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La Belle et la Brute [Judas]

L'homme s'effaça devant elle en repoussant le rideau de perles grises qui masquaient l'entrée d'un chambranle auquel on avait retiré une porte trop souvent brisée. Les gonds sur les côtés en témoignaient toujours. Certaines portes avaient des vies plus agitées que d'autres. Certains hommes avaient des vies plus agitées que d'autres. Et les hommes agités, Rachel les entendait hurler, crier, huer, encourager, siffler tandis qu'elle progressait lentement dans un couloir sombre et décrépit. Un couloir dans lequel on n'aurait pu se croiser et dans lequel pourtant certaines faisaient demi-tour pour des raisons très diverses. Un haut le cœur pour l'un. Une envie pressante pour l'autre. Le nez en sang et un tesson de bouteille à l'arrière du crâne pour ce dernier. Les effluves d'alcool imprégnaient même ces murs effrités et dans ces restes de canalisations stagnaient tout sauf de l'eau. Rachel tâchait de ne pas poser son regard sur les divers coins sombres où elle s'attendait à voir surgir tout et n'importe quoi.

Un endroit glauque. Elle n'avait pas de meilleur mot pour ça. Glauque. Et encore, ce n'était pas assez fort. Un coupe-gorge. Insalubre qui plus est. Le brouhaha ambiant l'empêchait de penser convenablement. C'était le but : ne pas penser. Ceux qui avaient construit cet endroit ne voulaient pas de pensées. Juste réveiller les plus sombres pulsions et les plus anciens des instincts. La violence et la Survie.

Encore quelques pas
-On est bientôt arrivés... ?
-T'en fais pas, on y sera très vite.
Là-bas, la lumière de la libération
Des murs ne lui avaient jamais parus aussi hostiles qu'en ce jour
-Quand tu parlais d'un diner spectacle, tu n'avais vraiment que ça en tête ?
Elle n'eut pas même la force de rendre à cet homme chauve son regard empli d'animosité
-Tu verras, tu y seras bien, j'ai obtenu les meilleurs places. J'ai les meilleures relations. Et tu verras les meilleurs shows.

Ils débouchèrent dans les sous-sols de Inu-Town.
Et Rachel comprit pourquoi à la surface tout semblait si calme et paisible. Parce qu'en dessous, les hommes venaient se ressourcer grâce à la boisson et les plaisirs de la chair sanguinolente. Ils venaient de pénétrer dans cet antre insoupçonné, celui où les paroles ne sont plus le seul moyen de communiquer, où le plus respecté n'est pas celui qui a l'argent mais le plus de dents à son collier.

Son collègue venait de la mener dans l'Underground.

Un instant, elle le perdit. Il y avait tant de monde. Il y avait tant de cris. Mais dans la masse, elle le retrouva. Lui, le seul qui ne regardait pas au centre de cette pièce grande comme un pont de galion, vers cette cage morbide où deux mastodontes tout en muscles se mettaient sur la figure. S'offraient en cadeau un bon de réduction pour traverser le Styx. Et puisque l'homme qu'elle suivait était le seul à tourner le dos à cette agitation, elle se faufila entre ces hommes qui faisaient une, deux voire quatre têtes de plus qu'elle, pour le rattraper. Elle évita le crachat d'une femme aussi motivée que les autres et s'agrippa à lui comme à une bouée de sauvetage. Il se retourna. Il était grand. Certes pas autant que certains autour d'eux, mais plus qu'elle. Une bonne tête de plus, et quelle tête. Le genre de tête au regard si profond que l'on peut y lire mile projets d'avenir, mile rêves fantasques. Une magnifique tête blonde aux yeux bleus comme la mer. Il vit son trouble et la saisit par les épaules, lui rappelant pourquoi elle acceptait de supporter cette agitation à laquelle elle était si imperméable. Fermement pour ne pas la perdre dans cette marée humaine plus bruyante qu'une tempête, il la mena jusqu'à une sorte de loge où ils prirent places autour d'une table réservée spécialement pour eux. La clameur décupla alors comme l'un des deux combattants s'effondra sous les coups de son opposant. Le monde semblait fou, des billets changèrent de main et Jaz' se pencha vers elle pour l'inciter à commander à manger, lui glissant qu'elle allait aimer.

