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La nuit porte parfois conseil.


Un plafond bas, composé d’une seule couverture épaisse et grise clair. Un crachin frais, glacial, se mélangeant avec cet air humide de début d’automne et ses fragrances lourdes et boisées de feuilles mortes mouillées. Le vent, presque espiègle, s’insinue entre les branchages et secoue les sommets charnus de ces derniers pour les dévêtir un peu plus de leur revêtement végétal. Ces arbres, ils sont légions dans la forêt de Luvneelgraad. De hauts arbres aux troncs noueux, solides, inébranlables. De larges racines recouvertes de mousse, insensibles à la température pluvieuse. Partout à travers la forêt, c’est une pluie de feuilles orangées, rouges et jaunâtres, irradiant de milles couleurs fauves la morne journée qui tombe sans cesse sur le sol forestier.

Sur un rocher couvert de mousse, au milieu de ce boisé aux reflets incandescents, un gamin, les genoux sous le menton, pleure en hoquetant silencieusement. Son teint, anormalement pâle, détonne de façon remarquable avec la toison totalement verte qui lui recouvre la tête. Des cheveux d’un vert gazonnée, hérissés et trempés par le crachin s’infiltrant entre les arbres. Ses vêtements, un chandail et un pantalon faits dans un mauvais tissus et maladroitement rapiécés par endroit, ne le tiennent même pas au chaud. Comme pour se donner une illusion de chaleur, le gamin aux pupilles jaunes souffle dans ses deux mains engourdis.

Il pleure car il est humilié. Car il n'a rien pu faire lorsque les créanciers ont donné une raclée à son père. Il est humilié par ce père faible et brisé qui ne sait plus rien faire si ce n'est que composer le prolétariat endetté et pauvre à en crever du royaume de Luvneel. Le petit, lui, s'est réfugié dans ce havre, cette clairière qui agit comme un baume sur son cœur triste et solitaire. Une cachette loin des regards malveillants et des affres de la vie des démunis, un lieu où le calme de la nature permet à ce pauvre gamin de passer au travers des difficultés que lui offre cette vie pénible et monoparentale.
Au moins, ici, il se sent bien, en sécurité. Malgré le froid et l'humidité, malgré son existence merdique. Malgré l'absence d'un père, malgré l'intimidation, la pauvreté.

Malgré ses sanglots qui s'apaisent, le gamin à l'allure effrayante sourit. En paix.

Une bourrasque ébranle les feuillages qui quittent leur perchoir pour descendre avec une grâce impeccable jusqu'au sol déjà couverts de feuilles aux couleurs fauves. Même ce grondement poussé par le vent qui fait ployer les branchages rouges et orangés des arbres semble amical à l'écoute. Pourtant, même lorsque la brise cesse de souffler, un grondement incessant continue de se faire entendre. Un grondement qui semble s'approcher peu à peu. L'enfant, soudain inquiet, relève la tête. La terre tremble et les arbres s'agitent. Et dans un violent tonnerre de craquements et de bruissements violents, un immense torrent d'eau déferle sur la clairière, emportant cruellement l'enfant.

Balayé comme un fétu de paille, le gamin ne se maintient que difficilement à la surface, lorsque soudainement, un immense roi des mers rougeâtres perce les flots en rugissant. Et en un instant, le monstre marin ouvre grand sa gueule garnie de crocs et avale d'un coup le pauvre enfant aux cheveux gazonnés.


-AAAH!

Je tombe de mon lit en hurlant, me relevant avec surprise. Il fait toujours nuit. La lune filtre un timide éclairage à travers mon hublot. Mon bureau est toujours à sa place, la paperasse le recouvrant aussi. Tout va bien.

Un cauchemar.

Salem.

Ce simple nom me rappelle avec la force d'une douche froide la situation. Me ramène à cette cruelle réalité. Il est tombé, sous mes yeux. Il est mort, devant moi, devant nous. Et je n'ai rien fait. Déjà, je n'ai plus sommeil. Le sommeil est pour ceux qui sont en paix. Ceux qui savent qu'ils peuvent passer une nuit sans remord, sans nostalgie, sans mauvais souvenirs. Assis sur mon lit, je dois bien fixer le mur durant cinq bonnes minutes, en ne réfléchissant à rien, sans même réaliser à quel point mon esprit n'a jamais été aussi vide.

-Même toi, tu t'la fermes, hein…?
"…"

Vide d'esprit. Vide de sens. Pas de pensées violentes. Pas d'envie de meurtre. Pas de colère impromptue. Juste le vide. Le vide et la cuisante absence de quelque chose pour le combler. Je réalise bien malgré moi que je suis couvert de sueur, probablement à cause du cauchemar. Prendre l'air, je dois prendre l'air. J'aurais bien pu me diriger vers le pont, simplement ouvrir un hublot, mais il a fallut que je retourne là-bas. Là où il est disparu, là où il a sombré.

La reconstruction, je l'ai supervisé depuis. Une dizaine de jours déjà. Une dizaine de jours et il ne reste qu'un pan de mur complet à reconstruire. Exactement l'endroit où il s'est tenu dans un ultime effort, l'endroit où il est disparu à tout jamais. Les jambes pendantes dans le vide, le regard perdu vers les lumières de Nanohana, j'hume l'air marin d'Alabasta. Même cette pureté iodée qui inonde incessamment mes poumons ne comble pas ce vide, même manger ou boir tout mon soûl n'y change rien. C'est plus que ça, plus douloureux.

Et ce qui est effrayant avec tout ça, c'est que c'est bien la première fois que je me sens comme ça.
Depuis quand la mort de quelqu'un peut-elle être aussi douloureuse?

