Quelques minutes seulement après l’arrivée de la caravelle de l’Affaire* au port de Lavallière, sur l’île de Boréa, Kant et Kaétra* débarquèrent en trombe. Ils s’étaient vu assigner à chacun une mission particulière, avec comme consigne commune de «ne pas traîner ». Kant était chargé de se rendre dans la grande ville Bocande pour y récolter des informations sur l’acheminement des matières premières, notamment du bois et des minerais, dans le but éventuel d’en détourner les livraisons. Plus périlleuse, la mission de Kaétra consistait à prendre contact avec le réseau de passeur de la ville de Bourgeoys pour y développer de futures opérations. Pour mener à bien leurs objectifs, ils s’étaient tous deux vu attribuer une tenue traditionnelle locale que l’Affaire s’était dégotée. Grâce à elles, ils pouvaient aisément passer pour des locaux, mais aussi affronter le froid qui régnait sur l’île.
« Nyaaaah bon, on s’quitte là, l’Agneau. Et nous fait pas attendre cent sept ans, t’as la mission la plus simple, j’te rappelle » lança Kaétra, avant de s’évanouir telle une ombre en se fondant dans la foule.
Après quelques grommellements, Kant se mit en route pour accomplir sa mission. Mais à peint eut-il marché une vingtaine de mètres qu’il se figea, émerveillé par l’écriteau sur la devanture de la première taverne sur son chemin : « ICI : découvrez et redécouvrez la bièrraubeure ! Deux achetées, la troisième offerte ! ». Sans tergiverser bien longtemps, le jeune homme entra dans l’établissement et commanda deux larges pintes. La première gorgée du breuvage local fut moins savoureuse que la seconde, elle-même moins savoureuse que la troisième, elle-même moins…et ainsi de suite. Sa sixième bière terminée, Kant passablement éméché s’adressa au tenancier en ces termes :
« Mais quelle … Mais quelle ! Qu’elle est délicieuuuuuse cette bière enfin ! C’est pas possible de tutoyer les anges comme ça ! Dis patron ! Dis moi .. c’est quoi que vous mettez dedans ? Comment tu fais ça, dis ?? »
Quelque peu surpris que cette question lui soit posée par un Boréalin, du moins par un client habillé comme tel, le patron répondit tout de même : « Brassée sur place, mon garçon ! Et t’en trouveras pas de meilleure sur tout Lavallière, j’te le garanti. Parce que mon beurre et ma chantilly, c’est les meilleures, j’les trouve à la Miche baveuse ! Et ouais mon garçon, j’ai même l’ex-clu-si-vi-té ! »
Ils continuèrent à converser sur la recette de cette curieuse bière locale et sur ses ingrédients. Le gérant du bistrot, de son nom M. Gregarious, avait su lier un contrat commercial avec la boulangerie la plus célèbre de la ville, lui conférant l’exclusivité sur l’achat de beurre et de chantilly. Enseigne historique de Boréa, la Miche baveuse était reconnue pour ses produits de qualité et comptait deux boutiques, l’une à Lavallière et la seconde à Bocande, là où le beurre était produit. Fort de ces informations, Kant considéra pendant plus d’une heure ce qu’il lui incombait de faire, dans l’intérêt de l’Affaire, bien entendu... Car si le bois et les minerais étaient des ressources coûteuses, les ingrédients de la bièrraubeurre eux, étaient rares et sans égal sur North Blue. Sa septième pinte terminée, Kant remercia affectueusement M. Gregarious et s’en alla, pensif.
Le lendemain, il revînt. Tout comme le surlendemain. Le quatrième jour il revînt encore. À chacun de ses passages chez M.Gregarious, Kant ne tarissait pas d’éloges à son sujet. De jours en jours, il le félicitait sur la magnificence de son établissement, sur ses qualités de brasseur et sur son sens extraordinaire des affaires. De fil en aiguille, le vieux patron se prit d’affection pour le jeune homme et lui offrait même, de temps en temps, sa septième pinte. Aussi, le cinquième jour, il accepta sans broncher de donner à Kant un autographe, flatté que l’on puisse l’idolâtrer à ce point. Ce jour-là, le jeune homme parti en le remerciant chaleureusement, mais sans consommer.
Quelques heures après, au beau milieu de l’après-midi, Kant se présenta devant la Miche baveuse. La taille de l’établissement était à l’image de son succès, gigantesque. Précipitamment, il pénétra à l’intérieur et s’adressa à la première employée qu’il vit, l’air paniqué :
« Bonjour ! Désolé de vous déranger ! Je travaille chez M.Gregarious, il m’envoie en urgence ! Je dois récupérer l’intégralité de vos stocks de beurre et toute la chantilly disponible, rapidement ! Son établissement va donner une réception exceptionnelle dans la soirée pour les pontes de Bourgeoys ! Nous devons absolument préparer la bièrraubeurre nécessaire pour les accueillir ! »
Il enchaîna : « Nous sommes très pressés ! M. Gregarious m’a demandé de vous remettre ceci ! ». À ces mots, Kant tendit le papier immaculé sur lequel M.Gregarious venait d’apposer sa signature quelques heures plus tôt, espérant ainsi prouver l’authenticité de sa démarche…
- Spoiler:
- Eléments de contexte, en 1625… (cf Kant présentation)*L’Affaire est une organisation basée sur Zaun et spécialisée dans la contrebande, la fraude et l’escroquerie. Elle emploie de nombreux zauniens qui excellent dans différentes disciplines.
*Kaétra est la partenaire et rivale de Kant, elle est comme lui une employée de l’Affaire.