-Et c'est la fin pour Devil Bear ! Terrassé par un Juggernaut plus motivé que jamais à affronter le Pater : Judas !


Et l'assistance explosa en cris redoublée.

*****


L'air frais de la nuit déjà bien avancée la saisit à la gorge. Elle inspira cet air bien plus pur que celui, souillé, qu'elle avait respiré toute cette soirée, quitte à ce que le froid lui brûle la gorge. Elle arrêta lorsque des larmes lui vinrent aux yeux. Le vent. Autour d'elle, peu de mouvements, mais quelques hommes s'en retournaient à l'intérieur pour le second tournoi. Elle avait vu, connu, vécu des trucs glauques dans sa vie. Mais tant de malsain dans une seule salle, si grande soit-elle, l'avait asphyxiée. Alors elle était sortie, prétextant devoir aller aux toilettes. Et maintenant qu'elle était dehors, elle avait pris sa décision : elle n'y remettrai pas les pieds, gueule d'ange à l'intérieur ou pas.

Détournant les talons pourtant, un tumulte nouveau attira son attention non loin de là, dans une ruelle trop proche de l'Underground pour que ce qui s'y déroulait y soit totalement innocent. Par curiosité, sens du devoir et guidée par un fil d'abattement, le sergent Blacrow bifurqua de son itinéraire pour se rapprocher de la ruelle. Là, en provenaient des sons hachés, comme une discussion mouvementée, mais également des coups sourds. Une bagarre ? Entre ivrognes ou types ayant perdu gros sur les paris de la soirée... Juste un œil alors. Pour vérifier qu'aucun civil ne soit impliqué. Alors elle avança et finis par arriver en début de ladite ruelle. Pas encore au niveau du couloir de tout à l'heure, mais au moins aussi puante. Elle se découpait dans l'embouchure de la rue, et face à elle, une étrange scène.

Judas ?


Dernière édition par Blacrow L. Rachel le Lun 5 Jan 2015 - 1:37, édité 1 fois
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A chaque jour sa peine, et à chaque nuit une salle. Une salle pour saigner, une main pour soigner les maux des bas fonds d'Hinu, une autre pour déverser la rage. La colère du dieu combattant, Judas, maître incontesté de la cage. On change de monde pour un soir, on entre dans l'territoire des hyènes, de la lune et du sang. Du sang et de la sueur. C'est comme ça que ça finis toujours ici, et y'a pas meilleure remède pour calmer les ardeurs. Toute façon, que ce soit sale et violent est basique, st'un lieux foutrement masculins. Un brin crade aussi.
Il est moche, le monde d'en dessous. Il grouille comme un amas de vers, couvert de sang et de parasites, pire qu'un charognard. Il se fait les crocs sur les vermines et les cafards. Pire qu'incisif, c'monde est vindicatif, dangereux pour tous. Personne n'est à l’abri, car ce monde n'a aucun appuis solide, c'est rien d'autre qu'un conglomérat d'andouilles persuadés d'être dans leurs bon droits.  
La cage, elle, ne change jamais.
Ce soir, on nous a dégoté un vieux coins dans les sous sols. Guère plus qu'un squat, truc discret plein d'histoire. Sa colle à l'ambiance et à la foule qui se déchaîne déjà. Je les entends crier tandis que j'me prépare. Elle me galvanise, la foule, elle m'encourage. Des vieilles tables son placées à droite d'la cage, branlantes et sûrement envahis par les mites. Derrière la tenture de misère qu'on m'a dégoté, j'sens encore l'odeur de crasse qu'on cachée dans les coins. Les crasses, c'est pas ce qu'il manque ici. On en sent l'parfum s'étendre par dessus tout, la sueur et le sang y comprit. Au moins, la cage, elle, ne change jamais. Je tends la mains par dessus la tenture pour la voir reluire de l'esprit sauvage qui anime mes deux chauffeurs de piste.

