« Quand on arrive en ville. »

Meï Lin & Alheïri S. Fenyang

Le son grave de la corne de brume me tira de mes pensées, me poussant à regarder par-dessus la rambarde. A quelques centaines de mètres, on pouvait voir une immense zone de terre et de montagnes, ainsi que le phare éteint du port de Logue Town. Mon voyage était donc terminé, et ma vie allait enfin pouvoir commencer.

Pas vraiment pressée, je pris ma seule valise et mes deux sacs pour me diriger vers la sortie du paquebot. Je réajustai mes lunettes de soleil jusqu’ici sur mon front pour les remettre sur mon nez, me donnant un air de grande star de cinéma. Je saluai furtivement le matelot posté vers la passerelle puis je rejoignis moi aussi le petit groupe qui descendait du bateau. Une fois mes talons posés sur la pierre, je me concentrai sur le paysage.

Logue Town était une grande ville, très grande devrais-je dire. J’eus du mal à me frayer un chemin dans la foule de gens joyeux qui bavardait sur le quai puis finalement, je réussis à m’extirper de ce calvaire. Le port était bondé de personnages tous différents, aussi bien des touristes que des habitués mais le pire restait à venir. Je fis quelques pas en direction de la ville puis cela me frappa en plein cœur. Rien que la grande rue à l’entrée de la cité montrait bien quel genre de ville était Logue Town : une mégalopole. J’eus du mal à retenir mon étonnement lorsque je vis la place noire de monde. C’était un mélange de langues, de voix et de musiques différentes et le vacarme des discussions était assourdissant. Un peu étourdie, et surtout complètement perdue, je pris la première ruelle à ma gauche, pour tenter d’éviter cette populace bruyante. Je marchai d’un pas pressé, sans savoir où j’allais. J’avais l’air maligne, tiens, avec ma grosse valise à roulettes et mes deux sacs remplis à craquer ! Je devais avoir une démarche un peu tordue, vu le regard que les passants me jetaient mais au bout de cinquante mètres, je m’assis sur un banc, histoire de souffler un peu après mes cinq minutes de marche intensive. Je m’apprêtais à repartir lorsque mes yeux se posèrent sur un store en face de moi, à environ une vingtaine de pas de ma position. Un bar ! C’était justement ce dont j’avais besoin pour me rafraîchir et ensuite demander mon chemin.

Je me levai, pris ma grosse malle et mes deux cabas, puis marchai vers le lieu tant convoité. Je poussai la porte puis entrai dans ce lieu à priori plutôt propre et lumineux.

▬ Bonjour ! Une bière s’il vous plait.

Et oui, je ne faisais pas les choses à moitié, moi. J’avais dit ça en entrant, comme si j’étais une habituée de l’alcool et cela ne me déplaisait guère. Certains m’avaient regardé d’un air louche, me dévisageant, moi et mes bagages. Les autres discutaient, lisaient leur journal ou buvaient. Nous étions en fin de matinée et le bar était presque vide. Je m’assis sur un tabouret, relevai mes lunettes de soleil puis m’installai confortablement en face du barman, regardant à droite et à gauche, comme si je n’étais jamais allée dans un endroit où l’on buvait. Ce qui était vrai.



Dernière édition par Meï Lin le Jeu 29 Déc 2011 - 14:03, édité 1 fois
      Cela faisait maintenant quatre jours que je n’avais plus de nouvelles de Rachel. Deux gros jours. Autant le dire, cette absence m’fendait un peu le cœur. Mes journées se résumaient à dormir ou à aller picoler les soirs dans l’bar de Thomas, un ex frère d’arme qui s’était reconverti en barman. Si bien que je perdais un peu le fil du temps. Ketsuno avait voulu me bouger comme à son habitude, mais j’avais vite fait de la remettre à sa place, avant de me complaire dans ce cycle infernal. Sur le moment, j’étais faible… Bien trop faible. Et je faisais le déshonneur de ma famille, de la marine… C’qui attristait réellement mon entourage… Au point que certains versaient dans des pleurs… Mwouaip, une sale passe.

