chaise, afin d'ouvrir un placard dans lequel il avait caché des friandises ! Dès ses trois ans, Kurt l'avait amenée chez un de ses collègues en qui il avait confiance. Ce dernier l'avait estampillée HPI, devant les capacités hors normes de la jeune fille. Son confrère avait néanmoins noté une certaine propension, déjà, à des « égarements » : désobéissances, insolences, esquives habiles de certaines consignes... Mais le Dr. Weissmann avait chassé d'un revers ces points noirs, se jugeant apte à guider sa fille.

Trois ans après, le père de famille dût se rendre à l'évidence : l'état de Silke empirait. Son intolérance à la frustration grandissait. Les accès de violences envers ses semblables devenaient plus fréquents, plus intenses et plus difficiles à maîtriser. Devant un incident qui aurait pu tourner à l'amputation du doigt d'un petit camarade, le psychiatre reconnut des élans de sadisme débutant. Les plans ingénieux et innocents de sa petite enfance, se transformaient peu à peu en un machiavélisme glaçant. Pire encore, son père la soupçonnait de commencer à s'adonner à d'autres vices, et d'être assez maligne pour couvrir ses traces : plusieurs petits incendies criminels s'étaient déclarés dans la ville, sans qu'aucun coupable n'ait jamais été identifié. Jamais, ô grand jamais, il n'avait réussi à la faire verbaliser spontanément de remord, ou d'empathie envers ses semblables. Peut être n'en était elle pas totalement dénuée. Cependant, lorsque la psychopathe désirait quelque chose, elle ne se laissait pas arrêter par ce genre de considération.

Devant l'échec de toutes les thérapies comportementales, les multiples avis d'éminents médecins, ou toutes les tentatives pour discipliner sa fille, le père prit une décision radicale. Il vendit ses parts de sa clinique et acheta un énorme navire, qu'il fit modifier pour répondre aux normes de sécurité des hôpitaux psychiatriques. Après avoir pu recruter un staff entier, du fait de sa renommée montante, le médecin embarqua de force sa fille et, dès lors, voua sa vie à étudier les socio-psychopathes. Son but était fort simple, bien que jugé impossible par le corps médical : trouver un remède à la condition de Silke. Dès années après, on s'arrachait le droit de venir étudier la médecine à ses côtés, devant des résultats probants pour presque tous ses patients. Tous, sauf une.


- Pourquoi est-ce qu'il n'y arrive pas avec elle ? murmura Oliver. Elle a pourtant été prise très tôt ! J'ai entendu dire qu'il avait même réussi à soigner des adultes !
- Silke est... différente, frissonna le médecin. Tu verras lors des visites. D'ailleurs, un petit conseil, ne te porte pas volontaire les premières fois, sauf si tu aimes la sensation d'être mis à poil devant tout le monde.
- Hein ?
- Tu comprendras bien assez tôt. Pour répondre à ta question, c'est probablement parce que le seul qui pourrait la sauver, c'est son père.
- Justement, il est tellement brillant que...
- Oliver, ici, il va vraiment falloir que tu apprennes à lire entre les lignes. Tu as affaire à des êtres qui ressemblent à des humains, mais qui ne réfléchissent absolument pas comme toi et moi. Silke arrive à résister, justement parce que c'est son père. Leur relation dépasse celle du médecin et de son patient. Il a beau être extrêmement attentif à tous ses actes et à ses paroles, il a beau être brillant et aussi rusé qu'expérimenté... Kurt reste son père. Et elle le sait. Il veut la sauver, mais aussi l’élever, la voir grandir, redevenir sa fille qu'il aime et non un monstre sans cœur. Il veut la voir retourner à la société. Et elle...


Un sourire étrange étira le visage du médecin, alors qu'il secouait la tête :


- Elle refuse juste de s'ennuyer. Arrête de faire cette tête, j'vais t'expliquer.


Alors que la notoriété du navire-hôpital grandissait, Kurt accueillait des patients des quatre coins du globe et de toutes les origines. Civils, petits criminels, pirates, pontes industriels et parfois même, discrètement, certains membres déchus du gouvernement ou de la marine. Ainsi victime de son succès, il dut par deux fois augmenter la taille de sa clinique voguant sur les flots. Par deux fois, il dut donc procéder à un transfert rigoureux, minutieux et hautement sécurisé de ses patients. Par deux fois, Silke fut responsable de l'évasion de nombreux psychopathes instables pour tenter de couvrir sa propre fuite. Par deux fois, le docteur Weissmann réussit à lire ses intentions, contrecarrer ses plans, puis à la sédater, pour la reconduire en chambre d'isolement.


- Imagine toi, une fillette de neuf ans la première fois et de... ouais, quatorze ans la deuxième fois, responsable de la fuite de dangereux patients...
- Neu... neuf ans ? hoqueta à voix basse Oliver.
- Il faut admettre qu'elle est habile. Surtout pour son âge à l'époque, c'était bien ficelé et soudain. Devant son premier échec, elle a fortement corsé la difficulté pour l'attraper, la seconde fois. C'est pour ça que, depuis ses quatorze ans, Silke bénéficie de la cellule la plus hautement sécurisée et que Kurt refuse de changer de navire.
- Il refuse ? Pourquoi ?


Le regard du médecin glaça l'interne lorsqu'il lui répondit :


- Il ne l'a jamais avoué, mais je pense qu'il y a un risque réel d'évasion, la prochaine fois. C'est pour ça qu'il limite les entrées dans le service, et que tout le personnel est autant trié sur le volet, même pour vous les internes.
- Qu'est ce qui a changé ? s’inquiéta le jeune homme.
- Ces dernières années, elle a réussi à obtenir des livres.


Comme le petit brun ne comprenait pas, le senior reprit avec un sourire amer :


- C'est pour ça que je te dis d'apprendre à lire entre les lignes. Elle a réussi à obtenir une faveur de son père. Il a compris après coup son erreur, mais c'était trop tard. Une seule erreur en quatorze ans... ce sont des monstres tous les deux, si tu veux mon avis.
- Comment elle a fait ?


