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Tu te rappelles ?


Spoiler:


Tu sais, ma belle, j'me disais un truc. Tout con. Je me disais que ton p'tit bidon, comme tu l'appelles. Et bah, je l'aime. De la même manière que j'aime tes fossettes qui se creusent quand tu souris. Tes yeux bleus qui ressortent en plein été, toujours en même temps que tes taches de rousseurs en plein mois de soleil. J'aime ta peau blanche qui supporte pas de se voir bronzer. J'aime ta manière d'étendre ton bras tout fin, pour pas te prendre la fumée de tes clopes. Tout ça, j'ai appris à l'aimer au fur et à mesure, bah, que j'apprenais à t'aimer, toi. Dans ton entièreté. Et même que si aujourd'hui tu perdais ce petit bout de peau dans le bas du ventre, ça reviendrait à changer tes deux yeux contre du marron tout moche. Comme les miens.

On a vécu des trucs pas joyeux tous les deux. Des trucs moches que la plupart des gens voudraient oublier. Mais ces choses là, de moches, font ce qu'on est devenu, font aussi, en bonne partie, je crois bien, notre amour. Le genre de chose qu'avant de te 'rencontrer je croyais pas un yota. Quand on me parlait de ce genre de chose, qu'on trouve toujours dans les foutus livres, je me marrais. Ou je me moquais. Ou j'esquivais. Parce que je connaissais pas.

Peut être aussi, que je m'en moquais. Qu'j'étais heureux avec ce que j'avais. Le plaisir du corps, d'une nuit et qu'à ça, me suffisaient les femmes. Mais avec toi, ce fus différent. Ces sales moments comme ces bons, j'veux les garder en tête jusqu'à la fin.

Tu te rappelles ? Tu te rappelles de celui d'Logue ?

J'avais disparu six mois. Trop occupé à ramener des berrys que j'avais souvent pas pensé à t'écrire. Alors quand je suis revenu, tu m'as pas zieuté. T'as tourné le regard vers ta fille qui, elle aussi, boudait. Héhé, je me rappelles encore, Tes longs cheveux cachant tes yeux, et tes mains croisées. Tu dandinais sur tes pattes pour pas lâcher. Pour pas m'embrasser. Mais y'avait pas besoin. J'avais compris.

_On part. Que j'ai dis.

J'ai fait les valises, appelé la petite Josy qui nous en devenait une, et on est parti. On savait pas trop où. Logue Town qu'on a atterri. Je me rappelle encore. Les yeux pleins d'étoiles de la petiote dans le ferrys, ses cris de joies de voir les vagues cogner contre la coque, de sentir l'écume des mers et de voir les dauphins sauter à contre courant. On était pas encore arrivé que j'avais déjà gagné mes vacances. Que j'avais déjà regagner mes deux bouts de femmes. On a mis les pieds sur l'île en fin de journée, où les rayons se dissipaient pour laisser un sale trait rouge dans le ciel. La mistinguette, trop crevée d'avoir piaillé tant de temps s'était endormis dans mes bras. Alors on n'a pas réfléchi, on a laissé Josy déposer nos peu de sacs et coucher la petiote.

Et on est parti. Tous les deux.

On s'est promené, comme ça. Sans trop savoir, sans trop vouloir savoir, où c'est qu'on allait. T'avais l'air si perdue dans une aussi grande ville. Tes yeux s'ouvraient comme deux énormes bulles, faisaient ressortir leurs éclats bleu, empli de plein de paillettes. Dans tes yeux, je voyais ceux aussi bleus de la petite. Je voyais notre plus beau fruit, que nous, apprentis jardinier, avions planté. A chaque rue qu'on passait, à chaque bloque de pierre qu'on contournait, tu te mettais à t'extasier, à sauter sur place de plaisir. Parce qu'on était là, tous les deux. Et que c'était, bah, un soir merveilleux. Sans savoir, ni pourquoi, ni comment, nos pas nous ont ramené au port. Ce qu'on a jamais su aussi, c'est pourquoi y'avait ces loupiotes. Toutes enfouies dans des lingues, elles brillaient le ciel de leurs lumières rouges, éclairaient les coques tranquilles et les belles étoiles. Je crois bien qu'on est resté là, à les mirer jusqu'à la fin de la nuit. Tu me pris la mains, assise sur une muret. Et on resta là, juste dans le silence des vagues.

Parce que j'avais compris que le silence de ta présence, valait mieux que le bruit des mots.