      Mais lorsque le colonel de Logue Town finit par m’interpeller sur mon comportement qui n’honorait en rien mon propre nom, j’avais fini par me ressaisir. Il y avait deux bonnes raisons à cela : La première raison était tout simplement le fait qu’il avait raison sur toute la ligne. Je devenais bien trop pathétique et ma décadence sapait le moral de mes propres hommes qui ne savaient plus à quel saint se vouer. La deuxième parce qu’une infirmière vint m’confirmer que ma petite Rachel allait de mieux en mieux, après notre descente musclée sur l’ancienne demeure de Don Compaccino pour arrêter le pirate répondant au sobriquet de « Poing Forgé ». Autant dire que la nouvelle, elle m’avait véritablement réjouit…

      On était maintenant à l’avant dernier jour, celui qui allait précéder mon départ pour ma propre base à Shell Town. Logue était certainement une très belle ville, mais j’avais bien trop de responsabilités dans ma propre division. Aussi profitais-je du peu de temps qui me restait ici. D’autant plus qu’il faisait beau cette journée là. Dans les ruelles que je traversais, quelle ne fut pas ma satisfaction de voir les femmes qui me dévoraient des yeux et des passants qui me saluaient agréablement. Car oui, mon nom était bien connu sur les Blues et j’étais plutôt adoré par le peuple. Regonflé à bloc par cette célébrité que j’avais, j’me rendis alors chez Thomas. Non pour me bourrer le gueuler, mais pour passer du bon temps avec mon ami…

      L’homme me servit aussitôt une boisson non alcoolisée dès que j’eus à poser mes fesses sur un siège qui lui faisait face, au comptoir. J’me mis à éclater de rire, avant de commencer à papoter avec lui comme à notre habitude. Pendant que je sirotais, lui récurait ses verres en alimentant la conversation. Ça partait de sa femme à sa fille pour arriver sur son business qui lui filait un max de blé, c’qui me rendait un tant soit peu jaloux. Une situation stable que j’aurais aimé avoir. Mais alors qu’on virait sur un sujet plus tordu, c'est-à-dire « mes conquêtes », une voix vint briser notre causette. Féminine hé ! j’continuais à siroter tranquillement mon verre, quand la propriétaire d’la petite voix vint s’caler tout juste à mes côtés…

      Ce n’est que lorsque j’avais fini par poser mes prunelles sur sa personne, que j’m’en retrouvais eppoustouflé. Parce que ouais, force était d’avouer qu’elle était d’une beauté à m’en faire frémir. Un vrai canon dans toute sa splendeur. Ok, elle n’avait pas de gros seins… Ok, ses fesses étaient plus ou moins plates… Mais qu’est ce qu’elle était jolie ! Et sexy avec ces lunettes de soleil qui plus est ! J’étais pas venu pour draguer ni pour boire, mais une beauté pareille, ça s’ignore certainement pas ! « J’vous offre cette bière si vous voulez bien. » Lui avais-je soudainement dit, la face dirigée vers la sienne, tout sourire. J’finis par me retourner vers Thomas avant de lever ma main et lui faire un petit geste, comme ça, pour la forme quoi…

      • Et une bière pour la mam’zelle, une !

      • Bien capté.


      Et celui-ci s’en alla servir la jeune inconnue après m’avoir fait un clin d’œil. Draguer ou ne pas draguer ? Telle était la question. Parce que même si cette jeune créature était ravissante, il n’en demeurait pas moins qu’on pouvait aisément deviner son âge… genre quoi… ? Dix-neuf, vingt ans ? Ouaip ! Une petite fille qui sortait à peine des jupons de sa madre. J’me mis à sourire et passait un long regard sur ses affaire qu’elle avait posé sur le parquet. Celle-ci venait de loin apparemment… « Vous arrivez tout juste de voyage… ? Si oui, j’espère qu’il n’a pas été trop harassant… » J’me mis à sourire pour mettre du poids à mes mots pendant que Thomas était revenu lui servir sa commande. Une bière bien fraiche comme elle l’avait demandé…

      • Je m’appelle Salem. Colonel Salem, lui disais-je en lui tendant une main chaleureuse. Et vous êtes ?

