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La Débâcle - Judge

Votre mission est claire...

Venir jusqu'au port, poser des bombes, piéger l'endroit et vous mettre assez loin pour regarder le spectacle. Jusqu'ici, pas forcément compliqué, sauf quand on a vos têtes reconnaissables entre milles. Certes, Craig est moins connu, mais pas forcément mieux perçu pour l'espèce à laquelle il appartient... Mais toi Rachel, tes frasques avec le petit lapin font pâlir cette brave Alice qui passe pour une sacrée couillonne.

Alors bon, équiper jusqu'aux dents d'explosif que cette chere Lilou vous a confié en vous demandant d'être prudents, vous vous dirigez bon gré mal gré vers l'endroit attendu, en remarquant une chose dans votre approche furtive...

C'est que les hommes sur place quittent l'endroit pour se diriger vers le centre-ville.

Une aubaine, non ?

*

Juge, Juré et Bourreau.

Au centre de ville, de ce côté de Jaya, l'émulation est à son comble. Les pirates se pressent devant l'hotel où réside Flist et ses hommes de main les plus proches, si bien que la masse compacte semble être difforme et effrayante, comme ne former qu'un seul monstre imposant. Pourtant, il y pèse un silence lourd, si profond qu'il résonne en chacun comme une obligation, un ordre tacite et respecté par tous. On ne dit rien, on regarde juste vers la fenêtre avec une certaine impatience, quand enfin...

La dite fenêtre s'ouvre et laisse entrevoir le personnage principal de cette scène.

La Débâcle - Judge Papyru15_imagesia-com_2zuw_large

Flist Gonz, le Crochet, le Terrible, s'affiche enfin à ses subordonnées et les regarde avec flegme. Il prend son temps, se tient à la bordure de sa fenêtre et lance un sourire satisfait aux hommes qui lui répondent d'un petit rire. Mais l'attente et la pression sont toujours aussi lourdes, si bien que lorsque Flist lâche ses premiers mots, ceux d'en bas, eux, lâchent un soupir de soulagement :

Mes amis ! Mes compagnons !

Je me doutais que notre présence sur Jaya et notre cause n'enthousiasmait pas les hautes sphères... Je savais qu'ils tenteraient quelque chose pour nous empêcher, vous comme moi, de nous accomplir comme des hommes ! Comme des pirates !

On nous considère comme des déchets ! Des criminels ! Voire des montres ! Ils considèrent, eux, dans leur belle maison qu'ils pensent solides, que nous n'avons pas le droit à un endroit où être en paix ! Jaya, nous appartient ! Jaya est à nous, PIRATE ! Jaya est une terre sacrée qui ne mérite que les meilleurs hommes ! Et les meilleurs sont sous mes yeux !

Les moustiques et les lâches n'ont aucun droit ici ! Et encore moins celui de vivre !


La réponse ne se fait pas attendre dans l'assemblée qui se soulève déjà sous les mots du meneur. On hurle, on approuve, mais surtout, on lève les armes en criant à la haine... Jusqu'à ce qu'un geste de Flist ramène le silence avec une autorité surprenante.
Un temps de pause.

Et sa voix s'élève encore :

Et s'il y a une chose que je ne tolère pas, c'est qu'on me traite d'homme de petite vertue, quand ces grands là-bas me poignardent dans le dos, en infiltrant ses mouettes dans mes rangs... Qui est le plus petit ici ?! Hein ?! Qui pense bas ?! Nous, nous ne voyons que plus grand, que de grandes choses pour Teach ! Mais eux, ont des desseins si bas qu'ils en sont pathétiques...

Et a force de se baisser, ils ne méritent qu'une chose : QU'ON LES ECRASE !

Alors, mes frères ! Ce soir, je veux que le pire en vous se déchaine sur Jaya !

Soyez des pirates ! Pillez ! Volez ! Mais surtout... Tuez !

Trouvez ces infiltrés et pendez-les ! Eventrez-les ! Nourissez Jaya de leur sang !
Trouvez ces lâches et écrasez-les ! Broyez-les !

Je veux demain de la cendre et du sang partout où je pose les yeux !

Je veux que Jaya ne soit que désolation...
Mais je veux surtout que Jaya nous appartienne pour de bon !


La tension monte, en même temps que les hommes qui se préparent déjà et s'équipent au mieux. On se regarde en chien, patibulaire, et on regarde surtout vers la jungle, vers la ligne d'horizon, vers l'endroit où réside Elize. On fixe son voisin en cherchant l'infiltré... Jusqu'à ce qu'on lâche les chiens...

ALLEZ-Y !

    Y a de quoi faire flamber le port, à la sauce mauvaise piraterie authentique. Des machines infernales tassées dans un barda qui me voûte, me malmène le dos, au point de m'rendre quasiment quadrupède, tout en m'tendant les nerfs. Une tortue anxieuse qui s'met en branle à la moindre secousse un peu trop audacieuse... persuadé qu'le moindre choc déclenchera un feu d'artifice dans sa carapace.

    Est-ce que cette quincaillerie encaisse bien la chaleur et l'humidité ? La ville est fidèle à la jungle qui l'encercle. Étouffante, oppressante, un réseau d'pontons malfamés où s'prélasse cet adorable et crevant climat tropical. Cette brute de soleil m'ébouriffe la crinière, éponge encrassée d'sueur, et j'me complais à penser que c'que mes pores crachent, c'est du stress liquide.

    En route pour le port. Elle goûte la mission kamikaze, cette escarmouche...

    C'est la zombie qui ouvre la marche. Rachel. La silhouette flippante que j'avais entraperçu, pendant la bataille, l'espèce de faucheuse descendue tâter voir si ses fruits étaient bien mûrs. Sa peinture de guerre, sa longue robe noire qu'empeste le cimetière abandonné au clair de lune, puis son bras, quoi, son bras envoyé en amuse-gueule aux enfers pour je-ne-sais-quelle raison... pourtant, j'apprécie sa compagnie, à la poupée glauque. C'est que, je trouve qu'on s'accorde bien. De loin, paraît que j'ai une gueule de cyborg difforme, à cause de mon attelle nasale. De près, ça a plus un air de muselière qui calme les ardeurs d'un mauvais bâtard affamé. De l'intérieur, ça m'tiraille et m'incruste des arômes de fer froid dans mes fragiles sinus.

    J'étais déjà pas mal désarçonné mentalement, à la recherche de nouvelles convictions à chevaucher, et ma ruine physique arrange rien. Lassé, laminé. J'resterai auprès de la donzelle, coûte que coûte. Si ça pète trop fort, si ça vire au drame et que je perds mes moyens, j'pourrais toujours me planquer sous sa jupe...
    Nous voilà, une souris et un rat qui déambulent dans le nid des charognards, tranquille à en devenir suspect. Mission : le truffer de bombes et déguerpir.

    On progresse sans mal dans des ruelles vides. Simple, pour l'instant.

    Et la simplicité d'la mission en rend implicite la réussite. Après une bataille cruelle et pénétrante, v'là la promenade douce et paisible. C'est comme m'offrir une part de tarte après m'avoir gavé d'bidoche. Un dessert qui devrait me consoler...

    Hop hop, glou glou, boum, glou glou, hop. Limpide. Basique. Rapide. Presque trop. Le but se résume en une poignée d'onomatopées, mais mes présentiments fumeux s'brouillent encore avec mon aplomb. Échanger des politesses avec le commodore m'aura confirmé deux appréhensions : d'une, il a une sacrée droite qu'il est capable d'envoyer dans la tronche de ses sbires, de deux, il a malgré tout pas la main sur tous les paramètres de la guerre, au contraire. C'est plutôt la guerre elle-même qui fait mumuse avec ses jouets. Pendant que l'embryon du chaos arrive à maturité.

    Décidément, c'est l'néant. On quitte nos ruelles pour les grands bains de soleil offerts par les avenues. Mais c'est désert... désert. C'est pas normal. Hein ?

    J'enferme en moi les râles et les angoisses, histoire de pas déconcentrer la sorcière, là, qui devrait m'fournir une escorte suffisamment musclée pour niquer même la guigne au bras de fer. Moi-même, j'essaye de rassembler mes morceaux d'esprit dans l'même coin d'ma cervelle, celui qu'est complètement à ce qu'il fait, celui qui va faire sauter des trucs et goûter la fraîcheur d'une mer turquoise pas encore tripotée par les guerres, et j'vais même faire tout ça un sourire timide embusqué au coin des lèvres !

    Vas-y, souris ! Vois le bon côté des choses. Dessine ta motivation sur ta gueule engourdie par l'apathiiie !

    Hihii. Ça s'annonce bien.

    Bon, c'est qu'une façade. Puis au fond, elle a pas besoin d'moi pour démolir ce qui devra être démoli. Alors, quitte à être un poids mort, autant être un poids mort enthousiaste... J'ai déjà l'impression de la ralentir.

    Son maquillage macabre camoufle toute forme d'expression faciale, hein. J'pourrais l'agacer que j'le remarquerais même pas, et, ça aussi... ça m'perturbe. Quand elle m'adresse des coups d'oeil, j'détourne le regard. Quand elle a la tête ailleurs, je la fixe. Comme un espèce de voile entre nous. J'vois pas au travers. J'me demande si elle, si.

    Puis, alors qu'on déambule dans le port vidé de ses âmes, la fougue s'allume timidement. Un calme plat titillé par les clapotements de l'écume et un brouhaha lointain venu du centre-ville. La voie est libre, ici aussi. J'gage que ça durera pas, alors l'est question de vite en profiter.

    On procède comment ? On piège les navires à quai ?

    Dans un coin de ma tête, la tempête se lève.
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    Tu en as mis du temps ! C'était pas le moment de se perdre !
    -Désolée... J'ai été retenue.
    Bon. Tu vois qui est Craig ? Tu vas partir avec lui et poser des bombes dans tout le port de Jaya. C'est Rei et moi qui y avons travaillé. Ça nous assurera pas la victoire, mais au moins un bon avantage et un joli feu d'artifice.
    -Craig ? L'homme Poisson ?
    Oui. Un souci ?
    -Non c'est juste que... Non. Aucun souci.
    Oh et avant que tu partes, je t'ai fait des semelles renforcées. Comme tu me l'avais demandé !
    -Mais comment tu trouves le temps pour faire tout ça ?
    On me laisse dormir que trois heures par nuit...

    *****


    Craig. L'homme-Poisson. L'homme requin à la muselière. Rachel n'avait pas osé demander pourquoi est-ce qu'il était ainsi harnaché alors qu'ils partaient en territoire ennemi. Tout comme il n'avait pas osé demander pour son bras, bien que le camp entier en parlât.

    Ils avaient été fardés comme des ânes, et bien que ça n'avait pas gêné le moins du monde Rachel, elle sentait que le poids sur les épaules du marin à ses côtés commençait à lui vouter le dos. À moins que ce ne fût l'approche de la mission suicide. Parce que oui, ça ressemblait à une mission suicide, il avait raison. La différence entre elle et lui, se disait-elle, c'est qu'elle avait déjà fait des missions suicides. Plusieurs même. Et elle en était toujours ressortie vivante, alors une fois de plus ou une fois de moins.

    Il aurait cependant été compliqué de parler de ça à Craig. Non pas qu'elle eût peur qu'il ne comprît pas -ça aurait au moins permis de le rassurer- mais le voile du doute obscurcissait son regard et elle n'était somme toute pas sûre de l'utilité d'une telle entreprise.
    Aussi garda-t-elle le silence comme ils marchaient à l'aplomb d'un soleil dénué de compassion. Le port n'était plus très loin et déjà ils commençaient à fatiguer. Sans un mot, avec à peine, parfois, un regard en arrière pour son compagnon de route et son collègue de mission, elle avalait les mètres vers leur destination. Le sac lui cisaillait le dos, mais elle gardait deux ou trois bonnes foulées d'avance sur l'Homme-Poisson en retrait.
    Ils traversaient les rues comme on envoie les hommes dans un no-man's-land. Ni âme ni vices. Ou du moins de vices humains. Ici les vices emplissent l'atmosphère et imprègnent jusqu'aux briques des maisons et le bois des tonneaux. Elle n'avait pas l'odorat du requin derrière elle, mais elle pouvait presque le sentir. Et le port était même pire.

    La rue qu'ils empruntèrent était en pente douce. Et si elle soulagea un peu leurs cuisses endolories, leurs mollets firent bientôt grise mine. Ici, le dallage était plus grossier, la pierre plus dure et le sol robuste pour supporter les allées et venues des marchandises qui ne manquaient pas de transiter par ce port. À quai, de multiples navires, une petite dizaine, ondulaient légèrement sous la houle faible et clapotante. Certains, frégates ou corvettes, arboraient des étendards pirates. Ils seraient l'une des cibles des bombes des artificières de la marine.

