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Quand certains chemins se croixsent [1611]



On est toujours pas sérieux quand on a vingt-deux ans. Malgré les trois années de dévouements qui avaient suivies l’initiation du jeune marine, Soren ne se sentait pas encore près à se faire canoniser moine. Afin de soulager la peine que lui procurait les pêchés de pauvres hères, il se distrayait en parcourant les mers bleues au gré de ses envies. Moyennant quelques deniers, les deux sociétés de location de bateaux "Colonel Igloo" et "Très petit navire" avaient accepté de signer un contrat en partenariat pour assurer le transport de leur futur ambassadeur. Certes on ne lui fournissait étrangement que du thon en boîte pour ses voyages, mais l’essentiel demeurait.



Un petit matin de mai, ses pérégrinations le menèrent vers la petite ville d’Orange, sur la pas-si-calme East Blue. Le lieu avait quasiment tout pour plaire. Il faisait bon, une légère brise flottait dans l’air et les quelques nuages présents dans le ciel azur formaient des symboles chimériques, comme par exemple l’aspect d’un lion majestueux semblant s’adresser à quelqu’un un peu plus loin.

On avait prévenu Soren que les marines, tout comme les pirates, n’étaient pas bien vus sur place. Il décida donc, dans les limites du possible, de passer incognito. Après tout, qui allait remarquer trois croix pas si énormes sur le front d’un individu mat, habillé comme Brav Tipp (un acteur reconnu) ?



C’est ainsi qu’il entama sa ballade dans la ville, souhaitant à la fois ne croiser que de braves âmes, et se surprenant toutefois à traquer la présence de malfaiteurs.

L’avenue centrale grouillait de monde et même si les soldes ne débutaient que dans plus d’une lune, on se pressait devant les étals et les boutiques.

Soren s’amusa à observer toutes ces fourmis au travail. Une aura de pureté envahissait l’air et un puissant « boum boum » résonnait près de la cage thoracique de notre héros.

Après avoir dépassé la brasserie « Chez Bonbeur » (hé Jean, c’est ma tournée, une Kaku pour tout le monde, s’était même exclamé un habitué), il jeta un œil à l’armurerie. Non pas qu’il recherchait de nouvelles armes, ça non, mais ses cinq petites chéries méritaient bien un petit massage affutage. Un étrange écriteau « RedRum » figurait sur la porte. Le deuxième R était même à l’envers. Sans chercher à comprendre, le sous-lieutenant entra.



La pièce baignait dans une couleur rouge vif qui donnait une impression puissante et macabre à l’ensemble. Cela rappelait même à Soren l’ambiance qui s’installait quand il pratiquait le rituel purificateur sur ses petits amis. De nombreux katanas étaient exposés et des dagues de toutes sortes recouvraient tout un pan de mur. Dans un coin, Soren put même distinguer une sorte de poignée de sabre. Elle était circulaire, un curieux bouton était d’ailleurs présent , mais ne possédait pas de lame, comme si l’arme était faite d’une substance inconnue :



« Bien le bonjour mon cher monsieur. Dites moi comment se nomme cette arme fort singulière ? Je n’en ai jamais vu de tel. »



Le patron, un homme assez bourru à l’allure patibulaire, cigare au bec, lui répondit d’une voix caverneuse :



« On l’appelle le sabre de Jide. Il a jadis appartenu à un vieux sage qui avait l’habitude de s’exprimer à l’envers.

- A l’envers ? s’étonna le marine incognito

- En effet, comme cela il parlait, si un exemple vous désirez. Adoy était son nom. »



Ladite arme était de toute manière bien trop onéreuse, mais il était vrai que la lumière verte qui avait émergé de la poignée lorsque l’armurier (qui s’appelait d’ailleurs Pat Hibulaire ) avait pressé le bouton paraissait puissante. Une fois l’affutage terminé, il se remit en chemin.



Un passant lui avait parlé d’un orphelinat non loin de la côte. Apparemment la croissance actuelle de la ville était due à un homme de foi qui y séjournait parfois. Il ne fallait jamais laisser passer une occasion de croiser des hommes de bien. Bien que la doctrine et sans doute les manières soient différentes, la soif de paix et de bonheur de tous les religieux forçait le respect.

A la grande différence de la plupart des cultes, celui du fils Lawblood ne vénérait pas une seule divinité. Certes la vie après la mort existait, mais on ne pouvait se résoudre à croire à une seule entité qui finalement aurait incarné un totalitarisme dérangeant. C’était la Nature, la terre elle-même qui nous berçait, même dans un monde spirituel. Quoi de plus normal pour ceux qui abimaient les fruits de ces arbres que de retourner à la Nature qui les accepterait et leur ferait entendre raison.