      J’supposais qu’elle ne me connaissait pas, même si j’étais connu sur toutes les Blues comme l’attestait ma popularité. Mais en même temps, n’avais-je pas bien fait de me présenter pour lui demander ensuite son p’tit nom ? J’crois bien que ouais. L’approche était normalement parfaite, sinon qu’au pire, correcte hein ! Restait plus qu’à voir comment elle régirait.
      ▬ Je vous offre cette bière si vous voulez bien.

      Je tournai la tête vers l’inconnu qui venait de me parler. Je ne m’étais pas bien rendu compte que c’était à moi qu’il s’adressait mais comme j’étais la seule ayant crié que je souhaitais une bière, c’était plutôt facile à deviner. Seulement, au moment où mon regard croisa le sien, je ressentis un léger frisson qui me parcouru l’échine pendant une fraction de secondes. Cet homme était juste… charmant. Très charmant. Il avait de beaux yeux noisette et un teint bronzé naturel, du moins je suppose qu’il était naturel. Complètement étonnée qu’un tel homme me parle ainsi, je dû rester quelques instants sans prononcer aucune parole. Je repris mes esprits en souriant nerveusement puis je lui répondis :

      ▬ Avec grand plaisir.
      ▬ Et une bière pour la mam’zelle, une !

      Il leva sa main dans les airs, à l’attention du barman, pour qu’il me serve donc cette bière. Autant vous dire que j’étais vraiment touchée par son action. Je trouvais aussi qu’il était très gentil de m’en offrir une alors qu’il ne me connaissait même pas. Sans doute était-il quelqu’un de respecté ici. Je n’avais jusque là fait attention qu’à son visage et lorsqu’il avait levé le bras pour signaler au barman qu’il me la payait, je pus voir son bras en plein dans mon champ de vision. Et quel bras, bon sang ! Il était parfaitement musclé, ni trop dur, ni trop mou et je restai encore là, à observer sa musculature puissante. Car oui, jusqu’ici, je n’avais pas vu que ce bonhomme avait une carrure d’athlète. Décidemment, il avait tout pour plaire. Mais alors vraiment tout.

      Le serveur partit préparer ma boisson, nous laissant seuls tout les deux. Je n’avais pas dû parler beaucoup puisque l’ambiance était devenue presque silencieuse. Je baissai les yeux pour me gratter la nuque, comme le font les gens gênés. Au bout d’une dizaine de secondes, je lui jetai un coup d’œil discret et de toute évidence, il regardait mes valises avec un petit sourire en coin. Aussitôt, j’entrepris de relancer la discussion.

      ▬ C…
      ▬ Vous arrivez tout juste de voyage… ? Si oui, j’espère qu’il n’a pas été trop harassant…

      Tiens donc, il fut plus rapide que moi sur le coup. Je souris, histoire de masquer ma gène, puis je lui répondit, toujours la bouche en cœur :

      ▬ Oui. Je viens de Goa. J’ai passé deux nuits sur un bateau, mes valises sont lourdes, mais sinon, ça peut aller.

      J’avais prononcé ces paroles sans hypocrisie, ni humour, juste avec franchise. Il me regardait encore avec son petit sourire. Non. Il me dévorait du regard, oui ! Je venais de m’en rendre compte lorsque le barman choisit ce moment-là pour me rapporter ma bière. Je le remerciai sans grand intérêt, préférant me concentrer sur la choppe froide, pleine à ras-bord. Je bus à petites gorgées, savourant cet alcool que je n’avais plus touché depuis un an. Je sentis qu’il voulait me dire quelque chose. En effet, je ne me trompais pas. A peine, avait-je finis un quart de ma boisson, il me tendit une main chaleureuse.

      ▬ Je m’appelle Salem. Colonel Salem. Et vous êtes ?

      Ainsi donc il se présentait. Salem. Colonel Salem ? Il était colonel, alors… Sûrement dans la marine. J’avalai de travers lorsque je dû serrer sa main vigoureuse et musclée. Ah là là… Cet homme alors. Je me passai une main dans les cheveux puis je m’empressai de lui répondre en louchant sur son vêtement qui dévoilait ses pectoraux en béton.

      ▬ Enchantée. Je suis Meï Lin.

