[Solo] Le poids des mots

Siiiiiissssssssiiiiiii fuiiiiiiiiiiiiiouuuu kk kkk KBOUM, KBOUM, KBOUUUUUM…. !!!

Ça, c’est du feu d’artifice ! Ça pète et ça éblouit le ciel par un concert de lumières multicolores. Un spectacle pyrotechnique qui en jette plein la vue sur la cohorte de gens en ville braquant les yeux vers le ciel. Marquant l’ouverture de la grande fête nationale. De là où j’suis, c’est-à-dire à 100 mètres de la zone urbaine, je peux voir la plèbe festoyer dans un brouhaha festival qui a lieu sur la grande place de Bliss. Difficile de distinguer ce que les civils font exactement, une chose est certaine ils s’éclatent comme des gosses enfermer dans un magasin d’jouet. Moi dans tout ça, je profite de mon jour de congé payé en m’relaxant ici, allongé de dos, bras croisé derrière ma tête et les yeux plongés dans ce ciel étoilé. Les endroits et autres lieux loin du capharnaüm de la civilisation restent mes destinations favorites, loin de l’agitation du monde extérieur. Et puis je risque de gêner tout ce p’tit monde, là-bas, si je devais me joindre à eux. Ça tombe très bien en plus puisque je m’relaxe en pleine période d’été ! La nuit est chaude, limite torride, si bien que j’ai retiré mon blouson de marine pour m’en service comme repose-tête. Quant à mon fourreau, je l’ai entreposé sur ma droite, sans m’inquiéter que quelqu’un s’en empare. Après tout, quel genre d’humain serait assez fou pour voler une arme de géant alors qu’il y a mieux à convoiter ? J’glisse une main dans la poche de mon jean pour en ressortir un vieux cigare gros comme mon majeur. Offert généreusement par un confrère après l’avoir aidé dans une tâche manuelle. Et mon briquet artisanal rouillé à 90% par les ravages du temps. Il a beau sentir l’vécu, ça fait 70 ans qu’il me sert et jamais il n’a clamsé. Sckliak !

Jusqu’à maintenant……..

- Rest in piece !

Ça c'est dit ! Après quoi j’le jette par-derrière, assez loin d’ici avant d’ranger mon cigare là où il était. J’pousse un soupir agacé. Grrr, j’vais devoir m’contenter de rien pour cette nuit et ça, ça m’tape sur les nerfs !

C'est là que j'entends des bruits d'pas qui se rapprochent. J'pivote ma tête vers ma gauche. Ça alors, Je ne m'attendais pas à l'voir ici celui-là ! Le type sur mon champ d'vision n'est d'autres qu'une vieille connaissance. Marc Slayton. Il fut un temps où cette octogénaire, fichtrement bien conservée d'ailleurs, était mon plus grand rival. Le vieux marine retraité avait une haine farouche envers les chasseurs de primes. Même si la marine tolérait plus ou moins leurs aides, lui en revanche il ne les tolérait pas. Il se mettait toujours en travers de ma route et nos rencontres se soldaient généralement par des combats que j'remportais haut la main, sans vouloir le tuer pour autant. Je n'voulais surtout pas avoir mon blase sur une affiche de prime ! Et pourtant, cette tête de mule n'a pas cessé de m'pourchasser en sillonnant les mers. Sa détermination à vouloir me mettre derrière les barreaux personnellement était une lubie chez lui, pire qu'une obsession, à tel point qu'il mettait au placard tous les autres chasseurs de primes qu'il chassait ! On peut donc dire que ce fut une longue histoire d'amour entre nous deux ! Puis au fils des décennies qui suivirent, sa haine s'atténuait et nos combats furent moins fréquents jusqu'à ce qu'il tire un trait sur tout ça en 1600. À vu d'oeil, on voit clairement qu'il transpire la sévérité avec son faciès rustre accentué par sa moustache, ses rides ainsi que quelques cicatrices sur sa trogne. Avec sa stature robuste montrant qu'il a encore d'la ressource à revendre, il a l'profil du vétéran d'la guerre ! Et le pire dans tout ça c'est que s'en ai un ! Un sergent d'élite comme moi pour être plus précis. Avant la mort de Shira, ce fut la deuxième personne en qui j'avais le plus confiance. Le seul qu'ami que j'ai sur terre depuis que ma première bouffée d'air !

L’ami par excellence !