Ils sont au prise, que dis je, au coude à coude, comme deux amoureux d'la trempette et des amourette. L'un dans les bras de l'autre ils comptent fleurette au publique, un brin sceptique. L'duel de force est devenu ennuyeux, autant qu'un combat d'qui à la plus grosse. J'attrape le verre de whyskey avec circonspection. J'connaissais le whisky, mais là ça m'fait comme d'être de la dernière grisaille. C'est pas comme le Sky, pourtant ça à en la couleur et l'odeur. Pourtant l'gout … C'est ni un bourbon, ni un scotch... Je regarde mon manager.

- C'est quoi c'truc ?
- C'est un Jack.

Je tâte des papilles une dernière fois. Sa m'plait bien, Jack. Allons y ensemble. On s'lève touts les deux d'un coup. Et les graffitis, la terre battue, les odeurs de pisses, tout ça semble se rétrécir. Juste un cadre sur cette mascarade. Cet onanisme brutal, véritable parodie d'un show digne de ce nom. Deux gros porcelets qui s'affrontent dans ma cage. Ils l'ont dénaturé... Ma cage... Je tremble. Depuis que Timuthé n'est plus là, tout par à veaux l'eau, et c'est pas la volaille sur le ring qui va me contredire. On dirait deux clowns de cirque s'accouplant sur scène tel des hippopotames sans leurs grâce.

- J'y vais.

Il se lève d'un coup, ce mec à la peau parcheminé par des trous ! D'infimes cicatrices qui lui tâchent la peau. Son crâne dégarni laisse entrevoir un florilège de plaques rougeâtres, qu'il cache mal derrière un berret assez ridicule. Comme tout ça. C'est ridicule, tellement que je le fusille du regard. Une seule cartouche, et les ardeurs s’étouffent. Ses gros sourcils retombent et son nez épatée se redresse en une expression hautaine. Serait ce de la confiance que je vois la petit homme ? J'me retourne d'un bloc, calmant les dernières flammèches d'la poudrière. Dans l'agitation personne l'a vu mais ses gros bras avaient les mains sur les crosses.
Pas envie d'y mettre feu, sa risquerait de partir comme une traînée de poudre. Et l'explosion n'avait jamais été l'objectif ici. Des truc bien moins sains se tramaient la dessous, cette histoire puait la merde, et j'te parle même pas du local.
L'indigène à les cheveux gras, et les traits déformé par une expression porcine. Peut-etre voulait il faire peur, mais cette mimique lui coûtera sa place. Devil Machin est un homme plutôt petit, compacté dans un costume bon marché, vert et bleu. Un collant et une tunique immonde, souillée jusqu'aux fibres. Il aurait une cape que sa m'étonnerait pas, mais d'ja que sur son plastron y'a une sorte d'erzat d'ours en noir, il allait pas pousser le vice.
L'autre, est un grand bonhomme à la peau bronzé, torse nue, avec une culotte noir et rouge. Des sandales remontent jusqu'à ses chevilles en bandelettes. Il porte un masque qui lui couvre entièrement le visage, aux couleurs de son caleçon. Autant dire que sa casse pas des briques, avec des gros yeux blancs en textiles et une bouche noire et rouge à l'instar d'un démon. Des fois j'me dis que les gens n'ont besoin de rien pour faire sortir leur mauvaises manières, même pas d'un bon spectacle. Juste deux imbéciles s'frappant dessus comme des bizounours suffit.

Je m'avance vers eux, qui commencent à s'affaisser sous la pression de leurs muscles tétanisés. Moi j'me redresse sur mes deux mètres cinquante de violence.

- Finis le.

