[FB 1615] Respecte tes aînés

Tout inconscient qui osait baver "c'était mieux avant" relevait du bourgeois déclassé. Pour la vermine, rien n'était jamais mieux, ni avant, ni après. Seize-cent quinze, en ce temps là, le cafard n'était pas encore le cafard, il n'était que Joe, ou "Toi là, avec ta gueule de puceaux". On  devenait davantage pirate par bêtise que par vocation, et seule la jeunesse pouvait constituer une manne de crétins suffisamment prolifique pour fournir les ponts branlants de la flibuste.
Dix-huit ans seulement, jeune et con, Joe avait dégusté déjà trois ans de délices corsaires. Scorbut, dysenterie, plaies infectées, famines récurrentes à bord, le récit du pirate fier et flamboyant avait été bien vite écorné par son expérience personnelle. Ce qu'on gagnait en pillant, quand on avait cette aubaine, finissait immanquablement par glisser des mains pour refaire le plein de poudre à canon et de munitions, sans compter les frais de docteurs. Et quels docteurs, savoir seulement amputer des membres et désinfecter des plaies suffisait en soi à détenir le rang prestigieux de médecin de bord.

Dans la dèche et bientôt sans le sou, le jeune boucanier au visage encore angélique en ce temps comptait les berrys rescapés de sa bourse. La fortune n'était pas bien opulente, huit cent berrys répartis en monnaie s'étalaient sur la paume de sa main droite tandis que la gauche était occupée à masser ses tempes pour éradiquer la migraine lancinante qui accablait sa cervelle. Sa cervelle elle, baignait dans un jus douteux. Attablé depuis deux heures dans un rade de Rokade, Joe noyait ses méninges dans le whisky bon marché afin de se réchauffer.
L'hiver était rude, d'autant plus impitoyable que les traversées en mer se faisaient plus rares en cette saison. Le gibier maritime moins abondant, bien des boucaniers prenaient leur mal en patience sur la terre promise de la piraterie d'ici à ce que les beaux jour reviennent.
Hiberner avait beau être dans l'ordre naturel des choses pour bon nombre de mammifères, ces derniers n'avaient pas à se reposer sur le berry tout puissant afin de survivre à l'hiver. Pour Joe, c'était une autre affaire.

- Comment est-ce que je vais bien pouvoir m'en sortir maintenant putain ?....

Visage maintenant enfoncé dans les paumes de ses mains, coudes posés la table branlante de l'établissement devant son godet à moitié entamé, le bougre était en pleine contemplation, ou en tout cas, en pleine lamentation. Autour de lui, on grognait, on chantait, on buvait à son saoul. Il y avait , il faut croire, encore des gaillards suffisamment hardis et chanceux pour risquer leur peau sur les flots et se renflouer les poches sans mal.

- À... À la... à la santé d'pakitaine Falzar !

-  C'est Zalfar abruti !

- Ouais, s'tu l'dis *hips* d'ailleurs.... Où qu'est-ce qu'il est not' grand manitou ?! C'pas raisonnab' d'laisser ses hommes tous seuls, on pourrait faire des b'tises sans surveillance Warfwarf !

Zalfar était une de ces têtes brûlées assez insouciantes pour braver les patrouilles de marine qui, l'hiver venu, reprenaient leur droit sur South Blue pour assurer le plan de "trêve hivernale" désiré par l'état major. Les bouchées doubles étaient de mise niveau effectifs, mobiliser à tout va afin de simuler un sentiment de sécurité absolu mais éphémère un quart de l'année et justifier la ponction des contribuables par le gouvernement mondial. Cette période de l'année était plus propice au zèle de la marine, de par le fait, rares étaient les pirates qui, avec en plus des intempéries fréquentes et une température mortifère, osaient braver le gel pour semer la désolation. Ils préféraient attendre que la mer soit plus chaude, la misère était - paraît-il - moins pénible au soleil.

- Dire que si j'avais été un tout petit peu moins con j'aurais postulé chez lui y a un mois.... Chiiiiiiééééé....

La plupart des hommes de l'équipage où s'était retrouvé Joe avaient mis suffisamment de côté pour se repaître grassement des plaisirs variés à portée de main de tout pirate qui se respecte sur la Rokade. En bon bizut, celui qui serait amené à être appelé le cafard s'était toujours fait rafler le pactole sous le nez. Des économies, il n'en avait pas suffisamment pour tenir encore deux jours. Même dans l'infâme taudis dans lequel il s'était agrégé à la masse afin de se réchauffer, le vent s'engouffrait et glaçait chaque extrémité de son corps. Seul un alcool suffisamment agressif et rance suffisait à lui procurer la chaleur dont il avait désespérément besoin. Toutefois, le carburant venait à manquer comme le constata Joe, ses yeux ternes et cernés rivés sur son verre à moitié vide.

- Eh bah ma mignonne on se fait du mouron ?

Immobile, figé, glacé même, ladite "mignonne" ne quitta pas son verre du regard avant de réaliser enfin qu'un homme de Zalfar venait lui chercher querelle. L'alcool avait cette propriété incroyable qui consistait à combler des carences en sociabilité en exacerbant la connerie de son homme.

- Laisse-moi d'viner, "bouhouhou ! J'pas d'argent pour t'nir l'hiver ! Ma maman me manque". J'pas raison ?! Warfwarfwarf !

Toujours engourdi par le froid, semblant avoir annihilé toute forme de spontanéité chez lui, Joe mit encore quelques secondes avant de répondre. Parce que jeune et insouciant, il pensait encore que répondre à une provocation de boucanier pouvait n'occasionner aucune conséquence néfaste pour sa santé.

- C'est l'idée ouais... À peu de chose prêt que c'est pas ma maman qui me manque mais la tienne.

L'important dans ce genre de situation était de ne surtout pas baisser le regard, et pourtant, Dieu sait qu'en cet instant le jeune pirate venait de réaliser à quel point il avait risqué gros en prononçant ces mots, ne souhaitant que s'enfuir le plus vite et le plus loin possible.

- De... Que... Parbleu Alcide... T'as entendu ce qui vient de m'dire ce p'tit con ?

Suffisamment désemparé par une impertinence malvenue, le grognard vint chercher le soutien de ses camarades en renfort pour faire taire cette jeunesse impétueuse qui ne s'écrasait pas quand il fallait.

- Quoi donc ? Qu'y s'farcirait bien ton tromblon d'mère ? Ouais, j'suis témoin. C'est vrai qu'il a bien du courage ! HAHAHAHAHAHAHAHA !

Et l'assistance accompagna ce rire gras et disgracieux, la plupart des hilares ignorant même pourquoi ils riaient, préférant se joindre à la foule par conformisme. C'est l'instinct grégaire du pirate qui voulait ça, ils n'étaient solidaires entre eux que lorsqu'il s'agissait de s'unir contre un bouc émissaire.
Enragé par ses collègues, il ne restait au boucanier qu'à s'adonner à l'esbroufe pour tenter de récupérer les bribes de sa dignité que les saoulards venaient de piétiner.

