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L'affaire Jurassique

-…J’me tenais bien droit d’vant Barbe Noire, le regard aussi froid et violent que c’lui qu’j’ai au moment où j’vous parle. Un regard de tueur, le genre de regard qui aurait fait mouiller son froc au roi des pirates. Et justement, il le mouilla son froc le Barbe Noire! Alors, toute moustache frémissante, j’ai pris appui sur la proue du pied gauche et ai dégainé mon sabre à la mode « grosbill près à fendre des tronches »…
-Vous aviez une moustache à l’époque?
-…
-Bah qu…
-Blablablablablah! T’aimes ça quand je t’interromps comme ça? Ça te fait plaisir?! T’apprécierais qu’on remette en question tes exploits pour des broutilles sans importance?! Tu trouves ça poli peut-être?!!
-Nan mais je pensais pas à mal…
-Meuh non bien sûr que tu pensais pas à mal!!! Les décérébrés dans ton genre ça ne réfléchit qu’avec son sale engin reproducteur! On sait bien! La prochaine fois tu préféreras peut-être que je te paye une mousse tant qu’à y être!?
-Mais c’est moi qui vous ai payé une mousse…
-Bon, ça y est. T’as gagné, j’en ai marre. Tu t’en vas. C’est finit, à la revoyure.

Dépité, le pauvre bougre mis en marche ses muscles postérieurs, fit mouvoir ses fémurs et tibias pour se lever de sa chaise et quitter le bar en silence. Le reste de l’assemblée le fixant avec une expression qui mixait regards moqueurs et moue de déception. Puis le gros balourd ayant passé le pas de la porte, tous les regards se rivèrent à nouveau vers moi. Moi qui, assis bien confortablement dans une chaise surélevée, donnait la comptine à la vingtaine de primates sous-évolués qui profitaient de l’ambiance de la taverne. Si bien que je repris de là où j’en étais.

-Donc, comme je disais plus tôt, je me montrai de toute ma puissance devant le vil empereur pirate et son équipage qui prenait la fuite devant ma splendeur. Et splendeur! Parlons-en de cette splendeur! On aurait dit que les orageux nuages qui inondaient le ciel s’étaient écartés à un seul endroit pour laisser les rayons solaires envoyer leur lumière directement sur moi. Au final, il ne restait que c’pauvre Barbe Noire, effrayé, face à moi et l’entièreté de ma flotte digne du plus gros des Buster Call. ‘Voyez l’image? Moi oui en tout cas. Alors, j’ai levé bien haut mon sabre puis ai décoché un violent coup qui fendit le navire de Barbe Noire au grand complet, emportant au fond des mers le terrible pirate qui payait de sa vie l’impensable folie qu’était le défi qu’il m’avait lancé.

-Mais je croyais que Barbe Noire avait été tué par…
-Ton nom?
-Moi?
-Oui toi? Qui d’autre?
-Rosaire monsieur.
- Eh bien écoute-moi Rosaire, es-tu marié?
-Oui monsieur.
-Et quel est le nom de ta femelle reproductrice?
-Gabrielle monsieur.
-Et bien qui dit que c’est une femme!? Pourquoi pas un homme?! Ou pire, un okama! Qui dit que le prêtre qui a commis l’erreur de vous unir n’était pas un charlatan?! Qui dit que ta femme t’aime réellement!? Non mais! Ça va pas de questionner des faits véridiques! Tu me gonfles c’est ridicule! Allez fou le camp toi aussi!
-Oui monsieur…

Et un autre de partit. Avec lui cette fois une dizaine de gars. Puis le reste des idiots qui gaspillaient temps et argent à m’écouter. Quelques minutes plus tard, le bar était vide. Je soupirai puis lissai ma moustache. Ma chopine terminée, je descendis de mon perchoir pour m’approcher du comptoir où le propriétaire du lieu nettoyait distraitement un verre à l’aide d’un vieux chiffon. Son regard survola le mien, il reposa alors nerveusement ses deux pupilles sur son travail. Comme pour éviter toute conversation avec moi, mais j’avais des histoires à raconter et il ne pourrait pas y échapper. Je grimpai sur le haut tabouret, déposai un pourboire sur le comptoir et interpellai l’homme.

