[Festival 1629] Tetsu fait là?

NAKAJIMA D. Aoi.
Cinquième Commandante de l'Impératrice TASHAHARI Kiyori.

Sujet: Personnalité historique. Anne BONNY.
Illustration par ????

Étant physionomiste, j'arrive à reconnaître un minimum les gens du premier regard. À défaut de connaître quelqu'un pour l'avoir fréquenté, je peux toute de même me souvenir de lui ne serait-ce que sur un avis de recherche, un journal, ou parce qu'une personne me l'a décrite physiquement. Dans mon métier, c'est un atout crucial de savoir rapidement à qui on a affaire. Quelques secondes s'écoulent le temps de jauger l'étranger qui me sollicite, puis, je finis par lui répondre.

— « Commandante de la Cinquième Flotte de l'Impératrice TASHAHARI Kiyori. Il est difficile de ne pas savoir qui je suis. »

Je lève alors un sourcil. À moins de manquer de sobriété, il faut le faire exprès. Même moi qui ne sais pas qui est mon mystérieux interlocuteur, je me rappelle au moins qu'il fait partie de l'Armée Révolutionnaire. Et pour le coup, c'est une faction que je ne connais pas vraiment. Par le passé, j'ai fait une collaboration sur Jotunheim avec Ragnar pour sauver Izya. Et encore, à part joindre nos forces, je n'ai pas spécialement eu l'occasion de parler avec un adepte de ce groupe. Pourquoi pas en profiter pour découvrir cet univers?

— « Pour la boîte aux lettres, il suffit de suivre les gens là-bas, mais des serviteurs plus qualifiés sont partout sur l'île, ils sont très reconnaissables. »

Sérieusement? J'ai sans doute mieux à faire...

J'arque un sourcil à l'annonce de son titre. J'admets ne pas vraiment connaître en détail la Révolution, mais ça ne saurait sans doute tarder. Être fort et indépendante a ses avantages et ses inconvenants tout comme travailler pour un autre. Rien n'est pas incompatible.

— « Pourquoi pas. J'ai un peu de temps libre. »

Je me joins donc à lui, manifestement en route pour la boîte à vœux.

— « Pour répondre à la question, il ne faut pas voir tous les Empereurs comme le Malvoulant. J'ignore  comment le Fléau traître ses équipiers, mais je suppose qu'il ne fait pas de cruauté pour qu'il puisse trouver des partisans. Dans mon cas à moi, c'est à peu près la même chose. J'ai le sentiment de faire partie d'une famille, d'avoir une raison, un peu comme votre cause, hum? »

Je n'en dis évidemment pas assez pour le moment et préfère voir comment il réagit, je ne vais clairement pas me relever à un inconnu. Par expérience, je sais ce que ça me coûte. Et je suis assez meurtrie pour me permettre de répéter l'erreur, d'autant plus que maintenant que Rossignol est Yonkō, je vais devoir revoir mes plans et me méfier de plus en plus de mes amis. Un coup de couteau dans le dos est vite arrivé. Il a bien retourné sa veste une fois, moi également. Personne n'est à l'abri d'une trahison.

— « Si je peux me permettre, parlons d'abord des Commandants, puisqu'après tout, c'est votre première question. Ensuite, accordons-nous pour que je vous révèle qui est la Déesse-Enfant. »

Peut-être que je pourrais y trouver un certain repos à converser avec ce jeune homme, ça me change des discutions habituelles et des négociations.

Sa comparaison de la famille est très intéressante.

— « Oh, vous prêchez une convaincue. Entasser un amas de pierres ne fera pas une tour, car il faut un liant qui permet de ficeler la roche entre elle. Pour le cœur des hommes, c'est également la même chose. Un leader capable de faire preuve de sagesse et de discernement, de fédérer, d'agir, de protéger, de fournir, de répondre aux besoins du peuple, et j'en passe! Beaucoup de gens sont dépendants des autres, et, très peu l'admettent. Enfin, une poignée d'individus sont les seuls à pouvoir porter les faibles et à prendre les décisions. J'imaginez que du jour en lendemain les employés d'une entreprise se mettent en tête de devenir le patron, ça serait l'anarchie. Et l'inverse est vrai aussi. Il faut un équilibre entre l'autorité et ceux qui l'exécutent, mais pour ça, il faut que chacun sache où est sa place. »

Me voilà inspirée. Je ne pensais pas parler beaucoup.