« La Nature est infiniment plus forte que nous. Acceptons le au lieu de nous lancer dans une croisade aussi vide de sens qu’autodestructrice. » Chapitre trois verset un.



Mais Soren pouvait comprendre les bizarreries des autres dogmes. Quoi de plus beau que le métissage des religions !



Après plusieurs minutes de marche sur des sentiers de plus en plus étroits, le jeune gradé arriva près du lieu d’accueil pour jeunes âmes abandonnées. De récentes rénovations avaient l’air d’avoir été pratiquées, car la façade brillait de mille feux et un échafaudage était encore présent près de l’aile ouest. Une jeune femme le renseigna :



« Bien le bonjour, chère demoiselle, je vois que s’occuper d’enfants embellit magnifiquement le teint et que vos boucles d’or ne font que rayonner davantage sous ce ciel.

- Pardon ?

- Puis-je vous demander votre nom, ô astre du jour ? insista l’hardi gaillard

- Barbara. Barbara Streisable.

- Ouhououhou wouhouhou ouhouhou ouhou.

- Que désirez-vous ? J’ai autre chose à faire qu’écouter vos élucubrations fantasques sans queue ni tête ! Si vous n’êtes venu ici que pour faire le beau parleur, vous allez vite repartir la tête basse.

- Et bien..



La conversation ne dura pas beaucoup plus longtemps mais au moins Soren fut informé du nom et de la situation de l’homme recherché. Cette petite Barbara ne résisterait pas longtemps, il le savait. Il avait ainsi trouvé une bonne raison de plus de s’attarder sur cette Belle-Ile-en-mer. Et si Marie (son deuxième prénom) n’avait pas été très Galante cette fois-ci, il ne tenait qu’à lui de lui faire changer d’avis.



Près de l’échafaudage, debout sous les orangers il l’aperçut perdu dans ses pensées. Un colonel apparemment. Un bon soldat qui comme lui prêchait la paix. Dépassant de plus d’une tête notre protagoniste, il avait l’air grave qu’ont ceux qui sont possédés par leur idéologie. Son visage fier et sordide à la fois le laissa quelques secondes sans voix.

Soudain, se sortant de sa torpeur et s’éveillant de ses songes insensés, Soren se reprit et s’exprima sous les somptueux orangers :



« Bien le bonjour colonel Aegirson. Soren Lawblood, sous-lieutenant pour vous servir. Sans vouloir trop fanfaronner, je sens que nous allons bien nous entendre. »



Un large sourire sur le visage, notre joyeux purificateur engagea une conversation qui serait peut être le prélude d’une belle histoire.
    « Allons, ça suffit vous deux. »

    Les cloches de l’abbaye résonnaient haut dans la cité. Le Soleil illuminait la scène, et aux rires des enfants se prêtaient les pleurs d’un plus jeune. La ville d’Orange était prospère en ces temps, et c’était ces après-midi magnifique le Père Alexander se plaisait à marcher au milieu de ses ouailles, à dispenser sa bonne parole. Deux de ses orphelins se disputaient à l’ombre du hangar anciennement réaménagé en école et en dortoir. La grande horloge veillait sur leur chahut de son indolente présence.

    « On ne frappe jamais un ami, sinon on ne va pas au Paradis. »
    les réprimanda le Paladin.

    « Désolé, mon Père. » lui répondit un des pupilles en baissant la tête et cachant ainsi sa moue dépitée.

    S’avança vers eux, Alexander s’accroupit pour se mettre à leur niveau et leur offrit un sourire affectueux avant de poser ses deux énormes mains sur leurs frêles épaules.

    « Ecoutez-moi, les seules créatures méritant la violence sont les démons et les païens. Les autres créatures de Dieu méritent amour et pardon. »
    commença-t-il à leur expliquer.

    Les lunettes du Père se mirent à légèrement étinceler alors qu’il proférait ces propos, et les enfants répondirent à cette diatribe par l’affirmative. Le Paladin relâcha son étreinte et observa ces deux petits. L’un était d’un blond pur et en dehors de son état débraillé et de l’ecchymose lui barrant la joue, il ressemblait trait pour trait à un petit ange. L’autre bambin était aussi roux qu’une carotte pouvait le prétendre et ses tâches de rousseur lui mangeaient le visage. Les deux enfants formaient un tableau immuable d’innocence et représentait la raison d’être du Paladin. Des pas résonnèrent alors à l’autre bout de la petite esplanade, perturbant la quiétude des lieux. Les visiteurs étaient plutôt rares, à l’orphelinat d’Orange Town, et peu importe qui s’aventurait par ici, ce n’était pas anodin. Alexander plissa les yeux et se releva presque brusquement, tirant un regard inquiet de la part de ses protégés. Ils lui arrivaient à peine à la moitié de la cuisse, et un pareil tableau lui seyait mal. Pourtant, ce personnage plein de mansuétude était le même que celui qui écrasait les crânes de ses adversaires en scandant le nom du Seigneur à tout bout de champ. Comme quoi, l’habit ne fais pas le moine, ou le curé dans ce cas précis.

