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Tournent les canons

Les arcades blanches de la grande pièce renvoyaient les rayons du soleil perçant à travers les grandes baies vitrées. Le gorosei présidait, dans l'attente, comme à son habitude. Une silhouette svelte, de taille mannequin, patientait adossée contre un des piliers, tandis que les hommes rendaient leurs jugements sur des affaires internes, petits monarques. Elle avait plusieurs fois surpris le regard de Basaara en train de couler sur elle, elle y était habituée, mais ne se permit aucun sourire, aucune gestuelle allant dans le sens de la séduction. Elle patientait, voilà tout. Et cela faisait bien une dizaine de minutes maintenant.

Lentement, les hommes vidèrent la pièce. Ils avaient eu du retard sur l'ordre du jour à cause d'un désaccord. Fallait-il oui ou non rénover le deuxième ascenseur du G-0 ? Quelque part, on n'avait pas souvent besoin de rapatrier toute la base à Marie-Joie. C'était de l'ordre des options imaginées pour des scénarios catastrophes.

Des cinq étoiles, Vagner était le plus coquet. Il ne s'habillait pas toujours dans les sempiternels kimonos blancs, il aimait parfois revêtir des vêtements plus normaux, plus citadins. C'était un rocker dans l'âme et un joueur : ses tatouages sur sa tête et un peu partout sur ses bras renvoyaient l'image d'un homme qui avait bien profité de la vie. Il pouvait se montrer sérieux, mais son visage était souvent rieur ou souriant. C'était Monsieur Politique après tout. Ses dossiers sous le bras, il s'approcha du Vice-Amiral.

« - Excusez-moi pour l'attente, Amiral Dessign, lorsque ces vieilles biques commencent à parler, on ne les arrête plus.

- Vous êtes tout excusé, Vénérable Vagner. »

Un entretien avec les étoiles, ce n'était pas tous les jours. Jusqu'ici, elle n'avait eu l'occasion de discuter qu'une seule fois avec Kitano, un autre homme à la poigne d'acier, au regard perçant mais aux rides trahissant sa bonté. Beth ne remettait pas en question ce qu'elle voyait de ces hommes, que ce soit leur autorité ou leur gentillesse ; elle ne saisissait pas toujours les subtilités de chacun et plaçait sur un piédestal ses supérieurs. L'idée même qu'un homme aussi important puisse feindre ou mentir lui échappait. Marchant à côté de Kyozu vers son bureau, elle gardait le silence car elle ne savait pas où se mettre.

« - J'ai entendu beaucoup de bien de vous, Amiral. Sachez que vous êtes un élément sur lequel nous avons l’œil. Et le bon.

- Vous me flattez, Monseigneur.

- Je vous en prie, appelez-moi Kyozu. C'est ici. »

La porte se déroba sous l'impulsion de l'étoile et, tel un gentleman, il resta à son côté le temps que la jeune femme en robe de soie, vêtue pour l'occasion, le dépasse et se retrouve devant son bureau. Il referma et se porta à son bureau, invitant d'une main son invitée à s'asseoir avant lui. Malgré le décolleté saillant de Beth, le vieil homme n'eut aucun mal à garder son regard rivé dans ses yeux ; certaines rumeurs circulaient sur son goût pour les hommes, mais on n'osait les vérifier. Essentiellement car il s'agissait de sa vie privée.

« - Je sais que vous avez pour ambition d’œuvrer dans le Nouveau Monde, mais l'affaire pour laquelle je vous ai convoquée aujourd'hui n'a rien à voir avec cela, j'en ai bien peur. »

Le cœur de la jeune femme manqua un battement. Cela se vit peut-être sur son visage ; l'homme se stoppa et tint à se corriger :

« - Non, non, vous n'avez rien fait de mal, bien au contraire. J'aurais besoin de vos talents.