J'lui fais les gros yeux en lui envoyant une claque dans le dos qui le fait tituber, pendant que j'attrape son collègue en lui collant une claque derrière la nuque. Il commence à sombrer au silence, une qualité que j'apprécie chez lui. La foule se déchaîne. Dans le brouhaha, tout ça à l'air énorme alors qu'en vrais … Petit … Si petit. J'regarde le Jurgonaut qui achève déjà la corvée en y mettant la patate chaude. Il continue jusqu'à ce que le nez de l'ours ressemble à une petite fontaine rougeoyante, à l'odeur salée.

- C'est ton tour.
-Et c'est la fin pour Devil Bear ! Terrassé par un Juggernaut plus motivé que jamais à affronter le Pater : Judas !

Le présentateur retombe sur ses pieds, pirouette-cacahuète, il annonce la suite sans trembler. Heureusement qu'on a encore du bon personnel. C'est lui qui met l'ambiance, qui relance les foules et les agite. L'ourson et moi on s'mate entre couilles, mon regard dur plongé dans celui du pélo. Tu vas souffrir, gamin. Je sais pas qui t'es ni pour qui t'es mais …

- C'est la fin pour toi, Pater ! Mime avec peu d'réussite ma Némésis du jour.

Il en vient de plus en plus. Des gens qui veulent m'battre. Une petite réputation qui m'va bien, puisqu'elle a double emploi. J'peux dénicher des salauds, et m'faire les crocs dessus. Huhuhu.
J'lui répond pas. Tant pis pour le show, j'ai le sang en feu. Exhalté par tout ce flot d'odeur, de sensations, de violence. Il tremble déjà, car il a vu ce que je pouvais lui reserver. La claque dans son dos doit lui cuire, se distordre comme une cicatrice enflée.
Ma droite s'arme, il esquive facilement en roulant. Sauf que mon genou craque dans son pif, que ma main attrape ses cheveux. Que j'lui redresse l'corps en un arc bizzarre. La foule apprécie le mouvement. Elle siffle et tape des pieds, des mains, d'la voix. Et moi j'tape du poing en rythme, choisissant aux hasard la viande à attendrir. Une fois le paquet bien mou, j'le pousse dans un coin d'la cage. Qu'elle reprenne du nerf !

Il se secoue, s’essuie la sueur qui perle le longs de ses tempes. Il se frotte la tête et s'met des petits coups avant d'foncer sur moi. Mauvaise stratégie... J'recule à peine, ses bras se refermant sur l'vide. Mon poing cueille son menton sous la fossette. Elle éclate en une explosion de puissance … Remontant jusqu'à son cerveau, éteignant la lumière, direction le monde des rêves. Son corps fait une parabole en frappant contre la cage, le laissant debout et inconscient une poignée de secondes.  
La cage, elle, elle changera jamais. Je jette mon verre contre les barreaux, ses débris s’écrasant sur le masque de mon adversaire. Pas à la hauteur, mecton.

***


J'ai quitté les bas fonds sans remords. Et Les derniers concurrents s'affrontant pour avoir l'droit de se frotter à moi. Brrr, peu importe comme j'y pense, cette idée m'fait frissonner. Apparemment, tourner les talons avait été la partie facile de l'intention. Maintenant, pourquoi des mecs me suivaient ? Sa m'rend assez perplexe, surtout que j'en connais aucun ni d'ève et encore moins d'adam. Mes trois comparses de ce soir ont dû prendre la petite porte en même temps que vot'serviteur, une fois que je pars, il paraît que tout ça perd de son intérêt.
Puis j'me dis qu'au final, il vaut mieux les cueillir sur le terrain qui m'avantagera. Un truc qui m'permet de prendre le centre d'surprise et de leur balancer en pleine gueule. Bonne idée Judas. Je dévie sur la droite, et les laisse s'engager dans une petite ruelle sombre.

- Il est passé ou encore ?
- T'inquiète Boby, je suis pas loin. Lui réponds ma grosse voix.

