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Le Goupil dans la Peau

Allez, Renard, encaisse. Oublie pas les règles du jeu, mon vieux : Pas de mort. Reçois les coups des matons sans rien dire, crache ton sang et ta bile entre deux volées, crache tes poumons quand ces enfoirés te coupent le souffle en te travaillant au corps. Mais, surtout, même si tu peux plus ouvrir complètement tes yeux pochés, cherche les leurs du regard, et trouve-les ! Ne les lâche pas, leur haine grandit quand tu les tiens, tout comme la puissance de leurs coups. Mais ils ne sont rien. Dans cette partie, les matons ne sont que les obstacles. Ton objectif est tout autour de toi, dans des tenues de bagnard, assistant à la scène dans un silence des plus glauques. Rien de tel que de s’ériger en martyr pour s’attirer leur sympathie. Alors, redresse-toi, encore ! Relèves-toi ! Essayes, malgré ta vue trouble, de trouver les silhouettes des gardiens, et fais-leur face !

- Ca suffit ! tonna soudain une voix puissante, celle du gardien-chef Loseman.

Quelques petits filets de lumière arrivent à pénétrer tes yeux. Grâce à eux, tu peux discerner une silhouette sombre juste en face de toi, un bras suspendu en l’air, s’apprêtant sans doute à te frapper. L’hésitation en est presque palpable. Lorsqu’enfin, la silhouette obéit et se détourne, c’est le sol tout entier qui te bondit au visage.
Au réveil, tu n’as même pas le temps d’ouvrir les yeux que déjà la douleur t’assaille de toutes parts. Tu ne te souviens pas vraiment de ce qui s’est passé, mais t’hésites. Peut-être que le Puffing Tom vient de te rouler dessus. Tu craches une dent en même temps qu’un gros glaviot de sang et tu te dis que jamais plus tu ne feras la bise à une locomotive. Puis, tu te souviens.

Tu te souviens du maton que tu avais regardé un peu trop d’travers. Tu te souviens qu’il avait voulu faire le beau devant ses collègues et qu’il avait fait finalement transformé ça en correction générale. Il est vrai, peut-être que t’aurais dû fermer ta grande gueule et pas trop en rajouter non plus. Mais bon, le résultat est là. Tous tes compagnons de cellule sont ici, autour de toi, en train de guetter ton réveil. Alors, pour répondre à leurs attentes, tu ouvres les yeux. Et tu constates que tu es seul. La douleur est trompeuse. Elle te donne l’impression que tu as mille lames plantées dans le corps. Du coup, tu penses qu’il y a aussi mille mains pour les tenir. Mais non. Tu es seul dans l’infirmerie. Une simple cellule isolée du reste des prisonniers, tout aussi humide, petite, sale et froide que les autres. Mais si tu es dans l’infirmerie, alors tu n’es pas seul. En effet, lorsque le son aigu perçant tes oreilles s’apaise enfin, tu peux sentir une présence dans la pièce. Celle du Doc, tu le sais bien. Il te surveille en silence, comme toujours. Les tombes ont un dicton à son propos : « Muet comme le Doc ».

Lorsqu’il te voit remuer, il s’approche et t’examine. Tu sens qu’il glisse délicatement une main sous ta tête et qu’il veut la soulever mais ce simple geste te donnes l’impression qu’il l’arrache sauvagement de tes épaules. Pourtant, quand il porte une bouteille à tes lèvres, tu oublies momentanément la douleur et tu bois par réflexe. Ce truc infect, des plus amèrement dégueulasse, est le meilleur breuvage que tu aies bu de ta vie ! T’essayes de le regarder mais tu ne peux pas le voir. Tes yeux sont trop gonflés. Les paroles se bousculent dans ta gorge. Elles essayent de se frayer un chemin hors de ta bouche mais tes mâchoires brisées ne veulent pas s’ouvrir. Alors les paroles montent d’un étage et tourbillonnent avec toutes les autres pensées qui y sont déjà. Tout tourne tellement dans ton crâne que tu pourrais donner des leçons à n’importe quel cyclone.