Pourtant, des gens, j'en ai tué, des dizaines, des centaines même. Et jamais je n'avais senti ça. Jamais je n'avais été aussi ébranlé, aussi coupable.

"Parce qu'il ne te reste bien que ça, la culpabilité"  

Comme pour revivre la scène, je tend le bras vers l'avant, au dessus du vide. Ça devait être à peu près ici. Oui, juste là. J'aurais pu tendre ma main juste un peu plus loin, quelques centimètres à peine. Quelques centimètres et rien de tout cela ne serait arrivé. Jamais on n'aurait eu à faire des funérailles où l'équipage entier pleurerait, il y a cinq jours. Jamais Lilou ne se serait enfermé aussi longtemps dans sa chambre. En fait, j'ai réussi à gaffer à nouveau, j'ai réussi à tuer quelqu'un, encore. Et c'est bien la première fois que j'aurais voulu tout faire pour ne pas vivre un tel drame.
L'eau en contrebas clapote doucement contre la coque nouvellement lustrée du Lév'. Lorsque je fixe cette étendue si calme qui, presque deux semaines plutôt, dévorait mon capitaine, la seule chose qui me passe par la tête…

C'est que ce serait tellement facile de plonger le chercher.

Si simple de tout laisser tomber, de le rejoindre, le retrouver, de continuer à le servir. Oublier les responsabilités qui m'attendent à Navarone. Et comme j'y pense, je me penche de plus en plus vers le vide, ne me retenant bientôt que par une main. Savoir que la mort est si près, qu'un détour plus court est juste une cinquantaine de mètres plus bas, ça a quelque chose de grisant. Quelque chose qui, un instant, vient combler ce vide qui me gruge de l'intérieur. Qui m'aide à croire qu'il est peut-être toujours là, à coucher avec une infirmière, dans son bureau.

Puis, derrière, dans l'ombre du couloir, un mouvement.

Je me ravise, me rassoit sur la plancher, les pieds pendants toujours. C'est elle.

-Ça fait un moment… Tu n'es même pas venue à ses funérailles.
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La gamine qui court derrière ce géant de muscle, je la connais. Elle suit de près ses pas beaucoup trop large pour ses propres enjambées, trottinant comme elle le peut pour le coller. Il lui dit sans cesse d’accélérer le pas, elle répond qu’elle arrive, alors qu’elle le fait déjà. Le sourire sur les lèvres, c’est assez rare. Elle évite les gros cailloux et les nids de poule dans le chemin qui mène à la ville. Elle saute d’endroit sûr en endroit sûr pour continuer sa marche.

Si elle devait parler de la ville, elle parlerait du vent sur les falaises. Un vent fort et froid, qui vient du grand sud. Un sud qu’elle pense ne jamais voir, mais qu’elle imagine. Un vent puissant qui taille les rochers depuis des années. Et d’une vue imprenable sur l’océan… Par endroit, des pics monstrueux empêchent les bateaux d’approcher. Elle en a déjà vu s’écraser et couler à pic, avec tout un équipage à bord, sans comprendre ce que ça pouvait bien signifier.
Le reste, elle ne parlerait que de ces chemins étriqués vers l’intérieur des terres, cachée derrière son père, dans ses jambes, derrière ses mains, pour éviter que quiconque ne la remarque. Difficile, avec sa crinière rousse et son teint pâle. De cette simple teinte, elle apporte plus de couleur que quiconque n’en a jamais vu jusqu’ici. A Castle Rock, elle est connue comme le loup blanc, comme la petite du géant, celle qui ne parle jamais mais qui se régale du même spectacle pourtant différent, que lui offre l’océan.


Je me connais. Je ne me passe pas de ce spectacle-là. Parce que même d’un point de vue différent, il est toujours pareil à lui-même et à chaque fois unique. C’est ce qui m’amène dehors à cette heure tardive, alors que je devrais dormir, encore. Ou m’enfermer dans ma cabine en attendant que la foule s’en aille. Les rares personnes croisées dernièrement sont le doc et quelques mousses me demandant des nouvelles. Brèves réponses, brèves conversations, je me contente de ça aujourd’hui parce que je n’ai pas besoin de plus.
Mais ce soir, Oswald est là, et Oswald me parle. D’une voix neutre et sèche, sans me jeter un regard pour confirmer ma présence. Il sait, parce qu’il me reconnait, et qu’après toutes ces semaines sans m’avoir vu pointer le bout du nez sur le pont principal du navire, il est capable de savoir quand je suis là, ou quand je le suis pas. Je ne me risque pas à sourire, ni même à avancer. Je ne suis même pas encore sûre d’avoir envie de parler. Peut-être que je n’ai rien à lui dire, peut-être que je n’ai rien envie de lui dire. Après tout… Après tout ça… Qu’est-ce qu’il y a à dire de toute façon ?

C’est un reproche ?

Peut-être pas ça. Oui, j’aurais mieux fait de ne pas lui répondre. Mais sa remarque attaque sans le vouloir, elle est corrosive pour une personne qui s’en voudra sûrement un jour de ne pas être venu dire au revoir à l’une des personnes qu’elle aimait le plus au monde. A un membre de sa famille. La chair de sa chair, ou un truc comme ça. Un truc que je ne comprends que vaguement et qui m’agresse tout autant.

Mais ça relève de mes choix, et tout le monde n’est pas disposé à les comprendre.

Encore faudrait-il qu’ils aient du sens.
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En fait, pourquoi est-ce que je lui dis ça, moi? Parce que je veux qu'elle aussi se sente coupable? Parce que je veux partager ce vide avec quelqu'un d'autre?
Peut-être…

Ou est-ce simplement pour la faire fuir, et pouvoir à nouveau contempler ma mort à travers les flots calmes en contrebas?