Après un bref rire de nez, le Dr. Crown lança dans un souffle :


- Elle a frappé contre les murs de sa cellule, jusqu'à s'en briser les os. Je ne sais pas si tu réalises la force mentale qu'il faut, pour s'infliger ça volontairement ? La première fois, il a été sévère et, après l'avoir soignée, il l'a contentionnée, et lui a placé un dentier pour éviter qu'elle ne se mordre la langue. Sauf que même ça, ça n'a pas marché avec elle. Elle réussissait à s'enlever les contentions physiques, à lutter contre les sédatifs et à se remettre à mordre et à frapper les murs molletonnés, jusqu'à arriver au métal et à se briser les os. Pour un père, voir sa propre fille s'automutiler tous les jours... J'ose même pas imaginer ce que ça doit te faire ! Il a fini par céder à la simple demande qu'elle avait faite : avoir de quoi lire.
- Je comprends pas. En quoi c'est un problème ?
- Oliver... ça se voit que t'es un bleu. Le fait d'avoir de quoi lire n'est pas « le problème », encore que, avec elle, on peut se le demander. Pense comme un mathématicien... ou un criminel, plutôt. Retire tes sentiments de l'équation et essaye de deviner.
- Elle voulait tester les limites ?
- Oui et non. C'est plus retors que ça. Imagine toi dans une cage depuis tes six ans, car tu es différente, que ton propre père t'as mise là dedans et que c'est lui qui détient la clé pour te faire sortir...
- Je le détesterais et je voudrais me venger.


Avec un sourire, le médecin répliqua :


- T'as tout faux. Silke admire son père. C'est le seul être humain pour qui elle a réussi à verbaliser une émotion depuis son hospitalisation. Pour elle, on est juste bons à être utilisés et jetés. Mais lui, selon ses propres mots, il sort du lot. Son père réussit à la maîtriser, à la garder enfermée et à gagner leur jeu depuis quatorze ans.
- Leur... jeu ?
- De son point de vue, sortir est un jeu qu'elle doit gagner. Son père détient la solution et, pour l'obtenir, elle doit comprendre son fonctionnement et ses faiblesses, puis en tirer un avantage décisif en une fois. Car, vu l'homme qu'il est, il ne refera pas la même erreur deux fois. Sans compter son handicap, car elle doit réussir ce tour de force avant qu'il ne la fasse flancher et ne la « dresse », selon ses propres mots. Si on l'écoute, elle n'est pas malade, elle doit juste résoudre une énigme extrêmement complexe : « Comment je fais pour sortir d'ici à temps ? ».
- C'est en même temps simple et... et...
- Et terrifiant. Oui.
- Et pourquoi il n'arrête tout simplement pas de lui donner des livres, si c'est un problème ?


Au moment même où il posait la question, Oliver en comprit la réponse :


- Ça serait un double aveu de faiblesse... et elle l'utiliserait contre lui.
- Exactement. C'est bien, tu commences à comprendre comment ils réfléchissent. Il a réussi pendant plusieurs mois à contrôler tous les livres qu'elle pouvait lire, mais elle ingurgite les informations à une telle vitesse qu'elle peut en lire un à deux par jour. Il a donc été contraint de faire escale à Ohara, pour obtenir des copies des livres de la plus grande bibliothèque du monde. Mais même ça, ça n'a pas tenu six ans. Il a été obligé de finir par lui donner des précis de science fondamentales. Elle a dévoré une bonne partie du savoir d'Ohara concernant la chimie, la physique, la biologie, l'astronomie, l'histoire et bien d'autres matières... Après tout, elle n'a que ça à faire. Ça et tous ses exercices de renforcement musculaire et d'assouplissement.
- Elle se renforce physiquement et mentalement, parce qu'elle prépare son prochain coup ?
- Crois moi, mon grand, son « prochain coup » a déjà commencé à être mis en place dès la seconde où son précédent plan a échoué. Kurt a doublé le nombre de vigiles. Je suis pas sûr que ça suffise...
- Quand même, une seule femme contre un galion rempli de personnel...
- Le problème, c'est qu'elle ne sera probablement pas seule, quand elle voudra s'évader.


Un raclement de gorge violent les tira de leur discussion. De son regard d'airain, le Dr. Weissmann les fusillait du regard. Il interpella l'interne Oliver sans aucune sommation :


- Monsieur Babo, pour quelqu'un qui a passé les épreuves d'entrée in extremis, je vous trouve particulièrement distrait. Auriez-vous l'extrême obligeance de résumer le cas dont nous parlons, puisque vous pouvez vous permettre de discuter avec votre voisin ?


Le feu aux joues, l'interne se leva et, d'une voix tremblante devant ses pairs, résuma toute la discussion qu'il venait d'avoir avec le Dr. Crown. Il avança notamment les hypothèses quant au fonctionnement de Silke et, à mesure qu'il parlait, Kurt leva un sourcil étonné. Tant et si bien qu'il sourit d'un air engageant, avant de lancer :


- Puisque vous maîtrisez déjà le sujet, vous nous accompagnerez, vous et le Dr. Crown, lors de la prochaine visite. Je suis certain que vous saurez tirer parti de cet entretien pour nous aider à avancer dans les soins.
- Et merde... soupira à voix basse le senior.
- Désolé, lui glissa l'interne en se rasseyant.
- Surtout, reste derrière les médecins seniors lorsque tu seras dans sa cellule. Sinon, elle va te manger tout cru. T'es pas prêt, Oliver. Alors ouvre tes yeux et tes oreilles et, surtout, ne dis rien.


*
**



Assise, les yeux fermés sur son lit, Silke comptait... Sept. Huit. Neuf personnes. L'oreille tendue, concentrée sur son ouïe, elle avait réussi à différencier neuf démarches différentes. À présent, la psychopathe se rongeait un ongle, en attendant le verdict. Ils prenaient leur temps ! Vu l'atténuation des voix et l'épaisseur de la porte... Trois détenus avant elle. Ah ! Lui. Un déchet lubrique, léthargique, accro au sexe, incapable de réprimer ses pulsions... Tellement basique. Elle laissait à Kurt deux minutes pour plier le type. Inintéressant au possible. Les deux autres ? Ils ne volaient pas bien plus haut. Silke grogna. Sans y penser, elle passa à l'ongle suivant. De sa main libre, elle tourna la page de son livre de chimie de base. Son père refusait toujours de lui laisser lire les manuels plus avancés. Un sourire mauvais étira son visage. Cet embargo était inutile, pour qui savait extrapoler.

