[mission] Deus ex machina.

Le Colonel s'approcha, posa la main sur la capuche de l'assassin. La foule retint son souffle, le visage du meurtrier allait enfin être révélé. Et les menottes qui barraient ses mains l'empêcheraient d'user de ses maléfices.

Quelques heures plus tôt, dans les égouts d’Hinu Town.

Une gigantesque carte se tenait sur la table, tenue par quatre dagues plantées à ses coins. On y distinguait les tracés plus ou moins précis du dédale tortueux de la cité, ainsi que ceux des différents points de rassemblement de la Marine. Plusieurs bougies éclairaient les lieux, permettant aux cinq individus présents de pouvoir lire sans difficulté. Ils étaient tous revêtus de l’habit traditionnel blanc des assassins, avec plus ou moins de fioritures, sauf l’un d’entre eux. Il arborait un barbe naissante, aussi sombre que le reste de sa tenue. De même, son équipement semblait plus évolué et plus fourni que la plupart des autres hommes présents. Il se tenait les bras croisés, attendant que ses fidèles acolytes aient terminé de concevoir mentalement leurs tâches, s’adaptant au mieux à son plan. Un parchemin enroulé présentait un cachet de cire rompu, ainsi qu’une estampille noire emblématique. C’était un édit Révolutionnaire, un ordre de mission à ne pas prendre à la légère. Il était rare d’y voir les assassins de la Confrérie soumis à de tels contrats, et ils revenaient souvent entre les mains de leur Mentor.

« Ce sera simple, sans bavures. Il n’y a pas de raison de s’inquiéter outre mesure, ce n’est pas la première fois que nous avons à libérer un des nôtres. » expliqua-t-il, secouant la tête comme si tout cela était enfantin.

L’assemblée conserva le silence, plus par respect pour leur leader. Mais on sentait une légère tension, comme s’il y avait de nombreux non-dits entre ces personnages. Il était difficile d’oser prendre la parole lorsqu’on était sous les ordres du supérieur de toute une organisation, mais la Confrérie accueillait tous les assassins révélés comme des frères, ainsi se permettaient-ils de parler librement la plupart du temps. Mais cette fois là faisait exception, et Rafael l’avait bien senti. Il décroisa les bras et considéra ses hommes quelques instants, laissant la quiétude des lieux imposer sa suprématie. Jusqu’à ce que, enfin, un de ses acolytes fasse un mouvement.

« C’est tout, Mentor ? Je veux dire, libérer un seul homme ? » s’étonna-t-il.

Un léger sourire en coin gagna la face de l’assassin. Il soupira et se gratta la base du menton. Ses hommes avaient soif de grandeur, et c’était un très bon signe. Il encourageait toujours ce genre de comportement, qui était prompt à servir leur cause. Voilà pourquoi cet homme était un bon assassin.

« Ce n’est pas là le but premier de notre mission. Le libérer est plus symbolique qu’autre chose : il faut faire cela sous le nez du Colonel Shepard. Il se targue bien trop de nous mener à la baguette. Nous lui montrerons, à lui et à ses hommes, que nous pouvons aller là où ça nous chante, et quand nous le voulons. » répondit Rafael, en lui offrant son plus beau sourire.

Un léger ricanement s’exhala de la plupart de ses assassins. Un léger murmure s’échappa d’eux, il voyait leurs yeux étinceler. Ah, ils partageaient eux aussi cette flamme. Il était toujours agréable de se tenir au milieu de ses fidèles et éternels alliés. Ils échangèrent des regards et sourirent de nouveau. Ils adhéraient parfaitement au plan, et leur air enjoué annonçait de bonnes choses. Rafael acquiesça puis ôta les dagues de la carte qui s’enroula aussi tôt. Il la fit jouer dans ses doigts pour lui donner une forme plus adaptée au cylindre dans lequel il la logeait puis se saisit de l’ordre de mission. Il l’approcha d’une flamme et le laissa se consumer, au milieu du meuble. Maintenant que tout était clair, la moindre preuve devait disparaître. Quant à la carte, elle retournerait aux archives. Il ne restait à présent plus qu’à vérifier que tout était en ordre.