      Je rêve ou je bégayais un peu ? Qu’est ce qui me prenait ? Je venais juste de lui serrer la main, rien de plus. Je sentis que je rougissais. Sur ces paroles, je repris une gorgée de ma bière qui n’attendait que moi, le laissant seul une poignée de secondes. Complètement sous l’emprise du gène, je pris un malin plaisir à boire lentement. Je craignais de devoir retourner à notre petite conversation qui prenait des allures de rencontre amoureuse. Malheureusement, je dus me rendre à l’évidence, ma bière n’était pas immortelle. Alors que je finis les dernières gouttes, j’eus envie de lui demander des choses sur sa carrière, sur sa vie…

      ▬ Sinon… Ca va ?

      J’avalai de travers pour la deuxième fois de la matinée. Quelle cruche alors ! Pourquoi il a fallu que je lui demande ça au lieu de parler de choses plus sérieuses ? Le barman nous observait du coin de l’œil et il me fallu un seul regard revolver pour qu’il retourne à ses verres, nous tournant ainsi le dos. Quelle concierge. Bon. Je n’avais plus ma bière, ni aucune excuse pour éviter le colonel Salem. Il était temps de faire face.

      ▬ Vous êtes colonel dans quelle ville, au juste ?

      Tout ça avec un grand sourire charmeur, dévoilant mes dents impeccablement blanches.
          Goa ? Charmant royaume d’East Blue en tout cas. J’avais eu l’occasion de visiter ce coin une seule fois dans ma vie, et j’en gardais un souvenir un peu bizarre il faut l’avouer. Cette région était belle, tranquille, un havre de paix assez enviable il faut dire. Les pirates ne s’y hasardaient pas tellement, pour ne pas dire, quasiment jamais. Mais ce pays avait une énorme tare : La discrimination qui y régnait. Celle-ci à mes yeux avait été frappante, très frappante. A un tel point où j’eus à tabasser un aristocrate qui avait eu la mauvaise idée de venir critiquer l’un des pauvres du terminal gray près de moi. C’est tout dire. J’espérais sincèrement que cette jeune fille près de moi n’était pas de ces imbéciles qui se croyaient être supérieurs à tout le monde. Mais il semblait Dieu merci et fort heureusement que ce n’soit pas l’cas…

          • La base de Shell Town à East Blue. C’est pas tellement loin de Goa, j’crois. Hey Thomas, tu nous en ressers deux autres ?

          • Tout de suite Salem !

          J’vidais d’une traite ma boisson non alcoolisée avant que Thomas ne revienne avec toute une bouteille pleine de bière. J’n’allais pas m’saouler, ah ça non. Les jours précédents ont amplement suffit pour. Par contre, rien ne m’empêchait de la saouler elle. C’était pas vraiment un exercice difficile vous savez. Deux trois phrases en l’incitant à boire et c’était dans la poche. Nonobstant, il s’pouvait que cette petite femme en soit presque immunisée. Les jeunes femmes de ces temps étaient devenues tellement précoces que voilà, j’pouvais complètement m’gourer. C’qui m’foutait un très gros doute. Il n’y avait qu’à voir comment elle avait vidé une si grosse chope en seulement moins de dix minutes. Sidérant ! En tout cas pour une fille de sa trempe. Thomas finit par nous servir et repartir dans son coin, tandis que pour ma part, j’m’emparais de mon verre…

          • J’vous souhaite la bienvenue sur Logue Town alors. J’espère que vous vous y plairez.

          Et puis pour ponctuer mes dires, j’laissais ma chope sur le comptoir un instant pour m’emparer de la main de la jeune femme avant d’y appliquer un semblant de baiser. C’était p’être peu commode vu les circonstances et le lieu dans lesquels nous nous trouvions, mais quoi de mieux que gagner quelques points auprès d’une si belle jeune femme, qui, comme un rayon de soleil, venait embellir votre journée ? Héhé. J’finis par relâcher délicatement sa main avant de lever ma chope comme pour porter un toast, c’que je fis d’ailleurs « A notre rencontre, très chère Lin ! » Après quoi, ma chope, j’la vidais de moitié et ce en une traite. Mais avec une certaine classe s’il vous plait, car boire goulument devant une femme, c’était pas c’qu’il y avait lieu de verre. J’finis par soupirer d’aise. La bière de Thomas était de loin la meilleure de la ville. Pas pour rien que son bar était toujours plein les soirs…

          • Mais au fait, pourquoi quitter Goa pour Logue Town ? Pour monter une affaire ? De la famille dans les environs ?