Six mois de douleur. Six mois de vie de taulard. Et combien de temps passé avec le Doc ? Tout irait bien, maintenant. Avec ton dernier coup d’éclat – et ton éclat tout court -, tu viens de finir la préparation du terrain. T’es resté passif avec tes colocataires, tu les as laissé venir. Maintenant tu les connais bien. Tu connais le bagne et ses habitudes. Tu connais ceux qui y règnent. Il est temps d’agir. Les règles de la partie sont fixées. Le jeu peut vraiment débuter.

Mais seulement après ton prochain évanouissement.
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Deux semaines de repos complet t’ont remis sur pied. Tu sens tes vieux os grincer lorsque ton corps se met en mouvement, mais la gêne a remplacé la douleur. Le Doc est d’une extrême efficacité. C’est pour ça qu’il est traité différemment, le Doc. Un prisonnier, certes, mais pas tout à fait comme les autres. Si vieux et si impotent que le travail du bagne lui est épargné. En échange, il erre de quartiers en quartiers, soignant les victimes d’engelures et de maladies, ressoudant les os brisés par les gardiens. Tous le voient comme le médecin des Huits-Ponts et, chez les prisonniers, tout le monde l’apprécie. Mais toi, tu sais qu’il n’en est que le balayeur, celui qui ramasse les morceaux. Celui qui entasse les restes brisés des taulards, qui est présent lorsqu’un être vivant devient ordure, tout juste bonne à jeter. Tequila Wolf est un endroit spécial. Il sert à purger le Gouvernement Mondial de tous ses opposants politiques et, plus généralement, de tous ses opposants tout court. Du mauvais côté de la loi, l’espérance de vie moyenne s’y compte en jours, voire en semaines pour les plus coriaces. Il existe aussi un groupe « d’Increvables », des types qui, pour la plupart, sont enchaînés depuis des années aux ponts. En y réfléchissant, tu te rends compte que tu fais désormais partie du clan. T’as pas encore tenu un an sur place mais t’as clairement dépassé la date limite de péremption.

Ca fait quasiment douze heures que tu transportes des blocs de pierre pour le groupe des maçons. Bientôt, le boulot du jour prendra fin. Une soupe aux petits pois sans petits pois et du pain sec t’attendent sûrement dans le quartier des cellules. Tu en salives déjà d’avance. Il te faut prendre des forces car tu sais que, ce soir, tu bosses. Ton vrai boulot. Ta vraie mission. Celle pour laquelle on te laisse moisir ici, aux côtés des plus célèbres criminels des Blues. Celle pour laquelle on t’a demandé de devenir un prisonnier au même titre que tous les autres rebus de la société et ce, dans l’optique de les approcher, de devenir leur ami. Et c’est loin d’être une partie de plaisir. Ici, les liens se brisent avec une facilité déconcertante. Pour en souder, il faut être un maître-forgeron des relations sociales. Personne ne se fait confiance, tout le monde reste dans son coin. Le mental brisé, toute trace de raison ou d’amour propre effacée, seule restait la perspective de manger son quignon de pain, de trimer sur les ponts et de recommencer le lendemain.

- C’était une sacrée branlée, vieux.

Tu n’as pas rêvé, quelqu’un t’as parlé alors que tu déposais un nouveau bloc de pierre près des maçons. Tu regardes la source de la voix. C’est un homme solidement bâti, avec de larges épaules carrées et un tronc d’arbre en guise de buste. Pourtant, comme chez tout le monde ici, les ravages de la disette sont visibles et sa graisse fond sur son imposante charpente. Complètement chauve avec une grosse barbe bouffante lui mangeant la moitié du visage, il te regarde comme si tu étais l’unique survivant d’un génocide.

- Mouais, j’ai connu pire, que tu lui réponds.

C’est pas un maçon, du coup il t’accompagne et transporte les blocs avec toi. Vous discutez tous les deux. Ou plutôt, vous échangez quelques mots, rares et avares de lettres. Pourtant, c’est pas anodin. Ici, tout le monde pense qu’à sa gueule, les prisonniers volent aux autres prisonniers le peu qu’ils ont, entérinant le fossé que les matons prennent bien soin de creuser chaque jour. Alors quand la trompette sonne, que le travail se termine et que tout le monde rentre dans ses quartiers, tu as le sentiment d’avoir énormément progressé. Six mois et des prises de paroles se comptant sur les doigts des mains de manchot. Mais progrès, quand même.