« Bien, les croquis des relèves ont été mémorisés, il ne nous reste plus que les derniers détails. Maestro, faites moi part de vos observations. » ordonna l’assassin, d’un geste de la main.

Le susnommé se racla la gorge puis s’avança un peu plus dans la lumière. Les flammes animant la lettre en train de brûler jetaient sur lui un jeu de contrastes saisissant. Ainsi accoutré, il ressemblait trait pour trait à son mentor, et pour ainsi dire à Rafael dans ses jeunes jours.

« Le Colonel John Shepard. Rien à signaler, marié depuis quelques années, père d’une fille en bas âge, état de service irréprochables dans son corps d’armée. Il est le dirigeant de cette division depuis dix ans, maintenant, et sa promotion au rang de Colonel date du temps où il travaillait sur l’Intrépide, un des navires de l’amirauté. Rien qui ne sorte de l’ordinaire, aucune surprise à avoir de ce côté-là. Quant aux lieux, nous avons déjà chargé les Recluta de se renseigner dessus : ce sera facile d’accès, et notre action aussi rapide qu'efficace. »
présenta l’homme.

L’assassin acquiesça. Rien de plus que ce dont il avait besoin de savoir. Parfait, la cible était toute désignée pour la mission qu’il avait reçu. Un Colonel qui s’empâtait un peu pour une gloire passée, et qui était aimé du peuple. Il était temps de montrer à ses supérieurs et à ses hommes qu’il ne valait plus rien et que sa division laissait à désirer. Tout comme il fallait lui montrer que la Révolution était infaillible. Il arrivait qu’il capture quelques Révolutionnaires de temps en temps, mais personne ne levait réellement le petit doigt. Cette fois serait donc un effet de surprise total. Il était donc temps de plier bagage. Après quelques formules d’usage, chacun des assassin souffla la bougie qui lui faisait face puis s’enfonça dans l’ombre. Passé cette salle, les égouts étaient si tortueux que chacun pouvait aisément prendre une voie particulière pour sortir à des endroits différents de la cité, sans être trop éloignés. Et, comme de coutume, le lieu du rendez-vous était sur un des toits voisins de la caserne qu’ils avaient l’intention d’infiltrer.