— « Il y a un stand par là. Je vous prends quelque chose? »

Parler donner soif.

Quand j'ai rencontré l'Impératrice pour la première fois, je me suis sentie écrasée, misérable, insignifiante. Et pourtant, je ne me plie pas devant n'importe qui. Elle possède une aura que je n'ai pas, du moins, pas encore, mais je saurais m'en acquérir. Toujours est-il que ça fait réfléchir à deux fois et je suis bien contente de ne pas chercher de conflit avec elle. Je pense qu'avant de la rejoindre, elle me forçait le respect inconsciemment. Si elle, à son âge, a pu, alors pourquoi pas moi? La seule différence entre elle et moi, c'est que je mettrais clairement plus de temps. Puis, maintenant qu'ils sont sept, j'ai sans doute plus de chances d'obtenir le titre.

— « Il s'agit d'un choix. Comment être fiable si on vient parce qu'on voit la lumière? Il faut évidemment un minimum de loyauté et de ferveur. Peut-être que vous aurez la possibilité de la voir en vrai, car elle participe à son festival. »

Je ne vais pas révéler plus d'informations. Je réponds à sa question sans trop détailler, puis, j'amène le débat sur la Révolution. Idéalement, il faudrait que je parvienne à centrer la conversation sur ce qu'il croit ou pense. Sa curiosité pourrait ne pas me plaire.

— « Comme pour la Révolution, le premier venu sera toujours inspecté au risque de se faire infiltrer. C'est une question de bon sens. Je note d'ailleurs qu'une partie d'entre vous se terre dans l'ombre avec une prime dépassant le milliard, alors que nous, pirate, nous nous exposons tous les jours aux risques. »

Vrai que j'aurais sans doute opté pour un autre breuvage. Ça m'apprendra à me fier à la couleur uniquement...

Vrai qu'il y a un élément qui m'échappe, c'est que la Révolution est l'ennemi public numéro un du Gouvernement Mondial. C'est une notion que j'oublie beaucoup trop facilement. Les Yonkō narguent le Gorōsei ouvertement par leur puissance démesurée et leur influence dans le Nouveau Monde, mais seul l'insaisissable Adam FREEMAN peut avoir assez de poids pour mettre l'instance mondiale dans la crainte. Avec ses partisans, aussi nombreux qu'une fourmilière, il peut renverser à tout moment le cours de l'Histoire, ce qui n'est pas rien. Et pour cause, leur but est noble.

— « Je vois, je vois. Vous n'avez clairement pas la vie facile et vous faites un travail ingrat. Je ne vous envie pas du tout. »

Comment remuer le couteau dans la plaie? J'aurais dû formuler autrement mon empathie... En tout cas, me parler d'ombre et de lumière me parle, car je ne suis pas n'importe quel pirate de bas étage. Avec un pied dans la pègre, je connais très bien cette notion d'obscurité et de prévention.

— « À vrai dire, je ne me suis jamais interrogée sur l'existence de la piraterie. Il est possible qu'elle demeure depuis la nuit des temps. Je suppose que tant qu'un pouvoir exerce son autorité, il y aura toujours des réfractaires. La différence entre un Révolutionnaire et un pirate, ce n'est pas son refus d'obtempérer face à la tyrannie, mais son rapport qu'il a vis-à-vis des autres. Au final, ce n'est qu'une question d'égoïsme, l'un, tourné vers les autres, l'autre, tourné vers lui-même... Et j'avoue que je n'ai pas eu la délicatesse de m'intéresser aux gens dans ma jeunesse. »