Spoiler:

- J’vois qu’tu n’as pas changé depuis tout c’temps, Jormungard !? Toujours aussi associale qu’avant !
- Et toi t’es toujours aussi casse-burette avec tes questions à la mords-moi-le-nœud, hein Slayton !?
- Ha ha ha ha ! Aaah ça pour sûr que les habitudes ne changent pas ! Ça fait combien d’temps déjà qu’on ne s'est plus rencontrés ?
- 45 ans !
- Et bah ! Y a de l’eau qui a coulé depuis………..

En guise de retrouvailles, je lui tends mon p’tit doigt pour qu’il le serre comme pour une poignée de main, puis il s’installe en tailleur à mes côtés.

- Sinon, qu’est-ce que tu fous ici ? Toi aussi t’en a marre de la vie en ville ?
- Non, j’étais en route vers le cimetière situé au large des côtés, pour faire mon deuil à mes anciens camarades morts au combat il y a 10 ans. Lors d’un assaut sur un navire-pirate.
- Toutes mes condoléances l’ami……
- Merci mon grand. Et toi, quel bon vent t’emmène ici ?
- Bof ! Rien d’particulier ! J’passe juste mes vacances de congé ici pour m’détendre.
- De congé tu dis !? Mais……tu n’es plus chasseur de prime !?
- Yeap ! Je me suis enrôlé d’mon plein grès dans la marine d’élite.
- Noooon ! Tu m’fais marcher……..
- Si si je t’assure ! Regarde par toi-même !

J’redresse légèrement mon torse puis j’retourne mon blouson d’officier avec les galons de sergent d’élite sur les épaulettes en guise de preuve. De suite, le Marc fixe mes galons les yeux grands ouverts et la bouche entrouverte, puis il m’regarde avec sa tête d’ahuri.

- Depuis quand ?
- Depuis l’mois d’janvier.
- Je vois cela. Mais qu’est-ce qui t’a poussé à rejoindre la marine comme ça ? Moi-même qui t’connais depuis 45 ans je n’aurais jamais cru qu’un jour tu t’enrôlerais dans la marine !
- C’est très compliqué à t’expliquer et chuis pas d’attaque à t’déballer le tableau. J’peux juste te dire que c’est par une promesse juré à un être cher décédé. Voilà !
- Dans ce cas il va falloir que tu te montres plus ouvert avec les autres, Jormungard. Même dans la marine d’élite, nos confrères doivent savoir se montrer sociables.
- Muum…..Ça ne va pas….
- Oui je sais ce que tu vas m’dire ! Que ne t’es pas du genre à aller vers les autres et encore moins de vouloir t’faire des amis sur qui compter, j’te connais assez bien pour l’savoir. Sauf que tôt ou tard, tu tomberas dans une merde si profonde qu’il te faudra l’aide de quelqu’un pour t’en sortir ! Même si tu es très doué pour te sortir des pires situations imaginables.
- C’est ça, pour ensuite les perdre lorsqu’ils mourront d’vieillesse et être de nouveau seul tout en n’ayant pas changé d ‘un poil !? NON !!! Plutôt crever que d’subir ça une nouvelle fois !
- Pourtant tu as bien moi comme ami, non ?
- Ouais, mais ça c’était avant que j’apprenne, un an plus tôt, que je pouvais vivre plus de trois siècles ! Avant ça je n’le savais même pas ! Et quand on sait que rares sont les humains centenaires, ça m’donne pas envie d’voir des êtres chers disparaitre les uns après les autres ! J’incline ma tête vers le ciel, ce qui fait que les ombres de mes cheveux cachent la moitié d’ma figure. J’en ai déjà fait l’expérience une fois, ça m’a déjà bien suffi…….
- Je comprends ce que tu veux dire par là…….

Ggggggzzzzzzzzzzz….. KBOUM

Une belle bleue illumine le manteau de nuit que j’détourne du regard vers Marc, en train d'sortir un cigare dans la poche interne de son veston, et pas n’importe lequel : un cigare Portgas. Je le reconnais facilement grâce aux motifs de l’étiquette enroulée dessus que j’ai déjà vue auparavant. Il sort une boite d’allumettes puis il allume son mégot avec une allumette. Je vois qu’il prend toujours son temps pour tirer sa latte avant d’cracher la fumée dans un panache blanchâtre.

- Mais crois-moi………S’il existe une souffrance pire que celle de perdre un être cher, c’est bien celle que peut engendrer ce vide qui nous ronge notre âme. Un vide que ni l’honneur, ni la richesse et encore moins la soif d’aventures ne sauront combler. Je sais de quoi je parle puisque je suis en train d'en subir les conséquences vivre ici et maintenant……….