- Mes talents ? »

Elle s'imaginait qu'il parlait de sa force et seule une petite voix au fond de son esprit murmurait qu'elle se trompait. Beth était consciente de ses formes et de la beauté qu'on lui prêtait, sans être elle-même convaincue de la chose. Ah, ce qu'elle aurait préféré être brune, plus svelte, plus musculeuse... Elle se trouvait trop grosse, certaines parties de son corps étaient à son désavantage. Mais elle n'en parlait jamais, elle le gardait pour elle, sinon on essayerait de la rassurer pendant des heures et ça, elle avait donné.

« - Voyez-vous, vous êtes une figure pour la Marine, un élément excellent pour notre publicité. Votre réputation vous précède au point que votre passage est vu d'un bon œil, quand bien même la Marine ne possède pas que des amis parmi certains gouvernements...

- Il s'agit donc plus de mon image ?

- Exactement. Et de votre voix.

- Je ne suis pas une fine locutrice comme vous, véné- euh Kyozu. »

L'homme cessa de sourire. Elle se sentit aussitôt coupable. C'est vrai, comment osait-elle remettre en question la parole d'une Étoile ? On lui confiait une mission et elle rechignait. Elle essaya de rattraper sa maladresse.

« - Mais si vous avez besoin de moi pour servir d'ambassadrice, je ferai le nécessaire pour être à la hauteur de vos espérances.

- Bien, c'est ce que je voulais entendre. »

Le courant d'air glacial qui avait refroidi la pièce disparut, comme Vagner reprenait son air jovial. Il n'avait visiblement pas terminé : sa main était venue chercher quelque chose sur son bureau... un dossier. Il l'ouvrit et le fit tourner en direction de la rousse.

« - Doscar, vous connaissez ? C'est un pays de Grand Line avec lequel nous avons longtemps été en confrontation pour des raisons qui ne concernent que mes prédécesseurs. Je ne remets pas leurs actes en question, toutefois j'ai bien l'intention de mettre un terme à cette vendetta futile en ramenant la paix avec le Gouvernement Mondial sur place. Nous y possédons déjà une ambassade et la Reine est ouverte aux négociations, pour peu que nous lui montrions notre bonne foi.

- Comment puis-je aider à cela ? »

Elle n'était pas agent du Cipher Pol ni une politicienne, pourtant elle sentait qu'elle était un élément central du scénario prévu par le vieil homme. Celui-ci creusa un peu plus ses fossettes :

« - Tout le monde dans la royauté n'est pas favorable à une reprise des contacts avec le Gouvernement Mondial. Tessa, la reine et une proche amie, œuvre dans ce sens mais est bloquée par le fanatisme de son mari et tiraillée à l'idée de devoir s'opposer à son propre fils. Enfin, celui-ci est encore jeune et n'a jamais connu que les armes et la propagande, il est important de donner une autre figure à ses adversaires. Nous ne sommes pas des monstres, vous en êtes la preuve incarnée. »

Beth resta pensive. Elle n'avait pas grand chose à répondre à cette tirade, elle se sentait minuscule face à un tel homme, déjà qu'elle n'osait pas s'imposer face à ses confrères. Ce n'était que lorsqu'on la poussait dans ses derniers retranchements que la petite souris devenait un tigre. Sa placidité laissa penser à Kyozu qu'elle comprenait la situation. Bien sûr qu'elle saisissait, mais ce n'était pas un travail pour un soldat de la Marine.

« - Autre chose à savoir : nous prétendons avoir des agents du CP1 sur place pour les besoins diplomatiques. Ce n'est pas entièrement vrai. Si nous avons bel et bien des agents sur place, ils sont issus de plusieurs pôles portés sur l'opérationnel. Voilà peut-être un an que ces hommes travaillent sans relâche pour ouvrir des docks fantômes et laisser entrer des criminels sur l'île. Et cela a suffisamment porté ses fruits. Je compte sur vous pour informer le souverain du trou dans son filet de sécurité et gagner ainsi sa confiance.

- Cela ne risque pas de compromettre leur mission ?