Elle jeta le livre sur la pile au bout de sa chambre, d'un geste dédaigneux. Ça n'était pas suffisant. Pas du tout, même ! Elle le sentait monter. Lentement. Sournois. Insidieux. Il lui fallait quelque chose pour le tuer dans l’œuf. Maintenant ! De ses yeux, Silke fit le tour de sa cellule, en vain. Malgré elle, la psychopathe tenta un exercice de respiration dont on lui avait bourré le crane. Des pensées positives. Il lui fallait penser. Penser coûte que coûte. Ses deux précédentes tentatives d'évasion s'étaient soldées par des échecs. Kurt était malin, elle devait le concéder. Plus malin qu'elle, même. Ça n'en rendait la tâche que plus exquise, encore ! Jamais. Jamais elle ne le laisserait la domestiquer. Jamais. Connerie de cage.


*Pensées positives, Silke.*, se rappela-t-elle en son for intérieur.


Des années de thérapies. Des années de connerie en boite ! Elle était une bête de foire, une anomalie dans la portée de petits chiots bien dressés par la Vie. Sa tare ? Réfléchir vite, correctement, sans variable parasitaire. Oh ! On pouvait enrober la chose, y mettre de plaisantes périphrases et utiliser des mots savants. La forme était différente avec chaque médecin, mais toutes les blouses blanches se ressemblaient. Toutes, sauf lui. Lui... lui était à sa hauteur. Plus encore, même. Oui, son père était doué. Il avait su lire à la perfection ses plans simplets de gamine, que tous les autres avaient loupés. Mais celui-ci, même lui aurait des difficultés à le contrer. Elle n'avait que peu de latitude, des outils courants, une fenêtre d'action de quelques minutes... mais tout cela, ce n'était que des excuses. Si elle échouait de nouveau, ce serait parce qu'elle avait encore des progrès à faire pour le battre et sortir, voilà tout.


*Plus que deux.*, pensa-t-elle en tournant la page.


La psychopathe avait fini par tendre une oreille sélective aux idioties qu'on lui serinait. À force de trier le bon grain de l'ivraie, elle avait appris à diversifier sa pensée, à la complexifier. L'autre était toujours tapis dans l'ombre, prêt à lui saisir les tripes et à lui vriller le cerveau ; mais ainsi armée, Silke pouvait le maintenir sous contrôle. L'ennui. Ce bâtard immonde, pourvoyeur de néant, propre à la médiocrité et à la passivité. Ah ! Quelle horreur cela devait être, un cerveau lambda ! Elle avait dû reconnaître, devant le corps médical, qu'elle pouvait se montrer légèrement impulsive ou intolérante à la frustration. Il fallait bien leur laisser un os à ronger, pendant qu'elle planifiait de leur fausser compagnie. Néanmoins, ils lui avaient été utiles, dans un sens. Sensibles à la réciprocité, ils lui avaient donné beaucoup. Elle n'avait que trop peu payé. Plus on la laissait lire, plus la malade se montrait calme et adaptée. Tromper le néant, le maintenir à quai, avait cet effet là chez elle. Malgré tout, leur insistance pour qu'elle se mette un boulet au pied, nommé « empathie », la hérissait. Il fallait qu'elle sorte.

Bientôt.

Face à son père, elle devait jouer sur le long terme. Elle devait prolonger les échanges, les étaler sur plusieurs séances, retenir ses coups, prendre des chemins alambiqués et agiter une cloche d'un côté pour progresser de l'autre. Que c'était grisant ! GRISANT ! S'il n'avait pas été aussi entêté à l'idée de la dresser, ils auraient eu tant de choses à échanger. Dommage. La finalité était tout bonnement inacceptable, pour elle. Seule sa liberté lui importait. Libre de penser. Libre d'expérimenter, de découvrir... de vivre.


*Plus qu'un.*, nota-t-elle en pensée.


Les livres, c'était bien beau, mais la Science... Elle comprenait sa mère, maintenant. Silke s'était découvert une passion dévorante pour la chimie et la physique. La beauté de la Science ! Rationnelle, pure, limpide et si... si vaste. Tant de choses à explorer, à découvrir, pour tenter, échouer, puis recommencer, modifier, expérimenter ! Il fallait qu'elle s'évade... Pour sortir, la patiente avait étalé ses collectes de matériel sur trois ans. Trois ans ! Pour sa bonne conduite, après avoir obtenu de la lecture, Silke avait été autorisée à sortir de sa cellule, sous haute surveillance. La raison ? Des travaux d'intérêt général. Courageux mais pas téméraires, ils gardaient tous les autres détenus cachés dans leurs cellules, pour limiter les risques de « sur-stimulation ». Avec un sourire, elle se rappela de sa toute première sortie dans les entrailles du navire : comme un chien devant une colonie d'écureuils ! Elle voulait toucher, sentir, découvrir, explorer, attraper tout, absolument tout ce qui lui tombait sous la main ! Elle avait fini sédatée et contentionnée en deux minutes.

Les fois suivantes, par pur intérêt logique et pragmatique, elle avait su se tenir un tant soit peu. Après tout, il lui fallait accéder à l'extérieur de sa chambre. C'était capital, même. Lentement, minutieusement, sous une garde conséquente, elle avait balayé et nettoyé l'intérieur du bateau, sans jamais accéder au pont à l'air libre. Lentement, Silke avait catalogué tout ce qui pouvait lui être utile. Crayons à mine de carbone volés. Sel et sucre placés sur ses plateaux repas. Moisissure de salpêtre rongeant les murs, à cause de l'humidité ambiante. Pour une raison fort évidente, on la tenait loin de la cuisine, mais elle les laissait penser qu'ils gardaient le contrôle de la situation. En réalité, à cause de leurs procédés pour tenter de la réadapter, grâce à ces menues taches utiles à la société, ils lui avaient servi sur un plateau d'argent ce dont elle avait besoin. Elle s'étonnait elle même d'avoir tenu aussi longtemps.