-Hé mon grand! Ça t’intéresses d’apprendre comment j’ai réussi à déjouer la force et la ruse d’une horde de lapins géants des neige se l’île de Sakura? Ça s’est passé y’a d’ça un peu plus de vint ans déjà. J’étais en grande quête pour retrouver le Saint-Graal en compagnie du grand Amiral en Chef Pludbus Celdéborde. Toute une aventure que ce fut…oh oui. Par ou commencer? Hum. Ah! Voilà ! Nous marchions dans le blizzard depuis trois jours déjà, le tout sans boire ni manger nous devions constamment subsister en ingurgitant de la neig…
-Désolé monsieur Iwan. On ferme.
-M..Mais il est même pas dix-sept heures!
-Euh…euh…en fait on ferme plus tôt aujourd’hui. Jour de repos vous voyez?
-Vous fermez plus tôt un mercredi?
-Euh…Oui c’est nouveau…C’est euh…L’anniversaire de mon mariage!
-Ah bon. Dommage alors…

Je soupirai à nouveau, avec découragement et amertume cette fois. J’activai les articulations de mes jambes et me jetai au bas du tabouret, trottinai jusqu’à l’entrée et passai la porte, la mine basse. Dehors, le soleil se faisait encore haut et brillant, malgré le fait qu’il penchait légèrement de 13,71 degrés vers l’ouest. Signe que l’après-midi avançait peu à peu.

Elle était bien belle l’aventure fallait-il dire! Déjà cinq ans que j’avais quitté les laboratoires de Luvneel pour me lancer vers la grande aventure que je me retrouvais à raconter de stupides histoires à qui voulait bien les entendre. Manquais-je d’attention à ce point? Ma vie n’avait pas été extraordinaire, certes, mais ne l’avait-elle pas été au point que j’en vienne à gaspiller le peu qu’il m’en restait à inventer ce que j’aurais bien voulu qu’elle fut?

Je marchai le long d’une rue pavée d’une pierre sur une demi-pierre par mètre carré, avant de déboucher quelques minutes plus tard sur un joli parc qui florissait au milieu de la cité d’Inu Town. J’y trouvai un banc, sur lequel je m’assis piteusement, comme abattu par mon dernier échec au petit bar. M’abandonnant à mes pensées, j’oubliai le temps qui passait. En venant à estimer le nombre de litres par minutes éjectés par la fontaine qui prônait au centre du parc, faite de pierre sculptée sous la forme d’un dauphin crachant le flot continu de liquide.
Alors quelqu’un se posa à ma gauche.

-Monsieur Iwan-Dimitri Koprovski? J’ai entendu vos histoires plus tôt. Et je crois bien que l’on aurait besoin d’un héros comme vous.
    Les rides sur mon front apparurent alors que ce dernier se plissait avec intérêt. Mes sourcils se froncèrent alors que mes pupilles transmettaient à ma rétine l’image d’un homme vêtu d’un smoking. L’épiderme jeune et bien soigné, l’absence de poils partout sur les joues et le menton ainsi que les pores de peau bien nettoyés indiquaient clairement que l’homme appartenait à la haute société et qu’il devait flotter entre la fin de la vingtaine et le début de la trentaine. La moustache finement lustré encadrant un vil nez aux proportions Pinocchio-esque, l’homme possédait un sourcil unique qui, lui aussi lustré, surlignait habilement deux petits yeux marron un peu trop fuyants. Un large cou enrubanné par un nœud papillon plongeait dans un riche costard au veston de très bonne qualité, chemise bien lissée et repassée ainsi qu’un joli mouchoir à poids ressortant timidement d’une poche latérale étaient aussi de la partie. De larges pantalons faits de la même étoffe que le veston précédemment mentionné ainsi que des mocassins de jais eux aussi lustrés complétaient l’accoutrement de l’étrange personnage qui s’était assit à mes côtés.
    Qui était-il? Un noble qui interpellait un vieillard sans intérêt au beau milieu d’un parc ne devait pas être normal. Certes il avait insisté sur le fait que j’étais un héros. Mais dans quel but avait-il néanmoins besoin de mes services? Et quels services après tout? Que faisais-je de mon existence à part emmerder les pauvres gens? Bof. Vrai que j’étais un brillant héros. Un génie même. Je ne viendrais pas contredire le riche bourgeois qui visiblement savait de quoi il parlait. Je gigotai légèrement, incertain de l’approche à prendre avec le jeune gamin probablement quadragénaire. Bah quoi?! Oui quadragénaire! C’est jeune je trouve! Peu importe. J’arquai un sourcil le plus haut possible, sans toutefois abuser, pour ainsi m’assurer que le muscle de mon sourcil ne se fatigue pas trop vite si j’avais à tenir longtemps cette pose. Ma lèvre inférieure vint elle aussi ajouter à l’expression dubitative que je tentais d’afficher progressivement sur mon visage crevassé de rides. Fallait bien faire croire à mon interlocuteur que je ne me laisserais pas facilement convaincre. Peu importe ce dont il était question. Ah. Tiens. Peut-être aurais-je dût commencer par m’informer de la situation. Des pours et des contres. Du problème général. Peut-être au fond avait-il seulement besoin que je lui rattache son lacet, pauvre bambin.

