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Première Epoque: L'Enfant seul caché sous le matelas du monde.

Ca y est, me voici seul.

Si seul et seul enfin. Et libre encore, libre de tout.

Seul à nouveau mais sans aucune contrainte. Ni mur ni noir, ni silence.

Mon mal de mer est passé comme je m’éloignais de l’Usage Modéré. Comme je m’éloignais de tout ce qui peut peser sur la conscience d’un homme. L’enfer des autres, le confinement avec eux sur une petite surface, les enfants. Allongé dans ma chaloupe qui va je ne sais pas où, je savoure l’instant, cet instant où le temps passe mais où rien n’a d’importance. Depuis combien de vies est-ce que je n’ai pas connu ça ?

Les journaux des hommes de Red mentionnaient 1625. Quelques longs mois d’isolement et tant de choses arrivées dans le monde. La tempête à Drum, celle du procès Arashibourei. Des vestiges d’un passé qui remontent à la surface, sans faire plus qu’éclore à la surface de ma conscience comme les bulles d’un nageur remontent et éclatent quand elles quittent l’eau. L’eau qui berce, qui berce mon sommeil depuis mon départ. Tantôt calme, tantôt houleuse, jamais trop, elle m’a donné des nuits de total repos, les premières depuis… depuis longtemps aussi, depuis sans doute ce moment chez l’ermite et sa chienne.

D’une rame j’ai élevé un mât et de la bâche qui permet de couvrir la chaloupe j’ai fait une voile. Quand j’ai envie je les installe au vent, calé entre les barils d’eau douce et attachées comme c’est possible avec les quelques bouts emportés en vrac au milieu du reste. Ça m’emmène sur quelques lieues, jusqu’à ce que je me lasse et les mette bas. Parfois je repasse à la souquée, et plus souvent je me laisse porter par le remous. Peu d’efforts, assez pour garder mes forces, trop peu pour m’épuiser et être en carence.

La nourriture passe de mieux en mieux, je me suis même pris à pêcher l’autre jour, hier. Ou avant-hier ? L’eau quant à elle, la douce, commence à baisser. La rosée de l’aube condensée sur la toile en entonnoir ne suffit plus à compenser ce que je bois en journée. Et parfois, parfois je crois bien que je pourrais apprécier une petite gorgée qui serait plus relevée. Du frais, aussi, je crois bien que j’apprécierais. Fruits, légumes, viandes. Le séché me ponce les molaires mais mes canines s’ennuient, me grattent la gencive. Heureusement qu’il y a le poisson.

Et malgré ce rythme de paradis ma cuisse ne guérit pas, pas complètement. La plaie s’est refermée, il n’y a plus qu’une cicatrice comme j’en ai vu tant, comme j’en ai quelques-unes. Mais la douleur persiste, lancine, et dès que je contracte les jambes pour ramer ou au contraire les allonge pour arpenter les six toises de mon royaume, je sens le muscle et l’artère qui sonnent l’alarme. Je n’aimerai pas boiter, je ne suis pas sûr que ça m’aille bien.

Au début je croyais que ça me servirait au moins à prévoir le mauvais temps… Même pas. Il n’y a pas encore eu de tempête mais il a fait une fois humide et sombre alors que je passais juste en lisière d’orage, et c’était venu sans que rien ne s’agite pour une fois dans ma jambe. Pas un nerf excité, pas un tendon énervé, rien.

De temps en temps je me dis que peut-être c’est à cause d’Izya que j’ai laissée derrière. Dans ces moments je regarde ma main là où je l’ai marquée avant de focaliser mon attention sur l’immensité qui m’entoure. Comme je la sens au travers de tout ce loin, je me fais à l’idée que ce n’est pas ça et qu’il y a autre chose que j’ignore. Des plans tirés pour moi, par-dessus moi ou par-dessous, ici ou là-bas, des plans d’envergure comme avant.

Dans ces moments je fixe un point précis du paysage. Un crêt qui reste comme figé sur les vagues, une tache d’écume sur laquelle je travaille ma vue, un brin d’algue emporté par un courant précieux, un nuage amusant ou pas dans le ciel. J’en fais une étoile dans la nuit de ma solitude, et je suis contenté. Tous ces points inventés, ils sont aussi peu tangibles que mes objectifs si j’en ai. Ce sont peut-être d’autres rejetons de la lignée Tahgel, peut-être les endroits où je réapparaîtrai dans le monde des hommes, et peut-être pas. Pourtant ils sont là au loin, je les vois, je peux construire ce que je veux autour dans mon esprit. Ils existent.

Je ne deviens pas fou, j’ai même l’âme étrangement sereine.

Les seules voix que j’entends sont les mille qu’empruntent le vent, parfois celle d’un poisson volant qui plane un peu trop longtemps pour sa survie. Une fois, même, je pense bien que des dauphins m’ont suivi une partie de la nuit. Le reste du temps, le soleil ou la lune m’accompagnent et me regardent renaître depuis leurs trônes. A leur côté, sans doute une déesse ou l’autre, qui cherche à m’atteindre des ses œillades.
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Je suis bien.

Ici l’absurdité sociale n’a pas place, je ne suis que moi-même, cette bête poilue qui sait flotter sur le grand désert humide. Je n’ai croisé aucun navire, aucune voile, aucun gros point noir à l’horizon depuis mon départ. Et je sais qu’un moi viendra qui me remplacera un jour et qui voudra de la compagnie, mais pour l’heure je suis encore satisfait. Dans l’esseulement il y a cette tranquillité à ne pouvoir compter sur qui que ce soit, à ne faire de reproche à personne, à ne rien avoir à envier. Il y a juste le clair qui revient avec l’aurore et le gris profond qui tombe avec la nuit. Il y a juste le froid humide de l’obscurité et le chaud parfois sec de la journée.

Les mêmes fondements et les seuls qui soient restés les mêmes depuis le début de tout. Le jour, la nuit. Les hommes que j’ai tués devaient les affronter l’un et l’autre comme je le dois. Et leurs parents et mes parents aussi, et les tout premiers parents de toutes nos races dégénérées de même. Le jour, la nuit par-delà l’eau.

Plus je m’enfonce dans ce bien-être qui finira comme tout, plus je regrette de n’avoir pas amené Izya avec moi. Mais ni elle ni moi n’aurions été seuls et ni elle ni moi n’aurions donc pu ressentir ce que je ressens. Je crois que c’est seulement une trace d’un début d’ennui. Je me dis que j’aurais pu parler à quelqu’un qui m’aurait accompagné, sans pour autant en être au point où je parlerais tout seul. Parfois je chantonne malgré tout un petit air qui me revient des abysses, invité par les ombres qui dansent sous l’onde au plein zénith.