*Zéro.*, sourit-elle en entendant les verrous se lever.


Sa félicité retomba rapidement, lorsque trois psychiatres et cinq infirmiers musclés investirent les lieux. Huit. Pourquoi ? S'était elle trompée ? Elle fronça les sourcils. Non.


- Bonjour Silke, lui lança la voix grave de son père.


Loin de répondre, la jeune femme attrapa son menton gracieux d'une main. Elle cligna des yeux plusieurs fois, après avoir passé en revue tous les visages ici présents. Huit. Non ? Non. Elle renifla ostensiblement, avant de sourire de nouveau. Neuf.


- Je ne connais pas cette eau de cologne, lâcha-t-elle avec un sourire.
- Tu es d'humeur joueuse, donc. Fort bien. Que me donnes-tu, aujourd'hui ?


Les regards d'argent s'entrechoquèrent. Sans un mot, les deux esprits livrèrent bataille, alors que les faciès ne bougeaient pas d'un iota. De ses yeux inquisiteurs, Silke balaya tous les détails ignorés par la plèbe, sur cette silhouette qu'elle avait appris à craindre autant qu'à respecter. Rien. L'enfoiré ne lâchait rien. Elle jeta un regard en biais à un infirmier. Rasé de près. Ongles propres et courts. Marques d'une bague retirée sur l'annulaire. Chaussures lustrées... Jour de permission ce soir. Adultère futur. Pitoyable. Elle revint à son père.

Rien.


*L'enfoiré !*, enragea-t-elle sans rien en laisser paraître.


Vaincue de nouveau, elle lui concéda un sourire contrit avant de soupirer, la tête à moitié baissée.


- À mon tour, donc.


Silke leva la main gauche, en signe de reddition, tout en se rongeant l'ongle du pouce droit. La tête en biais, incapable de soutenir son regard d'airain, le cerveau de la patiente s'activa en un instant. Elle grogna, avant de lâcher :


- Une heure.
- Trois, si tu veux continuer à jouer.
- Tu sais ce qui arrive, lorsque tu fais des promesses que tu ne tiens pas... siffla-t-elle en rongeant son index, à présent.
- Trois heures de thérapie. Et je te laisse dix secondes d'observation. C'est donnant, donnant.


La jeune femme se stoppa net. Ses yeux revinrent brutalement sur son père. À la manière de celle qui passe un marché, elle scanda presque :


- Dix secondes !
- Chef... c'est son premier jour, tenta le Dr. Crown.
- Pas une de plus, Silke, l'ignora le chef de service, en découvrant sa montre sous sa manche.
- Pas besoin... murmura-t-elle, d'une voix enthousiaste.


Les mines basses, tous les médecins, sauf le Dr. Crown, s'écartèrent du champ de vision de la psychopathe. Si la plupart comprenaient les tenants et aboutissants de ce qui venait de se dérouler, ce n'était pas le cas de l'interne. Véritable agneau envoyé à l'abattoir par son chef de service, ce dernier jetait des regards éperdus autour de lui. Son sénior faisait barrage de son corps, dos à Silke. Contraction des épaules, pieds en dehors, genoux fléchis...


- Si tu commences avant, je lance le compte à rebours.
- C'est toi qui a énervé le Dr. Crown, se défendit-elle. Il prépare ton interne à ta place. Tu l'as pas prévenu, comme d'habitude ?
- La vie ne prévient pas, Silke, répliqua-t-il d'une voix ferme. S'il n'est pas capable de supporter dix secondes, il n'a pas sa place ici. Dr. Crown ! Monsieur Babo est un grand garçon qui, je l'espère, a bien lu la description du stage, notamment la section « confrontation en situation réelle face aux patients ». Laissez-le.
- Je vais le faire, Dr. Weissmann, lança courageusement le principal intéressé.


Avec un juron, le psychiatre s'éloigna. Alors Kurt leva son doigt, pour l'abattre vers le quadrant de sa montre. Instantanément, le temps sembla ralentir pour Silke, impatiente. L'index frappa le verre. Top départ. Surprise, choc, dégoût et... excitation ? Inutile ! Barbant ! Classique ! Embrasser le tableau en entier ! En un battement de cils, Silke passa en revue tous les détails à sa portée. T-shirt de héros sous la blouse. Pris sous son aile par un médecin homme dès le premier jour. Homme enfant. Besoin d'un père de transfert. Ongles de mains rongés d'un anxieux chronique. Parents séparés ? Non. Eau de cologne de soixantenaire, sur un jeune homme de vingt à vingt cinq ans. Montre ancienne au poignet, avec un bracelet lâche, non réajusté. Cadeau récent du père. Poignet droit d'un addict au plaisir solitaire. N'a pas désacralisé les femmes. Admiration pour les hommes puissants. Figure du père très importante. Perdu sans figure d'attachement... Mère décédée. Tache de mousse à raser sur l'oreille gauche. Tache d'encre sur la poche de blouse : bouchon non remis sur son stylo. Étourdi, tête en l'air. Visage lisse, regard intelligent mais avec un éclat naïf. Lève le menton artificiellement, mais baisse les épaules. Triture ses mains pour...


- Dix secondes, Silke, déclara son père en obstruant sa ligne de vision. Maintenant, pour une heure de thérapie de moins, es tu capable de te retenir de...
- Non. Droitier, admiratif de son père. Sa mère est décédée quand il était gosse. C'est un idéaliste qui s'est engagé pour sauver les gens, ou une connerie de ce type. Vous le décrieriez tous comme « intelligent », mais c'est un étourdi, qui a perdu son badge dès le premier jour. Anxieux chronique, avec une addiction à...
- Il suffit ! la coupa-t-il. C'était une erreur, Silke. Je te laisse les trois heures de thérapie. Tu as été inconsidérée pour les sentiments de monsieur Babo...
- Pas plus que toi ! l'interrompit-elle d'un ton mordant.


