Une nouvelle recrue

Loin de moi l’idée de me plaindre du mentorat de l’honorable Kong, il était absolument extraordinaire, mais j’avais bien du mal à suivre son zèle extrême quand venait le temps des entrainements. J’étais arrivé à Logue Town il y a que deux mois et déjà je pensais avoir pris cinq à dix kilos de muscle. Au départ j’avais toujours mal partout mais mon corps s’y étais habitué, j’avais aussi rapidement perdu ce manque de motivation que j’avais initialement ressenti après la première semaine. Le souci c’était maintenant mon manque d’énergie et de cardio.

En effet, après n’avoir fait que des exercices de force physique, maintenant le colonel simiesque a trouvé un nouveau moyen de torture pour moi, la course à pied en portant diverses vestes de poids. Bien entendu ça avait sa place et son importance, assurément, mais je n’avais pas fait de cardio depuis mon arrivée et ça, Kong le savait bien, il l’avait surement même fait exprès.

Désormais je passais mes jours à m’exténuer puis combattre mon mentor, ou plutôt essayer de le frapper alors que lui se moquait de moi avec une grande joie, sans jamais ridiculiser ma personne, seulement mes efforts pathétiques et lents. J’en savais parfaitement l’utilité : il voulait que je sois un combattant fort, mais aussi que je puisse tenir la distance dans un combat, sinon je ferais face à des pirates capables d’évader mes coups assez longtemps pour me fatiguer avant de me finir sur place et faire de moi de la moulée à squale.

Les poids étaient là pour travailler mon explosion et ma vitesse, je l’avais deviné après avoir essayé de courir sans les poids, j’avais déjà gagné pas mal en rapidité, même en combattant Kong, je devenais de plus en plus surprenant avec ma détente et j’avais l’impression de l’avoir impressionné un peu.

Peut-être était-ce pour cela qu’il avait choisi de me confier à un autre ? Car il m’estimait prêt et qu’il offrait de la valeur à mes ambitions ? Ou alors il me pensait un cas incorrigible ? Je ne savais point car Kong n’était pas un ferme croyant des compliments et des critiques ouvertes, il préférait ‘’laisser l’expérience faire son travail’’ comme il le disait moult fois à pratiquemment chaque jour.

À plusieurs reprises, un navire pirate avait longé les frontières de Logue Town à la recherche de navires à harceler et dévaliser. Tel un aigle ayant trouvé sa proie, je l’avais patiemment observé à chaque opportunité qui se présenta à moi, pour connaitre ses manœuvres habituelles, ses heures d’activité et tout ce que je pus tirer de ce nouveau gibier. Je bouillais d’envie de m’y frotter au plus vite, c’était un navire drapé par un jolly roger à nénuphar, le crâne ressemblait à une tête de grenouille. Somme toute rien de bien particulier, mais le capitaine avait sur sa tête une belle prime pour mon niveau et j’estimais pouvoir aisément m’y attaquer. Le seul réel problème dans l’histoire, c’était le second qui avait l’air bien trop puissant pour moi, ainsi que Kong. Ce dernier avait jusque-là refusé strictement que je me lance à leur poursuite, même quand je lui offrait de m’accompagner pour me superviser il me répétait la même chose encore et encore.

- Il n’est pas sous notre juridiction et je me dois de garder mon poste ici. Je sais bien que tu veux faire tes preuves Auster, mais sache qu’explorer le monde n’est réservé qu’aux recrues qui arrivent à m’étaler au sol !

À ce rythme, je ne pourrais jamais quitter East Blue, je me demandais même parfois si j’avais même vraiment quitté Shell Town. Certes l’entrainement était bien plus strict et difficile, mais je ne faisais rien d’autre que ça encore, somme toute, j’avais l’impression de n’avoir nullement changé depuis le départ de mon parcours, aussi faux cela pouvait bien s’avérer.

Aujourd’hui était une surprise particulière, jamais Kong ne m’avait offert une journée de repos auparavant, pour mettre la cerise sur le gâteau, il m’avait invité à manger avec lui dans un bistro, si j’avais eu une glace dans les mains, je suis certain que mon visage aurait affiché une mine des plus horrifiées, pas parce que je ne voulais pas accepter l’offre, bien au contraire. Plutôt je craignais que le colonel n’ait été remplacé par un imposteur à l’apparence identique.

- Colonel ? Lui avais-je d’abord répondu.
- Auster, tu es trop rigide, il faut que tu sois capable d’accepter les récompenses. Tu travailles fort depuis le départ et même que tu as maintenue l’entrainement de force jusqu’à tard le soir alors que je ne te l’ai même pas demandé, c’est bien la première fois que je vois une recrue aussi tendue que toi en fait.