- Cornerone, se présente ton interlocuteur en tendant la main vers toi.

Et, heureux comme tu ne l’as jamais été depuis des lustres, tu la sers.
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Avec Cornerone, tu sens que tu es bien tombé. Tu sais pas exactement pourquoi il est là, mais il t’a dit qu’il s’était mis dans de beaux draps avec le gouvernement de son île. Un flair de goupil ne trompe pas, ça sent la révolution. Ton nouvel ami cause pas beaucoup, pour sûr. Il distribue les mots au compte-goutte mais t’as pris l’habitude. Sur Tequila Wolf, soit on est trop suspicieux, soit on est trop fatigué pour relier un grand nombre de lettres entre elles.
Pourtant, même si la moyenne de syllabes prononcées par jour n’avoisine pas la dizaine, on peut dire que Cornerone parle beaucoup. Simplement parce qu’on est beaucoup à lui parler. Tu sens qu’il est respecté. Tu le sais. Y’a même des types qui prennent la peine de lui dire bonjour en le croisant.

Du coup, durant la nuit, quand ton complice ouvre la porte de ta cellule, t’as une cible précise en tête. Tu nages plus dans le vague, tes repères commencent à se dessiner dans le brouillard. Tes oreilles ont ingurgité un bon milliard de rumeurs depuis que t’es sur place mais, ce soir, c’est ton instinct qui te titille. Et pas qu’un peu.
Ton complice s’écarte pour te laisser passer, referme aussitôt la cellule et s’efface dans l’ombre comme un bon agent secret. Tu te retournes et tu vois, comme prévu, le trousseau de clés sur la serrure. Tu le prends et, à ton tour, tu te laisses dévorer par les ténèbres.

Sur les Huits-Ponts rien n’est esthétique hormis un pont. Tout est utilitaire. Le quartier des cellules dans lequel tu te trouves se divise en huit bâtiments de plain-pied. Chaque bâtiment comportait cinquante cellules. Dans tes mains, tu sens le poids d’une trentaine de clés, celles de l’aile ouest du bâtiment D. Cornerone se trouve dans l’aile est, cellule 21. Aussitôt, tu te représentes les lieux que tu as maintes fois emprunté puis établis l’itinéraire le plus détourné, celui qui t’assures une discrétion absolue. Quand tu te mets en route, tes pas sont lents, mesurés, presque millimétrés. Tu slalomes entre les rares lueurs perçant l’obscurité. Les lieux ressemblent plus à des cachots lugubres qu’à une véritable prison. Leurs prisonniers sont torturés par un travail incessant, laborieux et abrutissant. Une fois le travail terminé, ils sont encore torturés par le froid, l’humidité, le noir, la famine et les rats qui viennent les ronger dans leur sommeil. Quoique certains arrivent à chasser la famine en mangeant les rats.

Pas toi, en tout cas, puisque tu laisses filer celui qui vient de te mordre la jambe. T’encaisses sans un son, sans un cri de surprise, puis tu continues. Tu passes devant les cellules de tes camarades ronflants et arrive près de la grille du couloir reliant les deux ailes. Un lumino-dial pend mollement au-dessus. Juste derrière la grille, deux matons sont installés tranquillement à une table. Tu saisis le trousseau, détache une clé et passe ton doigt dessus. Tu sens la gravure d’un « 17 », t’assurant qu’elle ne t’est pas utile. Alors, tu armes ton bras et te concentres. Une fois sûr de toi, tu rabats ton bras et laisse la clé te glisser des doigts. Elle fend l’air et éclates le lumino-dial en morceaux, suscitant aussitôt l’intérêt des matons.

- C’était quoi, ça ?!? s’écrie l’un d’entre eux d’une voix à moitié endormie.
- J’sais pas, la lampe a éclaté, j’crois, lui répond son collègue en se levant de sa chaîse.