Pourtant, lorsqu'elle me répond, j'ai peur. J'ai peur parce qu'à travers cette lucidité factice, je réalise qu'elle souffre probablement autant que moi. Peut-être plus. Et pourtant, je ne trouve rien de mieux à faire que tourner le fer dans la plaie. Et la victime de tout ça, c'est celle pour qui je donnerais ma vie! C'est peut-être ça, le deuil, tiens.

-C'est pas plutôt toi, qui devrais avoir un reproche à mon égard?  

Elle était là. J'étais là. Elle a sauvé Daenerys. J'ai échoué à le sauver Lui. Et comme je revois cette scène, je ne peux m'empêcher de souffrir de ce vide qui s'élargit en moi pour me rappeler que moi, je suis toujours vivant, et pas lui.

Là, tout de suite, si ce n'avait été de ce vide sidérant et me grugeant l'intérieur, j'aurais probablement tué quelqu'un, ou détruit quelque chose. Pour passer ma colère et ma peine sur quelque chose de tangible, pour ne pas simplement laisser ce noir gangréner et brouiller mon esprit.

Mais, quand on a mal, c'est bien de partager sa douleur avec d'autres.

-Tu viens? D'ici, on revit complètement la scène. prononcé-je en un souffle, avec amertume.

Derrière, je perçois à travers la caractéristique odeur iodée de la mer les fragrances fugaces de son shampoing. Ou peut-être est-ce de sa peau? Ou alors de ses vêtements? Je n'en ai plus aucune idée. Et le réaliser a sur moi l'effet d'un fer qu'on m'enfoncerait en plein ventre. Malgré les jours qui passent, malgré ses absences prolongées, je ne l'oubliais jamais, d'habitude. Mais, cette fois, j'ai l'impression d'en oublier un peu plus chaque jour, toujours à cause de cette scène que je ressasse en boucle et qui prend un peu plus de place à chaque fois.

J'ai même oublié son odeur à Lui.

Soudainement, c'est un bourdonnement violent qui me frappe et tente vindicativement d'écraser mon esprit. Une véritable masse de rancœur qui tacle ma volonté avec un concentré de frustration. Le haki des rois.
Je vacille, me retiens de tomber vers l'avant, tout à coup couvert de sueur.

-Je… Je… Désolé…

Pourquoi est-ce que je fais ça? Est-ce que ce n'est pas déjà assez que Salem soit mort? Est-ce qu'il faut vraiment que j'en rajoute parce que MOI j'ai mal? N'était-elle pas sa cousine?

"Je croyais qu'on avait finit, de jouer au monstre."

Penaud, je repose mon regard vers l'eau, vers ce vide qui m'appelle. C'est peut-être mieux de regarder là que vers elle, derrière. La voir me tuerais, probablement. Sûrement. La personnification même de ma culpabilité.

-J'aurais dû y aller à sa place, hein? Ce serait mieux si Il était toujours là…

Juste penser à l'avenir me fatigue, désormais. Je suis le plus haut gradé sur place, la charge qui risque de me revenir est évidente. Mais dénaturer les anciennes responsabilités de Salem me semble soudain tout à fait impossible, comme un second meurtre.

-Moi, mon boulot, ce sera de prendre sa place comme si de rien était. Le dauphin qui succède au roi…
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Cette gamine qui court dans ces rues pavées, je la connais. Tête baissée et fonçant droit vers le petit muret qu’elle a repérer, son canard sur les talons, elle descend l’allé sans dire bonjour à personne, un petit sac sur l’épaule en évitant de croiser le regard des passants qui lui sourient pourtant. L’oiseau, derrière, a du mal à suivre le rythme. Il cancane pour la faire ralentir, mais elle n’écoute que son cœur qui tambourine. Elle le presse, ajoute que s’il ne se dépèche pas, ils rateront le plus beau moment de la journée. L’un des plus beaux.
Ils arrivent enfin. Elle enjambe le muret et s’y installe, déballant son sac qui contient un encas un peu maigre, avec une boite de graines qu’elle pose juste à côté d’elle. Haute comme trois pommes, les jambes pendant dans le vide, elle regarde la jetée et la mer, les yeux exorbités, enfournant quelques fraises sauvages dans sa bouche. L’animal a ses côtés fait de même, beaucoup plus intéressés par les pépins qu’il dévore à s’en faire exploser les joues.


Il m’énerve. Il m’énerve tellement. Lui et ses commentaires absurdes, ses manières faussement compatissantes, ses réflexions à la mord-moi-le-nœud. J’ai envie de le frapper plus que de raison… Mais a quoi ça mènerait ? A rien. Et c’est pour ça que mon haki prend le relai, irrité lui aussi par ces déclarations.

Vous n’êtes qu’un idiot, Commodore !

Distance dans ces paroles, comme une volonté de lui faire prendre conscience de ce qui l’attend. Nous ne pouvons flancher tous les deux en même temps. Si l’un plie, l’autre doit rester debout. C’est comme ça que ça marche, une équipe, non ?

Si tu avais sauté pour le sauver, on aurait eu deux cadavres au lieu d’un. Et qui pour reprendre le flambeau ? Moi ? La bonne blague ! Il n’y avait rien à faire... J’ai beau retourner la scène des centaines de fois dans ma tête, il n’y avait pas solution… Je me suis dit que peut-être j’aurais pu, et peut-être que si j’avais fait ça au lieu de ci et… Et j’en ai eu marre de me dire que peut être…

Peut-être. Toujours des peut-être. Mais rien pour ramener Salem. Ni lui, ni son corps.