Une vision dégagée, parfaite. Les rues fourmillaient d'une activité exacerbée par le marché qui se tenait là. Que demander de mieux qu'un peu d'agitation pour passer inaperçu ? L'assassin ordonna à ses hommes de se mettre en mouvement de deux signes de tête, montrant les différents accès à la caserne. Les mots étaient superflus, seule l'action comptait. Et alors que ses alliés se mettaient en mouvement, Rafael se lança dans le vide, exécutant un saut magistral entre les deux toits. Crochetant une prise du bout des doigts, il se rattrapa une dizaine de mètres plus loin, descendu de quasiment quatre étages par rapport à sa précédente position. Profitant de la violence du choc, il bascula sur le côté et entama sa rapide ascension sans un seul témoin. Une escalade rapide et inexorable, il paraissait avancer aussi vite qu'en marchant. Bien assez vite, il se retrouva sur le toit de la caserne, où deux hommes patrouillaient, fusil à l'épaule. Il dégaina ses deux lames secrètes, fonçant vers la porte sans se soucier d'eux, alors que deux ombres blanches mettaient fin à leur vie. D'un geste assuré, l'assassin enfonça sa lame dans la serrure et en fit sauter le loquet : chercher la clef n'était qu'une perte de temps. La porte bascula sur ses gonds, sans un bruit, et la fumée commença à dévaler de l'escalier, précédée par Rafael. Fusant à une vitesse incroyable, il lacéra deux nouvelles gorges, ne laissant pas le temps aux gardes qui discutaient au détour d'un couloir de se rendre compte de ce qu'il se passait. Les pauvres hères s'affalèrent à terre sans un bruit, leurs corps réceptionnés par les sbires du meurtrier. Et, à travers deux étages, l'avancée implacable des assassins fit un carnage, exécutant sans sourciller le moindre soldat en uniforme qui passait par là, réduisant les risques d'alarme à néant. Peu importe où le meneur passait, ses hommes assuraient ses arrières et nettoyaient efficacement l'endroit, masquant corps et éliminant les récalcitrants. En moins de deux minutes, ils parvinrent ainsi à une épaisse porte qui leur barrait le passage, dont le haut était recouverte par une grille en fer forgé, laissant apercevoir des geôles vers le fond de la pièce. Levant un poing, Rafael stoppa l'avancée de la petite troupe. D'un geste, il leur ordonna de se reculer, tandis qu'il prenait son élan. Posant les mains sur ses propres épaules, il se jeta contre la porte tête en avant, éclatant en une immense gerbe de fumée qui se retrouva aspirée par le cadre de bois en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Quelques cris résonnèrent dans la pièce, la porte trembla un instant sous la force d'un impact, puis plus rien : le silence était revenu. Le loquet bascula et la porte s'ouvrit, révélant cinq corps étendu à terre. Les assassins s'engouffrèrent à l'intérieur, sortant de leurs poches trois boules de plomb, se terminant par une mèche. L'un d'eux fit glisser de sa tunique une longue corde, tandis que Rafael était déjà occupé à ouvrir les grilles à l'aide des clefs du geôlier. S'engouffrant dans celles-ci, il en revint rapidement, soutenant un homme en haillons blancs, ressemblant à ce qui était autrefois une tenue d'assassin. Celui-ci bégayait à son sauveur de le laisser là, car telle était la règle, mais d'une secousse, ce dernier lui intima le silence. Il fit passer son fardeau à un de ses hommes puis dégaina sa rapière.

« Dépêchez-vous, j'entends du bruit là bas. » leur murmura-t-il, tandis qu'un assassin allumait la mèche d'une bombe à proximité de la fenêtre.

Des bruits de pas commençaient en effet à se faire entendre. Avait-il sous-estimé le temps de réaction de la Marine ? Non, les précautions prises étaient maximales. Ce n'était que du hasard. Faisant basculer sa rapière dans son autre main, il dirigea sa main gauche vers les trois bombes entreposées et arma son mousquet caché de son index. Les mèches mettraient dix secondes à se consumer, c'était trop. Les quatre autres assassins se reculèrent instinctivement et Rafael fit feu. La balle ricocha sur une des bombes puis s'enfonça dans une autre, général une explosion suffisante pour faire sauter le tas. Un pan du mur s'envola sous l'impact, libérant assez de passage pour un seul homme. Aussi tôt, les assassins s'engouffrèrent dans l'espace dégagé, usant de la corde pour assurer leur descente. Mais alors qu'ils allaient faire passer le prisonnier par le trou, la porte qu'ils avaient pris soin de refermer s'ouvrit en deux dans le sens de la hauteur, les deux battants volant chacun d'un côté distinct. Rafael évita de justesse l'onde de choc générée, se rattrapant d'une main. Instinctivement, il rengaina sa rapière et se positionna entre ses hommes et la menace, levant ses poings pour se mettre en garde. Un mauvais pressentiment secoua son échine, tandis qu'un frisson glacé lui étreignait le dos. Une main gigantesque s'appropria le mur, puis ce fut un corps démesuré qui en émergea. Un être tout en puissance qui laissait trainer derrière lui un sabre tout aussi effrayant. Dans ses yeux trônait une lueur vindicative. L'air se cristallisa tout autour de lui, et l'assassin fit un pas en arrière, levant les yeux vers ce monstre. Ne se laissant pas décontenancer par son coeur qui battait à tout rompre, il se remit en garde, dégainant ses deux lames secrètes.

« Je me disais bien qu'il se tramait quelque chose de pas net ... n'est-ce pas, Shepard ? » gronda une voix aussi rauque que la mort.

