La foule s’était regroupée près de la place principale. Les discours du Maire, dont l’éloquence égalait celle du clergé latiniste, endormaient progressivement cet amas de badauds hébétés. L’inauguration de la statue du vieux millionnaire Kazu Itchimatsu laissait planer un sentiment d’incertitude sur cette vaste assemblée. La réjouissance, qui illustrait ordinairement ce genre de fanfare, était ternie par la menace d’une attaque de pirates. La présence de cet homme outrageusement fortuné pouvait conduire à un enlèvement, triste prélude à une demande de rançon. Aussi, le gouvernement jugea judicieux d’envoyer des bataillons de marines s’assurer de la sécurité.
Kazu Itchimatsu accumula sa fortune durant la période de sécheresse qui sévit quelques années auparavant. L’économie de cette vaste agglomération reposait principalement sur les exportations agricoles, et cette absence soudaine de pluie avait plongé les locaux dans une situation difficile. Philanthrope et homme d’affaire, le vieux millionnaire mit en place un système d’irrigation qui, au travers d’une ingéniosité matérielle, relia les sources des reliefs aux vastes plaines souffreteuses. Benkei Shinzaburo fut naturellement déployé sur cette île.
Assis en tailleur sur le toit d’une maison, sa pipe en bouche, l’homme soufflait régulièrement des ronds de fumées. Cette triste habitude, en plus d’empoisonner ses poumons, lui donnait l’apparence d’un flâneur intéressé uniquement par la forme hasardeuse des nuages. Mais, sous cette pantomime de rêveur, l’attention du commandant atteignait une véritable acuité semblable à celle du faucon plongeant sur proie. Patiemment, il étudiait toutes les physionomies suspectes et altérées. On reconnaissait un marin à son teint généralement bruni, à ses manières maritimes et, surtout, aux différentes cicatrices qui viennent un jour déformer le corps des aventuriers.
L'immonde stigmate sur le visage de Benkei attestait de cette dernière affirmation, et son œil aveugle ne manquait pas de lui rappeler sa difformité. La Claymore du commandant reposait à ses côtés. La lame étincelait sous le soleil puissant de WestBlue. Véritable ouvrage de colosse, Benkei s’en servait comme d’un rétroviseur, comblant ainsi les angles morts par le reflet qu’elle délivrait. « Je devrais peut-être passer en revue les patrouilles déployées, pensa-t-il, d’après mon expérience certains s’endorment aussi vite qu’une carpe devant un tabouret ». Dans un bruit d’articulations mal préparées, il se releva, éteignit sa pipe et se dirigea vers la foule.
Posté Mer 26 Jan 2011 - 13:57 par Invité
Dernière édition par Bear D. Seiko le Jeu 10 Fév 2011 - 11:44, édité 2 fois
Posté Jeu 27 Jan 2011 - 6:17 par Invité
Le regard du commandant se posa avec surprise sur le jeune inconscient. Son entourage, connaissant le caractère terne et suffisant du militaire, peinait à déceler en lui une quelconque forme de sympathie. Les traits de son visage lui donnaient un air farouche. La silhouette militaire de Benkei, dont les cicatrices venaient enrichir ce faciès indélicat pour les vanités d’usages, tenait le plus souvent à l’écart les créatures sociales en quête de l’ivresse mondaine. Incapable d’entretenir une conversation autre que sérieuse, il avait pris l’habitude de demeurer loin des hommes pour parfaire son isolement.
Pourtant, dans les yeux du garçon, il décelait une étincelle de curiosité amicale, inédite à son quotidien, qui le décontenança quelques secondes. Pourquoi venait-il lui parler ? Quelles étaient donc les forces invisibles en action pour que l’on se risque au dialogue avec une créature formée uniquement à la guerre ? Il dévisagea pendant de long moment le jeune marine. Les paupières battantes, il s’approcha de son interlocuteur et dans un sourire feint, il s’efforça de répondre à son indiscrétion :
« Je suis, jeune homme, Benkei Shinzaburo, commandant au service de la marine. J’ai été déployé pour m’assurer de la sécurité de cet évènement. Si vous croisez un pirate, n’hésitez pas à en informer mes hommes ou moi ».