J’ai eu besoin de tout ce temps pour en arriver là. Et oui, je t’en veux, mais pas pour ce que tu penses.

J’ai sans doute besoin de lui expliquer mon absence et mon silence. Qu’il le comprenne. Il est bien placé pour le faire, il est le premier à pouvoir saisir ce que j’ai tenté de faire. Mettre de la distance, me retrouver, trouver ma solution à cette disparition…

J’en veux à Shiro, pour avoir provoqué tout ça. J’en veux à Wallace pour ne pas avoir tenté quoique ce soit, à Dae, à Envy… Je t’en veux parce qu’à partir du moment où tu prendras sa place, il n’y aura plus aucune chance, même une infime, pour qu’il soit en vie… Et ça, c’est dur à admettre.

J’en veux au monde parce qu’il continue de tourner alors que Salem n’est plus là…


Sans que je ne le veuille, le haki des rois pèse plus fort encore sur ses épaules, comme sur les miennes. Je me mets à trembler, un frisson me parcourt de la tête au pied alors que je fais en sorte de le maitriser. Il n’en est rien, parce que ma colère a pris le pas sur le reste, et que je ne le contrôle pas…

Et toi… Tu es là… à retourner le couteau dans la plaie, à te châtier toi-même… Et à te penser malin de dire ce genre de choses…
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Le monde continue de tourner? Le monde continue de tourner? Le mon s'est arrêté avec Salem. Le monde est tombé dans les flots avec Salem! Le monde s'est fait happer par le roi des mers,  lui aussi! Si rien ne va plus à bord du navire, si toi, tu restes des jours entiers dans ta chambre, si on est toujours en plan sur cette foutue île désertique, C'EST PARCE QU'IL EST MORT! Il est mort et il a noyé avec lui l'esprit même de l'équipage! Le monde s'est définitivement arrêté, mais toi tu ne le vois pas comme ça.

C'est peut-être ce que j'aurais dû dire…

-J'suis probablement un idiot, ouais…

Mais s'affirmer, ça commence par déjà avoir confiance en ce qu'on dit. Et ça, je l'ai perdu. J'ai perdu la conviction, l'ambition, l'amour, la haine. Toutes ces choses, elles sont peut-être plus bas, juste là, au fond de l'océan. Et ce haki insidieux qui me martèle le crâne couplé des paroles frustrées de la rouquine n'aident en rien à les retrouver, à combler ce vide stupide.

Je me relève et quitte le trou béant dans la coque du navire. J'esquive Lilou du regard, à la voir, je défaillirais. Et défaillir, c'et bien la dernière chose qu'on attend de moi. Je m'arrête devant le mur opposé du couloir, y appuie mon front, pensif.

-Un idiot assez con pour ne rien comprendre à tout ça, faut croire. J'devrais pleurer non? J'devrais démolir ce mur, non? J'devrais être en colère contre tout l'monde non? C'est pas ça, le deuil?

Ce serait si aisé, il me semble. De serrer le poing et de frapper de toute mes forces contre ce mur. Ça me devrait me libérer l'esprit un peu non. Ou alors la cogner elle? Autant il y a deux semaines je me serais mordu au sang pour avoir commis un tel acte… Autant maintenant, penser à le faire ne me fait ni chaud ni froid. C'en est presque effrayant.

Un simple instant, je crispe mon bras, m'attendant à y sentir un froid caractéristique s'y insinuer. J'attend un moment que mon bras s'affûte, que mes doigts s'acèrent. Mais rien. L'étincelle n'y est plus, voilà.

L'étincelle de vie. Comme à l'Asile, quand on n'a plus rien à perdre. Plus rien à faire.

-Admettre qu'il est mort, c'est peut-être une étape dans l'acceptation… Comme Wallace dirait… Mais visiblement, chez moi, ça n'aide à strictement rien.

Silence. Seul la mer répond sans ne rien dire à nos deux esprits mornes.

-Et durant tout ce temps, t'as compris un truc en particulier?
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Cette gamine qui court à travers champ, je la connais. Avec elle, un p’tit gars un poil plus grand qu’elle, qui la poursuit et la talonne de près. Elle ne regarde pas en arrière, lui somme d’aller plus vite, qu’ils n’ont pas de temps à perdre. Haute comme quatre pommes, elle lève le nez pour voir son canard voler au-dessus d’eux. Elle crie encore, qu’ils y sont presque, qu’ils vont arriver, qu’il faut hâter le pas, encore. Plus vite Jerronimo, plus vite, il ne faut pas rater ça !…
Ils arrivent rapidement sur une plaine dégagée, qui donne sur la mer. Et ils finissent par tomber tous deux sur le sable, essoufflés par leur course. Un temps, une pause... Finalement, lui sort de son sac un énorme croissant, tend un autre à sa comparse avant de tomber dans le sable. Des grains plein les cheveux, il reprend son souffle. Et elle fixe l’horizon, se gavant du croissant sans lâcher du regard ce qu’elle a devant son nez. Et l’autre, à côté, croise les bras derrière la tête, avant de dire qu’il ne comprend toujours pas pourquoi elle se presse, car le spectacle ne change pas.


Y’a pas de mode d’emploi. Ça se saurait. Ça serait trop simple.