Les bruits de bottes et les cliquetis métalliques t’indiquent qu’il s’approche de la grille en cherchant la clé pour l’ouvrir alors qu’un rai de lumière perce la noirceur que tu viens de créer. Collé contre le mur à proximité de la grille, tu attends qu’il entre dans l’aile ouest. Une fois entré, il dirige sa lampe-torche vers les débris du dial, puis vers le plafond. Ne comprenant visiblement pas ce qu’il s’était passé, il se mit à avancer, balayant chaque cellule de sa lumière. Il te tourne le dos et tu te permets donc de jeter un coup d’œil vers l’autre garde. Ses yeux sont clos, il semble s’être aussitôt rendormi après avoir vu que son collègue prenait les choses en main. Alors tu te glisses à l’intérieur de la pièce, tu te colles au mur et tu en fais tout le tour pour éviter la lumière du lustre central. Enfin, tu arrives derrière le dormeur et repères aussitôt le trousseau de clés de l’aile est. Tes doigts se tendent, décrochent délicatement l’objet de ta convoitise. Le type a la lampe-torche continue toujours d’avancer en balayant la noirceur devant lui. Du coup, tu te retournes, tu prends le risque de t’exposer en pleine lumière et, rapidement, tu ouvres la grille d’accès à l’aile est. Tu refermes derrière toi et commences à détacher les clés une à une, déclarant dans un chuchotement que :

- C’est l’heure de la distribution.
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C’est la pause midi, la première fois de la journée où les prisonniers se mêlent vraiment les uns aux autres. Tu sais que tu vas avoir des résultats. Mais le temps passe, les bouts de pain rassis sont grignotés et il n’en reste plus que quelques miettes, alors tu sens l’inquiétude commencer à poindre en toi. Du coin de l’œil, tu repères Cornerone qui déboule de derrière un amas de blocs de granit. Tu fais celui qui a rien vu, tu mords dans ton quignon, ignorant le goût atroce et la frugalité de ton repas. Il s’approche avec des airs de conspirateur et quelque chose te dit que t’es pas la première personne qu’il vient voir ce midi. La première chose qu’il fait, c’est pas de te saluer. Il desserre pas les dents, se contente de te regarder droit dans les yeux. Il te sonde. Tu sais qu’il est en train d’évaluer s’il peut vraiment te faire confiance ou pas. Du coup, tu sens les moindres pulsations de ton cœur, chaque petit millimètre de veine qui palpite dans ton corps. Il peut pas te faire confiance, évidemment, mais ça t’es le seul à le savoir alors tu le caches très bien. Une fois sa décision prise, il farfouille dans ses haillons délabrés et en ressort une clé qu’il te montre discrètement.

- J’ai r’çu ça, hier soir.
- Une clé ? fais-tu innocemment.
- Ouais, une clé. Celle de ma cellule. Cette nuit, chacun a eu la sienne dans l’aile est.

Le regard qu’il te lance te glace les sangs, comme s’il lisait chaque lettre de ton ordre de mission gravé dans tes yeux. Mais personne t’as vu, personne t’as entendu, personne sait qui tu es. Même ton complice n’a pas toutes les informations à ton sujet en mains. Alors tu fais taire la parano qui hurle, son écho se répercutant sur chaque paroi de ton crâne. Et t’attends.

- Arranges-toi pour être sur la Huitième section, aujourd’hui, faut qu’on cause avec les autres. Faut qu’on fasse vite et discret. On peut pas espérer ben longtemps qu’le gardien ait trop peur d’avouer à ses supérieurs qu’il a paumé ses clés.

A peine place-t-il un point au bout de sa phrase que Cornerone tourne les talons et continue sa ronde, faisant passer le mot. Alors, quand la trompette retentit, tu te précipites dans la file de la Huitième section. Tu dois bousculer un type pour pas dépasser le quota de chaque file et tu l’éjectes un peu violemment. Il atterrit lourdement au sol. Tu t’attends à ce qu’il réplique, mais il se contente de se relever en silence et de chercher une autre place, sans même te jeter le moindre regard. Tu le montres pas, mais t’es choqué. Extrêmement choqué. Cet homme est réduit en une véritable loque humaine, sans dignité, sans la moindre énergie. Si tu ne le bousculais pas, tu ne remarquais même pas son existence. Alors, doucement, dans ton cerveau s’insinue la pensée de conclure cette mission au plus tôt, avant de finir comme lui. Plutôt la mort que d’avoir la répartie d’un légume. Tant pis si Cornerone est une fausse piste, tant pis si sa séance de causerie de l’après-midi débouche sur un plan suicidaire, t’en peux plus, alors tu vas prendre la première sortie qu’on te propose.