- À vous de vous assurer que ça ne le soit pas. Une telle faute ne peut incomber qu'au chef de la police locale, un ancien as de la révolution du nom de Visaro. Son influence perpétue des idées archaïques, l'alliance révolutionnaire et conforte le roi dans sa désillusion. Un agent envoyé sur place est déjà au courant de votre venue, vous allez collaborer avec lui pour prouver la culpabilité de cet élément. »

Quand bien même les plis de sa robe étaient larges, Beth s'y sentait à l'étroit. Elle n'avait pas la carrure d'un agent secret, ce n'était qu'une militaire formée à donner des ordres et obéir à sa hiérarchie, Kenora en l’occurrence. Pourtant, elle n'était pas là pour arbitrer la discussion, était-elle seulement au courant de cette mission ? Après tout, la Commandante du Septentrion avait quartier libre pour œuvrer dans le Nouveau Monde à présent. Kyozu ne disait pas tout, il cachait définitivement des choses.

L'Amiral, elle, ne savait quoi répondre. Kyozu fronça les sourcils :

« - Y a-t-il quelque chose qui vous chiffonne, Bethsabée ?

- Aucunement Monsei- Kyozu. Votre objectif sera mené à bien.

- C'est ce que je voulais entendre. Bon, eh bien, je suppose que notre petit entretien touche à son terme. Un navire diplomatique a été affrété pour l'occasion, il devrait appareiller dans quelques heures. Cela vous laisse le temps de faire vos préparatifs. »

Il souriait. Mais cette fois-ci, l'innocente ne l'était plus. Elle voyait que tout était factice.

Quelques jours plus tard

Elle n'était définitivement pas sereine. Kyozu ne lui avait pas inspiré confiance. Sa mission ne lui inspirait pas confiance. Doscar ne lui inspirait pas confiance. Elle rechignait encore à mettre le pied sur cette île qui se rapprochait dangereusement et, avec elle, les gueules béantes de ses gigantesques canons. Un coup et le frêle esquif sur lequel elle voyageait, avec une poignée de soldats qu'elle ne connaissait pas et qui jetaient sur elle des regards lubriques, serait de l'histoire ancienne. Mais aucun coup ne tonna, aucun tir ne partit. Les quais leur tendaient les bras, quand bien même ils n'étaient peuplés que par des hommes, des femmes et même des enfants armés jusqu'aux dents.

Ce qu'elle remarqua en premier après avoir mis pied à terre, c'est que les armes à feu étaient un vêtement, au même titre que des chaussures ou un caleçon. Tout le monde en avait au moins une, chargée, prête à tirer. Mais tout le monde semblait aussi si fatigué, si maigre, sur cette île grise et morne où presque rien ne poussait, où il n'y avait que la ville à perte de vue. Ça et les canons, omniprésents, qui vous surveillaient de leur œil unique, qui vous rappelaient que vous n'étiez pas la bienvenue ici.

L'Étoile avait vu juste sur une chose : elle n'était pas un monstre. Les regards se posaient sur elle, mais elle avait l'habitude. Non pas qu'elle se considérait importante, mais elle savait que son physique interpelait et ne pouvait rien y faire. On lui avait conseillé de s'habiller légèrement, pourtant il ne faisait pas chaud. Elle avait choisi sa robe orange dont les épaulettes lui tombaient sur les bras et lui faisaient un léger décolleté, moulant le reste de son corps jusqu'à la moitié de ses cuisses où elle s'arrêtait net. Ce n'était pas le plus confortable, ce n'était pas non plus une tenue pour le combat, de toute façon elle ne devait pas renvoyer cette impression. Elle venait nue de toute arme et de toute intention hostile, encadrée de soldats qui n'avaient gardé leur fusil que pour assurer sa protection. C'était la moindre des choses.