And go to Fiddlers' Green…

C’est plus parce qu’ils me viennent que pour entendre une voix humaine. Des petits airs pas toujours très joyeux, joyeux sans l’être comme celui de ce soldat qui s’envoie au nirvana face à l’adversité. Je l’ai été un jour, soldat. Et ce soldat en particulier, je l’ai aussi été. L’adversité, j’ai fui devant elle. Je n’en pense plus grand-chose, je ne sais même pas si je saurais manier encore une lame. Je n’ai pas honte non plus, honte de quoi ?

Le monde n’a pas pris meilleure allure depuis que je l’ai quitté pour y revenir. Une autre raison pour laquelle ma fille est bien là où elle est. Loin de moi. Red n’est pas le plus gai pinson que je connaisse, m’est avis, mais mieux vaut pour elle son chant cassé de rossignol devenu corbeau que mes idéaux subversifs. Les miens sont courus par des dangers de tous bords, les siens à lui sont plus du genre à protéger la veuve et l’orpheline.

J’ai essuyé ma première tempête, je ne sais pas si c’est signe de changements venus ou à venir. La rame qui servait de mât s’est brisée comme une herbe morte, je n’en ai plus qu’une en état de marche. La bonne nouvelle, c’est que j’ai pu brûler les deux morceaux de l’autre et me réchauffer de nuit pour la première fois depuis une éternité. Les flammes n’ont pas duré mais elles étaient les bienvenues.

Autant j’apprécie la rudesse d’un fond de chaloupe aménagé du minimum, autant l’humidité pénétrante des nuits les moins claires n’est pas ce que je préfère. L’eau s’infiltre et stagne dans les moindres fibres, quelle que soit la protection. Cuir ou laine ou toile de voile, rien ne l’arrête et rien n’arrête le froid avec elle. Enfin. Ne manque plus que la terre et j’aurai parcouru la quadrature des éléments.

Heureusement aussi que je prends la précaution de m’attacher à la barque le soir, j’ai failli passer par-dessus bord pendant l’ouragan. Je préfère encore boiter à couler à pic, je pense bien. Mais rien que les bottes remplies jusqu’au mollet m’ont rappelé les désagréables sensations de quand j’ai envoyé Kindachi et Red deux fois par le fond. Il a fallu que j’écope jusqu’à la fin des averses pour ne pas prendre de bain complet et mortel vu le contexte. Au réveil, le même calme quotidien était revenu sur les eaux encore vertes.

Quelques poissons morts flottaient autour de mon preux navire, haut destrier des mers agitées. Je n’ai pas su décoder le signe, si c’était bon ou mauvais augure. Ils étaient mangeables, c’est tout ce que je sais. Et comme c’était une aubaine, j’ai fait du stock autant que j’avais rempli les barils de pluie plus tôt. Peut-être bien que j’ai atteint mon Fiddler’s Green à moi, peut-être bien que j’ai atteint le point de non-retour où l’âme se détache du corps pour apprendre la voie. Ce que me disait ce moine de l’école de la septième cascade, revenu dans ma mémoire depuis je ne sais quel coin sombre où je l’avais enfermé.

Le bois a séché sous mes pieds depuis ce matin, j’enlève mes bottes et savoure un plaisir ancestral. Le tabac grille mes lèvres, le soleil ma peau brunie, l’air mes axones ouverts au monde. Je me sens vivant.


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Je m’ennuie.

Temps que le temps s’arrête de nouveau pour mieux repartir. J’ai remonté le mât avec l’aviron restant et la voile claque avec énergie. Le bruit de l’air qui se déplace est une douce caresse à mes oreilles. Direction, Jack. J’ai mis mon dévolu sur lui car j’ai cru lire parmi les nouvelles qu’il aurait loué contre intérêt ses poings velus au gouvernement mondial. Je n’ai pas grand avis sur la question mais c’est un des points que je discerne le mieux malgré la distance avec Izya et Rimbau. Et puis il paraît tellement loin que c’est plus pour fixer un cap que dans l’idée de vraiment le rejoindre, il y aura forcément une terre sur ma route vers lui.

Je suis passé depuis quelques temps déjà dans une zone de hautes profondeurs, à survoler un flot encore plus sombre et sourd que précédemment. Le carré de tissu bruni, troué, effiloché, me tracte droit vers le cœur de cette zone, je le sens comme je sens ma cuisse être piquée par mille morceaux de verre pilé alors que je vais chercher ce godet à siroter autour d’un de ces derniers biscuits secs. Je n’ai pas tenu le compte des levers et couchers de soleil depuis la mise à l’eau mais, à en juger par ma barbe et le reste de nourriture, j’ai assez savouré la paix dans le monde. Je pourrais à nouveau m’y confronter. Peut-être qu’il le faut.

J’espère juste ne pas avoir à regretter le canon de vingt-quatre livres qui normalement équipe cette chaloupe.
La tempête de l’autre jour n’était rien, comparé à ce qui se profile à l’horizon. Est-ce qu’il y a bien un horizon, d’ailleurs, au milieu de ce gris verdâtre qui m’entoure de tous côtés ? J’en doute quand le crachin entame sa nouvelle opération d’humidification massive. Comme toujours, deux choix s’offrent à moi. Tomber la voilure et le mât pour avoir moins de prise au vent et limiter les risques de retournement. Garder la voilure en espérant avancer assez vite pour gagner en stabilité et éviter le retournement. Vu l’air chaud qui envahit ma zone, je choisis la seconde. C’est une bonne idée au début quand la houle devient forte mais pas trop.

Les trombes d’eau s’abattent de gauche et de droite mais sans pouvoir assommer la chaloupe ni du coup la remplir. La température en profite par contre pour baisser et l’air et les tissus s’alourdissent d’un coup. L’orage s’en mêle et le tonnerre tonne, zèbre le ciel et frappe la mer qui se fait électrique et blanche dans le noir qui s’est abattu. Persistance rétinienne et vision obstruée, je ne vois pas à dix pas et ce que je vois mes yeux l’inventent à moitié. Des ombres qui se découpent devant moi et autour entre deux rais d’écume fluorescents. Les dauphins sont de retour et ils essaient de me guider à en croire leur manège. Reste à savoir si c’est vers un piège parce que leur harde est carnivore ou si c’est pour me sortir du pétrin. Je vais pour les suivre.