    -Euhm de quoi est-il qu…
    -Excusez-moi mais…
    -Oui?
    -Euhm…et bien c'est-à-dire que…
    -N’ayez pas peur. Allez-y.
    -Je ne voudrais pas paraître impoli surtout!
    -Vous m’avez déjà interrompu, vous ne pouvez pas faire pire. Répondis-je d’un air déjà exaspéré. Parlez donc.
    -C’est-à-dire que. Et bien le banc…
    -Le banc…?
    -Pourrions échanger nos places?
    -Nos places?!
    -Mais oui.
    -Pourquoi donc?
    -Je n’aime pas l’air qui vient de par le sud et m’asperge le front. Comme vous êtes très sans aucun doute et sans distinction plus petit que ma personne, je crois bien qu’il serait justifiable que nous échangions nos places car le vent ainsi ne nous affecterait ni vous ni moi.
    -…
    -C’est d’accord?
    -Allons-y.

    Nous bougeâmes lui comme moi nos deux carcasses. Moi me tortillant sur le banc pour bouger de moins d’une demi-douzaine largeurs de fesses, lui se levant pour attendre que j’eu fini mon déplacement. Les places troquées, je me retournai à nouveau vers l’homme dont je ne connaissais toujours rien qui semblait orgasmiquement profiter de notre changement de siège. En fait, le terme de siège n’est peut-être pas le mieux choisit. Car en fait nous avions tout deux conservé le même banc de parc, seul notre emplacement sur le banc avait différé. Mais ce sujet qui méritait indubitablement réflexion devrait attendre. Avant tout je devais questionner l’homme qui me connaissait mais dont malgré tout je ne savais rien.

    -Donc euh… Qui êtes vous et qu…
    -Pardonnez mon insupportable malintention mais je préférais finale…
    -TAGUEULE JEUNE CON!!
    -Excusez-moi mon bon monsieur.
    -Maintenant c’est moi qui parle ! Vous êtes qui vous?! Vous voulez quoi?!
    -Je me nomme Monsieur Jurassique. M’expliqua avec condescendance le bourgeois.
    -Monsieur Jurassique? Aussi loin que la mémoire vive du harddrive processorial de mon cerveau se souvienne, je n’ai jamais entendu parler d’un M. Jurassique habitant Inu Town. Cependant j’ai bien connu un physicien et biologiste du Collège Privé de LuvneelGraad nommé M. Jurassikh. Il avait la fâcheuse tendance d’étudier les effets de la gravité sur différents animaux exotiques lancés dans les airs à des distances étrangement élevées. Drôle de manière de fusionner ses deux doctrines d’enseignement. J’avais voyagé une fois avec lui du temps où postulais encore pour travailler au service des forces de l’ordre et j’ai bon souvenir de notre petite aventure lors d’une expédition en for…
    -Ce physicien ne fait partie que de ma famille éloignée. Je suis de la branche familiale originaire de East Blue. Lui de North Blue. me coupa Jurassique.
    -Ah je vois. Ça me semble logique. Et que voulez-vous?
    -J’ai une mission pour vous qui a besoin d’un éminent scientifique, mais surtout d’un héros historique ayant accompli des exploits aussi braves que ceux racontés par vous-même il y a plus tôt lors de ma visite à la taverne. C’est tout de même spéciale comme pratique que de fermer un mercredi après-midi n’est-il pas?
    -Ouais c’est assez spécial…
    La présence d’un héros doublé d’un éminent scientifique comme moi était nécessaire? On requerrait les services de ma personne? Un vieillard rabougri et ronchon comme moi? Je pouvais enfin vivre une aventure après toutes ses années passées à travailler comme cobaye et chercheur dans les laboratoires du gouvernement.