Il fait un bon de deux mètres sur le coté, et se cogne à une poubelle en métal. Les ordures jonchent la rue, et se déverse au pied d'mon principal soucis de ce soir ; Un vioque à la peau pleine de cicatrices.

- Bonsoir, Judas … T'comptais partir ou ? On a des engagements … qu'il commence avec courroux et un brindignation assez crédible. J'applaudis la performance. Ah non, j'ai les mains occupées. Une autours du cou de son subordonné de droite, et l'autre sur le crâne ras de sa deuxième main gauche.

- Je crois que t'as pas bien saisie la situation, encore.

Alors que les deux hommes tremblent, le vieux reste stoïque mais réaliste. Il a vraiment aucune chance contre moi et il le sait. Son seule échappatoire, la seule branche à laquelle il devrait essayer de se raccrocher... Il sort une clope, tranquillement, de sa poche droite. Histoire de me montrer qu'il n'est pas armé ? Histoire de savourer ses derniers moments ? J'en sais rien. J'vois des billets, d'la couleur et des chiffres. Il sort une enveloppe bourrée de berrys de sa poche, me la collant sur le torse en un geste théâtral et sans doute de nombreuses fois répétés ; Il a les yeux à moitié fermé, satisfait de son propre argumentaire.

- T'vois, sa c'est qu'une partie de tout ce que je peux t'apporter … On m'appelle l'Scarifié, mais t'peux dire Jesper, ça fait plus intime. Dans l'millieux, j'fais des trucs qui sont jutueux, et tu peux bien v'nir taper ta part avec nous, pas vrais 'Judas' ? Qu'il fait, en insistant sur mon nom d'scène.

Il continue sans m'regarder, un p'tit sourire en coin nargue son pif demesuré.

- Tout sk'on te demande, c'est de donner de faire le chiffon d'temps en temps pour nous. Facile pour Judas nan ?

Il m'regarde enfin. Mes yeux sortent de leurs orbites, et la colère gronde dans mes yeux. Mes mains se sont serrés compulsivement. Tout comme ses hommes, qui se débattaient désespérément au bout de mes bras. Plus, il en faut toujours plus …

Judas ?

J'sais pas c'qui m'fait tiquer … Mais j'tourne la tête vers la ruelle, sur une petit silhouette amplement reconnaissable, puisqu'assez connue pour être la plus fidèle représentante de la marine d'son état. Ouch. Sa coince.... J'sais pas ce qu'elle avait en tête en venant, mais sa m'fait changer la mienne. J'repasse le col d'mon ami Jesper.
Il prie en levant les yeux au ciel, puis apercevant la petite, se met à siffle en m'regardant avec un sourire. Mon expression doit lui avoir donner plus de chance de survie. Du moins, le pense-t-il encore. Huhuhuhu. D'habitude, j'traque pas toutes les petites frappes, mais c'lui là il a du culot... Si Timothée voyait ça … Seulement Tnt, il est plus là. Et faut bien élimer le problème en commençant par sa souche la plus crasse, sa fange la plus basse.
J'lui repasse le col en faisant comme si de rien était, puis lui murmure à l'oreille un truc du 2tyle « t'causes pas, tu t'en vas tranquillement et tu m'attends au coins d'la rue. Si tu fuis, j'te retrouve d'abords et j'te tue ensuite ». Très vite et avec un air glaçant, sa semble crédible. Les deux mecs en décors m'donnent de l'ampleur, un peu du style contre plongé.
J'en reviens à la dame en noir tandis qu'il continue à siffloter.