- Merdeux va ! S'foutent tous d'ma gueule maint'nant. T'vas casquer sévère.

Arrogant et enhardi par les rires de l'assemblée, Joe eut dans l'idée de poursuivre son chemin dans sa lancée rhétorique.

- Fais vite alors, je morfle déjà suffisamment rien qu'à te regar...

Ceux qui prétendaient que les mots faisaient aussi mal que les coups n'avaient jamais tenté d'arrêter un poing à coup de répartie graveleuse. Annihiler en faisant de l'esprit, cela se faisait dans les salons bourgeois, mais en taverne à la Rokade, un bête gnon suffisait à couper court à ce genre d'exercice mondain. Le temps n'était plus à la joute verbale, mais à la raclée. L'homme de Zalfar abattit ses phalanges à un rythme frénétique sur le visage de sa proie. Cela fit autant rire le petit peuple alcoolisé que la remarque précédente de la victime.

Tabassé en guise de correction pour avoir eu la simple audace d'exister là où il ne fallait pas, le jeune garçon fut rapidement éconduit à grands coups de pied au cul pour s'affaler dehors, face contre terre.
Gueule encastrée dans la roche rouge et glacée sur laquelle était bâtie Rokade, Joe, avant même de se soucier de ses blessures se lamenta pour toute autre chose.

- La carne ! Il m'a même pas laissé finir mon verre...!

Une brise tranchante soufflait, amenant le rebut de la taverne à se frictionner les bras. S'il ne voulait pas crever de froid sur place, il avait alors intérêt à s'activer. Tout penaud, il s'en alla traîner ses guêtres jusqu'aux docks dans un ultime espoir de trouver un équipage prêt à l'accepter et lui permettre de tenir l'hiver.
Là-bas, jetant un oeil furtif à son reflet dans l'eau, il vit son oeil droit violacé et sa joue bleutée contraster avec le sang séché s'étant écoulé de son arcade jusqu'à son menton imberbe.

- Moins pire que ce que je croyais.

À Rokade, on pouvait toujours s'attendre au pire. Et manifestement, l'air vicié qui s'insérait dans ses poumons à chaque bouffée d'air qu'il inspirait lui donnait l'impression que le pire était encore à venir.
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Rokade, rime avec racaille, qui pullule ici, plus encore que la multitude d'insectes qui grouillent sous nos paturons. Cette île est un véritable pays de cocagne pour les roublards en tout genre. Ceux de mon espèce. Ceux qui ne respectent rien, ne craignent rien, n'obéissent à rien d'autre que leur propre code. Gaimar est Balior dans un tel environnement. Si je me souviens bien, le casse-pattes a quelque peu amoché ma mémoire depuis que j'ai foutu les arpions ici, je suis venu m'y réfugier pour une histoire de soupe. De la bouillante oui, z'avez pas les esgourdes qui flanchent. Cela remonte à quelques jours maintenant, ou peut-être même que ce serait des semaines, voir des mois. C'est qu'on perd facilement la notion de temps, sur cette rocaille maous comme un beuglant, giah-ah...

Pas moyen de me souvenir d'où j'avais le pétard posé exactement, c'était sur du vieux satou d'une siante branlante dans une piolle miteuse d'une île dont le nom m'échappe encore. Je m'y étais fait un camarade de biture, Berny qu'il s'appelait. Couillon comme pas deux, mais sympathique. Sacrée descente qu'il avait, le Berny. On se rinçait le gosier depuis une triplette d'heures, à se raconter comment la vie nous chiait dessus quotidiennement, quand Berny a dévié du sujet. Qu'il s'est mis à me baragouiner la trombine comme quoi que le rhum qu'on buvait, il avait le goût d'une jaffe au potiron. Crévindieu que j'ai beuglé !Ramassis de balivernes, et sacrément offensant pour la jamine ! Que mes roustons subissent le supplice de la planche si je laisse une telle connerie impunie !

Je lui ai écafouillé la fiole dans la table, avant de lui enfiler une chopine de gnôle en fond de dalle, pour finalement lui dézinguer les dominos de mes pognes. Je me suis bien bidonné à voir les éclats du gobeson lui raclait le goulot ! Aujourd'hui encore je me demande s'il est cané du fait de s'être noyé avec son raisiné ou si le tronçon de bois qui lui a traversé la jugulaire l'a achevé... Giah-ah. Sacrément poilant ! Problème, j'ai eu la bleusaille de chiures de mouettes aux miches depuis. C'est qu'ils voulaient pas lâcher le morceau les crânes de piafs ! Dans ma décarrade, j'ai eu vent de cet endroit, Rokade. Que la marine y foutait pas un panard, mais que la flibusterie s'y entassait comme des petits gorets. Ce n'est pas que leur compagnie me tordait les burnes, mais c'est toujours agréable de s'en mettre plein la lampe en paix !

Enfin, quand des sacs à vin ne venaient pas foutre leur merde... Chienne de vie, toujours quelqu'un pour te pourrir la sorgue, même à Rokade on ne peut plus se rincer la dalle sans risquer d'être emmerdé. Que je me gondole dans mon coin quand j'entends le jeunot répondre à la provocation de la tête de lard qui surestime la taille de ses breloques. Que je grimace en zieutant la tête de lard marteler l'ardoise du loupiot sans que ce dernier lui claque ne serait-ce qu'une foutue beigne. Merdailleux, une telle raclée, ce n'est pas permis pour qui se dit être forban ! J'en ai tellement honte que je replonge ma barbouse dans le tord-boyaux pour ne pas la relever avant que la victime ne finisse par se faire expédier en dehors de la grotte, coups de ripatons au troufignon ! Dans un soupir, je vide mon canon et me dirige vers la sortie.

M'arrête à hauteur de la bande de gueusards, qui ne remarque pas ma présence. Trop occupé qu'ils sont à rejaquer, à se foutre du moutard et de la correction que leur camarade d'équipage leur a flanqué. Ils lichaillent un coup à ce moment. Mon arguemine s'empare d'une dossière, et pendant que tous s'humectent la dalle, je claque le bois sur le carafon de l'enviandé qui a donné les gnons. Le connaud, ivre, ressent rien, tout juste une léchouille. C'était pas l'idée, de le sécher avec si peu. Il a tout juste le temps de se retourner que ma pogne claque sa mandibule dans un bruit sec. Plus de son, plus d'image, le gaillard s'affale sur ses petits culs crotté de compagnons. J'éclate d'un rire gras. Un vrai, un qui n'a rien à envier aux leurs. Là-dessus, je m'empare de leur litron de casse-poitrine avant de mettre les voiles.