    -Monsieur Jurassique. Je crois bien que vous avez trouvé votre homme!
    -J’en suis avec franchise, très sincère dans ma joie profonde d’apprendre votre décision si hâtive Monsieur Koprovski.
    -J’espère avoir fait le bon choix. Malgré que celui-ci puisse vous emblez un peu rapide. Monsieur Jurassique.
    -Très bien. Veuillez donc me suivre Monsieur Koprovski.
    -J’suis derrière vous Monsieur Jurassique.
    -Très bien Monsieur Koprovski.
    -Très bien Monsieur Jurassique.

    Et ainsi continuâmes-nous à tergiverser en s’enfonçant dans les rues de Inu Town.
      Les rues bondées et pavées d’Inu Town se rafraîchirent avec le déclin solaire. Les allées se vidèrent peu à peu des étales marchands et des ouvriers et travailleurs qui progressaient infiniment à travers la cité. Comme portés par une tâche qui n’en avait jamais fini de les faire marcher. L’ombre gagna les échoppes et les boutiques alors que l’éclat sanglant des rayons gorgés du rouge du soleil couchant caressait une dernière heure les bâtiments à plusieurs étages qui osaient défier le ciel de par leur structure de pierres sculptées. Seule une calèche solitaire continuait de répandre un bruit régulier de sabots qui claquent sur le macadam. Construite dans un chêne ciré et gravé avec goût, le véhicule à toit fermé déambulait paresseusement dans les rues, tiré par un unique cheval blanc tacheté de noir qui portait une robe aux armoiries gouvernementales. Sa crinière tressée retombait gracieusement sur le côté gauche de son encolure au poil lustré, alors que ses deux yeux étaient sertis d’œillères faites dans un cuir de qualité. À l’avant de la voiture se profilait la silhouette droite d’un majordome qui tenait avec habileté les rênes du cabriolet qui tournait alors un coin de rue pour s’engager sur une nouvelle avenue. Avec calme, les gens n’hésitaient pas à s’écarter du chemin de l’équidé qui semblait de lui-même savoir où aller dans un trot à la grâce et l’allure inégalable. À travers les finement gravés cadres des deux fenêtres de la calèche, on pouvait remarquer la présence d’un homme à l’allure soignée ainsi qu’aux vêtements de qualité. Homme qui, bizarrement, semblait être en conversation avec une touffe de poils. Touffe encadrant un front barré de rides qui s’agitait au fur et mesure du dialogue avec son interlocuteur.

      Alors s’agita-t-on dans le cabriolet, puis on vit deux mains s’accrocher à la fenêtre, puis deux yeux surmontés par d’épais sourcils. Un vieux nez auquel pendait placidement une large moustache suivit les précédents traits pour révéler complètement la mine inquisitrice d’un vieux scientifique sexagénaire.

      ***

      -C’est bien étrange Mr. Jurassique, je m’suis jamais aventuré dans ce coin ci de la ville.
      -Oh, c’est parce que c’est le quartier des affaires Mr. Koprovski.
      -Ah, ça m’semble logique. Mais pourquoi avons-nous eu besoin de prendre ce carrosse pour nous rendre jusque chez vous?
      -Le chemin aurait été beaucoup trop long mon cher. Soyons raisonnable.