    Rachel se posta droite au milieu de l'artère qui longeait les digues portuaires et déposa son bardas à ses pieds. Ou presque.

    -Oups, j'ai glissé.

    Mettons qu'elle avait laissé tomber son bardas en s'écroulant sur son séant au moment de s'en défaire. Incapable de décrocher la hanse de son épaule droite sans sa main gauche, elle avait basculé sur le côté et s'était retrouvée au sol. Se relevant comme si de rien n'était, elle jeta un coup d’œil alentours, pour vérifier que personne ne les observait. Et personne ne les observait. C'était bien ça le souci. Un souci de taille même.

    -On va faire ça en vitesse et se dépêcher de battre en retraite. Va poser les bombes aquatiques sur les quilles des navire pirate. Je vais saboter les passerelles d'accès et tout ce qui pourrait leur permettre de monter à bords de leurs vaisseaux. Ça te va ?

    Oui, elle lui demandait son avis. Car malgré tout, elle n'était pas son supérieur. Juste de passage dans le coin.

    *****


    Dehors, la foule gronda et s'évapora sous les derniers mots lancés par Flist au crochet. La fenêtre se referma lentement sur le balcon désormais désert. À l'intérieur de la pièce, un grand salon richement décoré et aux nombreuses couleurs dispersés autour de meubles anciens, de tapis de valeur et de fauteuils que l'on oserait même pas toucher de peur de les abimer, Flist enlèva son manteau trop chaud pour les saisons de Jaya et le posa sur le dossier d'une chaise haute qui ressemblait à un meuble royal. Il l'avait mis pour la prestance qu'il lui procurait, le supplément charisme et les couleurs du Malvoulant qu'il arborait. Mais à l'intérieur où seuls deux domestiques restaient discrètement terrés dans des coins opposés, il n'avait pas besoin de suer à grosses gouttes pour les beaux yeux de pirates qui ne pouvaient plus le lorgner. Et puis il n'avait pas besoin d'intimider sa vis-à-vis avec un manteau  certes de bonne facture mais d'utilité moindre. Car oui, une femme lui faisait face. Elle était droite dans ses bottes, le menton haut malgré la renommée de la personne à qui elle faisait face et ses cheveux cascadaient sur ses épaules. Son regard était calculateur et distant. Elle n'avait pas peur de lui, visiblement, même si elle avait conscience qu'elle mourrait à la moindre erreur. Mais si elle était si confiante, c'est qu'elle se savait en possession d'indications importantes pour la suite de ses opérations à lui. Aussi attendit-elle qu'il se fut installé. Puis elle attendit qu'il entame la discussion. Il ne lui offrit ni à boire ni à s'asseoir. Elle n'en avait cure.

    Je t'écoute Jess.
    -Eh bien parmi les trois lieux laissés à l'abandon par vos soins, c'est dans le port que les deux voix sont allées. Je ne saurai dire avec exactitude qui elles sont, mais d'après les informations que j'avais couplées aux vôtres et aux pièges dispersés dans la ville, je pense qu'il doit s'agir de la Commandante aux corbeaux et d'un de ses acolytes quelconque.
    Parfait alors. Tu peux aller les y accueillir.
    -Si ça ne vous gêne pas, je vais rester en retrait. Après tout, je ne suis pas une combattante et cette Blacrow est un sacré morceau, même pour vou... vos hommes.

    La langue avait failli fourcher. Elle s'en mordit les doigts intérieurement et pria pour qu'il ne relève pas. Il aurait été dommage qu'elle échoue si près de son propre but.

    -Et pour notre arrangement ? Vous savez, les informations sur le fruit du démon ?
    Spoiler:


    Dernière édition par Blacrow L. Rachel le Dim 5 Oct 2014 - 2:26, édité 1 fois
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    Oui ma commandante. Pas de problèmes. Bonne chance. A vos ordres. Ça me va.

    Je crois que les bouts de phrase étaient dans le désordre. Stress, trac, intimidation, distraction, ça vrille la cohérence, tout ça. Merde ! Si son maquillage est censé servir à intimider, c'est réussi.

    J'imaginais pas qu'elle fouinerait dans mon grand vide stratégique pour y chercher un avis. Ça m'a fait frissonner, l'espace un instant. Le premier contact avec les grandes instances laisse toujours cette drôle de marque, une impression de marcher sur des oeufs. Alors que de toute évidence, j'm'en fais encore pour rien, elle doit broyer des omelettes à tour de bras. Elle est de "l'élite"... Les brutes qui passent d'un champ de bataille à l'autre comme s'ils arpentaient un parcours touristique à sensations. J'pense pas avoir ni l'envie, ni le cran, de m'opposer à son vécu et à son expérience, qui doivent être nettement plus frais que l'amas de doutes et de suppositions qui pourrissent en moi depuis déjà cinq ans...

    Cinq, quatre, trois ans ? M'souviens plus trop de quand j'ai commencé à patiner exactement.
    Je jouais -j'essayais de jouer- au brave petit guerrier devant la poupée mutilée. La vérité, c'est que j'ai pas retrouvé la moindre once d'assurance depuis le début du séjour. Être plongé dans un conflit que je saisis pas me tue. Être un automate kamikaze me tue. J'ai l'âme écorchée, à fleur de peau. Dirigée par la parano.
    Hors de propos. Nourrir le chaos. Premier coup d'éclat à Jaya. N'oublie pas ton barda !
    Et s'il pétait dans ton dos parce que, perdu dans tes introspections, t'en as oublié d'éviter de trop le secouer ?

    Reviens à ce que tu fais.

    J'ai pas l'habitude de discuter les clauses d'une mission. J'ai acquiescé mécaniquement la proposition de Rachel, au tac-o-tac. Économie de salive, économie de pensées, économie de temps. Je passe outre la soif qui me prend à la gorge tandis que le soleil de plomb nous lapide de ses rayons, et au pas de course, en route. J'galope en direction des quais en m'accrochant à la commandante du regard jusqu'au dernier moment, jusqu'à me laisser chuter à travers le miroir turquoise pour couler dedans dénué de toute grâce, lesté par la dizaine de kilos de matos qui condamne tout espoir de mettre en valeur mon bel attirail de poisson pour faire le beau dans l'eau. Dommage, ça m'aurait changé les idées...

    Pesant l'équivalent de deux-trois scaphandriers obèses, j'me traîne sur l'plancher marin. La flotte colporte tout autour de moi les arômes de sang caillé qui macéraient dans mes naseaux. Ça m'étonnerait pas qu'ils attirent quelques collègues à ailerons qui rôderaient autour du buffet à volonté que doit leur offrir Jaya en ce moment. Quant à ma muselière, j'espère qu'elle craint pas la rouille autant que moi je crains les infections. Là-haut, les coques des navires endormis mouillent paisiblement. On va faire ça fissa.

    Plus vite on aura bouclé la formalité, plus vite je serai de retour sous ma tente à me ronger les sangs et les ongles. Mes soupirs se traduisent par des grappes de bulles qui m'obstruent la vision. J'fais passer le premier pavé farceur à travers pour les faire éclater, mais comme par magie, il se scotch lui-même à la coque du vaisseau alors qu'il l'avait à peine frôlé, faisant la bise à sa future victime. Affectueuses, sensibles, instables, ces petites bêtes explosives. Elles me ressemblent tellement...

    Ça a l'air prévu pour adhérer au bois. Un sourire béat barre ma gueule d'ange. C'est trop facile, merde. Doit y avoir anguille sous roche. Une anguille géante carnivore.

    Au-dessus de moi, j'aperçois vaguement Blacrow s'activer autour des passerelles. J'me paye quelques coups d'oeils furtifs avant de plonger dans le boulot.

    J'me répète les consignes d'amorçage mentalement tout en les appliquant. Nouer le fil jaune avec le rouge. Réinitialiser la bête, entrer son petit nom à quatre chiffres. Bienvenue au monde, 1943, te voilà voué à notre cause... jusqu'à ton explosif suicide. Appuyer sur le bouton vert. Si la bombe couine, c'est qu'elle est parée à délivrer son spectacle pyrotechnique et qu'elle n'attend plus que ses copines soient prêtes. Bip, bip, bip. C'est bon.

    Suivante. J'me propulse, avec le dynamisme d'une tortue marine grabataire, vers les dessous de la prochaine vieille coque de bois moisie, tirant dans l'même temps un nouveau cadeau collant de mon paquetage. La flotte étouffe mes sens et mes perceptions sont assaillies de parasites, mais j'en deviens pas sourd pour autant. Ça remue là-haut, la trêve des boucaniers doit se lever peu à peu. Ça m'inonde les méninges d'adrénaline, et ma cadence s'emballe. Mon poignet a mémorisé la manip', la seconde bombe se pose d'elle-même.

    ***

    Le commandante se démerde ? J'accélère. Encore. Assailli par un mauvais pressentiment. Un genre de haki d'l'empathie biaisé propre aux paranos. Alors que l'avant-dernière bombe rejoint le concert de bips, je me demande. Pourquoi le port tout vide ? Pourquoi brouhaha dans le centre-ville ? Pourquoi ce sabotage ? Pourquoi les tarés à la solde de Flist voudraient se faire la malle ? Pourquoi Blacrow moins un bras ?

    D'ici, j'ai perdu de vue sa silhouette.

    Faut qu'je fasse violence à mon dos endolori pour remonter vérifier que tout va bien. C'plus fort que moi. Ce genre de questions, c'est carrément plus lourd et dangereux à supporter qu'un sac à dos rempli de bombes.
    HRP:
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    -Et pour notre arrangement ? Vous savez, les informations sur le fruit du démon ?
    Nous verrons ça en temps et en heure.

    *****


    Cette affaire sentait le faisan. Pour ne pas dire le pourri. Jess n'aimait pas les champs de bataille. En général, elle n'aimait pas les espaces ouverts et encore moins les gens qu'elle y rencontrait. Alors croiser des gens qui voulaient la tuer ou qui auraient pu le faire d'un simple regard.... Rien que l'idée lui filait des frissons le long de l'échine. Et que faisait-elle ? Elle avait dû grimper sur un toit avec l'aide de deux hommes armés jusqu'au dents de canons gros comme une porte de maison. Et qui n'avaient somme toute pas été d'une grande aide. Dans un soupir, Jess se dit qu'elle aurait mieux fait de refaire sa vie avec un homme riche qu'elle aurait extorqué après douze années de parties de jambes en l'air et de soirées gastronomiques à des prix astronomiques. Ou de revendre tous ses larcins à une œuvre caritative plutôt que de fuir la police pendant encore tous les jours du reste de sa vie. Ou bien ne jamais s'être faite voleuse. Ou en tout cas, loin de Jaya. Pourquoi avait-elle choisi Jaya ? Ça allait lui retomber dessus. À tous les coups. Tout ça pour un vulgaire fruit qu'elle espérait juste ventre à un prix exorbitant pour finir ses journées à l'ombre d'un palmier, à sentir des coquelicots sur sa terrasse et à se faire masser les pieds par un rugbyman.

    Mais à la place, elle donnait des indications approximatives à deux as de la gâchette de gros calibre.


    -Oui c'est elle que vous devez viser. Et oui ils sont bien deux. L'autre voix est dessous. Un plongeur je pense, attendez qu'il se montre. C'est probablement un homme-poisson, il y a en certains chez les marins. Ou des trucs qui y ressemblent.

    Elle finit sa phrase en visualisant la photo du médecin des Rhinos Storms. Photo qui mettait plus Wallace en valeur en tant que montagne grise plutôt qu'en tant que médecin. Elle frissonna, mais pas à cause des températures.

    L'extérieur était rempli de types qui l'auraient tuée d'un regard s'ils l'avaient pu.


    *****


    Craig disparut sous la surface de l'eau avec une légère éclaboussure. Il avait à peine bafouillé, pourtant les réponses étaient sorties dans le désordre. Si ça l'étonna, Rachl ne s'en formalisa pas. Jetant un nouveau regard alentours pour accroitre une sécurité dangereusement grabataire, elle se mit elle aussi en mouvement. Plongeant la main dans le sac d'un bon mètre cube, elle en sortit une bombe miniature. S'avançant distraitement vers la première passerelle, elle examina plus avant la chose étrange qu'elle tenait dans sa main en essayant de ne pas penser que la chose en question risquait de lui exploser dans la main. La seule qu'il lui restait. Et même savoir qu'elle avait été faite par Lilou n'y changea rien : après tout, c'était en sa propre maladresse avec tous les objets explosifs qu'elle n'avait pas confiance.

    C'est ainsi que la première bombe fut posée. Mais jamais amorcée.

    -Mais où il est le fil bleu !? Et pourquoi il y a écrit « LOSS » ?! Et puis ça veut dire quoi Loss ? Et bon sang où est Craig quand on a besoin de lui ?