    « Très bien. Vous pouvez retourner dans vos chambres maintenant les garçons. » leur fit-il, en leur adressant un léger salut de la main, toujours avec ce sourire angélique.

    « Merci mon Père. » répondirent-ils en chœur, avant de filer par la porte qui se tenait derrière lui, riant aux éclats

    Le Paladin se mit alors en marche, longeant le côté gauche du bâtiment, se dirigeant droit vers les orangers de la ville. La silhouette d’un Marine se découpa bien assez vite du coin du bâtiment et rejoint le Lieutenant-Colonel sans même un mot. Alexander croisa ses deux mains dans son dos et fronça les sourcils, il n’aimait guère ce genre de visite de courtoisie. Il soupira puis ralentit légèrement l’allure pour que l’homme puisse se mettre à son niveau.

    « Que puis-je faire pour vous ? » demanda-t-il, pour briser la glace « De quoi s’agit-il ? »« Des incidents étranges se multiplient. » commença l’émissaire, d’une voix trop vieille pour être celle d’un première classe.

    Le Paladin ne changea pas pour autant son attitude, il était un homme de Dieu avant tout et les incidents qui ne pouvaient nuire à ses protégés étaient bien moins importants que les autres. Ce qui l’intriguait cependant, c’était la raison pour laquelle on était venu le chercher lui. Il se retourna, roulant de l’épaule droite, puis fit craquer sa nuque avec un sourire sadique.

    « Dans la prison d’East Blue. » continua l’homme.

    Des insignes de Colonel. Aegirson n’en avait cure. Il regarda le personnage de haut en bas et se rappela que lui aussi appartenait à la Marine.

    « Oui. L’Etat-Major semble plutôt vouloir éviter d’ébruiter l’affaire. » termina-t-il, plantant son regard d’acier dans celui du Paladin.

    Un profond éclat de rire naquit du fond de la gorge d’Alexander, alors qu’il rajustait sa bure. Il secoua la tête. Oh, étouffer l’affaire ? Mais même lui en avait eu vent, de cette vague de meurtre parmis les détenus. Et si ces divers actes impies se déroulaient dans l’horreur la plus sombre, une seule pensée lui effleurait l’esprit.

    « Et alors ? Laissons les hérétiques s’entre-déchirer. »
    répondit-il, à la limite de l’insolence.

    Le Colonel arbora une moue de dépit, secouant lui aussi la tête. Il s’arrêta et se passa une main lasse dans les cheveux. Il n’était pas difficile de percer le méandre des mécanismes qui animaient sa cervelle de chien du Gouvernement. Il s’attendait à ce refus, et cela n’augurait rien de bon. Mais qu’importait, le Paladin n’était pas l’animal d’un quelconque organisme qui n’honorait même pas les faveurs que Dieu dispensait sur les Hommes. Il haussa les épaules et continua son chemin, s’aventurant en direction d’un des jardins qui jouxtaient les champs. Il entendit à peine les talons du Colonel claquer sur le sol lorsqu’il fit demi-tour, mais ses paroles lui restèrent étrangement en travers de la gorge.

    « Je ne crois pas que votre Dieu continuera de tolérer un tel manquement à votre devoir, Lieutenant-Colonel. Et ces enfants ne sont qu’une maigre compensation : vous auriez pu aller bien plus loin, Paladin. » le réprimanda-t-il.

    Une fois de plus, Alexander n’en eut cure et s’enfonça dans les rangs des Orangers, lorsque, quelques secondes après avoir quitté le Colonel, une voix l’interpella, un peu lointaine pour son esprit préoccupé. Il leva tout d’abord la tête et, surpris qu’on s’adresse ainsi à lui, ouvrit la bouche, l’air un peu hagard. Il regarda autour de lui puis inspecta ce jeune impudent qui venait de troubler ses réflexions tourmentées par la sentence de son supérieur. Etrange bonhomme que voilà. Il était bien plus jeune que lui, mais il se dégageait une certaine sagesse de ses traits. Une sorte de … paix ? Oui, c’était cela, une innocence assez pure. Il le savait, il percevait aisément ce genre de chose chez ceux, et Dieu savait qu’ils étaient rares, qui faisaient preuve de sincérité envers lui.