      Mon regard se perdit dans les vitrines des échoppes qui défilaient devant moi, toujours bercé par le claquement constant des sabots chevalins de notre moyen de transport. Un nouveau virage, notre véhicule s’engagea dans une large voie qui menait devant un grand bâtiment sur lequel on pouvait voir les insignes du gouvernement mondial. La façade dépourvue de vitre ou de fenêtre était bâtie dans un matériau qui se rapportait, à vue d’œil, comme étant un granit clair, pur. Des colonnes encadraient une large porte en saule qui s’entrouvrit légèrement pour laisser passer un valet –de par son accoutrement- qui vint accueillir le véhicule. Le cheval s’arrêta sur un ordre du conducteur. Puis ce dernier vint ouvrir la porte du cabriolet et s’effaça pour nous laisser sortir, moi et Jurassique. Le valet aux allures de stagiaire de bibliothèque s’approcha, et sans un mot, nous invita à le suivre à l’intérieur de l’imposant bâtiment monté sur trois étages.

      -N’est-ce pas là votre demeure Mr. Jurassique?
      -Eh bien… Non, en fait vous verrez bien de vous-même de quoi il en retourne. Mr. Koprovski.

      Interrogé et anxieux, je me fis misère de suivre le valet qui nous escortait désormais à travers de somptueux couloirs. Les planchers revêtus de tapis de bon goût et les murs parsemés de tableaux de différents personnages qui m’étaient inconnus, mais aussi de chartes à l’écriture trop petite pour mes vieux yeux ne mentaient pas sur la richesse des lieux. Il fallait bien admettre que l’insigne du gouvernement mondial entrevu un peu plus tôt à l’entrée donnait maintenant une preuve irréfutable de l’appartenance de l’édifice. Mais maintenant le mystère se levait sur l’identité de Mr. Jurassique.

      -Hm, je suis sceptique Mr. Jurassique, dans quel but sommes-nous ici ? Est-ce en rapport avec la mission dont vous m’avez parlé un peu plus tôt dans l’après-midi?
      -Effectivement.

      Mon interlocuteur s’était fait plus sec en parole depuis notre débarquement du carrosse. Si bien qu’une légère inquiétude naquit en moi. Celle-ci mélangée à une tenaillante douleur lombaire qui me revenait peu à peu créait une recette qui aurait tôt fait de me rendre aussi maussade qu’un jour pluvieux où ma goutte me reprenait. Nous débouchâmes finalement tous les trois dans un vaste bureau. Le valet eut tôt fait de nous quitter sitôt étions-nous entrés dans la pièce. La porte se referma derrière nous avec fracas, nous laissant dans un silence que je ne comprenais guère, trop occupé à me frotter les tempes qui me faisaient souffrir après le bruyant claquement de porte. Au fond du bureau siégeait un homme vêtu dans le même style que Jurassique. Ce dernier s’effaça à ma gauche et vint rejoindre son sosie vestimentaire qui leva les yeux vers moi. Yeux qui transpiraient la lassitude, tout comme le reste de son visage long et antipathique. Un nez crochu soutenait en son bout de petites lunettes rondes. L’homme avait un corps penché, particulièrement maigre ainsi qu’un crâne dégarni. Lorsque ses lèvres charnues articulèrent des mots, en fait, un mot, pour plus de précision, je ne pu me retenir de penser que mes ennuis commençaient réellement.
      -Bon.
        J’arquai un sourcil puis fronçai en un nombre incalculable de crevasses cutanées mon front d’un air perplexe. Bon? C’est tout? On m’a convoqué pour me dire « Bon »?! Et où avais-je été convoqué de toute façon? Qui était Mr. Jurassique au final? Quelle était la circonférence du pot d’encre dans lequel le nouveau protagoniste assit au bureau trempait sa plume? Trop de questions qui se bousculaient avec empressement dans mon cortex cérébral. Questions que je m’empressai d’effacer en calculant plutôt mentalement l’équivalent en degrés Kelvin de la température d’un morceau d’amiante déposé dans un feu de bouleaux blancs brûlant à moins de deux mille quatre cent cinquante-trois degrés Celsius. Rapidement je me mis à maudire Monsieur Celsius car un plus puissant mal de tête me pris violemment. Je grognai donc d’insatisfaction, alors que l’homme toujours bien penché sur son ouvrage me jaugeait de son regard las et légèrement hargneux.