Le géant s'adressait sans le regarder à l'homme qui se tenait derrière lui, qui étudiait la scène avec des yeux exorbités. Il n'avait voulu y croire, jusqu'à ce qu'il entende l'explosion.

« Vice-Amiral Keegang Fenyang ... » murmura Rafael, faisant signe à ses hommes de se dépêcher et de ne pas se laisser distraire.

C'était bien sa veine. Plissant les yeux, il fit un pas de côté, pour se retrouver face à son adversaire, tout en ne laissant aucun champ libre à celui-ci pour attaquer ses alliés. Quant à savoir ce que ce gros bonnet de la Marine ici, il n'en savait rien. Le géant se mit à ricaner, écartant Shepard d'une main. Tout ceci sentait le roussi. Mais l'assassin avait plus d'un tour dans son sac. Et à présent, il était de taille. Le fruit fumigène lui conférait des pouvoirs incroyables, et le père de l'autre imbécile d'Alheiri en ferait les preuves. Ecartant les bras, Rafael lui adressa un sourire malicieux, réponse au rictus carnassier du colosse. Celui-ci fit basculer son sabre à terre, puis se frotta les mains. Une lueur mauvaise trônait dans son regard, rien de bien rassurant ...

« Le petit assassin d'East Blue ... » grinça le Vice-Amiral, cognant son poing contre le mur « Je croyais qu'on l'avait choppé celui-là ... mais c'est une erreur qu'il serait plaisant de corriger. »

Un nouveau frisson glissa le long du dos de l'assassin, alors que le deuxième de ses hommes, avec leur cible, venait à peine de s'engouffrer dans le trou. Voulait-il parler de ... Cesare ?! Une rage sourde s'éleva de sa poitrine, alors les muscles de Keegang se mettaient en marche. Serrant son poing, Rafael laissa échapper une gerbe de fumée, et la précipita d'un geste au visage de son adversaire. Reculant d'un bond, le Marine parut tout d'abord interloqué, puis un sourire amusé s'étira sur ses traits. Il ne restait plus qu'un seul assassin à protéger. Grâce à ses pouvoirs, il pourrait tenir indéfiniment : il devait juste l'empêcher de les atteindre. Alors que Keegang armait un nouveau coup, Rafael se précipita vers lui, prêt à le parer. Il croisa ses deux bras, prêt à partir en fumée, lorsque, contre toute attente, le battoir de son adversaire s'écrasa lourdement sur ses avant-bras, les ramenant sous son menton. Le choc lui coupa le souffle et, aussi surpris que sonné, l'assassin s'envola pour s'écraser contre le mur du fond. Pris de court, il rentra dans le mur de plein dos et se retrouva à terre sans comprendre ce qu'il venait de se passer. Il toussa et expulsa un crachat mêlé de sang, puis se releva en essuyant sa bouche d'un revers de la main. Du sang s'écoulait de son nez et de la commissure de ses lèvres. Vacillant un instant, il hurla et se rua à l'assaut, évitant d'une passade le premier coup de son adversaire. Encore une fois, il se fit surprendre. Un uppercut l'attrapa en plein dans le ventre et l'envoyer s'écraser contre le plafond de la salle. Il rebondit avec un bruit sourd et s'effondra à terre. Roulant sur le dos, il se remit d'aplomb d'un bond. Du sang goûtait abondamment de son visage, et il arborait une expression mêlant stupeur et colère. Il recula d'un pas, se mettant de nouveau en garde.

« Dégagez, imbéciles ! »
hurla-t-il à deux de ses hommes qui restaient encore là, incrédules.