          Curieux ? Moi ? Mais non ! J’voulais seulement alimenter la conversation et en savoir un peu plus sur elle. Avec un peu d’informations, j’aviserais de la démarche à suivre. La draguer ou construire une amitié ? C’était encore tout flou dans ma tête. Cependant, il fallait avouer que je m’étais trompé sur une chose : Ses formes. J’savais pas vraiment si c’était l’effet immédiat de l’alcool que j’avais ingurgité mais voilà, j’croyais voir une belle poitrine naissante avec laquelle j’pouvais quand même m’épanouir si jamais elle me l’offrait même pour une nuit. Pour m’assurer que je ne divaguais pas, j’fis mine de regarder par terre vers ses valises pour essayer de juger un peu son arrière train. Et c’est là que je crus avoir la berlue ! P’tain ! Pourquoi son derrière me semblait on ne peut plus rebondie ?

          • Oh, mais excusez moi si je suis à ce point curieux… C’est juste que… Des belles filles comme vous, on en voit rarement dans des bars…

          Et voilà, premier compliment de lancé. Mais avec un certain petit mensonge quand même. Des filles comme elle, c’est vrai qu’on en voyait rarement dans des bars. Meï respirait vraiment l’innocence et c’était certainement pas dans ce genre d’endroits qu’une fille de ce genre pouvait s’épanouir. Mais des belles filles, on en trouvait quand même très tard les soirs, dans des bars. Vous savez, ces callipyges qui s’amusaient à fumer des kiseru en vous canardant de clins d’œil provocateurs… Hm ? Vous n’voyez toujours pas ? Allons bon ! Disons donc péripatéticiennes pour vous mettre sur la voie. V’la c’est ça… M’enfin, toujours est-il que moi, j’avais réussi et avec subtilité à placer mon compliment. Ça plus mon baisemain, on était bien partit. Restait plus qu’à revoir comment elle allait réagir. Ça s’annonçait amusant tout ça !

          • Vous pouvez aussi me tutoyer hein, il n’y a pas de soucis. Mais puis-je faire de même ? Dis-je avec le plus beau sourire du monde.
          ▬ La base de Shell Town à East Blue. C’est pas tellement loin de Goa, j’crois. Hey Thomas, tu nous en ressers deux autres ?
          ▬ En effet.

          J’avais répondu sur un ton très calme, tentant de montrer le côté calme et mature de ma personnalité. S’il y en avait un, bien entendu. Ainsi donc il officiait à Shell Town ? Quelle surprise. Et quelle déception. J’aurais aimé qu’il soit à Logue Town pour pouvoir prendre un verre avec lui plus souvent. Hmm. Profitons-en alors. Le barman lui avait obéit, et il ramenait déjà deux choppes de bières. Je pris la mienne entre les paumes de mes mains pour montrer que je la boirai plus tard, l’instant étant réservé à notre conversation.

          ▬ J’vous souhaite la bienvenue sur Logue Town alors. J’espère que vous vous y plairez.
          ▬ Merci !

          Je ris légèrement, avec ma main devant la bouche. Je voulais à tout prix être bien vue par cet homme et aucune attitude désagréable n’était tolérée, du moins de ma part. Pour lui… Cela ne me gênait pas qu’il ait un geste déplacé ou qu’il me matte sans discrétion. Absolument pas. D’ailleurs, il me semblait qu’il essayait de regarder mon décolleté. Je tournai la tête, plongeant mes yeux marron dans ses yeux marron. Cet instant était fort. Très fort. Soudain, prise par un certain gène, je baissai les yeux vers ma bière qui remplissait ma choppe. Je me demandais où il pouvait bien regarder pendant que j’admirais ma boisson. Certainement pas sur sa boisson à lui. Tout à coup, je sentis sa grosse main chaude s’emparer de mon poignet. Surprise, je l’observai tandis qu’il me baisait la main.

          ▬ A notre rencontre, très chère Lin !