J'entends que ça beugle comme un âne derrière-moi, du genre qu'il faut pas me laisser filer, qu'ils vont m'esquinter les guiboles, me tordre la gourgane, m'étriper. Ils sont blanc de rage et ça me désopile bien la rate. Je trotte. Oui, ça m'arrive de faire s'activer cette vieille carcasse, ça a le mérite de m'empêcher de geler avec un froid pareil. Jouer des gambettes oui, mais pas fuir. Seulement les amener où je veux. Et où, c'est droit dans la direction de la marmaille à qui on a pas laissé le temps de s'expliquer à l'ancienne, à la dure. Je sais pas vraiment où qu'il traîne sa tirelire, mais j'ai ma petite idée vu l'état dans lequel on l'a mis. Je m'assure que les soudards perdent pas ma trace et file jusqu'aux docks. Merdouille, je suis à sec. Souffle court. Palpitant qui s'affole. Demande de la bibine. Court arrêt pour arracher deux ou trois gorgées au pichet et je me remet en mouvement.

Je le trouve finalement, le mousse. A se contempler misérablement la fiole sur la baille. Tseuh ! On aurait pas pu faire plus cafardeux comme tableau. Je vais pas le laisser lancequiner sur son sort plus longtemps. De mes grosses paluches, je l'agrippe par les frusques, le soulève un coup dans les airs et le propulse à l'encontre de la masse de boucaniers furibards qui déboulent à grandes enjambées.

Traine pas plus longtemps les miches par terre, bondis sur tes paturons et montre à ces coulis d’emplâtre comment que c'est d'être un forban de la vieille ! Mordille-leur les burnes, arrache-lui l'esgourde, claque-lui la bobine sur la table ! Tes paluches te servent pas uniquement à vider le godet et te tripoter le dardillon ! Giah-ah-ah-ah !


Spoiler:
    Ça s'agitait en amont. S'étant miré un instant dans la mer, unique surface réfléchissante voulant encore bien faire honneur au mousse infortuné par la sauvagerie des siens, Joe fut interpellé par ce son de grogne qui résonnait au loin. Le soleil commençait à peine à se coucher et le bougre n'avait alors pas encore effleuré les racines des ses emmerdes.
    Des beuglements d'enragés se rapprochaient, dévalant la vallée qui menait à l'embarcadère étroit où se situait Joe. Enragés, c'était peu dire. Les foules en colère avaient l'art et la manière de se faire remarquer. Les devançant au loin de quelques dizaines de mètres, un boucanier grisonnant leur échappait avec une désinvolture crasse.

    - Allons bon... Pour une fois que c'est pas la jeunesse qui trinque, y'a une justice en ce bas monde.

    Ponctuant sa saillie d'un crachat encore parsemé de sang, le mousse fronça les sourcils. Plus il y réfléchissait, et plus ça le frappait : tout ce petit monde se dirigeait vers lui. Vite, il se tourna afin de se réfugier et échapper au troupeau de cons sauvages qui déboulaient à vive allure dans sa direction. Inconvénient de taille lorsque l'on fréquentait les docks, le seul échappatoire possible consistait à se jeter à la mer.
    Pas de répit pour la canaille. Plus rapide qu'il ne l'aurait espéré, l'aïeux l'avait déjà atteint. Se comportant en sage du fait de son âge avancé, il adressa à Joe quelques bons conseils avant de le jeter sur la foule en colère. Manifestement, l'âge engendrait plus de fous que de sages.

    - Faites et gaffe les gars ! Y nous balance des ordures !

    - R'gardez moi ça ! Ce serait-y pas le puceau de tout à l'heure ? Les deux là sont de mèches, l'autre raclure c'est surement son grand-papy ! Regarde ça vieux con ! On va le dérouiller ton petit-fils ! T'y réfléchiras à deux fois avant de venir nous chercher des crosses !

    Un bon pirate avait trois couteaux, deux mousquet, mais qu'une parole. Soucieux de tenir leur promesse, la horde des écumeurs remit le couvert. On n'avait pas laissé à Joe le temps de se redresser après avoir été balancé ainsi au centre de tous les mécontentements. Devant le malheureux savaté avec frénésie, l'ancêtre observait en se rassasiant de quelques nectars alcoolisés.

    - Ton direct pourceau ! Besogne-moi ces gorets que les molaires giclent !

    Son direct ? Le pauvre mousse n'aurait pas pu le placer même s'il avait pu se payer le luxe de pouvoir se tenir debout, on s'était amassé sur lui de sorte à ce que le moindre centimètre cube d'air était saturé par de la chair de flibuste. Et les semelles de bottes continuaient à s'abattre sur Joe qui faisait le dos rond. Chaque coup résonnait dans tout son être, il lui semblait avoir entendu plusieurs os se briser, étant incapable de localiser lesquels précisément tant la douleur l'assaillait des pieds à la tête. Mais au moins, le sang ainsi réchauffé par les secousses qu'on lui prodiguait, il n'avait plus froid.
    Le joyeux spectacle se poursuivit aussi longtemps que la force demeurait dans le cœur de la meute. Avinés qu'ils étaient, l'ardeur leur manqua rapidement. Imbibés de breuvages douteux aussi divers que variés, mais toujours alcoolisés, bon nombre d'entre eux oublièrent rapidement la raison pour laquelle ils s'en étaient allés lyncher du jeunot.

    - Et qu'ça te serve de l'çon !

    Cette leçon, il l'avait retenue. Chapitre un du guide du parfait petit pirate : "tant que tu es en vie et sans chaînes autour des quenottes, c'est une victoire". La vie ne l'avait pas quittée, la plupart des coups ayant rencontré ses flancs. Cependant, ce n'était pas demain la veille que la victime de lynchage s'en irait gambader où que ce soit. Cela tombait bien, il n'était pas d'humeur franchement champêtre en cet instant présent.

    - Eunuque à la manque ! Te faire trogner par des sous-soiffard, les soufflantes se perdent ! La jeunesse se crève, je m'en irais bien achever tout ça.

    Et glou et glou, alors que la foule s'était dispersée, l'ancien sirotait sa bibine à intervalles régulières comme si sa vie en dépendait. Non mécontent d'avoir fait pleuvoir une averse de phalanges sur le forban en herbe, il demeurait là à engueuler le mousse qui gisait.

    - Mais les jeunes pousses de la case de ton genre, c'est comme ces chiures de lianes. Faut faire trisser du jus dessus pour que ça grandisse. Et la gnôle, c'est bon pour les arsouilles comme toi. Allez l'ablette ! Bois donc !

    Généreux et même partageur, le vieillard jeta aux côtés de Joe une gourde de la vinasse qu'il s'était accaparée durant sa course folle. Le liquide pourpre s'écoula aussi vite que la besace de cuir le contenant se dégonflait, humectant alors le visage du forban amateur. Le luron s'était évanoui des suites de ses douleurs, n'ayant pas entendu un traître mot écorché de la baderne ayant tenu son discours. C'est la sensation humide du vin qui s'étalait jusqu'à son visage qui réveilla en sursaut le mousse pensant se noyer.

    - La purge ! Bordel mes côtes, mes côtes...

    Réveillé d'une humeur exécrable, Joe se tourna, dérangé par l'ombre de l'énergumène perché derrière lui. Ce vieux, il lui réservait des projets de son cru pour le remercier de la ratonnade.