Dernière édition par Mihai Moon le Lun 17 Juin 2013 - 10:37, édité 3 fois
    Avant que la fumée me consume et que la mort m’assassine, j’étais un bon père de famille. Tu te rappelles ? En fin de semaine j’emmenais Isaac au port et on grimpait dans les rafiots qu’on décrivait « à l’abandon » des pêcheurs pour attraper des petites truites par trentaine que tu grillais et qu’on engloutissait avec les voisins. Ceux qu’étaient proches, ceux qu’étaient loin, mais souvent des étrangers.

    T’avais l’accueil facile, peut-être qu’en fait, c’était grâce à la grande maison ou au jardin que tu maintenais impeccable, un havre de paix. Des fleurs de toutes les couleurs, tes préférées. Les classiques roses, des rouges, des jaunes. Des petites orchidées couplées avec des fleurs de lys. Et par-dessus tout, des camélias. Des beaux camélias roses qui gardaient leur volupté en été comme en hiver. Le gazon était tondu la veille des grillades, l’herbe était fraîche, douce et verte. Comme tes yeux. Comme ce que m’inspiraient tes yeux.

    Je m’en rappelle de ceux-là. Le plus marrant c’est que dedans, y avait l’innocence du jasmin, on le sentait bien. Mais que souvent, ils exprimaient le mécontentement et la colère des strelitzias que tu gardais au fond du jardin. Tu grognais, tu grinçais des dents. A cause de nous, tes deux garçons. J’étais bien plus à réprimander que mon propre fils, le plus immature de la maison, « le bambin » que tu m’appelais.

    Et pourtant… Et pourtant j’étais un homme avant de te rencontrer. Un homme peut-être détestable, un homme peut-être un peu hautain et puis dans tes bras, j’ai changé. Devenu enfant, tu m’allaitais de ta grâce, de ta bonté, de ta gentillesse sans fin. Me perdant dans ton regard, je me retrouvais dans un champ de blé où je crois bien avoir vu une sainte avec le dos courbé. C’était toi. Tu incarnais le bonheur dans l’injustice, le calme après la tempête, la sérénité dans la misère. Comme un ange dans les abysses. Tu étais le point de lumière. Alors, quand tu es venue te loger dans mon cœur, tout mon mal, tout le mal qui le noircissait à commencer peu à peu à s’évaporer. Devenu enfant.

    Tu te rappelles le jour où tu m’as pris ? Le jour où tu m’as appris ?

    J’avais les idées noires, le regard isolé matant le vide. Puis t’es apparu. Mon cœur a fait un bond. Tout me plaisait, tes lèvres couleur foncée, la pointe de ton petit nez, tes minces sourires. Je serai tombé amoureux de tout toi. Même du blanc de tes yeux. Même de ce tic que tu as à arranger tes cheveux. De tes mains fines, de tes longs ongles, de cet annulaire qui allait bientôt m’appartenir. Je serai tombé amoureux de tout toi.

    Une histoire banale, certes. Ce genre d’histoire à l’eau de rose qu’aiment les jeunes adolescentes, qui en rêvent. Le héros est stupide, la femme qui l’attire est parfaite. Des opposés qui finissent par se ressembler pour faire plaisir aux deux expressions. Dans ce cas, notre scénario était parfait. Mon cœur me criait de ne pas t’approcher mais une fois que t’y as posé pied, il s’est tu. Il m’a dit « chut, écoute comment l’amour entre car il fera le même bruit quand il s’en ira. »
    Alors j’ai écouté. J’ai écouté quand tu me souriais, c’était comme une avalanche de bonheur qui submergeait mon cerveau. J’ai écouté quand tu me racontais, tes rêves, tes passions et je sentais la chaleur monter en moi comme de la lave. J’ai écouté quand tu me parlais de tout et de rien. Tu me volais des sourires pour tout et pour rien. Un rien me rendait rouge par tout. J’ai écouté mon âme éternuer, tousser. Il avait un rhume à cause de tous les changements de température auquel j’étais sujet. Et c’était toi la responsable.

    Et je me suis perdu encore une fois dans le champ de blé. Il faisait bon. Le vent était doux, il caressait la peau et j’ai revu la sainte. Alors, j’ai voulu l’amener avec moi, partout pourvu qu’il soit là. Je t’ai emmené. Je t’ai épousé et emmené. Partout. Pourvu que tu sois là. Tombé dans tes bras, devenu enfant. On a construit une vie. Le père, la sainte et le fils, Isaac. Pour aucun mouton on ne l’aurait sacrifié, celui-là. On a construit un havre de paix. Le jardin.