Comme l'assemblée hoquetait devant l'affront délibéré, le Dr. Weissmann ajusta ses lunettes sur son nez, avant de reprendre d'une voix calme :


- Deux erreurs, Silke.


Elle ouvrit la bouche, avant de la refermer, la mâchoire serrée. La troisième erreur signifiait des livres en moins... et le monstre, tapi dans un coin de sa tête, n'attendait que cela pour revenir la plonger dans le néant. La psychopathe grinça, mais céda une fois de plus :


- Pardon, déclara-t-elle sans aucune conviction.
- Je... ça va... balbutia l'interne.
- Trois heures, cet après midi, lui rappela son père.


Sur ces mots, la visite se termina et les soignants sortirent. Alors que la porte allait se refermer, « Monsieur Babo » retourna la tête pour lui jeter un dernier regard. Oh ! Il était résilient ! Voilà qui était une heureuse surprise. Elle lui glissa un sourire intéressé, alors que la porte blindée claquait et que les verrous s'enclenchaient. D'un pas fébrile, la jeune femme alla chercher un livre au hasard. Son cœur battait la chamade, mais son corps semblait soudain si léger ! Elle s'écroula sur son lit, apaisée d'avoir pu, enfin, se divertir un tant soit peu. Contre toute attente, cet interne semblait avoir quelque chose dans le ventre. Il conviendrait sans doute mais, pour cela, il fallait qu'il revienne... il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir.

Dix jours plus tard, elle en eut le cœur net. Toujours accompagné d'une demi douzaine d'infirmiers, Oliver Babo revint en compagnie de son père et du Dr. Crown. Lors de l'entretien, Silke fit lentement dériver le sujet jusqu'à l'amour. Alors, prenant de court toute l'assemblée, la malade déclara « Ecoute, mon petit Oliver, si personne ne veut le faire, je me porte volontaire ! ». La seconde suivante, elle se ruait sur lui. Avant que les infirmiers ne puissent la retenir, elle agrippa le petit brun pour l'embrasser fougueusement, lui offrant ainsi son premier baiser. Rouge pivoine, le pauvre interne vit la jeune femme se faire solidement maîtriser, puis repousser jusque dans son lit. Elle y éclata de rire jusqu'à ce que tout le personnel ne sorte. De nouveau seule dans sa chambre, Silke se calma progressivement. Alors seulement, elle sortit de son sous-vêtement le badge de l'empoté.

Tout était prêt.

Le soir même, elle attendit que la garde de nuit soit bien entamée pour mimer une crise de vomissements incoercibles. Pour avoir déjà entendu un autre détenu souffrir de ce genre de maux, la patiente connaissait le protocole. Le médecin somaticien de garde, ainsi que trois à quatre vigiles, se déplaceraient pour examiner le patient. Ce soir, quatre vigiles ouvrirent la porte et tombèrent sur Silke, apparemment en train de rendre tripes et boyaux dans les latrines. À peine étaient ils tous rentrés qu'elle se déchaîna. Trachée écrasée. K.O. technique d'un coup au menton. Cervicales brisées. Plexus enfoncé. En quelques instants, la psychopathe plongea dans les limbes les gorilles, puis retourna la seringue de tranquillisant contre le docteur. Elle l'accompagna au sol, avant de se saisir de son badge, puis des trousseaux des gardes. Elle en préleva deux clés. Lors de tous les jours passés à faire le ménage, Silke avait repéré celles qu'ils utilisaient pour accéder aux diverses pièces, ainsi que la seule qu'il n'avait jamais sortie en sa présence : celle des cuisines.

Sans un bruit, elle sortit de sous son lit ce qu'elle avait amassé ces trois dernières années : plusieurs crayons à mine de carbone, ainsi qu'un gros pochon d'un mélange de sucre et de salpêtre. Avant de sortir, elle se saisit des lampes-torches qui traînaient au sol. Ni une ni deux, l'évadée libéra les trois patients les plus proches, qui ne se firent pas prier pour, à leur tour, faire sortir d'autres détenus. Laissant l'effet boule de neige se créer, l'insurrection monta sans l'instigatrice qui, de son coté, préféra se rendre aux cuisines. Elle les ouvrit grâce à la clé subtilisée, puis referma aussitôt. Silke découvrit alors une vaste pièce carrelée, dont les murs étaient bardés de frigos, de plans de travail et de placards. En quelques instants, la malade récolta ce dont elle avait besoin et se mit à l'oeuvre.

Grâce à ses connaissances en chimie et en physique, Silke savait comment tirer partie du peu de matériel dont elle disposait. L'apprentie chimiste remplit d'eau trois petites cuves en verre, jusqu'à raz bord, puis les sala allègrement, à neuf gramme par litre. Elle perfora à deux endroits chaque couvercle des récipients, à l'aide d'un couteau, puis y plaça ses crayons, de sorte que les pointes puissent tremper dans l'eau salée. Ensuite, armée des batteries des trois lampes-torches volées, la jeune femme connecta chaque tige de carbone – préalablement dénudée au couteau – à une borne positive ou négative. Enfin, elle fixa le tout à l'aide de fil de cuisine, avant d'éparpiller ses créations dans la pièce. Après avoir fouillé les placards, Silke récupéra tous les bidons d'huile qui lui tombaient sous la main. Alors qu'elle arrosait copieusement le sol, les murs et les meubles, du vacarme commença à s'élever à l'extérieur. Elle sortit son sac de sucre et de salpêtre et en saupoudra le contenu dans toute cuisine, en particulier sur les bonbonnes de gaz de cuisson.