    - Mire donc gaillard ! À peine trempé dans le jaja que tu nous reviens. C'est pas la joie ça puceau ?!

    In vino veritas et en vérité, le pirate d'eau douce après tant de mésaventues était à court de patience. Pour lui, il n'était même plus question de savoir pourquoi l'engeance sénile s'en était venue lui pourrir la vie, ni même de chercher à comprendre ce qu'il disait. Non, la rage lui prodiguait l'endorphine nécessaire pour atténuer ses douleurs et se lever et faire craquer ses doigts.

    - Papy, ta tombe, tu la veux plein Sud c'est ça ?

    Interloqué un instant par l'ingratitude de ce gamin à qui il enseignait la vie, Balior se mit à rire exhibant une représentation originale de dentition.

    - Chiassard, des mignonnes comme toi, j'en alpagué presque autant que j'ai taquiné de boutanches !

    Et il rit de plus belle devant l'audace d'une jeunesse qui ne connaissait pas sa place. Enhardi par l'impertinence de son aîné, Joe ne comptait pas en rester là et, bien que n'étant pas une tête brûlée, ne put s'empêcher de foncer poing en retrait avec l'intention de l'abattre sur la trogne du fier Balior. Le principal intéressé ne se sentit pas concerné pour un sou par la menace puisqu'il se mit à se délecter d'une nouvelle bouteille de vinasse.

    - Mais ferme ton claque merde !

    De sa main disponible, d'un geste vif, l'aïeux se saisit du T-shirt de son agresseur pour l'envoyer s'envoler derrière lui. Joe se réceptionna dans une mer glacée. Battant des bras frénétiquement pour s'en extirper, le mousse trempé se frictionna les bras grelottant et claquant des dents à s'en rompre la mâchoire.
    Pas même réchauffé, il repartit pour un nouvel assaut.

    - Retourne donc mariner gaillard !

    Les plongeons se succédèrent encore dix fois avant que Joe ne saisisse que l'hypothermie aurait raison de lui bien avant qu'il n'ait raison du vieillard inébranlable.

    - Pour de la vermine, tu m'es sympathique. Plutôt que m'en aller te dépayser le râtelier, je vais essayer de voir comment on peut façonner une graine de flibuste de ton espèce.
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    C'est qu'il était foutrement têtu le salopiaud ! Le seul bémol, c'est qu'il a attendu le mauvais moment pour sentir ses roustons grossir et envoyer les gnons. Il choisissait le mauvais gaillard avec qui se castagner, aussi. Alors quoi ? Devant quelques zigues dans la force de l'âge et physiquement plus robuste il se défilait, mais un vieux schnock crève la dalle et boit-sans-soif, il se sentait à la hauteur ? Une beigne dans les ratiches, c'est tout ce qu'il mériterait ce bachibouzouk ! Et le respect des anciens ? Il se torche avec ? Il doit pas connaître, merdeux comme il a l'air d'être. Je m'en vais lui refaire une éducation, lui apprendre comment se comporter en vrai forban. Enfin, dans un premier temps il serait bon de le rafistoler un peu, c'est qu'il a l'air plutôt mal en point avec la rouste qu'il a ramassé.

    Suis-moi le mioche, je sais ce qu'il te faut pour soigner tes blessures. Un vieux remède de pirate ! Un breuvage, mélange de rhum, de sang, de tripe et de chiasse porcine, ça décape les bronches, désinfecte les lésions internes et anesthésie la géhenne pour trois journées au moins ! Giah-ah-ah-ah !

    S'il s'imagine que je lui raconte des bobards, il est bien con ! J'ai connu ce délicieux élixir il y a une décennie déjà. Déjà la gouaille plus maous qu'un beuglant à l'époque, je me suis retrouvé à échanger des mandales avec un jeune merdeux arrogant et irrespectueux avec ses aînés. Sous-prétexte que ce pétrousquin était le dernier prince d'une longue lignée de guerriers des mers, prince des Saillans qu'il rabâchait sans cesse, il se pensait tout permis. Quand je lui ai rentré dans le lard, sa fierté en a pris une sacrée torgnole. Mais le gueusard avait au moins le mérite de pouvoir assumer sa grande gueule à l'aide de ses paluches, il savait castagner. Ce fut une sacrée cognerie dont je me demande encore comment j'ai pu en ressortir vivant. Une chose est sûre, j'étais sacrément amoché.

    Je dois mon salut à vieux forban qui avait assisté à la distribution de parpaings, et qui avait ramassé ma vieille carcasse pour la ramener dans sa baraque. Quelques jours de sieste et des litres de ce fameux remède ingurgité plus tard, j'étais de nouveau sur mes paturons, plus solide que jamais. C'est là qu'il m'a transmis les ingrédients de son remontant, pour les prochaines fois où j'aurais besoin de me rafistoler tout seul. Et je dois dire que cela m'a a été utile bien des fois ! Aujourd'hui, c'était à moi de le faire partager au moutard. Je lui devais bien ça après l'avoir envoyé au charbon sans lui demander son avis ! Il traîne un peu la patte, mais on arrive tout de même à destination avant que ma cruche de pivois soit vide. Chançard. Une bicoque. Ou quelque chose qui y ressemble. Taillée dans la pierre, tout ici est gravé dans la rocaille.

    La flibuste ne frappe jamais avant d'entrer.

    Ma dextre s'empare du pistolet à silex à ma ceinture et d'un rire gras, je fais pleuvoir une volée de plombs dans la porte en bois. Si des troufions se trouvaient de l'autre côté, ils devaient gisaient à terre à présent, la peau trouée. L'artous qui s'écrase sur la porte, le verrou qui saute, le reste qui retombe à l'intérieur non sans un certain vacarme qui me fait dévoiler mes ratiches jaunies. C'est ouvert. Je laisserai bien le tétard entrer le premier, mais j'ai le foie sec et sait pertinemment qu'à l'intérieur il y a de quoi étancher ma séche. Il fait sombre, plus noir que dans un trou de taupe. Il faut un temps d'adaptation aux mirettes pendant lequel je me heurte à deux trois conneries qui traînent sur le passage. Après quoi, je commence enfin à mirer clairement, et les coquards accrochent à l'étagère poussiéreuse où croupissent une foultitude de cruches.

    Giah-ah-ah-ah ! Zieute-moi ça le momignard ! On a de quoi se rincer le cornet pendant trois ou quatre jours au moins ! Giah-ah-ah !

    La palette qui s'empare de quatre bouteilles, une pour lui, trois pour moi. Je lui lance la sienne et à l'aide de mes chicots arrache le bouchon de chacune des miennes. Que je me rince la dalle en portant le tout en fond de tuyau. Le tord-boyau coule, autant à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'entonnoir. J'ai l'habitude.

    Ah ! Bien, on a le premier ingrédient ! Prend une bouteille et garde-la au chaud en attendant le second ingrédient, il devrait pas traîner ! Pose le derche où tu veux, fais comme chez toi, la flibuste est partout chez elle ! Giah-ah-ah !