La Huitième section est chantante en ce jour. Les phrases fusent dans tous les sens. En fait, non, mais en comparaison des autres sections, il y a clairement du bruit. Les gardiens doivent s’y reprendre à plusieurs fois pour séparer des types qui causent un peu trop longtemps à leur goût. « Evasion », le mot est lancé. Tu remarques que la quasi-totalité des zigs de l’aile est sont là, mais seulement trois types - dont toi-même - de l’aile ouest. Mais t’as gardé le trousseau d’hier, bien planqué dans ta cellule, et la donne va changer ce soir. Au fil des discussions et du défilement du soleil dans le ciel, ta parano s’efface peu à peu. Tu te rends compte que personne te suspecte de rouler pour le gouvernement, c’est juste qu’il y a un certain instinct de conservation qui s’imprime en chaque prisonnier de Tequila Wolf. Un instinct qui te fais soupçonner tout le monde, sans que tu saches jamais de quoi tu les soupçonnes exactement. Tout comme la neige face à l’astre solaire, tu sens tes doutes fondre. Tu prends conscience que les barreaux, les hauts-murs, les matons balaises et les eaux glaciales ne sont pas les pires obstacles. Tu te fermes depuis que tu es ici, tu te cloisonnes toi-même dans ton propre monde, envoyant chier celui des autres. Quand t’es vétéran du Cipher Pol, tu penses être préparé à tout. C’est là, entre deux brouettes de blocs de béton, que tu te prends une grosse claque : rien ne préparait à tout. Alors, quand tout le monde autour de toi parle de liberté et des manières de l’atteindre, tu sens poindre un vrai sourire. Un sourire sincère que t’as pas décoché depuis des années, perdu qu’il était sous tes grimaces d’agent secret.
Quand, en plus, ladite liberté fait partie intégrante de ta mission, alors tu te sens plus pisser. Du coup, la deuxième distribution de clés que tu fais, tu la passes quasiment en sautillant comme un gamin, limite à cloche-pied. Quand tu rejoins ton lit, t’es trop excité pour dormir. Du moins, c’est ce que tu crois. Parce qu’à peine allongé sur la couchette, Tequila Wolf te rattrape et t’assomme aussitôt.
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Quinze minutes plus tard, des voix te réveillent. Elles sont nerveuses et agitées mais tu sens tout de même poindre l’excitation et la joie. Aussitôt, tu comprends ce qui se passe. Un prisonnier s’échappe. Sans la moindre discrétion. Un par un, ses cris d’allégresse réveillent ses camarades qui découvrent tous la clé que tu viens de glisser dans leurs cellules. Malgré toi, l’effet boule de neige est lancé. Rien de ça n’est prévu, mais tu dois composer avec. Alors tu te lèves et tu suis le mouvement. Une vingtaine de types dans un couloir ne manque pas d’attirer l’attention. Il faut faire vite, rejoindre Cornerone et les autres, puis lancer l’insurrection générale pour profiter du chaos ambiant afin de prendre la poudre d’escampette.
Merde. C’est toi qui a le reste des clés, celles des portes du bâtiment. Faut pas que ça se sache que toute cette agitation vient de toi. Tu vois bien que les vingt-cinq taulards de l’aile ouest ne sont pas tous présents. Alors tu te faufiles au travers des braillards et tu inspectes vite-fait les cellules. Trois types dorment encore, ils ont un sommeil de plomb. Tu profites de l’attroupement pour cacher tes mouvements et glisses imperceptiblement le reste du trousseau entre les barreaux d’une des dernières cellules occupées. Juste avant qu’un grand gars mince ne colle sa face contre le grillage et hurle à son ami de se réveiller, que la liberté n’attend pas. Au prix de maints efforts, il se réveille enfin et constate qu’il a tout un tas de clés à ses pieds.