Mais la rame casse encore et la voile s’envole en faisant décoller l’avant de la barque. Elle manque se retourner sur la longueur mais j’ai la vivacité de l’homme qui se bat pour sa survie. Je connais ça. D’un saut qui m’arrache un cri que la vague d’à-côté n’entend pas, je suis à la proue et je souffle un peu. J’ai tout perdu sauf l’avant de la rame et je n’ai plus le choix que de pagayer un peu pour atteindre une aire plus confortable. Dans la purée de pois, c’est du désastre alors je décide de continuer à suivre Jack et ses mauvaises voies, pour avoir une bonne raison de lui en vouloir en le retrouvant quand je le retrouverai. Ça ne manque pas, c’est dans l’œil du cyclone que je m’engouffre, ou plutôt que je suis engouffré par les vents diluviens.

Au milieu de l’œil, un iris de mer orange comme si le fond marin luisait du sang d’épaves accumulées ici depuis les lustres que l’endroit doit faire des ravages. Sans même que mon empathie ait eu besoin de se dégourdir les chakras pour m’annoncer la suite, je sais ce qui vient. Comme dans tout œil au centre de l’iris il y a la pupille, ce bloc de noirs récifs meurtriers autour desquels les airs déments se montent en neige pour faire la tornade qui m’a happé. Oui, les bourrasques sont moins violentes ici mais elles sont par contre plus régulières dans l’effort et n’ont ainsi aucun mal pour faire léviter ma coque de noix et l’amener à la hauteur impressionnante de plus de deux pieds au-dessus du niveau de la mer. Que ce soit deux ou trente, le résultat sera le même : vu le travail sur la structure du bois, je ne suis plus qu’un noyé en sursis. Dès que je retomberai, les planches cèderont.

Les éléments luttent et je ne suis déjà plus conscient. Balayé par les lames et écrasé contre les rocs je n’ai plus mon mot à dire et seules restent à s’affronter ma chance, qui veut mon bonheur, et ma bonne fée, qui veut ma vie tranquille. Pour l’une je devrais rejoindre le vrai monde plutôt que de me prélasser dans ma tour d’ivoire faite de haute mer déserte, quand l’autre aurait voulu que je ne quitte jamais ce Fiddler’s Green dont je viens. Mais l’important c’est qu’ici et maintenant je dois survivre. Et après il y aura des occasions pour décider de quelle direction prendre. Jack ou ailleurs. Il faut qu’elles se mettent d’accord l’une et l’autre.

Quand les débris du canot s’abattent sur mon crâne solide, concassés par les vagues, je crois qu’on est bons.


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Je me réveille sur un sable sec qui me râpe la peau sous mes vêtements. Etonnamment ils ne sont pas trop déchirés, mais je suis bien débraillé quand même. Je me relève doucement, dos baissé comme un vieillard qui soignerait son hernie. Ma cuisse droite est comme tétanisée, je dois faire le gymnaste en colère pour retrouver la position verticale sans laquelle je ne serai pas en mesure d’apprécier toute l’étendue de ma misère. Et une fois debout mon sang reprend peu à peu ma situation, je remets ma chemise encore humide dans mon pantalon pour être présentable, je vide mes bottes et essore mon manteau.

Le gros temps ne m’a pas tellement déporté au final et je n’ai pas quitté les récifs. Ils sont là-bas à quelques encablures de pleine terre, je reconnais notamment celui qui m’a attaqué le bas-ventre alors que j’étais déjà en délicate situation. Leur teinte sous le soleil a viré au gris-vert de la roche tachetée de mousse. Je les drape d’un peu d’eau de mer dans mon esprit et les voilà noirs de nouveau. Ce sont les bons, et moi je suis coincé ici, direction Jack mais sans barque. Les bois morts qui la structuraient sont alanguis en ordre un peu divers sur la plage tout autour. Une belle plage toute jaune qui chauffe. La zone creuse du cyclone était noyée sous les eaux hier mais il n’en est plus rien aujourd’hui. Aujourd’hui j’ai besoin d’ombre, d’eau, et de construire un radeau pour la prochaine tempête qui rendra l’endroit probablement encore aussi inhabitable qu’hier.

Sacrés dauphins.

L’ombre, je la trouve en rassemblant les morceaux de l’épave et en en tirant sur les rochers une cahute informe mais à la toiture étanche aux rayons solaires. Ça me prend bien jusqu’au zénith tellement le sable est traître et les distances importantes. Plus importantes que je ne croyais, la plage doit bien faire une lieue de circonférence. Ma vue est meilleure qu’avant la prison, je crois bien. Je vois ce qui est à deux cents pas comme si c’était à cent.
J’ai l’œil enthousiaste à cette nouvelle liberté.

Pour l’eau, la nature est une catin bien faite. Sous les rochers en érigeant mon abri d’infortune, j’ai trouvé une source, un mince filet d’eau venu des profondeurs j’imagine, pure comme de la neige et juste assez fraîche pour que chaque goulée prise soit un plaisir. J’ai hésité à sacrifier une botte pour m’en faire une outre, mais j’ai retrouvé assez de morceaux de toile à voile dans les décombres pour en bricoler une dedans. Le liquide n’y reste pas indéfiniment mais il filtre assez lentement au travers pour que j’aie le temps de me balader tout autour de l’îlot, car c’en est un, avant d’être à sec. Ça me sera utile les jours qui viennent.

Et pour le radeau… Jusqu’au soir mes recherches sont peine perdue et mon imagination pourtant fertile bute sur le principal obstacle. Il n’y a de toute évidence aucune végétation ici hors les algues flasques qui pendent des rochers et parfois sur le sable, du coup ma seule option consisterait à essayer de bricoler un quelque chose avec les morceaux déjà utilisés pour le toit. Problème, ils sont trop amochés pour ça, bien trop petits, bien trop fins, bien trop éclatés. Et puis je n’ai aucun moyen de les lier à part en m’amusant à couper mes frusques en lanières qui ne résisteront pas aux assauts d’une mer trop violente. Je suis coincé ici.

Coincé et attendu au tournant, encerclé. Une nageoire qui n’est pas celle d’un dauphin ni d’un requin fait le tour de l’île à intervalles réguliers depuis que la lumière a commencé à décliner. J’ai même cru apercevoir des cornes, une fois, mais c’était probablement un trop plein de chaleur, une vaguelette aussi vagues que ses consœurs, assez pour que j’y projette une autre image. Et en tout cas je sens le sang qui vient de ce sous-marin, je sens le prédateur et pour maintenant c’est moi la proie. Pas question de prendre un bain mais au moindre écart et si l’eau monte je devrai faire attention à ce qui pourra sauter du fond de l’océan.