Une souffrance pire que la perte d'un être chère dit-il ? Après c'que j'ai ressenti par la perte de Shira, j'ai un peu d'mal à y croire. Comment cela peut bien être pire !? Ça fait pas longtemps que j'me suis remis d'mon deuil pour la mort de mon amour, soit un an, et pourtant je ressens encore cette souffrance occasionnée par sa perte, bien qu'elle soit légère. Par Crom, c'est insupportable ! Pour moi il n'y a pas de doute là-dessus : vivre toute sa vie en tant que loup solitaire ne peut pas être pire ! Et pourtant j'ai comme l'impression qu'il est dans le vrai, malgré cette abnégation. Slayton est quelqu'un de très sage, limite un érudit. Bon nombre de ses conseils mon sauvé la mise plus d'une fois, sans quoi je serais mort depuis fort longtemps. Donc si ce qu'il dit est vrai, je veux en avoir le coeur net ! Alors j'abaisse mon regard pour porter toute mon attention sur lui, quittant ma posture allongée pour m'asseoir en tailleur.

- Et pourrais-je en savoir un peu plus sur ce « vide » qui te ronge ? Que je sache à quoi j’ai affaire ?

J’attends que l’vieux bougre tire sa grosse latte avant d’entrouvrir ses lèvres charnues pour y sortir les premiers mots d’une question existentielle cruciale.

- Qu’on le veuille ou non, l’humain est et restera toujours un être sociable qui ne pourra jamais vivre une vie de solitude, coupée de tous, sans y laisser la raison et encaisser jour et nuit ce poids infernal qui s’appelle le remord. Le remord d’apprendre que l’on a gâché sa vie dans tous les sens du terme en croyant que la solitude est l’épouse idéale, qu’elle te promet de n’jamais te décevoir, alors qu’elle t’aura trompé pendant tout ce temps et te l’fera savoir qu’aux derniers instants de ta vie. Le remord de n’avoir pas quelqu’un avec qui partager tes peines, tes joies, ton expérience, tes conseils. Le remord d’avoir raté de belles opportunités que la vie ta offert, mais que tu as rejeté d’un revers de la main par lâcheté.

Il fait une pause pour cracher un beau rond d’fumée vers la pleine lune.

- La solitude est une garce froide comme un iceberg, inflexible comme l’acier et plus vicieuse qu’un serpent. Même une pierre tombale à plus de chaleur. Humain, géant, homme-poisson, personne n’est à l’abri. Même les animaux, les poissons et les insectes entretiennent des relations sociables, certes sous des formes différentes, mais des relations quand même ! Cet amour pour la solitude me poussait à refuser l’amour réel, à m’isoler puisque tout était périssable. La vérité était pourtant devant mes yeux, mais j’avais trop pris l’habitude de me fier qu’à mon jugement que je voulais être, non que je savais être le meilleur puisque personne ne savait m’en montrer le contraire. Le fait est…que ce qui donne le piment à la vie, c’est le monde qui nous entoure et les surprises qu’il est capable de nous prodiguer et ces merveilles ne peuvent venir que de l’autre car lui seul peur nous montrer combien nous nous trompons.

J’aperçois un sourire énigmatique qui se dessine sur un coin d’ses lèvres.

- L’Amour réel, celui que l’on porte à nos amis, est une chose qui te place sur une autre perception de la vie : tu n’es pas ce que tu es, tu es ce que tu deviens dans le regard de l’autre ! L’Amour, c’est le meilleur remède contre la lassitude monotone de la solitude parce que c’est la plus douce des souffrances. La souffrance est une affliction qui te garde humain…Et perfectible. Capable d’erreur et donc d’évoluer. C’est l’Amour qui te permettra d’avoir un autre point de vue et de t’ouvrir à une autre vision des autres. Tu serais bien sot de ne pas l’accepter, de ne pas le prendre parce qu’il ne se prend pas de force. C’est la seule chose qui, avec l'Amitié, se donnent et que la mort ne reprend pas…pas même celle de l’autre. Je te le dis ! L’Amour est la seule forme d’immortalité qui existe et qui en vaut la peine. C’est ce qui nous permet à nous autres de ne pas sombrer dans le chaos, nous vivons à travers notre amour, même si le physique est éteint, ces sentiments eux ne disparaissent pas, ils sont un tout indestructible. Le temps s’écoule si rapidement, ne peux-tu pas mettre en de côté ton orgueil au placard et vivre cet Amour pour ce qu’il est : une chance, un DON !? Déjà en tracer la fin et l’après avant d’en avoir vécu les plus belles lignes, tu finis par te saborder tout seul, Jormungard. Je sais parfaitement de quoi j’parle !