Je m’adosse au mur, relève la tête, regarde le ciel étoilé et dégagé. Nuit claire, presque trop, contraste avec nos mines sombres. Je me lasse de fixer Oswald, qui lui n’ose pas me renvoyer le coup d’œil. Il m’évite, me fuit comme un rat qui ne veut pas croiser un chat… Un petit sourire vient marquer mes lèvres, et je parle comme pour moi-même, et sûrement pour lui :

Tu crois que j’ai fait quoi durant tout ce temps ? Que j’ai pleuré ? Cassé des trucs ? Frappé des murs ? Que j’ai crié et détruit l’autre moitié du navire histoire de voir si ça irait mieux après ? Et si je l’avais fait, ça aurait changé quelque chose ? Je suis restée prostrée, pendant tout ce temps, dans ma cabine à attendre que quelque chose se passe…

Un miracle, des réponses, des questions, une révélation... Il n’y a pas eu grand-chose en définitive, seulement des doutes et plus encore. Des remises en question aussi, mais là n’est pas le problème. Le problème, c’est qu’il n’y a plus de solution, seulement des nécessités. Et pour le bien du plus grand monde, la nécessité exige qu’on accepte l’inacceptable.

J’emmerde la nécessité. C’est surfait. C’est de la connerie.

Je n’ai rien fait. J’ai juste attendu que ça passe.

A compter les étoiles pour voir s’il en manque une, ou si une s’est rajoutée. A compter, même si ça ne sert à rien. Est-ce que c’est passé ? Qui sait ? Est-ce qu’on guérit vraiment d’une perte ? Est-ce qu’on comble l’espace ? Il y a juste un vide qui ne se remplit pas, et qui ne se remplira plus, d’une certaine manière.

Et j’ai compris que si Salem peut tomber, on le peut aussi. Ça remet tout en question.  Qu’est-ce qu’on peut faire contre ça ?

Et ça amène avec son lot de doutes, de demi-teintes et de demi-mesures. Est-ce que j’ai signé pour ça ? Est-ce que ça vaut le coup ? Finalement, qu’est-ce qui me motive ?

Qu’est-ce que j’en sais, moi, hein ?
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-Attendre que ça passe…

Penser à une telle chose, m'entendre la prononcer, simplement ça, ça me révolte. Ça me donne envie de tout briser, de fracasser des murs et de hurler à la nuit. Attendre que ça passe?! ATTENDRE QUE ÇA PASSE?! Deux semaines déjà que j'attend que ça passe! Deux semaines que je me démène en paperasse administrative et que je reste actif pour oublier qu'Il est mort. Je ne veux pas attendre que ça passe, je ne veux pas me reclure et laisser passer ce deuil comme un ivrogne cuve son vin. Ça ne peut pas être aussi stupide, aussi ridicule.

-J'ai attendu que ça passe six ans déjà, dans un asile…

Et je n'attendrai jamais plus. J'ai déjà connu et vécu l'horreur. Je n'ai pas besoin d'un nouveau passage obligé dans le tunnel de la tourmente, ni d'une séance de beauté chez le remord. Je veux simplement passer au travers, maintenant, tout de suite. Combler ce vide paralysant et même pleurer ou vomir pour extérioriser cette souffrance dont je ne vois même pas encore le bout.

-Et c'est complètement stupide de souffrir en silence en attendant qu'un miracle règle tout!

Clac!

Je tombe vers l'arrière , sonné, le désagréable et violent pincement d'une gifle irradiant une puissante douleur sur l'entièreté de ma joue. Elle m'a giflé.

Je reste un moment au sol, le regard perdu dans le vague, hésitant sur quoi regarder entre le plancher et le mur. Et elle reste là, juste au-dessus de moi, se demandant probablement si j'en mérite plus. J'en mérite probablement plus. Je devrais peut-être la regarder. Je devrais peut-être m'excuser. Je devrais peut-être arrêter de jouer les cons.

Pourtant, quelque part à l'intérieur, ça fait un bien fou. À la fois de frustrer quelqu'un, mais aussi de se faire frapper en retour. Un instant, ça me fait oublier à quel point je me sens seul et incomplet. À quel point je ne sais même plus quoi suivre comme chemin.

Et qu'est-ce que je fais, maintenant? Je reste là, à éviter son regard, à attendre un inévitable prochain coup? Non. Ce serait stupide. Timidement, lentement, je tourne la tête. Elle est là, elle me fixe. Ses yeux d'ambre qui ont perdu de leur pétillant éclat, ses cheveux roux ébouriffés tombant de part et d'autre de son visage. Visage plus maigre que dans mes souvenirs, plus dur. Un visage dont le seul comparatif me venant à l'esprit est celui d'un bloc de pierre taillée.

Et c'est en la détaillant qu'un frisson me gagne. Un frisson qui traverse mon échine comme un poison avant de remonter jusqu'à mon visage. Qu'est-ce que je suis en train de faire? Qu'est-ce que je fous? Je gémis:

-Qu'est-ce que j'fais, bordel…

Le frisson continue sa course, transforme peu à peu mon visage en rictus irrépressiblement malheureux, puis désespéré, puis sanglotant. Des larmes me montent aux yeux, des soubresauts me secouent.

C'est peut-être là que j'ai définitivement compris qu'Il ne serait plus là… et que sans lui, les choses ne seraient plus jamais les mêmes. Que jamais Lilou ne serait la même. Que jamais je ne serais le même. Que jamais le Léviathan lui-même ne serait le même.

Qu'un univers s'était écroulé avec le Contre-amiral Fenyang.    

Et le simple fait que de constater réellement tout ça me chamboule complètement. Je n'ai plus envie d'exister, je n'ai plus envie d'être fixé par Lilou, je veux simplement me recroqueviller et disparaître. Disparaître et oublier que j'ai agit comme un idiot, ou que je n'ai pas pu sauver Salem.

-Si lui peut tomber… si lui peut tomber… on n'a aucune chance de continuer…

Et je sanglote comme je n'ai jamais sangloté. Comme un gamin. Comme au temps de l'Asile. Mon visage s'imbibe de larmes comme toutes ces émotions oubliées déferlent sur moi et me rappellent à quel point la vie est cruelle.