    « Hum. Ah euh … oui. Lieutenant-Colonel Aegirson, pour être exact. Cette médaille est généralement suivie de la promotion, mais pas pourmoi, apparemment. » maugréa-t-il, tirant négligemment sur le bout de métal qui ornait sa poitrine.

    « Mais ici, je ne suis que le Père Aegirson, fidèle serviteur de Dieu, et protecteur de cet endroit. Le Paladin, le bras gauche du Seigneur et je passe les pire noms que l’on me donne. »
    poursuivit-il, acerbe « Je suppose donc que vous savez déjà que nous n’allons pas nous entendre, comme se plairaient à le dire tous ceux qui se targuent de me donner des ordres dans la Marine. Alors, que venez-vous donc faire ici ? »

    Le ton était peut être un peu trop acide pour le pauvre jeune homme, mais Alexander avait passé une rude journée et la visite de ce Colonel l’avait agacé. Ainsi, lorsque Soren s’était présenté en temps que Marine, il avait réagit un peu trop violemment à son goût.

    « Humpf. Pardonnez-moi, mon fils. Rude journée, et il se trouve que par moment, même ma patience connaît ses limites. »
    marmonna-t-il en guise d’excuse.
      « Humpf. Pardonnez-moi, mon fils. Rude journée, et il se trouve que par moment, même ma patience connaît ses limites. »

      La première réponse de l’officier avait en effet été plus que glaciale. Pourtant ce visage revêche et déjà marqué laissait entrapercevoir plus de compassion que de réelle animosité, plus de douceur que de haine. Soren devina que malheureusement il ne tombait pas bien.

      « Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas ici en tant que militaire, mais venez, allons nous promener un peu nous bavarderons et je tenterai de faire changer votre avis. »

      Les deux prêcheurs s’engagèrent donc sur un petit chemin longeant la côte. Pendant un moment Soren put raconter une partie de son histoire au lieutenant-colonel. Comment il avait entendu parler de lui, comment la foi pouvait rapprocher des gens même s’ils ne partageaient pas le même dogme. Au fur et à mesure de leur discussion son aîné parut se détendre quelque peu.

      Ils montèrent sur la colline avoisinant le village. Le blé serait bientôt ramassé et les éclats jaunes de leurs brins disparaîtraient de ce paysage. Les paysans s’affairaient déjà à préparer le futur moissonnage, comme des fourmis se répartissant efficacement le travail pour ne pas perdre de temps. Ils admirèrent les vagues volubiles s’écrasant sur le flanc des falaises, repartant encore et encore à l’assaut d’une forteresse inébranlable.

      Le fils Lawblood se sentit bien avec cet homme. Certes il gardait en permanence une attitude méfiante et sérieuse, mais on pouvait sentir que son cœur paraissait plus léger en présence du sous-lieutenant, que ses discours emplis d’une fraîcheur parfois juvénile ne souffraient d’aucune perversion et que sur certains points les deux ecclésiastes possédaient une vision sensiblement identique. Soren eut presque l’impression de s’adresser à un membre de sa famille. Comme un lointain cousin retrouvé qui conserverait un avis juste et posé sur de nombreux sujets importants :

      « En effet mon cher, c’est moi qui figurait sur les publicités pour le café Soren. Comme quoi d’une certaine manière nous nous étions déjà rencontrés. »

      Le sous-lieutenant lui confia l’infinie tristesse de ne pouvoir aider plus efficacement tous ses confrères, le sentiment de honte qui pouvait l’envahir lorsque qu’un pauvre hère ôtait une vie de sang froid. Il lui raconta son amour pour la terre, son admiration pour une Nature qui les dépassait tous et dont la plupart des gens ne se souciait pas suffisamment. Alexander semblait l’écouter à chaque fois patiemment et ne le coupait que très rarement pour lui poser des questions toujours pertinentes.

      Néanmoins l’homme de foi paraissait préoccupé. En insistant un peu Soren apprit qu’un colonel venait de lui rendre visite pour le réquisitionner. Apparemment des drames s’étaient produits dans une prison voisine :

      « Des meurtres dans une prison ? Mais que peut bien pousser des hommes à continuer à se déchirer même dans un lieu de pénitence, aussi cruel soit-il ? Et qu’allez vous-faire alors ? Désirez-vous mon aide, aussi peu utile soit-elle ? »