        Sans même demander permission, je m’avançai aux devants de Jurassique et de son collègue et pris place dans un trop moelleux fauteuil pour mon dos. Fauteuil me permettant, de ma petite taille, de n’apercevoir que la tête toujours aussi maussade de ma nouvelle rencontre. Toujours à me frotter les tempes pour faire disparaître ma traître migraine, je posai un regard inquisiteur sur les deux hommes habillés des mêmes smokings. Et finalement me décidai à faire avancer la discussion qui stagnait depuis la fatidique phrase du jeune probable quinquagénaire dont je ne savais toujours rien.

        -Euhmm… Plaît-il?

        L’interrogé releva son dos arqué et s’adossa pleinement dans son fauteuil de velours kakis. Les bras du meuble se terminant en têtes de lions et les broderies violettes parcourant le tissu faisaient du siège un parangon de mauvais goût. Une horreur oculaire des plus ultimes. Je réalisai alors que le fauteuil dans lequel je m’usais le coccyx depuis que je m’y étais assis et qui faisait face à la table de travail de mon interlocuteur silencieux était du même style. En fait, lorsqu’on y portait une légère attention, l’entièreté de la décoration de la vaste salle était affreuse. Un peu partout on pouvait voir accrochées aux murs circulaires d’étranges peintures abstraites à la signification nulle. En fait, on aurait bien pu croire qu’elles avaient été réalisées par un gamin avant l’âge de raison. Les murs étaient recouverts d’un papier peint rayé de safran et de gris pâle. Agencement complètement hérétique au bon goût de design. Soudain, sans même prévenir, le binoclard se tenant devant moi inspira bruyamment. Sa cage thoracique se souleva longuement, plus d’une dizaine de secondes s’écoulèrent avant qu’il ne referme la bouche. L’homme devait bien avoir inspiré plus d’un milliard de mètres cube d’oxygène. Puis se fut le cataclysme.

        -Je me nomme Monsieur Crétacé et suis membre numéro un du cipher pol 3 et aussi secrétaire général du même cipher pol on nous a chargé moi et Monsieur Jurassique de vous retrouver et de vous convoquer dans l’optique de vous faire payer vos crimes envers le gouvernement de façon purement arbitraire sans même que votre avis ne compte dans les démarches bureaucratiques impliquant le remboursement de différentes manières de votre bévue à l’égard des laboratoires de recherches Luvne…

        -Hein?! Mes crimes contre le gouvernement?

        -…eliens ainsi la finalité de votre sort en est revenue à notre cp et j’ai été dans le devoir de gérer les démarches administratives visant à votre emprisonnement immédiat au Quartier Général de la Marine sur North Blue avant de vous retransférer avec efficacité dans la Prison aux Génies de Luvneel cependant il a été choisit d’utiliser votr…

        -On veut me renvoyer à Luvneel?! Ah ça non! On veut me punir pour m’être enfuit de la Prison aux Génies?!

        -e caractère intrépide malgré votre âge grandement avancé à bon escient le gouvernement ainsi que les unités de gérance du CP3 ont donc décidé de vous accorder une dernière chance quant à vos possibilités de liberté.

        Littéralement balayé par le discours de Monsieur Crétacé, je restai enfoncé dans mon odieux fauteuil. Comme bouche bée par la longueur de l’unique phrase à la monotonie mortelle qu’il venait de proférer. Était-ce seulement possible d’absorber autant d’oxygène pour parler aussi longtemps sans ne prendre une seule pause. Ni pour ne laisser de place à une simple virgule, ni pour ne laisser de champ libre à un pauvre point ou une triste majuscule. Non. Une violente phrase prononcée sur le même ton las et désabusé qui lui allait malgré tout comme un gant. Et ce n’était pas une qualité.

        Le CP3 demandait de mes services en échange de mes bévues contre le gouvernement? On m’offrait à la fois une chance de réellement partir à l’aventure, mais aussi une chance de régler mes différents avec les escouades scientifiques gouvernementales? Que demander de mieux –sauf un meilleur fauteuil! Je fis face au regard poignant de mes deux interlocuteurs qui attendaient visiblement une réponse de ma part, réponse qui devait tarder à venir vu le temps que je prenais à réfléchir.

