Le rat et l'empereur
- Eh Malon! Réveilles-toi! Nous y sommes!
Malon ouvrit les yeux péniblement, s’extirpant de son long sommeil. Après quelque secondes, il reconnut un ouvrier avec qui il s’est échappé de Zaun. Malon était avachit sur un lit en paille dans la cale du navire qui les avait sortis de leur île natale. Il se leva lentement, tous ses membres étaient engourdis par Morphée. Lorsqu’il parvint à se mettre debout, il demanda:
- Où sommes nous?
- A Luvneelpraad, un vieux port abandonné ou seuls vivent les reclus comme nous. Techniquement, nous serons sous l’autorité du royaume de Luvneel, mais concrètement, c’est la liberté qui nous attend!
Les deux hommes remontèrent sur le pont en discutant. Le navire attendait dans la baie. Malon eut le plaisir d’observer l’île à une centaine de mètre de distance. C’était magnifique. De très vieux bâtiments en pierre, à moitié effondrés et recouverts de mousse. Il arrivait à distinguer quelques lumières et mouvements sur une place. Il devait y grouiller une masse de gens malades et affamés. Un véritable nid à microbes. Il était impatient d’y mettre pieds pour visiter. Son frère Tzénon lui avait parlé d’une organisation internationale révolutionnaire avec laquelle il n’avait pas réussi à rentrer en contact. Malon avait pour mission de se faire recruter, de gravir les échelons et enfin d’organiser une attaque sur Zaun. En tout cas, c’est ce que voulait son frère. Malon comptait bien profiter des nouveaux environnements que lui offrait le monde pour découvrir de nouveaux maux afin d’y plonger son corps et les autres. Luvnellpraad semblait l’endroit idéal pour un nouveau départ.
Malon se dévêtit, pris un éplucheur à patates qui traînait près d’un sac vide et commença à se laver. Enfin… se laver… disons plutôt enlever les croûtes et excroissances sur son corps que son manteau même ne pouvait plus cacher. Tout le monde détournait le regard, n’osant lui dire quoi que ce soit. Il fouilla avec la lame dans une plaie de son torse et y sorti un petit morceau de bois. Depuis combien de temps était-il là? Cela faisait s’y longtemps qu’il ne s’était pas adonné à ses plaisirs malsains dans la forêt de Zaun…
Pour finir sa toilette, il fit glisser l’économe entre ses dents pour y enlever tout ce qui était trop voyant. L’ustensile était devenu inutilisable, il le mit dans sa poche avant de chercher quelque chose dans ses cheveux. Il sentait que quelque chose remuait, mais quoi donc. Il finit par y retirer un insecte qu’il goba sans même regarder. Son compagnon de route avait beau avoir l’habitude, il ne pouvait se résigner à contempler ce spectacle.
Une heure plus tard, ils finirent par accoster. Malon put enfin se précipiter dans les rues étroites et sales de cette ruine décidément bien vivante. C'est encore mieux que ce à quoi il s'attendait. Sur la place du marché, des contrebandiers marchandaient de nombreuses marchandises surprenantes et sûrement interdites, des prostituées patientaient en groupe dans un recoin sombre, des étales de bois et de toiles présentaient de la viande cuite et quelques fruits et les mieux lotis vendaient des armes. Malon marchait doucement et observait avec attention et plaisir ce qui se passait. Certains le dévisagèrent, un cornu de deux mètres ça ne court pas les rues, même ici. Le géant fut soudain captivé par un groupe de lépreux qu'il avait découvert dans une impasse. Sans doute allaient bientôt rendre l'âme, il faut être patient.
Il finit par quitter le tumulte de la ville pour s'enfoncer plus profondément dans les ruines. Dans les vestiges d'une maison, il découvrit une marre d'eau croupie, elle paraissait assez profonde pour qu'on s'y baigne. Doucement, il pénétra dans le liquide verdâtre, cette fois-ci avec ses vêtements, puis s'assit sur un rebord dans l'eau. Sa tête et ses épaules dépassaient, c'était parfait. Il baissa sa tête pour se désaltérer en aspirant de la mousse et des nénuphars au passage. Il y plongea tout son corps pour mouiller sa barbe et sa longue tignasse. Quel plaisir! C'est fantastique.