    Au milieu de celui-ci on pouvait voir la plus belle fleur, à mes yeux. Le lotus sacré ou l'étreinte céleste qui a le pouvoir de tout guérir. Comme les tiennes, mon ange.
      Quand la petite s'est levée, et qu'elle a giclée de son lit, toute excitée, toute énervée aussi qu'on l'ait pas réveillée la veille ; on est parti. Là encore, on savait pas trop où, pas trop comment. On voulait pas. On a pris les petites rues, où les forgerons frappaient l'enclume, où les potiers faisaient voler l'odeur de souffre et d'argile, où les fleuristes venaient nous enjouer de toutes leurs couleurs et bonnes odeurs.

      Et puis y'a eu cette boutique.

      L'avait une grande vitrine pour faire amarrer le client. Toute jolie avec ses couleurs faites que pour les femmes. Ses grands rideaux roses et les paillettes qui volaient partout. Et ça a marché avec toi. T'es resté là, plantée au milieu de la rue devant cette foutue robe. Oh qu'elle était belle, cette foutue robe. Tu t'es retourné. Tu m'as miré avec un sourire au coin des lèvres. Ce sourire auquel tu savais, j'restisterai pas. Alors t'es rentré dans le magasin, en dandinant comme un enfant, et le notre d'enfant, n'a pas pu s'empêcher de te rire en t'voyant si heureuse. Parce que l'bonheur, ça se partage.

      Quand t'es sorti de là, avec la magnifique robe qui m'avait coûté un bras (c't'une expression, hein, pas un vrai, pas cette fois), je m'suis senti con. Heureux. Chanceux. Y'avait ce bas en dentelle blanc qu'arrivait à mi cuisse, qui faisait balancer tes fesses au dessus de tes jambes toutes fines. Y'avait ce décolté pas voyant pour un sous, et qui pourtant, t'allait si bien. Ces longues manches qui finissaient en patte d'oie, ce dos nu, ces magnifiques fleurs qui donnaient de la couleur au bas de ton ventre. La petite pu pas s'empêcher. Tu te rappelles ? Elle pu pas s'empêcher de dire « elle est belle, hein ? » en me tapant du coude et en clignant d'un œil. Elle était déjà drôle, la petite. Avec son minuscule cheveux sur la langue qui lui faisait garder cet air de gosse.

      Quand on marchait et que chaque bougre d'homme pouvait pas s'empêcher de se retourner sur ton passage, j'étais pas jaloux. J'étais fier. Parce que tu m'appartenais et que je t'appartenais et que c'était ainsi. Ni plus, ni moins.

      La petite dandinait à coté, pouvant pas s'empêcher de sautiller plutôt que de marcher. Si bien qu'elle me tirait à chaque pas sur ma main qu'elle tenait et qui ne suivait pas le rythme. Toi, à côté, chaque foutu pas que tu faisais avait l'assurance des plus belles, la prestances de ces foutus nobles et la beauté des muses. J'me sentais con avec mon futal plein de terre, ma chemise toute usée et ma veste de cuire qu'avait perdu toutes ses couleurs. Mais on a continué parce qu'au fond, on s'en curait. On était ensembles et c'est tout ce qui contait. T'aurais pu tout me demander à c'moment là. Tu le savais et t'en jouais. Je crois bien que tu m'aurais demandé la lune que j'serai parti la chercher. J'serai sûrement jamais revenu.

      On a continué à faire marcher les guibolles jusqu'à ce que nos tendons nous demandent arrêt. On s'est posé sur une terrasse d'un troquet. Au milieu d'une place bien connue. La p'tite, elle 'en avait pas encore assez vu. Elle continuait à gesticuller autour des chaises. A chantonner des petits airs, à tenter de siffler gaiement sans qu'autre chose qu'un petit souffle ne sorte.

      Et pis elle a vu ce môme. Pas plus grand, pas plus vieux qu'elle.

      Ses parents miraient la petite déblatérer ses histoires à son nouvel ami. Le père, avec ses frusques trop propres, trop à la mode. J'crois bien que j'aurais pas pu le voir, un autre jour. Mais là, c'était différent, c'était les vacances. C'était tes vacances. Et je crois que tout a commencé quand t'as levé ton verre vers eux, manquant de faire tremper tes manches dans le vin. Oui, j'crois bien que c'est là que ça a commencé.