        La minute où j’acceptais le contrat, on me faisait signer un monticule de paperasse administrative et on me faisait traverser la moitié du bâtiment pour débarquer en compagnie de Monsieur Jurassique dans une salle sombre où la seule lumière provenait d’un Den Den Projecteur qui envoyait des images sur une toile blanche.

        -Prenez place, je vous en pris. Me somma l’agent CP alors qu’il se munissait d’une longue baguette et qu’il entamait une longue explication.

        Moi, à nouveau affalé dans un fauteuil des moins confortables, mais dont la couleur restait inconnue dans la pénombre, me devais de porter attention au briefing d’avant-mission.
          Le vrombissement d’une hélice berçait tranquillement le voyage aérien au dessus du glacial océan de North Blue. Le vent qui caressait le dirigeable sur lequel j’étais embarqué faisait tranquillement voleter ma moustache, mais rouillait quelque peu mes articulations sous l’épais manteau de fourrure dont je m’étais muni. Après le briefing de mission rapidement expliqué par M. Jurassique, nous étions embarqués dans le dirigeable spécial du CP3, direction une île où devait s’accomplir ladite mission me permettant de recouvrer ma liberté. Le large ballon muni d’une hélice de propulsion nous portait désormais moi, Jurassique et quelques autres hommes de main à travers les cieux, donnant notre position à des dizaines de kilomètres de par la couleur rouge criarde du tissu du dirigeable où on pouvait lire en grandes lettres bleues « CP3 ».

          -Alors M. Koprovski!? Êtes-vous près à passer à l’action?!

          -Quooooooiii?!

          -Vous n’êtes pas près?!

          -Quoooooooiiii?!

          -Êtes-vous certains que vous vous portez bien?!

          -Parle plus fort j’ai du vent dans les oreilles, mon garçon!!

          Exaspéré, M. Jurassique laissa tomber sa question et se concentra plutôt à me donner un lourd sac qui me procura un désagréable étirement du dos dès l’instant où je l’enfilai sur mes épaules. À quoi allait-il bien pouvoir me servir? Je posai un regard inquisiteur vers mon collègue qui ne me répondit qu’en pointant quelque chose devant moi. Plissant les yeux pour pousser mes vieilles pupilles à zoomer vers la cible ne question, je reconnu une île qui approchait à l’horizon. Une île approchant à vue d’œil, avec la progression rapide de notre véhicule malgré le frais mistral d’un peu plus de 74,36 Km/h qui nous soufflait au visage, avec l’approche d’un front nuageux qui apporterait probablement une petite neige collante, selon mes calculs plus qu’approximatifs.

          L’île semblait assez grande, par rapport à d’autres qui avaient à peine la capacité de contenir un village. Une large île toute simple probablement répertoriée sur une petite quantité de cartes à travers les Blues. En son centre prônait une montagne haute et escarpée sur laquelle on percevait un léger manteau immaculé. Les alentours de ce point culminant, et du même fait le reste de l’île, se composaient d’une dense végétation de conifères et de quelques feuillus assez rares. Mais ce n’était que parler de ce qui m’était visible de l’île, car elle s’étendait bien plus loin à l’horizon, sans que je ne puisse apercevoir sa fin.

          -C’est là que nous avons affaire Monsieur Koprovski! L’île de Kanada! Plus particulièrement la province de Kébek!

          -Ça n’a pas l’air bien amical, comme endroit.

          -Ne vous inquiétez pas, les habitants sont d’admirables nationalistes tous accueillants!

          -J’espère bien Monsieur Jurassique. Et c’est là que sont supposément planqués nos braconniers?

          -Bien entendu, selon nos infos.

          En effet, il paraissait que cette île regorgeait d’une faune aussi rare que dangereuse. Faune particulièrement convoitée par différents riches hommes du monde, mais protégée par le patrimoine naturel du Gouvernement Mondial. Dernièrement, des braconniers avaient été aperçus sur l’île et la disparition de certains animaux sous observations avait été remarquée dans les environs de la province de Kébek. On comptait donc sur mes connaissances en biologie diverses et probablement mon héroïsme, mon intrépidité et mon charisme pour retrouver les braconniers et les mettre hors d’état de nuire.