Et ça, en fonction des blessures de chacun, ça peut forger des êtres particulièrement égoïstes, voire, hautains. Je ne compte pas faire de la psychologie, mais la façon dont on ressent les choses dépend de ce que nous vivons, en particulier, durant la petite enfance. Tout le monde aspire à la liberté, mais peu d'individus peuvent prétendre l'êtres. À moins d'être un Dragon Céleste ou un Empereur, les autres ne font qu'espérer. Et personnellement, je n'ai pas attendu qu'on m'aide pour atteindre mes aspirations, tout simplement parce que parfois, il faut faire malheureusement les choses sans soutien. Seuls les faibles ne peuvent que recevoir les perches de leur sauveur. En attendant, je me sens bien seule dans ce monde particulièrement cruel.

Je le laisse glisser sa lettre dans la boîte à vœux. Il semble soulagé de l'avoir fait. Et visiblement, la conversation l'intéresse toujours. Je réplique alors, lui soumettant mon point de vue, celui d'un forban.

— « Je ne suis pas d'accord avec vous. Ce qui fait la force d'un pirate, c'est son caractère prompt à ne pas céder à l'oppression. Toute ma vie, je me suis battue contre l'autorité, refusant la place qu'on cherche à nous mettre. Certes, j'agis par la force, mais de la même manière qu'un simple citoyen, j'aspire à la liberté et au droit de ne pas être bridée, limitée, fermée. Je ne reste pas les deux pieds dans le même sabot, préférant mourir plutôt que de laisser les autres dicter ma vie. Encore une fois, la différence avec les flibustiers, c'est que vous vous tournez auprès des plus démunis et que vous avez le sens du sacrifice, ce que je n'ai évidemment pas. »

Je termine ma boisson, mais le fond a un goût bizarre. Sans doute trop de sucre. Je suis curieuse de voir sa réaction. Il est jeune, il doit sûrement avoir plein de fougue, avoir une philosophie idéaliste. Le débat est vraiment intéressant. Je me félicite qu'elle se centre autour de la Révolution.

La remarque sur le père me renvoie à mon enfance, mon regard se détourne alors momentanément de mon interlocuteur. À vrai dire, je n'ai jamais connu le mien, ni ma mère, d'ailleurs. À la place, j'ai été élevé dans la plus stricte des discrétions et à l'art d'usurper les autres et de les manipuler. Enfant, je n'ai jamais été libre. Jamais! Destinée à remplacer mon mentor dès qu'il m'a recueilli, j'ai été contrainte d'apprendre encore et encore. Il a systématiquement veillé à ce que mon éducation lui satisfasse. Toujours à devoir parfaire mon élocution, mon sens de l'observation et ma perspicacité, ainsi que faculté à ne pas me faire remarquer. Dans le monde de la pègre, on devient tout le monde en devenant personne. Ce sentiment de ne pas exister m'a poussé à devenir pirate... Et voilà où ce que j'en suis, maintenant...

— « J'avoue n'avoir jamais fait attention à ce cruel dilemme. Mais malheureusement, il faut faire des choix et agir selon son cœur. »

De toute manière, la véritable unité n'est pas de ce monde. Un seul homme ou une seule pensée peut rallier des gens sous une unique bannière, mais la façon d'agir ou de procéder sera le débat incessant qui fragilisera cette union. Il faut se faire à l'idée qu'il y aura toujours opposition quoi qu'il arrive. C'est triste, mais c'est ainsi. Et par conséquent, il faut composer avec ce qu'on a.

— « Je pense que le plus important, c'est d'assumer ses choix. Oui, en tant que père, il ne doit pas oublier ses responsabilités, mais après tout, l'être humain n'est pas responsable de lui-même? Sans personne pour nous guider, il nous appartient à nous, humain, de faire le nécessaire pour se prendre soin de nous. »

Est-ce que je pense réellement ce que je dis?! Je me surprends à exprimer des valeurs qui ne me ressemblent pourtant pas. Alors quoi? Suis-je dans le fond une Révolutionnaire? Aurais-je changé au fil du temps? Qu'importe, j'ai perdu la foi en l'humanité depuis déjà bien longtemps et ce n'est pas demain la veille que je vais changer mon fusil d'épaule. Survire dans un monde aussi cruel est particulièrement éprouvant. Et la plupart du temps, j'ai dû le faire à la force de mes bras, sans l'aide de personne.