Les assassins sursautèrent presque et ne demandèrent pas leur reste pour s'enfuir. Ils connaissaient ce regard, tout comme ils connaissaient la colère de leur leader. Ecartant de nouveau les deux bras, Rafael ouvrit les mains et laissa un épais nuage de fumée s'exhaler de lui, envahissant la pièce et le masquant à la vue de son adversaire. Comment réagirait-il lorsque ses dagues pleuvraient de toute part ? Vice-Amiral, peut être, mais assurément pas un Dieu. Relâchant sa concentration, une fois que la fumée eut gagné toute la pièce, Rafael commença à se désincarner, puis à la vitesse de l'éclair, il se propagea à travers la salle, esquissant un sourire fugace. Sa dague se glissa vers le cou de Keegang, lorsqu'une main glacée s'empara de son cou, le ramenant à la réalité des choses. Il se retrouva alors plaqué contre le mur avec une force inouïe. Il essaya de se dégager de la poigne de fer de Keegang, mais il n'y avait rien à y faire. Il sentit son poing s'écraser dans ses côtes, lui tirant un gémissement de douleur. Il tenta de répliquer, mais la différence de taille était trop grande. Ses doigts n'arrivaient qu'à lui frôler le coude. Il s'essaya à frapper ses mains, mais un nouveau coup vint le stopper. Il laissa échapper une véritable gerbe de sang sur son adversaire, qui le lâcha alors, et lui asséna deux nouveaux coups, l'enfonçant littéralement dans la pierre. Et la dernière image qu'il vit avant de sombrer dans l'inconscience fut le sourire du Vice-Amiral et son immense poing s'écrasant contre sa tempe. Puis ce fut le trou noir. Absolu.



~~~

« Debout ! Debout, j'te dis ! » hurla une voix aux oreilles douloureuses de Rafael, précédant de quelques secondes un seau d'eau glacée.

Deux hommes attrapèrent l'assassin sous les bras, l'obligeant à se lever et faisant tinter ses chaînes. Sans ouvrir les yeux, celui-ci comprit qu'on les lui enlever, du moins celles qu'il avait aux pieds. Il se sentait moulu de tous les côtés, si bien qu'on le trainait plus qu'on le portait. Il sentait son visage maculé par le sang séché et à en voir par le Soleil qui lui brûlait les yeux à travers ses paupières, on le trainait dehors. Combien de temps s'était passé depuis qu'il avait été vaincu par Fenyang, il n'en avait aucun idée, mais Dieu qu'il souffrait encore. Il n'arrivait pas à comprendre comment ce type avait réussi à passer outre ses pouvoirs, tout cela s'était passé si vite. Mais au moins, ses hommes étaient saufs. Le granit marin présent dans ses liens lui irritait la peau et lui tiraillait les sens. Chaque mouvement brusque était une souffrance. Mais rien ne fut plus douloureux que le contact glacé de la pierre lorsque les deux malabars le lâchèrent à terre. Il s'y écrasa sans un bruit, puis se releva en titubant puis ouvrit les yeux, papillonnant pour éviter la morsure du Soleil. Il se trouvait face à une épaisse porte de bois, qui s'ouvrait peu à peu face à lui. Le Colonel Shepard était à quelques mètres de lui, le regardant d'un air réjoui. Il y avait de quoi : il tenait l'un des hommes les plus craint des blues, tant par la menace qu'il faisait planer que par la légende que ses hommes cherchaient à faire planer. Si leur tenue se ressemblait tant, ce n'était pas par hasard. Il tenait la preuve tangible de son existence et la révèlerait au monde. Il y avait en effet de quoi être fier. Du moins, c'était la clameur qui résonnait dehors qui confirmait cette hypothèse aux yeux de Rafael. Son sang ne fit qu'un tour, mais à peine voulut-il lutter que le Granit Marin lui rappela sa triste conditionnant, contenant ses pouvoirs et sa force. Un passage gigantesque le menait jusqu'à une potence, dressée spécialement pour lui. Etait-ce là la fin de son voyage ? Nulle part il ne voyait Keegang Fenyang. Ce fils de chien n'en avait rien à faire, il s'était simplement barré après avoir fait son oeuvre. Quant à sa présence, pur hasard ou non, Rafael n'aurait