      Tout s'était passé si vite. Une branlée pour commencer, une escapade nocturne en guise de digestion puis une irruption fracassante chez l'habitant ; Joe n'aurait pas pu envisager nuit plus mirifique suite à ses déconvenues du jour. Un œil peu averti aurait pu voir dans les méfait du vieillard une forme de vandalisme, mais tout bon pirate ayant arpenté Rokade une fois dans sa vie savait qu'il venait de commettre l'irréparable, et ce, sciemment.
      En cette nuit sombre, où la lune rougeoyante faisant office d'unique lueur irradiant jusqu'aux surfaces rocheuses de l'île, quelques limites relatives à la bienséance avaient été franchies. Plus que franchies, elles avaient été sauvagement violées sous le regard presque innocent du morpion qui accompagnait Balior.

      Comme initié à un monde nouveau, de nouvelles perspective s'offraient à Joe. Rampant dans le sillage du vieux briscard, il était tel un aveugle qui percevait pour la première fois la lumière. Rokade, terre de piraterie n'était alors plus Rokade. Non. Rokade était un cul, un cul qu'avait besogné Balior sans la moindre considération pour la flibuste environnante sommée de subir ses saillies douloureuses.
      On parlait des îles pirates comme de parfaites zones de non droit, et pourtant, l'ordre émanait même du chaos le plus houleux. Toute atteinte à la propriété privée était lourdement sanctionnée, de cette disposition législative dépendait la fébrile stabilité des lieux. Malgré cet interdit, l'ivrogne était entré par effraction dans une bâtisse heureusement vide au moment de l'irruption des deux forbans.

      - T'es pas chié toi ! Je suis pas franchement sûr qu'on ait le droit d'entrer chez les gens comme ça.

      La paume caleuse de l'ostrogoth s'abattit violemment sur la joue de l'insignifiant pirate qui lui collait au cul. Joe manqua d'en tomber à la renverse et se frotta ladite joue, montrant les crocs et plissant les yeux tel le clébard miteux qu'il était.

      - Pisseuse ! Un écumeur ça mendie pas le droit ! Ça prend ! Ça choure !

      Instruit mais vexé, le flibustier en herbe se frotta la joue, articulant sa mâchoire afin de vérifier que tout était intact.

      - Merci pour la leçon, mais je jure que si tu me touches encore je t'étouffe avec les noix atrophiées qui te servent de c....

      Et ce fut une nouvelle volée qui rencontra la mine déconfite du morpion tombant cette fois sur le cul, surpris de cette nouvelle claque. Croiser le regard de Balior suffit à lui faire comprendre que ses menaces n'avait pas lieu d'être face à un pirate de a trempe.

      - Bon... Je laisse filer pour cette fois.... Mais c'est bien parce que je suis respectueux des anciens.

      Tout prétexte était bon pour justifier sa lâcheté. Après s'être relevé et avoir parsemé la bicoque qu'ils avaient investi, Joe ne s'embarrassait déjà plus du bien-fondé d'une telle violation de domicile. La gnôle prospectée par son précepteur suffit rapidement à noyer toutes les inquiétudes qu''aurait pu lui soumettre sa cervelle tourmentée.
      Vite réchauffé par les liqueurs qu'ils écumèrent consciencieusement, les deux firent connaissance. À dire vrai, Balior tînt le crachoir plus que de rigueur. Somnolent, son interlocuteur ne saisissait qu'un mot sur deux et mettait en doute la véracité des récits corsaires qui lui étaient contés. Mais c'était au vieux qu'il devait son début de cuite, il n'allait pas cracher dans la soupe et le laissa jacter.

      - Un gusse qu'avait des trous plein la gorge et pis des chicots.... Un râtelier bon à te scier en un coup....

      - Un homme-poisson quoi.

      - La sourdine marmot ! C'est moi qui raconte ! Alors le lascar se met en tête de me grailler. Les coups de pognes que je lui ai mis à la sardine, mais rien à faire, j'ai failli caner le jour-ci. Mais là loupiot, là....

      Quelque peu imbibé, il fallait parfois quelques secondes au vieillard empêtré dans un épais fauteuil pour retrouver ses esprits. Agitant la bouteille qu'il avait en main à chaque tirade, la moitié du contenu se déversait partout dans la demeure empestant de plus en plus le rhum.

      - .... Alors qu'il s'imagine qu'il va me fumer, je décoche un foutu taquet dans sa bobine. Bah crois-moi sur parole, les chailles de poiscailles comme l'autre là, c'est de la gnognotte quand un vrai mastar tambourine.
      Moral de l'histoire ! Enquiller du hareng sur patte, c'est juste une affaire de volonté Gya-ha-ha !


      S'étonnant que sa bouteille se soit vidée si vite, il se saisit d'une des munitions de secours qu'il avait amassées à portée de bras pour se rincer le gosier une fois sans freiner sur le débit. En l'espace d'une heure, ils étaient venus à bout d'un stock d'alcool de contrebande destiné aux îles désœuvrées en proie à la prohibition. Prêt d'un demi million de berrys d'alcool avait été rigoureusement sifflé par le deux soiffards.

      - Cogner, cogner.... C'est d'un vulgaire. Rien ne vaut le plomb mon cher Balior. La brute castagne....

      En pleine démonstration philosophique à hauteur de deux grammes dans le sang, Joe, affalé sur un lit où il cuvait à un rythme plus modéré que son comparse, sortit un mousquet et le brandit, main légèrement tremblante.

      - ....L'homme civilisé dézingue. Tu peux castagner sévère mon pauvre vieux, mais l'artillerie, ça ça fait du bien par où ça passe je te le dis !

      - Ouais, surtout bon pour compenser quand on à pas de couilles au cul et qu'on est gaulé comme une sauterelle !

      Une fois de plus vexé, sans être baffé néanmoins, ladite sauterelle pointa le mousquet en direction du vieux flibustier amorphe dans son fauteuil.

      - Redis ça juste pour voir.

      Il en fallait peu pour tendre l'atmosphère lorsque deux pirates étaient amenés à se fréquenter même à brève échéance. Avinés qu'ils étaient, ni l'un ni l'autre n'auraient su dire pourquoi ils en étaient venus à se vouer une hostilité palpable en cet instant présent. Balior, bien que souriant, fixait avec hargne l'inconscient qui le braquait de son regard d'ivrogne.

      - Quoi ? Qu'il y a que les bouffeurs de chibres pour s'en remettre juste à la poudre ?

      *clic*

      Joe avait pressé la gâchette, ce n'est que lorsqu'il était en position de force qu'on pouvait être certain qu'il ne bluffait pas. Surpris par l'impulsivité de son élève du jour, le vieux avait serré les dents et fermé les yeux s'attendant à se faire percer la panse. Mais il n'en fut rien.

      *clic* *clic*

      - A... Attends tu vas voir ! Ça va tirer  bouge pas ! Allez putain !!!