Sa première étape se fit à l'ambassade, où elle rencontra des pairs de Vagner, en chemin vers l'intérieur du bâtiment. Mêmes expressions tirés, même sourires forcés, mêmes salutations distinguées. Elle ne saurait dire si sa présence était bien vue ou non, mais elle était dans tous les cas acceptée, de gré ou de force. Lorsqu'elle se présenta au secrétariat, posant ses coudes sur le comptoir, elle eut l'impression de foudroyer le petit homme qui s'y tenait et ne pouvait s'empêcher de garder la bouche ouverte.

« - Amiral Dessign, je suis venue pour une mission diplomatique. Peut-être pouvez-vous me renseigner, je dois contacter un certain... Thomas Lewis. »
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Réveille-toi.

Coup de canon. Je me redresse en sursaut. Sept heures? Non, huit. J’ai rêvé que j’étais dans l’espace. Que je flottais en orbite autour d’un caillou tout naze, j’étais pénard là-haut, puis je me suis retrouvé attiré d’un coup dans ce gros rocher tout rond, je m’y suis écrasé, et ma descente s’est pas arrêtée. J’ai traversée les grottes, les ténèbres, les âges, et hop, je me suis réveillé en sursaut. Comme tout le monde, en même temps. Tout est réglé au poil de cul ici, seulement voilà, moi je m’y suis pas encore totalement fait. Alors laisse moi deux minutes histoire de.

Je jette un coup d’œil à ma table de chevet, ma bouteille fétiche est plantée comme un poteau dessus, bien vide. Merde. Je vais devoir me contenter de café aujourd’hui, faudra que je pense à me refaire un stock. C’est que ça se trouve pas partout, cette merde.

Bienvenue à Doscar, au fait. Cet endroit, je l’aime moyen. Je suis un gars plutôt urbain, alors c’est pas le manque de verdure qui me titille, mais je sais pas, y’a quelque chose dans l’air. Je sais pas si c’est l’odeur de poudre ou quoi, mais je suis mal à l’aise. A commencé par cet endroit, déjà. Alors pour le coup, le luxe d’une vraie chambre toute équipée en mission, c’est rare qu’on me fasse le coup, je me plains pas. Mais la belle ambassade du Gouvernement Mondial, elle a un arrière-goût qui me plaît pas des masses, un arrière goût de mort et de complot. Je sors pas des Bureaux pour me retaper la même chose mille lieux plus loin. J’aime pas cette décoration trop parfaite, trop belle, j’aime pas la lumière tamisée qui englobe toutes les pièces, j’aime pas ces longs tapis qui traversent les corridors et dans lesquels je manque de me prendre les pieds à chaque traversée, et j’aime encore moins ce type à l’accueil qui vient indirectement me sortir de mon petit confort chaque matin en envoyant quelqu’un toquer à ma porte. « Monsieur, on vous demande dans le salon de thé. » « Monsieur, briefing avec monsieur. » « Monsieur, madame vous demande. ». Mais là, accroche-toi bien, rien ni personne. Ce qui d’un côté est parfaitement normal, puisque officiellement, ma mission n’a pas encore commencé, mais ce qui d’un autre côté me semble louche. Nan, j’aime pas ça. On m’habitue à me casser les pieds tout les matins, et là d’un coup comme ça on me fout la paix? Je suis désolé, mais ça ne se fait pas.