Il passa bien deux heures encore à visiter les ruines pour y dénicher quelques bestioles mortes ou plantes inconnues. Cela lui rappelait son enfance dans les bois de Zaun. Il se mit à pleuvoir, peu importe. Il poursuivit son exploration. Il découvrit une petite lame rouillée avec laquelle il se fit une entaille dans la main en guise de son passage ici. Enfin, la nuit tombée, il revint sur ses pas. La ville restait agitée, mais les rues étaient désertes. Les bars et les maisons closes ont l'étrange pouvoir d'aspirer tout une ville.
Il se coucha dans une ruelle sombre, à côté du cadavre d'une femme. Le corps était encore chaud, cela l'aidera à s'endormir. Il prit l'économe de sa poche et le mit dans l'une des nombreuses plaies de la jeune femme.
- Je risque de me faire accuser de meurtre... Mais son corps est tellement confortable.
Murmura-t-il avant de s'endormir.
Lorsque Malon se réveilla, la lumière du jour peinait à se faire voir, il devait être quatre heure du matin. Malon devait se lever avant que l'on le voit avec un corps pourrissant. Il tenta de se mettre sur ses deux jambes, mais sa tête était bloquée. Quelque chose coinçait sa corne. En tournant les yeux, il comprit que le bout de son appendice osseux s'était planté dans la bouche de la défunte. Le cornu émit un râle sourd provenant du fond de sa gorge avant de se débattre pour se libérer. Il finit par forcer en tirant son cou tout en poussant le cadavre et ainsi parvint à extraire sa corne. Il venait de déformer davantage le visage de la victime en lui arrachant un morceau de lèvre. Avant de partir, il s'assura que rien sur lui ne puisse l'accabler en nettoyant sa corne.
C'est vrai, il avait du travail: rejoindre l'armée révolutionnaire. Lui et ses camarades sont venus pour ça. Le colosse avançait maladroitement dans la rue qui menait à la place du marché. Ses pas lourds sur les pavés donnaient un écho étrange. Certains sans-abris, ivres de la veille, suivait ses pas d'un oreille inquiète et ne refermait les yeux que lorsque le bruit disparaissait. Il pleuvait encore. La ville revêtait alors tout son costume de ruine. Le trentenaire ne faisait qu'un avec le décor, comme s'il avait poussé du gros nuage gros qui surplombait la place. On aurait cru à un gardien veillant à ce que jamais rien ne se réveille.
Le jour se leva enfin, les premiers marchands regardaient effrayés le cornu immobile à côté d'une estrade. Malon pensait que cet endroit devait servir à un rabatteur, éventuellement révolutionnaire. De mystérieux encapuchonnés se dirigèrent vers lui.
- Que fais-tu ici?
- Je viens de Zaun, je cherche ce que les gens appellent "la révolution".
Un silence s'installa quelques secondes puis s'envola aussitôt lorsque l'interlocuteur de Malon se retourna vers ses camarades qui lui firent signe de la tête. Il regarda à nouveau le zaunien.
- Tu fais donc parti des rescapés de la révolte de Zaun... Comment t'appelles-tu?
- Malon Rouge, fils d'Olon. Suis-je au bon endroit?
- Doucement! On n'a jamais dit qu'on allait t'accepter. Mais tu as de la chance. Ragnar est dans le coin.
- Suis-je supposé connaître ce nom?
- Evidemment! répondit l'homme d'un air offusqué.
- C'est le nouveau chef des armées révolutionnaires.Ajouta un second.
- Puis-je l'attendre ici dans ce cas?
- Mouais... Fais ce que tu veux... On te préviendra...
Le groupe repartit et entrèrent dans une échoppe. Leur dernier regard adressé à Malon était teinté de mépris et de dégoût. Ce dernier patienta quelques heures sans bouger. De plus en plus de gens se réunissaient autour de l'estrade. Le nom de Ragnar revenait souvent. Ce nom était entouré d'un sentiment de crainte, mélangé à de l'admiration. Malon finit par retrouver ses compatriotes. D'autres personnes étaient avec eux. Certains étaient propres sur eux et bien armés et toisaient les zauniens du regard. Sauf Malon, car ils étaient trop petits et dégoûtés pour le regarder de haut. C'est alors qu'un homme à capuche se monta sur l'estrade et cria:
- Il arrive! Il arrive!