- C’est lui ! s’écrie le grand gars mince. C’est lui notre héros, les mecs ! Allez, Lombart, bouge tes fesses et sors-nous d’là !

Lombart ne comprend visiblement rien. Sur son visage, la perplexité prend la place de la fatigue. Pourtant, il se lève de sa couchette, ouvre sa cellule et, poussé et acclamé par ses camarades, rejoint la grille donnant sur le couloir d’accès. Vingt-cinq loques vivantes se pressent autour de lui, animées par un tas d’émotions dont ils ne se souvenaient même plus. La joie, le désir, la rage, la haine. Des émotions humaines. Sur Tequila Wolf, ça fait un bail qu’ils ne sont plus humains. Alors personne peut les empêcher de gueuler.
Evidemment, le couloir de séparation entre les deux ailes du bâtiment est vide. Directement après avoir entendu tout ce ramdam, les gardes ont du prendre leurs jambes à leur cou et aller sonner l’alarme. Fait avéré, puisque, au moment où Lombart ouvre la grille de l’aile est, un bruit strident te vrille les oreilles. Mais pas que les tiennes. Quand tu entres dans la pièce, tous ses occupants se réveillent en sursaut, se demandant ce qui se passe. En voyant tous les autres dehors, ils comprennent qu’une émeute est lancée et se mêlent joyeusement au groupe. Tu vois Cornerone fendre la foule pour te rejoindre.

- Bordel, qu’est-ce qui s’passe ? C’était pas avant demain soir !
- Je sais, qu’tu lui réponds, nous aussi on a reçu nos clés cette nuit. Seulement, un type s’est réveillé, l’a vue et l’a aussitôt fait savoir à tout le monde. Plus personne tenait en place. J’ai suivi l’pas.
- Eh merde ! s’exclame-t-il. Tant pis, on n’a plus le choix, c’est maintenant ou jamais ! Il se tourne alors vers le reste des émeutiers. Allez, on bouge, bande de racailles ! En route vers la liberté !

Quelques instants plus tard, quarante-neuf types en état de surexcitation sont réunis autour de Lombart qui tripote le trousseau de clés, cherchant celle ouvrant les larges doubles-portes de bois qui servaient d’accès au bâtiment D. Enfin il la trouve, l’insère dans la serrure et déverrouille le loquet. Aussitôt, les deux types qui l’encadraient poussent sur les battants… et, une fois ouvertes, se font transformer en passoires par un impitoyable tir de barrage. Mais ça ne dissuade personne. Tout le monde se jette à l’extérieur comme un seul homme. Y’en a pas un seul qui veut rester une seconde de plus sur place. Personne le dit, personne ne pète un mot à ce propos, mais ça se sent. C’est la mort ou la liberté !
Plutôt la mort, en l’occurrence.
Un large espace s’étend entre les bâtiments des prisonniers et les Hauts-Murs des gardes. Un véritable champ de mort et de désolation. Personne ne voit par qui ou par quoi il se fait tuer. Les émeutiers sont constamment éblouis par d’énormes spots et ne peuvent qu’entendre les détonations létales. Il n’y a pas un seul garde à proximité. Aucun moyen de contre-attaquer. Alors, tout le monde court.

Toi, tu suis le troupeau. Mais tu fais pas comme eux, tu suis pas la ligne droite. Tu zigzagues entre tes camarades, restes collés à leur dos comme une sangsue et change immédiatement de place une fois que ton bouclier humain est abattu. La panique enfle, prend peu à peu possession de ton cœur et, pire encore, de ta tête. Elle te fait perdre tes moyens. Tu te retrouves à hésiter à faire un nouveau pas. Quand ton bouclier tombe, t’es pas assez réactif alors tu te prends une balle dans l’épaule. La douleur est atroce, plus strident que le son de l’alarme. Elle te pique au vif, t’arraches tes derniers neurones de concentration. Et c’est tant mieux. Tout se vide dans ta tête, il n’y a plus de réflexion, seulement l’instinct. Et l’instinct te fait suivre le leader naturel : Cornerone. Vous avez presque traversé la plaine de la mort et arrivez au mur. Un petit coup d’œil autour de toi, et tu constates que deux petites minutes de carnage ont réussi à vous réduire à une vingtaine de gus affamés, affaiblis par le labeur. Tu dardes les hauts-murs du regard. A nouveau, le désespoir t’envahis à l’idée de devoir les escalader sous le feu nourri de ses occupants. Mais Cornerone n’est pas de cet avis. Il continue de courir, ne s’arrête pas quand il entre en contact avec le mur… et passe au travers !