Et toute la nuit, la nageoire veille. Allongé comme je peux sous le ciel clair et sur une planche pour m’isoler des bestioles que j’entends fouir à proximité, dès que j’ouvre un œil elle est là. Presque immobile, presque pointée dans la direction des récifs comme une flèche prête à partir, qui n’attend que la corde d’un arc démoniaque pour me foncer dessus. Est-ce que ça me sent ? Sans doute. Est-ce que ça dort ? J’en doute. Puis je comprends. Vers le milieu de la nuit, quand elle est au plus profond de ce qu’elle peut atteindre, quand les étoiles sont les plus silencieuses, quand même les petites bêtes se sont arrêtées pour se reposer, quand il n’y a plus que le clapot de la houle juste à mon oreille, je sais. Ce que ça attendait. La marée.

Le bois dont j’avais fait un toit est emporté par l’eau calme cette fois. Je suis de nouveau trempé jusqu’aux os qui me font mal et je glisse quatre à cinq fois avant d’atteindre le haut, le plus haut des rochers redevenus simples récifs. Avec l’eau qui m’imbibe, la peau de mes mains s’arrache sur la pierre, brûle sur mon visage comme la douleur brûle au fond de ma cuisse. Le cauchemar recommence, et je suis éveillé.


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Avec le noir qui rend gris tous les reliefs, je ne vois pas le premier coup qui m’étale. Je l’ai senti arriver mais je suis encore trop engourdi du maigre sommeil dans lequel je me suis laissé tomber pour réagir. C’était comme une énorme baffe par une énorme main de femme graisseuse aux ongles trop longs. Des souvenirs assez sales qui me reviennent en tête alors que ce n’est pas le moment. J’ai à nouveau le visage collé contre une plaque de roche que ça n’attendrit pas, et cette fois il n’y aura pas de barque pour m’assommer le temps que la fortune me sauve des griffes de la tempête. Il n’y a pas non plus de tempête, cela dit, alors peut-être que je pourrais trouver à survivre par mes propres moyens. Survivre, tiens, ce serait bien.

L’attaque suivante manque de m’arracher le bout de peau qui relie une mâchoire à l’autre. Heureusement, je glisse juste à temps pendant mon esquive trop lente pour augmenter ma vitesse et chuter plus vite et plus bas que prévu. Mes deux jambes dans l’eau pèsent vite un quintal de plus que le reste de mon corps et c’est par la seule force de mon énorme virilité que je trouve à m’extirper de la bassine d’eau qui a repris ses droits. Un éclair de lune me permet de dresser un tableau de la situation. J’ai autour de moi à peu près cinq aires de survie, de trois pieds carrés chacune environ pour la surface, mais pentues, ce qui est loin de faciliter l’accroche. Et, louvoyant entre ces havres de tranquillité très temporaire, il y a cette chose qui veut ma peau.

C’est énorme, bien deux fois long comme l’était ma fière chaloupe. C’est tenace et ça semble joueur, ou alors très affamé, puisque c’est venu me titiller sans attendre que je me redresse de moi-même. C’est. Ah.

Petit, petit…

J’ai un problème. Il est roi des mers, seigneur des océans et il chasse le prétendant que je suis pour couper court à toutes mes velléités. Izya, le royaume que tu comprendras dont je te parlais dans ma tête, je viens d’en rencontrer le gardien. Et quel gardien, quelle allure. La bête réquisitionne les aires de survie sur lesquelles je ne suis pas pour s’y poser de toute sa stature. Sur les deux plus proches de moi, elle vient de poser ses deux pattes avant, pattes de lion épaisses comme des troncs. Sur les trois autres s’étale tout l’arrière de son corps, queue de poisson aux écailles et à la vivacité d’un reptile. Et surmontant tout ça qui n’est déjà pas si mal pour un seul être de légende, un poitrail et une tête de lion. Deux cornes d’isard et une crinière de poils mêlés de tentacules gros comme mes bras pour ajouter à l’horreur tourmentée autant qu’au charisme puissant. La Bête.

Même les chimères d’Impel Down ne l’étaient pas autant, tourmentées. Quoique l’animal, c’en est un, a l’air de bien le vivre. Soudain immobile, il m’observe de ses trois toises à l’épaule, sa tête doit mesurer trois pieds, quatre avec les cornes, ses yeux la taille d’une de mes mains. Il y a dix pas entre nous mais le bruit huileux de ses tentacules qui se frottent les uns contre les autres me le fait croire aussi près qu’il est possible. L’empathie n’est rien contre un instinct si sauvage, je ne sens rien que les mouvements de l’air, et s’il attaque maintenant tout va devenir très compliqué. Heureusement que j’ai cet atout. Moi aussi je peux jouer au roi de l’endroit, moi aussi j’ai une aura farouche et un charisme à réveiller les morts. Réveillez-vous, réveillez-vous tous.


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Le haki royal a fait son petit effet. La Bête a eu un sursaut, s’est cabrée sur sa queue comme un cheval sans jambes l’aurait fait, puis s’en est retournée dans la noirceur de son antre d’immensité avec un rugissement que je n’aurais pas suspecté chez un monstre pareil. Une sorte de feulement fini dans les aigus, comme les piaillements de crabes qu’on ébouillante mélangés avec la colère d’un gros chat, d’un énorme chat. En tailleur sur le rocher avec les remous qui me lèchent les semelles depuis son retour fracassant dans l’eau, j’aperçois son dos qui de temps en temps perce la surface. Comme avant, il a repris son observation à distance, mais je ne pense pas qu’il revienne cette nuit. Il y a eu une sorte de consensus qui s’est signé quand j’ai frappé.

Il y a eu aussi un gros vide dans mon corps quand j’ai projeté mon esprit dans, sur le sien. C’est le genre de dépense d’énergie que je ne peux pas me permettre sans avoir recouvré un appétit qui en soi vraiment un, sans l’avoir satisfait. Et ce n’est pas la veille jusqu’à l’aube qui va me requinquer, bien au contraire. Mais je ne peux pas non plus faire autrement avec tout ce liquide autour de moi et si peu de place. Au moindre engourdissement supplémentaire, je tombe. Au moindre assoupissement, je tombe. A la moindre glissade je tombe. Et si je tombe, je meurs, noyé ou dévoré par mon nouvel ami. Voire, les deux.

Mais je tiens bon.

L’aube arrive et la mer recule. Je peux mieux m’installer sur les rochers sans pour autant mettre un pied dans le sable. C’est encore trop tôt, je risquerais de me retrouver la jambe enfoncée jusqu’à l’aine et je ne suis pas sûr que ça ne m’affaiblisse pas encore plus, un coup fourré pareil. Alors j’attends et depuis mon canapé en basalte massif je regarde le jour se lever, s’étirer, et prendre possession de mon monde. Je m’assoupis sans m’en rendre compte, et quand je me réveille c’est parce que je cuis dans mon manteau de cuir. Il est déjà le plein midi là-haut, temps que je m’active, que je fasse, que je trouve. Un coup d’œil à l’horizon pendant que je me bois ma gorgée douce du matin m’apprend que je ne suis toujours pas vraiment seul. Il n’abandonne pas.