À peine avait-il terminé sa phrase qu’une ombre suspecte croisa son regard. Au milieu de la foule, enveloppé dans un manteau brun, un homme s’agitait anormalement. Inattentif au discours du maire, il scrutait les environs et hochait régulièrement la tête en signe d’approbation à un ordre qu’il devait recevoir d’un tiers. « Bon sang, maugréa Benkei, on ne peut pas passer une journée tranquille sans que ces maudits forbans ne viennent tenter de s’enrichir. »D’un geste rapide, il plaça sa gigantesque claymore dans son dos. Il fit signe à l’un de ses subalternes de saisir le suspect et de l’amener dans une petite ruelle isolée. L’opération se déroula en toute discrétion. Pendant cet intervalle, il reporta son attention sur le jeune homme.
« Votre stature et votre attitude me portent à croire que vous êtes aussi un membre de la marine. Je vous demanderai de m’accompagner, nous ne serons jamais trop de deux pour interroger ce scélérat. Puis-je compter sur votre discrétion ? » Les yeux de Benkei devinrent alors sévères, un refus ou une tentative maladroite de se défiler serait immédiatement interprété comme une injure personnelle. Il attendit la réponse, espérant cette dernière positive.
Posté Jeu 27 Jan 2011 - 19:30 par Invité
Dernière édition par Bear D. Seiko le Jeu 10 Fév 2011 - 11:43, édité 2 fois
Posté Lun 31 Jan 2011 - 7:25 par Invité
[ HRP : Salut, je suis désolé pour l'attente et pour ce post bâclé ! En ce moment, je suis surchargé d'obligations, mais je devrai pouvoir poster tous les jours à compté d'aujourd'hui. Excuse moi pour l'attente et pour la qualité médiocre de mon RP ]
Le regard empli d’une fureur nouvelle, Benkei s’approcha du prisonnier. Le devoir militaire exige certaines entorses à une morale commune. Souvent prêchées par les penseurs inertes, ces bonnes mœurs offrent une ligne de conduite dont il est difficile de s’affranchir sans y perdre une part d’humanité. Le commandant connaissait les exigences de l’uniforme, et bien qu’il fût souvent disposé à entreprendre le nécessaire pour garantir la victoire à son parti, la perspective d’une inquisition perpétrée par ses soins suffisait à affaiblir ses convictions. Son dilemme s’acheva sous la détonation d’une arme. Une balle perfora la poitrine de son prisonnier, libérant dans l’impact une gerbe de sang qui vint tâcher son précieux manteau.
« Maudits pirates, s’écria-t-il surpris, toujours disposés à entacher l’image du gouvernement ! » Il sortit en vitesse sur le parvis du bâtiment et inspecta les alentours. Il donna rapidement ses ordres, exigeant que l’on patrouille méthodiquement le quartier pour retrouver l’assassin. « Monsieur, dit-il à Bear, je compte sur vous pour protéger Itchimatsu. Il est la cible de ces pirates, défendez-le, dussiez-vous y laisser la vie ! » Un bruit d’épées entrechoqués se fit entendre quelques mètres plus loin, et Benkei, dont la colère ne cessait de croître depuis la mort de son captif, s’y précipita, laissant aux soins de Bear D. Seiko la mission de maintenir en vie l’excentrique millionnaire.
Un bataillon de marine était aux prises avec un des pirates. Quelques cadavres jonchaient le sol et les civils, effrayés à l’idée d’une mort prochaine, cédaient à la panique. D’un geste, Benkei saisit son épée et se rua sur l’ennemi. Le combat fut bref : d’abords, il contra l’attaque transversale de son adversaire puis, engageant un moulinet, il ébranla sa défense et lui trancha le bras gauche. L’homme s’effondra au sol dans un cri d’agonie et ses subalternes, délaissés du devoir martial, se chargèrent de son arrestation. Après avoir essuyé sa lame, le commandant courut en direction du millionnaire où Bear était supposé l’attendre. Apparemment, le gros des troupes ennemis s’attelait déjà à les attaquer.