Puis, toutes ces émotions s'amènent chacune avec leur lot de doutes, de demi-teintes et de demi-mesures. Est-ce que j’ai signé pour ça ? N'aurais-pas simplement dût resté cloîtré dans cet Asile de North Blue au lieu de vivre une telle déchirure? Est-ce qu'appliquer la justice vaut vraiment la peine de voir autant d'amis mourir?

Qu’est-ce que j’en sais, moi, hein ?
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Cette gamine qui fonce droit vers le port, je la connais. Elle marche à une vitesse soutenue, suivie de près par son plus fidèle ami. Lui porte sur son dos un sac tellement imposant qu’elle ne peut le porter. Elle jette à peine des regards en arrière, ne s’inquiétant pas de voir pour la dernière fois avant très longtemps cette ville qui l'a vue grandir. En fait, elle s’en fiche. Page arrachée de son journal, la suivante ou elle écrit déjà son aventure à venir. Elle atteint rapidement sa barque, elle est prête à mettre les voiles.
Derniers regards complices avec celui qui aurait pu la retenir, un autre jeté vers l’horizon qui s’annonce prometteur. Elle ne peut pas savoir jusqu’où elle ira, elle ne peut pas dire de quoi demain est fait. Elle ne s’attend pas à grand-chose, et pourtant elle désire tout. Rire, courir, danser, pleurer, chanter, sourire, rêver, souffrir, crier, mais surtout VIVRE. Elle a cette impression d’invulnérabilité qui la gagne, alors que sa barque décolle du quai et qu’elle salue maladroitement sa dernière famille. Invulnérable, c’est ce qu’elle doit être parce qu’elle est seule, et parce qu’il n’y aura personne derrière elle pour la rattraper si elle tombe.

Et elle regarde cette mer qu’elle a tant et tant regardé par le passé, qui lui a tant et tant promis.

Peut-être un peu trop.


Il faut se dire que si nous n’y arrivons pas, alors personne ne peut le faire. Si tu ne te relèves pas, il n’y a plus de Rhino Storm. Et là, nous aurons simplement achevé l’œuvre de Salem de notre propre main et de sang-froid.

Tout ce qu’il reste de lui, nous l’avons entre nos doigts. C’est bête, c’est fragile, chétif, friable… Mais nous devons le chérir. C’est ce que nous lui avons promis en signant pour venir sur ce batiment magnifique. Bien sûr les choses sont compliquées et rien ne va comme il faudrait… Mais je me rends compte que les dernières goutes de vie que Salem avait, c’est à nous qui les a donné. A nous, à travers ce navire, à travers ses membres, à travers son équipage. Sa famille, il nous l’a laissé pour qu’on en prenne soin.
C’est la branche à laquelle je m’agrippe désormais pour ne pas retomber aussi bas que les semaines d’avant. Je n’ai pas d’autres choix. Et je prête ma solution au dernier pilier qui maintient cette famille unie. Lui est la fondation désormais. Moi le ciment. Je colmate ses brèches avec ce qu’il me reste. Autant dire pas grand-chose, mais qui ne tente rien n’a rien…

Il faut qu’on termine cette mission… On lui doit ça.

Je m’abaisse à son niveau et pose une main compatissante sur son épaule. Il va mal. Je le comprends. Je ne me porte pas mieux. Mais il nous faut nous soutenir le temps que la tempête passe. Il faut se maintenir grâce à quelque chose qui nous portera au moins jusqu’à la prochaine île. Et là-bas, peut-être que nous trouverons une autre raison d’aller mieux. C’est ainsi que doivent se faire les choses, c’est ainsi que le monde continue à tourner. On trouve des raisons qui nous poussent à aller de l’avant, et quand elles ne suffisent plus, on s’arrête pour en trouver d’autres. C’est sur le bord des routes que tout se joue, au bord de ces sentiers sinueux que les plus grandes idées et les volontés les plus solides se constituent…

Ça va aller…

Mon bras passe autour de ses épaules, je pose ma tête contre la sienne avec un sourire qui se veut rassurant. Je peux l’être désormais. Je suis convaincue par ce que je pense. Je le dois. Même si c’est parfaitement maladroit.

Tu verras.
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Mon souffle se coupe lorsque nos têtes entrent en contact, lorsque ses paroles nimbées de réconfort me parviennent, lorsque son souffle effleure ma joue. Les larmes ne cessent, il faudrait le retour de Salem pour qu’elles ne coulent plus. Mais ça, ce serait espérer pour beaucoup trop. Simplement sentir la chaleur de son corps, humer la fragrance de ses cheveux, juste ces petites choses font taire mes sanglots et apaisent mon cœur. À simplement ressentir sa présence à mes côtés, à simplement savoir qu’elle est là, j’ai déjà l’impression que le vide se remplit. Ça n’a beau être qu’éphémère, c’est un baume de plus sur la plaie ouverte de mon esprit malheureux.

C’est incroyable, quand j’y pense, de voir à quel point la simple présence de cette femme peut tout régler chez moi. Absolument tout…

Deux fois déjà qu’elle me réconforte, deux fois qu’elle suscite quelque chose de nouveau chez moi. Quelque chose de nouveau. Oui. Quelque chose qui croît en moi. Qui estompe le vide sans toutefois le combler. Une émotion que je n’ai peut-être jamais connue, ou que j’ai oubliée depuis longtemps. L’espoir.