J’enfile un froc, une chemise qui traîne, je me peigne vite fait, j’essaie de faire abstraction des chuchotements que j’entends en boucle dans le fond de mon crâne, je laisse ma barbe telle quelle, de toute façon, c’est pas comme si je comptais rencontrer la moindre princesse aujourd’hui. C’est bon, je suis plus trop dégueu, je peux aller investiguer. Investiguer, c’est ce que je fais depuis que je suis arrivé ici. Doscar, un royaume qui veut pas des types comme moi, un royaume armé jusqu’aux dents, un royaume patriote comme pas possible, en bref, un petit nid à merde. J’ai comme la sensation qu’au moindre accroc, cette jolie bâtisse se retrouverait rasée en moins de temps qu’il n’en faut pour dire cipher pol. En fait, je plains un peu tout les gens que je croise dans ces couloirs. Du type tout discret qui nettoie les fenêtres, à la gentille servante qui m’apporte parfois un café avec des gâteaux. Tous agents. Tu me crois pas? Je te paris ce que tu veux que si je leur envoie un vase dans la gueule, ils esquivent d’un soru ou le brisent d’une lame d’air, c’est sûr mon pote. Ceux là, ils ont pas la même mission que moi. Sabotage, peut-être pire. Moi, je suis là en tant que simple garde-fou, je dois m’assurer que le petit projet des patrons tourne bien. Ce petit projet, c’est de nouer des liens un peu plus solide avec la royauté de l’endroit. Les patrons, j’en sais trop rien. J’ai ma petite idée en tête, mais même Davys a pas su m’en dire plus. Ou plutôt à pas voulu m’en dire plus. Quand je lui ai demandé pourquoi moi, tu sais ce qu’il m’a répondu? Que je dois être un des seuls du quatrième pôle à pas fricoter avec le cinquième pour les missions où y’a un plus d’adrénaline.

En somme, je suis un simple fouille-merde qui pond des rapports de trois milles kilomètres sur les officiers de la Marine et qui cherche pas à faire plus. Ça me correspond plutôt bien, dans le fond, mais je trouve ça quand même un peu réducteur, je saurai pas te dire pourquoi. Et apparemment, c’est le profil parfait pour cette mission. « Fais attention à toi, Lewis » qu’on m’a répété. Ce qui traduit en langage commun signifie plutôt « Fais la moindre connerie et on te pend par les couilles », ou un truc du genre.

Je pousse une porte, puis une autre, et me voilà dans un grand salon super cosy, un peu trop pour moi, mais agréable. Assis sur l’un des fauteuils est confortablement installé un petit vieillard avec lequel je prend le thé tout les matins. C’est un peu le taulier, ici. Un taulier super sympa, mais un peu sénile parfois.

« Bonjour, Hagénor.
- Ah ! Thomas. Asseyez-vous, asseyez-vous ! Un petit gâteau? »

Tellement sympa qu’on se tutoie et qu’il m’engraisse au chocolat depuis mon arrivée. J’ai mis un petit moment à le cerner. D’habitude, un type pareil qui paraît si innocent, ça cache quelque chose. Mais là, je crois que c’est juste un vieillard au courant de rien. Il sait pas non plus ce que je viens faire là, et je crois qu’il s’en fout royalement. Une belle façade pour les magouilles de mes pairs. Je me sers sur le plateau en argent qu’il me tend, ça me fait pas oublier mon manque de HYPE1, mais c’est quand même vachement bon.

« Hm, mon ami, que je fais, personne n’est venu me quémander, ce matin.
- Mon ami, personne n’est venu vous voir car c’est comme qui dirait l’effervescence, ce matin. »

Je regarde à droite à gauche, tout me semble parfaitement pénard dans ce salon. Même le vieux à l’air d’être sous perf, il respire lentement, on dirait qu’il va s’endormir paisiblement à n’importe quel moment.

« Nous accueillons quelqu’un d’important, aujourd’hui. »

Merde.

« Qui vient de débarquer tout récemment. »

Et merde.

« Et qui ne devrais plus trop tarder. Eh bien, quand on parle du loup ! »

Je vais te dire une chose. Tu me connais, je peux être un peu fringant quand il faut. Mais écoute-moi bien, à côté de celle qui vient d’élégamment pousser la porte du salon, j’aurai toujours l’air du dernier des clochards. Et je suis loin d’être au top de ma forme. Elle a les yeux clairs, et je suis tellement ignare que je saurai même pas te dire si c’est du maquillage autour, ou si elle a ce teint naturellement. Moi, j’ai les yeux brumeux et des cernes mon gars, comme t’en as sûrement jamais vu. Elle a les cheveux longs roux, lisses, coiffés, peignés, soignés, moi j’ai une vieille touffe qui s’ébouriffe, cachée sous mon chapeau. Elle a un visage parfaitement symétrique, comme si les plus grands ingénieurs du gouvernement s’étaient acharnés à fabriquer la tronche la plus mathématiquement parfaite possible. Moi j’ai juste une vieille barbasse mal rasée et une mâchoire carré qui me donne un air d’abruti. Puis forcément je me suis dit qu’aujourd’hui j’allai me contenter de remettre mon costard sale de la veille.