Et il reviendra cette nuit, et je ne pourrai à nouveau pas dormir. Même, je devrai le repousser. Il faut que je mange, il faut que je trouve à m’en aller. Manger, c’est facile, il suffit de trouver cinquante bestioles comme celle que je viens de coincer sous ma botte, les écosser, les avaler sans les goûter sous peine de vomir, et puis faire du stock pour avoir de quoi tenir pendant le quart de nuit. Ça m’occupe bien jusqu’au soir, et je n’ai rien pensé qui puisse me faire trouver du bois assez gros pour me sortir de ce désert hors de tout. Il y a bien eu ce rondin que j’ai dégagé du sable après avoir poursuivi sur une dizaine de pouces de profondeur un crabe à quatre pinces tout à l’heure, mais il était un peu court et un peu trop seul pour vraiment servir. J’imagine que c’est un déchet comme il y en a beaucoup dans le sol d’ici vu les ravages que doivent faire les récifs.

A propos de récifs, je m’y réinstalle, il va faire nuit de nouveau. J’ai à boire, j’ai à manger, plus qu’à attendre que la nageoire se rapproche pour lui rendre une nouvelle fois sa gifle au centuple et je serai tranquille…

Plus qu’à attendre, qu’il se rapproche…

Plus que…

Je fais un curieux rêve. Je sais que c’est un rêve mais ça ne me préoccupe pas tant que ça. Je suis revenu là d’où je viens, comme doivent faire selon le dicton les gens qui ne savent plus où aller. C’est sur South Blue je crois que j’ai entendu cette phrase pour la première fois. Peut-être bien même que c’est le vieux Pludbus qui me l’a dite, dans un de ses rares éclairs de lucidité à bord du Tambour, avant le massacre… Je suis revenu sur Troop Erdu. C’est moins flou que quand les images me sont revenues au fond de ma cellule. Ça correspond mieux à ce que ça doit être maintenant. Des arbres que j’aimais bien sont morts, tombés ou coupés à ras, des appentis sont dressés là où il n’y avait rien, d’autres sont en ruines.

Il y a ce parfum dans l’air, cette odeur de joyeuse liberté qu’ont les rustres qui vivent entre eux sans se soucier du reste du monde, sans se soucier même de leurs voisins. Il y a le bruit de la scierie à côté du port, et quelques cris viennent de la forêt au nord où des gamins doivent chercher à en pousser un autre depuis les falaises jusque dans le lac, pour imiter leurs parents quand ils étaient plus jeunes. Il y a ce chemin bordé de lauriers mal coupés parce qu’on n’a jamais su faire. Il y a cette cour avec cette pierre toujours à cet endroit, nette de toute mauvaise herbe et fleurie comme au premier jour après sa mort. Il y a ce silence que même les poules n’osent pas rompre, et le chat sur le muret ne se gratte pas quand il ouvre l’œil. Sur la terrasse côté océan, il y a un fauteuil à bascule et un chapeau en dépasse, un chapeau en osier qui a bien trente ans.


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Bonjour Maman.
Tahar… Bienvenue chez toi. Tu viens me tuer ?

Tu veux à manger ? Tu fais peur à voir, et il y a un reste de bouillon dans la…

Assieds-toi, je vais t’en servir un bol.

Il est là ?
Ton père ? Non, il est sur l’île mais au bourg pour la journée.
En ville…
Oui.

C’est bon ?
Meilleur que tu ne peux l’imaginer.
A ce point ?

Tu as vraiment cru… ?
Quand tu es repassé il y a deux ans tu n’es pas venu jusqu’ici, alors cette fois j’ai eu peur.
C’était il y a deux ans.
Oui, j’ai appris pour la prison, comme pour le reste…

Tu en reveux ?
S’il te plaît.
Tu n’as pas dit ces mots depuis bien longtemps, je me trompe ?

Tu es passé sur sa tombe ?
Oui.

Comment tu tiens, toute seule ici ?
On me rend visite, parfois, tu sais.
Mundan…
Oh, non, pas que ton père.

J’ai une fille.
Ce sont des choses qui arrivent quand on vit la vie que tu as vécue.
Oui, tu as raison.
Et sa mère ?
Morte. Non, pas celle à qui tu penses.
Ah…

Et des amis, tu en as ?

Qui pourraient t’aider.
M’aider ?
Tu es seul depuis si longtemps…
Tu ne vas pas recommencer…
Au moins quand tu avais cette amirale tu avais un visage auquel t’accrocher.

J’ai celui d’Izya maintenant.
Tu le penses vraiment ?
Je ne sais pas, peut-être…
Quand ce sera le cas, tu iras mieux.

Il arrive.

Non, ne reste pas. Ne gâche pas ça.
A plus tard Maman.


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Le souffle chaud du monstre me rappelle au monde où rien ne va mieux. Même configuration qu’hier, il me toise depuis son trône de roches qu’il effrite. Je ne comprends pas pourquoi il ne m’a pas attaqué encore. Est-ce qu’il vient d’arriver ? Est-ce que je me suis endormi si peu de temps ? Comment est-ce que je ne me suis pas noyé, j’ai donc dormi assis ? Mes jambes sont trempées mais je ne me souviens déjà plus de la position dans laquelle j’ai repris conscience. J’étais peut-être dans la bonne position pour ne pas glisser plus et je les aurais remontées machinalement en ouvrant les yeux… Les réponses viendront plus tard, je prépare une défense. Mais à peine ai-je raidi mes muscles pour concentrer mon énergie dans ma tête qu’il prend peur et retourne à l’eau sans plus de cérémonie. Je lui ferais peur ? Je souris, soupire et me rassieds sur mon siège à moi.

La fatigue me tient toujours, je n’ai plus que de vagues images de ce que j’ai rêvé et un goût agréable en bouche. Dommage que je doive l’effacer par les crustacés morts dans mes poches. Dommage que j’aie faim.

Ou j’ai beaucoup dormi ou mon sens du temps s’est à nouveau déréglé, ou je m’amuse beaucoup à jouer aux osselets avec des coquilles vides, mais le reste de la nuit passe vite, curieusement vite. La Bête continue de traîner aux abords mais sans à nouveau s’approcher et l’aube revient et je me rendors comme hier à peine le soleil levé, mais à l’ombre. Et la routine continue : après je dois trouver à manger pendant qu’il fait lumineux, mais je vais déjà plus vite. Je trouve aussi trois rondins et cette fois ils sont plus hauts que moi. L’un est même entouré d’un cordage gros comme le pouce qui doit être là depuis à peine plus longtemps que moi vu la bonne conservation de ses fibres. J’essaie de coincer ça dans la roche de manière à ce que la marée ne les emporte pas. Je n’ai pas le temps mais il aurait fallu que je les recouvre de sable. Je ferai ça, demain soir.