Ces paroles, elles me font prendre conscience de ce que l’équipage représente. Que tous ces liens bâtis et que tous les événements qui les ont forgé sont presque au point de l’écroulement. Sans Salem pour maintenir le cap, puis sans l’amiral Shiro, il faudra quelqu’un d’autre pour s’assurer que les Rhinos continuent d’être le bras armé de la Marine. Pour toujours veiller sur notre grande famille. Cette famille, il faudra la conserver, la rebâtir, puis la reforger à l’image du rêve de Salem. Et l’embryon de ce projet, il est là. Juste ici, entre mon corps et le sien, pelotonné et couvé par une complicité renaissante.

-Ouais, on la terminera, cette mission.

Ça va aller. Je verrai.

Il faut tout de même avouer, je me sens presque mal. Presque coupable de voir qu’encore une fois, j’ai le rôle de celui qui a gaffé, qu’il faut consoler comme un gamin. Il est où le problème là-dessous? Ne suis-je pas moi-même capable de faire comme Lilou? De raisonner seul et de cerner la source de mes désarrois? De me cloîtrer pour cuver ma peine?

Non. J’ai déjà été cloîtré assez longtemps pour réfléchir, avec moi seul pour dialoguer.
Et comme à chaque fois, c’est moi qui se retrouve avec le plus gros sur les bras. Avec les erreurs de Drum. Avec les bourdes à Alabasta. Avec le décès de Salem sur le cœur. Je n’ai même pas été à la hauteur pour l’aider elle sur l’île désertique! Il faut bien avouer, je ne fais rien pour m’aider, dans toute cette histoire.

Alors je rumine ces pensées, tandis que l’on reste tous deux assis dans ce couloir, l’un contre l’autre. En silence.

-T’en fais tellement trop pour moi. Je n’ai jamais réussi à te rendre une fois toute ces choses… J’suis pathétique… Ça me semble con. J’devrais pas être toujours celui qu’il faut consoler… J’ai passé l’âge…
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Cette fille, au milieu de nulle part, sur cette barque qui dérive, je la connais. Elle est couverte de suie, les cheveux emmêlés, face à son ami qui  ne se porte pas mieux. Elle a, entre les dents, un bâton qu’elle mord de toutes ses forces. Elle fait, à l’aide d’une écharpe, quelque chose capable de tenir son avant-bras brisé. Elle retient des larmes de douleur, le temps de panser sa fracture difficilement. Lorsqu’elle a fini, elle se cale dans le fond de la barque et se mord la lèvre. Elle souffre encore, malgré les soins.
Elle passera sans doute la nuit entière à souffrir, en attendant de trouver une île et un médecin apte à la réparer. Elle se recroqueville sur elle-même, faisant attention à son bras brisé, sous le regard de son canard qui lui tend des médicaments contre la douleur. Elle en prend un, se rallonge, regarde le ciel et attend que ça passe. Prie pour que ça passe. Et un temps infini s’écoule avant qu’elle ne trouve le sommeil et ravale ses larmes. La fatigue prend le pas sur la douleur, elle finit par sombrer d’elle-même sur cette mer trop calme pour l’heure.


Oh et bien, si je te dérange tant que ça, Wallace s’en chargera la prochaine fois.

Je m’écarte, avec un sourire moqueur. Wallace n’est clairement pas du même acabit, il a moins de cheveux aussi, et un sourire à faire tomber (de peur). Pas sûr qu’Oswald soit ravi de finir dans son cabinet une fois de plus. On y repassera encore dans son bureau, à parler pendant des heures et des heures de choses et d’autres pour éviter le vrai sujet qui fâche. On le sait, tout ça. En même temps, le Doc’ est « là pour ça ». Mais je ne suis pas sûre qu’Oswald échangerait une conversation comme celle-ci pour un rendez-vous sur le divan de Wallace.

La blague passée, je me reprends et fais un sourire plus sérieux à Oswald. Après tout, oui, peut-être qu’il a raison. J’en fais trop pour lui. Tout le temps, surprotectrice. Et ce n’est pas plus de son fait que du mien. Il faudrait que j’arrête de quotidiennement les surveiller, tous, pour veiller à ce que tout roule, et tout aille bien. Les derniers évènements montrent que je ne suis pas vraiment compétente pour ce genre de chose. La disparition de Salem remet tout en question désormais, même et surtout mes capacités à diriger une équipe. Je fais un petit sourire gêné, reprends de plus belle :

Y’a pas d’âge pour arrêter de pleurer. Mais tu as raison, oui. Je te protège trop parce que je tiens trop à toi, comme aux membres du Léviathan. Comme j’en fais trop, tu ne dois pas savoir comment te comporter avec moi. Et maintenant que tu es capitaine, il y a des règles à respecter… Alors… Je dois prendre mes distances avec tout ça, parce que si vous venez à disparaitre, ça sera trop dur à surmonter…

Je marque une petite pause, soupire.  