- M'dame, que vous amène par chez nous ? Qu'je lui dis, un peu vil.
    Il devait être aux alentours de minuit lorsque Rachel déboucha dans cette ruelle mal éclairée, mal famée, mal imaginée. Il n'y avait pas de fenêtres au niveau de la rue. Uniquement des bouches d'aérations pour des arrière boutiques ou des restaurants en journée plutôt côtés mais de nuit moins fréquentés, où s'entassaient les poubelles pour le lendemain et l'oxygène pour les rats et les crève-la-faim sans domicile fixe. Tout était réuni pour donner des frissons aux jeunes filles qui l'auraient vue, la ruelle, même depuis le trottoir voisin et le besoin irrépressible de s'en éloigner pour le bon homme au portefeuille assez rempli. Ce qui, pour Rachel, eut l'impact opposé : elle s'approcha.

    Elle débarqua alors dans quelque chose qui ressemblait à un règlement de compte. Ou tout du moins, c'est ainsi qu'elle se serait imaginé la chose si elle avait dû l'expliquer à un jeune enfant des rues pour lui faire peur, un soir, au coin du feu. Un règlement de compte dans lequel Judas, une brute d'à peu près cent quatre-vingt kilos pour deux mètres cinquante, les cheveux en bataille, les bras comme le buste de Rachel, et le visage fermé comme un ours en colère, remettait à sa place ce qui s'apparentait à un baron du jeu pour des exactions dont notre Sergent ne préférait pas encore connaître la couleur. Ils eurent quelques messes basses et ils repartirent chacun de leur côté. Et Rachel avait l'impression d'observer des loups qui se tournaient autour pour un territoire vierge.

    Et alors il se retourna vers elle, montagne au regard sombre, profond, provocateur. Il la sonda avec cette insistance qu'ont les enquêteurs en cherchant la vérité dans les yeux de leurs proies. Rachel eut l'impression d'être une proie pour ce type qui aurait pu la broyer en deux d'une seule main. D'être non seulement dévisagée mais également mise à nue. Il pouvait lire en elle, se dit-elle, et elle en fut presque persuadée. Mais étonnement, il n'était ni étonné de sa présence ni de sa carrure, et bien plus perturbant, il lui parla avec un respect qu'il ne devait pas à une jeune fille de sa carrure.

    °-Il me connaît ? J'y crois pas, il me connaît !
    Arrête de délirer, il veut juste noyer le poisson et faire comme si de rien n'était.
    -Mais t'as vu son regard ? Et t'as entendu comment il m'a parlé !
    C'est pour mieux t'ignorer dans les deux prochaines minutes.
    -Ah non, il a trop la classe pour que je le laisse partir comme ça !°

    C'est alors sans se formaliser de son ton soi-disant un peu vil que Rachel sortit de l'ombre et s'approcha de lui à pas mesurés. Elle croisa les trois hommes qu'elle dévisagea avec autant de suspicion dans le regard qu'eux n'avaient de rancœur. Pas de bonne humeur le bonhomme, même s'il n'avait pas à proprement perdu sa bataille. Et que, quoiqu'il puisse en avoir dit à Judas, il eut quelques as de plus dans ses manches et celles de ses deux acolytes sans nom, sans visage, et au trench-coat à pleurer. Car de toute façon, c'est lui qui gagnerait au bras de fer. Mais de tout ça, Rachel n'en savait rien. Elle les observa s'éloigner encore un moment et ne reporta son attention sur la carrure imposante de Judas qu'une fois qu'ils eurent tourné au coin d'une rue mieux éclairée.

    -Une connaissance que je vais éviter à l'avenir. Dit-elle avec un vague geste de la main pour signifier que c'était sans importance. Mais dîtes-moi, continua-t-elle en levant vers lui un regard amusé, Je n'interromps pas quelques affaires illicites j'espère.

    Elle aurait eu envie d'ajouter plein de belles phrases pour arrondir ses angles, mais elle se contenta de l'observer et de sourire. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui dise que si, qu'elle dérangeait, ou qu'elle ferait mieux de déguerpir, mais elle restait une officière de la marine, et quoiqu'un en dise, une jeune fille curieuse et assez méfiante. La seule chose dont elle était sûre, c'était que ça parlait d'argent. Parce que savoir exactement de quoi il en retournait, elle n'était pas sûre de le vouloir.