    C'est ainsi que la première passerelle fut détruite. À coups de Ran Kyaku emplis de frustration. Que l'homme poisson ne s'étonne pas de voir couler quelques échardes de la taille d'une moelle épinière non loin de lui.

    *****


    -Elle est en train de tout détruire !
    -Pourquoi on tire pas ?
    -Soyez patients. Il nous en manque un. Alors patientez.

    *****


    Très vite, il ne resta plus grand chose debout qui ne soit pas de la pierre, du ciment ou des navires vides. Essoufflée par les efforts déployés pour réduire en allumettes tout ce qui traînait, Rachel revint vers son sac et y fourragea pour remettre en place les deux bombes qu'elle avait désespérément tenter d'amorcer comme on le lui avait appris – mais sans succès.

    Immobile au milieu de cette place, seule dans l'isolement, elle osa émettre la possibilité que ce port n'était que fantôme. Soit une diversion, soit inutilisé depuis des jours, si ce n'est des semaines. Sous l'ordre de Flist ? Certainement. Et dans sa tête, la mission suicide n'était plus qu'une mission inutile. Au moins n'avait-elle pas gaspillé ses bombes. Elles pourraient peut-être servir plus tard. Dans un effort visiblement minime, elle traîna la hotte pleine de feux d'artificières jusqu'au bord de l'eau où Craig terminait ses propres préparatifs. Mais si lui également en vint aux même conclusions que Rachel, lui avait réussi à placer les bombes. Il saurait faire fonctionner toutes celles abandonnées par Rachel. Justement, au bout de deux minutes, Craig émergea des flots. Il chercha vivement du regard la commandante comme s'il avait craint qu'elle n'eut disparu – ou pire.

    La brune qui examinait jusque là ses talons nouvellement métalliques, se redressa et s'approcha du bord, prête à lui tendre la main pour le faire monter sur la terre ferme, lui, ses crocs et sa muselière.

    -Ne nous éternisons pas, tu veux ? Je pense qu'on serait largement plus utiles ailleurs qu'ici.

    À cet instant précis, avec la discrétion que l'on pourrait envier aux hiboux, deux fléchettes à houppes duveteuses volèrent et vinrent se ficher dans les bras tendus des deux marins, fauchant leur poigne de main au meilleur de leur utilité. Sous la surprise, Rachel lâcha Craig qui retomba subitement à l'eau et elle-même s'écroula sur son séant. Elle arracha dans un mouvement de dents plus vif que l'éclair le corps étranger qui avait percé sa peau. Elle le cracha vivement mais n'eut jamais le temps de l'observer plus pleinement pour décider ou non si leurs vies étaient en danger. Parce que deux lumières, comme de nouveaux soleils miniatures, brésillèrent soudain depuis un toit voisin.

    *****


    Jess rangea le fusil de chasse à son côté et s’effaça sur le coté pour laisser les deux autres faire mu-muse à leur guise. Elle se laissa même glisser légèrement sur la pente du toit pour être hors de portée de toute riposte éventuelle.

    -Maintenant vous pouvez tirer.

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    J'ai pas fini de saigner ici. C'est que le début, j'le sentais bien. Une branche logée dans mon avant-bras, un très maigre fil de sang qui s'épaissit au contact de l'eau, et un picotement furieux qui remonte jusqu'à l'épaule. Ma rechute à la flotte arrache une à une les plumes de la fléchette, l'air de jouer à "je vais te faire mal un peu, beaucoup, passionnément". Mes réflexes émoussés s'réveillent enfin, et j'm'enlève l'aiguille précipétemment, serrant fort des crocs, sentant mon palpitant s'emballer et retentir parmi les glouglous paniqués qui s'extirpent de ma gorge.

    Un poison. Doit être un poison.
    Un poison. Bon : première étape, extraire l'aiguille. C'est fait, hein. Seconde... savoir c'que c'est qu'cette saloperie qui randonne impunément dans mes veines, putain de merde. Et troisième, courir en hurlant à la recherche d'un antidote. Mais faut que j'attende d'être remonté pour ça. De préférence, avant que la toxine ne soit arrivée à destination.

    Rester calme. Rester calme. Le venin se propagera moins vite si je. Reste. Calme. Ma nuque embrasse délicatement le plancher marin. M'retrouve sur le dos, rivé par mon fardeau au fond du bassin. Un vrai squale agonisant ventre au ciel. Et la pensée cruellement passée au broyeur. Intimement convaincu qu'c'est le premier assaut du poison. Mais non, c'est débile. La panique fait un tout aussi bon venin à ce compte-là.

    Sueurs froides dissoutes dans tout ce sel.
    Je dois.
    Blacrow !
    Les anses se détachent et me v'là de nouveau libre et léger. Des ailes me poussent dans le dos et j'bondis à la surface, abandonnant le boulet explosif parmi les crustacés. J'en suis plus gracieux. Plus fougueux. Plus nerveux. Et j'me hisse sur le plancher des vaches, et m'étale sur les pavés avec l'élégance de l'une d'entre elles. De vaches.

    Ark. Commandante !

    Elle est pas à plus d'trois mètres, affaissée, comme moi. J'fixe un genou sur les pavés bouillants, puis une patte. Puis j'penche en m'efforçant d'me relever, et m'retrouve les quatre fers en l'air. Séisme. Une horde là-bas. Une vague remuante. Un tsunami humain. Ils arrivent droit sur nous. Sûrement l'exode. Je suppose. On est sur leur trajectoire.

    Des trous qui s'creusent comme par magie autour de nous, accompagnés de détonation. On nous tire dessus. On nous tire dessus !

    Vite, command...

    Ça tremble ! Pourquoi ? La tectonique des plaques, violée par un malheureux défilé de boucaniers furieux ? Sans blague, merde ! Séisme ! Pas l'moment de... de...
    Non. C'est pas que ça tremble. Ça tangue. On s'croirait sur un rafiot miteux devenu jouet de la houle. Sauf que, à moins qu'le venin m'ait calé des hallu' sur la paroi intérieure des mirettes, on est bien sur la terre ferme. La terre ferme.

    La nausée s'invite au concert sourd qui tambourine dans mon pauvre crâne. Le repas d'hier soir qui rebondit partout à travers mes tripes. Mal de mer, mais sur terre. Mal de terre. Vicieux. Pourquoi ils nous ont fait ça ? Sadique. Plutôt qu'nous abattre directement, ils veulent qu'on aperçoive la mort nous poursuivre en nous privant d'nos guibolles pour la semer, c'est... ça... ? Pourquoi nous ? Pourquoi moi ?

    Entre deux feux. J'vois les flashs éclater à l'horizon. Au large, les canons tonnent. Et les coups d'feu sont écrasés. Par des explosions. Ça met pas en branle le troupeau de buffles qui s'apprête à nous piétiner, que...

    J'poursuis tant bien que mal Rachel dans sa débandade, qu'elle mène tant bien que mal elle aussi d'ailleurs. On s'écarte en quadrupèdes de la douche de plomb. Chance. Aucun pruneau n'est venu s'loger dans ma poire. Mais j'ai nettement senti une ou deux billes me griffer ici et là. J'ai l'esprit en surchauffe, il a besoin de refroidir !

    On peut s'enfuir par la mer. Bientôt, elle sera remplie à ras bord de fugitifs. L'est encore temps ! ... Si elle peut suivre mon rythme.

    Vous savez na-nager, commandante ?

    Haut-de-coeur, j'plaque ma palme sur ma bouche pâteuse en freinant brusquement. Le sol oscille... toujours plus. Toujours plus. Les lignes se contorsionnent et la gerbe demande l'autorisation d'sortir. J'freine brusquement, l'estomac capricieux, faisant même pas gaffe à la réaction de Rachel. Et une petite goutte timide de vomi se pointe tandis que, puni pour son égoïsme, mon estomac est déchiré par une balle.

    Une ou deux secondes pendant lesquelles j'souffre sans bien paner. Puis Blacrow me tire ailleurs.
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    -Arrrrh... ! J'ai l'impression d'avoir avalé un serpent. Entier et vivant.

    Prostrée au sol dans une parodie de prière maladroite et pantelante, pliée en deux par une nausée foudroyante, menaçant de repeindre les dalles en des couleurs peu ragoutantes, Rachel ressemblait à un rescapé d'un bombardement. Le son des explosions s'était tu pendant vingt secondes. Autour d'elle, cratères et déflagrations avaient fleuri et coloré les sols de noirs et saupoudré le tout de cendres, constellant le dos de la commandante de nombreux éclats divers sans vraiment déchirer la robe en soie d'Arachnée, la reine des araignées de Miryapolis. Sa tête, quant à elle, restait relativement intacte. Une auréole de cheveux flottait au-dessus d'elle et la protégeait des débris.
    En revanche, Craig de son côté avait eu moins de chance. Son ventre était percé. Sa main était crispée sur son abdomen avec l'air de souffrir. Heureusement, que les hommes-poissons étaient des bestioles résistantes. Il s'en remettrait, elle le savait. Sauf s'il prenait une autre balle. Un autre boulet. Bref. Il fallait le mettre à l'abri. Ils étaient trop à découvert. Sans parler de la foule de fuyards qui s'approchaient rapidement. Burps. Rien que de tourner la tête pour les regarder lui soulevait l'estomac et ce dernier menaçait de rendre le petit déjeuner déjà si lointain.

    Première étape : éloigner Craig de la zone de tir.
    Deuxième étape : s'éloigner des navires qui seront bientôt pleins à craquer de pirates pas très téméraires.
    Troisième étape : se débarrasser des tireurs à la précision imparfaite.

    -Blurp !

    Plus facile à dire qu'à faire.

    *****


    -Je dois vous acheter un viseur ?
    -Non non, t'en fais pas. C'est juste qu'on aime bien les voir courir.
    -C'était bien la peine que je les immobilise...
    -Vrai qu'ils manquent un peu de répondant ces deux là.
    -Et s'ils avait répliqué, hein ?
    -On aurait arrêté de tirer à côté, voyons.
    -Cette question.
    -Vous êtes irrécupérables...

    *****

    Il était très étrange pour Rachel d'être atteinte du mal de mer. Bien sûr, elle ne le diagnostiqua pas comme tel et pensa juste avoir été empoisonnée au point d'en devenir nauséeuse -point qu'elle négligea d'ailleurs dans sa liste des choses à faire et qui aurait pu lui couter la vie- mais avoir l'esprit ballotté de droite à gauche, avoir des hauts le cœur toutes les trente secondes et des vertiges persistants eurent raison de ses pensées rationnelles. Enfin, mettons qu'elle ne fit pas les choses de manière très professionnelle. Elle ne pouvait pas se mettre debout sans avoir l'impression que le sol se dérobe sous ses pieds. Alors elle resta allongée. Et se mit à rouler. Soudainement. En direction de Craig.

    -Le corbeau sans pattes !

    Bon, ça ne calmait pas les nausées,  loin de là, mais au moins, elle pouvait bouger et elle ne mourrait peut-être pas sous les tirs soutenus. Et puis elle avait réussi à mettre l'homme poisson à l'abri. Et par « à l'abri », comprendre qu'elle l'avait projeté d'un coup de pied à plusieurs mètres de là, directement dans l'océan, son élément, où il pourrait s'enfuir et ne pas craindre les tireurs embusqués quelque part. Elle aurait elle-même pu se laisser rouler jusqu'à la mer, mais elle n'était pas sûre de pouvoir nager dans son état et ne savait pas respirer sous l'eau. Et puis elle ne pouvait pas laisser impunis ces gars planqués qui jouaient avec eux comme un gamin donnerait un coup de pied dans une fourmilière.

    Première étape : check. Rachel s'autorisa donc à vomir. Deux fois...

    *****


    -Mais c'est pas vrai ! Avec vos conneries il s'est échappé ! On l'aura jamais sous l'eau maintenant !

    MAIS D'OU SORT CETTE TENUE DE PLONGÉE ?!?

    -Quoi ? J'ai toujours aimé la pêche.

    *****

    Un bruit d'éclaboussure parvint aux oreilles troublées d'une Rachel abritée derrière des caisses  qui lui offraient un abri très éphémère. Elle tourna la tête -lentement- vers les berges mais n'y vit aucun homme poisson. Avait-il s'agit de l'un des nombreux fuyards qui avaient tenté de monter à bord de l'un des navires et qui était juste tombé ? Oui, ça devait être ça. Cette marée humaine n'était pas très grande, mais elle obscurcissait le champ de vision déjà flou d'une commandante haletante et à la bile amère. Ils couraient en tous sens et hurlaient pour certains. Les tirs qui se succédaient sur le port ne les ralentirent pas pour deux sous. Ça eut même l'effet inverse. Se voyant dans la possibilité de mourir même en tentant de s'échapper, la peur leur donna une paire d'ailes supplémentaire et ils sprintaient maintenant avec comme seul moteur celui de la survie. Et parmi eux, beaucoup de femmes et d'enfants. Rachel eut un pincement au cœur en voyant ça -déjà gros et au bord des lèvres- en pensant qu'ils allaient monter dans des navires piégés. Du moins si Craig avait réussi, contrairement à elle, à les mettre en marche. Elle pria pour que tous sachent nager. Il serait con qu'ils meurent aussi bêtement.