J’ai dû me reposer assez dans la matinée, j’arrive à rester éveillé tout le noir et j’en profite pour compter les étoiles. De son côté le roi de la mer n’approche pas. Je l’entends juste couiner depuis sous les eaux, il m’évoque les baleines vues quand j’ai navigué sur les mers du nord, il y a une vie de ça. Des nuages passent qui m’interrompent et je compte les moutons sur la mer un peu agitée. Je reconnaîtrais ce clapot entre mille, il y a un navire à double hélice qui passe non loin, mais je n’arrive pas à percer l’obscurité pour trouver sa silhouette au loin et puis de toute façon je n’ai rien pour me signaler. Le haki à la rigueur, mais quand j’y pense il est déjà trop tard et ça n’a d’autre effet qu’un cri étouffé par l’eau et la nageoire disparaît pour de bon.

Toute la journée et toute la nuit suivante je ne vois plus mon rival et je suppose qu’il se tient à distance. Je perçois le sang de son gros cœur dans les environs mais nulle trace de sa nageoire. Il a peur, il ne peut partir.

De mon côté j’ai bien avancé. Au matin j’avais perdu un des quatre rondins mais j’en ai retrouvé trois encore juste dans l’après-midi, et les sept au total mis côte à côte commencent à faire une bonne surface, plus grande en tout cas que mes aires de repos la nuit. D’ailleurs, je les installés sur la roche la plus plate pour pouvoir m’allonger dessus au soir. C’était un peu scabreux mais avec mon poids pour les maintenir, ma ceinture et la toise de cordage sec, je suis arrivé à quelque chose. Comme il n’y a pas eu trop de courant, ça n’a pas bougé. Je me demande si les algues, séchées peut-être, pourraient compléter la corde et tenir une dérive en mer…

Le sommeil dont j’ai besoin le matin pour absorber mes périodes de veille est de plus en plus dense, de moins en moins long.  Ma cuisse n’en guérit toujours pas mieux mais le reste de mon corps retrouve un peu de sa souplesse et de son endurance d’antan. Je dois même avoir pris du poids, même si c’est de la chair de crabe.

Avec deux autres rondins que je trouve le lendemain midi, je réussis à bricoler une structure encore plus solide. Ça ne vaut pas une chaloupe fabriquée par des calfats professionnels sur un chantier et avec du matériel approprié, et je n’oublie pas ce qui est arrivé à celle qui m’a amené sur cette terre abandonnée, mais je suis assez fier du résultat obtenu. Etendues au soleil tout pendant que je dormais, les algues que j’ai récupérées s’effilochent toujours aussi facilement mais en les tressant comme on tresse une grosse corde à partir de petits filins, j’atteins aussi un résultat presque satisfaisant. Il me reste plus qu’à nouer l’ensemble.

Je préfère tenter de partir au jour, donc je dois à nouveau dormir sur la plateforme posée sur un carré rocheux. Le lion vient me retrouver cette fois, presque curieux, comme s’il savait que j’allais reprendre ma route. Il reste à une encablure mais je le distingue clairement avec ses cornes qui luisent à la lune revenue. Il ne s’approche pas, je suis partagé sur quoi en penser. Je me prends en tout cas à l’appeler comme on appelle un chien ou un chat, et cette fois ce n’est pas pour l’attirer dans un piège. Il est vraiment temps que je parte d’ici et que je retrouve un contact humain, même s’il ne sera ni très consentant ni très consenti. Une odeur que je connais bien traverse l’humidité jusqu’à mes narines, une odeur de ville et de bas-fonds.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Dim 29 Sep 2013 - 12:19, édité 1 fois
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Toi ?
Mundan.
Tu viens t’excuser ?

Perdu ta grande bouche ?
J’attends que tu aies terminé.
Terminé quoi ? Tout ce merdier, c’est toi.
Tu le crois ?
Ouais.

Quoi ?
Rien, c’est bien ce que je pensais que tu dirais.

Je ne suis pas déçu au moins.
Tant mieux.
J’aurais aimé l’être, pour une fois.
Tant pis.

Tu devrais te tirer.
Oui.


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Aujourd’hui c’est le grand jour. Il n’y a personne pour m’encourager au départ de ma course insensée sur les mers du monde. Je suis un skipper tout sauf anonyme, mais personne ne sait que je suis là alors bon. Tant pis.

La phrase résonne comme si je l’avais déjà entendue, peut-être dans le somme de ce matin. Je me suis réveillé un peu patraque, tiens, je ne sais pas pourquoi. Sans doute l’idée d’abandonner ce coin au final pas si mal. De l’eau, du crabe, un toit en pierre et un lit en bois, que demander de plus ? De la compagnie ? Au final j’en avais. Une timide, mais avec les jours et les semaines et les mois, peut-être bien que… Je crois que je comprends un peu Adam, un peu mieux qu’à l’époque où je ne l’ai même pas écouté, où il n’avait aucune chance contre moi.

Il n’est pas là non plus. La Bête. Il ne se montre toujours pas. Et quand j’essaie de mettre le radeau à l’eau, il n’y a aucun œil pour voir la scène ridicule où je n’arrive pas à faire plus de trois toises dans l’eau avant de me faire refouler par les courants des vaguelettes sur le sable humide. Ma coque de noix ne se retourne pas mais je suis ramené à bon port sans rien pouvoir y faire. Une rame, une perche, j’ai oublié le moyen de propulsion. Je ris.

Je ris de bon cœur, de meilleur cœur que je n’ai ri depuis bien des années. C’est le rire franc de l’idiot qui se retrouve face à sa bêtise, de l’inventeur qui a oublié le principe le plus basique dans son travail, de l’enfant qui perçoit l’absurdité d’une entreprise vouée à l’échec que mène un adulte trop austère devant lui. C’est drôle.