        Le temps que je passais en compagnie de ma famille m'était plus précieux que l'or, l'argent et tout ce qui a de l'importance pour le commun des mortels. Mes trésors. Vous le serez à jamais. C'est de vous que j'étais amoureux, que je suis encore et ça, même au delà de la mort car elle n'est qu'un jeu comparé à l'amour. Et la vie n'est plus rien sans l'amour qu'elle nous donne... Je ne me sentais vivre qu'à travers vos yeux. Un geste, des mots, je n'étais qu'à vous.

        Alors quand à la fin de la semaine, tous les deux, main dans la main, on était allés emmener notre petit au bord du lac, c’était pas ses yeux qu’étaient devenus ronds. Mais c’était les miens. Tout ronds, comme le ballon dans lequel il shootait. Ballon qu’avait fini dans l’eau, d’ailleurs. Pas une larme, étonnant. Il s’amusait à regarder les canards joués avec. Un coup d’bec, un autre…

        C’était l’été, les rayons du soleil prenaient tout l’espace que le ciel leur offrait. J’ai pensé alors que le ciel était mon cœur et les rayons, mon amour pour toi. Aussi infini que l’azur du haut. L’impression qu’il n’avait pas de limite, que jamais personne ne pourrait l’atteindre tellement il est lointain. Insaisissable. Etant près de moi, je te sentais tellement loin. Le visage parfait, les lèvres aussi. Le vent soulevait tes cheveux un à un. J’en apprenais tous les jours sur la beauté, à tes côtés.

        Isaac s’était fait une amie, un bout de chou comme lui. J’aimais bien les joues des enfants, grosses comme des beignets, ça rendait encore plus coquin. Il en profitait souvent que j’sois amoureux d’cet air là pour m’attendrir et arriver à même pas l’punir pour une bêtise qu’il avait faite. Même pas quelques phrases qu’ils étaient déjà les meilleurs amis du monde… C’est ça l’enfance, le pouvoir de ne pas juger, de ne pas analyser, de ne pas chercher le « mais » qui change tout. Une innocence merveilleuse à voir. Ça m’rendait heureux, toi aussi. On riait quand on le voyait rougir face à la p’tite.

        Une main qui nous fait signe, une très belle femme qui avait les mêmes traits que la p’tite. Sa mère sans doute. Toi, moins méfiante que moi, tu te levais et rendais le salut pour aller t’asseoir près d’eux en oubliant pas de me dire « Vite, vite ! » Mais oui, mais oui. Pourquoi pas. C’était l’été.

        Et avant même que j’arrive, t’avais déjà entamé une discussion apparemment très intéressée avec ta nouvelle amie. Tu te rappelles ? Vous étiez comme les enfants. Y a que nous deux, le type et moi qui n'avions pas décroché un mot. On regardait les enfants, du moins, je faisais semblant. Du coin de l’œil j’observais le papa, le mari, l’homme. J’décrochais d’ailleurs un sourire bêtement, je savais pas d’où ce charmant couple venait mais sans chercher à en savoir plus, nous nous ressemblions. Ils étaient peut-être un peu plus jeunes, nous étions peut-être un peu plus vieux. Mais nos deux amours ramenaient des arcs-en-ciel dans les jours un peu pluvieux.

        Vous êtes ici pour longtemps ? Ah, et moi c’est Asen. Elle, Louise. Mon fils, Isaac.

        Le cigare qu’il y avait entre mon pouce et mon index rejoignait immédiatement ma bouche et ce qui en sortait ensuite, était un épais brouillard blanc. Un cigare qui a de la classe, la classe d’un ancien pirate qui est mort en légende… Barbe Blanche. Une de mes saveurs préférées.
          Je me rappelle encore. Le gars en face, c'était comme un miroir. Qui reflétait mon bonheur d'être avec toi. L'avait ce même sourire con aux bords des lèvres. Ces mêmes yeux brillants, heureux. Y'avait juste le mégot qu'était remplacé par le cigare, les frusques toutes propres qui faisaient place à ceux, salies, que j'avais. Toi, à côté, avec ta belle robe et ta jolie gueule, tu palabrais avec la mère, l'autre femme, comme de vieilles amies. Comme celles qui se retrouvent après dix ans sans s'être vues et qu'ont tant de choses à se dire qu'elle savent plus s'y arrêter. Nous, on osait pas vous arrêter. On mirait les gosses qui s'amusaient, on vous mirait belles que vous étiez, belle que t'es encore. Y'avait ton bras qui pendait, avec, au bout, ta clope d'accrochée à tes longs doigts fins. Comme si la fumée pouvait pas te toucher, comme si t'était trop belle pour ça.