Les débris volent en tout sens, tout comme les gardes postés sur cette section du mur. Pendant un moment, le choc de la surprise, dans un camp comme dans l’autre, arrête complètement la bataille. Cornerone beugle quelque chose en regardant vers toi. Trop ébahi par tant de puissance brute, tu ne comprends pas ce qu’il dit, mais tu t’en fous, tu te contentes de lui emboîter le pas. Et le carnage recommence. Déjà, des gardes sautent des murs pour combler la brèche, venant au corps-à-corps. Tu vois Cornerone se faire éjecter sur une dizaine de mètres, s’encastrant finalement dans la rambarde du Pont. Le type qui vient de le dégommer te fait face, et tu le reconnais. C’est ton complice. Il est entouré par une demi-douzaine de gardes, alors il fait son boulot de garde. Alors que ses collègues pointent leurs fusils vers toi, lui te sautes dessus et, d’une main, te fracasses le crâne au sol. Tu t’es jamais demandé quel goût ont les blocs de béton que tu trimballes sur tout le Pont depuis six mois et des poussières. Maintenant, tu sais. Un goût atroce. Tu peux même pas mâcher convenablement, puisque tu sens tes mâchoires se briser, quelques dents sautant sous l’impact. L’enfoiré joue son rôle à la perfection. Et il en a pas fini. Il te relève, sa main enserrant ton crâne et t’éjectes contre la rambarde du pont où tu vas te fracasser, tout air vidant tes poumons. Tu reprends péniblement tes esprits. La quinzaine de survivants est acculée à tes côtés, s’acharne à contrer les assauts. Cornerone est en sang, tu le vois se pencher par-dessus la rambarde. Il gueule quelque chose à tes oreilles mais t’es dans le vague. Les détonations, les explosions, l’alarme, les cris de douleur et ta propre douleur ne te font capter que quelques mots.

- … EN-BAS…. BATEAU…. SAUTER…

A ton tour, tu regardes en bas. Une caravelle semble attendre patiemment au pied d’un des immenses pilonnes soutenant le Pont. Impossible… Et pourtant ! Tu te retournes et captes le regard de ton complice. Celui-ci acquiesce imperceptiblement de la tête. Au même moment, Cornerone passe par-dessus la rambarde et, sans la moindre hésitation, plonge vers les eaux glacées. A ton tour, tu montes sur le muret. Une large étendue d’eau s’ouvre devant tes yeux. Des blocs de glace sont éparpillés par-ci par-là. Tu te retrouves en face du plus puissant gardien de Tequila Wolf, de loin le pire d’entre eux : la mer gelée. Des sillons crèvent la surface à l’endroit où Cornerone a atterri. Mais il remonte pas. Plus que jamais, t’hésites, tout comme les derniers survivants à tes côtés. La simple idée de faire un pas en avant fait remonter en toi l’inéluctabilité de la mort. Tu sais que tu t’es promis de crever comme un chien plutôt que de rester enfermé ici. Mais, bordel, l’effroi ne te lâche pas d’un iota, il t’enlace de son étreinte, te fait perdre tout sens des réalités. C’est alors qu’une balle dans le dos décide de te pousser.
Pendant ta chute, alors que les eaux mortelles se rapprochent rapidement, il n’y a qu’une seule et unique pensée qui résonne en toi. Une douloureuse pensée. Si atroce par la conclusion qu’elle amène, si horrible par son inévitabilité, mais tellement réaliste.

- Je suis mort…

Et à toi la liberté.
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