Prenant son mal en patience, la graine de scientifique compta mentalement le temps minimal nécessaire à l'électrolyse de ses solutions de Chlorure de Sodium. Son regard argenté se perdit dans les bulles qui agitaient ses liquides, transformant inexorablement l'eau salée en Dichlore. Déjà, elle devinait quelques volutes de gaz toxique s'élever depuis ses bouteilles. La splendeur de ce procédé, visualisé pour la première fois, la captiva un instant. Les mines de carbones conduisaient l'électricité des batteries, afin de produire une réaction physico-chimique avec simplement de l'eau et du sel... C'était de toute beauté ! Magnifique ! Elle avait beau l'avoir imaginé des milliers de fois, contempler ce spectacle la subjuguait bien plus ! Juste à temps, elle s'empêcha de se laisser happer et revint à la situation présente. Silke se para d'un tissu humide sur le bas du visage, protégeant ainsi ses voies respiratoires. Une fois le temps imparti écoulé, alors que des bruits de combats et des cris s'élevaient dehors, elle continua sur sa lancée. Rapidement, elle passa dans la cafétéria adjacente, trouva ce qu'elle cherchait et valida le badge du docteur dans une borne de paiement, aux caisses du self. Sans plus attendre, l'évadée craqua une allumette et laissa ses expériences prendre la suite.

Elle fila dans les couloirs, laissant les flammes dévorer la cuisine. Comme une petite souris, la patiente longea les murs, alors que les autres détenus déchaînaient leur colère, avec une rage sans précédent. Selon eux injustement hospitalisés de force, ils ne demandaient qu'un petit coup de pouce pour sortir ! De son coté, Silke jubilait. Les gardes étaient occupés à maîtriser les évadés. Le personnel serait bientôt alerté par le badge qui, de manière curieuse, signalait une présence dans la cafétéria. Depuis la salle de contrôle, où le signal serait repéré et communiqué, les vigiles viendraient jeter un coup d’œil... Pour tomber sur un monstre. Un incendie alimenté par le bois des meubles, les gaz de cuisson et l'huile. Comme si cela n'était pas suffisant, elle avait rajouté un déclencheur puissant contenu dans la salpêtre alimentée par le sucre : le Nitrate de Potassium.

Alors qu'elle utilisait la deuxième clé pour se cacher dans un minuscule débarras, la psychopathe entendit avec plaisir une explosion retentir, de là où elle venait. Des voix affolées crièrent au feu, à l'évasion, aux armes ! À grande peine, la jeune femme se retint de hurler de rire. Entre un balais et une serpillière, la pyromane se mordit la langue, puis les lèvres. Silke pleura à chaudes larmes tant la sensation était voluptueuse ! Six ans ! Six ans qu'elle attendait ça ! Et on osait lui dire qu'elle était impulsive, incapable de la moindre concession, ou du moindre contrôle ? Pathétique ! Pour se replacer dans le présent, la psychopathe sortit la boite de chewing-gum qu'elle avait payée, dans la cafétéria avec le badge du médecin. Plusieurs soignants en mastiquaient bruyamment pendant les visites, d'autres se plaignaient de leur prix en touchant leur badge inconsciemment. D'une simple déduction, elle avait compris pouvoir s'en procurer de la même manière. Sa mâchoire active, le goût sucré de fraise se déversant dans sa bouche, ainsi que ces foutus exercices de respiration... toutes ces astuces lui permirent de passer le cap. Elle resta silencieuse.

Une deuxième explosion retentit et, même à distance, la jeune femme entendit les toux infâmes et les hurlements de douleur. Le Dichlore venait de se propager dans la fumée de l'incendie. Un ordre d'évacuation sur le pont fut lancé et un raz de marée se déclencha. Après la tempête, le calme relatif revint. La malade tendit l'oreille mais, ne percevant plus aucune présence, l'évadée déverrouilla la porte et sortit d'un bond. D'une course effrénée, courbée pour éviter la fumée au maximum, elle se rua vers les chambres des internes, jusqu'à tomber sur celle d'Oliver. De son dernier crayon elle planta le mur fragile, au dessus du lecteur magnétique pour ouvrir la porte. À gestes précis, elle y enroula la corde du badge du futur Dr. Babo, serra un nœud, puis attrapa le chewing-gum dans sa bouche. Silke fixa de manière précaire la carte sur l'encadrement de porte. Elle se lança dans quelques manipulations, de sorte à ce que sa colle artificielle tienne un temps, mais finisse par lâcher. Ainsi, le badge viendrait tomber juste devant le lecteur magnétique... et signalerait une présence en ces lieux.

Sa distraction en place, l'évadée reprit sa course, toujours courbée. Les yeux en pleurs sous les volutes de fumée, malgré les paupières à moitié closes, Silke jubilait. Fort heureusement, ses voies respiratoires semblaient encore protégées par son masque empirique. L'incendie semblait gagner en intensité, au vue des cris et des températures en hausse. Personne ne pouvait s'approcher longtemps du feu, à cause du gaz toxique. Ergo, personne ne pourrait le maîtriser. Profitant de la panique, Silke se fraya un chemin dans les couloirs du galion, en évitant soigneusement les échos de voix annonçant des groupes ennemis. Car, en ces lieux, elle ne pouvait compter que sur elle-même.

Il n'y avait que trois façon de sortir, à présent. Le pont, évidemment, lui aurait permis de rejoindre l'air libre. Mais puisqu'il était surveillé par les soignants et les vigiles, c'était hors de propos. Les fenêtres de la cuisine et surtout, des couloirs, étaient exiguës, blindées et ne s'ouvraient pas. Le navire avait donc recours à un système de ventilation mécanique pour éviter la stagnation d'eau et d'odeurs, avec le succès que l'on connaissait, vu les moisissures dont Silke s'était servies. En revanche, celles des bureaux ou des chambres des soignants pouvaient s'ouvrir, à des fins d'aérations. C'était pour cette raison qu'elle avait volé le badge de l'interne, afin de forcer la sécurité à venir également vérifier cette partie du navire. Les disperser. Les faire tourner en bourrique. Se ménager une ouverture. En réalité, la jeune femme visait une autre sortie. Car où était le panache, à s'enfuir par la petite porte ? Il ne restait plus qu'une option. Celle qui se trouvait à l'exacte opposée des chambres.

La salle de staff.

Triomphante, Silke en poussa brutalement les portes avec un sourire carnassier. Sourire qui se transforma en rictus, la seconde suivante.


- Bonsoir, Silke, déclara le Dr. Weissmann. Tu t'es donné plus de mal, cette fois-ci, mais je suis un rien... déçu. Je m'attendais à mieux.
- Tu m'en diras tant... ricana-t-elle.