          Vous êtes ici pour longtemps ? Ah, et moi c’est Asen. Elle, Louise. Mon fils, Isaac.

          J'ai répondu, sans trop savoir pourquoi, je t'ai présenté, j'ai présenté la gosse qu'était à courir partout avec son nouvel ami. Je me suis présenté. Il nous a demandé ce qu'on pouvais faire là. Je crois que t'aurais aimé nous inventer une jolie histoire, de celles où y'a un prince et une princesse. Et où l'or coule autant que l'amour. Mais j'avais pas la gueule pour ça, pas même les frusques. Alors j'ai dit la vérité. Celle qu'était pas tant jolie que ça mais où il y avait un toi et un moi. Et que ça nous avait toujours suffit. Je me rappelle encore. Tous les gus qui traversaient la place, j'avais comme cette foutue impression qu'ils se retournaient, à chaque fois. Qu'ils pouvaient pas s'empêcher d'admirer ce bonheur qu'était le notre. Qu'émanait de nous comme le plus beau des parfums. J'étais d'humeur à jouer de ces jolis mots, ce jour là. Y'avait le temps, l'espace, l'homme et les sentiments qui s'étaient réunis pour faire de ce moment l'un des plus simples de notre vie. Mais l'un des plus beaux. C'était l'un de ces moments où la bière avait goût d'or et le mégot une volupté de bonheur. A vrai dire, je me rappelle plus de nos discussions. Me souviens juste qu'il y avait des rires, des blancs, des longues palabres et de courtes phrases. Y'avait de tout et de rien, y'avait un joli mélange qui nous donnait le merveilleux.

          J'étais d'humeur ce jour là, à écouter l'homme en face parler de ses cigares, à lui répondre de la voix la plus intéressée. C'était de bon ton, naturel. C'était ce genre de discussion dont on se foutait mais qu'avait rien d'autre comme but. Rien d'autre qu'allonger ce temps de bonheur. Puis me suis rendu compte qu'on était peut être de trop. Y'avait ce mince filet qui s’effritait et que je voulais pas casser de mes gros doigts. Ce sourire que t'avais aux lèvres à jouer la dame, toute amusée que t'étais par l'autre, de dame. Oui, je crois bien que j'étais de trop. Alors me suis levé de ma chaise, j'ai zieuté le gars en face de moi que j'avais coupé au milieu de sa palabre.

          J'ai vu un bowling au coin de la rue. Ça te dirait, une partie ? Je peux te tutoyer ?

          Pis je t'ai regardé dans les yeux, me suis penché à ton cou pour te glisser deux mots. Y'avait ton parfum que je sentais. Tes cheveux qui me caressaient le visage. Ça dura pas plus d'une demi seconde. L'un de ces moments hors du temps que j'aimais. Qui comptaient pas. Qu'étaient rien que pour nous deux mais qu'étaient si courts, qu'ils gênaient personne.

          Et je suis parti.
            Je me rappelle encore. Nous nous étions levés pour aller vadrouiller entre homme et nous avions eu le même réflexe, voir les gosses. J’avais serré Isaac dans mes bras un temps tandis que lui avait déposé un baiser sur les joues de sa fille. Leurs rires faisaient battre mon cœur comme si je n’avais jamais connu ça auparavant. Le bonheur, le sentiment d’avoir réussi sa vie. Le sentiment que ces moments ne me seront jamais dérobé. Sur ce, j’étais parti presque à l’envers pour continuer à te regarder. Vous étiez belles, vos robes volaient et timidement, vous mettiez vos mains sur vos cuisses pour ne pas qu’on voit vos dessous. Les enfants et vous aviez l’air d’anges sortis de cette pourriture d’infectes. Tu étais unique. Ils pouvaient tout souillés sauf toi.