Puis il pousse un long soupir mélancolique avant d’pencher sa tête vers le sol.

- Il m’a fallu attendre longtemps avant d’comprendre le poids que pèsent ces mots. Seulement voilà, je n’peux pas retourner en arrière pour corriger cette erreur et cela me dégoute au plus haut point ! Résultat des courses, je récolte ce que j’ai semé : c’est-à-dire du vide. De la mort……..
- ………….

Saloperie d’bordel d’nom de dieu…….J’en reste scotché sur le cul ! Ses paroles sont d’une profondeur, mais d’une force....C’est la première fois que j’entends Slayton sortir des mots d’une telle sagesse ! J’en reste sans voix à tel point que je n’sais même pas quoi lui répondre. Pour du lourd, c’est du lourd ! D’habitude j’ai du mal à suivre de longues conversations, mais exceptionnellement j’ai tout suivi jusqu’au bout ! Bien inscrit dans mes neurones au fer rouge ! Finalement je compte bien méditer sur ses paroles et, peut-être, mettre un terme à cette vie de loup solitaire. Mais ça, plus facile à dire qu’à faire quand on a fait cavalier seul pendant plus de 70 ans ! Je n’peux pas changer ce trait d’ma personnalité du jour au lendemain ! Il m’faut du temps et beaucoup d’réflexions pour changer cette habitude !

Je dois l’faire progressivement, à mon rythme.

- Message reçu……Je tâcherais d’y réfléchir…….Ca va prendre un peu de temps, mais je prends note de tes conseilles.
- Content que cela te plaise, mon ami. Tu m’remercieras plus tard. Il se relève. Sur ceux je dois te laisser.
- Tu t’en vas déjà !? Où vas-tu !?
- Je vais à la tombe. La voix qui m’appelle est plus séduisante que le chant des sirènes.
- Euuh….Okay.

J’dis ça, mais j’sais même pas où il veut en venir. Oh et puis zut, je m’en branle complètement ! Au lieu de cela je médite plutôt sur son laïus sur l’amour et l’amitié sans même prêter attention à Marc qui trace son chemin. J’remarque aussi que les feux d’artifice se sont arrêtes.

- Au fait, je sais que tu n’es plus un chasseur de prime, mais est-ce que j’peux te demander un service en hommage du bon vieux temps ?
- Bien sûr ! Quoi donc ?
- Il y a un wotan qui traine généralement à Las camp et que j’aimerais voir pourrir en taule pour le restant d’sa vie. Bwarf Grosseclaque. C’est lui le principal responsable de la mort de tous mes vieux camarades et ami d’enfance, il y a 10 ans. Pourrais-tu l’mettre sur les barreaux pour moi ?
- Avec grand plaisir !
- T’es un bon gars. Je suis heureux de t’avoir rencontré une dernière fois.

Je n’ai pas hésité à accepter et je ne l’regrette pas ! Au même moment, j’inhale une fumée venant de ma droite et qui provient du cigare Portgas non fini, posé sur l’herbe. Ma parole il est fou ou quoi !? Gaspiller un cigare de pure qualité est un crime grave à mes yeux ! La suite est très simple, je ramasse le cigare au sol puis j’fais volte-face derrière moi pour…….

- Marc !? MAAARC !!!?

J’hallucine, il a disparu !!? J’me redresse brusquement sur mes cannes et j’balaye la plaine du regard, à la recherche d’mon vieil ami ! Putain je n’arrive pas à bien voir malgré la luminosité de la lune et les lumières de la ville ! ENVOLER ! Il s’est littéralement envolé le salaud ! Il n’a quand même pas pu rejoindre subitement le cimetière, c’est impossible ! Il y a encore une trotte à faire avant d’arriver là-bas et Marc n’est pas l’genre d’homme à être pressé ! Encore moins quand il s’agit de faire des blagues douteuses ! Par le Saint Prépuce de Crom, j’deviens fou ou quoi !? Aurais-je discuté avec le Fantôme de Marc !? C’est impossible, sinon je n’aurais pas son cigare en main !

Par saint Couillebeau, faut que j’aille dormir moi ! Je m’sens un peu patraque tout d’un coup.