          -Près cette fois? M. Koprovski?

          -Hein? Éh oh! Mais… que! Non! Non je veux pas! Non! Lâchez moi! Non! Arrêtez! Je vous préviens je vais AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHH!!!!!!!!!!

          Ça y était, M. Jurassique venait de me balancer depuis le dirigeable directement en chute libre au dessus de l’île. Le tout toujours en arborant un sourire minimalement bienveillant sous sa fine moustache bien lissée. De mon temps on savait faire ce genre de chose avec respect envers nos aïeuls! De mon temps on lançait pas n’importe qui en chute libre sur des kilomètres de hauteur! Hurlant et pleurant toujours de peur alors qu’un compteur mental m’affichait cruellement les secondes me restant à vivre.

          Ce fut à ce moment là que je réalisai réellement la présence du sac sur mes épaules. Mon premier réflexe fut de penser à m’en débarrasser pour perdre en poids. Mon second fut de tirer sur une corde qui en dépassait. Corde qui ouvrit une poche d’où une large toile de parachute émergea. Sauvé! Je levai la tête, suspendu à une centaine de mètres en altitude, pour apercevoir un M. Jurassique tout sourire activer à son tour son parachute pour descendre seul, ses hommes de main restant probablement sur le dirigeable pour le reconduire vers Inu Town.

          L’atterrissage, lui, fut plus ardu que prévu. Je me griffai et m’égratignai à répétition dans les branches sincèrement trop nombreuses de la canopée boréale avant d’aller essuyer avec douleur un lumbago insistant, une fois au sol. Rejoins un peu plus tard par M. Jurassique, fringant et exempt de toutes blessures, nous prîmes un léger encas tout en discutant à propos de l’île.

          -Les Kébékois sont les seuls détenteurs d’un dialecte dérivé du nôtre qui est difficilement compréhensible, soyez vigilant à ce que vous dites, Monsieur Iwan, car certains mots peuvent ne pas avoir la même signification pour eux.

          -Brrrrrrr….. on se les gèle par ici… putain.

          -Oui, les conditions météorologiques de l’endroit donne plus de six mois hivernaux à ce coin de l’île.

          -Et c’est pas dangereux de rester ici? En pleine forêt? Avec toutes ces bêtes aux alentours?

          -Ah vous savez, les bêtes, même si vous êtes bien au chaud dans une chaumière, elles vous trouveront et vous boufferont.

          -Ah…rassurant…

          -En effet.

          Je bu une gorgée de thé, reposai la tasse dans la petite assiette que je tenais, pour arquer un sourcil.

          -M. Jurassique? Où sommes-nous exactement? En fait?

          -C’est un très bonne question.

          -Et comment faisons-nous pour rejoindre le village Kébékois d’où nous pourrons commencer notre enquête?

          -Pour tout vous dire, je comptais sur vous pour me le dire.

          -Et bien… Nous sommes dans un joli pétrin.

          -Je n’vous le fais pas dire.

          -Grrrrrrrrrrr.

          -Vous avez toujours faim M. Koprovski?

          -Non pourquoi?

          -Ce grognement n’émanait pas de votre ventre?

          -Oh c’est beaucoup trop cliché, cette question! Vous pouvez trouver mieux! Nous savons tout deux qu’un dangereux prédateur nous guette et que ce grognement s’échappait de sa gueule! Et par l’analyse de ce dernier je peux vous dire qu’il s’agît probablement d’un ours à dents de scie.

          -Et alors que proposez-vous face à ce prédateur?

          -La course désespérée accompagnée d’un hurlement de panique.

          -Merveilleuse suggestion.

          Et me donnant raison, des fourrés surgit alors un énorme ursidé, un poil de jais hérissé et court, de larges pattes munies de griffes longues comme mon bras ainsi que de dents rappelant fidèlement des scies de charpenterie.

          -Après vous M. Koprovski.

          -AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!!!

          -AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!!!

          Il fallait bien croire que l’odeur du thé vert était un puissant parfum lorsqu’il était question d’attirer les animaux.