« Ah ! Bienvenue, très chère. »

L’ambassadeur se lève, et s’en va poser un baiser sur la main de la femme qui vient de capter l’attention de toute la pièce, c’est à dire de moi.

« Thomas, laisse-moi te présenter…
- L’amiral Dessign. Enchanté. »

Je sais pas quoi faire, alors je me contente d’un genre de salut de gentleman. L’important, c’est d’avoir suffisamment l’air sûr de soi. Je suis sûr que si je prétends avoir la classe pendant assez longtemps, je peux la convaincre que j’ai vraiment du style. Elle me toise du regarde.

« Monsieur Lewis, je suppose?
- Lui-même.
- Votre sœur m’a… beaucoup parlé de vous. »

La vache. Magdalena? Elle m’a pas encore oublié?

« J’espère qu’elle vous a pas dressé un trop mauvais portrait de moi. Dites, ça vous embêterez de parler sur le balcon?
- Un coup de chaud, monsieur Lewis?
- Non, on peut juste pas fumer à l’intérieur. »

Je suis en manque, faut que je me raccroche à quelque chose pour faire taire les petites voix. Tu les entends, toi aussi? Ça piaille dans ma tête, depuis… Enfin, bon. T’es plus le seul là-dedans, quoi. Et j’ai franchement pas envie d’expliquer ça à ma nouvelle copine.

Je m’avance vers la grande porte vitrée qui mène à l’agréable air frais de l’extérieur. L’air de la mer, quand on le mélange à de la fumée et à de la poudre à canon, ça donne un sacré truc, crois moi. Ça doit monter à la tête des gens d’ici, peut-être pour ça qu’ils sont aussi coincés du cul. Hagénor se contente de nous saluer d’une main. Effectivement, t’as raison, ce type n’a vraiment d’ambassadeur que le nom. Y’a certains soldats qui nous suivent, elle leur fait signe de s’arrêter devant la porte.

Je m’allume une clope, je pars du principe qu’elle fume pas et je fais bien gaffe de souffler à l’opposée d’elle, faudrait quand même pas entacher un tel tableau.

« Amiral. Vous connaissez mon nom, je suppose que ça ne s’arrête pas là.
- Agent Thomas Lewis, quatrième pôle des Bureaux.
- Tout à fait. Je suppose aussi que vous avez une petite idée de ce que vous venez faire là.
- Et ce n’est pas votre cas?
- Si on me laissait pas dans le flou, ça serait pas une vraie mission. Je sais que nos patrons respectifs veulent faire ami-amis avec les grands de ce royaume, et qu’ils ont un beau petit projet pour ça. Et mon boulot, c’est de m’assurer que ce projet reste bien sur les rails. Je suppose que ce projet, eh ben, c’est vous. C’est à peu près tout ce que je sais.
- Je suppose qu’on peut le formuler ainsi. Même si je ne suis pas sûre d’apprécier cette surveillance… rapprochée.
- Alors voyez moi plutôt comme un guide. »

J’écrase mon mégot sur le rebord du balcon, puis je jette un œil à ma montre.

« Attention. »

Coup de canon. Celui-ci sonne les neufs heures.