pu dire, mais s'il avait su qu'un Vice-Amiral était dans le coin, jamais il n'aurait tenté cela. Poussé par une main impérieuse, l'assassin fit un pas en avant, puis un autre, encouragé par les sifflements de la foule. Son visage était toujours masqué, certainement pour le coup de théâtre que voulait lui infliger Shepard. Il semblait très fier de son effet, à se pavaner en tenue d'apparat. Il y avait là bien plus de personnes que ne pouvait en compter l'assassin, qui observait à chaque instant un moyen de se faufiler hors de la vue des gardes, mais ceux-ci avait bien prévu leur plan : il était à bout de force et pas un seul mètre n'était laissé à découvert. Lorsqu'il aperçu au loin, une ombre blanche parmi la foule. Les assassins étaient là, mais que pourraient-ils faire ? C'était la fin, et tout ce qu'il pouvait faire, c'était leur laisser un souvenir aussi noble que sa cause l'était. Redressant la tête, Rafael commença à avancer d'un pas un peu plus rapide. Il redressa les épaules et essaya de s'amender de ses craintes. Peu importait sa vengeance, peu importait son combat tant que la cause perdurerait : il connaissait les risques et il avait chut en connaissance de cause. Qu'il repose en paix.

Le Colonel s'approcha, posa la main sur la capuche de l'assassin. La foule retint son souffle, le visage du meurtrier allait enfin être révélé. Et les menottes qui barraient ses mains l'empêcheraient d'user de ses maléfices. Il sentait déjà le contact rêche de la corde sur son cou, qui viendrait ensuite. Mais alors que Shepard commençait à tirer en arrière son vêtement, un de ses hommes l'appela en bas de l'estrade montée pour l'occasion, lui tendant un petit paquet. Jetant un regard derrière lui, l'assassin plissa les yeux, en apercevant la petite tâche carmine présente sur le paquet. Le Colonel interrogea son subalterne quant à la provenant de l'objet, mais celui-ci haussa les épaules et se recula d'un pas. Ouvrant délicatement l'objet, Shepard fut pris d'un haut le coeur, avant de blêmir. Il se retourna vers Rafael lui adressa un regard furieux. L'assassin se retourna vers la foule, comme si de rien n'était, puis il caressa doucement la cicatrice de son annulaire amputé, symbole universel de serment à la Confrérie. Il inspira longuement, puis s'empara discrètement du message qui lui avait été glissé par l'un des deux hommes qui l'avaient aidé à monter sur l'estrade. Lorsque Shepard s'approcha de lui, l'attrapant par le col, il lui fit passer le morceau de parchemin dans la poche, souriant sous le visage rouge de colère du Marine.

« Qu'as-tu fait ?! Qu'as-tu fait, maudit assassin ?! » tonna le Colonel, assez bas pour que la foule ne puisse l'entendre.

« Regarde dans ta poche, Colonel. Et pas de faux pas, sinon il t'en coûtera. » répondit-il, entre ses dents.

Reculant d'un pas, le Marine laissa échapper le petit paquet enveloppé de soie qu'il tenait puis fouilla sa poche. L'éclat d'une bague attira l'attention de Rafael, lui tirant à nouveau un sourire malicieux. Le sang qui coulait du doigt tranché était encore frais, et l'intérieur du mouchoir en était maculé. Le Colonel parcourut le message d'un oeil frémissant, puis un frisson glacé lui parcourut l'échine, alors qu'il regardait tout autour de lui. De nouveau, il s'approcha de Rafael, mais cette fois, il tremblait. Il l'attrapa par le col, les yeux humides.

« Je ... Ne les touchez pas, ou je vous jure que vous le paierez ! » le menaça-t-il, au bord des larmes.

« Cela ne tient qu'à vous, Shepard. Soyez un homme, et protégez-les. Ou perdez ce qui vous est le plus cher dans ce monde. » répondit Rafael, sentant peu à peu une lueur d'espoir lui revenir.