Autour de lui, six infirmiers musculeux patientaient, des seringues à la main. Le Dr. Crown était là, lui aussi, avec une camisole de force. Hormis le père et la fille, tous semblaient à cran. Les regards agités, les muscles tendus, les mâchoires crispées... Kurt finit par tiquer, lui aussi. Pourquoi sa fille restait-elle calme ?


- Qu'as tu préparé d'autre, Silke ?
- Oh ! Mais c'est ça la meilleure partie ! Dis moi ? Qu'est ce que j'ai préparé ?


Goguenarde, la patiente retira son masque, puis sa tunique, pour se retrouver en pantalon et brassière. La malade écarta les bras, un sourire mauvais plaqué sur le visage. Oh ! Elle avait hâte ! HÂTE ! Hâte de le voir la lire car, elle le savait, il allait comprendre d'une seconde à l'autre. Mettant en avant ses tatouages qu'il lui avait lui-même infligés, Silke pencha la tête sur le coté, à présent hilare. Alors qu'une petite bulle commençait à germer dans la main droite de sa patiente... Kurt saisit la situation. Il blêmit soudain, avant d'ouvrir la bouche pour prévenir son équipe mais, trop tard, sa fille éclatait déjà d'un rire sinistre. Oh, qu'elle avait attendu ce moment ! Quel plaisir, enfin, de le voir se décomposer ! Jusqu'à la dernière seconde, elle n'avait pas su si ce pouvoir allait vraiment fonctionner, mais tout portait à croire qu'elle en avait la capacité, tout compte fait. Le regard aussi ardent qu'une fournaise, un rictus aussi froid qu'une lame plaqué sur le visage, Silke chuchota presque :


- Chemical Fire.


Sous les yeux ahuris des soignants, une boule de gaz aux reflets inquiétants commença à émerger de sa paume droite, tendue vers le ciel. Immédiatement, la psyché dérangée de Silke s'emballa. Dans la seconde, elle lança le projectile hautement instable vers le premier infirmier, qui s'écroula dans une détonation incandescente. Ses pupilles dilatées à leur paroxysme, la malade déchaîna toute sa colère et sa frustration de ces dernières années. Sous le regard affolé de son père, elle réduisit en cendres son équipe en quelques instants. À présent en nage, le souffle court, la psychopathe leva un regard triomphant, empli de larmes de joies, vers un père horrifié.


- Silke... qu'as tu fait ? eut-il la force d'articuler.
- Je me suis libérée d'un tel poids... Oooooh, que c'est bon !


Alors que sa fille exultait, le psychiatre sortit un pistolet de sa blouse, avant de le pointer vers elle. Leurs regards se croisèrent et, pour la première fois de sa vie, la jeune femme repéra un signe. Presque imperceptible, elle faillit passer à coté, tant son corps baignait dans les endorphines et la dopamine. Pourtant, elle l'attrapa à la volée, le chérit de ses mains habiles, avant de le décortiquer de son esprit vif. Alors, Silke percuta. Enfin ! Elle avait compris !


- Les chats ne font pas des chiens... n'est ce pas ? glissa-t-elle d'un ton dépourvu d'émotion. La solution était pourtant si évidente, qu'elle ne m'a pas paru crédible. Mais la raison pour laquelle tu sais si bien les dresser...


La fin de sa phrase mourut dans un coup de feu. Elle écarquilla les yeux, avant de tourner la tête. Un trou de balle fumait encore, dans le mur derrière elle.


- Je ne suis pas un psychopathe, Silke. C'est une mauvaise interprétation de ce que tu as vu.
- L'absence de lueur dans tes yeux... je la vois tous les jours en regardant mon reflet !
- On ne base pas un diagnostic sur un seul symptôme, ma fille. Je souffre également, mais pour une raison tout autre que la tienne. Contrairement à toi, j'ai réussi à dompter mon esprit, à trouver un équilibre, à toucher du doigt ce qui me manquait. Je peux te l'offrir aussi !


Un instant, Silke resta interdite. Il était de nouveau indéchiffrable, aussi lui était-il impossible de déterminer s'il mentait ou non. Mais quelle importance, au fond ? D'une voix agitée, la patiente reprit la parole :


- « Me l'offrir » ? Une vie dictée par ce que la médiocrité de masse estime « moralement acceptable » ?  Tu penses que je suis instable, immature... malade ? Mais c'est toi qui ne comprends pas ! Regarde toi ! Si tu me tues, pour protéger ce secret de polichinelle, tu redeviens un monstre sans cœur à leurs yeux... Et tu jetteras aux orties tout le travail que tu as fait durant toutes ces années !


Après un instant de silence pesant, la jeune femme reprit, tout à coup plus calme :


- Si tu me laisses partir, tu restes fidèle à ton conditionnement, mais tu vas en souffrir toute ta vie. Pourquoi ? À cause de ces fameuses émotions que tu t'es acharné à développer. Un dilemme extrêmement douloureux, que tu aurais facilement pu éviter... C'est cela, ce que tu veux pour moi ? Regarde où tes choix t'ont mené ! Ça me retourne rien que d'y penser ! C'en est presque... triste !


Pour la première fois de sa vie, en cet instant déconnecté du temps, Silke aperçut une vision incompréhensible. Cela faisait partie de ces moments frustrants, irritants, où toutes ses formidables facultés cognitives restaient coites. Un de ces instants bouleversant où son esprit, tout à coup, retournait au néant, incapable d'analyser ce qui se déroulait devant ses yeux. Incapable de formuler la moindre pensée, la jeune femme perdit prise. Son père pleurait. Bien vite, ce dernier sécha ses larmes et s'arma d'un sourire qui finit de la désarçonner. Comme s'il lisait dans ses pensées, il lui expliqua d'une voix douce :


- Si je pleure, ma fille, ce n'est pas de tristesse mais de joie. Tu ne t'en es même pas rendu compte, mais c'est la première fois de ta vie que tu décris spontanément cette émotion. « Triste », dis tu ? Pour moi, ce moment est merveilleux, malgré toute l'horreur dont tu es responsable. Le médecin est horrifié, mais ton père... est transporté. Enfin, tu as réussi à faire preuve d'empathie pour quelqu'un !