    -J'ai vu ton combat plus tôt. Plutôt cool comme style. Pas vraiment le mien mais faut reconnaître que ça en impose. Ça doit être un dur métier – si tant est que ce soit vraiment un métier.
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    La lune est là, plus grosse qu'une pomme dans le ciel noir étoilé. Ce ciel du nord, éclairé parfois par des aurores boréales, c'est l'un des plus beau que j'connaisse. Peut-être parce qu'ici je me sens chez moi, dans ses rues sales et malfamés ou la mort peut te tomber dessus aussi fréquemment que les jeunes filles. Deux choses sur lesquels je crache pas, avouons le. La violence est une occupation singulière, mais positive pour moi. Suffit juste de savoir comment la canaliser, vers qui la diriger, et puis frapper fort. Sans remord, sans égard, sans pitié. La violence, c'est le dépouillement de l'âme, c'est le moment ou tu arraches la force des mots à mains nues, que tu déchires la bienséance de tes crocs, c'est ce moment de toute puissance si grisant, bien plus qu'un gramme de n'importe quelle drogue.
    Après, chacun son délire, on est tous accroc à quelque chose, suffit juste de rester réaliste et ne pas tomber dans le vice. Oui, mais le vice, quel délice. Si j'bosse, c'est pas gratis, c'est pour pouvoir me faire plaisir aussi. Alors tant que j'aurais pas mon comptant d'adrénaline, y'aura quelque chicots qui voleront sur North Blue. Je m’intéresse plus à mon auditoire, une jeune fille à la peau blanc perle et à l'expression "gaga", comme une groupie qui rencontre son catcheur favoris. Peut-être une amatrice de la cage ? Il y'a de tout pour faire ce monde nocturne et alternatif, et c'est pas moi qui vais juger qui l'habite. Un bon samaritain comme moi en surprendrait (et d'ailleurs j'en surprend) plus d'un, alors qu'au final je suis celui qui fait couler le plus de sang parmi tout ses habitants. J'essaye de la jauger, et elle fait pareil quelque part. Pour voir si j'correspond à l'image qu'on se fait de moi ?

    - En règle générale, j'attire pas les gens sains d'corps et d'esprit, mais plutôt ce qu'il y'a de louche que je répond en premier lieu. Eh ouai, les gars dans mon genre, on est pas très fréquentable. Efficace, mais pas fréquentable. Rapport à mes occupations nocturnes m'voyez ?

    Sa deuxième question m'interloque, rapport à la tournure de phrase purement gouvernementale. Seulement la p'tite à un de ses regards et cette aura qui m'font presque craquer. Une singulière petite chose pleine de piquant que j'sens, et surtout pas franchement porter sur le protocole et les bienséances elle non plus. Je relâche un peu la garde. Pt'être que j'ai tord. Alors je vise bien son regard et lui donne du sourire à outrance, histoire de rester dans le ton.

    - Il était pas venu m'voir pour la conversation, si c'que vous demandez. Faut croire que quand on occupe une place privilégiée, y'a toujours quelques requins pour sentir le sang couler ... Il est mal tombé avec moi, l'argent ne m'a jamais intéressé...

    Elle m'fait plaisir, en confirmant que c'est une consoeur de l'underground, une spectatrice avec du gout, puisqu'elle m'aime bien. Franchement, rencontrer une fan comme ça, en pleine négociation difficiles (et même pire, puisque je n'accepterai jamais de pots de vins pour me coucher) ... C'est l'panard ! J'me détends un peu et j'deviens même curieux.

    - Merci sa m'touche. J'commence à considérer ça comme un métier d'puis le temps. Quelques années dans ste cage et c'est même devenu comme une partie d'mon monde. C'est dur mais juste. Si t'es bon tu reste, si t'es mauvais on te dégage. Un monde dur, mais d'nos jours c'est partout que l'monde est dur.

    j'lui fais un clin d'oeil.

    - Enfaite t'me suivais ou quoi ?