La foule commençait à s'impatienter, à en témoigner par le brouhaha ambiant. Un homme hurla qu'on pende l'assassin, mais rien de plus. Le visage déconfit du Marine en disait long sur le cruel dilemme qui s'imposait à lui. Et l'Auditore se délectait de cette souffrance. Il jeta un rapide coup d'oeil à la foule et distingua trois ombres blanches disséminées ça et là. Et son sourire revint. Il se redressa et avança ses mains vers Shepard, le coeur gonflé de fierté. Lentement, celui-ci attrapa le jeu de clefs pendues à sa ceinture. Lentement, il enfonça la clef dans la serrure. Et les menottes chutèrent aux pieds de Rafael. Secouant la tête, le gradé se recula d'un pas en fermant les yeux puis, d'une voix chevrotante, il prit la parole une première fois. Il se racla la gorge et s'y essaya à nouveau.

« Je ... Cet homme est innocent. Il ... » commença-t-il, s'arrêtant en plein milieu, perdre son honneur ou sa famille ... hésitait-il encore ?

« Il ... Relâchez-le. Ce n'est qu'une mise en scène de ... de la Marine. » termina le Colonel, non sans mal, laissant tomber le mot froissé qu'il tenait dans les mains.

D'un oeil, Rafael y déchiffra l'écriture étriquée qui y figurait. Un sourire s'épancha sur ses lèvres, alors qu'il usait de sa fumée pour le faire rapidement remonter dans sa manche. Les spectateurs étaient trop sidérés pour réagir, ou le voir.


      Relâchez l'assassin et accusez la Marine de mise en scène ou le prochain colis que vous recevrez contiendra les yeux, au lieu du doigt, de votre femme et la tête de votre fille.


La suite des paroles du Colonel n'eut plus d'importance, sous l'explosion de colère de la foule déjà mise sous tension par la promesse d'une exécution publique. Et en quelques secondes, la situation dégénéra. Les civils se mirent à pousser les soldats, et on pouvait apercevoir ça et là des hommes en blancs qui attisait la colère du peuple, les exhortant à la trahison de la Marine. Shepard se retourna pour faire face, puis fit deux pas en arrière, totalement dépassé par les événements. Libéré de l'emprise du Granit Marin, l'assassin s'approcha discrètement du bord de l'estrade, puis se laissa glisser à bas de celle-ci, s'aidant de l'affluence pour disparaître dans les rangs. Et lorsque le Colonel voulu reporter un regard sur lui, il avait déjà disparu et gagné le sombre dédale des rues. Il avait la vie sauve, et la suite des événements présageait une poursuite tout aussi plaisante. Deux assassins attendaient Rafael au tournant de la rue. Ils attrapèrent chacun un de ses bras, l'aidant à marcher vers leur planque la plus proche. L'assassin accueillit cette aide avec soulagement, lui montrant une nouvelle fois que l'union faisait la force. Le reste de sa troupe était encore là-bas à semer le chaos, et à préparer la chute du Colonel.

« Et sa famille ? » articula-t-il, presque à bout de force.

« Saine et sauve, comme elle l'a toujours été. Mais il semblerai que sa femme ait récemment égaré son alliance, ainsi qu'un petit mouchoir en soie auquel elle tenait beaucoup ... » ricana un des assassins.

Rafael reconnut là l'homme qu'ils avaient tirés des geôles. Il lâcha lui aussi un léger éclat de rire, pensant à ce qui suivrait lorsque les autorités découvriraient que Shepard avait été abusé et mené en bateau. Dégradé, bafoué et déshonoré. Ils auraient du boulot avant de réussir à remonter l'image de la Marine, et le Colonel serait sans aucun doute le bouc émissaire de toute cette situation. On n'aurait pu rêver conclusion plus épicée, même s'il se serait bien passé de toutes ces contusions. Quant à Fenyang ...


« Nous avons localisé Fenyang, mais il est à présent hors de portée : il ne faisait que transiter ici pour une autre destination, vous ne pouviez le prévoir. Désolé, Mentor. »
murmura le second assassin.

« Peu importe ... je sais comment le faire chuter. Il a un fils, et nous allons bientôt lui rendre une petite visite. Préparez un trajet vers Shell Town, et rassemblez tout ce que vous savez sur le Leviathan. » gronda Rafael, avant de disparaître dans l'ombre, soutenu par ses fidèles alliés.
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