    Et en parlant de mort stupide, il serait bien pour elle qu'elle change d'abri parce qu'il n'était pas prévu pour tenir, celui qu'elle squattait en ce moment. Et puis ça tombait bien, elle avait trouvé le moyen de rayer la troisième étape de sa liste. Sans être passée par la seconde, certes, mais mettons qu'il lui restait assez de temps pour s'occuper de ce problème-ci plus tard.

    Rachel, de son œil torve et malgré son estomac renversé et les renvois qui lui brouillaient les sens, avisa le sac de bombes miraculeusement épargné par les tirs concentrés de leurs agresseurs invisibles. Elle n'en connaissait que la position : à 6h. Ce serait facile. Elle s'élança, roulant boulant en direction du sac... Enfin, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'elle était partie dans la mauvaise direction. Elle s'arrêta, vomit. Puis repartit dans la bonne. Les tirs s'étaient calmés. Rechargeait-il ou lui donnait-il l'illusion qu'elle pourrait s'en sortir ? Aucune idée, mais lorsqu'elle atteint le sac, saine et sauve, la bile au lèvres et les cheveux heureusement toujours aussi bien coiffés grâce au retour à la vie, elle sentit l'espoir monter en elle. En fait, ce n'était qu'un nouveau renvoi. Cependant, elle réussit à l'ignorer et saisit la hanse de son sac plus gros qu'elle. Elle se redressa tant bien que mal sur ses jambes flageolantes, et le teint verdâtre, elle fit un gigantesque mouvement de balancier pour, dans un effort titanesque, jeter le sac rempli de bombes dans la direction approximative des tireurs. Histoire d'au moins faire diversion. Même s'il aurait à la réflexion suffi de sauter dans l'eau pour leur échapper.

    Lorsque le sac fit un « pof » consternant cinq mètres plus loin, après une courbe décevante, le silence se fit. Même la foule des pleutres resta muette. Rachel observa le sac qui heureusement resta inerte et n'explosa pas. Peut-être que les bombes étaient défectueuses et que les navires n'exploseraient pas, eût-elle même le temps de se dire. Puis se rappelant sa cible initiale :

    -Euh... Je peux réessayer ?

    Elle prit le projectile qui lui déchira la cuisse, lui arrachant chair, sang et cri, comme un non.


    Dernière édition par Blacrow L. Rachel le Sam 18 Oct 2014 - 1:21, édité 1 fois
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    Avoir le mal de mer pour un homme poisson et une bonne fille qu'a passé plus de temps à être bercé par les vagues qu'autre chose, ça doit être tout drôle. En tout cas, les sbires qui vous canardaient de loin y'a pas si longtemps trouvent ça étonnamment amusant ! Et vous n'avez pas votre mot à dire, ballotter d'un bout à l'autre par votre estomac qu'a très envie de rendre encore ce qu'il n'a plus dans le coffre... Vous devez sûrement vous dire que ça ne pourrait pas être pire.

    Sauf que c'est mal connaître le destin.

    Par qu'en l'occurrence, la marée humaine qui fuit désormais le port pour prendre le large ajoute une petite touche pressante et tragique au tableau qui se peint avec des larmes et du sang. Progressivement, les navires se chargent de monde et on lève l'ancre pour éviter de finir en compost pour une terre salée, et on hurle à tout va, à vous en vriller les oreilles alors que vous avez mieux à penser. Craig bulle au fond de la flotte en essayant de colmater sa blessure... Rachel roule sur le sol pour se déplacer, mettant à mal sa réputation de femme guerrière...

    Et Flist ?

    Flist, lui, il donne les ordres en portant la main à son escargophone. Enfoncé dans son fauteuil molletonné et très confortable, il appelle et intime d'une voix glaciale à l'homme à l'autre bout :

    - Il est temps de détruire le port.
    - Bien monsieur.

    Avant de soupirer avec un sourire suffisant et satisfait. Voilà qui est fait...

    Et en effet, alors que vous tentez tous les deux de fuir les lieux du mieux que vous pouvez (en roulant sur le sol par exemple), une ombre massive sur la ligne d'horizon, plus petite que tous les navires qui prennent le large les voiles tendues, apparaît soudainement. D'abord minuscule, elle grossit contrairement aux autres qui tentent de s'enfuir. A l'évidence, ce navire se rapproche, se navire change de position, et un bruit sourd se fait entendre et claque dans le ciel brutalement...

    Les gueules des canons crachent du feu et des boulets sur les premiers navires à porté, et la Lépreuse envoie l'enfer sur les fuyards qui tentent d'échapper à la main droite du diable. Les premiers bateaux piquent à l'eau quand d'autres explosent tout simplement à cause des bombes qu'a placé Craig sur les coques... Et bientôt, il ne reste plus grand chose sur la mer pour empêcher la Lépreuse de viser directement la terre, et le port...

    Ou vous êtes toujours...

    Et il ne s'agit pas de petites balles qui perforent la peau. Il s'agit de boulet gros comme des troncs qui détruisent plus qu'autre chose...
      La frousse fait la bringue et elle déprave mon p'tit esprit tout ratatiné. Mes longs doigts griffus et nerveux se faufilent dans la plaie, en compagnie d'un flot d'eau de mer qui doit cruellement éradiquer les bactéries par le sang et le sel. Mes rangées de crocs sont soudées entre elles et mes mirettes écarquillés. J'ai le faciès d'un aliéné sous médocs, mais aussi ses méthodes. Gnnn. Mon bide fourré au pruneau. Faut que j'le retire, quitte à élargir un brin la brèche. Un brin beaucoup.

      GnnnnnnNNN. Ma chair apprécie pas la manip et me le hurle. Vrai que j'aurais pas confiance en moi non plus à sa place. J'suis pas formé à l'auto-charcuterie sous-marine a capella. Et même la plus maso des imaginations pourrait pas concevoir à quel point ça torture. Tellement mal que la douleur en devient sourde. Juste un courant continu qui m'voyage dans les tripes jusqu'à jaillir par mon trou. Mais je la sens la balle. Je la sens. Elle m'a pas traversé. C'est une chasse au trésor. Dénicher l'joyau incrusté quelque part juste sous ma. Peau.

      Elle se planque sous mes écailles, la salope. Gnnnn MERDE !

      Le juron explose en coeur avec le navire là-bas. Puis un autre, suivi par un autre, faiblement plagié par un autre qui s'éventre sans péter. Puis sûrement tout un tas d'autres, j'en sais rien, j'dois partir, j'ai à faire, loin, très loin. Mais Blacrow ? Et la trace de sang odorante que j'répands derrière moi ? J'charge à travers les flots et la douleur, tandis qu'la surface explose. Pluie de débris, de bois noir et tranchant. De matos calciné. Des ondées furieuses qui rebondissent tout autour de moi, me chahutent, me narguent, me plaquent au sol et contre les parois du quai. J'suis qu'une bille, secouée par un taré trop brutal avec son flipper. L'enfer sous la mer. Et la mort qui m'appelle, et moi qui fait la sourde oreille. Et la mort qui crie toujours plus fort, boums et glougloutements sinistres. Quand au-dessus d'mon crâne fumant, un bateau tonne, j'me laisse juste faire. Le souffle de la déflagration embrasse les courants marins, qui m'plaquent au plancher, doux et granuleux. Encore que ses coquillages acérés l'rendent méchants par endroit, mais leurs griffures passent pour des caresses à côté du tapage que provoque le squat d'une p'tite bille de plomb dans un ventre habitué à plutôt accueillir des poings.

      J'mire fixement une coupole obscure me sombrer dessus, m'encerclant rapidement et m'plongeant dans un voile totalement opaque. J'pourrais penser qu'ça y est, c'est la mort qui m'enlace, mais non, eh, j'suis pas encore assez foutu pour ça ! Juste l'épave qui m'enferme. Un bocal déviant les ondes maléfiques. Un nid qui craque et souffre à ma place. Né dans un aquarium, j'creverai ptet dans un autre. L'ironie me tire quelques larmes, mais j'me résous pas à capituler. Alors comme d'habitude, les larmes se heurtent à l'étanchéité de deux yeux fermés et déterminés. Le retour de l'auto-charcuterie sous-marine a capella, à l'aveuglette, pour encore plus pimenter la réjouissance ! Bon, pas tout à fait à l'aveuglette, de minces pieux de lumière traversent la coque ici et là pour venir s'abattre sur moi et éclairer d'un faisceau dilué mon torse rougi.

      Et moi qui farfouille toujours à l'intérieur. Cherchant la bille de plomb. De plus en plus désespérement. De plus en plus au pif. Même pas la peine de penser arrêter le saignement avec cette graine là plantée dans ma chair. Terreau d'infection.

      Au milieu du carnage et d'la souffrance, un toc toc sur la coque me fait tiquer.
      Et une voix noyée un peu rassurante.

      Tu es là-dessous ?

      Encore un toc toc. Ça m'crispe les doigts qu'étaient restés dans ma lézarde. J'me griffe et je gémis.

      Oui, tu es là. Tu peux sortir, ça s'est calmé dehors !

      Pas le moindre son n'sort de ma gueule grande ouverte. Elle voudrait répondre, mais mon instinct la bâillonne. Et me murmure que je suis pris pour un crétin. Putain de farce ! Être pris pour un crétin. Toute l'histoire de ma vie. J'en viens à m'poser des questions légitimes : suis-je vraiment crétin ? Ou est-ce que j'le deviens ?

      Tu fais quoi ? Tu as besoin d'aide ?

      J'cours après la vie comme un clebs derrière un canasson. Sans savoir pourquoi. Juste l'instinct, l'instinct, toujours l'instinct. Juste survivre. J'aimerais bien savoir pourquoi j'm'accroche. Comprendre ce qui me pousse à tenir le cap alors que la tempête renverse mon monde. Mais merde, on m'laisse même pas le temps de le méditer.

      Je vais t'aider.

      Putain. Il cogne contre la paroi. Une fois. J'recule, libérant un fumigène de sang. Deux fois. J'fixe les fractures du bois, qui s'étalent sur la coque en riant, en craquant. Trois fois, un type masqué en tenue moulante se tient devant moi. Son harpon rouillé présage du nouveau sang.

      Vilaine blessure. Ça pique ?

      Coupé par un barbelé de flotte qui serpente depuis ma palme jusqu'à son visage. Il lui effleure la joue, lui dessinant la classique balafre chère aux boucaniers qui veulent montrer au monde comment ils sont des durs.

      La même palme creuse ensuite un trou béant de l'autre côté de la carcasse du vaisseau, pour aider le corps engourdi à s'enfuir. Toujours suivi de près par ces vapeurs rouges. Et dans l'bassin dans lequel commencent à plonger quelques timbrés paniqués, des silhouettes de poiscailles se forment une à une. Des requins. Attirés par tout le sang ambiant ou par la détresse d'un demi-congénère, j'en sais rien. Mais ils sont là. Ces requins qui savent plus où donner de la tête face à un buffet aussi garni, ces restes d'épaves qui remontent poussivement à la surface, mais aussi ces exilés qui font trempette la trouille saisie dans leurs mirettes livides, ça fait autant d'obstacles entre lesquels le plongeur doit slalomer pour traverser à son tour la coque. Sauf que, gah, moi, j'suis déjà à l'autre bout. Souffreteux et bondé d'réflexions glauques et douteuses à la vue de l'immonde gueuleton qui s'profile sous mes yeux blasés, mais à l'autre bout.

      Que j'l'entends bafouiller quelques insultes d'ici, des atrocités pour vexer les poissons, les morts et moi-même -si tant est que j'sois pas moi-même un poisson mort-. Descendu pêcher du squale, il semble trouver qu'il y en a d'trop, maintenant. J'ai un rictus désolé qui s'étire sur ma gueule.

      Mon seul désir, c'est plus qu'm'extirper de ce qui va pas tarder à se transformer en un opaque bain de sang et d'semer la tarée là-derrière. Peu importe qui elle est. Ou ce qu'elle me veut. Et ce qu'elle branle avec un harpon en vieille ferraille. Ça peine mon âme scandalisée, d'utiliser certains corps pour remonter plus vite. Mais j'ai l'hémoglobine qui se fait la malle et la flotte salée et brûlante qui m'visite la brèche, alors l'urgence de la survie prend l'pas sur les miettes de mon éthique, que Jaya me fracasse peu à peu.