Je baissais la tête alors, je ne pouvais pas le regarder droit dans les yeux et lui dire qu’il avait tort, l’envie de retrouver ma sœur me donner l’air d’avoir une barre de fer enfoncée là où le soleil ne brillait jamais. Fallait aussi savoir que mon enfance dans la noblesse m’avait inculqué un comportement irréprochable empreint de droiture et de détermination sans pareille. Je répondis donc simplement par un hochement de tête bien sombre. Après tout, j’avais peut-être encore plus de zèle que Kong lui-même.

Arrivé au bistrot, je mangeais rapidement mon repas sans dire un mot, Kong lui attendait quelque chose ou quelqu’un avec impatience, il n’arrêtait pas de regarder l’heure et n’avait rien commander à manger. C’est à ce moment que l’anxiété me gagnait, j’avais la forte impression d’avoir sauté à pieds joints dans un piège mortel. Comme s’il avait lu dans mes pensées, Kong me fit un sourire moqueur.

- Calme toi petit, nous attendons quelqu’un de bien plus plaisant que moi.

Il sortit sa pipe et y mis un peu de tabac pour ensuite l’allumer avant de poursuivre, comme s’il se préparait à annoncer quelque chose de grandiose.

- La vérité gamin, c’est que tu as du potentiel… Beaucoup de potentiel. Mais, il te manque une chose primordiale et c’est de voir le monde, de te calmer. Parce que si tu ne te ménages pas de temps en temps, tu finiras par te tuer en forçant les choses. Je ne te suggère pas de ralentir ton évolution en puissance, jamais. Seulement tu dois sortir et apprendre tes propres limites parce que parti comme c’est là, tu finiras tué par quelqu’un. Si tu n’avais pas eu des gens comme le colonel Pal et moi pour te tenir en place, tu aurais peut-être déjà atteint l’empereur Kyori, en étant bien trop faible encore.

Je ne dis rien, avalant avec difficulté le contenu de ma bouche bien remplie. Je savais bien qu’il avait raison mais la rage en moi était si forte… Je devais apprendre à contrôler cette colère, je devais cesser d’en être son pantin…

- J’estime qu’avec cette information-là, tu es fin prêt. J’espère que tu as compris, mais quoi qu’il en soit, je te transfère à ma dernière recrue avant toi. Il est devenu puissant, peut-être plus que moi maintenant, à force de parcourir les mers avec vertu. Tu tâcheras d’en apprendre le plus possible sur toi-même en l’observant travailler, en travaillant pour lui et aussi, tu devras évoluer le plus possible à ses côtés avant de penser à te faire un nom pour toi-même.

Je fis un sourire assuré, un feu nouveau brûlant dans mes prunelles.

- Fort bien colonel, je ne me décevrais pas et ainsi, votre réputation conservera sa grandeur.

Le simiesque sourit de toutes ses dents, comme s’il venait de voir quelque chose qui lui plaisait. Derrière eux, un homme renard venait de faire son entrée dans l’établissement, il était aussi grand et imposant que Kong mais dégageait quelque chose de bien plus serein et relaxé que son vieil ami. Il était clair que j’avais devant moi le sous-amiral Shoga, une figure connue parmi les marines d’East Blue. Je failli cracher la bouchée que je venais tout juste de m’enfoncer dans la bouche, m’étouffant ainsi pendant quelques secondes.

Les deux hommes n’eurent pas l’air de s’en rendre compte et quand j’eus enfin libéré ma gorge obstruée, je pus placer un mot dans la conversation.

- Oui, oui bien sûr que je vais venir au G-2 avec vous sous-amiral Shoga. C’est un honneur de partager votre présence. Si vous me le permettez, je souhaite vous faire part que je suis un admirateur de vos exploits. Sachez aussi que j’ai passé beaucoup de temps à observer les déplacements de l’équipage au nénuphar. Aussi, je connais bien leur capitaine et leur second, somme toute ils sont forts mais ils ne font rien d’important pour éviter d’attirer trop les yeux de la marine, si vous souhaitez que nous nous en occupions, ils passeront à quatre mille marins au nord-nord-est, cela dans une à trois heures si l’on se fie à leurs habitudes.

Me souvenant de l’effet de mon accent sur la plupart des inconnus, mes joues devinrent rouge pivoine alors que je remis mon attention sur mon assiette pour manger férocement ce qui y restait. Une fois que j’eus terminé, je me mis à jouer nerveusement avec la garde de ma grande épée.

- Pardonnez-moi mais je vais aller faire mes valises. Sous-amiral, je vous rejoindrai au port dans vingt minutes.

L’écarlate fit une course en sprint vers les baraquements pour y faire ses bagages, ne possédant pas une énormité de biens, il eut terminé en un peu moins de dix minutes avant de se diriger avec empressement au lieu de rencontre. Arrivé là il tomba sur un navire bien différent des autres, gros et sur mesure, très certainement celui du capitaine renard, et à son image.