Ce fut comme recevoir une gifle en plein visage. Une douche glacée. Un coup de poing dans le ventre ! Une hache qui lui aurait ouvert le crane ! Un instant, elle fut prise de nausées, d'une céphalée brutale, d'un vertige infernal et de palpitations douloureuses. L'enfoiré ! Il... il l'avait contaminée ! Non. NON ! Il lui fallait reprendre pied. Reprendre pied ! Ici ! Maintenant... Le plan. Le plan ! La liberté... S'enfuir. Vivre ! S'éloigner du néant. Pas le néant. PAS LE NEANT !


- Calme toi, c'est une bonne chose !
- Une bonne chose ? reprit-elle, totalement déboussolée. UNE BONNE CHOSE ?!


Alors qu'elle allait définitivement vriller, la jeune fille tourna la tête pour échapper à son regard... et aperçut son propre reflet dans la vitre. Sous les lumières blafardes de la salle de staff, alors que les étoiles brillaient dans un ciel de velours noir, Silke l'entraperçut. Elle le touchait presque du doigt, ce dont on l'avait privée depuis des années. Pour la première fois depuis plus d'une décennie, la psychopathe contempla la mer et le ciel nocturne. Qui sait ce qu'elle avait encore à découvrir, une fois dehors ? Elle ne pouvait pas laisser ses émotions prendre le dessus. Pas maintenant ! Pas après six ans. Six. Longues. Années. Si elle restait ici, la malade allait finir domestiquée, c'était une certitude. Il fallait qu'elle sorte ! Elle aurait tout le temps de régler ce problème, après. Après s'être échappée de cet enfer, elle reprendrait le contrôle. Oui. Elle n'avait qu'une seule solution : garder le contrôle. C'était la seule solution logique. Plutôt mourir que de finir dressée ! Plutôt crever ! Lentement, Silke décroisa les bras, dont elle s'était enveloppée sans même s'en rendre compte. Elle articula soigneusement, d'une voix de nouveau paisible :


- Une réaction navrante de ta part. Un élan de faiblesse de la mienne. Cela ne se reproduira pas de sitôt. Mais je dois admettre que nos parties vont me manquer... je ne risque pas de retrouver un joueur de ton calibre d'ici demain. Alors, remets toi vite, et essaye de me rattraper. Tu peux même utiliser Flora et Laurens. Je suis certaine qu'ils seront ravis de venir s'amuser avec nous. À bientôt, papa.


Sans crier gare, elle lança de nouvelles orbes chimiques, hautement instables, contre les vitres. Malgré leurs résistances, ces dernières explosèrent. « Papa ». Trop perturbé, après avoir été appelé ainsi pour la première fois depuis des années, le père manqua le coche. Lorsque le Dr. Weissmann reprit le contrôle de son corps, avant qu'il ne puisse statuer s'il allait, oui ou non, réellement devoir tirer sur sa propre fille... cette dernière fusa à une vitesse ahurissante. N'importe qui aurait tenté de voler un canot. Mais elle, depuis six ans, préparait son corps à une rude nage dans les mers des Blues. Leur navire était inutilisable, en proie aux flammes. La sécurité et les infirmiers devaient maîtriser les malades. Son père devait prévenir les autorités pour recevoir des renforts et éviter une réelle catastrophe. Ils ne pourraient pas la poursuivre. Et ils le savaient tous les deux. Sous son regard interdit, Weissmann Kurt vit sa fille plonger à travers la vitre, puis disparaître dans les eaux troubles.


*
**


Sept ans après, la jeune femme lui glissait encore entre les doigts. Toujours, cette scène repassait dans l'esprit du médecin, incapable de comprendre comment il aurait pu – ou comment il aurait peut être dû – gérer ce retournement de situation. Comme il s'y attendait, sa fille était assez intelligente pour brouiller les pistes, couvrir ses traces et lui échapper. Même avec l'aide de ses deux autres enfants, remuer ciel, terre et mers semblaient inutile. À force de multiplier les investigations, ils avaient fini par comprendre qu'elle avait usurpé l'identité d'une chasseuse de primes. Silke lui avait dérobé sa licence et avait fait disparaître son corps par un procédé inconnu. Il avait fourni toutes ces informations à la Marine et à Baroque Works, mais il leur était pour l'instant impossible de lui mettre la main dessus. Après toutes ces années, le constat restait le même.

Weissmann Silke était libre.

Informations IRL

  • Cf. présentation d'Hayato.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t27498-ft-weissmann-silke
  • https://www.onepiece-requiem.net/t27449-presentation-de-weissmann-silke
Hello Silke !

Déjà woah, je suis soufflée par cette fiche. Une intensité à toute épreuve. Je suis restée en haleine tout du long. Ce n'était pas arrivé depuis un moment. Tu maitrises à la perfection ton personnage pourtant naissant .On sent qu'il a été pensé sur de longue semaine. Tes connaissances et ton métier te servent tous deux pour rentre une Silke de plus vraisemblable.

Une plume toujours aussi efficace. Un lyrisme toujours aussi plaisant. Les années sont là derrière et t'ont bonifié. Le personnage est complet, à n'en point douter. Autant physiquement que mentalement. Son histoire est tout aussi palpitante qu'original sur opr. J'en ai eu pour mon argent (que je n'ai pas dépensé). Si je devais sortir du cadre du forum, ca serait mon niveau d'exigence sur mes lectures personnelles. Mais pour le forum, tu tapes fort.

Je t'accorde la note de 800D. Il ne te reste qu'à aller poster ta fiche technique, renseigner les différents liens (présentation, fiche technique et plus tard : récompenses) de ton profil et passer dans le sujet de recensement d'avatar.

Des zoubis et bon jeu !


Moissonneuse et Désespoir/poussière:



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  • https://www.onepiece-requiem.net/t26537-la-mort-est-la-seule-juge-de-la-vie-redoutez-la-comme-vous-me-redoutez-jessica-l-ange-de-la-mort-hellhound#275056