      Ça m'inonde cruellement de p'tits souvenirs du débarquement sur la plage. Les gens qui se noient et qui goûtent à la terreur pure sous mes mirettes impuissantes mais résolues. Ça fait longtemps. Au moins quatre heures. Vachement lointain.
      J'me hisse sur le quai. Le même que tout à l'heure, en plus peuplé, en plus chaotique encore, en enflammé et en fumant, plus agité qu'une fourmilière qu'on aurait piétiné. Et j'ai perdu Blacrow.
      Ça tangue toujours autant en tout cas. Ma cervelle a pas besoin de ça. J'crache un jet de bile, qui jaunit le pavé brûlé. Ça contracte un bref instant mon ventre éclaté, m'donnant l'impression qu'on m'enfonce un crochet dans l'estomac. J'm'effondre. Un p'tit tintement me sauve de l'inconscience qui m'attrapait par l'aileron.

      Hihihi. C'est la balle. Elle vient d'sortir toute seule... Plus qu'à stopper le saignement. "Plus qu'à".
      Une semelle écrabouille ma palme, mon pif rencontre le sol et ma prothèse grince. J'rampe en toussant, semant de la morve sanglante, j'veux pas m'faire piétiner par la horde. Clamser aussi connement alors que j'ai fais l'plus dur m'ulcérerait. Si tant est qu'après la mort, on ait encore l'temps et l'envie de s'auto-flageller.
      Mes espoirs s'évaporent vite, de toute façon, lorsque j'aperçois le harponneur, là-bas sur le quai voisin. Carrément sur les nerfs, ça s'voit à ses gestes saccadés. Tournant la tête dans tous les sens, c'est qu'une question d'secondes avant qu'il me repère. J'suis pas très discret, même noyé sous le torrent humain.
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      Comme diraient Uderzo et Goscini : Ils sont fous ces pirates.

      C'est sérieusement la phrase qui vint à l'esprit de Rachel, gisant sur le sol du port, lorsque les canons tonnèrent. Ça lui semblait tellement ahurissant que Flist détruise des navires pirates et son propre port qu'elle crut que la piqûre contenait aussi des hallucinogènes. Par tous les diables, pourquoi se saborderait-il ? Le crochet était-il si mauvais joueur ? Ça allait bien deux minutes ces histoires, mais Craig et elles étaient en train de le faire avant lui. Et ils étaient arrivés les premiers, zut ! Tout ça parce qu'il voulait absolument la peau de deux marins ? Ou bien par frustration de perdre le port ? Ou juste pour montrer à tous ce qu'il en coutait de fuir ? Au risque de perdre deux ou trois cent hommes sur ces navires d'enfer alors que des marines se baladaient impunément sur son île ?  Ça n'avait pas de sens. Donc : hallucinations.

      Pourtant lorsque l'un des boulets explosa un bâtiment entier à la droite de notre commandante et que le souffle la balaya sur deux mètres, sonnée et estomac retourné, elle se dit que peut-être c'était la réalité. Ou tout du moins une réalité altérée et vachement crédible.

      *****


      -Faut qu'on bouge où on va se faire pulvériser nous aussi !
      -J'crois bien que t'as raison miss !
      -Fiacre ! À quoi ça sert qu'on soit venus là nous, hein ?
      -On reconnais bien là Flist. Imprévisible.
      -Et l'intelligence c'est en option ?!?
      -Il ne partage pas tous ses plans avec nous. C'est ce qui le rend redoutable.
      -Les belles phrases ne te vont pas au teint. On doit déguerpir maintenant !

      *****

      Il y a quelques mois, disons quatre, notre faucheuse se serait débarrassé avec facilité des canons des navires au large, des assaillants cachés sur les toits et soudain trop discrets pour être honnête, et peut-être même aurait-elle sauvé les populations en plein exode forcé. Mais depuis, on lui avait pris sa faux et son bras, elle était droguée -et non pas empoisonnée pour une raison qu'elle ignorait- et on lui avait planté dans la jambe une balle de la taille d'un pouce. Elle se rendit compte de deux choses. La première c'est qu'elle était impuissante, la seconde c'est qu'il était difficile de fuir dans cette situation. Pire, il était difficile même de ramper.

      Heureusement que les boulets de canon sont de formidables moteurs.

      Lorsqu'un explosa à moins de dix mètres de notre commandante, emportant dans son souffle vingt mètres de pavés, de pierres et de corps de la marée humaine, Rachel fut balayée comme tout le reste dans un roulé boulé qu'elle aurait eu peine à réaliser et à supporter en d'autres circonstances. D'ailleurs, elle ne le supporta pas plus. Elle heurta un mur de plein fouet et y creusa sa silhouette, protégée par un haki salvateur. Sans grosses douleurs donc. Juste un énorme souci d'estomac qui se révulsa une nouvelle fois. La gorge en feu et le regard courroucé par la tournure des événements, elle se redressa, flageolante.

      -Bon, fini de rigoler !

      Levant soudainement les bras au ciel -pardon la main- Rachel ferma les yeux pour arrêter le mal de mer, ignorant jusqu'à Craig plus loin à qui elle faisait confiance pour se débarrasser de son harponneur. Et puis avec un peu de chance, il finirait soufflé par une explosion lui aussi.
      Ainsi, elle resta quelques secondes immobile. Puis ouvrant brusquement les yeux ,elle déclama d'une voix forte :

      -Donne-moi ta force Rossignol... REDKIDAMAAA !
      -C'EST PAS LE BON UNIVERS IMBÉCILE !
      -Ahhh ! C'est vrai !

      Et un boulet de canon de clore cet épisode pitoyable, emportant Rachel et le bâtiment derrière elle en une même seconde.
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      Elle va revenir, hein, elle reviendra m'aider ? Les deux mirettes de glace derrière le masque du harponneur se sont braquées sur moi comme les projecteurs d'un mirador. J'me faisais à peine à ma nouvelle vie de quadrupède. Je commence à connaître cette enflure, après tout ce qu'on a vécu ensemble... Il jouera avec sa prise avant de la remonter. Ça m'fait miroiter un tout p'tit espoir de m'échapper s'il est aussi peu pro qu'il ne le laisse paraître.

      J'transforme la cohue en une multitude de boucliers d'chair. J'me fond parmi eux autant qu'possible, en restant sous leurs ceintures. Quitte à m'faire bousculer et finir comme le petit clebs aplati que j'ai aperçu tout à l'heure, à côté d'un flingue qu'un de ces pauvres types a du faire tomber dans sa course. Pensée coupable qui caresse mon esprit : ils sont voués à crever, autant qu'ça soit pour tirer d'affaire mon minable et égocentrique petit cul, non ?

      Bordel, il est définitivement enterré, le pseudo-héros altruiste qui se préoccupait plus de ce qu'il laisserait derrière lui que de ce qui l'attend. J'sers de toute ma palme la crosse de mon revolver, je l'épouse. L'est mon ultime joker, la dernière carte qu'on abat tout en submergeant le ciel de prières.

      Mon flanc s'écrase lourdement sur l'asphalte, une botte boueuse vient d'agrandir la fissure qui me court sur le bide. Percuté d'plein fouet par un des sprinteurs. Le mec s'étale en grognant, se réinstalle sur ses guibolles tremblantes puis reprend sa course, sans même se retourner voir sur quel détritus il a pu trébucher.
      L'aileron plié contre les pavés, le ventre qui s'ouvre à un ciel obstrué par les grandes silhouettes paniqués, j'me donne pas trois secondes avant d'être changé en carpette. J'suis assis, j'suis debout. J'titube comme un jeune alevin qui pane pas encore bien pourquoi il a des pattes. J'ai la vision d'un ivrogne, son équilibre, sa conscience et sa fureur. Pas une seule goutte d'alcool dans le sang, si limpide qui ruisselle de mon bide, j'suis juste empli d'une rage folle de prendre le destin à contre-courant.

      Nope, j'crèverai pas.
      Une rustre épaule me rentre dedans et rompt ma détermination, et mon équilibre par la même occasion. J'embrasse le sol de tout le fer de mes lèvres. Ma muselière se déforme, une vis taquine ma joue gauche. Percera, percera pas ? Percera pas. Tant mieux, j'aurais pas apprécié de perdre encore en étanchéité.

      MONTRE TOI ! QU'ON EN FINISSE, MERDE !

      Il m'a pas vu, je l'avais pas vu non plus.
      Une pincée de mètres nous sépare. J'reste plaqué au sol, quitte à finir aussi épais que mon courage tout rabougri. J'me laisse piétiner et réprime mes couinements, qui s'convertissent en perles qui s'accumulent dans mes mirettes. Mes os s'prennent parfois à crier par p'tits craquements sinistres. Et ma plaie s'colle au sol par un gros caillot douloureux. A y est. Les perles salés descendent lentement sur mes joues. Pour m'empêcher d'gémir, j'me clos la bouche en me mordant goulûment les lèvres. Ça transfère mon attention ailleurs. Ça déborde la douleur. Elle sait plus où donner d'la tête. Elle afflue dans tout mon corps, mais c'est dans les gencives et l'torse qu'elle a l'plus à faire.

      Faut que je traîne ma dépouille dans un coin sombre et crasseux. Toute la ville est sombre et crasseuse, je devrais vite me trouver un oasis. Un coin où souffler et me planquer. Le temps que la masse se dissolve et que j'y vois un peu plus clair.

      Péniblement, non sans malmener mon squelette haché et réduit en poudre d'os, j'me relève. Parce que c'est la mode, j'me fraye maintenant mon chemin hasardeux en bousculant les gens. Et c'est dans des brasses brutales que j'nage dans la foule. Moins discret, plus efficace, moins dangereux, moins discret. Bien moins discret. Le requin refait surface. Derrière moi, un bruyant soupir guttural tonne, c'est la foudre qui m'a repéré et qui s'apprête à m'pourfendre. Sans m'retourner, j'redouble de vitesse et d'violence, me traçant un chemin à force de coudes et d'épaules.

      J'aperçois un amas d'barils. Y en a bien un qui daignera à accueillir un blessé grave ?
      J'sais pas, j'saurai pas. J'me fais souffler par un crachat de feu. J'm'envole, plus léger qu'un pissenlit, dans c'qui est devenu un espèce de nuage humain.

      Propulsé, c'est comme si mon corps allait trop vite pour ma douleur. J'avale le vent tout en volant, toute ma souffrance s'est détaché. Pour un peu, j'pourrai penser que c'est c'qu'on ressent quand on s'promène aux frontières de la mort.

      Mais j'suis vite et violemment rapatrié en notre sainte réalité. Crling, elle fait la vitre que j'fracasse. Une neige cristalline s'abat sur moi, lacérant par la même occasion mon corps. Par chance, dans les coins où même la douleur en vient à souffrir.

      J'crois être atterri dans un bar. Ravagé. Dans mon coltard se dessinent des silhouettes bizarres. Au point où j'en suis, j'ferais même pas la distinction entre un pirate et son ombre. Alors savoir si j'hallucine...

      J'ai juste peur. Peur de je n'sais quoi. Sûrement du sommeil qu'engourdit mon corps, en grande partie.
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      Les voix dans la tête de Craig auraient pu murmurer des insanités pendant encore longtemps, les yeux rivés dans les cavités noires qu'octroyaient la tenue de plongée au pêcheur au harpon, mais l'explosion qui retentit les fit taire alors qu'elle emporta avec elle la moitié du bar et l'agresseur au harpon. En effet, le boulet de canon qui le cueillit au creux des côtes et le plia en deux ne laissa plus grande place à un autre son, ou même une autre image, même fugace, que celle des flammes et du souffle d'une explosion. Et sur les yeux fatigués de Craig, seul un voile de poussière s’abattit. Pas celle du marchand de sable non, pas encore, mais bien celle qu'il identifiera très bien comme la crasse de la guerre, qui ternit jusqu'aux couleurs de l'âme, qui survit aux combattants et se jouera d'eux jusque dans la tombe, quand on la jettera par poignées sur leurs cercueils. Mais passons, il le fera très bien tout seul.

      Car pour l'instant, Rachel se relevait d'avoir vomi son jus d'orange du matin. Avoir une jambe engourdie par la douleur aidait à savoir sur quel pied danser : le valide. Même si ça impliquait de faire une valse à en décrocher la tête de cette pauvre commandante à l'estomac déjà tout retourné. Elle s'était extraite du mur une nouvelle fois, ses cheveux s'agitant comme ceux de Méduse pour exprimer leur mécontentement d'être ainsi maltraités, une gangue de protection noire entourant son corps. Le meilleur des boucliers dont elle pouvait se targuer d'être équipée. Autant en profiter. Aussitôt avait-elle eu cette idée qu'un boulet de canon lui avait fait de l’œil, juste ce dont elle avait besoin pour régler le problème des navires ennemis au large. Se souvenant de Red jouant de la batte de base-ball pour renvoyer les boulets, Rachel jeta la jambe par dessus sa tête et percuta violemment le projectile du talon, en retour à l'envoyeur. Ou presque. Juste dévié pour aller sauver la vie de Craig. Non par pur altruisme, mais par pure chance. Qui s'en plaindrait ? Pas lui.