« Bienvenue à Doscar, Amiral. »
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Un gentleman, décidément, ce Lewis. Loin d'avoir tari des éloges à son sujet, sa sœur l'avait présenté comme une forme de rustre mystique et c'était ainsi qu'il s'était dévoilé aux yeux de Beth. L'amabilité mais pas la courtoisie, il lui avait rapidement proposé de s'esquiver sur le balcon, seulement pour débuter une conversation au sommet tout en renâclant quelques bouffées de monoxyde. Le pauvre homme avait les traits tirés, comme s'il avait passé une sale nuit et des petits tics involontaires secouaient les extrémités de son corps. La tremblotte... le Vice-Amiral savait ce que c'était.

« - Charmante horlogerie, » ironisa-t-elle suite à la dernière déclaration, comme neuf heures tonnait dans la métropole.

Au loin on pouvait entendre le déclic des retardataires. Dans l'air, l'odeur de poudre se révélait presque intolérable. Un bruit sourd planait, comme si le son se réverbérait dans les nuages. Ce n'était peut-être qu'une illusion... La jeune femme repoussa une de ses mèches tombant sur son front ; d'aucuns prêtant attention à son geste se seraient imaginés qu'elle avait raccourci. Mais les yeux de Thomas étaient tournés vers l'extérieur.

Elle appréciait la politesse.

« - Je vous avoue que moi-même, je n'ai pas vraiment idée de ce que je fais ici. Pourtant, je dois faire honneur à mon devoir et mener cette mission à son terme. »

Elle ne tolérait pas l'échec. Il en allait de sa responsabilité, quand bien même on pourrait attribuer la faute à son supérieur. Quand bien même on lui avait refilé le bébé, avec l'eau du bain. Elle se doutait que si elle était là, c'était avant tout pour son physique, mais ne pouvait imputer d'intentions aussi primitives à une Étoile. Miroitant au sommet de Marie-Joie, elles étaient la Justice...

« - Vous connaissez les lieux mieux que moi. Et peut-être que vous avez quelques contacts à faire jouer. On attend de moi d'avoir un port altier, servir de vitrine, de sorte. Vous êtes sûrement plus à même de remplir un dessein plus sombre... »

L'agent tiqua. D'une pichenette, la cigarette écrasé s'envola, avant qu'il ne se retourne et ne l'observe. Un regard profond, comme s'il s'attendait à recevoir une mission d'assassinat. Serait-ce la première fois, seulement ? N'était-ce pas le quotidien des Bureaux ? Elle n'en savait rien, ce n'était pas son domaine ; toujours était-il que ce regard l'avait faite broncher : elle n'avait pas l'habitude de se retrouver dans une telle position. La majorité des espions avec lesquels elle avait dû composer dans le passé n'avaient été que de passage et répondaient à leurs propres ordonnances.

« - Les docks fantômes doivent être fermés. Il s'agit d'un-

- Tutut. Pas ici. Vos intentions vous honorent, Amiral, mais les murs ont des oreilles. Et des yeux aussi, potentiellement. »

Elle demeura interdite un instant. Rarement on demandait à Vénus d'être discrète, encore moins secrète. Au mieux, on lui servait un panel d'officiers avec qui dialoguer, mais généralement elle avait ses propres éléments avec qui elle échangeait tout ou presque tout. La sœur de l'agent ici-présent faisait parfois office de confidente, d'ailleurs. Il devait s'en douter.

Comme l'homme pivotait, il agrippa légèrement des doigts la bordure de la porte-fenêtre laissée entrouverte, au grand dam de la rousse, et s'invita à l'intérieur. Elle le suivi en silence, dans le hall et jusque dans les corridors et escaliers où il la guidait progressivement, s'enfonçant toujours plus profondément dans la bâtisse. L'ambassade jaillissait déjà hors de terre tel un éperon rocheux, jamais ne se serait-elle imaginée qu'elle possédait aussi des racines si profondément enfoncées. Pourtant, ce n'était pas hors du commun pour le Cipher Pol d'avoir des locaux souterrains. Une pratique aussi commune chez la Révolution, d'ailleurs.

« - Où allons-nous ? » s'enquit-elle après cinq bonnes minutes passées à crapahuter dans la pénombre.