          Alors il se décidait enfin à passer à l’acte. Il était temps car je ne me sentais pas prête à faire le premier pas. Je ne savais pas quoi dire, et en plus, j’aurais eu l’air bête si jamais il le prenait mal. Après avoir vu ça, j’étais sûre qu’il s’agissait d’un vrai séducteur dans l’âme. S’il prenait plaisir à me faire la cour, je prendrai moi aussi plaisir à le dévorer des yeux et qui sait, aller un peu plus loin. Il s’était emparé de sa choppe puis bu d’une traite. Je pus voir le liquide glisser dans sa gorge à travers son cou musclé. Je décidai d’en faire autant, mais moins vite. J’en étais à ma deuxième, quand même !

          ▬ Mais au fait, pourquoi quitter Goa pour Logue Town ? Pour monter une affaire ? De la famille dans les environs ?
          ▬ En fait… J’ai décidé de monter ma boutique de fleurs ici. J’ai rencontré un homme qui proposait de me payer les frais de construction. J’en ai profité.

          Je ne savais pas si je devais en dire plus. Pour tout vous dire, je ne connaissais pas cet individu qui m’avait contacté par escargophone il ya quelques semaines. Il m’avait proposé des choix, m’avait paru assez fiable et j’avais accepté. Nous avions conclu un marché. Tandis qu’il payait pour ma boutique, j’hébergeais ses hommes de temps en temps. Il avait des hommes, donc il était chef de quelqu’un, donc une équipe. Si jamais il s’agissait de la marine, je n’avais aucun problème. Quoique des marins dans une arrière boutique de fleuriste c’était suspect. En revanche, si c’était des pirates, je devais faire attention aussi bien à eux qu’à moi. Si jamais le colonel Salem ou un autre s’en apercevait, c’en serait fini de Meï Lin et sa vie prospère. Je pourrais toujours coucher avec lui après pour arranger les choses. Il devait être un chaud lapin et rien qu’à l’idée de me trouver dans un lit avec lui, je frémis. Je n'avais que vingt ans mais j'avais déjà couché avec des gens deux ou trois fois. Et puis, peu importait l'âge.

          ▬ Oh, mais excusez moi si je suis à ce point curieux… C’est juste que… Des belles filles comme vous, on en voit rarement dans des bars…


          Je le regardai alors avec un mélange d’étonnement et de charme. Il commençait donc à mener la danse… D’accord. Je fis mine de rire à gorge déployée, sans pour autant émettre un son très fort puis je rétorquai avec une certaine assurance, en le défiant du regard.

          ▬ Oh. Figurez-vous que des hommes aussi charmants que vous n’ont pas leur place dans des endroits aussi sordides mon colonel. Vous feriez mieux d’aller arrêter les méchants qui courent les rues.

          Je rajoutai à ça un petit clin d’œil puis je bus une petite gorgée de ma bière encore remplie. J’étais rentrée dans ma phase dragueuse. La phase de mon être consacrée au sexe et à l’alcool. En gros, Meï en mode aguicheuse. Cela m’arrivait très rarement mais je prenais un malin plaisir à rajouter des remarques toujours plus lourdes les une que les autres, jusqu’à ce que l’autre craque.

          ▬ Vous pouvez aussi me tutoyer hein, il n’y a pas de soucis. Mais puis-je faire de même ?
          ▬ Je préfère vous vouvoyer mon colonel, mais vous avez le droit de faire le contraire. Au fait, comme vous m'avez payé deux bières, que puis faire pour vous remercier ?

          J’avais ce regard de panthère et je rajoutais « mon colonel » à chaque fin de phrase. J’aimais cette discussion un brin gênante mais tellement drôle.
              Elle avait fini par me faire pouffer de rire. Très franchement. Et c’est limite si je n’avais pas envie d’éclater de rire et me rouler par terre. Nonobstant, je m’abstiens de le faire, de peur de me rendre un tant soit peu ridicule. Il m’fallait tout de même garder une certaine classe vu qu’il s’agissait d’une première rencontre qui pouvait déboucher sur quelque chose de très intéressant. De très intéressant parce que ce bout de femme avait quelque chose qui m’attirait inexorablement . Son physique jouait beaucoup dans l’affaire. Mais aussi son comportement. Les dernières minutes m’avaient révélé bien d’autres facettes croustillantes de sa personnalité… Et son sens de la repartie pour le moins étonnant. Mais il m’fallait revenir sur l’une de ses phrases, histoire de mettre les choses au clair…