Bon an mal an, je retourne sur la plage où je m’active pour chercher quelque chose qui pourrait me servir. Je trouve une nouvelle corde, longue, qui pourrait remplacer toutes mes algues et bien plus encore. Je trouve aussi une pointe de harpon, peut-être bien celui de ma chaloupe d’ailleurs, avec laquelle j’aurais pu pêcher la nuit si je l’avais eue plus tôt. Et enfin un morceau de planche de deux pieds de long pour un de large, qui sera parfait pour pagayer à la manière des anciens. Le tout, avant midi. Si ça ce n’est pas un signe encourageant…

Tout de suite, la deuxième tentative se passe beaucoup mieux. La mer est résolument plate, j’arrive à faire une bonne demi-encablure avant de sentir que je cours au drame. Les algues, j’aurais dû les remplacer sans rechigner à utiliser le cordage qui en plus rajoute du poids entre mes jambes sur les nœuds en végétal frais. Je pagaie aussi vite que je peux pour rentrer à la base, j’y arrive deux justesse et en ayant perdu un rondin. Et je passe un long moment derrière à faire des nœuds, sous un œil moqueur, énorme et surmonté de deux cornes.

J’ai enfin mon public, il ne faut pas que je rate ma prochaine sortie.

Ça y est. Troisième et dernière. Si ça ne passe pas maintenant, ça ne passera plus avant la nuit. J’y mets toute ma bonne volonté, toute mon énergie. Et ça passe. Jusqu’à ce que le soleil descende jusqu’à ce qui doit être, là-bas très loin, Reverse Mountain, je pagaie sans discontinuer, sans même arrêter pour avaler un des derniers coquillages qu’il me reste en poche. Ça voudrait dire lever la fesse et donc contracter la jambe pour y accéder, ça me ferait mal, ça casserait mon rythme, ça risquerait de casser le radeau. Je n’ai pas encore tellement confiance et je n’ai pas envie de tâter les méduses du coin. Je ne vois plus l’îlot à l’horizon.

Jusqu’à il y a peu c’était encore une tache noire derrière, mais la marée l’a je présume englouti. Je suis au milieu de nulle part et je me rends compte que les bords d’une chaloupe ou de n’importe quelle autre coquille de noix apportent une sécurité et une tranquillité qu’on néglige trop souvent. Ce soir, sur mon ensemble de planches liées entre elles par trois pauvres filins, je trompe la mort autant que si je fonçais droit sur la lame de Yamato Rinshi en espérant qu’elle soit en de fer blanc. Et, la mort, je ne suis plus aussi certain qu’avant qu’elle m’aime assez pour daigner m’épargner. Et, la mort, je ne crois plus vraiment être son doux compagnon.

Elle a dû trouver un remplaçant pendant que j’étais rendu incapable par les barreaux d’Impel Down. Et qui pourrait l’en blâmer ? Surtout pas moi, avec ces idées étranges qui me labourent le crâne depuis l’arrivée d’Izya.

Izya…

C’est vers elle que je dirige cette fois mon embarcation misérable. Avec un peu de chance et beaucoup de talent, sûrement l’inverse mais l’avouer serait presque renoncer à croire en moi, j’atteindrai meilleur port que celui que je viens de quitter. Ce n’était pas si mal, mais je ne suis pas certain de vouloir m’épanouir dans un endroit pareil pour mes vieux jours. J’ai besoin d’un matelas sous lequel regarder le soir, pour voir si je n’y suis pas. J’ai besoin de sortir de sous le matelas où je me suis enfermé, pour voir si je ne peux pas dormir dessus comme un homme satisfait le refait chaque soir, l’esprit libéré et l’âme en paix.


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Je suis en vie.

Alors, je suis dégoûté, mais ce n’est pas si mal. C’est ce que je dois me dire. Tout s’est bien passé jusqu’à ce que le fond perde toute couleur. Quand les poissons ont commencé à s’agiter sous mon faible bois de flottaison et que le ciel a viré au bleu électrique sous les rayons de la lune, j’ai fermé les yeux et j’ai laissé faire. Je ne pouvais rien de mieux de toute façon. Quand j’ai voulu saisir la pointe du harpon pour me faire saigner et peut-être réussir à me sauver, elle a roulé entre deux rondins et tranché deux morceaux de cordes pendant que j’essayais de la récupérer. Après, tout a basculé, moi y compris, et me revoilà sur mon îlot qui ne veut plus que je le quitte. Trempé à nouveau, les cheveux pleins de sable encore, et les vêtements plus déchirés qu’avant.

C’était pourtant bien parti.

Il ne me reste plus qu’à recommencer, trouver plus, construire mieux, manger, boire, m’abriter du soleil et dormir le jour en faisant attention la nuit. Je n’y parviens pas le jour-même et je me laisse dépérir jusqu’au couchant en rêvant de Marie-Joie dont je ne dois pas être très loin. Le calme de la ville haute, l’air du continent. Je passe la nuit échoué comme une loque par-dessus une des piles de pierre qui reste à l’air, les deux jambes et les deux bras dans l’eau, avec seulement le cœur et la tête hors de l’eau. Je m’habituerais presque à la sensation, c’est vraiment une pitié que je ne puisse pas m’en accommoder une fois que l’immersion est totale.

Mais bon…

Malgré l’eau qui m’empêcherait de me liquéfier en cas de besoin, je sens toujours autour de moi la présence du monstre. Ça pourrait en être un autre, mais je n’ai aucun doute, c’est bien lui. C’est amusant, sa présence me rappelle les nuits calmes passées ici, avec ou sans plateforme de bois, et j’en suis presque plus rassuré que s’il n’était pas là, alors qu’il doit pouvoir m’avaler d’un coup de croc entre les deux muids d’eau qui doivent lui passer par les branchies à l’heure. Pour la première fois d’ailleurs je me demande ce qu’un bestiau comme ça peut manger pour se nourrir. Si c’était de la viande, est-ce qu’il n’aurait pas réessayé de me croquer au lieu de simplement me tourner autour ? Et si c’est des algues ou du plancton comme les baleines dont il essaie d’imiter le chant, pourquoi est-ce qu’il continue de me tourner autour ? Des gens moins naufragés que moi trouveraient sûrement ça un peu collant, et un peu encombrant pour en faire un animal de compagnie…

Je divague longuement, balloté par la marée montante puis descendante contre mon roc imperturbable et imperturbé par mon embrassade tenace. Entre deux songes, s’intercale un troisième où un lion des mers me remonte sur le roc dont j’allais me faire détacher par une force sous-marine trop importante pour mes petits bras engourdis d’humain. Je me réveille comme on se réveille parfois juste en s’endormant parce qu’on a la sensation de tomber dans son lit. Il n’y a rien autour de moi que l’eau sombre qui reflète les étoiles. Pas de gros temps cette nuit encore, et j’aurais pu m’enfuir d’ici si j’avais attendu ce soir… Peut-être, peut-être pas.