      *clic* *clic* *clic*

      Menaçant, Balior se leva délicatement de son trône rembourré de mousse, ne manquant pas de siroter une nouvelle rasade de rhum une fois perché sur ses quilles.

      - La poudre c'est pas étanche. Fallait pas barboter tout à l'heure.

      Commençant déjà à faire craquer ses phalanges, le vieil écumeur s'apprêtait à enseigner une leçon vitale et décisive à l'intention du morpion qui l'avait menacé de la sorte : "Pourquoi il ne faut pas emmerder plus costaud que soi".
      Toutefois, son attention se focalisa par quelques lamentations émanant de derrière lui.

      - Putain ! On m'a niqué ma serrure !

      C'était une saine réaction quand on venait de saisir qu'on avait été cambriolé. Plus vif, Balior fondit sur son acolyte qu'il saisit par le col et secoua afin d'en faire descendre la pulpe éthylique.

      - Ouvre tes esgourdes mauviette, tu prends racine là où t'es, que l'autre te capte dès qu'il entre. Pigé ?!

      Sonné par la secousse, Joe ne comprenait pas de quoi il en retournait et demeura assis sur le lit, tête entre ses mains, le temps de recouvrer ses esprits. Embrumé, il n'avait pas entendu le retour du maître de maison. Lorsqu'il leva la tête et ouvrit les yeux, c'est un forban gnognard voire même patibulaire qu'il retrouva dans son champ de vision.

      - Ma porte... Ma gnôle... Tu m'expliques ?!

      - Que... Hein ? Mais t'es qui toi ? Dégage.

      Faisant "ouste" de la main, le profanateur de domicile n'avait pas exactement saisi à qui il avait à faire, les vapeurs d'alcool n'étant pas propices à la perspicacité. Ce n'est que lorsque le canon d'un mousquet fut pointé entre ses deux yeux que la raison retrouva sa voie jusqu'au cortex du jeune forban.

      - Ah ça y'est... J'ai pigé. Vous êtes comme qui dirait le propriétaire c'est ça ?...

      Ledit propriétaire arma son pistolet la bave aux lèvres.

      - Tout juste. Et toi, t'es le pauvre con qui va finir au fond de la baie dans dix minutes !

      - Alors nan, en fait moi mon nom c'est Joe Biuta...

      Les présentations étaient à peine entamées qu'une lame émoussée perça la cage thoracique de l'hôte malgré lui. Planqué derrière la porte, Balior avait attendu son tour pour briller, n'hésitant pas, après avoir enfreint le code de propriété de la piraterie, à occire le pauvre bougre délesté de sa cargaison d'alcool, puis de sa vie.
      Ainsi lacéré, le gaillard resta pétrifié et ne s'écroula que lorsque son assassin ôta le sabre qu'il s'employa à nettoyer à même les frusques de sa victime.

      -  La flibuste ça joue pas selon les règles. La flibuste ça respecte aucun foutu code de l'honneur. Voilà pour la deuxième leçon du jour.

      Encore éméché, cherchant à saisir ce qui venait de se passer, Joe restait tétanisé. Pas de doute qu'il n'oublierait pas cet enseignement marquant.

      - Assez flagorné morpion, on se lève et on me suit ! Le nuit commence tout juste Gia-ah-ah-ah !

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      De la gnole, du raisiné fraîchement prélevé à un macchabée et gardé dans une bouteille vide, il ne restait plus qu'à aller chercher le reste du remède. Ensuite, le marmot pourrait s'en mettre plein la panse de ce nectar aux bienfaits magiques. Des tripes et de la chiasse porcine, c'est pas quelque chose d'évident à trouver sur ce gros morceau de pierraille. Il me faut un petit temps à me creuser les méninges, trop longtemps que ça doit durer selon le miston, qui se sent obligé de l'ouvrir pour me presser la prose. Qu'il ne faudrait pas traîner trop dans les parages qu'il s'affole, qu'on peut encore sentir l'odeur du marasquin de l'autre empaffé à qui j'ai percé la couenne. Décarrer, n'importe où, mais loin d'ici. Que je lui colle une mandale derrière la cafetière pour le calmer.

      La paix, bougre de morue ! Mire bien ma fiole, le chiard, tu crois que c'est la première fois que je zigouille quelqu'un ? Aussi loin que je me souvienne, je me suis jamais fait cueillir par ces chiures de mouettes ! Alors cesse de te déballonner et met la en sourdine pendant que je gamberge !

      Il jacte plus, j'lui ai rivé son clou faut croire. On dira pas que c'était facile, pour Balior. Il fait grise mine, je ferai pareil à sa place. Finalement, ça me revient, y'a bien un endroit où j'ai graillé de la boustifaille qui ressemblait à du grohant. Un râtelier à la noix, le nom m'échappe mais pas son emplacement. Je fais signe au gosselin de me suivre. Il nous faut une vingtaine de minutes pour y arriver, tout juste le temps de décaniller le restant de casse-poitrine offert par l'ami refroidi tantôt. Le truc est miteux et l'embuement qui se dégage des ouvertures à l'arrière des cuisines soulève le palpitant. Je saurais pas dire ce qu'ils cuisinent, mais si c'est pas du pourceau, cela fera largement l'affaire !

      Foutrebleu ! Ca pique au blair ! Si j’étais pas un habitué, ça pourrait me faire dégobiller ! Giah-ah ! Renifle-moi ça le moutard, c'est ce qu'un flibustier piffe tous les foutus jours de sa foutue chienne de vie ! La flibuste ne briffe pas du caviar dans un restaurant infesté de nobliaux plus fortuné que tu pourras jamais l'être ! Giah-ah-ah-ah !

      J'lui claque ma pogne dans le dos, c'est pas très ragoutant d'ici, mais après quelques semaines de galère, on fini par réussir à se retenir de gerber. Y'en a même qui parviennent à apprécier le goût. Moi je me contenter de tout ingurgiter et de purger le tout par des litres de bibine, sacrément efficace. Chacun sa méthode, il aura tout le temps de trouver la sienne. En attendant, c'est un plan que je viens de trouver moi. On va la jouer simple. Et je vais en profiter pour mouiller un peu le mioche. Faut qu'il apprenne à survivre. Je lui explique comment on va s'y prendre. Il tarde pas à me rétorquer que c'est risqué pour mes miches étant donné que l'endroit doit grouiller de loubards atotalement brindezingues et friands de castagne.

      Tu parles d'or, poupard ! Va falloir te montrer rapide pour ce coup, tu déboules et tu mets les voiles aussi vite que j'enquille un litron de rhum, pigé ? Giah-aha-ah !

      Je m'empare de mon pistolet à silex et de mon sabre, puis je me dirige vers l'entrée de la gargote. D'un coup de paturon, j'enfonce la lourde et j'embarbe à l'intérieur, la trogne sévère et le boudin qui taquine la gâchette. Le plomb fuse et les carcasses se percent, le mobilier vole en éclats. C'était pas un tir de précision, mais de diversion. S'il n'est pas trop couillon, le moucheron en aura profité pour se mettre en branle. J'ai capté toute l'attention de la bande de sacs à vin, tous me mirent et aucun penserait à de la comédie. J'ai pas la trombine d'un petit plaisantin. Y'en a pas un qui moufte. Je crois même qu'ils attendent que je leur beugle mes revendications ou une connerie du genre. Et je vais le faire, si tôt que je saurais quoi dire, c'est que j'avais pas sorbonner si loin...