              • J’aurais bien voulu arrêter des méchants de cette ville, mais comme j’vous l’ai dit, ma base se trouve à Shell Town, non pas ici. J’n’ai pas à me mêler des affaires de la marine locale. Et puis, Logue Town se débrouille plutôt pas mal, la preuve étant que vous toute entière et toujours avec vos bagages…

              Le tout avec le sourire ; Sourire qui remboursait doublement le clin d’œil malicieux qu’il m’avait été donné de recevoir de sa part. Ça coule de source non ? Et ouaip ! On n’la faisait certainement pas avec moi hein ! Et j’espérais qu’elle l’avait bien capté, en auquel cas j’la remettrais moins souvent à sa place. J’me remis à siroter tranquillement le peu de bière qui me restait toujours en ayant mes yeux fixés sur elle. Me remercier m’avait-elle dit ? Et avec un regard intense, dites-moi ! Cette fleuriste semblait bien moins sainte que je ne l’aurais imaginé. Encore une petite fille qui voulait tirer son coup. Sinon pourquoi n’aurait-elle pas opté pour un restaurant plus chic ? C’était fort quand même ! Autant dire qu’elle avait bien caché son jeu au début. Comme quoi, les apparences sont trompeuses…

              • Vous pouvez faire beaucoup pour moi, vous savez…

              Et c’est là que tout se jouait ! Car tout juste après ma phrase, j’avais posé tranquillement une main autour de sa taille vu que nous étions très proches. Et puis soudainement, l’tout sous un sourire bien salace, j’m’étais mis à caresser son derrière avec toute la délicatesse du monde. Rhaaa… Comment qu’elle m’faisait rêver de bon matin. J’continuais mon jeu de caresse sur son arrière train comme si de rien était et j’m’étais même permit de finir toute ma bière avant de héler Thomas qui accourut tout de suite. Le pauvre ne vit rien à la scène. En fait, les gens susceptibles de nous voir étaient les clients de derrière. Mais ceux-ci semblaient plus absorbés par la petite note de musique qui distrayait un peu ou par une partie de poker bien chaude. Ce qui m’arrangeait énormément dans tous les cas…

              • Tiens pour les bières consommés et garde la monnaie.

              J’avais réussi à extirper des billets de berrys de ma chemise à l’aide de main de libre et les lui avait remit. Le barman prit l’argent avec bon cœur et repartit à sa caisse sans compter la somme que je lui avais remise au préalable. Il me faisait confiance et était de toute façon bien placé pour savoir que j’étais tout sauf malhonnête. J’finis un moment par arrêter de caresser les fesses de la demoiselle et je me levais de mon siège pour aller m’arrêter derrière elle. Vu que Thomas était reparti dans la cour arrière pour probablement chercher des bières, j’avais posé mes deux mains autour de la taille de Meï, tout juste avant de passer ma tête au creux de son cou, mon souffle chaud et mes lèvres sur une parcelle de sa peau soyeuse et laiteuse. Je l’embrassais à cette partie, tout doucement…

              • Si vous voulez vraiment me remercier, vous n’avez qu’à me suivre avec vos affaires…

              Avant de la lâcher brusquement pour la faire languir de ces merveilleuses étreintes. Un petit rire de ma part, flotta avec grâce vers l’oreille droite de la jeune fleuriste. Et je m’étais retourné, pour la laisser seule, sur le comptoir. Il ne tenait qu’à elle de me suivre. Parce que ouais, moi, j’n’allais pas passer toute ma journée à la poursuivre pour un simple coup que j’pouvais rapidement tirer chez des péripatéticiennes, soyons sérieux ! D’ailleurs, si elle me faisait faux bond, j’allais tout simplement débarquer chez l’une de mes anciennes maitresses et m’adonner à mon sport favori jusqu’au coucher du soleil au moins. Tout sourire une fois dehors, j’finis par réajuster mon manteau de la marine qui accroché à mes épaules, ondulait derrière moi au gré du vent, avant de me mettre à marcher lentement…