Au matin, j’ai toujours les bras cramponnés au roc et j’ai d’atroces douleurs dans les cuisses, dans les épaules, au dos et aux paumes et aux chevilles. Un peu partout, donc, et assez partout pour devoir faire avec sans que ça me paralyse sur place dans une position risible dont je serais seul à rire. Encore sous le coup de l’adrénaline diffusé en continu dans mon organisme pendant toute la nuit, je ne peux pas dormir et je gagne quelques heures de travail, mais elles ne servent pas à grand-chose vu mon efficacité dans mes mouvements. Tout ce que j’ai le temps de trouver avec mon rythme de vieillard, c’est un nouveau cordage de dix ou quinze toises venu s’enrouler dans les algues de la plage, et un tubercule au goût infâme mais qui a au moins le mérite de varier un peu le menu sans me rendre malade en contrepartie.

Et au large, deux cornes s’inquiètent ou me narguent, tout est question de point de vue.

A propos de point de vue, mes yeux lorgnent sur mes mains bêtes qui tiennent toujours la corde sans savoir qu’en faire. Ou plutôt, sachant bien quoi en faire. La nuit va être longue, très longue. Et déjà mes os saignent en dedans des douleurs qu’ils vont ressentir, des fractures même qu’ils pourraient bien recevoir. Et déjà mon esprit se fortifie à l’idée folle qui se peint sous mon scalp, qui y grandit et que mon inconscient me souffle depuis mon arrivée sur cette lande désolée. J’avale deux ou trois insectes trop lents pour ma décrépitude en me disant que pourtant c’était tellement évident, tellement.

Mais je suis dur de la feuille, c’est l’âge. J’ai quarante ans bientôt si j’en crois les signes.


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Et effectivement, la nuit n’a pas été de tout repos. Et effectivement, je me suis brisé un os, deux, trois qui sait.

La Bête n’est pas roi pour rien. Comme moi. Sans doute, il est seul. Comme moi. Mais c’est un féroce guerrier et un esclave peu volontaire. Comme je le serais à sa place. Quand il est venu me renifler je l’attendais. Quand il a voulu s’enfuir lorsque j’ai bougé, je l’ai appelé, je lui ai parlé, j’ai même chantonné pour l’imiter. Ça ne l’a pas amadoué mais ça l’a rendu curieux. Il s’est approché un peu plus. Et moi j’ai fait le lasso que j’ai pu avec la corde que j’avais, et j’ai tiré comme j’ai pu et le nœud coulant que j’avais fait s’est serré comme il a pu.

Et j’ai décollé.

Je n’aurais pas eu la précaution élémentaire de faire un nœud du même genre à l’autre extrémité du cordage autour de mon poignet, j’aurais eu la paume brûlée par la traction subite que l’animal a exercée dessus. Je n’aurais pas eu le poignet brisé non plus, mais je n’aurais pas pu le suivre dans sa course folle et je l’aurais à coup sûr perdu pour toujours. J’avais une seule chance cette fois et je crois que j’ai bien su la saisir. J’ai cru voir un cheval fou comme ils en élèvent dans les déserts d’Hinu Town, j’ai cru me noyer dix fois, vingt fois, alors qu’il m’emmenait dans les profondeurs pour se débarrasser de moi comme un taureau dans un rodéo. Je pense m’être noyé une ou deux de ces fois d’ailleurs, au moins être tombé en syncope.

Mais j’ai tenu bon envers et contre tout. A l’envers dans l’eau, à l’envers dans le ciel, tiré par une rêne que j’avais attachée malgré lui à un animal bien plus lourd et bien plus gros que moi. Contre l’eau, contre l’air, contre le sable du fond de la mer, propulsé à des vitesses que je n’avais sans doute jamais atteintes.

Je suis mort noyé, et je suis né à nouveau derrière, comme tant de fois j’ai eu la sensation de renaître ces derniers temps. J’ai redécouvert le temps, entre apnées forcées et apnées trop longues, j’ai redécouvert les fins instants éphémères qui peuvent tenir entre deux respirations et le plaisir qu’ils peuvent procurer, j’ai de nouveau pu les apprécier à leur juste valeur. Depuis si longtemps que je crains la baignade, depuis ce séjour sur l’archipel vert qui m’a maudit il y a deux années pleines, je n’ai pas eu d’autre choix que de l’accepter et c’est comme si la mer m’avait accouché de nouveau complètement en cette nuit à nulle autre pareille.

Elle a duré jusqu’au bout de l’aube, quand le chaud est réapparu.

Brusquement, longtemps après que je ne sente plus rien dans mes muscles ou dans mon squelette, la Bête s’est arrêtée. Puis elle est venue s’avachir dans l’eau à quelques toises de la côte à peine, dans la zone où les vagues vont et reviennent. Allongée sur le fond sablonneux, sa tête et son garrot dépassent la surface d’une hauteur d’homme et, agrippé comme je suis aux cornes, l’eau s’égoutte de mes vêtements et de ma chevelure poisseuse. Elle tombe en gouttes bruyantes dans la mer en contrebas, je sens le démon qui remonte en moi.

Je pourrais descendre ici, c’est même j’imagine une invitation à le faire. Le roi est fatigué, à bout de souffle après sa cavalcade passée. Mais je connais ce passage, un éleveur de bestiaux m’en a parlé une fois. C’était sur l’île du Loupiac. Il m’a dit que c’est justement à cet instant que le monteur doit faire comprendre à la bête qu’il est le maître, et c’est justement à cet instant qu’il ne faut surtout pas descendre. Il faut attendre un peu. Pas trop pour ne pas lui faire mal, ce qui ne risque pas d’arriver présentement vu sa taille, mais attendre.

Et j’attends le bon moment. J’attends jusqu’à ce qu’un muscle bouge sous moi, jusqu’à ce qu’un tentacule tressaille. Mais il ne se passe rien, rien du tout. C’est comme si je l’avais tué à la tâche. Déjà ?

Non, bien sûr que non.

Quand je relâche un peu ma prise sur ma rêne improvisée pour descendre voir si son œil est ouvert, vitreux ou simplement fatigué, je comprends mon erreur, je comprends que le roi lion n’est pas vaincu. Mon royaume ne sera plus jamais fait d’eaux, le sien le sera toujours. Et de même qu’il lui sera toujours impossible de régner sur les humains, il me le sera toujours de siéger sur son trône. C’était une chance qu’il me laissait, une chance de m’en aller serein, d’attendre un autre navire de passage, de survivre. Mais cette chance s’est envolée, et après m’être rattrapé de justesse, je file maintenant droit en dehors de la zone des récifs, et je sais que je n’y reviendrai pas. J’ai atteint mon but, je vais ailleurs. Mais je suis à la merci totale du seul compagnon sur lequel j’ai pu me rabattre pour survivre sur cet îlot. Compagnon oui, compagnon de folie.


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