      Ouvrez grandes vos esgourdes, les culs terreux ! Je suis pas venu me rincer le bec, je cherche le bougre de bec-à-merde, le restant de souper qui a eu le culot de me détrousser de mon biffeton pendant que je roupillais à l'ombre ?! Un certain Joe Boutade... Bioutane... Bourade... Ventrebleu ! Un certain Joe ! Z'auriez pas croisé le saligaud par hasard ?

      Je sens qu'ils ont besoin d'être poussé au fion pour se sentir concerné, alors je fais sauter le caisson du jobard qui pensait pouvoir m'abattre en traître avec son coupe sifflet.
        Comme un chien dans un jeu de quille, l'ancien c'en était allé provoquer un énième cataclysme. Survivant de justesse à chaque brillante élucubration corsaire du vieillard, Joe sentait son cuir s'affermir d'emmerde en emmerde.
        La lune, menaçante en ces contrées, surplombait l'île maudite sur laquelle le pirate en herbe avait eu le malheur de se trouver. Curieusement, tous ces désagréments lui avaient réchauffé les sangs au point de le rendre presque insensible aux premières fraîcheurs de l'hiver qui l'accablaient pourtant il y a de cela encore quelques heures.

        Cette initiation à la piraterie avait pris un détour inattendu et aurait raison de lui bien assez tôt, il le comprenait maintenant. Marcher dans les pas de Balior revenait à jouer à la marelle au milieu des pièges à loup, aucune issue reluisante n'était à espérer. Enfin, après moult péripéties, Joe crut un instant que le pirate sénile s'étant entiché de lui l'amenait se remplir l'estomac. Malgré tous les hauts de cœur qui l'avaient assailli depuis leur rencontre fortuite, le jeune boucanier comptait sur un repas chaud afin de se remettre de ses émotions.
        Ruminant quelques mots sur une opportunité de "s'en mettre plein les fouilles", suggérant avec la subtilité qui lui était propre une projection à court terme peu reluisante, Balior s'empressa ensuite d'enfoncer la porte du rade vers lequel il avait mené son petit protégé.

        Encore une fois, l'idée était simple : créer une distraction tandis que Joe vidait la caisse, une prestidigitation vieille comme le monde que les plus mauvais esprits appelaient "cambriolage". Seulement, si la vieille canaille buvait sans soif, pour le jeunot qui le suivait depuis déjà trop longtemps, la coupe était pleine, il n'en pouvait plus. S'enfonçant un peu plus dans la panade de minute en minute, Joe parvenait à entendre l'appel de la tombe qui se faisait sans cesse plus pressant.
        Balior ruait dans les brancards, qu'à cela ne tienne, son morpion lui fausserait compagnie au moment le plus crucial. Alors que le briscard de flibuste l'attendait au tournant pour s'en mettre plein les fouilles, Joe avait levé les voiles pour s'en aller vers des horizons moins ternes.

        Suffisamment éloigné de la gargote encore en plein tumulte, pour ne pas être suspecté d'avoir un quelconque lien avec le vieux con en plein massacre, un quelque chose, un rien même ébranla sa volonté. Était-ce la culpabilité ? Ce vieillard, bien que patibulaire, bourru, violent, alcoolique et profondément idiot n'était peut-être pas si malfaisant que cela. L'abandonner à son sort, sort funeste s'il en était, amena Joe à réfléchir davantage sur les conséquences de ses actes.

        - Je peux faire pire.

        En réalité, les enseignements du vieil écumeur avaient portés leurs fruits. De la culpabilité de Joe, il n'en restait que des miettes, il en allait d'ailleurs de même pour son sens de l'empathie. Poussé à bout par les excentricités de son mentor d'un soir, un nouveau sentiment émergea des entrailles du jeune forban. Une faim de vivre, une soif de vaincre, et ce, quoi qu'il en coûte. Nuire à chacun pour en tirer le meilleur parti le tout sans se soucier des conséquences semblait alors une expectative vraisemblable et souhaitable à ses yeux. Balior, de par ses enseignements avait contribué à l'accouchement d'un Joe nouveau. Joe n'était alors plus tout à fait Joe, en cette nuit glaciale, il était devenu le cafard.

        - Quitte à faire la nique à ce con, autant faire les choses bien !

        Seul sur les pierres rouges de la Rokade, le cafard se marmonnait de bien sombres projets. Ricanant déjà, jubilant à l'avance des idées malsaines affluant par milliers dans son ciboulot de flibustier sans vergogne, il s'en allait mener à bien son premier plan malsain.


        ***


        - Z'en finissent pas d'venir s'empaler sur mon tranche lard GnnNnNN... Crevez donc charognes !

        Bataillant avec hargne et vigueur, l'ancêtre n'était pas prêt de se reposer sous une pierre tombale. Toute la canaille qu'il était venu bouter à grands renforts de plomb et d'acier tranchant avait toutefois une certaine forme de répondant à lui offrir. Sur la Rokade, la flibuste ne baissait pas les yeux quand on la braquait, elle répliquait, rendant les coups au centuple.
        Couvert de tripes et trempé d'hémoglobine, Balior tenait bon, sa diversion avait tourné à la bataille épique, mais il tenait bon. Ses adversaires se faisaient moindres, s'entassant les uns sur les autres, formant plusieurs piles distinctes de cadavres fraîchement écorchés.

        - Foutrecul ! Ça c'est de la diversion !

        Légèrement voûté, reprenant son souffle, l'écumeur avait déchiqueté toute la clientèle de la gargote, se surpassant une fois de plus dans ce registre odieux qu'il affectionnait tant. Dix forbans de plus à occire et il aurait eu les yeux plus gros que le ventre.

        - C'est lui ! C'est votre homme ! Crevez-moi ce sous-déchet !

        Tournant le dos à la porte qu'il avait fracassée pour mieux entrer, Balior vit derrière lui ce dont il aurait aimé pouvoir se passer. Ce n'était pas dix forbans qui s'étaient rameutés, mais trente. Le boui-boui dans lequel il s'était adonné au massacre était pourtant éloigné des artères les plus fréquentées de l'île. Qu'une telle masse rapplique le plus naturellement du monde était impensable. Sauf évidemment si un être mal intentionné s'était employé à rameuter une foule en colère.

        - Ouais, je reconnais bien cette ordure ! C'est lui qu'a tué votre pote, pas de doute. Il a aussi dit que tous les pirates de Rokade avaient des petites bites, et pis aussi un truc sur vos mères, rapport au fait qu'elle toçait des b....

        - Ça va on a compris ! Chopez-le les gars !