Posté Sam 5 Fév 2011 - 9:13 par Invité
Dernière édition par Bear D. Seiko le Jeu 10 Fév 2011 - 11:43, édité 3 fois
Posté Lun 7 Fév 2011 - 20:35 par Invité
L’empreinte du sang souillait encore les armes du commandant. Son œil valide, faible témoin de l’animosité des boucaniers, vacilla sous le poids d’une paupière suppliant d’abaisser son voile d’obscurité. L’ambition seule permettait à un homme de supporter une telle vision de mort. Une danse funèbre, soutenue par le rythme des entrechocs de lames fantomatiques, animait cette journée au delà de la fanfare festive qui, encore ce matin, embrasait le cœur des citoyens innocents. Devant ce Pandémonium de Milton, le vétéran sombrait dans la contemplation morbide d’une folie tristement humaine ; sous ce décor de guerre gisaient des espérances éteintes, des rêves inassouvis, des moments abandonnés à l’avidité de pirates opportunistes, un enfer risible où la force régit d’une poigne insensible le trésor que représente la raison.
« Est-ce là l’héroïsme romanesque qui habite ces trépassés ? Les agonies hurlantes de ces hommes ne peuvent émouvoir les forces supérieures, viles spectatrices de nos faiblesses dont l’ego se rassure, selon la logique d’Arès, afin de saluer cet art criminel. Je connais la guerre, Mars a béni mes mains de la rigueur du fléau, du tranchant de l’épée, de la rapsodie guerrière qui aujourd’hui gouverne le monde et le consume dans les flammes d’une bataille centenaire. Pirates, Marines, quelle différence si le sang doit s’écouler à chacun de nos pas ? Devrais-je, comme ces écervelés dont les cris ne font qu’affamer les corbeaux, m’offrir en pâture à la terre souillée de nos crimes ?»
Benkei s’adressait à l’invisible. Il ne se souciait plus de ces hommes. Une transe assassine envenimait son âme d’un poison macabre, et son cœur, autrefois soucieux de la justice divine, réclamait sans attendre le courroux de l’auguste Tartare. « Ah, si seulement les flots de l’Achéron venaient m’emporter dans les abysses avariés de son sein, je boirai à gorgées de Titans chaque gouttes putrides que sécrètent ces visages figées par le trépas. » À quelques mètres du commandant, un corps poussait des râles de souffrance. L’homme s’agenouilla près du forban, et d’une main couverte de sueur, il enfouit deux doigts dans la gorge du malheureux. « Regarde bien pillard la grimace de ton bourreau, contemple ta mort dans ses yeux revanchards et laisse la poussière t’emporter. Ce masque est celui de l’espoir, et qui s’y dévisage affronte le Farghestan ! »
Les soubresauts de sa victime se transformèrent en convulsions ; les mains se raidirent dans un craquement d’os assourdissant ; les yeux bleus du pirate roulèrent une dernière fois avant de s’éteindre dans cette lente agonie ; la langue, semblable à un serpent en fuite, tomba au niveau de la mâchoire ; les jambes se tendirent puis s’apaisèrent au sol ; une odeur d’urine se dégagea de l’assassiné, et dans un élan de trouble incontrôlable, Benkei Shinzaburo éclata d’un rire frénétique. Le diable s’était emparé de l’homme, l’humanité d’un officier céda la place à un spleen démoniaque, et le front ridé, qui quelques minutes auparavant dégagé cette bonhommie innocente, céda sa place aux traits de la culpabilité la plus pure. Il se tourna vers Bear qui venait de pousser son cri de désarroi.
« Ce bordel ? C’est le fruit de l’avidité qui tombe de son arbre, c’est la décadence d’un monde malade, c’est la nouvelle ère d’une piraterie sanguinaire et corrompue. Ce bordel… C’est le prélude à ma colère ! »