      C'est là que Rachel vomit.

      Maintenant que tout le monde suit, envoyons les autres boulets. Ceux qui finiront leur course non sur le corps désarticulé d'un Craig et d'une Rachel martelés, mais dans les coques pourtant solides des navires qui les auront envoyés.

      Le premier que le talon de la commandante renvoya violemment à l'envoyeur faucha le pont principal et une bonne vingtaine de personnes, éventrant largement une partie du pont inférieur et de la batterie ennemie. Le second manqua la cible à plusieurs mètres. Le troisième également. Mais au moins fut-elle repérée comme cible principale. Et lorsque le quatrième boulet détruisit la mâture du second navire, ils commencèrent à se dire qu'il vaudrait mieux arrêter de lui tirer dessus. Heureusement pour elle puisqu'une nausée la terrassa et que sa jambe fléchit sous son poids lorsqu'elle se réceptionna après un saut parfait. Le jury la pénalisa même pour ça. -3pts sur la présentation finale. Mais qui s'en soucia ? Pas elle.

      -CRAIIIIG !!! OU ES-TU ?! ON DOIT S'EN ALLER MAINTENANT !!

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      Je m'étais fichu les doigts dans les oreilles pour me gratter les tympans et le sang qui semble les obstruer, ça n'a pas empêché mon ouïe sélective d'entendre l'appel de Blacrow à travers le voile de ma quasi-inconscience. Parce que j'ressemble à un hérisson qui aurait découvert la roue, j'incarne bien le perso en rampant au sol, les épaules jusqu'aux fesses serties de copeaux de verre, et le bide vidangeant cette saloperie de pâte gélatineuse rougeaude dans le bandage pouilleux que j'ai arraché au veston d'un cadavre. J'me sens capable de marcher, mais le poison me décourage de tenter l'opération. Si c'est pour me ramasser lamentablement par terre, autant y rester. Par terre.

      J'ai mal. J'me refuse à écouter mon concert cardiaque. Ça tambourine sec là-dedans. Blacrow a sonné la retraite, suffit de la retrouver et le cauchemar s'éteindra de lui-même. J'ai une envie de dégueuler, union du stress et du poison, j'suppose, qui me stagne dans les tuyaux. Par flemme de déglutir, je l'ignore et j'avance. De préférence, faudrait que j'sois sur le pallier du bar avant qu'il ne s'effondre sur moi. Un boulet de canon a ravagé sa structure. Le château de cartes ne reste fier et debout que par coup de pot, j'sens que la moindre vibration le remettrait à sa place.

      J'me pensais plus solide que ça. J'y suis presque. Mon corps a pas le droit de rendre l'âme maintenant, non. J'ai encore moyen de faire jouer la garantie. J'vais le pousser à ses limites, j'me dis, une fois au chaud dans le bateau, j'aurai le droit à mon coma. Mais pas avant. J'empilerais bien quelques images du passé pour les utiliser comme bois alimentant ma chaudière intérieure. Si j'dois batifoler aux frontières de la mort, autant en rapporter des souvenirs... dans l'éventualité où j'clamserai pas.

      Le sol se transforme en falaise en pleine éboulement, que j'escalade les griffes plantées dans le bois, la crasse, la fange. Comme prévu, au milieu de ma cervelle encombrée, des regrets se baladent mine de rien. Le frangin, bien sûr, toujours lui, l'éternel lui qui aura toujours son domaine attribué dans la plus belle parcelle de mon esprit. Mais les hypériens, aussi, un peu, Rei avec qui j'avais eu l'impression de bâtir les fondations d'une solide camaraderie du type que j'ai trop rarement visité, puis capitaine Mavim qui en a dans la tête et dans le coeur et que j'aurais apprécié mieux connaître avant de passer sous le pilon des canons. Le commodore des storms dont j'ai emporté la compassion ainsi qu'une bonne vieille rouste sur le pif. Puis Serena. Hihi. Je le déterre de loin, ce souvenir-là. Est-ce qu'elle est vraiment dans les parages ? C'aurait été sympa de savoir ce qu'elle est devenue.

      J'aimerais visiter le Léviathan. La Marine semble en être si fière. Pourquoi n'est-il pas au large pour éventrer l'armada de vieilles coques qui pointillent l'horizon ? Quoi, ce serait qu'une formalité, un feu d'artifice. J'aimerais bien mater ce bijou de technologie consteller notre coucher de soleil de grosses étoiles baveuses. Le voir en action, le voir nous aider. Le voir jeter son filet, ses milliers d'hommes déambuler parmi les pirates en panique. Pour contenir un peu ce chaos. Qui me ronge.

      Pourquoi il nous aide pas...
      Un pied pointu froisse la boue dans laquelle je progressais. Ma tête, bien trop lourde pour être soulevée en direction du ciel, s'emplie de questions. Quelqu'un me ramasse, me murmure quelques bruits qui se noient dans la purée qui envahit mon esprit. Ah.

      Oh. Commandante. Vous êtes là. Salut !
      Off fommandante, f'êtes laa, falut !

      Le lac de sang de mon palais, généreusement entretenu par les cascades de mes gencives. Je saignais pas de la bouche tout à l'heure. Comment ça se fait ?

      On s'en vfa ? Fpeuh !

      Peu importe, je vide le sas dans un gros mollard presque brun. Mais, ajoutez l'équilibre périlleux à mes mirettes au bord de l'éclatement, vous obtenez une visée hasardeuse. J'essaye aussitôt de briquer sa robe avec mes palmes serrées à m'en broyer la paume...

      Désolé ! J'voulais pas !

      ... mais elle me repousse. Que je la dégoûte, que je l'apitoie ou que je lui fasse peur, m'en cogne. Au point où j'en suis, j'ai l'impression que la folie guette ma cervelle saturée comme une charogne. Quand ma raison expirera pour de bon, la folie fondra dessus. Pour m'éviter de tout lâcher. Ma peur est étranglée par l'instinct de survie, mais elle parvient toujours à gueuler.

      Ouais, ouais, on s'en va vite, j'en peux plus !

      La vitesse toute relative de deux mouettes qui volent aussi droit que des mouches. Trop occupée à assurer son propre équilibre, j'me doute que Rachel pourra pas me servir de béquille. J'commets l'erreur de tenter de resserrer mon bandage, ça m'échauffe l'estomac. Je vomis. Je tombe dans le vomi. Le coin où devrait siéger mon centre de gravité étant troué, j'me demande s'il en aurait pas profité pour s'échapper.

      En essayant de me réinstaller sur mes jambes, Blacrow s'étale aussi.


      Dernière édition par Craig Kamina le Sam 1 Nov 2014 - 13:10, édité 1 fois
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      Les choses se corsent tandis que vous reprenez un peu de poil de la bête. Entre vomi et esquive, vous n'avez pas forcément bonne mine, mais vous résistez à l'assaut que vous aviez préalablement sous-estimé. Vous avez été pris entre deux feux incalculables, une stratégie mise en œuvre par Flist le Crochet pour purger l'île de ses bonimenteurs et traîtres. Votre mission tourne court et vous roulez en rendant tripes et boyaux et en vous vidant de votre sang. Vous choisissez la fuite qui semble être une fabuleuse issue, mais le poison de Jess ne vous aide pas à faire vite...

      Et en parlant de Jess, elle sort un escargophone de son decolleté plongeant sous le regard gourmand de son accolyte, et attend. Jusqu'à ce qu'une voix sombre décroche à l'autre bout :

      Sir...
      Jess.
      Il y a un problème.

      Jess craint déjà la réponse de l'homme à l'autre bout tandis qu'elle se planque pour éviter de se faire pulvériser par les canons de la Lépreuse :

      A croire que c'est tout ce que vous savez dire par ici...
      Les deux marines ne veulent pas se laisser tuer...
      Et qu'est-ce que ça peut bien me faire ? Depuis quand on demande permission, Jess ?
      J'en sais rien, mais ils vont s'enfuir à un moment si ça continue comme ça...
      Jess, je t'ai chargé d'une chose ! Une seule chose ! Une mission pour avoir ce que tu veux ! Et tu n'es pas fichue d'en venir à bout ?
      Mais qu'est-ce que j'y peux, moi ?! La gothique arrête pas de rouler et de vomir, elle évite toutes mes balles en faisant ça ! Et l'autre, là, il fait trempette dans son propre sang sans en mourir ! J'en ai marre !
      Et depuis quand tes états d'âmes m'intéressent ? J'ai compris ! Si on veut que quelque chose soit fait, faut s'en charger soi-même ! On peut pas s'amuser tranquille à jouer les marionnettistes diaboliques ! Faut toujours que je me salisse les mains ! Est-ce que tu sais que je me suis offert cette nouvelle tenue hier ? Et est-ce que tu sais que ça m'agace prodigieusement de risquer de la salir ou l’abîmer ?
      Oui, sir...
      T'as intérêt à m'en trouver une qui me va aussi bien s'il lui arrive quelque chose...
      D'accord, sir... Vous arrivez, donc ?
      Oui. Mais avant, je dois aller motiver les hommes qui vont prendre les terres de l'autre catin des neiges...
      Bien, je vous attends.
      Tsss...

      Jess soupire :

      On les retient jusqu'à l'arrivée du Crochet !

      Même si le plan est simple, il est aussi diabolique. Attrapant une barre de fer, la femme la cogne contre une autre en métal en vous criant dessus. L'ouïe joue sur l'équilibre, il paraît. Et dans votre cas, vous vrillez les oreilles revient à vous handicaper encore plus...

      Peut-on sincèrement ralentir un escargot malade ?

      La preuve en est.
        Elle avait eu tort de penser que le malaise qui l'avait gagné depuis la piqûre serait la seule chose dont elle devrait s'occuper. Qu'elle serait la pire des choses dont elle doive s'inquiéter. Craig était un homme costaud et quoiqu'un peu peureux et passablement perdu dans un monde qui ne lui correspondait guère, à l'instar du cygne parmi les canards, il avait les tripes pour s'en sortir -même si en l'occurrence les siennes se faisaient littéralement la malle- et n'était pas un poids mort incapable d'avancer ou de se débrouiller seul. Sans compter les coups de mains répétés et l'épaule qu'elle lui servait dès qu'elle le pouvait pour se redresser et affronter ce que le destin au nom de Flist leur avait réservé comme ils avaient bondi dans la gueule du loup en toute connaissance de cause. Même la balle qu'elle avait dans la jambe ne l'handicapait plus beaucoup et lui laissait malgré tout une marge de manœuvre assez large, contrairement à son bras gauche, ou plutôt son moignon, dont elle ne se formalisait même plus l'absence.

        Pourtant, lorsque le poison lui tordit soudainement l'estomac alors qu'elle supportait Craig, lui arrachant dans un râle, tripes, boyaux et que ses sucs s'étalèrent sur le pavé dans une flaque, décapant sa gorge et la privant d'air, elle sut, pantelante et avachie, qu'elle s'était trompée et que somme toute, elle aurait préféré le mal de mer comme unique douleur.

        Elle avait l'impression qu'un géant venait d'insérer un doigt entre ses côtes et jouait à entortiller ses intestins autour de son doigt comme une gamine ses cheveux. À tel point que dans l'espoir stupide de faire passer la douleur subite, elle martela le sol froid de son front blême. Seulement de quoi lui donner une migraine pour couronner le tout. M'enfin, d'aucuns diront qu'elle était habituée aux emmerdes cumulées. Et ils n'auraient pas tort. Elle leur adressa mentalement les pires insultes de son vocabulaire et se redressa, pitoyable. Sa chevelure en profita pour éponger son visage blafard -plus que d'ordinaire et malgré les peintures archaïques- de la sueur qui le maculait.

        -Enfin une bonne prise.

        Notre commandante releva la tête avec difficultés pour observer devant elle la combinaison moulante que portait un homme de bonne taille et de corpulence honnête. Une combinaison de plongée noire avec panoplie masque, tuba, lunettes de plongée et harpon. Le seul hic en plus de sa tenue éventrée sur le côté et du sang sur ses accessoires était la courbe que présentait son côté droit. De l'exacte forme d'un boulet de canon. Malheureusement, il ne venait pas quémander des soins à en croire l'arme qu'il pointait directement sur le corps gémissant d'un Craig impuissant, vomissant tripes et boyaux.