        Il n'avait pas retrouvé son souffle qu'une horde de boucaniers furibonds pénétrèrent dans la bicoque ensanglantée afin d'en découdre. Balior n'était pas au bout de son calvaire. Fendant le crâne des premiers entrants pour marquer le coup, ses globes oculaires gorgés de veines prêtes à exploser ne quittèrent pas Joe des yeux.
        Ce dernier avait été assez malin pour rester en retrait, se délectant du spectacle comme une hyène avant son festin.

        - CAFAAAAAAAAAAARD !

        Ainsi Joe avait été rebaptisé par son professeur de piraterie.
        Enhardi par la haine qu'il vouait à celui qui lui avait prodigué l'un des pires coups de pute de son existence, le vieillard massacra son prochain avec davantage de vigueur. Il ne voulait pas triompher, mais survivre à ses assaillants pour se venger sur le misérable avorton qui l'avait ainsi trahi.

        - La flibuste ça joue pas selon les règles. La flibuste ça respecte aucun foutu code de l'honneur hinhin.

        Ruminant les mots qui avaient été ceux de son mentor une heure auparavant, le cafard avait retenu la leçon. Mieux encore, l'élève avait dépassé le maître et s'en allait maintenant vers d'autres horizons laissant le tumulte derrière lui. La créature de Balior s'était retournée contre lui, elle était à présent libre de nuire avec la veulerie qui était la sienne. Le cafard était sorti de sa boîte.

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        CAFARD ! SALE RACLURE DE PELLE A MERDE ! AVALEUR DE BRAQUEMARDS ! TRIPLE FACE DE PAYSAN ! J'AURAI TA CARCASSE FUMIER DE LAPIN !

        Furibard qu'il m'a foutu, l'enfant de chienne ! J'ai une furieuse envie de cartonner qui me prend, mais je dois d'abord estourbir la masse de trous de fions qui m'est tombé sur le coin de la tronche avec ma diversion. Ah fichue diversion, c'est qu'elle avait sacrément efficace la pouffiasse ! Tellement qu'il a eu le temps de la retourner contre ma poire ! Couillon que j'ai pu être de faire confiance à une chiure de cet acabit ! Je savais bien qu'on pourrait pas en faire grand-chose d'une saloperie pareille ! Quand je lui aurai remis la paluche dessus, foutredieu qu'il va regretter de m'avoir joué ce coup de putain ! Je vais lui démolir la trombine à l'ancienne et refiler ce qu'il restera de lui à aux requins, sacrebleu ! Enfin, supposons que je parvienne à me sortir les miches d'ici sans écoper d'un second trou de balle...

        Maudis sois-tu Cafard !

        J'enfonce la lame de mon sabre à travers la gargue d'un malheureux qui s'approchait de trop près, c'était lui ou moi. Le bémol dans le plan du mioche, c'est qu'il ne me connaît pas. Il ne sait pas à quel clébard rôdé aux emmerdes et aux plans suicidaires il s'en est pris. Et un clébard quand il est acculé dans ses retranchements, il se laisse pas refroidir, il montre les crocs et chique avec plus de virulence encore. Son petit traquenard de tantouze, je vais le foutre à la flotte. Y'a une chiure qui me colle une mandale, ça claque fort et c'est surtout pas le premier que j'encaisse. Tu peux être aussi solide que tu veux, arrive un moment ou le carafon est secoué, y'a les étoiles qui apparaissent et l'image qui part en vrille. Le raisiné dégouline par endroits sur ma bobine, j'en démords pas pour autant.

        Cafard... CAFARD ! JE VAIS TE RETROUVER ET T'ECRAPOUTCHINER FAÇON BALIOR BLACKNESS ! RAAAH !

        Un zigue avec un coupe sifflet tente de me la boucler, autant que de me percer la rate. D'instinct j'y oppose mon bras et zieute la lame tracer son chemin à travers la chair dans une volée de sang. Géhenne, ma douce géhenne, ne tarde pas à m'envelopper de ses ailerons et moi de beugler à m'en décrocher les poumons. Pas le temps de riposter qu'un second pointe son museau et me claque une chaise dans le dos. Enfin un troisième me rentre gentiment dans la couenne et m’entraîne dans son élan pour aller m'encastrer contre le comptoir. Certains diront que ça fait beaucoup pour un seul homme. Moi je rétorquerai que j'en ai pas eu assez, et que tant que le palpitant me lâchera pas, alors je forcerai sur mes guibolles pour me relever.

        Chienne de vie... chien de cafard...

        Je mire autour de moi et peste contre le sort qui a l'air de se foutre de moi. J'ai allongé un tas de guignols, pourquoi faut-il que je cale sur les trois restants ? Y'a pas à chier, je canerai pas ici, pas maintenant. Alors pourquoi est-ce que le jus me manque sur la fin ? Foutu acharnement. Ils finissent par piger que je réserve ce qu'il me reste de force pour cogner, et pas pour avancer, alors c'est eux qui viennent à moi. De ma dextre, je brandis mon pétard en direction de la caboche de celui à droite qui s'arrête instinctivement, couillon. J'ai le flingue vide depuis des lustres. Je voulais juste éviter de les recevoir les trois à la fois. Ma pogne tenant mon rasoir se dresse à son tour, suintant le vermois et désireuse d'en faire couler davantage. Elle pare la lame du poignard et d'un coup de savate, je renvois son proprio en arrière. Ça me vaut de ramasser une paire de gnons.

        RAAAAH ! DU NERF BALIOR ! C'EST PAS DES MOUTARDS TOUT JUSTE FOUTU D'EN COLLER UNE QUI VONT AVOIR TA VIEILLE CARCASSE !

        J'agite mon briquet et son tranchant vint caresser l'entonnoir du jobard face à moi qui s'écroule en s'étranglant dans son jus. L'autre et son lardoire gesticule sur mon flanc et finissent par me tailler dans le lard, avant que sa tarlouze de compagnon m'expulse de l'autre côté du comptoir d'un lourd coup de manchette. Je m’affale au milieu des bouteilles de gnôles qui me retombent dessus...

        Saletés de sacs à vin... vous commencez... à me les briser sévère...

        Que je braille entre deux grosses gorgées de rhum, le meilleur des remontants pendant une castagne. Y'en a un qui passe par dessus le comptoir et que j'accueille avec la moitié d'une rouillarde que j'ai brisé dans ma chute. En plein dans la châsse, ça devrait suffire à le garder au sol, à défaut d'avoir ce qu'il faut pour le zigouiller. Je reverse un peu de rhum dans l'avaloir, en attente. Reste sa petite copine armée de son coupelard. On va voir lequel des deux est le plus habile dans ce domaine...

        Foutaises.

        Je lui expulse le tord-boyaux encore en bouche directement sur la torgne, histoire de l'aveugler le temps de lui expédier la pointe de ma gaudille dans la couenne et de le laisser pour mort. Je dois décarrer d'ici avant que d'autres se pointent... Tout juste la force de sortir par la lourde de derrière et de faire pas plus d'une dizaine de mètres que je m'écroule dans une ruelle...