            Je regardais mon ami d’un jour ou peut-être plus si le temps le veut. Son regard était aussi pour sa femme, ta nouvelle meilleure confidente. Et comme moi, oui, tout comme moi, il savait que rien ne pourrait venir troubler ses sentiments. Car ils étaient purs, blancs de lumière et que celle-ci fait fuir les ténèbres. Un sourire venait décorer son visage. Le sourire de l’homme heureux bien loin de l’image qu’on peut se faire de lui à première vue. Chapeau, mégot, l’air strict. Derrière tout homme se cache un mari, comme on dit.

            Nous avions longtemps déambulé dans les rues de Logue Town à discuter sans se parler et à s’écouter sans s’entendre, n’osant pas déranger le son du silence. En vérité le bowling n’était pas très loin. Nous avions juste choisis de prendre notre temps puisque celui-ci passait lentement. C’était sans doute à cause de la chaleur des rayons du soleil qui tapaient sur chaque parcelle de nos corps, ralentissant chacun de nos mouvements. Ralentissant le temps. Il était comme figé et je sentais que bien qu’il ne s’était rien passé d’extraordinaire, ce serait une journée que je n’oublierai pas. Qu’elle serait gravée dans ma mémoire pour des siècles. Un homme a dit que la difficulté dans une vie banale, c’était de la rendre belle. Et c’est ce que nous avions accomplis ce jour-là.

            C’est le cigare à la bouche que j’entrais dans l’établissement. Nous avions longtemps attendu car c’était le seul bowling de la ville et qu’on était en été, les habitants et les touristes s’amusaient beaucoup. Au fond, j’aimais cette ville. Bien que sur les trottoirs il y ait toujours la même crasse, la même racaille, au-delà se trouvait de belles personnes. De belles rencontres à faire. C’est ce que tu disais quand je me plaignais, hein, que tu ne voulais pas t’y installé pour le mauvais mais pour le bon. Que tu savais ne pas accorder d’importance à ce que tu n’aimais pas. Et c’est ce que tu me reprochais. J’ai appris et maintenant je m’en satisfais.

            Perdu dans mes pensées et presque perdant dans la partie, c’est doucement que je reviens au score avec un piètre spare. Le coût des boissons me reviendrait si je ne gagnais pas. Au fond, il nous fallait juste un motif de compétition mais je doute qu’on y accordait réellement de l’importance, à celle-ci. Mais c’est fier et avec le sourire que je perdais, un score serré. J’ai donc demandé quelques bières et deux cognacs pour notre table. Nous ne trinquions pas mais étions heureux de ce que cette journée nous avait offert et allait nous offrir. Ça se voyait dans nos yeux.

            Tu te rappelles ? J'étais tout sourire alors que tu m'avais remis une branlée, l'effet de l'alcool. Les minettes de la boite nous regardait comme si nous étions des amis de longues dates. T'avais pas retiré ton chapeau pour lancer la boule puis t'as glissé, il s'est dévissé de ta tête et ça m'a fait bizarre parce que j'avais l'impression d'être en face d'un autre pote. J'avais réussi à foutre un strike ! Mais chez les voisins. On avait rigolé jusqu'à étouffer. Puis on était allé dévalisé la table d'amuse-gueule que l'établissement proposait mais on nous disait rien, bien trop serein. On faisait. On faisait le plus normalement du monde. On était si humain, l'ami.
              Un homme avait osé dire que nos souvenirs étaient notre richesse. Un autre, bien plus tard avait affirmé qu'ils étaient des bijoux perdus. Devons-nous donc croire que nous ne sommes que de pauvres héritiers ? On était si humain, l'ami... Dans un monde où on ne fait que se lamenter du chaos qui règne, où on ne fait que faussement plaisanter, que timidement sourire, je pense que posséder des souvenirs, se rappeler, nous redonne cette humanité perdue alors. Un instant. Le temps que le rêve recommence, que le film tourne. Un instant. Le temps que nos yeux se ferment, que notre mâchoire se presse. Rien qu'un instant et nous redevenons les humains que nous avions été... Et vous apprécierez la chaleur de la vie qui gît en vous comme si vous redeveniez nourrisson, que vous reveniez au point de départ. Vous n'oublierez jamais car les souvenirs oubliés ne sont pas perdus. Ils incarnent le revers de nos espoirs, ils ne sont constitués rien que bonheur. Je me rappelle. Et jamais je ne souhaiterais me rappeler qu'un jour je me suis rappelé...

              Les souvenirs font la vie et la vie fait les souvenirs. Car le jour où nous serons véritablement morts sera uniquement quand vous n'aurez plus souvenir de nous.