        Ses intentions n'étaient pas difficiles à deviner, et la réaction qui s'imposait ne fut pas plus dure à prendre. Malgré ses organes endoloris, Rachel déploya toute sa volonté ainsi que sa jambe indemne dans un Ran Kyaku précis qui trancha net le carreau qui filait droit vers l'Homme Poisson. Elle se serait presque accordé un rire sarcastique à l'intention de ce nouveau venu pas si nouveau que ça. Si sourire ne l'eut pas faite passer pour une mort-vivante à cause des spasmes douloureux de son estomac.

        -Pas complètement morte, hein ?
        -En parlant de morts...

        D'un mouvement de bras, notre faucheuse fortement diminuée désigna l'homme comme la cible à abattre. En un instant, six corbeaux fondirent sur lui avec l'avidité de hyènes passant derrière un lion repu. Les serres griffèrent et lacérèrent la combinaison . Les becs percèrent et frappèrent tout ce qu'ils purent atteindre. Les plumes volèrent dans tous les sens. Noires. Duveteuses. Dans le fond, les canons se remirent à tonner, accompagnant dans une macabre litanie les cris de douleurs et d'agonie d'une combinaison fuyant pour son salut. Il finit par plonger dans la baie et laissa en plan les paires d'ailes désemparées. Son erreur ? S'être montré. Une fois à découvert, il devenait une cible plus qu'évidente pour Rachel. Autour d'eux, le chaos reprit avec les boulets de canons qui trouèrent à nouveau les sols. À l'intérieur de Rachel, le chaos reprit avec les douleurs spasmodiques violentes. Et les corbeau visiblement en manque de bonbons magiques.

        -Argl, mais non j'en ai vraiment plus ! Laissez-moi 24h de plus ! ET NE TOUCHEZ PAS A MES DOIGTS !!

        Un boulet qui visait Rachel la heurta. Elle n'eut qu'à peine le temps de se rendre compte de sa propre distraction qu'elle se trouvait déjà dans un cratère de cinq mètres de diamètre et dont elle était l'épicentre.

        L'esprit embrumé, ses sensations lui échappaient de plus en plus. Elle avait conscience de souffrir le martyr, mais pas tant à cause du boulet de canon que du poison qui lui courait dans les veines. Si seulement ça avait pu demeurer un simple et ennuyeux mal de mer. Elle voyait flou et tout tremblait autour d'elle. Elle tremblait. Ça ne l'empêcha pas de se remettre debout, autant par instinct de préservation que de protection envers Craig. La cratère n'était pas bien profond, mais ils y seraient un peu à couvert par rapport aux assauts des navires au large.

        Refoulant ses envies de renvoi et ses images troubles, la brune remonta la pente du cratère avec la ferme intention de couler ces navires, même si elle devait y laisser une quantité astronomique de sang au passage. En y pensant, elle était heureuse de ne pas avoir d’hémorragie comme elle y avait été habituée lors des précédents assauts avec les Sea Wolves. Et puis, avec le Haki, elle ne risquait pas grand chose. Seul le poison restait un problème. Dans son organisme et celui de Craig. Elle devait le protéger. Et pour cela, quoi de mieux que de couler ses attaquants ?

        Pourtant, lorsqu'elle atteint le sommet, aucune détonation. Aucun flash de lumière.

        Juste un long manteau et une voix mielleuse...

        *****


        -Attends ! Arrête de courir !

        Jess s'immobilisa en hélant l'homme auquel elle emboitait le pas. Ses pieds dérapèrent sur les tuiles éparses au milieu desquels ils couraient depuis deux minutes. L'homme au gros canon le fit rebondir sur son épaule avec agacement, irrité des changements d'humeurs et d'envie de la Jess. Heureusement pour elle qu'elle avait un beau décolleté, sinon il lui aurait envoyé son canon dans les gencives depuis un moment déjà. À la place il se contenta d'afficher une mine contrariée. Ce qui ne servit à rien puisqu'elle-même regardait l'autre direction. Vers le port. Et si plusieurs pâtés de maisons les en séparaient, elle donnait l'impression de voir ce qu'il s'y passait. Et pour un peu, il y aurait cru. Il finit par soupirer d'exaspération et lança avec dureté :

        -Tu veux y retourner maintenant ?
        -Oui.
        -J'y crois pas ! les femmes...
        -Une voix vient d'arriver. Et je veux voir ce qu'il va se passer !
        -Une voix ?
        -Oui, celle de Flist !
        -... Oh...
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        Flist a la démarche charismatique en s'avançant vers le lieu de l'affrontement. Tellement qu'on a l'impression que les boulets de canon l'évitent et décorent sa route pour lui donner de l'allure. Les balles s'esquivent comme pour travailler son panache, et bizarrement, on ne peut s'empêcher de contempler sa silhouette à la fois fluide et lourde, sa démarche légère et conquérante, comme cette aura violente qui le recouvre. Il s'arrête à, à peine, un mètre de la gothique à laquelle il sourit avant d'écraser la main qui attrape le rebord de sa belle grosse botte en cuir. Pas d'accident, pas de « oups, j'ai fait exprès » qui ne sort de ses lèvres. Juste un sourire qui s'étire et dévoile ses dents parfaitement alignés. En la regardant de haut en bas, jouant avec sa main valide en enroulant sa moustache trop bien dessinée, il lâche avec un éclat malicieux qui traverse ses yeux noirs :

        Hé bien, quelle surprise...

        Et le coup de pied part plus vite que prévu pour renvoyer Rachel au fond de son cratère, quand Flist dévisse son crochet pour viser Craig de son bras. Un pouf retentit quand la « prothèse » en question se décroche pour s'envoler droit vers l'homme poisson. Une chaîne le maintient au bras, un petit mouvement du poignet, et l'arme passe par-dessus l'épaule blessée du requin, un autre mouvement et un brusque geste du coude, le crochet revient sur ses pas et s'enfonce dans la plaie en traînant au passage l'ennemi sur le sol. Quand il le ramène à ses pieds en le tractant avec nonchalance, c'est pour lui assener à son tour un autre coup de pied qui l'envoie rejoindre sa compagne gothique au fond de son trou.

        Et c'est pour ça qu'on me fait bouger ? Minaude le capitaine pirate avec l'air déçu. Je m'attendais à tellement mieux...

        Il ne cherche pas sa complice du regard, en sachant pertinemment qu'elle aura tôt fait de le retrouver pour venir récupérer son du. Réemboitant son crochet sur son socle, il le tourne cette fois pour en retirer le bout, et dévoiler une gueule noire et lugubre qui n'annonce rien de bon.

        Vous voulez... Pour-parler ? Plaisante le Pirate avec son sourire malsain.

        Autant dire que lui n'est pas du genre à respecter les codes. Et quand le chien de son pistolet s'arme dans un déclic éloquent, plus personne n'a de doute là-dessus.


          Toi.

          Oui Toi, au fond d’ton trou. Baignant dans ton sang et dans la poussière, avec le goût du fer et d’la douleur sur le palais. Toi qui n’peut qu’regarder d’en bas, au travers de la sueur et de paupières toujours plus lourdes, celui qui va te tuer. Qui va Vous tuer, de cet air amusé de celui qui se sait au dessus de tout. Et tu n’peux rien y faire. Que la défaite soit ou non déjà ancrée dans ton esprit n’y changera rien, elle est là, cette mort avec qui tout l’monde danse mais sans jamais vraiment oser croiser son regard. Que tu luttes ou non n’y changera rien, Flist est là, trop puissant et arrivant après trop de chose.

          Son sourire s’élargit tandis que la pression sur la gâchette augmente…

          Rien ne saurait l’arrêter.



          Rien ?

          Sauf peut être ce bruit qui enfle soudain’ment dans un coin de votre esprit et qui titille juste assez son instinct pour qu’il marque l’instant. Bruit de tremblement de terre qui enfle de plus en plus vite, tectonique exponentielle née d’un rien et qui prend maintenant des airs de fin du monde ! En quelques fractions de secondes le vacarme en devient assourdissant, trop vite pour que les esprits même brillants n’en comprennent la source ni même la nature. Le monde semble juste soudainement se craqueler dans un concert de rocs brisés !

          Irrité autant qu’intrigué, tu peux voir du fond de ton trou Flist détourner ses fines moustaches de vous… Juste à temps pour disparaître dans un nuage de poussière et de débris virevoltants ! Une maison passe sur lui, véritable train de pierre et de bois, glissant sur ses rails invisibles à une allure d’enfer, broyant et balayant tout sur son passage, ne laissant qu’une longue traînée de débris pulvérisés sur son passage.
          Du fond de ton trou tu peux la voir poursuivre sa route à une vitesse de tous les diables, précédant la pluie de copeau de bois de pierre et de tuile qui parsème sa route, poursuivie par un tourbillon de poussière et de destruction !
          Rien ni personne n’a le temps ni le pouvoir de l’arrêter, elle emporte tout ; balayant le port jusqu’au premier hangar qu’elle rencontre et qu’elle souffle en un instant ! Puis un autre bâtiment s’interpose, puis encore un autre ! Tu entends alors son grondement digne de l’apocalypse se perdre progressivement dans le cœur de la ville, avant de finalement exploser au loin sur un énième obstacle cette fois trop imposant.

          Le calme revient sur le port qui semble soudain’ment si calme ; et de Flist nulle trace. Rien que de la poussière qui en un épais nuage ne cesse de dériver et de retomber lentement…


          Puis, au cœur de ce brouillard, une silhouette commence à apparaître tandis que le vent du large déchire en lambeau cet épais manteau. Une silhouette large, massive, imposante. Écrasant tout tandis que le contre jour illumine la poussière et assombrit toujours plus ses contours en comparaison. Le claquement des pans sa chemise dans le vent vous parvient alors… Puis le bruit de ses pas alors qu’il se rapproche de vous, pour finalement s’immobiliser aux rebords de votre trou.


          Alors, un nuage occulte le soleil et cesse de vous éblouir, pour dévoiler son visage et surtout le regard qu’il vous porte. Le mien.

          Un long silence s’installe dans ces quelques secondes de calme qui ressemblent à des éternités. J’vous regarde, vous et l’état pitoyable dans lequel vous êtes… d’abord sur le tiens, petit requin en uniforme. C’est un fait assez rare pour que j’le note, pour que m’vienne aussi des images de moi à cette époque étrange où j’partageais ton âge et ta situation. Mais j’m’en détourne assez vite pour finalement poser cet œil à l’air sévère sur toi, Rachel. Toi ma Nakama.

          Avant, la Bête m’aidait à détruire mes proies, à les flairer pour mieux les briser. Mais maintenant, force est de constater que la Bête m’aide à trouver et à protéger ceux que j’estime être les miens. L’empathie… et cette impression soudaine que tu étais en danger. Cet instinct d’conservation qui m’a poussé à traverser la ville sans détour ni hésitation, quitte à me faire précéder d’un virulent coup de pied par une maison de trois étages pour pouvoir arriver à temps. Peu importe le danger, je serai là. Je suis là.



          Je sens alors ton regard se poser à ton tour sur moi pour de bon ma p’tite Rachou ; et les mots veulent venir. Un moment qu’on n’s’est pas vu hein ? Dur de savoir quoi t’dire tu avoueras.

          Mes sourcils s’étrécissent en une fente tandis que je balaye les alentours du regard, comme pour nous prévenir de tout danger qui voudrait nous surprendre ; et me voilà qui te pousse doucement les côtes du bout du pied, sans force mais sans pour autant faire cas de tes profondes blessures. Et en même temps, ma voix dure qui envahit l’espace :



          -Et ben ? Tu comptes rester à terre encore longtemps ?
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          -Espèce de chiure de crevette...

          Et que Toji s'en sente honoré. Si Red avait eut droit au seul et unique coup de poing de Rachel, l'Homme-Poisson Foudre venait d'être assassiné par le pire des regards noirs qu'elle avait eu un jour à distribuer et à la pire des insultes qui sortit un jour d'entre ses lèvres tremblantes. Oui, chiure de crevette était la pire d'entre toutes pour elle.

          Avoir Flist en face d'elle ne l'avait pas effrayé. Il faut le concevoir, elle n'avait rarement eu peur, voir même jamais, et uniquement d'une femme fatale dont le fruit du démon était la peur elle-même -Mona Lisa. Alors Flist. Un estropié aux allures de capitaine Crochet n'arriverait jamais à la surprendre, même dans le noir pour Halloween avec un masque de panda roux sur les yeux. Tout ce qu'il put réveiller en elle, c'était l'adrénaline qu'apporte dans son sillage le trépas et qui nous gagne aux portes des enfers. Le Crochet n'était pas du menu fretin, loin de là, et elle avait vu dans son regard sa propre mort. Même au fond du trou, elle aurait été capable de se relever, elle allait se relever d'ailleurs. Il est bon de savoir faire le mort, et ce n'était pas un coup de pied au visage qui allait la clouer au tapis quand le destin même était contre elle. Elle avait quelques Ran Kyaku en réserve et plusieurs Soru sous le pied.