— « Ce serait un affront de ma part de remettre en question vos agissements concernant l'intronisation de Rossignol. Il ne vous appartient qu'à vous seul de savoir si cela a été une bonne chose. Ayant moi-même collaboré avec lui par le passé, je reste dans l'incertitude. Je pense que le rouge est une bonne personne dans le fond, mais encore faut-il qu'il fasse ses preuves sur le long terme. De mon côté, je préfère suivre la Déesse-Enfant, car on ne peut indéniablement pas le nier qu'elle fait des bonnes actions, même si, disons, elle reste une pirate particulièrement capricieuse? J'ai fait mon choix, j'assume. »

Finalement, je me sens d'humeur à parler de moi. À la base, il voulait savoir si être Commandante est une bonne situation.

— « Après, au risque de vous froisser, je pense que les innocents sont malheureusement des dommages collatéraux. Oui, je le déplore, ils sont victimes des décisions des plus grands, mais c'est aussi pour ça que je m'élève. Je cherche à ne pas être une de ces malheureux, mais le jour où je passerais l'arme à gauche, alors c'est que j'aurais été une de ces faibles. Vivre ou mourir, tel est la dure réalité. Nous ne faisons que survivre. Oui, au détriment des autres, mais si ce n'est pas nous qui écrasons, ce sont les autres qui nous piétinent. Encore une fois, ce qui fait que je ne suis pas une Révolutionnaire, c'est que je ne crois pas qu'il sera possible un jour d'harmoniser la planète, de renverser une fois pour toutes la tyrannie. La divergence a toujours été là et, à notre grand désarroi, elle existera ad vitam æternam. »

Bon, maintenant, c'est moi qui veut me désaltérer.

— « Une autre boisson? J'ai besoin de changer le goût dans ma bouche et parler donne soif. »

Je me dirige vers un stand.

Pendant que je tends la bière à Yukikurai, je me prends un cocktail savoureux. Manifestement, mes réflexions philosophiques ne trouvent pas de vis-à-vis cette fois. Dommage, j'ai besoin de renouveler mes pensées, mais tant pis. Je ne dois pas non plus embrouiller mon esprit, car je suis ici dans un but précis. J'ai beaucoup de boulot qui m'attend. En tout cas, la conversation reste intéressante et édifiante. Puis, parler à un jeunot permet aussi de se rendre compte de ce que la nouvelle génération s'imagine.

— « Son âge? C'est une question qui ne m'appartient pas de répondre, évidemment! Le mieux, c'est de lui demander en personne. »

À vrai dire, je ne suis particulièrement sûre de moi. Elle devait avoir 16 ans en 1623 lors de son intronisation, je crois. Toujours est-il que je me soucie guère de savoir ça. Ce qui m'intéresse surtout, c'est de connaître si c'est l'œuvre d'un Fruit du Démon, voire, d'un autre subterfuge. Est-ce également immortelle? Peu probable, mais elle le fait croire à ses fidèles. Ce que je peux néanmoins être certaine, c'est sa puissance et son charisme. Elle dégage une aura particulièrement intense qui écrase les plus faibles. Elle détient les qualités pour être Impératrice, c'est pour ça que je suis sa Commandante, afin de me renseigner sur ses prouesses.

— « Bon, la conversation a été plaisante. Je suis navré, mais mon devoir m'appelle. Je dois vous laisser. Au plaisir! »

Alors que je salue mon interlocuteur du moment, je m'éclipse avec mon breuvage dans la foule en direction de l'arène. En plus de devoir participer au duel, je dois voir d'abord quelqu'un. Au moins, je me dis qu'avec la Révolution, je ne me sens particulièrement jugée. Et pourtant, je reste particulièrement égoïste. Après, Yukikurai n'est pas représentatif de cette faction, mais ça change des pirates d'Armada.