Alors… Faudra arrêter de craquer pour que je te réconforte.
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Un navire, énorme. Solitaire dans la nuit, près des côtes d'Alabsasta. Seul devant les lumières de Nanohana, seul avec sa solitude et son deuil. Sa charpente est ébranlée, sa coque éventrée, son équipage malmené et son capitaine… absent… L'air marin s'engouffre dans les failles du navire, caresse le visage de deux personnages assis, non loin d'un trou béant donnant sur la mer. Les cheveux de l'une miroite d'un roux clair dans la nuit, les pointes vertes et hérissées de l'autre frémissent sous la brise. Ils en ont vu des choses, ils en ont fait des choses. L'une a traversé les océans à la recherche d'aventure, ou d'elle-même, peut-être. Elle est allée aux quatre coins du monde, elle a rencontré une panoplie de gens intéressants, effrayants, frustrants et désarmants avec qui elle a fait les quatre-cent coups. L'autre a passé toute sa vie séquestré dans les ténèbres de la haine et de l'incertitude, sans chercher à s'en sortir. Il a écumé les mers en cherchant toujours à offrir le mal aux autres, puis il l'a rencontré elle. Elle avec qui il pourrait rester là, assis, encore un bon millénaire. Parce qu'il n'y a qu'elle pour apaiser ses maux avec la méthode qu'il faut, elle est la dernière personne ici, désormais, vers qui il regardera toujours en levant la tête vers le haut. Elle est l'espoir, le bonheur, la colère, la fougue, la liberté. Elle est la fille du séisme, l'enfant du volcan, le rejeton des cendres, la sœur de la terre et du soleil et la femme du vent. Ce vent insaisissable, ce vent trop rapide, trop agile, trop fugace et puissant, ce vent sur lequel elle est la seule à voler, ce vent qu'il aimerait tant enfourcher à son tour pour vivre avec les yeux de Lilou. Avec les yeux de celle qui arrive à comprendre le monde.  

L'oiseau veille toujours, elle s'est endormie, toujours souffrante, le bras sommairement tenu contre sa poitrine. Ses yeux s'affaissent malgré ses efforts, mais il ne peut pas la laisser sans surveillance, qui sait ce qui pourrait lui arriver. De l'autre côté de la barque perdue dans la nuit, il distingue une nouvelle silhouette. Méfiant, il cancane, menaçant, en s'imposant entre sa protégée et le nouveau venu dont il ne comprend pas l'apparition. Deux pupilles jaunes le fixent, deux cercles glauques qui brillent de façon menaçante dans la pénombre. Deux phares de haine qui, aussi improbable cela puisse-t-il paraître au protecteur de la gamine, lui inspire soudainement confiance. Il peut dormir, en paix, quelqu'un veille sur elle, quelqu'un qui ne sera probablement plus là au levé du soleil. Il se sera envolé, car il n'aura jamais été là, mais veillera toujours sur elle malgré tout.


Je me tourne vers elle, l'air presque suppliant. Avec cette impression désagréable qu'on a lorsqu'on sent que quelque chose nous échappe.

-Prendre tes distances! Nonononononononon! Elles sont bien là, t'es distances! lui lancé-je, presque désespéré, en mesurant de mes mains le distance nous séparant physiquement. Des règles à respecter! Des règles à respecter! S'il faut que je t'appelle Mademoiselle Jacob, j'le ferai, c'est pas grave!

Je lui fais un sourire, puis un clin d'œil d'encouragement, pour qu'elle me fasse confiance. Je lève mon pouce dans les airs, le poing fermé.

-Et puis, 'm'étonnerais que quelqu'un d'aussi balèze que moi disparaisse non? J'me cogne des géants, y'a pas grand-chose de plus fort que ça sur Grand Line non? Et si faut plus que j'craque, j'arrête maintenant! Mademoiselle Jacob.
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Il y a cette barque, échouée au milieu des récifs. Les vagues la mordent et l’abiment, sous les yeux circonspects d’une gamine. Une gamine que je connais aussi. Pas bien grande, la gamine, pas bien sûre de ce qu’elle fait là. Elle attend au milieu de nulle part que sa dérive s’arrête. Si un jour ça s’arrête. Mais sa barque est échouée au sein d’un océan colérique, où tous les dangers la guettent pour en faire son repas. Elle attend sur son bout de rocher un espoir, une issue. La lumière au bout du tunnel, pour voir si elle viendra un jour. Mais pour l’instant, il n’y a que le froid et l’eau salée, qui ronge les plaies déjà trop souvent ouvertes et infectées.

Et la nuit tombe, et le matin vient. Comme tous les matins.

Jusqu’à ce qu’au loin, sur la ligne d’horizon, une autre barque pointe le bout de son nez. D’abord minuscule, ensuite gigantesque, elle est l’espoir réincarné. Elle rame jusqu’à l’échouée pour qu’on lui tende la main et qu’on la sorte de son pétrin.


Tu feras un très bon capitaine, Oswald.

Je marque une pause et m’empare de ses mains. Au creux des miennes, comme pour les protéger. Comme une barque au milieu d’une tempête qui maintient le cap et l’empêche de couler. La chaleur de mon haki pour le protéger, se mêle à la fraicheur de mes doigts. Un sourire perce mes lèvres. Je ne sais plus ce qu’on attend désormais, je ne sais plus ce que je peux lui dire de plus. Je veux juste qu’il comprenne que je suis une amie sur qui il pourra compter, et que j’assurerai ses arrières.

Un homme qui fait tout pour faire de ce monde un endroit sûr, qui est sincèrement convaincu qu’il peut toujours mieux faire, qui recherche constamment le meilleur de lui-même comme des autres. Et c’est parce que tu connais tes faiblesses que tu seras un excellent meneur d’hommes.

Comme Salem, oui. Comme Salem, emporté par une énième guerre de trop. Mais j’ai espoir de ne jamais voir Oswald plier sous l’adversité. Ou s’il le fait, que momentanément. Je sais qu’il ne lâchera pas prise, qu’il ne laissera pas ses hommes derrière lui pour servir sa propre vie. Il m’a maintes fois prouvé qu’il était du genre à être sur la ligne de front, le premier à se sacrifier. Ça lui jouera un jour des tours… Mais qu’importe.

Je te fais confiance, Oswald.

Il n’y a pas besoin de plus.

Je lui fais autant confiance que je croyais en Salem. Que je crois en Salem.

Tu sauras mener notre barque très loin. Et tu pourras compter sur moi : Je me chargerai de colmater les brèches.  
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