« - À un endroit où nous pourrons discuter calmement. On appelle ça la « Croisée des Chemins » ici. Vous allez comprendre pourquoi... »

Le pourquoi, elle commença à s'en douter lorsque l'environnement se fit plus humide. Elle n'avait pas un sens de l'orientation très développé, mais son Mantra semblait lui indiquer qu'il n'y avait âme qui vive dans les environs. Le couloir aux multiples intersections s'était prolongé en lignée droite depuis, il faisait sens qu'ils n'étaient plus dans les locaux du Gouvernement Mondial, mais bien sous la ville, dans des sortes de canaux. Vraisemblablement, le petit frère de Magda voulait lui montrer quelque chose. Aussi, peut-être avaient-ils passé un point crucial car sa langue se délia à mi-chemin :

« - Comme vous pouvez vous l'imaginer, ces tunnels ont été bâtis pour pouvoir se déplacer discrètement sous la ville. Les agents ont bien fait attention à ne pas croiser de mines ou de carrières. Ça serait bête que les locaux tombent sur un réseau de tunnels clandestins commandité par le Gouvernement Mondial.

- Je dois dire que je ne suis pas vraiment surprise. C'est à peu près l'idée que je me faisais d'une mission avec le Cipher Pol. »

Vraiment, les tunnels souterrains, ça n'avait pas grand chose d'original. Lewis ne s'était pas senti offusqué de la remarque pour autant, un sourire en coin laissait présager qu'il était probablement d'accord avec l'officier. Il ne répondit rien toutefois, se contentant de poursuivre ses explications.

« - En continuant tout droit, on arrive aux fameux docks fantômes. Pratique pour monitorer le coin que de pouvoir s'y rendre en une quinzaine de minutes de marche, non ? D'ailleurs, essayez de pas trop frôler les murs.

- Pourquoi ?

- Potentiellement truffés d'explosifs, au cas où. Enfin, c'est peut-être qu'une rumeur. Mieux vaut ne pas savoir. »

Jusqu'à arriver à un goulot d'étranglement, débouchant sur une sortie secrète au niveau des fameux quais, la jeune femme s'avisa simplement de rester derrière son guide, à bonne distance des parois. Une fois à l'extérieur, ils furent accueillis par un parapet qui leur laissait juste assez de place pour se tenir côte à côte, une vue plongeante sur l'endroit qui, sans fourmiller d'activité, n'était pas non plus définitivement endormi. C'était la pleine journée et les activités de contrebande explosaient dans le port pratiquement sous-marin, caché dans un vaste entrepôt non loin des docks officiels. Le subterfuge était d'autant plus incroyable qu'il fallait s'imaginer que les agents avaient trouvé un moyen de leurrer les gardes-côtes à certains intervalles, la nuit, pour permettre aux navires de quitter l'endroit.

Le bon côté des choses, c'est qu'il ne serait pas difficile de dévoiler le pot aux roses. À présent, il fallait aussi trouver un bouc émissaire. Les paroles de Vagner résonnaient encore dans le crâne de l'Amiral.

« - Dans quelques jours, cet endroit sera découvert. Du moins, il va falloir œuvrer pour que l'armée locale le trouve sans notre aide et pense que c'est un coup de la Révolution.

- On peut essayer de maquiller les preuves, leurrer quelques figures locales dans le coin et les prendre sur le fait. Ça demandera juste un sacré effort de scénarisation et quelques astuces de théâtre... »

Lewis réfléchissait. Pas sûr qu’échafauder un plan pareil était dans ses cordes, mais pas de bol : c'était sur lui que le sort était tombé. Toutefois, quelque chose semblait davantage le troubler, comme un trou dans l'intrigue. Beth le comprit en le voyant se tourner vers elle et chercher ses mots.

« - Si vous vous demandez comment nous allons faire pour berner la famille royale et les pousser à nous écouter nous, ne vous en faites pas : c'est là que j'interviens. »

Du moins, il semblait que c'était là qu'elle avait son rôle à jouer...
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