          En revanche, la vision d'un Toji, plus impressionnant que jamais en contre-plongée, droit hautain et autoritaire comme elle l'avait toujours connu eut le loisir de faire battre en retraite toutes douleurs, tous les doutes et à peu près toutes les pensées rationnelles de Rachel. En un instant, celui -trop court- où elle le reconnut, l'acidité de sa bile et ses aigreurs d'estomac laissèrent la place à la colère et au mépris. Ils se caractérisèrent par des rides qui creusèrent son maquillage parfait et par ces torsades que firent soudain ses cheveux. Ces anglaises qui se nouèrent comme « au bon vieux temps ». Elle réussit même à se mettre debout d'un mouvement fluide et élégant pour toiser Toji depuis le fond de son trou. À ses pieds gisait Craig, mais elle n'en avait cure. D'ailleurs, personne ne semblait lui manifester le moindre intérêt, à ce pauvre marin. Elle lui offrirait un chocolat chaud plus tard pour se faire pardonner.

          -T'en fais pas. Depuis que tu nous a balancé au fond du gouffre, j'ai appris à me relever.

          Et il avait de la chance qu'il n'y ait pas de fenêtres à proximité sinon il était certain qu'elle l'aurait défenestré. D'ailleurs, c'était probablement pour cette raison qu'il avait balancé une maison au visage de Flist. Pour les éloigner au plus possible d'eux. Il devait tout savoir à son sujet -il n'était même pas étonné par son bras manquant ou du moins n'en laissait rien paraître- et devait savoir le sort qu'elle lui réservait en se pointant aujourd'hui devant elle. Son estomac se noua. Son univers vacilla. À cause du poison. Pourtant, elle resta aussi droite et fière qu'elle se l'était promis. Seule les veines sur ses tempes et sa mâchoire crispée témoignaient de la douleur à laquelle elle était confrontée.

          -Tu mérites la corde, Thunder F.

          En dépit de tout ce qu'elle s'était promis, de tout ce qu'elle avait prévu de faire à cette face inhumaine quand elle la recroiserait, elle s'en détourna. Avec tout le mépris dont elle était capable. Elle n'avait pas la force d'aller le confronter, malgré ses progrès et ses envies de justice envers cet homme barbare. Un bras un moins, des jambes flageolantes, un estomac qui jouait la samba et ses armes manquantes... La seule question qui la taraudait était : que fait-il là.

          Elle ne la posa pas.

          À la place, elle se pencha sur Craig qui lui en revanche pissait le sang et lui proposa un épaule à peine moins tremblante que celle qu'elle tentait de soutenir.

          -Ne t'attends pas à un désolé pour le banc. N'espère pas un merci pour Flist. Et quand on en aura fini avec lui et ses hommes, sache que je viendrai pour toi. C'est clair ?

          *****

          -Mais bordel où tu vas ?
          -Changement de programme, on repart !
          -Qu'est-ce que tu racontes encore ???
          -Toji vient de se pointer et je préfère... Eh attends moi !!
          • https://www.onepiece-requiem.net/t889-fiche-de-rachel-100
          • https://www.onepiece-requiem.net/t816-rachel-la-grande-faucheuse#8700
          Mes hallus me griffonnent désormais dans l'creux des yeux un imposant Arashibourei lumineux. Mon p'tit cœur perd son tempo, mes mirettes s'écarquillent, et vite, ça rationalise sec dans mon crâne pour éviter à mes entrailles de rentrer en fission. C'est encore qu'un mirage, une horreur factice. Un dessin qui s'évaporerait si j'venais à le frôler. Il n'est pas réel ! Ce démon imaginaire sort sûrement d'un recoin un peu honteux d'ma caboche survoltée. J'suis sûr qu'il me suffirait d'en rire pour l'exorciser... Pas difficile, j'ai rarement vu une dégaine autant décalée, hors-sujet avec les uniformes marins cradingues et les vieilles fripes de boucanier fauché qui habillent Jaya en cette saison. Il porte étonnement bien la chemise à fleurs, le faux Arashibourei, mais ça l'empêche de piquer ma peur. J'ai pas peur. Pas peur. Peur.

          C'est pareil que le spectre de Flist qui m'a enterré au fond de ce cratère. Lui a disparu, dans une bouffée de fumée. A sa vue, j'ai comme revu ma vie défiler devant mes mirettes maintenant sèches de toutes les larmes que j'pourrai jamais chialer. Mais ce n'était qu'une autre de ces silhouettes bizarres venues d'ailleurs. J'ai plus mal ! Mis à part dans la cervelle. Ces questions qui se précipitent dans mon esprit le bousculent, le violentent. Si je continue de réfléchir, ma tête va exploser dans une migraine assourdissante. Si j'arrête ? Je risque de m'éteindre. Qu'il me reste encore un peu de douleur, ça doit être bon signe. La souffrance est le propre du vivant, non ? Quand on meurt, on abandonne nos sensations, nos sentiments. Moi, j'en veux encore. J'en serai jamais rassasié. Je veux vivre.

          Alors c'est ça, les portes de la Mort ? Un défilement d'images terrifiantes surgissant du subconscient et qui te guident vers l'oubli ?

          J'essaye d'atteindre les guibolles de Blacrow. Elle se laisse charmer par le fantôme d'Arashibourei, l'inconsciente. Je l'entends même lui causer. Les mots se perdent, encore et toujours, dans la brume qui enveloppe mon esprit. J'suppose qu'elle l'implore, en restant aussi digne que son grade lui ordonne. La peur se relève quand ma commandante se penche sur moi et me fixe une fraction de seconde de ses deux yeux crayonnés sur un teint blafard. Et si c'était elle, finalement, la Mort, qui aurait pris l'apparence de ma propre collègue pour m'emporter sans résistance ? C'est quoi, ces sentiments étranges qui m'essorent le coeur et se gavent de son fluide ? Comment décrypter les murmures de mon âme tandis que je sombre dans le néant ? Trouille intestine qui me crispe sur l'épaule de la Rachel, en mirant avec insistance le faux Toji déblatérer des insanités que mes oreilles froissées n'écoutent pas. Peut-être des chants de damnation ?

          J'ai toujours mal, alors qu'elle me redresse. Une faible toux m'assaille. Ça veut dire que je respire encore. Et pourtant... Mes poumons intacts surplombent ce qui devait être un estomac truffé de plomb. Ouaip, je sais pas s'il est encore là. Faudra que je m'assure de rien avoir oublié dans le coin avant de repartir. Je resserre mon bandage, ça esquinte notre équilibre si précaire. Blacrow flanche. Merde, j'voudrais pas interrompre leur conversation.

          Pardon.

          J'ai encore une voix. Brisée, elle ne doit pas être plus audible qu'un couinement de souris coincée dans une tapette. Mais elle est bien là. Tant que rien n'enraye ma respiration, j'pourrai continuer à balader mes yeux vitreux en faisant semblant d'écouter ce que ces deux pointures se disent. Je dois m'efforcer de couler ma terreur sous une bonne couche de béton, ou elle irradiera tout mon être et ma crise aggravera mon état. Et me fera passer pour un demeuré envers ces... pointures... L'Arashibourei semble parler, vraiment. Plus vrai que nature. Je voudrais le toucher, m'assurer qu'il n'est pas un... vrai bourreau revenu des enfers pour nous accueillir dans son cercle. L'enfer des guerriers qui ont craché sur l'étendard qu'ils défendaient...

          Je passe de grimaces en grimaces, emporté par ce flot de doutes... Que ferait l'ex-contre-amiral Arashibourei, le vrai, dans le coin ? Aucune chance que ça soit lui. Aucun risque qu'il vienne nous achever.
          • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig


          Fallait si attendre, les retrouvailles c’est pas c’que j’fais d’mieux dans mon répertoire, d’autant qu’la Rachou va sur’ment s’avérer être un public difficile. Remarquez chuis pas là pour ça ; et pour l’moment elle a pas encore essayé d’me sortir les tripes du bide à coups d’talon, preuve qu’il y a du progrès. Ou trop d’fatigue plutôt.

          Mais bon, notre entrevue à moustache bleue m’y avait préparé, ce sans quoi j’avoue que ca verve acide et pas avare de salive m’aurait quelque peu ébranlé. Sauf que là non. Non, ni son p’tit bout d’bras en moins ni la haine qui jaillit d’ses orbites ne parvient à fêler mon armure, tout préparé que j’suis à v’nir la r’voir.

          -Rien qu’ça ?

          Le ton s’voudrait amusé, mais le cœur n’y est pas au final. Un brin moqueur à la limite ; et encore, faute à l’aura d’la miss et surtout à toute cette détresse que j’sens en elle. La haine encore j’tolère, j’ai l’habitude… La peine par contre.

          La crevette la corde et l’ingratitude ?

          J’marque le temps, réfléchissant à tout c’qui peut s’trouver derrière ces mots rageurs et avec pour seul constat :

          -Boarh, t’as sur’ment raison j’dois bien t’le concéder.

          Le banc j’irais jusqu’à dire que j’ai mérité sacrement plus, de même pour la crevette la corde et le manque d’accolade. T’as cent pour cent raison sur toute la ligne Commandante, à défaut d’avoir bonne mine.


          Prudent, j’jette un nouveau coup d’œil aux alentours, soucieux d‘éviter toute mauvaise surprise pouvant nuire à nos retrouvailles autant qu’à la vie d’ ma Nakama. Quitte à m’manger une lame d’air dans les cotes, ç’qui resterait de l’ordre du détail en fin d’compte. Rien n’a l’droit d’venir nous interrompre. Rien qui n’tienne à la vie en tous cas.

          -Pardon.


          Un regard pour le têtard qui s’vide de son sang, l’visage blafard tel une veilleuse peinant dans un épais brouillard.


          -L’a l’air mal au point ton p’tit copain.


          J’dis ça sur l’ton d’la conversation, comme pour briser la glace. Glace qui s’épaissit un peu plus encore malgré l’brassier qui danse derrière. Mais vrai qu’il a pas l’air bien le p’tiot… Dure loi d’la sélection naturelle, c’t’une garce comme pas permis chez qui j’ai heureus’ment mon lot d’ticket d’invitation VIP. Un moment j’m’attarde sur sa gueule en sang… sans trop savoir pourquoi. Pinc’ment d’cœur que j’écarte vite fait en raffermissant subit’ment mes mains sur les rennes de mon esprit. J’suis v’nu pour parler à la Rachou et j’ai sacrement intérêt à l’faire vite avant qu’on n’vienne encore nous casser les roustons à coup d’impondérables.



          Alors bon, même si j’me doute bien que ça f’ra surement pas l’effet que j’voudrais et qu’j’ai bien compris qu’il vaut mieux pas qu’j’attende de la gothica un bel effet dramatique ou un retournement d’avis bien heureux, j’me lance avec une sincérité que je n’garde que pour les grandes occasions, les connaisseurs sauront apprécier.

          -Si j’suis v’nu ici c’est juste pour te voir, toi, Miss Blacrow.

          Pour lui dire que t’es désolé de l’avoir envoyé au fond du gouffre ?
          Oui.
          De leur avoir ruiner leurs plans de carrière ?
          Oui.
          D’avoir briser une confiance quasi-aveugle ?
          Oui.
          D’avoir failli à tes devoirs de capitaine en ne protégeant pas les tiens comme tu l’avais juré ?
          Oui.

          Mais plus important encore.
          ?...

          -Merci Rachou.

          Putains d’larmes qui voudraient sortir sur ces cinq putains d’lettres que j’ai jamais du sortir à mes loups en plus d’trois ans d’galère commune et d’tyrannie ! J’les retiens sans mal à la force d’une volonté d’acier. Pas une putain d’molécule d’eau qui pointe le bout d’son sale nez, j’y fais gaffe tout en relâchant chaque syllabe avec une attention rare. Mais l’regard… la fenêtre de l’âme comme on dit hein ? Sauf qu’à la mienne on f’rait mettre des barreaux si on l’pouvait j’en suis sûr. Et la voix… merde y a une lettre où y a une foutue émotion qui a failli s’évader. J’la retiens du bout d’la langue, comme on tirerait la chaine d’un prisonnier avide de soleil pour le garder bien dans l’ombre. Pas évident d’être sincère tout en restant inébranlable… Deux faces d’une même pièce qui tournoie encore et encore sans parvenir à s’décider de quel côté elle va tomber.


          -Merci pour m’avoir soutenu jusque là, contre vents et marées, mais surtout contre tous et contre moi.




          J’en oublie l’reste du monde, tout mon être perdu dans ces grands yeux verts, si durs…
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