              Au cas où elle déciderait de me suivre.
              ▬ Vous pouvez faire beaucoup pour moi, vous savez…

              Cette phrase me paru avoir un sens caché mais au fur et à mesure qu’il s’exprimait, je pouvais être sûre qu’il était on ne peut plus sérieux. Je l’écoutais parler, en me délectant de son sourire éclatant et du charme de son visage bruni par le soleil. Lui, il devait avoir le temps de se prélasser sur les plages ou bien, il bronzait sur sa terrasse. C’est vrai qu’être colonel dans la marine offrait beaucoup d’avantages. Il ne devait pas avoir à sortir trop souvent et en cas d’arrestation, il pouvait envoyer un de ses sous-fifres à l’extérieur pour faire tout le boulot.

              Seulement, cela se passa. Très vite. En un éclair. Je sentis un léger picotement du côté de mon fessier. Un picotement qui se transforma vite en une sorte de caresse délicate. Soudain, je compris. Salem venait de me toucher le derrière tandis que je l’écoutais aveuglément. Prise de panique soudainement, je me reculai sur mon siège comme si un insecte m’avait piqué. Je devais avoir un air apeuré sur le visage mais Salem continuait à me sourire.

              ▬ Tiens pour les bières consommés et garde la monnaie.


              Il venait de s’adresser à son barman et le malheureux n’avait rien vu de tout ce qui s’était passé. Je tournai alors la tête dans tous les sens pour voir si il y avait un témoin mais non. Personne. Je n’étais pas capable de dire ce qui m’arrivait, en vérité. D’un côté, je trouvais ça très agréable mais d’un autre… Cela me rendait nerveuse. Très nerveuse, voire affolée. J’avais l’impression d’être volée de toute intimité, comme le disent les adolescentes victimes d’abus sexuels dans les journaux. Pourtant, je n’avais plus quinze mais bel et bien vingt ans. Je décidai à ce moment de me lever mais il choisit cet instant pour me serrer par la taille. M’empêchant de faire le moindre mouvement, il mit sa tête dans le creux de mon cou et je sentis son souffle chaud sur le haut de mon épaule. Il m’embrassait doucement, avec tendresse et je ne pouvais pas dire que cela me déplaisait. Je fermai les yeux avant qu’il ne prononce, d’une voix lointaine :

              ▬ Si vous voulez vraiment me remercier, vous n’avez qu’à me suivre avec vos affaires…


              Je compris où il voulait en venir. Je rouvris les yeux tandis qu’il se tenait debout derrière moi. Je sentais sa présence dans mon dos alors que je gardai les yeux rivés sur ma choppe. Cet homme était vraiment un professionnel de la drague et j’appréciais les individus de ce genre. Il m’avait fait rêver pendant ces instants merveilleux mais je ne pouvais pas le rejoindre. Quelque chose au fin fond de mon être m’en empêchait. Quelque chose qui faisait que je ne disais plus un mot. Je gardais mes yeux posés sur le comptoir en respirant très lentement. Je finis par lâcher un soupir avant de me pencher sur un de mes sacs, mes cheveux tombant dans le vide. J’en sortis un petit papier et un stylo à priori en bon état. Toujours dans le plus grand silence, j’inscrivis quelques notes puis, je me retournai pour lui donner ce petit bout froissé. Il n’était plus là.

              Je me levai, fis quelques pas en direction de la sortie. Mes bottes cognaient le sol à chaque fois. Je poussai la porte du saloon pour enfin le voir. Salem se tenait à quelques pas de moi, il avait le dos tourné et sa cape de la marine flottant au vent. Il avait vraiment de l’élégance avec sa démarche nonchalante et sa carrure de sportif. Je couru quelques mètres avant de me planter devant lui avec ce regard affirmé. Je lui tendis le papier en lui donnant comme seule explication :

              ▬ Vous pourrez me joindre quand il vous plaira colonel Salem.

              Puis je partis prendre mes bagages dans le bar. Le temps que je ressortis, il avait disparu. Je regardai une dernière fois derrière moi avant de me diriger vers le coin de la rue sous le soleil de midi.


              Spoiler: