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La belle et la bête

Je n'aurais jamais choisi de voyager à dos de chameau pour traverser le désert, mais il fallait faire avec les moyens du bord. Les choses s'améliorèrent rapidement quand on arriva sur la piste principale entre Alubarna et le ferry pour traverser en direction de Rainbase. C'était aussi plus dangereux : la milice patrouillait sur cette « route » assez empruntée pour sécuriser les voyageurs face aux raids des Nomades. Vu l'ampleur que prenait la « légende du Roi-Momie », précaution n'était plus une étrangère. Mais je comptais sur mon bagout pour nous tirer d'ennuis, d'autant plus que j'avais presque convaincu Solomon de jouer si nécessaire, le lépreux.

- « Tu vois, ... » lui avais-je dit d'un docte ton lors de nos conversations, « … un brûlé, ça attire toujours l'attention. Une sale attention morbide, mais attention tout de même. On veut savoir quand et comment tu as été brûlé, et on espère toujours pouvoir apercevoir un bout de cramé. Parce que si tu bouges, c'est que tu resteras vivant. Ça a un côté de certitude, les brûlures. Alors que le lépreux, ça répugne. Ça donne peur. La lèpre sèche n'est pas contagieuse. Mais ça, les gens l'ignorent ou l'oublient à la mention de lèpre. Tout ce qu'ils voient, c'est une source de contamination possible. Personne ne viendra te chercher des poux si tu te dis être lépreux. » Ça ne l'enchantait guère, mais c'était comme ça.

Délicatement, j'avais tenté d'en savoir plus sur lui. S'il avait des souvenirs, même des images. Comment il avait eu ses brûlures, n'importe quoi. De mon côté, je lui avais expliqué en long et en large la nature de mon poste d'espion, de la différence entre Shaïness Raven-Cooper, chef d'équipe au Cinquième Bureau, connue pour sa chevelure rose, son sale caractère et des capacités assez impressionnantes à se venger de façon presque sadique, et Scarlett, la révolutionnaire jamais réellement vue, qui agissait dans l'ombre et dont le mystère restait l'atout le plus sécurisant. Je lui avais aussi interdit de mentionner mon fruit du démon, que ce fut à la révolution ou à mes contacts gouvernementaux. J'avais parfaitement senti sa surprise quant à la méfiance que j’entretenais vis à vis de mes collègues révo. « J'ai travaillé avec le CP 6. Ils sont chargés de traquer les nôtres. Du coup, on ne sait jamais vraiment qui est digne de confiance. C'est pour ça que je me suis autant méfiée de toi. C'est pour ça que j'ai horreur des traîtres. Je te préviens, si tu me trahis, tu as intérêt à me tuer en même temps. Sinon, je te poursuivrai jusqu'à ce que j'ai ta peau. »
Paranoïaque et solitaire, je m'étais présentée à lui telle que j'étais. Oh, j'avais caché pas mal de chose, notamment l'Umbra et Rafaelo, mais j'avais évoqué le Matador avec Caïus et le Chevalier, ne serait-ce pour bien lui signifier que je n'étais jamais vraiment seule. Mais j'avais surtout développé ma vision des choses, telle que je voyais mon action, pour l'égalité des races et contre les dragons célestes. J'avais commencé à lui expliquer que je croyais en un ordre mondial qui unissait les nations, mais un ordre épuré des sales tendances humaines. Ça tenait à la fois de discours de secte quasi-mystique et de rêve idéalisé de petite fille, mais c'était comme ça. Sans idylle absolue, la révolution n'existait pas. Car nous étions nés de l’insatisfaction et de la colère du peuple.
Je savais que plusieurs courants de pensée révolutionnaire cohabitaient. Tous ne se battaient pas pour la même chose. Notre unité venait que tous nos combats nous opposaient au Gouvernement Mondial, à son bras armé et à leur marionnettistes, les Dragons Célestes. Peut-être qu'en identifiant « l'allégeance » de Solomon, je pourrais le rattacher à un groupe du DRAGON ?

Finalement, Rainbase se profila sur l'horizon. Après des heures à contempler la monotonie des dunes, la vision était presque trop moderne pour moi. Toutes ses lumières synthétiques, ça faisait mal aux yeux.
- « Rainbase, où rien n'est naturel. » déclamai-je alors que nous nous tenions sur une petite butte encore en retrait de la ville. Nous avions bien entendu répété notre plan – nous n'avions que ça à faire, après tout – mais comme toujours depuis que j'avais pris du galon, je répétai pour confirmer une ultime fois. « Nous allons entrer et nous mêler à la foule pendant quelques heures. De façon à ce que personne ne se souvienne de quand nous sommes justement entrés dans la ville. On pourra se reposer par la même occasion. Puis plus tard, vers les 16h, quand le soleil commencera à descendre, nous irons au marché aux esclaves. Rainbase est la plaque tournante de ce commerce. Avec tous ces hôtels et … trucs... les besoins en main d’œuvre corvéable à merci sont énormes.
Mais nous n'allons pas inciter à la révolte. Non, celle-ci, si elle devait prendre, serait réprimée par la violence. Or, nous voulons libérer les esclaves, pas les faire tuer. Non, nous allons jouer sur le fait qu'Alabasta traite mieux ses esclaves que d'autres îles, et pousser lesdits esclavages à faire valoir des droits. Nous allons les syndiquer... Et nous allons pour cela faire pression par tous les moyens possibles... tu vois ce que je veux dire, mon ami... »

Notre stratégie était fondée à la fois sur le bon sens politique, la compassion naturelle des habitants, mais aussi leur goût ultra-développé des superstitions et de la série B. Et pour cela, un casting du tonnerre, avec dans le premier rôle, un nouveau venu dénichée par Scarlett aux mains d'or, Solomon le Roi-Momie...
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Le voyage fut riche en enseignements. Tout d’abord en la personne de Shaïness qui lui révéla tant son nom que ses attributions. C’était pour lui une masse d’information assez conséquente. Il identifiait la révolution comme un tout global qui semblait n’être unie que par une volonté commune d’améliorer les choses. Des gens qui considéraient que le système était un carcan qui nuisait au monde, que les lois n’étaient pas faites pour le bien commun. De là, il y avait deux modes de pensée : soit on changeait les choses de dehors, soit on le faisait de l’intérieur. Visiblement elle avait choisi de faire les deux. C’était chose louable. Elle se confia à lui, prenant lentement mesure du peu qu’il savait. Solomon avait un a priori sur la Marine assez évident. Il les pensait faibles et trop malléables. Aussi loin qu’il put remonter, il n’avait jamais apprécié le fond de l’Homme. Soldats, esclavagistes … pour lui c’était la pire chose. Il ne se pensait pas supérieur ni inférieur au reste du monde, et estimait qu’il devrait en être pour tout le monde. Ainsi rejoint-il Shaïness sur son avis quant aux Dragon Célestes. Nul homme ne naissait enchaîné.

De ses propres mots, Solomon ne considérait pas forcément la révolution comme une force suffisante pour lutter contre de tels êtres, mais il pensait qu’un homme pouvait changer les choses après tout. Ce qu’il voulait n’était pas très bien défini. Il désirait aider de son mieux mais ne savait pas encore comment. Il était certain qu’il possédait un bon fond, malgré ses airs patibulaires et ses sautes d’humeur. Rien que de la façon dont il traitait sa monture par exemple. Il espérait ainsi avoir été un homme bon dans son passé, quelqu’un qui méritait d’être connu. Quelqu’un dont il valait le coup de se rappeler. Pour l’heure il allait écrire son propre chapitre, sans considération pour le reste du bouquin. Il avait rejoint ce qui pouvait le plus se rapprocher du ‘bon camp’. Certainement pas le plus facile ni le plus glorieux, mais il n’était pas un pirate ni un vendu. C’était déjà cela.

« Pour l’heure, j’ai juste envie de donner un coup de main. Après on verra. » révéla-t-il simplement à Shaïness.

Ce n’était pas un engagement à vie qu’il proférait là. Il la remerciait de la confiance qu’elle semblait lui apporter, tout en se doutant bien qu’elle ne disait pas tout. Ainsi il ne la poussa pas plus loin. Lorsqu’elle s’essaya à lui soutirer d’autres informations sur son passé, il resta autant sibyllin qu’il l’avait été. Il avait été esclave, puis naufragé et enfin révolutionnaire. Sa vie aurait très bien pu commencer comme cela, après tout. Sauf qu’il s’était révélé être un esclave plutôt réfractaire. Il avait alors découvert qu’il était fort, rapide. Et qu’il avait un don étrange. Il lui décrivit alors comment il avait pu la percevoir, cette façon qu’il avait de sentir le monde qui l’entourait. La vie, les voix. Tout cela ne faisait qu’un. Tout comme le fait qu’il pouvait en général anticiper ce qui allait arriver. Il se livra ainsi bien plus sur ses étranges capacités que sur son histoire. Ainsi, il lui présenta le mantra et il se trouva qu’il le maîtrisait mieux que nombre de ses compatriotes, comme si dans sa précédente vie il avait fait en sorte de pousser ce don aussi loin qu’il le pouvait. Ne pouvant compter que sur cette capacité durant son périple il avait dû la renforcer encore plus.

« Et il y a des choses que je sais faire, mais que je ne peux visiblement reproduire : en combat notamment. J’ai … j’ai une facilité à tuer assez déconcertante. Je préfère éviter de le faire, mais lorsqu’on arrive à me surprendre … » lui confia-t-il, ne trouvant pas utile d’aller plus loin.

Cela pouvait être une menace déguisée, mais non. Juste un trait d’honnêteté de la part d’un homme qui ne savait même pas lui-même l’étendue de sa monstruosité. Lorsqu’on revenait d’entre les morts et qu’on passait ses premières semaines en temps que marchandise, on réapprenait l’importance que pouvait avoir une vie. On était alors beaucoup plus réticent à la prendre. C’était un peu ce qu’il s’était passé pour Solomon. Voilà pourquoi il pensait être un soldat de première ligne de la Révolution. Mais où, quand et comment … mystère.

Puis la ville de tous les vices émergea d’entre les dunes. La momie resta interdite pendant quelques secondes contemplant les immeubles qui perçaient le sable avec insolence. Dans une terre où la nature avait autant de droits, c’était d’un mauvais goût certain. Des palmiers, des jardins. Combien d’eau ponctionnaient-ils ? Combien de choses superflues affluaient dans cette ville ? Il sentait que la discussion avec Shaïness l’avait rendu plus révolutionnaire que jamais. Il s’était calmé et était un peu plus rentré dans le moule qui fut, certainement, le sien auparavant. Reprenant des réflexes un peu plus logiques, il renversa la capuche sur son crâne. Voulue miteuse, elle cachait assez bien sa trogne et laissait ses mains bandées visibles afin de conforter l’image du lépreux venu vivre ses derniers instants dans la ville de tous les vices. Ainsi on ne verrait pas son visage et nul ne pourrait faire le lien.

Ils passèrent l’entrée de la cité. Ce qui effara Solomon fut la rapidité à laquelle des hommes et des femmes vinrent les encercler. Il avait été esclave un temps dérisoire, certes, mais cela lui serra le cœur tout de même. Ici les gens venaient prendre du plaisir, ainsi les esclaves étaient encore plus délaissés qu’ailleurs. Quel meilleur endroit pour raviver la flamme de la révolution ? C’était un bien grand mot, mais il avait son fond de vérité. Lorsqu’ils virent ses mains et qu’il leur expliqua en un mot ce qu’il était, ils reculèrent et préférèrent aller s’occuper de la donzelle qui l’accompagnait. D’un œil entendu, il avança sans l’attendre. Il n’était pas difficile à repérer, ils se retrouveraient sans grand mal. Il confia sa monture contre quelques pièces puis commença alors à flâner. Il finit par s’arrêter devant quelques stands non loin du marché aux esclaves. Il réprima le frisson qui lui courrait le long de l’échine à chaque fois qu’il croisait le regard résigné de l’un d’entre eux, au moment où il était conduit dans le bâtiment dédié. Il ne savait pas pourquoi cela lui évoquait autant de souffrance, mais le fait était là. Peut-être en fut-il un durant son autre vie … Tous étaient huilés afin d'être mis en valeur, puis menés tour à tour à une structure ouvragée. C'était une structure magnifique en soi : statues, arabesques et tout le tintouin. L’endroit affluait de touristes qui trouvaient alors l’occasion de ramener un esclave chez eux. Les crieurs publics s’en donnaient à cœur joie pour rameuter les badauds qui voulaient assister aux ventes à l'intérieur du bâtiment. Cela ne ressemblait que trop à une vente aux enchères où les plus riches faisaient étalage de leur richesse. L’endroit n’était qu’un concentré horripilant de décadence. Même si ces hommes et femmes semblaient mieux traités que dans la galère, ils n’en restaient pas moins inférieurs au commun. Il soupira de dépit, cheminant entre les étoles cramoisies et les esclaves dégarnis. Tous étaient trop vieux, trop faibles ou trop jeunes pour rôtir ainsi sous le soleil d’Alabasta, et pourtant …

« Approchez, approchez ! Ali Bobo et la caverne aux merveilles : meilleurs feux d’artifice de tout le royaume ! » hurla une voix non loin de Solomon.

Celui-ci arqua un sourcil, se demandant ce qu’il pouvait bien faire là. Bah après tout, la cité de tous les excès pouvait bien se le permettre … Il passa devant l’étal sans s’arrêter, puis son regard fut attiré par un étrange attirail. Sans s’en rendre compte, il toucha son gantelet à la lame secrète.

« Ah mon bon monsieur, sont-ce les fumigènes qui vous intéressent tant ? Ah ! Qualité irréprochable. Parfait pour les entrées théâtrales et les spectacles musicaux ! Car bien évidemment, je ne conseille aucune activité criminelle ! » lui fit le marchand.

La momie s’arrêta là, commençant à inspecter les différentes marchandises sous le couvert de sa capuche écru. Il sentit une présence familière se glisser derrière lui. D’un geste de la main, il lui montra ce qui l’avait arrêté là. S’ils devaient faire dans la démesure, pourquoi ne pas y mettre des effets de son et de lumière ? Et de la fumée, surtout de la fumée.
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- « Ça s'appelle le mantra. Ou haki de l'empathie. » l'avais-je renseigné. « Une capacité assez rare, bien qu'extrêmement utile. On dit qu'elle permet de sentir la présence des gens et de lire le futur immédiat. Je la possède à un stade latent, mais je n'ai jamais vraiment su comment la développer, sans me chopper une de ses terribles migraines. » Ma voix avait quelque chose d'interrogatif : est-ce que lui aussi souffrait de maux de têtes ? Ou devais-je y voir la preuve flagrant que je m'y prenais comme un pied ?
Et mon cœur se serra : j'avais imaginé cette scène bien autrement, avec Rafaelo à la place d'un inconnu qui s'ignorait lui-même. Raf qui avait promis de m'apprendre tellement de choses. Raf qui avait souffert plus que n'importe quel autre révolutionnaire que j'avais connu – peut-être parce qu'il était le seul que j'avais vraiment connu. Raf qui n'avait jamais cessé de croire en l'espoir chez l'Homme, en dépit du sang sur ses mains.

Mais là n'était pas la question. Je sentais que Solomon taisait encore des pans de sa vie, tout comme j'évitais d'aborder certains sujets. Je ne pouvais donc pas lui dire directement « mais pour qui me prends-tu ? Un esclave qui sait se battre et qui contrôle aussi bien le haki ? Ce n'est pas crédible ! » Au moins qu'il n'eût été une sorte de gladiateur, un esclave voué au combat. Mais sa maîtrise du mantra et ses aptitudes dont j'avais pu considérer un fragment et dont il m'avait parlé indiquaient clairement qu'il n'était pas l'un de ses esclaves d'arène. Bien trop puissant, bien trop dangereux, bien trop capable de se retourner contre le maître. Idem pour un travail de garde-du-corps.
De plus, s'il avait été mirmillon ou autre... qu'allait-il faire dans cette galère ? Un esclave de cette trempe, même rebelle, ça se vendait à prix d'or, ou ça crevait dans d'atroces souffrances, de préférence sur le sable sous les yeux d'un public hystérique. Il aurait fallu une chance de diable pour être épargné ou confondu avec un autre. Un gladiateur « qui réussissait » était connu. Sa tronche était placardée sur des affiches partout en ville. Même si Solomon s'était révolté d'un stade, en y mettant le feu ou en profitant d'un incendie, il ne pouvait pas s'être retrouvé dans une galère d'esclaves aussi pourrie que celle qu'il m'avait décrite à mi-mot. Soit il me mentait soit il me cachait des éléments clés dans son enquête.
Et seul le temps fera que la confiance s'installerait entre nous.

En attendant, nous avions du pain sur la planche.
Notre arrivée à Rainbase fut comme je l'avais supposée : angoissante. C'était une chose à voir, que cette mini marée humaine qui convergeait vers vous, vous vantant les mérites de tel ou tel hôtel, vous vendant les dernières places de choix d'un show déjà complet, se proposant comme guide plus ou moins de « bonne compagnie ». Tous des esclaves. Certains devaient même supporter la tartuferie ultime : se faire le héraut de la salle de vente d'esclaves, le Silo. Comment pouvaient-ils se montrer si enthousiastes, quand on savait qu'ils étaient responsables alors de la vente et du trafic de leurs semblables ? C'était ignoble.
Solomon s'était éclipsé. Je pouvais le comprendre. Entre son passé, sa nécessité d'anonymat et son caractère... Je me retrouvais seule à devoir affronter la horde sauvage, et j'expédiais ce combat rapidement, non sans avoir appris qu'il y aurait plus tard dans la journée une vente exceptionnelle, dû à un gros arrivage depuis Nanohana. L'homme qui savait parfaitement lire en moi mon intérêt me prit en main. Littéralement parlant : en l'espace d'un instant, Nova avait été confié à un chamelier qui allait prendre soin de lui et je déambulais dans les rues vers les quais de déchargement.

En effet, si Alubarna était la capitale administrative et Nanohana le centre économique d'Alabasta, c'était à Rainbase qu'opéraient les compagnies négrières. Pour alimenter la ville des plaisirs, de TOUS les plaisirs, aussi immondes fussent-ils, et pour approvisionner les grands propriétaires terriens qui cultivaient les plaines fertiles qui s'étendaient en d'immenses champs le long des rives du Grand Fleuve. Je pense qu'il y avait une sacrée couche d'hypocrisie, qui justifiait cette partition. Alabasta était connue pour sa considération envers les esclaves. Mais tenir une salle des ventes à Nanohana, juste sous le nez du premier débarqué allait à l'encontre de cette réputation. Alors qu'à Rainbase, les principaux moraux s'inclinaient devant les impératifs économiques. Loin des yeux (et de la Marine qui n'avait droit de poser le pied qu'à Erumalu et parfois Nanohana pour des escales de ravitaillement), loin du cœur...
Je me tenais ce raisonnement en contemplant les entrailles d'un lourd chalutier de cabotage ouvrir leur gueule obscure et déverser comme une mauvaise bile deux lignes d'êtres aussi disparates que possibles, mais unis dans leur mauvais état général et l'absence de lueur dans leur regard. Liés entre eux par des chaînes, certains entravés plus que d'autres - « des esclaves rétif », m'informa le guide, sans se douter que je l'avais bien deviné toute seule – ils avançaient sous le soleil qui durcissait la croûte de saleté et de sel déposée par le voyage jusqu'ici.
Malgré moi, je fronçai le nez. Qui allait acheter « ça » ? La shoppeuse en moi ne voyait pas l'attrait du produit. D'autant plus que le spectacle détonnait avec le décor du Silo.

Ce bâtiment valait déjà en lui-même un détour. Il dépareillait par une architecture extérieure de style renaissance, en pierre blanche pour un fronton audacieux, des marches et une série de colonnes supportant une arche qui s'arrondissait en dôme pour le corps principal. A côté des bâtiments résolument moderne, de verre et d'acier, le Silo avait un côté « retro », voire « romantique »... Enfin, selon les brochures. Les touristes qui n'avaient aucune notion en histoire de l'art s'ébahissaient, bouche bée, ou avec des « oh » et des « ah », avant de dodeliner d'un air entendu devant les explications de l'accompagnateur. Puis ils se dandinaient en montant les marches pour se prendre en photo sur l'esplanade et enfin, avec l'air de gamins passant outre-mesure un interdit, ou avec l'air important des néophytes allant à l'opéra pour la première fois, prenaient le chemin vers le balcon supérieur pour assister aux enchères.
Le sol étant réservé aux réels acheteurs, et c'était pour ces gens-là une façon de se faire voir. Les dames rivalisaient de chic pour en imposer à ces « marauds de visiteurs » et impressionner les concurrents désirant acheter la même pièce qu'elles, par le luxe de leur tenue, la taille de leur chapeau et donc la profondeur de leur bourse. Les hommes se pavanaient en panama et costume de lin beige, se félicitant mutuellement de leur derniers achats pour cacher la jalousie d'avoir raté la vente qui verdissait leur teint – à moins que ce ne fut les cigares dont ils décoraient leur lèvres molles.
Je me souvenais pourquoi j'avais eu Alabasta en horreur. Ce lieu était une déchéance, une Sodome et Gomorrhe du désert, avec juste un peu de dentelle.

- « Mais ils ne vont pas être achetés, dans cet état, si ? » m'enquerrais-je auprès de mon guide, tandis que nous assistions au défilé des humains, des cornus et des hommes-poissons sous nos yeux. L'indifférence de la foule à cette vue, elle qui se contentait de se séparer pour ouvrir le passage pour se refermer comme la Mer Morte aussitôt le dernier boulet traîné, me choqua tout autant que les cris de haine ou les nombreux quolibets déversés sur les infortunés sur d'autres marchés.
- « Non pas, Miss. Ils vont d'abord être mis en quarantaine. Dix jours entiers, Miss, pour s'assurer qu'ils sont en bonne santé. Ici, il n'y a que le top des produits. Sélectionnés avec soin ! Nous ne sommes pas comme ces autres boutiques. Ici, c'est Rainbase... La ville du luxe et du plaisir. »
Je tus le fait qu'une quarantaine, c'était quarante jours, et que le luxe, ce n'était pas ça, mais une robe en mousseline douce au bustier parsemé de sequins, rendue aérienne par une traîne vaporeuse, mais à la sophistication cachée par les superpositions d'organza et les jeux de borderies. Le luxe, c'était un vase peint main par l'artiste Chi Chu Davendel. C'était un étalon à la robe d'ébène et au cou mariant force et agilité. Ce n'était absolument pas le Silo.
- « Je vois... » et je lui glissai quelques berrys dans la main avant de retrouver Solomon.

Lui aussi avait trouvé le Silo et contemplait le bâtiment d'un air dégoûté. A voix basse, je le mis au courant du « mode d'emploi » et j'indiquai un crieur qui s'époumonait pour promouvoir une série de vente 'exceptionnelle, Messieurs-Dames, une qualité de produits venant des quatre coins des blues et des endroits les plus exotiques de Grand Line, sélectionnés pour votre plus grand plaisir, Messieurs-Dames'.
- « Un peu de reconnaissance avant de mettre notre plan en route ? » lui suggérai-je tout en approuvant son choix de fumigènes. J'avais moi-même encore deux-trois achats à faire. « En se séparant, on ira plus vite, et on sera plus discret. Mais on peut aussi jouer à la bourgeoise et à son esclave abîmé, si tu préfères, au moins pour pénétrer les locaux... »
Je me doutais qu'il n'aimait pas l'idée de devoir jouer les esclaves, mais si nous voulions rester ensemble, il fallait bien justifier notre promiscuité.
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Le mantra ne lui avait jamais causé la moindre migraine. Ce qu’il fallait, c’était savoir quand s’en couper et quand laisser le monde envahir ses sens. Il ne s’était pas posé la question de comment il y arrivait. En général, il perdait simplement sa concentration et ça s’en allait. Comme lorsque l’on prenait conscience de sa respiration et que cela passait des phénomènes nerveux inconscients à volontaires. Il avait essayé de lui expliquer, mais autant demander à un poisson comment il faisait pour respirer sous l’eau. Avec le temps, peut-être … De la même manière, il percevait le trouble qui habitait Shaïness par rapport à son passif. Il taisait le charnier et les soldats, peut-être parce qu’il avait peur de se dénuder entièrement. C’était certainement le meilleur moyen pour lui d’en savoir plus mais en révélant toutes ses origines, il avait peur de la découverte qu’il en ferait. Surtout si elle s’avérait de mauvais augure. Pourtant, à chaque fois qu’ils abordaient un sujet aussi mystérieux, il la voyait se fermer de son côté. Elle acceptait son silence. À lui d’accepter le sien. Et puis, peut-être qu’au fond il ne désirait pas retrouver ce passé-là. Peut-être qu’il espérait pouvoir reprendre à zéro, devenir autre chose. C’étaient là des pans de sa personnalité qu’il ne savait traiter. Connais-toi toi-même. Il lui faudrait du temps pour faire honneur à cette maxime …

C’était là toutes les sombres pensées qu’il ruminait dans les marchés de Rainbase. Les stands luxueux n’étaient pas choses à lui plaire. Il préférait l’infini du désert en métaphore à ce qu’il ressentait au fond de lui. Ici il percevait le vice de la cité de manière décuplée. Shaïness avait parlé de pouvoir prédire le futur sur une courte échelle. Pourtant, il avait l’impression de voir beaucoup plus loin dans les mailles de la société. De voir les fondations s’éroder sous les pieds des nobles et de percevoir la souffrance du peuple décuplée par leur nombre. C’était une main qui vous enserrait la gorge. Comment rester humain face à tant de détresse ? Il se doutait que ce n’était pas son don qui lui permettait de voir cela, mais bien son esprit. Une sorte de regard acerbe sur le monde qui avait été forgé par des années de souffrance et de privation. Mais où, et comment ? Voilà ce qui le répugnait à l’idée de creuser encore plus sur son passé. Il avait besoin de savoir et en avait terriblement peur à la fois. Dès qu’il faisait un pas en avant, il ne désirait plus que revenir sur ses pas. Qui donc fut-il pour avoir autant peur de le découvrir ?

« Non. Je ne serais pas esclave. » grommela-t-il autant pour elle que pour lui.

« Je … j’ai la sensation qu’avant même la galère je … Non. Oublie. » lâcha-t-il avant de lui tourner le dos et d’aller rejoindre le Silo.

Il ne voulait pas l’ennuyer avec ses considérations altruistes. Autant prêcher un converti, il n’arrangerait rien en lui disant qu’il souffrait de voir des gens ainsi enchaînés. Qu’il percevait cela comme un échec personnel qu’ils ne puissent se lever et marcher en hommes libres. Mais pourquoi, bon sang, pourquoi autant d’empathie ? Foutu mantra qui lui prêtait les émotions de ces pauvres hères. Ou alors, pire que ça ? Révolte, sang. Un frisson lui parcourut l’échine. Il porta la main à ses bandages, pris d’une soudaine envie de contempler sa gueule abîmée. Non. Non, pas encore … lui soufflait une voix désincarnée. Ce n’est pas encore le moment. Superstitieux, la momie glissa sa main jusqu’à son poignet où une Corneille Blanche trônait. C’était la même voix croassante que la bestiole d’Hebieso. Du coin de l’œil, il lui sembla alors apercevoir le contremaître à la peau d’ébène. Il se retourna, seul au milieu d’une foule anonyme. Le monde était terne et la couleur jaillissait par à-coups autour de lui. Il posa la main sur son cœur, laissa son don se ternir puis refluer en lui. Crise de panique. Un gamin le regardait, éberlué. Il en avait laissé tomber sa glace sur le sol blanc dallé. Il avait ouvert la bouche, muet de stupeur.

« Dégage, le mioche. » grogna Solomon en tournant les talons.

La fumée se dissipa alors, comme elle était venue. Invisible, insondable. L’enfant raconterait à ses copains qu’il l’avait vu, qu’il avait vu celui que tous pensaient mort : un homme dont une fumée grise s’échappait de lui à chaque pas. Mais personne ne le croirait, c’était normal : qui écouterait un enfant ? Il gagna le Silo en jouant des coudes, capuche sur la tête. Le but était de gagner les sous-sols et de voir ce qu’il s’y passait réellement. La méthode était des plus simples, mais pas des plus subtiles. Des gardes orchestraient la valse des esclaves, triant et redirigeant le tout. D’un coup d’œil en passant par devant la porte ouverte, Solomon avait pu se rendre compte qu’à partir de là, ils étaient parqués. Il lui faudrait juste passer la porte sans se faire attraper. Bon. Il se dirigea vers un groupe d’esclave qui roulait des hanches et susurrait des mots déplacés aux passants. Il farfouilla dans sa poche, attrapant quelques pièces au passage. Quelque chose lui disait que cela ferait l’affaire.

« Beurk … je fais rien aux pestiférés moi … » frissonna la première en apercevant Solomon qui se dirigeait vers elle.

Il leva la main en signe de paix, aligna l’argent.

« Pas de soucis, damoiselle. Je m’en voudrais de vous nuire. En vérité, je viens pour mon maître. Son frère travaille au poste là-bas, vous voyez ? Et bien il se trouve que demain il va se marier … et il aimerait lui faire une petite surprise. » mentit-il, de sa plus belle voix éraillée.

« Je vois, hu hu hu … » gloussa une seconde, s’emparant de la monnaie sans poser les évidentes questions.

Les quatre professionnelles s’en allèrent en roulant des hanches et rigolant entre elles. La momie serra le poing, inspirant profondément. Il ne pouvait rien faire pour elle, inutile de s’en vouloir. Elles allèrent interrompre la file d’esclave et se frotter à l’administrateur. Les soldats tentèrent de les en dissuader mais leurs charmes étaient véritables. Ils ne furent pas distraits trop longtemps, juste assez pour qu’un ombre encapuchonnée ne se faufila derrière eux pour entrer dans les sous-sols du Silo. Il louvoya dans les ombres avec aisance, gagnant un coin à l’abri des regards. Tout ici n’était que cages et poutres recouvertes de goudron. L’arôme écœurant du goudron parvenait visiblement à couper les effluves humaines, tout en assainissant l’air ambiant. Pourtant la momie percevait là l’odeur du bétail humain. Ils restaient esclaves avant tout, malgré ceux qui se voulaient humanistes à Alabasta. Arrivés ici, ils n’étaient pas traités réellement différemment des autres pays. Il gageait même que les plus récalcitrants repartaient sur une galère vers des terres moins clémentes. Il observa discrètement le parcours de l’esclave moyen : lavé, marqué et nourri d’un gruau consistant. C’était là une file qui allait ensuite se regrouper dans différentes cages en fonction de leur âge et de leur sexe. Ce n’était là qu’un état transitoire : les gardes expliquaient en leur devenir aux esclaves et Solomon profitait en même temps de leur enseignement. Ces cages étaient marquées de noms de propriétaires, les négriers. Ces derniers achetaient les esclaves avant même leur sortie du navire et tâchaient de les transformer en chiens de salon pour être vendus au Silo. Les plus beaux, ou dociles, y terminaient pour faire bonne figure devant les touristes tandis que les autres trouvaient des acheteurs avant même de sortir de l’isolation des sous-sols du Silo. Ecoeurant.

La première pièce où ils ressemblaient à du bétail n’était qu’un état transitoire le temps de tous les identifier et les acheminer. C’était le dégrossissage des esclaves. Ils les préparaient à leur suite, ventant les bienfaits d’Alabsta et leur confiant qu’ils seraient bientôt heureux. Comment devenir heureux lorsque l’on n’a plus de liberté, lorsqu’on est considéré moins qu’un humain ? Ils étaient envoyés dans une pièce annexe par la suite. Cela passait du camp misérable au taudis. Puis du taudis à un dortoir. Il voyait bien ce qu’Alabasta faisait. Ils montraient aux esclaves qu’ils étaient différents, qu’ils seraient plus heureux avec eux. Ils essayaient de faire en sorte qu’ils renoncent d’eux-mêmes à leur liberté. Tout cela se passait généralement en douceur, la plupart s’étant déjà résignée, mais certaines fois les coups de fouets pleuvaient. La menace extrême en cas de refus ou de violence récidiviste était le retour sur les galères. Il fallait croire que c’était efficace pour calmer les plus téméraires d’entre eux, ceux qui n’étaient pas encore repartis dans les galères dès le départ.

Solomon ne pouvait pas se faire passer pour un esclave à cause de ses bandages. Il ne pourrait pas être ‘vendable’ ainsi. De ce fait, il prit l’initiative de ne pas suivre cette ligne du plan. Il était vrai qu’ils étaient bien traités de manière générale. On les observait avec soin, mais toujours avec cette distance qu’un homme pouvait avoir avec un animal. Il n’y avait pas une once de considération dans les yeux des soldats. Ici, ça sentait la servitude et la mort. C’était une odeur insoutenable. Quelque part, il enviait Shaïness qui se prélassait à l’étage. Les sous-sols du Silo étaient gigantesques. A tel point que plusieurs centaines d’esclaves transitaient quotidiennement par là. Ceux qui arrivaient, ceux que l’on préparait puis ceux qui étaient ‘prêts’ à la vente. Des négriers passaient régulièrement inspecter leur marchandise future et bien souvent, les esclaves ne voyaient pas véritablement le sol marbré du Silo. Seuls les plus beaux, ceux qui présentaient la meilleure plus-value avaient cet honneur. À entendre les gardes, il comprit que c’étaient en général ceux-là qui partaient pour les hautes sphères. Le pire qu’il pouvait arriver à un esclave étant de servir dans les mines. Certes, ils avaient horaires, logement et nourriture mais aucun n’en ressortait vivant : une belle fortune que voilà. Etait-ce donc là l’envers du décor ? Ils se contenaient d’un ‘mieux’ en se comparant aux autres nations et cela leur suffisait ? Une mort douce était préférable à une mort douloureuse, mais cela restait une mort. Il en allait de même pour l’esclavage. Une colère sourde commençait à gronder en Solomon, faisant trembler ses membres.

« Hey. Retourne dans ta cage. » lui ordonna un milicien qui s’était faufilé derrière lui à son insu, profitant de son état de colère pour échapper au mantra.

La main de la momie vola vers lui et une lame secrète jaillit de sa gaine pour lui perforer le cœur. Le soldat s’écroula sans demander son reste alors que d’un geste, Solomon rengainait sa lame. Sa main gauche était maculée de sang. Il s’essuya comme il le put puis déguerpit sans demander son reste. Il passa par les étages supérieurs et se faufila du Silo trop rapidement pour que l’on s’attarde sur lui. Il essaya de ré-activer la lame secrète, sans succès. Cela s’était fait inconsciemment, et il se détestait pour cela. Il frémit et se mêla de nouveau à la foule. Il devait trouver Shaïness ou il allait de nouveau exploser. Vite. Très vite. Il étendit son mantra, percevant la voix sucrée de l’infiltrée et l’intercepta à la sortie du Silo.

« Il … il faut qu’on s’en aille. J’en peux plus. C’est trop pour moi … comment osent-ils faire cela à des êtres humains ? Je … j’aurais pu les tuer tous … » lui confia-t-il, semblant autant perdu que ses paroles étaient confuses.
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Pendant que Solomon menait l'enquête sur les conditions de vie véritables des esclaves, j'allais inspecter l'envers du décor. Ou l'endroit. Question de point de vue. Pour la révolutionnaire en moi, c'était eux, les riches, les nobles et les visiteurs, qui faisaient office de pantins dans une scène de mime. C'était eux qui, avec leurs fards trop appuyés, leurs rires forcés et peu convaincants, vivaient leur vie comme dans un drame perpétuel. La fille de bourgeoise par contre, admirait avec un rien d'avidité les bijoux, les étoffes, les chapeaux ornés de plumes d'oiseaux rares – toutes ces tenues, même les plus ridicules, dont les fanfreluches auraient raison rapidement du salaire d'un Marine moyen. C'était étrange, de toujours voir la vie sous plusieurs angles. Bon, mauvais, indifférent : les jugements se suivaient et s'emmêlaient, sans jamais me donner la satisfaction de savoir quoi vraiment en penser. Éternelle indécise. Mais je me plaisais à cultiver ce doute. Ce dernier était peut-être la source de ma paranoïa, de mon isolement, mais c'était aussi les fondations de mon honneur, de mon perpétuel questionnement, de mon infinie remise en cause. De ma dignité de Femme.
Et de dignité, j'en avais besoin.

Avec ma tenue de bédouine de sable de pacotille – en dépit de sa qualité et sa résistance à l'épreuve des balles (ou des grains de sable), elle restait quelque chose acheté sur un marché et cela se sentait, qu'il lui manquait ce petit quelque chose d'authentique – je dépareillais. Quitte à choquer, autant y aller jusqu'au bout. Sans coup flétrir, je me mêlais à la petite foule des « grands », dans la Corbeille. La Corbeille, c'était ainsi que le jargon technique désignait l'espace de vente, situé directement sous la grande coupole, et épousant sa forme ronde. Une estrade en demi-lune, dans un bois sombre, un acajou poli par le temps et bruni par le sang, surmontée par une chair d'où officiait le commissaire-priseur. Quelques tables pour les avoués et autres administratifs, puis une barrière qui délimitait l'espace des clients... Que je ne pourrais décrire que comme un subtile arrangement de délicieuses petites liseuses, des tables en fer ouvragés ornés de fleurs fraîches, des chaises et des fauteuils recouverts de velours, une dizaine d'esclaves portant plateau de gourmandises et thé glacé. Ici, on achetait avec passion, mais avec classe surtout. Des familles s'étaient déchirées, ruinées, pour être celle qui posséderait ce jeune esclave castra à la voix si pure. Des omerta avaient été lancées après qu'un clan eut remporté la main mise sur un masseur des îles lointaines. Des amitiés de vingt ou trente ans se brisaient ici. Tout ça « que » pour des esclaves. Mais toujours avec un sang-froid et un maintien admirable, sans hausser la voix ou déranger un cheveu des compliquées torsades épinglées à la nuque blanche et fine.

Mes premiers moments furent comblés d'un anonymat tranquille, mais force fut à ces gens de remarquer ma présence impie parmi eux. Dans le balcon supérieur, où les étrangers se pressaient pour assister à la fois à l'enchère et au spectacle donné par ceux et celles qui se montraient si gracieusement, les chuchotis enflaient et retombaient.
- « Mon dieu, quelle horreur !!! » piailla une femme engoncée dans une robe bustier qui ne lui flattait pas les formes. Par contre, quelle délicatesse dans la broderie ! Combien de temps son esclave-couturière y avait-elle consacré ?
– « Laissez, très chère. Je vais m'en occuper. » se rengorgeait un homme à l'air martial. Je soupçonnais un ancien officier de l'armée royale, qui pensait voir en moi une esclave égarée. « Toi, retourne d'où tu viens. Tu n'es pas à ta place ici. » me fit-il de sa voix de baryton, aux accents infantilisants semblables à ceux employés pour les petits ou les chiens-chiens à sa mé-mère.
Profitant de la surface offerte par l'une des glaces pendante par de fines chaînes d'argent qui reflétaient le plafond arrondi peint à la main, je vérifiai que mes cheveux étaient toujours cachés par mon espèce de turban. Satisfaite, je me lançai dans mon nouveau rôle, avec une voix nasillarde au possible. Une imitation grossière, sur-jouée de l'accent des « bourgeois » de Marie-Joie. Cette foule de riches qui ne pourront jamais faire partie du club très « select » et fermé des Dragons-Célestes, mais qui avaient au moins autant d'argent qu'eux, autant de dédain pour autrui, et de cruauté aussi.
- « Mille excuses, mais vous vous trompez. A qui croyez-vous avoir affaire, mon brave ? » Et je coupai le souffle à tout le monde. Je ne savais vraiment pas qui je venais d'insulter, mais une chose était claire : si le frémissement de sa moustache était à l'égal de mon honneur souillé, j'avais commis un sacré impair. Comme si j'en avais quelque chose à faire. - « Je suis Camenelia Aspoutadour de la Jerradière. » lâchai-je comme si cela allait de soi. Devant leur mine de poisson frit, je m'offusquais. « La célèbre ethnologue, voyons. Invitée d'honneur à la conférence scientifique des arts et des humanités de la Société des Chercheurs de Drum. Maître de conférence à la Eschola de Marie-Joie. Vous savez ce qu'est l'ethnologie, je présume ? » A vrai dire, moi, non. Enfin, pas vraiment. Mais eux tout pareils, donc ça ne gênait personne.

Toute ma science sur l’ethnologie venait d'un article en dix pages consacrée à la collection printemps-été de la styliste à la mode de l'époque, deux ou trois ans auparavant. Agnessia de Damtpierre avait le vent en poupe et avait marqué cette année en s'associant avec ladite Camenelia, pour développer une philosophie vestimentaire, fondée sur la compréhension du vêtement en tant qu'attribut social naturel. Pendant quelques mois, toutes les dames et les pin-ups eurent des conversations totalement éthérées sur le symbolisme de la peau de serpent de leur robe et à quel point cela était en accord avec les vibrations de leur « moi » interne. Ça ne vous choquera pas d'apprendre que cette saison-là, je me suis fournie auprès de jeunes designers qui à défaut d'avoir du génie, n'avaient aucune imagination métaphysique.
Miss Aspoutadour était une scientifique originale. La rumeur la voulait bâtarde d'un haut noble – voire même d'un dragon céleste. Je n'adhérais pas à cette dernière hypothèse, mais cela n'enlevait en rien au personnage, aussi intelligent sur son domaine d'expertise que terriblement « baroque » sur son comportement en société. J'avais eu l'occasion de la voir, la Miss, lors de quelques réunions, et malgré mes capacités d'observation, je n'avais jamais réussi à savoir si elle était moitié-folle, moitié-je-m'en-foutiste-de-vos-conventions-sociales-car-chez-les-grands-singes-etc, ou à moitié en train d'embobiner son beau monde.
Je savais juste qu'elle me fournissait à l'heure d'aujourd'hui une parfaite couverture.
– « Ah oui. Miss Aspoutadour... Bienvenue à Rainbase, donc. » se corrigea rapidement le Colonel, tel que je l'avais surnommé.
- « Miss Aspoutadour de la Jerradière, je vous prie. Nous n'avons pas étudié les cochons de Barnoé ensemble, n'est-ce pas ? »
– « Euh, oui, pardonnez-moi. …. . » Héhé, c'était grand, c'était fort, ça avait de l’embonpoint mais ça n'avait aucune colonne vertébrale.
– « Je suppose que vous venez pour étudier nos requins des sables. » intervint un jeune homme filigrane, avec une chevelure sauvage d'un blond pale. Des petites lunettes rectangulaires lui conféraient un air plus éveillé que les autres. Il hérita donc du pseudo de Céleri. « Une espèce en voie de disparition, je le crains. Mon dernier recensement estimait à moins de vingt individus la population. » Et voilà. « je », « mon travail », « moi ». Ces gens étaient incapables de parler d'autres choses que d'eux. Et dire qu'Adelfius faisait partie de leur tribu.
- « Quand on confond éthologie et ethnologie, on évite de se manifester. Pff, ces blancs becs, aucune culture, aucune manière. » Je ne forçais même pas le trait. Camenelia était infecte avec tout le monde, et clairement agissait comme si elle seule possédait la lumière de la divine connaissance. Et tout aussi clairement, elle ne voulait ni la partager ni même mener la plèbe sur le chemin éclairé de la sagesse. Elle m'avait énervée, mais force m'était d'avouer désormais que j'avais envié sa liberté à dire tout haut ce qu'elle pensait. Après tout, on enviait ce qu'on n'avait pas... encore...
- « Oh, dans ce cas, que venez-vous faire ici ? » questionna presque humblement la première dame. Dindonneau fut son nom de code.
- « Je viens étudier vos esclaves. Il semble qu'ils forment un sous-courant de la culture de la caste que j'ai appelé.... » oui, comment est-ce que je pourrais avoir appeler cette caste, si j'étais savante et Camenelia ? « soumitus zombitus homo et pisca-homo. » Pouah ! Du vocabulaire à coucher dehors mais ça posa un petit effet, sauf auprès de Céléri qui fronçait les sourcils. Ah, forcément. S'il était lui-même scientifique amateur, j'aurais plus de difficultés à le berner. « Ou quelque chose du genre. Je laisse les détails à mes assistants de recherche. Je dois me concentrer sur la matière véritable, le cœur de l'énigme ! Noter et analyser les différences subtiles, savoir si elles sont le fruit d'un effet local ou la fondation d'un symbolisme sociétal anthropologique. » Je n'avais aucune idée de ce que je pouvais bien baragouiner, mais ça cimenta leur admiration – vraie ou fausse – envers moi.
Après quelques paroles de circonstance, j'étais en mesure de les interroger manu milari sur leur vision de l'esclavage, leur comportement vis à vis de ces hommes et femmes, la place qu'ils leur donnaient dans leur famille, leur vie, leur société. Ils m'encouragèrent à assister aux enchères, à venir chez eux faire une étude terrain, argumentant du ô combien ils seraient ra-vis, mais vraiment, très chère, en-chan-tés, de me recevoir et d'apporter une modeste contribution à mes études. J'éludai la question, prétextai devoir aller mettre au propre mes notes et pris congé.

Il était temps. Je pense qu'une minute de plus et j'éclatai de rire tout en arrachant leurs cordes vocales avec la pince à glaçon. Cette pensée m'arrêta. Depuis quelques temps, je me faisais peur : ces pulsions ultra-violentes, ce n'était pas moi. N'avais-je pas, pendant des mois, des années, refuser d'apprendre à me battre, me concentrant uniquement sur des techniques défensives ? Se pourrait-il qu'inconsciemment, je savais alors quel monstre se tapissait en moi ? Était-ce la folie des grandeurs, maintenant que j'étais « puissante », qui pervertissait mon jugement ? Hé, n'avais-je pas torturé Venezio Delgado, un homme qui m'était inférieur en tout ? Oh, je pouvais bien dire que c'était nécessaire pour lui arracher la vérité. Le fait était que c'était la peau que je lui avais arrachée, écorchée pour être exacte, alors que j'avais bien d'autres moyens moins sanguinolents pour faire pression sur lui.
Peut-être était-il temps de comprendre que je n'étais pas différente... non meilleure... que les autres humains. Moi aussi, je succombais à ce mal pernicieux qui s'était infiltré dans la Marine et le Gouvernement : ce sentiment d'impunité né de la domination incontestable sur autrui.

Quand Solomon surgit à mes côtés, je ne pus me retenir et je me blottis dans ces bras. Je savais pourquoi j'avais décidé de lui faire confiance. Parce que je n'avais pas le choix. J'étais en train de devenir mon propre cauchemar et j'avais eu besoin de quelqu'un pour m'aider, pour continuer à me montrer la lumière. C'était un geste fou, désemparé.
- « Si jamais je devenais comme eux, tue-moi. Promets-moi que tu me poursuivras jusqu'au bout du monde pour m'achever. » lui demandai-je le plus sérieusement du monde. « Ils ne sont pas méchants. Mais ils ne se rendent même pas compte à quel point ils sont devenus inhumains. Oh, ils me ressemblent tellement ! » gémis-je en cachant mon visage entre mes mains. « J'aurais pu devenir comme eux ! Tu te rends compte, je pourrais devenir comme eux !!! »
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Pour première réaction, il eut un geste de recul. Il ne l’avait pas vu venir et ce geste l’avait pris au dépourvu. Il essaya de sourire, ce qui donna une grimace atroce, puis finit par resserrer ses bras autour de la jeune femme. Il fronça les sourcils. Le parfum de Shaïness lui chatouilla les narines et son esprit essaya de se raccrocher à quelque chose. Une sensation, quelque chose de flou et de précis à la fois. Un visage, il pouvait presque le … Seul l’instant présent importait. Petit à petit, il avait l’impression de remonter la pente mais toujours le présent se faisait une place au moment le plus inopportun. La tuer ? Tuer. Il n’aimait pas ce mot. C’était simple et terrible à la fois. Inéluctable. La fin de toute chose. Il repensa à la façon dont il avait neutralisé ce garde. La façon dont le geste lui était venu, comment son esprit s’était mécaniquement ordonné pour mettre fin à sa vie. Quelque chose inscrit au plus profond de son esprit. Etait-il l’un d’eux ? Un homme de l’Umbra ? Cela aurait pu expliquer pourquoi il se battait et tuait ainsi, pourquoi il avait tenu à conserver le bracelet. Et s’il avait été un mercenaire engagé par des hommes mal intentionnés ? Par un triste hasard, il aurait pu se retrouver dans le charnier : peut-être n’était-il pas un révolutionnaire après tout …

« Il n’y a aucun risque. Conserve ton but en ligne de mire et continue de regarder ton reflet droit dans les yeux tous les matins. Ça ira. » fit-il, masquant au mieux son trouble.

Si c’était ça, sa réelle histoire, il n’avait aucune envie de la retrouver.

« Dis. Si jamais je découvre que je suis … étais un sale type, tu feras de même ? » laissant percevoir à Shaïness une légère faille dans son armure.

« ‘fin bref. Tu n’es pas devenue comme eux, preuve que tu ne risques pas de le devenir de si tôt. Mais je veillerai à ce que cela n’arrive pas. » fit-il, avant qu’elle ne réponde à sa question.

Puis il rompit le contact et lui tourna le dos. Chacun avait ses démons, et même lui avait montré une parcelle d’humanité. La momie se gratta la tête, souriant doucement. La suite du plan n’était pas des plus aisées.

« On a du pain sur la planche, le Roi-momie doit sortir une dernière fois de sa tombe … » soupira-t-il, soupesant les fumigènes qu’ils avaient acheté.

A partir de là, tout ne serait qu’investigation. Leur but était assez simple en somme : il leur fallait apprendre comment fonctionnait la ronde des esclaves. Il leur fallait trouver un moment et un endroit où frapper. Un moment où maîtres et esclaves seraient assez nombreux et réunis. Un endroit où tous pourraient le voir. C’était un plan audacieux qui misait intégralement sur la petite réputation que s’était faite Solomon à travers ses différentes mésaventures. La duperie et la mise en scène étaient des armes puissantes … Cette phrase lui faisait bizarrement écho. Dès lors, Shaïness et lui disparurent de la circulation, se fondant dans la masse et en apprenant un peu plus sur les coutumes locales. Solomon, quant à lui, faisait de son mieux pour cacher son visage et ses blessures. Il devrait se faire oublier pendant quelques jours afin que tout soit pour le mieux. Ainsi ce fut principalement la demoiselle papillon qui mena le plus gros de leurs investigations. La momie, quant à elle, se renseigna plutôt sur l’histoire du pays afin de s’imprégner tant de sa majesté que de ses sables. À tel point qu’il se crut presque alabastien au bout d’un moment.

Ils en finirent par trouver l’endroit idéal, alors que les tensions et les remous causés par leurs différentes actions commençaient à retomber. C’était un endroit non loin des abords du désert, une sorte de place forte où des compétitions étaient régulièrement organisées entre les esclaves, réunissant au mieux plusieurs centaines personnes dans les gradins. Les maîtres mettaient en lice leurs meilleurs éléments pour le plaisir du public et il y avait là une foule incroyable de toutes sortes : esclaves sportifs, esclaves d’entretien, esclaves d’apparat etc. chacun avec leurs maîtres respectifs. L’endroit était visiblement réputé car de nombreux paris y étaient organisés, avec la certification que les esclaves étaient heureux et mis en valeur. Une exposition canine aurait eu les mêmes prétentions. Pendant la nuit, les deux compères préparèrent le terrain puis, une huitaine de jours plus tard, ils passèrent à l’action. C’était un vendredi après-midi. Il faisait chaud.

Le stade était plongé dans un brouhaha incessant. Des esclaves huilés faisaient leur show devant des familles entières, et les adolescentes fondaient devant le charisme de tel ou tel champion. Les maîtres de maison se chamaillaient pour leurs favoris comme ils l’auraient fait d’une réelle équipe de sportifs. C’était là un bruit incessant ponctué de hourras ou de sifflements en fonction des différents succès. Le stade Nefertari, puisque c’était son nom, accueillait bien plus de locaux que de visiteurs. La cité de Rainbase était celle de tous les vices après tout, et ici trônait les vices du jeu d’argent, du pari. La plupart des gens qui venaient là étaient des propriétaires conséquents qui comptaient à leur actif plusieurs dizaines d’esclaves. Se trouvaient aussi des gens du commun que le seul concept avait attiré. Les jeux ne prenaient place que le matin et en fin d’après-midi, à cause du Soleil ravageur. La fin d’après-midi était en général l’endroit de plus grande affluence. Le moment était venu. Dans l’ombre, Solomon fit signe à sa comparse que tout était en place. Il se sentait comme l’un de ces esclaves allant pavaner devant ces imbéciles. Il activa le haut parleur qu’ils avaient caché sous ses oripeaux puis fit éclater le premier fumigène. Ils avaient dû s’en procurer plusieurs dizaines pour arriver à réaliser leur petit cinéma.

Le fumigène commença à exhaler une fumée diffuse qui prit rapidement en consistance. Elle gonfla puis d’autres éclatèrent, donnant l’impression qu’une masse informe prenait place au milieu du stade. Un nuage opaque et boursouflé au sein duquel on put apercevoir une forme sombre au milieu. Le brouhaha prit fin et un silence glacial s’empara des gradins. Les esclaves s’arrêtèrent, scrutant la masse d’un œil apeuré. De son Ankh, la momie dissipa la fumée devant lui, dégageant l’espace par un mouvement d’air. Il se révéla ainsi au public, habillé des atours de l’antique Pharaon. La fumée gagna en opacité derrière lui, montant dans le ciel à n’en plus finir, couvrant le soleil et l’entrée du stade. Les natifs blêmirent. Ils avaient tous entendu la rumeur. Un enfant pleura.

« Où est donc mon peuple ?! » tonna la voix de l’antique Pharaon, amplifiée à travers tous les hauts parleurs du stade.

La voix grésillante rajoutait une dose de mystique à la mise en scène, comme si la magie propre du Roi saturait la technologie. Ce n’était qu’un réglage.

« Où est mon peuple ? » rugit-il, faisant frémir l’assemblée.

Il avança, la fumée le suivait.

« Où sont ceux dont le sang nourrit le sable de mon pays, ceux dont le sang fait germer ma terre ?! » tempêta le Roi-momie, levant son Ankh vers le public.

« Ma terre est souillée par ceux qui volent mon peuple, ceux qui tuent et exploitent les véritables Alabastiens ! Que l’on me rende mon Royaume et que l’on bannisse ces calomniateurs ! JE SUIS SEMONSKHET, le seul et véritable Roi d’Alabasta ! Les esclaves sont mon sang et ma chair ! Et vous, qui êtes-vous, odieux profiteurs ?! Tout homme qui n’a pas saigné et sué sur les chantiers n’est pas digne de marcher dans mon Royaume ! L’opprobre qui vous habite n’a d’égale que votre infamie ! Vos manigances, votre impudence à dénigrer les propres constructeurs de ce royaume m’ont tiré de mon sommeil, et je réclame vengeance ! N’oubliez pas où se trouve le véritable cœur d’Alabasta ! » rugit-il, levant haut son poing.

La fumée s’étendit tout autour de lui, puis les extrémités remontèrent à son geste, l’accompagnant de leur étreinte grisâtre.

« Err’uchen ! Ich’bellli, kan’jrahla yuthendam ! » proféra-t-il, tirant des cris d’horreurs aux mères de famille.

Puis il baissa son poing, vibrant de la propre hargne de son discours. La fumée tournoya et se referma sur lui comme une mâchoire avant de se dissiper et de laisser un terrain vide, débarrassé du mort-vivant vengeur. La foule resta interdite, ne sachant comment prendre ce triste présage. Le sacré de l’évènement avait amplifié l’effet de mise en scène et nombreux étaient ceux qui tremblaient de peur à présent …
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Il ne m'avait pas laissé le temps de répondre, parce que je savais qu'il fuyait. Non pas ma réponse, mais la question en elle-même. Solomon avait osé questionner l’indiscutable, un peu comme un enfant qui demande à ses parents si la fée des dents existe vraiment, terrifié à l'idée d'obtenir la réponse qu'il pressent au fond de lui. Mais même si les adultes ne répondaient pas, le mal était déjà fait. Énoncer à haute voix sa question, c'était douter et c'était donner une accroche bien réelle à ses angoisses. Ce qui était jusqu'alors tu en soi, était désormais déployé au grand air.
- « Bien sûr que je mettrai fin à tes jours si tu redevenais un homme mauvais. Mais pour le moment, tu as eu une seconde chance et tant que tu n'auras pas conscience des crimes que tu aurais commis, tu es innocent à mes yeux. » Car telle aurait été ma réponse, s'il avait voulu l'entendre. Mais Solomon n'était pas prêt à accepter ne serait-ce que la possibilité qu'il eût été un homme aux actions déplorables.

Et le présent se succéda à lui-même, tout comme le futur d'hier est le passé de demain.
Un tourbillon de questions, de ballades au gré du vent pour dissimuler une filature ou une observation d'un lieu précis. Nous avions trouvé un logement temporaire dans les « bas quartiers touristiques » de Rainbase. Nous étions loin des palaces comme celui qu'Ange aurait dû créer pour aller avec son casino, mais tout aussi éloignés des maisons des autochtones. Le seul avantage réel à notre résidence se trouvait dans sa proximité avec le quartier commerçant, et nous pouvions donc bénéficier de l'anonymat de la foule. La foule des touristes ne pouvant se payer une suite cinq étoiles et celle des locaux soutirant le plus de berrys à la première.

Au fur et à mesure que nous récoltions nos informations, nous échafaudions des plans qui partaient parfois dans le délire total. C'était bien, d'avoir une autre vision des choses, de confronter les avis. Certes, nous nous poussions à la surenchère, mais cela finissait généralement par un éclat de rire quand nous réalisions la portée de ce que nous étions en train de dire. A quand remontait la dernière fois que j'avais ris en mission, qu'elle fut pour le compte du gouvernement ou de la révolution ? Trop loin pour que je m'en souvinsse, en fait.

Les occasions pour frapper ne manquaient pas. Mais ce que nous voulions faire ne pouvait souffrir l'échec ou même l'erreur. C'était le coup d'une fois. D'une vie. Non, de milliers, de millions de vie. Nous ne pouvions pas nous planter, surtout au cœur de ce désert aride, où rien ne prenait. Pourtant, nous les sentions avides, ces populaces. Ça germait, ça bulbait, dans tous les coins. Alabasta, terre de tous les mystères. Rainbase, ville de toutes les illusions. Le creuset était idéal, il ne nous restait qu'à y amener les conditions favorables à la croissance de ce que le gouvernement se plaisait à qualifier de mauvaise herbe.

Notre choix se porta finalement sur le stade Néfertari. Le nom était trompeur, car les épreuves qui s'y déroulaient n'étaient pas que sportives, bien qu'il s'agissait du gros des numéros. Les gérants prenaient des paris sur absolument tout : concours de lutte en tout genre mais aussi concours de chant, de cuisine, d'arrangement floral, de dressage de chiens. Les esclaves défilaient pour faire étalage de leur talent, même le plus ridicule, et bataillaient férocement pour obtenir le titre de « meilleur de sa catégorie ». Oh, ils en étaient fiers, de leur coupe, médaille, ruban... à leur en faire oublier le grand prix, celui sur lequel leurs yeux auraient dû être fixés.
Mais le tout était dans une ambiance bonne enfant, avec des propriétaires qui se pavanaient comme des paons, comme si c'était eux, avec leurs dix doigts et leurs corps, qui s'étaient produits dans l'arène. Nous étions loin du clichés de patrons cruels, n'attachant aucune humanité à leurs esclaves, faisant fi de leurs douleurs, de leurs sentiments, les traitant bien moins gentiment qu'aucun de leurs animaux. Oui, animaux était le mot-clé. Ici, j'avais l'impression d'assister à un défilé de caniches et loulous de Poméranie, bien toilettés, bien dressés, qui donnaient la papatte et étaient ravis de satisfaire, se trémoussant avec joie à la vue du susucre.
L'endroit parfait !

Jour J, heure H, endroit E.
Solomon déclencha ses fumigènes avec un sens de l'à-propos remarquable. Il avait caressé ses boules toute la semaine, impatient de montrer ce dont il était capable, comme un gamin qui n'avait qu'une envie : faire voler sa maquette alors que la colle n'était pas sèche.
J'étais dans la foule, habillée comme le reste des spectateurs, mes cheveux encore une fois bien cachés sous un premier foulard puis l'habituel turban-châle. Ce n'était pas le moment de reprendre des risques débiles !!! Il avait été convenu que Solomon agirait quand bon lui semblerait. Aussi son entrée magistrale me surprit tout autant que les autres, et mon mouvement de recul, avec un cri et une crise de toux – saleté de fumée – fut absolument convaincante. Et j'assistais à son discours avec des yeux gros comme des soucoupes. Ce n'était pas tout à fait ce que nous avions prévus. Je suppose qu'il avait brodé selon l'inspiration.

Quand il disparut, le silence tomba pendant quelques secondes, avant qu'un cri de peur presque paniqué n'agît comme une décharge électrique sur l'assemblée. Partout, c'était le chaos naissant, des bruits de bousculades et de cris d'au-secours. Ça, par contre, j'aurais dû le prévoir et je m'en voulais d'avoir penser que les Alabastaniens seraient moins crétins --- pff, on parlait de gens qui croyaient au retour du Roi-Momie... qu'avais-je espéré ? Un miracle ?
Je sautai de gradin en gradin, semant au passage des minis bombes fumigènes à retardement. Là, la dernière ligne droite. Finalement, il y avait quelque chose d'excitant à travailler sous pression, le stress devenant une source d'inspiration. Au bout du compte, je me retrouvai sur la rangée la plus haute, là où deux esclaves actionnaient une sorte de gong de bronze pour signifier le début et la fin de chaque épreuve. Ils étaient tous les deux figés sur place, l'un regardant fixement l'endroit où Solomon avait disparu – tiens, comment avait-il fait ? Ah, le coquin, me cacher un tel tour de passe-passe, qui me serait bien utile, pourtant ! – le second contemplant d'un air effaré la foule qui se carapatait. Personnellement, sachant qui était le Roi-Momie, je trouvais tout ça très désopilant, et j'entendais presque une musique de cirque accompagner les circonvolutions des braves citoyens. Pour l'esclave, ça devait être la première fois qu'il devait rigoler depuis son arrivée dans le coin.
- « Faites sonner ! » leur demandais-je d'une voix forte pour couvrir le brouhaha et capter leur attention. « Sonnez fort et longtemps. »
Et ils obéirent. A force de recevoir des ordres, sans se soucier de qui ils provenaient ? Ou parce qu'ils trouvaient que c'était une idée comme une autre et peut-être même meilleure ? Aucun moyen de le savoir mais deux, trois, quatre coups et encore plus retentirent et résonnèrent. Après les premières frappes, je fus comme sourde, noyée sous la résonance et ce fut en muet que je vis les spectateurs se tourner vers moi, dont la silhouette se découpait clairement.
Ma voix n'eut aucun problème à porter au plus loin du Stade. Ce n'était pas pour rien que le gong avait été placé là. Cette fois, je me souvenais des grandes lignes de mon discours, à la différence d'Erumalu où la pression m'avait vidée de toute logique.

- « Arrêtez !!! Il ne faut pas fuir !!! Calmez-vous, et réfléchissons ! Si le Roi Semonskhet est revenu d'entre les morts pour nous parler, il faut lui accorder toute notre attention. Car nous avons été choisi. Tous ici, nous sommes désormais les témoins de sa volonté et nous avons le devoir de rapporter son discours, et de faire en sorte que tous entendent et puissent être guidés.
Car c'est de cela dont il s'agir. Semonskhet n'a pas caché sa colère, et sa déception. Mais il n'a pas parlé de vengeance et de malédiction. Pourtant, terribles sont ses pouvoirs ! Non, il a choisi de nous avertir, et je n'ose pas penser à ce que ça a dû lui coûter, que de quitter le repos éternel pour fouler de nouveau la terre des vivants. Son amour pour nous est aussi grand que notre mépris pour son héritage.
Rappelez-vous ! Semonskhet le Bon! Surnommé ainsi car il a su faire le sacrifice des dizaines de milliers d'esclaves et d'habitants pour réaliser le pari fou de faire d'Alabasta une terre fertile et une civilisation imposante. C'est à lui que nous devons les constructions les plus emblématiques d'Erumalu et d'Alubarna. C'est lui qui a posé les fondations de notre armée royale, connue désormais à travers Grand Line pour sa probité et sa puissance, elle qui nous protège de tous les maux. »

Solomon et moi n'avions pas choisi au hasard. Des rois anciens, il y en avait une ribambelle, et nous ne manquions pas d'options. Si nous avions préféré cet obscur personnage, très, très ancien – le premier de sa lignée en quelque sorte... – c'était parce que les zones de floues nous permettaient d'interpréter et réinterpréter les faits historiques. Ces derniers faisaient état d'un roi réellement toqué. Ou empli de visions. Le désert lui aurait-il parlé ? Je ne sais pas. Il serait mort la bave aux lèvres dans des convulsions assez atroces, que ça ne m'étonnerait pas. Il n'en restait pas moins mort et enterré, et ça nous arrangeait. Ceci dit, il était mort, mais pas avant d'avoir conquis des terres arables sur les sables et avoir entre autre, découvert le plateau rocheux qui allait devenir la capitale, commencé à creuser les canaux d'irrigation qui sillonnaient les champs le long du fleuve et dressé les tours de veille de Katorea. Pour cela, en effet, il avait impliqué son peuple dans des travaux gigantesques, et des masses entières avaient succombé de maladie, de froid, de chaud, de coups de fouets, esclaves ou non. Car les citoyens avaient été contraints à travailler pour « le bien de la nation »... travailler ou payer des sommes exorbitantes au trésor royal. A son époque, Semonskhet était le seul riche du coin.

- « Il a fait tout ça pour faire de nous une civilisation d'esprits éclairés. Tellement éclairés que jamais nous ne nous sommes comportés en despotes. Nous avons répandu notre savoir, notre sagesse, mais jamais n'avons-nous chercher à dominer ! Rappelez-vous qu'alors qu'Alabasta rayonnait de prospérité, envoyant des vaillants explorateurs sur les flots, les autres nations en étaient encore aux balbutiements de leur genèse. Mais jamais nous n'avons porté la main sur autrui, si ce n'était pour nous défendre !»
Ce n'était pas totalement vrai, car il avait eu des ambitions conquérantes, le Sem-sem, mais elles avaient avorté dans l’œuf assez rapidement. Donc Alabasta n'avait jamais été un Royaume avec des colonies très étendues. Mais ça, je n'allais pas en parler.

- « Et aujourd'hui, le roi Semonskhet vient nous avertir qu'il était temps de prendre les armes, de nous défendre... Mais contre quelle menace ? Je n'en vois qu'une. Nous-mêmes. Il parlé d'une nation d'esclaves, car nous sommes tous des esclaves devant la Mort et l'Honneur. Nous devons courber le dos devant les Grands Interdits et respecter la Volonté de nos Pharaons. Ils nous ont voulu constructeurs, faiseurs... et nous, nous nous sommes fait destructeurs. Nous sommes du sang de ceux qui suent et gagnent par leurs actions leurs places dans un Royaume de paix, en œuvrant pour le plus grand bien... pour le bien de tous.

Et voilà que Semonskhet vient nous parler. A nous. Ici, dans ce stade. Il nous a mis en garde, tous autant que nous sommes. Il nous a tous jugé coupables ! Hommes et femmes qui aimons ce Royaume, que nous soyons esclaves ou citoyens, devant le jugement de Semonskhet, nous sommes égaux. Et nous sommes fautifs d'avoir tourner le dos à notre héritage.
Notre héritage : Alabasta.

Hommes et femmes d'Alabasta ! Nous avons fui la sagesse et la bonté qui caractérisent notre peuple.
Nous avons laissé les autres nous emplir la tête de mensonges ! Ces croyances selon lesquelles un homme peut être jugé inférieur à son semblable. Ces croyances selon lesquelles des « maîtres » peuvent jouer à être un dieu, en décidant de la vie et de la mort.
De nos jours, nombre d'entre nous errent dans l'erreur. Car tout le monde a droit a une seconde chance, la chance de vivre dans la paix et la lumière.
Et grâce à Semonskhet, nous sommes à présent libérés de nos peurs, oppressions et préjugés. En ce moment même périssent par la volonté de notre Histoire, tous ces « maîtres » qui s'étaient imposés à nous, cette race maudite créée de toute part par des paresseux et des orgueilleux. Les « maîtres » sont une création démoniaque, issue du Monde des Ténèbres, dotée de pouvoirs maléfiques pour nous dominer. Seule la magie de nos Pharaons les ont tenus à distance jusqu'ici.
Ces maîtres sont nos ennemis !!! Ils doivent disparaître, et cela avant tout dans notre cœur. Nous sommes libres. LIBRES !! Oui, nous sommes libérés ! La tyrannie honteuse dans laquelle les habitudes et les mauvais exemples nous tiennent depuis des siècles doit s'achever. Voici venu pour nous le moment de reconquérir notre dignité d'homme. Celle avec laquelle tout homme et femme naît. Nous sommes à présent maîtres, mais tous maîtres, et maîtres de la seule chose qui compte : notre destinée.
Nous devons, ensemble, anéantir ces fausses idées, cette presque religion, et arracher le voile obscur qu'elle fait tomber sur le monde, et qui le conduit peu à peu à sa perdition. Regardez autour de vous ! La haine et la suspicion a déjà commencé à recouvrir votre vie. Bientôt, cette paix ne connaîtra plus le bonheur. Une nuit sans fin, une nuit de haine, s'emparera d'elle.

On cherche à nous diviser, alors que c'est dans l'union que se bâtit tout trace de l'Histoire. Celle qui dure, celle qui marque. Aujourd'hui, écrivons l'Histoire. Que ce qui a été brisé, soit relevé, et comme un phénix, renaisse de ses cendres. Mettons un terme à cette différence qui nous oppose. Mettons chaque homme et femme sur un pied d'égalité, et laissons la vie, le courage et la vaillance prouver la valeur de chaque individu. Une nation riche de ses différences, mais une nation riche d'autant de frères et de sœurs.
Esclaves, regroupez-vous, et faites entendre la voix de la raison à vos frères. Expliquez-leur vos souffrances. Alabastaniens, regroupez-vous et prêtez l'oreille à vos frères. Comprenez qu'en traitant vos semblables ainsi, vous vous abaissez à ce qui n'est pas digne de vous.
Que les coupables de crimes soient punis, oui. Que ceux qui ont menti et tué souffrent dans leur chair comme dans leur âme. Mais chacun doit pouvoir naître libre et égal, devant la vie, la liberté et la justice. La justice de l'Homme, la justice de Tous, et non pas de ceux qui se sont montrés inhumains... Une majorité qui se soumet à une minorité ? Noyé au sein de la masse, l'homme doux et pacifique ira à l'encontre des propres convictions, par peur de se singulariser. Il finira par hurler à la mort comme les autres, parce qu'autour de lui s'établira cette espèce de « normalité ».
S'il faut une révolte, qu'elle vienne de nous tous, contre l'ennemi véritable. Mais ne l'imitons pas. Ne répondons pas à la haine et au sang par la violence et la guerre. Soyons dignes de nous-mêmes, dignes de notre courage, de notre passion, de notre abnégation. Cet altruisme, cet humanisme, faisons-en notre bannière. Celle des marcheurs pacifiques, qui font, plus que de défaire. Défaire des familles et des vies. Soyons tels des agriculteurs : semons et récoltons, plutôt que des barbares piétinant les civilisations. Ne laissons pas la loi du plus fort avoir raisons sur la force de l'âme ! »


L'un des deux esclaves au gong se leva alors, et brandissant son poing, clama d'une voix tonitruante :
- « Vive Alasbasta !!! Vive MON pays !!! Je veux pouvoir dire qu'il est MON pays !!! Vive Alabasta !! »
Le cri fut rapidement repris, par mimétisme de foule, d'autant plus que tout bon citoyen ne pouvait se trouver des excuses pour ne pas acclamer sa propre nation. Or, ici, au stade Nefertari, il n'y avait que des gens qui se targuaient d'être bien sous tout rapport.
Je n'avais pas compté sur cet homme. En fait, j'avais totalement oublié son existence jusqu'à ce qu'il parlât. Cela ne m'empêcha pas de tomber dans ses bras :
- « Mon frère !!! Je compte sur toi pour rendre Semonskhet fier de nous ! » m'écriais-je, avant de reprendre dans un murmure : « Si tu veux être libre, il te faudra t'armer de patience, mais ne pas perdre espoir. Agis, sans violence, mais détermination. Demande à tes maîtres de te libérer, de faire de toi un citoyen d'Alabasta. Prouve-leur que tu es Alabastien de cœur, jure sur la tombe des Pharaons passés que tu seras un homme loyal, amène tes compagnons à faire de même, et bientôt, votre statut sera celui d'une caste à part. A vous de faire les choses après. Mais surtout, pas de violence ! »

Il voulut ouvrir la bouche pour sûrement me questionner. Je voyais dans ses yeux toute la surprise que mon message provoquait en lui. Mais je vis aussi qu'il avait compris. Peut-être pas tout, mais suffisamment. Le reste viendra plus tard, car le message de Solomon/Semonskhet se sera répandu comme poussière dans le vent, et que mon petit discours aura été repris, embelli, transformé, commenté.
Mais nous fûmes coupés par une explosion dans les entrailles du Stade. Comme si cela avait été prévu et pile à l'heure. Afin de me permettre de m'échapper, Solomon avait pour mission de provoquer une distraction pas trop loin de l'arène. Je ne savais pas ce qu'il avait traficoté, mais cela eu son effet : les visages se tournèrent vers la source du bruit et de la fumée... fumée qui fut rejointe et agrémentée par celles des mini-bombes fumigènes que j'avais précédemment semées, et qui explosaient à leur tour.
Profitant du trouble et des lourds nuages gris qui pour le coup provoquèrent des crises de toux à qui-mieux-mieux, je m'éclipsai. Dans la pénombre d'un couloir, je défis rapidement mon turban-châle pour le retourner. Maintenant, difficile de me repérer, puisque je n'étais plus vraiment la même.
Et je sortis du Stade... juste à temps...
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Il n’en apprit pas autant qu’il en attendait, sinon cette désagréable sensation de savoir de quoi Shaïness parlait, mis à part la blague vaseuse qu’il n’avait pas vraiment comprise. Il ne fut de plus pas étonné par la réaction de Sonny car il avait lui-même vu le bazar ambiant de Rainbase suite à son apparition et comprenait que le chef de la cellule locale, du moins c’était ainsi que la donzelle papillon le présentait, fut inquiet. Il percevait la voix rendue criarde par le denden avec amusement, se demandant ce qu’il aurait fait à sa place. Certainement la même chose, ou pire. Qu’un furibond vienne empiéter sur son chemin, et il lui ferait comprendre qu’il n’était pas un drôle avec qui il pouvait jouer. Tch. Encore cet esprit vindicatif qui lui hérissait le poil. Il aurait donné cher pour revoir Hebieso, et plus encore. Ce foutu contremaître qui l’avait propulsé dans tout cela.

Les charmes féminins n’étaient pas son fort, et il n’en comprenait d’autant pas les réflexions de Shaïness. Son besoin des parfums, de s’habiller, de jouer avec son chameau. Ainsi il l’attendait sans bruit, se contenter de hocher de la tête lorsqu’il lui semblait qu’elle lui demandait son avis. Il trouvait décidément ce voyage bien long et plusieurs fois se surpris à se demander s’il n’aurait pas mieux fait de lui prendre son denden pour contacter directement ce Sonny. Mais il se rappelait alors qu’elle l’avait aidé et l’avait secouru. Elle était ce qu’on pouvait appeler une amie, alors il ne devrait pas se comporter avec elle comme il l’aurait fait avec un pékin lambda. Une notion de respect ou d’attachement peut-être. Il n’était plus seul, et il se souvenait ce que ça lui avait fait lorsqu’il avait compris qu’ils chemineraient ensemble. La sensation qu’il en retirait. Plutôt sympathique à vrai dire.

Les jours se succédèrent sans nouvelle allusion à l’ami révolutionnaire de Shaïness, toujours dans la même routine. La donzelle qui dormait auprès du feu, sous sa tente, et la momie qui montait la garde pour cause de son manque de sommeil. Il en profitait pour nettoyer ses plaies à l’abri de son regard, changer ses pansements. Le couvert de la nuit l’empêchait de se voir lui-même et c’en était parfait. Il sentait que ses cheveux repoussaient, qu’une barbe inégale se propageait sur ses traits. Son œil lui faisait toujours terriblement mal, ainsi il le protégeait de la lumière. À présent, on pouvait apercevoir sa peau entre les bandes relâchées, mais rien de plus. Quant à son bras gauche … Il refusait d’y toucher. Il ne l’avait fait qu’une fois. C’était devenu la raison de bien des cauchemars. Lui-même penchait pour une malédiction, une sorte de blessure purulente qui générait une fange gazeuse qui lui recouvrait le bras. Quoi qu’il en fût, il garda l’horreur de la vue de son corps mutilé aux yeux de la jeune femme tant préoccupée par la beauté et les apparences. Vingt contre un qu’il la choquerait jusqu’à la fin de ses jours …

Ils finirent alors par arriver à Yuba, sous les conseils avisés dudit Sonny. C’était visiblement une ville fantôme. Enfin, c’était ce qu’il avait cru comprendre car une activité sans nom y régnait et une population disparate avait envahi les lieux. Des tentes, des enfants et des femmes. La musique trônait entre les différentes huttes, et les danseurs se disputaient les faveurs de tels ou tels artistes. Un endroit un peu trop animé pour une ville morte. Des tentures s’étendaient de toits en toits, timide simulacre d’une cité détruite par la rage du désert. Au-delà des hères festifs trônaient les échoppes et quelque chose qui pouvait ressembler à une ville tout ce qu’il y avait de plus banale. On se serait cru dans la ville désertique de base que l’on finit par traverser dans tout rpg digne de ce nom. Au détail près que ces nomades là étaient plutôt de la veine chauvine, et des étrangers, cela se remarquait rapidement. L’arrivée de Solomon et de Shaïness ne passa pas inaperçue et elle dut paraître incongrue car la rumeur de leur arrivée s’amplifiait au fur et à mesure de leur arrivée. Les enfants tournaient autour d’eux en riant, les parents les haranguaient dans un dialecte inconnu pour les sommer de rentrer à couvert.

« Cela commençait à m’étonner que tout le monde parle la même langue à travers l’ensemble de ce monde … » grommela la momie pour elle-même, se confrontant pour la première fois à la barrière de la langue.

Il montra alors d’un signe de la tête les hommes nomades qui s’approchaient d’eux, portant une tenue similaire à celle de Shaïness. Le révolutionnaire baissa un peu plus sa capuche et fit glisser ses manches au-dessus de ses poignets. Pas question de déclencher un énième scandale, la fille-papillon lui avait bien fait comprendre qu’ils devaient se cacher là à présent. Ce n’était pas pour lui plaire, lui qui préférait à l’inaction le feu le plus ardent. Rester caché était une perte de temps à ses yeux, mais après des semaines à errer, il pouvait bien se permettre un peu de temps à couvert. Surtout que Shaïness était une mine d’or en ce qui concernait histoires et anecdotes cocasses. Ainsi, il en apprendrait peut-être plus sur l’histoire de la Révolution, et certainement la sienne propre, en l’écoutant parler. C’était qu’elle demeurait femme jusqu’au bout des ongles, et en accusait parfois les travers les plus stéréotypés. À commencer par le besoin quasi-incessant de meubler le silence alors que lui se complaisait, et même trop, de ses propres pensées. Enfin, elle parlait trop pour lui qui préférait se perdre dans ses propres pensées

« Pourquoi ils me regardent comme ça … » grogna-t-il, apercevant l’un des hommes le montrer du doigt.

Les nomades en vinrent à leur barrer la route, levant une main en signe de paix. Ils s’adressèrent à eux dans le même dialecte puis posèrent leur main à leur cimeterre en s’apercevant qu’ils ne les comprenaient pas. L’un d’entre eux, drapés d’une étole pourpre en plus de leur sarouel et de leur tunique blancs, s’approcha de Solomon.

« Bijour itranger. Vous n’ivez rin n’a faire ici : ci toun terre interdite pour les itrangers. » lui fit-il avec un accent déplorable.

Fronçant les sourcils, la momie se tourna vers Shaïness, comprenant alors que les nomades ne lui accordaient pas tant de statut que cela. C’était à peine si ils la considéraient. Dire que l’on parlait de stéréotypes un peu plus tôt … ahem.

« Holà, homme du désert. Nous ne sommes ici que pour quelques jours, le temps de visiter la région et pour heu … des histoires d’archéologie. » fit Solomon, trouvant le mensonge le moins crédible qui pouvait lui passer par la tête.

« C’i pas grave, itranger, cela ni change rein. Vous n’ites pas li bienvinus ici. Je vais vous dimander di partir. » lui répondit l’homme en lui indiquant le sentier qui s’étendait derrière lui.

Un autre homme harangua l’interprète dans sa langue puis les deux individus commencèrent à argumenter. L’autre nomade ne portait pas de tunique rouge, mais une étole dorée qui semblait indiquer une provenance autre de sa tribu. Il était fort peu probable que ces hommes eussent une organisation militaire potable, ainsi l’autorité était assurée par chacun des ‘clans’ dans leur zone respective. Enfin, c’était la supposition de Solomon. Tout comme le fait que le gars à la tenue dorée avait un statut supérieur à celui à l’étole carmine. La momie se racla la gorge pour les interrompre, en se penchant sur son chameau. Une fois. Deux fois. Bon.

« Je peux vous aider ? » les interrompit-il, avec un sourire empreint de sarcasmes.

« Ci possible, oui. » répondit l’homme à l’étole rouge, en regardant son confrère avec un air mauvais.

« Suivez-moi. Votre femme vous attendra avec les nôtres, elle les aidera à laver le linge et nourrir les enfants. » trancha l’homme au drapé doré, sans même un regard à l’attention de Shaïness.

Solomon arqua un sourcil, haussa les épaules puis fit un signe de la tête à la donzelle. Mieux valait ne pas froisser leur égo machiste et se plier aux coutumes locales. Il viendrait la trouver après. Et puis elle pourrait en apprendre tout autant parmi les femmes du royaume. Logiquement, si elles étaient autant calculées par les hommes que Shaïness l’était en ce moment, elles devraient savoir pléthore de choses …
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Les Sherafs s'engueulent, la caravane passe.
Peut-être était-ce l'influence du désert, qui faisait surgir en moi des pensées aussi poétiques qu'utiles. L'art de brasser du vent, je m'y étais faite, depuis que j'étais devenu papillon. Mais j'espérais que ce que je venais de penser n'était qu'un fait isolé, entre la fatigue et les lieux on-ne-pouvait-plus exotiques, et non pas le signe d'une évolution.

La remarque du Sheraf doré me hérissa le poil, et ce pour plusieurs motifs. Sagesse me souffla que je devais prendre sur moi, mais Orgueil – soutenu depuis les tribunes par Défiance et Paranoïa - piétina comme un Hun les prémisses d'un comportement raisonnable. J'en avais juste marre.
- « Déjà, je ne suis pas sa femme, mais son équipière. » En fait, je pouvais même prétendre être son chef, mais là, Orgueil eut tout de même les chocottes. Ou plutôt, un instinct de survie plus aiguisé que la conscience de soi. « De deux, je ne sais pas laver le linge et j'ai un rare talent pour faire pleurer les enfants. Vous ne me voulez pas près de votre établi à cuisine à moins que vous ne vouliez faire un régime drastique. Mais puisque nous venons ici pour des raisons qui ne regardent que nous, mais sans aucune animosité, je vais en effet accepter votre ''invitation'' à nous joindre à vous, et ce au sein du cercle des femmes. »
Et je descendis du dos de Nova dans un silence outré, très contente de moi-même. Je récupérai une partie de mon baluchon, confiante en les capacités de mon chameau de défendre le reste de nos affaires. Et très ''étrangement'' je tus tout avertissement vis à vis de Nova : qu'il mordait, crachait, piétinait quiconque affichant une tronche qui ne lui revenait pas.

D'un pas souple rendu un rien dandinant par le sable qui glissait sous mes semelles, je me rendis vers les tentes dressées à l'arrière du campement, où se serrait un nombre impressionnant de femmes et de marmots. Ô bonheur incommensurable. Parlaient-elles seulement ma langue, ces fantômes de femmes ? Allais-je devoir souffrir des heures de pantomime et grimaces ?
Apparemment, non. Toutes s'écartèrent devant moi comme si j'étais une sorte de pestiférée, sans la moindre trace de respect. Pathétiques petites choses, à s'écraser devant des hommes. J'avais des envies de meurtres, et cette pensée ne me réjouissait pas. De plus en plus souvent je me prenais à avoir des idées sanglantes. Empoisonnée, j'étais en train de succomber. Quel remède, quel antidote ? Ah, la vie était vraiment une chienne. Je m'étais érigée en guerrier contre les forces impures du pouvoir, et voilà que je cédais à mon tour. Quelle mort ironique.
- « Tu n'aurais pas dû faire ça. » La voix était tout juste un sifflement et c'était à peine si j'y avais prêté attention. Je cherchai la source de ce filet de civilisation, tel un assoiffé les gouttes d'eau dans le désert. Quelqu'un non seulement me parlait et dans ma langue qui plus était ! Mon regard finit par se poser sur ce que j'avais pris pour un tas de chiffons ratatinés au sol. Il s'avérait que c'était une ancienne, toute ridée au point que ses lèvres et ses yeux disparaissaient sous les plis de sa peau, qui était marquée par des taches brunâtres. Une momie presque. Quel âge pouvait-elle avoir ? Aucune idée. Et je ne voulais pas savoir. Quelque part, j'avais peur d'apprendre qu'elle était réellement centenaire et plus encore, et d'un autre, j'aurais été déçue de voir la magie disparaître si elle ne devait être qu'une vieille chose abîmée par une vie sur les pistes sablonnées.
- « Et pourquoi pas ? » répondis-je en m'asseyant en tailleur près d'elle. Un service à thé trônait un peu plus loin et je m'emparais sans vergogne de deux tasses et d'une outre de liquide. Après m'être assurée qu'il s'agissait d'eau, j'en versai dans nos ridicules coupes, petites et étroites. Ce qui provoqua encore plus de remous dans la foule qui se pressait autour de nous. En fait, c'était étrange, cette façon d'être regardée, au centre de l'attention alors que toutes les femmes semblaient s'activer de leur côté. Pourtant, et bien que leurs mains touillaient, filaient, brodaient, leurs esprits étaient à nous, et rien qu'à nous.
Le temps que je les défiai de soutenir mon regard, la tasse de Mémé Nannette – telle que j'avais décidé de la nommer – avait disparu, comme avalée dans un trou noir de tissu et de rides. Où étaient ces mains ? J'avoue bien volontiers qu'à ce jour, je l'ignore encore. Mais je n'avais pas besoin d'être grande marabout liseuse du mare de café pour savoir que Nannette souffrait de déshydratation. Je suppose que l'eau était distribuée en fonction de votre utilité au clan. Une vénérable pomme comme ma Mémé Nannette devait être un poids et donc n'avoir droit qu'à une ou deux gorgées par jour.
- « Il y a un ordre des choses. Ce n'est pas bon d'arriver et de tout détruire. »
- « Bien au contraire. La vie est évolution. Les choses doivent changer. A moins que vous ne vouliez que je vous arrache votre tasse ? » Elle eut un rictus et j'imagine que c'était sa manière de sourire.
- « Oui, certaines choses peuvent changer. Mais ici, tu es au pays du désert. Les choses doivent être faites doucement. La tempête de sable n'apporte jamais rien de bon. »
- « C'est doucement que le sable a envahi Yuba, et ça ne l'a pas empêché de chasser tout le monde. »
- « Pas tout le monde. Nous sommes là, non ? »
- « Vous êtes pourtant pas vraiment évolués. »
- « C'est parce que pour toi, être tenue à l'écart des hommes et des Sherafs est une mauvaise chose. »
- « Parce que pour vous, c'est une bonne chose, que d'être dirigée comme une chèvre ? »
- « Quand la chèvre est celle qui cuisine, qui panse et qui porte les enfants, oui. Ici, nous sommes protégées. Ici nous sommes ensemble et si ensemble nous décidons de ne pas quitter un campement, ou de poser la tente à tel ou tel endroit, les Sherafs obéissent. »
- « C'est donc vous qui avez obtenu de revenir à Yuba hors de la saison des caravanes ? »
- « Oui et non. Nous avons convaincu nos hommes d'agir et ils ont choisi cette action. Ce n'était pas la plus bête, à vrai dire. »
– « ###### !! » Une femme imposante s'interposa dans la conversation et entreprit de houspiller ma Mémé devant moi. Nannette ne se laissa pas faire et bientôt, elles s’invectivaient joyeusement. Moi ? J'étais blasée. Au point que j'étais sur le point de me lever et partir à la recherche de Solomon pour que nous partions. Il devait bien avoir un bout de ruines que nous pourrions squatter en toute quiétude.
Puis Nannette dit quelque chose qui sécha la Madame, qui était sans nulle doute la femme du chef ou sa mère. En tous les cas, la cheftaine locale, qui se mit à me reluquer comme si elle n'avait jamais vu une autre femme de sa vie.
- « Quoi ? Qu'est-ce qu'elle me veut ? »
Mais notre échange fut coupé court par un tumulte venant de l'extérieur.
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« Voilà. Adieu étranger. »

Quoi ? Solomon arqua un sourcil. Les dunes à l’horizon ne ressemblaient en rien à la tente de leur chef. Il se retourna vers les nomades et leur offrit un regard las. N’avaient-ils pas besoin d’aide ? Tch. Ils lui avaient menti pour endormir sa méfiance et le virer de là. Banco. Devant sa réticence, le nomade posa sa main sur son cimeterre. Visiblement, ils avaient le don pour jouer aux imbéciles. Le type n’était pas seulement un salopard machiste, c’était un être d’une arrogance rare. Et Solomon en connaissait des êtres à l’arrogance rare. Au moins un, c’était pour dire. Afin d’éviter toute échauffourée dans le camp, devant les enfants et le reste, il avait eu l’intelligence de l’induire en erreur de le guider de l’autre côté du camp, tout en prenant soin de garder Shaïness à l’intérieur. Prenaient-ils les femmes pour de la quantité négligeable ? Enfin bon. La momie soupira de dépit.

« Pas vraiment non, où est mon amie ? » grogna-t-il, plaçant lui aussi sa main sur son katana émoussé.

« La femme reste avec nous, elle nous servira et deviendra la femme de l’un des nôtres. Contente toi d’être en vie et passe ton chemin, les étrangers ne sont pas les bienvenus ici. » répliqua le nomade, soulevant son cimeterre pour en révéler le début de la lame.

« Et si je suis pas d’accord ? » fit Solomon, un méchant sourire sur les lèvres.

« Tu mourras. » menaça l’homme, dégainant complètement son arme, aussi tôt imité par ses six comparses.

Dans ce monde, il fallait être inconscient pour croire que six hommes suffisaient à en mater un autre. C’était un monde où un gars pouvait déclencher des raz-de-marée en claquant des doigts, c’était un monde où un seul être pouvait changer la donne. Alors là, se dresser face à un gars qui avait pu traverser seul le désert en compagnie d’une femme qu’ils dénigraient tant, c’était presque de l’inconscience. Il dégaina sa propre arme, bien décidé à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Y’avait du touareg qui méritait d’avoir un peu plus de plomb dans la tête.

« Méfie-toi, ami bédouin, tu risque de t’en mordre le keffieh. Si tu oses seulement me toucher, je m’assurerai de faire en sorte que ta tête aille saluer ton postérieur. Littéralement. » gronda le révolutionnaire, faisant jouer son arme.

Ils avaient visiblement la fibre scatologique sensible. Le nomade lâcha une insulte dans sa langue puis fit un geste de taillade vers la momie. Lent, prévisible. Il se recula d’un maigre petit pas pour éviter le coup mollasson qui lui était destiné.

« Joue pas à ça … je veux juste rester ici quelques jours, tranquillement … j’ai aucune envie d’avoir à tous vous maltraiter pour … » fit-il, retenant un autre coup de sa lame.

Il appliqua son autre main contre son arme et repoussa l’imprudent nomade qui lui avait sauté dessus. Il roula à terre et s’écrasa pitoyablement dans le sable, tête la première. Mauvaise idée.

« Putain … une semaine de merde à voyager sur un chameau crasseux pour ça … une semaine à me farcir les  … non mais arrêtez ! » grogna-t-il, attrapant un autre par le col.

Il l’envoya rouler dans un de ses copains, d’un simple geste du bras. Il ne connaissait pas lui-même sa propre force et il ne l’avait mise à l’épreuve que contre l’assassin qui avait tenté de le supprimer. Les conditions n’étaient jusqu’à lors pas propice à de pareilles extrémités, mais le manque d’hospitalité des nomades fut certainement la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Il lâcha un éclat de rire coincé, fit tourner son épée et se recula de quelques mètres d’un seul bond. Bon sang. Ne voulaient-ils pas comprendre qu’il était un guerrier amnésique aux pouvoirs que lui-même ne pouvait pas comprendre ? Il fracassait des murs à main nue, il pouvait voler, se déplacer plus vite qu’une pensée et il voyait tout à l’avance. En plus de ça, il était doué pour tuer. Plus que n’importe lequel d’eux le seraient jamais. Ah, vous voyez maintenant de qui il parlait lorsqu’il disait connaître un gars doté d’une arrogance rare ?

« Je vais … vous fumer. » gonda le révolutionnaire, serrant les dents et soufflant comme un bœuf.

Mais le hasard ne lui permis pas forcément de mettre sa menace à exécution. Le gars à la toge dorée se rua sur lui, suivit par ses cinq larrons. Le révolutionnaires pivota et le cueillit d’un coup de pied circulaire en pleine poitrine. Le coup faucha le nomade et l’expédia dans ses compagnons. Le pauvre hère les envoya bouler chacun de leur côté et poursuivit sa course dans le camp, emportant une dizaine de tentes sur son chemin. Une légère fumée diaphane émanait des bandelettes de la momie, matérialisation de son état d’énervement avancé. Un coup de sifflet strident retentit alors. Des paroles dans une langue incompréhensible puis le son d’une multitude de pas. Les cinq gars mis à terre par l’unique coup de Solomon se relevaient péniblement, tentant de fuir la force vengeresse de l’intrus. Mais rapidement ce furent une cinquantaine d’hommes qui se ramena, sabre au clair. L’alerte avait été sonnée, le camp n’allait pas tarder à se rappliquer au complet. Parfait. Génial. De quoi passer de superbes vacances.

Solomon les toisa, épée en avant. Ils s’arrangèrent en arc de cercle autour de lui puis peu à peu en vinrent à former un cercle. Cinquante contre un, la matérialisation du courage et de la mesure. Quelques dizaines de secondes s’écoulèrent, puis sans un cri commun ils se ruèrent tous à l’assaut dans une imitation pittoresque de fresque épique. Les cris de colère se muèrent en hallalis. Ne cherchant pas même à mesurer ses coups, c’était par paquet de trois que le révolutionnaire expédiait ses adversaires, les envoyant rebondir sur le sable sans se soucier de la façon dont cela se faisait. On les voyait se faire envoyer paître puis se relever et revenir à l’assaut jusqu’à se prendre un second ou troisième coup et rester allongé pour de bon. Une scène ridicule où un seul homme en humiliait cinquante autres.

Un coup de feu fut alors tiré, et la scène prit fin. Un homme au drapé améthyste était arrivé monté sur un chameau. Il avait tiré en l’air, et à son arrivée l’assaut se stoppa. Les nomades reculèrent d’un pas sous ordre de celui qui semblait avoir autorité sur eux. C’était un gars à la moustache qui induisait l’obédience. Il s’avança calmement, jusqu’à être à la hauteur de ses premiers hommes.

« C’est eux qui ont … » commença Solomon, avant qu’une lame argentée ne pointe à travers sa poitrine, le perforant de part en part.

Le révolutionnaire ouvrit des yeux ronds, se retourna et, d'un geste rageur, cueillit du coude le nomade qu’il avait humilié en premier lieu. Quelque chose craqua au niveau de la mâchoire du pauvre type, qui rencontra alors le sable avec un son peu ragoûtant. La momie resta immobile quelques secondes, contemplant le métal qui lui transperçait le corps. Il toucha la lame qui perçait son torse, la faisant tinter. Il se retourna pour voir par quelle magie elle tenait, jusqu’à tourner trois fois sur lui-même comme un chien chassant sa queue. Puis il essaya de se saisir de la poignée du cimeterre mais elle était pile au milieu de son dos et avec toutes les draperies dans lesquelles il était enveloppé il ne pouvait y parvenir. Ainsi se redressa-t-il, après avoir gesticulé dans tous les sens, et fit comme si rien ne s’était passé. Si ce n’était la lame qui lui perçait le cœur sans lui faire mal ni le tuer … Depuis quand était-il immortel ? C’était visiblement à ajouter à la liste de ses supers-pouvoirs.

« Je … ahem. Salut ? » fit-il au nomade monté sur son chameau en joignant son index et son majeur gauches à sa tempe.

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Il n'y eut pas de réponse. L'homme à l'étole dorée subit une double attaque. Déjà, Nova chargea de toute sa puissance et mordit de façon plus que vicieuse le chameau adversaire, qui eut une sorte de brame de douleur avant de s'écrouler au sol. Mon brave puant entreprit alors de piétiner ce qu'il restait de l'homme que Solomon avait mis à terre. Pourquoi avait-il agit, je ne sais pas. Quel sentiment obscur de loyauté avais-je réussi à instiller dans ce corniaud de chameau, je n'arrivais pas à le définir. Mon opinion reste que c'était un bagarreur hargneux et qu'il ne disait jamais non à une occasion de faire chier son monde. Surtout une occasion « en or » comme celle-ci.
Dans un même temps, j'avais enclenché la vitesse supérieure.
Dédaignant la femme qui baragouinait ce qu'elle voulait et Nannette, j'étais sortie de la tente, puis du cercle qui formait le gynécée, et m'était approchée de la source du tumulte... Jouant des coudes, j'avais traversée le camp et donc avais pu assister à la fin de la scène.
- « NAAAAAAAAAAAAN ! » avais-je hurlé en me propulsant sur le chef. A cet instant, j'étais persuadée que Solomon venait de succomber à la traîtrise et la colère en moi n'avait d'égale que la douleur d'avoir perdu – encore – un allié, un ami. « Il était mort et toi, tu l'as tué !!! » protestai-je en lui assénant un Shigan de toute beauté qui l'acheva sur le coup. J'avais envie de continuer à m'acharner sur lui, à le rouer de coups jusqu'à ce qu'il n'en restât plus qu'une pulpe infâme mélangée au sable du désert, mais la vision de Delgado flotta un instant devant moi et ce fut comme brûlée par un acide que je repoussai le futur cadavre d'un geste de dégoût.

Pourtant, Solomon n'était pas mort. Il était là, debout et bien vivant, parlant et presque souriant. Enfin, souriant. On parlait de Solomon. Le mec n'était pas prêt pour un one-man show, loin de là. Il faudrait déjà qu'il desserrât les dents pour aligner plus de dix mots d'affilée.
- « Que.... comment... qu-qu-que --- AAAAAH, DERRIERE !!! »
Et puisqu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, je n'attendis pas que Solomon comprît que je le mettais au courant de l'existence d'un bédouin en train de charger dans son dos. Je le fis pivoter sur lui-même, pour le mettre hors trajectoire et je tirai un fil de ma bobine gauche pour l'utiliser tel un fouet, cinglant la peau à même le visage. Un trait rouge qui se découpa sur la peau basanée de l'homme des sables, qui s'écroulant en un cri assez plaintif.
Autour de nous, le chaos se déchaîna. Les hommes, furieux de se faire botter le popotin par une donzelle, étrangère de sursoit, mirent toute leur énergie pour nous abattre. Solomon et moi, dos à dos, faisions facilement face. Le nombre n'égalerait jamais la qualité. Enfin, peut-être dans d'autres proportions, mais là, ils nous attaquaient à peut-être dix d'un coup, et c'était loin d'être suffisant. Leur lenteur relative et leur nullité constatée me laissaient assez de temps pour remarquer à quel point Solomon bougeait avec une grâce précise, tel un scorpion. Pourtant, il y avait une brutalité féroce dans chacun de ses gestes, quelque chose qui gâchait ce qui aurait pu être un spectacle de danse de la mort. Quelque part, Solomon prenait plaisir à se battre.
Se battre, pas tuer. Moi ? Je n'avais jamais été fanatique du combat et je me retrouvais à me complaire de la douleur d'autrui. Finalement, nous nous complétions bien.
Au bout d'un moment, les nomades se ressaisirent et s'organisèrent un peu mieux. Du coup, mes fils ne suffisaient pas forcément à les tenir à distance et ils se rapprochaient dangereusement. En plus, je n'avais pas forcément le pied stable, alors qu'ils avaient l'habitude de se battre sur le sable glissant. Finalement, je fus prise à contre-pied et je dus me saisir de la première chose qui me tombait sous la main... Les doigts volèrent par automatisme à la garde du sabre encore enfoncée dans le dos de Solomon. Réflexe de « je veux une arme, alors j'en prends une. »
- « Je t'emprunte ça deux seconde, hein !? » fis-je en tirant la lame à moi... avant de réaliser ce que j'étais en train de faire et qu'en fait, il ne se passait rien. Mon adversaire resta lui aussi assez interloqué par l'absence de sang ou de douleur et nous échangeâmes un regard de poisson frit, avant que je ne me reprisse : « Qu'est-ce que tu regardes, toi ? Tu n'as jamais vu un révolutionnaire, péquenaud ? » et de lui mettre mon genou là où ça fait toujours très mal quand on est un mâle. Le combat reprit de plus belle et aurait pu continuer ainsi pendant encore bien quelques heures, jusqu'à ce qu'une autre voix interrompît la scène.
– « ASSEZ !! »

Contrairement à l'homme en doré que j'avais abattu, le nouveau venu n'avait pas eu à accompagner son cri d'un coup de feu. Son ordre claqua et comme un seul homme, les alabastaniens se figèrent et se retirèrent. Solomon et moi nous retrouvâmes donc au centre d'un cercle plus ou moins oblong de Touaregs aux armes diverses pointées vers nous et entre nous, quelques corps gémissants.
Celui qui avait parlé s'avança, la foule s'ouvrant devant lui. Son étole était bleue, comme le ciel de printemps : à la fois profond et lumineux. Les broderies d'argent étaient aussi quelque chose d'assez inhabituel, comme me le confirma le coup d’œil que je jetai sur les hommes. Ce mec, ce n'était pas n'importe qui. Ça n'en faisait pas un ami pour autant. Autant dire que nous étions méfiants, et ça je le sentais, sans même regarder Solomon.
– « Étrangers, vous avez répandu le sang des nôtres. »
- « C'est eux qui ont commencé !!! » Il eut un sourire narquois.
– « Je ne vois aucun sang sur aucun d'entre vous. » Ce en quoi il n'avait pas tort, surtout dans le cas Solomon.
- « Pas besoin de sang pour être violent !!! Et puis, vous m'avez mal reçue. Vous êtes les pires hôtes du coin. »
– « Nous sommes surtout les seuls hôtes du coin. »
Ce qui me laissa penser qu'il y avait quelque chose comme une menace dans ces mots.
- « Ben justement, vous n'aviez pas qu'à être là ! Vous n'étiez pas censés être là , d'abord !!! Qu'est-ce que vous foutez ici, d'abord ? »
– « Venant d'étrangers, la question est soit très innocente soit très ironique. »
- « Ça n'enlève rien au fait que vous nous avez attaqués ! » Oui, j'esquivais. Et alors ?
– « Pas plus que ça n'enlèvera au fait que les lois de nos clans sont unanimes : vous avez tué l'Asherafi et---. »
- « On ne l'a pas défié, on lui a botté le cul, oui ! Regardez, il est toujours à terre et inconscient. » Un peu.
– « Et ceci n'aide pas votre cas. … Venez dans ma tente, nous allons vous expliquer la situation périlleuse dans laquelle vous êtes plongés. »

L'idée de devoir retourner au camp ne m'enchantait guère. C'était se lancer de soi-même dans la fosse aux serpents. Si nous avions pu repousser cette première vague d'attaque, je savais que nous ne pourrions que difficilement faire face à une seconde tentative, sans laisser derrière nous une mare de sang. Le leur, bien entendu. Bon, nous devrions y laisser un peu du nôtre... du mien surtout. Solomon était non seulement meilleur que moi, mais apparemment immortel et sans sang. Étrange créature que mon compagnon. Si ça se trouvait, c'était vraiment une momie. Ou un mort-vivant d'un autre royaume. Allez savoir. Dans un monde où les fruits du démons rendaient l'impossible aussi banal que la pluie, pourquoi la magie devrait-elle être aux abonnés absents ?
Et malgré mes réticences, nous dûmes accepter.
Mais uniquement parce que l'invitation me concernait clairement, et pas simplement en tant que potiche de service.
Ceci dit, je ferais une superbe potiche.

Un peu plus tard, nous étions installés sur un tapis tissé qui avait dû être merveilleux mais que le sable avait usé. Tout autour de nous avait ce patin inimitable de la magnificence passée. A présent, il n'y avait que l'écho de cette superbe et le maintien impeccable de l'hôte qui empêchait le tout de basculer dans le miséreux. L'homme à l'étole bleue avait un sens aigu de la dignité tranquille qui en imposait.
Sous sa tente, plusieurs autres étolés dorés nous regardaient et là, j'eus l'impression d'être en face d'une bande de lions à tendance famélique, aux yeux miroir qui reflétaient les lumières des bougies mais aussi la faim. Oui, ils étaient prêts à nous dépecer au premier geste.
Salutations d'usages et tournage autour du pot furent de circonstances et nous pûmes enfin en arriver au nerf de la guerre. Entre temps, nous avions rompu le pain et partagé la fameuse tasse de thé, et je savais que nous étions protégés par la loi de l'hospitalité... si et seulement si les nomades respectaient cette règle tacite sociale.
– « L'homme que vous avez tué était le Asherafi. Notre champion. Il est... était le frère d'un des chefs de clans. » et là, j'examinai la ligne de lions en face de moi pour tenter de déceler à qui j'avais volé un frère. Bon, s'il était assez con pour charger sur un chameau sans penser à ce qu'une femme pouvait lui foutre une avoinée, il avait mérité sa mort, mais tout de même. Si un révolutionnaire me tuait un de mes Marines de frangins, je le prendrais mal. Et puis d'abord, il n'était pas mort. Enfin, pas encore.
- « Comme j'ai dit, je pensais qu'il avait tué mon ami. »
– « Mais il n'est pas mort, et l'Asherafi oui. »
- « Vous n'avez qu'à choisir un autre Asherafi. Un qui soit meilleur. Vous par exemple ? »
– « Moi, je suis Issifi. L'homme-sage, si vous préférez. »
- « Ben, choisissez sagement, alors. »
– « Le choix est tout fait : vous. »
Il y eut un flottement entre Solomon et moi et nous échangeâmes un regard blasé. Pas besoin d'être télépathes pour savoir ce que l'autre pensait.
- « Hum, ôtez-moi d'un doute. Votre champion, ce n'est pas qu'un titre honorifique, n'est-ce pas ? Parce que sinon, vous ne le donneriez pas à deux inconnus. Ça veut dire qu'il y a un truc qui vient avec le chambala, et mon ami et moi ne sommes guère disposés à faire quoi que ce soit pour des gens qui ont essayé de nous tuer. »
– « Oh, mais vous n'avez pas le choix. Si vous refusez, vous serez mis en pièce par l'intégralité des tribus. Femmes et enfants compris.. »
- « Vous voulez dire que vous essayerez de nous mettre en pièce. Sans méchanceté, la première fois que vous avez tenté ça, vous vous êtes plantés. »
– « Alors nous mourrons tous en essayant et vous aurez notre mort sur la conscience. » Ce qui n'était pas un argument à m'imposer, et j'éclatais de rire.
- « Dommage pour vous, j'en ai pas, de conscience. Je ne veux pas parler pour S—mon ami... » quelque chose m'empêcha de donner le nom de Solomon à cette bande de vautours. Tiens, on était passé du règne félin à celui aviaire. Quelle ménagerie !!! « … mais je ne suis pas sur que ça l'empêchera de dormir, que de tous devoir vous tuer. » Et pour le coup, la bande de macaques eut l'air vachement ennuyée. Mais l'autre était rusé comme un renard, ou plutôt un fennec et il sut piquer juste, comme un scorpion,
– « Alors, vous serez tous les deux maudits. »
- « Qu'est-ce qui vous fait croire que j'en ai quelque chose à faire, de vos malédictions ? »
– « En fait, techniquement, vous l'êtes déjà. Vous avez tué l'Asherafi. Il était notre guerrier sacré, et avoir porter la main sur lui, c'est le pire crime que vous puissiez commettre. Et c'est pour ça que vous n'avez pas le choix : vous prenez sa place ou vous mourrez. »
- « Déjà, j'ai pas porté la main, mais le doigt. Celui-ci pour être précise... » fis-je en levant mon index. La brochette de thon eut un mouvement de recul. Héhé, pas si bêtes que ça, finalement. « Et on en revient toujours à ce même point : vous ne pourrez pas nous tuer. Et même si vous arriviez à le faire, vous seriez encore plus dans la chienlit qu'avant, parce que vous n'aurez plus grand monde parmi qui choisir votre prochain Asherafi. »
– « Vous n'avez donc aucune âme. » L'Issifi ne faisait que constater ?
- « C'est à peu près ça. Vous savez, vous pouvez toujours revenir sur tout ça en vous excusant et en nous laissant rester quelques jours dans le coin. Vous vivez votre vie, on vit la nôtre et tout le monde est content. »
– « Sauf que vous n'êtes pas des archéologues. Vous cherchez à fuir quelque chose, et si nous venions à faire venir l'armée royale ici, quelque chose me dit que vous n'aimerez pas. »
- « Alors, je pensais qu'on vous avait clairement prouvé ce que ça donne quand on n'aime pas quelque chose.... »
– « Et pourquoi toujours avoir recours à la violence ? »
- « Ben, c'est vous qui avez commencé. Nous, on parle le même langage que vous, hein. On s'adapte, quoi. » Solomon hocha la tête : il confirmait, il était polyglotte universel sur ce terrain.
– « Et pour parler votre langue, qu'est-ce qu'il faudrait faire ? »
J'échangeai un autre regard avec le bandagé. Pour le coup, notre communication passa mal. Je tirai de sa mimique une sorte de « fais ce que tu veux, c'est toi qui nous as mis dans ce pétrin, moi, je suis d'avis de foncer ». Le truc, c'était que bien malgré moi, j'étais curieuse. Et une par une, les pièces du puzzle commençaient à se clipser.
- « Il faudrait déjà que vous m'expliquiez un peu pourquoi les tribus sont réunies alors que ce n'est pas la période et pourquoi elles ont élu un Asherafi, et qu'est-ce qu'il devait faire de si important que vous voudriez nous le refiler – toute considération religieuse de sacré et de profanation mise à part. »

L'Issifi médita sa réponse. Il était l'homme-sage, et il ne pouvait pas se retourner pour consulter les chefs de clans, sans perdre du prestige et mettre à mal ce caractère de « je suis capable de décider tout seul pour le mieux ». S'il n'avait pas été aussi maigre, je pense qu'il se serait littéralement tâté. Là, il se contenta de fixer la fumée de la bougie d'un air inspiré – ou constipé, ce qui était étonnant vu le nombre de datte qu'il devait s'avaler... inspiré donc... - avant de finir par se lâcher. Ce n'était pas comme s'il avait vraiment le choix. Ça, je l'appris un peu plus tard. En plus, ce vil chacal avait parfaitement calculé son coup en termes de pertes et bénefs. En fait, je m'étais faite jouée comme une débutante.
– « Comme vous n'êtes pas une croyante, et que votre ami silencieux est une personne suspicieuse pour qui croit en l'ordre naturel des choses, je vais résumer. Il existe loin dans le désert, au nord ouest d'Alabasta, la cité de Syrdaha. Enfin, ce qu'il en reste. C'était une ville magnifique et les récits veulent qu'elle soit le berceau de la civilisation alabastienne, jusqu'à ce que les Djinns du désert la maudissent. Pourquoi, je n'en parlerait pas. Suite à la malédiction, l'eau qui coulait en abondance se raréfia et ce fut l'exode. Des légendes disent que la cité a été sacrifiée pour qu'on puisse y enfermer un Djinn terrifiant. Qu'importe. Syrdaha est aujourd'hui un tas de ruines et à peine une oasis, pour des gens comme vous. Pour nous, c'est un lieu sacré. Nous n'y approchons que pour nous y désaltérer, mais nous montons la garde. Nous sommes les sentinelles du désert. »
En moi-même, j'étais absolument fascinée. J'avais toujours aimé les contes. Pourtant, je savais que tout mythe avait un fond de vérité et je me demandais si finalement, les nomades vivaient dans le désert pour garder Syrdaha en empêchant quiconque d'y entrer... ou quiconque d'en sortir...

– « Il y a quelques semaines, une bande de pilleurs, des « archéologues » comme vous, ont réussi à s'introduire à Syrdaha. Ces hommes ne sont pas des hommes de savoir, mais des bandits de la pire espèce. Ils profitent de l'eau de l'oasis pour vivre tranquillement, loin des méfaits qu'ils ont commis. Nous pensions qu'ils finiraient par s'en aller avec le temps, mais ils sont toujours là et tous les signes laissent prévoir qu'ils veulent s'installer durablement. Notre devoir veut que nous les chassions et que nous les punissions pour avoir violé le sanctuaire. »
- « Hum, et votre Asherafi... il ne sera pas puni après, pour être lui aussi rentré dans les ruines  sacrées? »
– « En quoi cela vous regarde, puisque vous ne croyez pas au pouvoir du désert ? »
- « Le pouvoir du désert, non. Mais j'ai vu des choses qui pourraient carrément expliquer votre malédiction. » Maladie, fruit du démon, créature étrange... Allez savoir. « Surtout que bon... si vos pillards sont toujours à votre Syrdaha, c'est que la malédiction n'a pas eu grand effet sur eux... » Et que donc, il n'y avait pas plus de malédiction dans ces ruines que de savoir-être dans leur tribu. M'enfin... « Mais comme vous dites, lui et moi se foutons un peu de cette histoire, puisque cela ne nous concerne pas. » Et c'est là que je sus que j'avais parlé trop vite. Non, que j'étais tombée dans un piège... même pas un piège. Je m'étais ruée tête baissée dans ce qui n'était même pas un piège, tellement il était visible. Comment je n'avais pas vu ce qui se préparait, je n'en ai aucune idée. Je pense que quelque part, mon moi de ténèbres venait de se faire souffleter d'une bien bonne façon : excès de confiance mène inexorablement à des ennuis à la con.
– « L'Asherafi a été défait au combat. Il devait aller combattre les pillards en notre nom, en conduisant une petite troupe de volontaires. Vous l'avez tué. Vous avez non seulement attiré sur vous la malédiction des tribus, puisque vous avez tué notre champion, mais vous avez aussi laissé champ libre aux pillards... qui ne manqueront pas de libérer les mauvais esprits enfermés à Syrdaha. »
- « Ça veut surtout dire que votre Asherafi, il était faible, et que si c'était lui le meilleur de vos tribus, c'est que vous êtes faibles et de toutes les façons, vous vous seriez fait botté le cul par les pillards. » Mais qu'on m'arrête !!!! Pourquoi me mettais-je à insulter ces gars ? Avoir confiance en soi, c'était une chose. Être énervée par la façon dont nous avions été traités était une autre, qui justifiait que je lançasse des piques ici et là . Mais provoquer des clans entiers qui à défaut d'avoir des savoir-être, avaient le nombre pour eux ?
– « Et puisque vous nous avez expliqué et démontré à quel point vous étiez forts, vous n'aurez donc aucun problème à aller mener le combat tous les deux contre ces pillards. »
- « Hé, on tourne un peu en rond : nous ne sommes pas intéressés. Vos ruines, vos démons, vos pillards. »
– « Nous sommes de gens très spirituels, ici. Mais nous sommes aussi de très bons commerçants. Nous savons reconnaître une affaire quand nous en voyons une. » Tu m'étonnes. Avec le nombre de caravanes que vous pillez par an, vous pouvez vous flatter d'avoir le nez creux... ou un bon réseau d'informateur. « Je suis sûr que nous pourrons trouver un terrain d'entente. Après tout, vous avez la loi contre vous, en ce moment. Nous pouvons, par exemple, vous aider à quitter Alabasta. Nous connaissons les pistes du désert vers des criques isolées. Nous pouvons aussi vous ramener à Erumalu ou Nanohana en toute discrétion. »
- « Hum... je vais consulter mon associé, dans ce cas. »
– « Mais faites. Vous n'irez pas loin de toutes les façons. »
Et là, je décidai que je n'aimerai jamais les gens qui savent qu'ils ont raison.
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Les choses étaient incertaines. Floues, brumeuses. Quelque chose s’était produit, il ne pouvait l’expliquer. La fanfaronnade tout d’abord, comme si on ne perdait pas la face. Puis le visage de Shaïness. Ses yeux empreints d’une colère froide et sans merci, un regard qui faisait écho en son âme. Quelque chose qui lui raclait la colonne et le ramenait en arrière. En arrière dans un temps révolu, où celui qu’il avait été n’avait plus ni place ni raison. Le monde se teinta de carmin lorsque le sang gicla, propulsé par le seul doigt vengeur de la demoiselle, auréolé d’un filin aussi acéré que ses iris. D’une puissance inouïe, d’une rage inconsidérable. Il était resté là, interdit. Seulement à regarder, contempler la furie en pleine action. Il ne l’avait jamais vue se battre à vrai dire. Ça avait quelque chose de mystique, terrifiant presque. Il se sentait bien penaud à côté, il n’était capable que de force brute, de choses incongrues qui n’avaient rien du millimétrage insensé de Shaïness. Il sentait là l’entraînement, l’endurance. Quelque chose qui parcourait chacune des fibres de la jeune femme. Et ses fibres à lui … de quoi étaient-elles faites ?

Mais les champs de bataille n’étaient pas lieux aisés pour les introspections. Il semblait à la fois perdu et habité. Un coup vint vers Shaïness. Un coup qu’il vit venir avant qu’il ne vienne réellement. Quelque chose qui n’aurait jamais lieu, avorté avant même que l’idée ne puisse s’imposer à la scène. La peur de mourir, l’incompréhension de sa potentielle immortalité et la perspective d’avoir mis la donzelle en danger firent sortir quelque chose de lui. Une émanation qui prit naissance à sa poitrine et irradia son être. Ce fut l’instant où Shaïness le for ça pivoter, à faire face à la bataille qui allait se jouer. Le contact avec la main de la donzelle l’ancra dans la réalité et un sourire mauvais se dessina sur son visage. Ces gars avaient osé le planter. Il aurait tout le temps de penser au pourquoi de sa survie après leur avoir fait payer.

Il esquiva un coup, passant sous le coude d’un nomade et lui imprima une poussée dans le torse. D’une force telle que le gars s’en alla tamponner ses collègues, les emportant dans sa chute. La momie ne mesurait ni sa force, ni son talent. Il suffisait qu’il voit rouge pour que les choses empirent. Il para deux coups de sabre simultanément, attrapant les poignets de ses opposants. D’un geste du poignet, il les tordit et les fit rouler à terre avec un craquement sinistre. Ce n’était qu’une affaire de démesure, une différence de niveau effarante. Les hommes de ce monde ne connaissaient pas de limite dans leur propre force, guidés par le feu iridescent de la volonté. Il n’y faisait pas exception, même si cela n’était qu’une réminiscence de son ancienne vie. Il expédiait les nomades un par un, ne cherchant pas à les tuer. Ce qu’il voulait c’était leur faire mal, et ça marchait plutôt bien.

« Qu’est ce que tu … aïe ! » fit-il, surpris par le geste de Shaïness.

La jeune femme s’était emparé de la garde qui dépassait du dos de la momie et appuyant sa main sur son épaule, elle en avait retiré le cimeterre. Il haussa un sourcil, palpa son absence de blessure.

« Ah non … en fait ça va, j’ai rien … » lâcha-t-il, avant de relever le poing droit et d’écraser le nez d’un nomade qui lui arrivait dans le dos, sans même le regarder.

Le pauvre hère s’écrasa à terre dans une gerbe de sang. Shaïness broya les valseuses de son bonhomme d’un coup sournois, tandis que la momie s’avançait vers ce qu’il restait de la troupe de nomades. Il se fit craquer les doigts. La nuque.

« Bon. Vous êtes vraiment certains de vouloir faire ça ? Visiblement, y’a pas moyen de me crever, et ensuite on vous aligne à vitesse assez régulière. À votre place, j’obéirais. » gronda Solomon, se grattant le nez.

Pour toute réponse, un des nomades poussa un cri strident et se rua sur la momie en faisant de grands mouvements de sabre. La momie laissa tomber ses bras, ballants, puis se redressa en soupirant. Stupidité, quand tu nous tenais … La meilleure solution était de ne pas se poser de questions. Il attrapa la tête de son tudesque adversaire en se faufilant entre ses moulinets et la lui enfonça proprement dans le sable. Le coup de l’autruche. Ça sonnait bien pour un nom d’attaque. Seul le séant du nomade dépassait, alors que derrière eux, Shaïness faisait un peu moins dans la dentelle. Solomon posa son pied sur l’arrière-train de sa victime, puis son coude sur son genou. La parfaite posture pour bien se gausser de leur infériorité. Hé hé … immortel, mec, immortel ! Ah ah ah ! Ouais, pas s’poser d’questions, ça facilitait drôlement les choses …

« Alors les romaines, on vient pas voir papa ? » ricana-t-il, leur faisant signe d’approcher avec des gestes un peu trop salace à leur goût.

« ASSEZ ! »

La momie se retourna, fronçant les sourcils. Sa posture en perdait de sa superbe. Tous les nomades s’étaient visiblement arrêtés pour ça. La momie se recula jusqu’à Shaïness alors que le cercle se reformait autour d’eux. Ils se collèrent dos à dos et Solomon commença à secouer frénétiquement son bras gauche. Ça pouvait avoir l’air imbécile mais … il ne savait toujours pas faire sortir cette satané lame, et elle restait sa seule arme discrète. Il resta à adresser des regards les plus effrayants possibles aux nomades, jouant de ses bandages pour essayer de les terrifier. Fallait croire que l’histoire du Roi-momie réincarné n’était pas arrivé jusqu’à eux. Et puis la mascarade de Rain base, c’était le genre de truc qui marchait que sur les touristes … Enfin, il avait saisi le principe de la propagation de la rumeur tout ça. D’autant plus qu’il s’était surpris lui-même avec son discours. C’était d’un tel naturel de duper les gens … hé hé hé …

- « On ne l'a pas défié, on lui a botté le cul, oui ! Regardez, il est toujours à terre et inconscient. »

Et lui, et lui … ahem … et eux … Bah. La momie lâcha un éclat de rire amusé qui lui attira une œillade noire de l’empaffé en chef. Ok, ok. Il se taisait. Mais ce petit échauffement lui avait fait grand bien. Hey, mais attends, là-bas c’était pas …

« Hebieso … ? » marmonna-t-il, avant que Shaïness ne le tire par la manche, lui indiquant la tente de l’empaffé en chef.

La momie fronça de nouveau les sourcils, regarda mieux ce qu’il lui semblait avoir aperçu de son œil unique. Il résista une demi-seconde à la traction de sa comparse en balayant la foule hétéroclite d’un regard soupçonneux puis lui emboîta le pas. C’était la quatrième fois qu’il avait l’impression de l’apercevoir. Eramulu. Anohana. Rainbase. Et maintenant Yuba ? Ce ne pouvait pas être un hasard, ce ne pouvait pas être son imagination. Le contremaître avait bel et bien existé, ses bandes empestaient encore son baume hallucinogène. Et puis cette marque sur son poignet, cette corneille blanche. Tiens, d’ailleurs … il n’avait jamais vérifié si une pareille marque était présente sur son autre poignet. Inconsciemment, il porta sa main à sa poitrine, où les bandes n’étaient pas même fendues. Sa tunique, sa cape mais pas les bandages. Il fronça les sourcils. Tout cela lui rappelait une histoire, quelque chose qui …

« Aïe … » lâcha-t-il en se prenant l’armature de la tente.

Il se massa le front, regarda une nouvelle fois en arrière à la recherche du contremaître. Chou blanc. Sans mauvais jeu de mot. Il se baissa puis entra à la suite de Shaïness, la vision d’Hebieso l’ayant aussi tôt remis dans le droit chemin. A chaque fois qu’il commençait à partir en vrille, à s’éloigner un tant soit peu de ce qu’il présumait être son rôle il le voyait. Ce ne pouvait pas être une coïncidence … mais était-ce son esprit ou … ? Non. Il serait capable de percevoir sa voix. Certes, il y avait encore quelques détails qui lui échappaient à ce sujet, mais pas à ce point. Il s’assit en tailleur à côté de Shaïness, sans cesser de regarder vers l’entrée. Ça ne pouvait être qu’un signe. Mais quelle en était la signification ?

- « Dommage pour vous, j'en ai pas, de conscience. Je ne veux pas parler pour S—mon ami... »

« Heu … oui ? Quoi ? Ah ... ouais, j’suis un tueur. Un vrai. » lâcha Solomon, émergeant de son intense réflexion sans penser à autre chose qu’à donner du crédit à Shaïness.

Ce fut l’instant précis où il revint dans la conversation, se rapprochant doucement de sa comparse et inspectant le ‘Issifi’ d’un œil circonspect. Il laissa la révolutionnaire mener le débat, essayant de comprendre ce qu’il avait manqué au départ. Il avait bu le thé, mangé un morceau de gâteau mais les paroles étaient du brouillard dans sa tête. Il chassa ses mésaventures de son esprit afin de se préoccuper du présent. Voyons, que pouvait-il faire pour s’empêcher de divaguer ? Il s’accrocha au visage de l’Issifi. Tiens. Ce mouvement là, ce petit tic. Ah, il le refaisait encore. Hé hé, ça c’était quand il essayait de jouer les innocents. Oui. Voilà, oh ! Encore. Il sentait Shaïness fulminer à côté de lui. Attendez … la momie ouvrit ses oreilles au discours de l’homme sage. Tuer des pillards pour eux, en réparation de la mort de l’Asherafi ? Mouais. Il en doutait, ce n’était pas vraiment le fin mot de l’histoire il en était persuadé.

« C’est ça votre marché : vous nous aidez à nous enfuir si nous vous débarrassons de ces pillards ? » s’étonna Solomon, se grattant le menton.

Il vit que Shaïness était prête à se gausser de l’Issifi qui pensait pourvoir les vaincre. Vrai qu’elle avait fait fort en écrasant l’Asherafi, mais il sentait qu’il y avait autre chose là-dessous.

« Parce que nous sommes révolutionnaires, c’est ça ? Vous savez que vous n’êtes pas en mesure de nous menacer, Issifi : vous êtes sage. Vous nous avez indiqué la direction de Syrdaha, ce qui constitue donc notre seule échappatoire si nous vous affrontons, pourquoi pas. Hors vous savez que nous aurons à affronter les bandits même si nous refusons votre hospitalité : vous avez compris que nous ne pouvons pas retourner sur nos pas. Cela sous entend que vous êtes persuadé que nous ne vous causerons pas de mal. Du moins pas plus … Je ne vois donc pas d’autre raison que cela : vous nous demandez notre aide parce que nous sommes révolutionnaires, et … » fit la momie, avec un petit sourire.

« Je ne vous demande pas votre aide, étranger. Je … » commença-t-il à répondre, coupant la parole à Solomon.

« Vous essayez de nous rouler, je sais. Vous n’êtes pas stupides, vous essayez de faire vibrer la corde de la culpabilité, la corde de l’empathie. Enfin, au début. Là vous essayez de toucher la corde sensible chez mon amie. Et si vous comptiez rameuter l’armée, ou la milice, vous l’auriez déjà fait pour les bouter hors de là. La vérité c’est que vous êtes impuissant, Issifi. Et que la superstition vous noue les tripes. Alors de vous à moi, je ne croie pas vraiment à vos malédictions. Si votre peuple est incapable de les bouter hors de Syrdaha, comment pensez-vous que nous puissions réussir ? Voilà qui statue bien sur vos sous-entendus, il ne s’agit pas d’une offre. On vous a commandé de nous faire partir au plus vite et vous essayez de nous manipuler à vos propres fins. Et vous avez bien de la chance que nous ne soyons pas de simples criminels. Ce qui justifie, d’ailleurs, le fait que nous soyons ici à discuter au lieu de nous étriper joyeusement, que vous nous ayez invités. » poursuivit la momie, s’étonnant de sa propre perspicacité.

Il perçut les battements du cœur de l’Issifi. Ils s’accéléraient. Un sourire timide égrena les traits de la momie. Qu’il ait trouvé la vérité ou non, il savait qu’il venait de marquer un point. De faire peur à l’homme-sage.

« Vous … vous êtes plus sagace que vous en avez l’air. » grogna le vieil homme, se calmant peu à peu.

Et il avait l’air de quoi ? Une momie imbécile à la force et aux manières hasardeuses ? Ouais. Ça collait bien au tableau.

« Si vous le dites. Vous êtes un très bon commerçant, selon vos dires. Alors nous allons vous faire une offre. Laissez-nous nous cacher ici et nous vous protègerons des pillards. » proposa Solomon, adressant un regard entendu à Shaïness, avec un petit brin de malice.

Evidemment, il voyait plus loin que ça. Mais l’air satisfait que l’Issifi prit lui arracha une esquisse de sourire. Il devait certainement penser que la momie n’avait pas vraiment compris grand-chose à la situation.

« Je ne peux pas. Les lois sont formelles, et vous encourrez la mort. Vous avez tué l’Asherafi. Le seul moyen de vivre pour vous est de … » commença-t-il, se redressant sur son coussin carmin.

« … de reprendre Syrdaha ? D’accomplir un acte de bravoure qui nous vaudra le respect de votre peuple ? De canaliser notre évidente force dans un but louable et profitable à tous ? Mais je croyais que les nomades n’étaient, justement, pas attachés aux possessions terriennes. » le coupa Solomon, avec le même air innocent.

« Et bien oui. Mais notre berceau est une terre de pèlerinage. Une terre qui doit rester vierge de … » répondit l’Issifi en claquant de la langue, offusqué par la critique de la momie.

« … de tout pillage : rester telle qu’elle l’a toujours été. Un lieu de pèlerinage, en effet. Mais dites-moi. Un lieu de pèlerinage aussi facile d’accès pour des brigands, c’est un peu dangereux pour vous, non ? Ce qui s’est produit une fois pourrait se produire plusieurs fois dans l’avenir vous ne pensez pas ? » le coupa de nouveau Solomon, prenant peu à peu l’ascendant sur la direction de la discussion.

« Nous sommes nomades, quelques guerriers demeuraient pour garder la terre sacrée de nos ancêtres. Ce n’est pas la culture de notre peuple. » fit-il, devinant petit à petit à quel jeu jouait la momie.

« Donc nous sommes d’accord. Nous deviendrons les Asherafi de votre peuple et nous bouterons les pillards hors de Syrdaha. » trancha le révolutionnaire, faisant signe à Shaïness qu’il savait ce qu’il faisait.

Loin de lui l’idée de la faire taire, mais il jouait à un jeu qui le faisait revivre. Quelque chose qui lui insufflait du feu au ventre. Il sentait sa nasse se resserrer sur sa proie. Il le sentait avancer sans même se douter du couperet qui allait s’abattre sur sa nuque. La momie se lécha les lèvres, tâchant de masquer son petit sourire. Les bandes rendaient ses traits difficiles à comprendre, et c’était tant mieux.

« Et nous nous installerons à Syrdaha. » conclut-il, faisant blêmir l’Issifi.

« Et bien oui, nous ne sommes pas les bienvenus ici, et vous comptez sur nous pour bouter les bandits hors de vos ruines sacrées. Qu’est ce qui nous empêchera de nous y installer par la suite ? Si vous ne pouvez les dérouter et que nous le faisons, vous n’arriverez pas à nous vaincre. D’autant plus que nous ne sommes pas seuls, Issifi. Nous sommes révolutionnaires. Et nous avons des alliés partout. Vous ne le savez que trop bien, non ? » poursuivit la momie, affichant ouvertement son sourire en coin.

L’homme-sage grogna, fronça les sourcils. Solomon avait raison, c’était valable selon un certain point de vue : celui de leur victoire. Les deux personnages n’avaient fait montre que de force brute, ce qui laissait présager dans l’esprit de l’Issifi qu’ils pouvaient être encore bien plus nuisibles qu’ils l’avaient montré. Une autre chose que le révolutionnaire avait supposée et qui tombait juste : les nomades avaient eu des contacts fréquents avec les révolutionnaires. Un peuple nomade pour véhiculer des armes, de la nourriture, ça passait facilement. On imaginait bien tous les services qu’ils s’étaient mutuellement rendus au travers des siècles. Une sorte d’accord tacite qui pouvait générer des contacts de temps en temps. Suffisamment pour que l’Issifi mesure la profondeur de la menace de Solomon.

« Bien. Maintenant nous pouvons discuter, Issifi. Ce que je vous propose est simple : nous vous débarrassons des pillards et nous nous assurerons qu’ils n’y reviennent jamais. Vous n’êtes pas des sédentaires, nous si. Vous n’avez pas les moyens de vaincre ces criminels, nous si. Et si nous nous engageons à préserver votre site sacré, nous le ferons. Sans compter que Shaïness est à présent Asherafi. Le guerrier le plus sacré de votre tribu, selon vos propres termes. Alors je gage qu’elle puisse nommer les personnes qu’elle désire au titre de gardien de la terre sacrée, hmm ? » fit la momie, adressant un clin d’œil à la donzelle.

En lui attribuant ce titre comme un sobriquet, l’Issifi avait en effet donné ce pouvoir relatif à Shaïness. Il pensait envoyer les deux personnages en fuite éliminer leur ennemi, mais cela s’était visiblement retourné contre lui. Il fronça les sourcils, pesant le pour et le contre de cette proposition. Il avait le sentiment de ne pas avoir le choix, et cette perspective le mettait mal à l’aise. Il n’aimait pas qu’on essaye de le prendre à son propre jeu, ce qui était normal en soi. Cette fois, il serait obligé d’en référer à la hiérarchie de son clan, dût-il en émousser son honneur. C’était une décision lourde de sens, et quelque chose qui frôlait le sacrilège. Mais les arguments de Solomon étaient tels : ils les débarrasseraient des intrus et protègeraient l’endroit. C’était presque trop beau pour être vrai, mais demeurait un détail non négligeable …

« Et notre peuple ? » demanda-t-il, s’emparant de l’hameçon que lui tendait le révolutionnaire.

« Et bien, cela restera votre site sacré : nous n’avons besoin que de masures, pas de richesses. La traque exercée par le Gouvernement ne viendra pas entacher le berceau d’Alabasta, ce serait pire encore que les quelques incidents diplomatiques déjà encourus. Nous réclamons asile contre service rendu, en somme. » conclut-il, demandant l’assentiment de Shaïness sur ce dernier point.


Dernière édition par Solomon Grundy le Mer 8 Oct 2014 - 20:03, édité 1 fois
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Personnellement, j'avais décroché. Pourtant, je n'étais pas novice à ce petit jeu. J'avais bien mené la première partie de la conversation, n'est-ce pas ? Mais à partir du moment où Solomon prit la parole, je fus comme plongée dans une sorte de transe. J'étais fatiguée. Tout simplement. L'adrénaline qui avait fait feu dans mes veines, qui m'avait portée tout au long du combat, disparaissait petit à petit, pour ne laisser qu'un sentiment de lassitude sale. Combien d'hommes avais-je défait ? Blessés et même tués ? Quand je me souvenais de la sotte idéaliste que j'étais auparavant, refusant d'apprendre la moindre technique offensive... quand je considérais la rapidité à laquelle je m'étais habituée à avoir recours à la force brute... J'avais peur de moi-même... et je me dégoûtais. Ce qui allait contre tous les serments que je m'étais faite.
Finalement, c'était sans fin. On revenait toujours à la même constatation : celle qu'on avait échoué. Et là, je me posai la question interdite : à quoi bon ? A quoi bon tous mes efforts sur cette île ? Combien de temps avant que je ne contemplasse la réalité qui était devenue le présent, et constatasse que tout cela n'avait servi à rien et que nous étions revenus à un statut-quo. Comme si les Puissances du Monde avaient décidé que notre Destin n'était que de se débattre, et de ne jamais battre.
Ça me donnait envie de me trouver un bout d'île loin de toute civilisation, avec une source d'eau et un palmier pour faire de l'ombre, pour y passer le reste de mon existence à dormir. Juste dormir. Ah, et manger des mangues. Les mangues, c'est bon, et ça donne le teint frais.

- « Hum ? » fis-je en revenant à moi. En accéléré, je me refis la conversation que j'avais suivi d'une oreille distraite. « Tout comme il a dit. » et je réalisai que cela ne faisait pas très professionnel. « Je veux dire, le deal est clair. Sauf que je vous annonce que nous ne nous contenterons pas de masures. Nous nous installerons de façon durable à Syrdaha. Du coup, nous prendrons possession des bâtiments. Il suffira juste de nous dire lesquels sont vraiment sacrés ou maudits ou autre. Nous serons extrêmement respectueux envers vos croyances. Mais ne pensez pas que la prochaine tempête de sable pourra nous déloger. Et bien entendu, je garde le titre de Asherafi. Je prendrai ces responsabilités très au sérieux et reviendrai botter le séant du premier clampin qui vous titille. Mais une femme Asherafi ? Vu comment vous traitez vos propres femmes, ça doit vous faire mal. Alors, je demande, pour que JE sois prise au sérieuse, que vous instituiez un conseil des femmes ou son équivalent et que vous écoutiez et preniez réellement en compte ce qu'elles vous disent. Sinon, les premiers séants que je viendrai botter, ce sont les vôtres.  »
Et sur ce, je me levai et quittai la tente, laissant aux bons soins de Solomon le reste des négociations. La chose était entendu de toutes les façons. La révolution irait s'installer dans des ruines mythiques. Why not ? Autant y voir un signe, non ? Je crachai sur le Destin il n'y a pas cinq secondes, mais voilà que j'étais en train de lui tordre le cou pour qu'il arrangeât mes petites affaires, et ma conscience en premier lieu.

Je ne pouvais aussi que m'étonner de la confiance aveugle que j'avais eu en Solomon. Comme si je savais d'avance qu'il allait réussir. Qu'il avait en lui ce qu'il fallait pour guider les Nomades à prendre la bonne décision, pour défendre les intérêts de la révolution et veiller à notre bien-être égoïste. C'était une sorte de confort habituel que je ne m'expliquais. C'était peut-être sa voix. Il avait des intonations qui me rappelait quelqu'un, sans trop savoir pourquoi. Et pour cause. Jamais je n'avais vu Rafaeolo Auditore se tenir devant l'ennemi et l'embobiner à lui faire douter de son nom. Pas plus que je n'avais assisté à l'un de ses discours enflammés qui galvanisaient toute une foule. Mais nous avions beaucoup discuté et en dépit des cicatrices et d'une mémoire à l'état de page blanche, Solomon avait des accents de vérité, comme un écho dans sa voix. Et plus le temps passait, plus j'avais l'impression de passer à côté de quelque chose. Ce n'était pas que je me mentais. C'était que je ne pouvais pas imaginer Rafaelo en vie, sous quelque apparence que ce fut – et celle du Roi-Momie encore moins. Comme j'avais dit, El Mentor manquait singulièrement d'humour potache. Et puis, l'espoir... il faisait peut-être vivre la Révolution, mais il pouvait tuer à petit feu la révolutionnaire. Je n'avais pas envie de m'infliger la douleur de la déception. En cela, je me voilais la face. Je refusais de réellement penser à ce qui devenait une évidence. Parce que le moindre doute était beaucoup plus cruel que ne serait libératrice la croyance folle.

Je m'étais éloignée du camp et, assise sur un rocher qui avait dû être une dalle de construction d'un bâtiment désormais englouti par le sable, je contemplais l'étendu du désert. Là-bas, au fin fond de l'horizon, il y avait un orage. Une tempête de sable. Vu l'indifférence locale à cet événement, j'en avais déduit qu'elle n'avait pas pour chemin Yuba, mais je trouvais le spectacle magnifique et absolument terrifiant. A croire que ce désert ne savait faire que ça : rugir et détruire.


Et mon esprit revint à Syrdaha et à la mission qui nous attendait.

Rien ne vivait là-bas.
Le jour, elles paraissaient dormir, assoupies dans un sommeil minéral et tragique. Un vent chaud et sec soufflait en permanence de leur étendues désertiques. L'haleine des génies, disent les paysans. Au soleil, leur couleur était indéfinissable. C'était une palette de gris, de bruns, de rouges et d'ors qui se mêlaient et s'entrecroisaient, ponctués ça et là par la tache incandescente d'un affleurement de roche noir embrasé par le soleil.
Rien n'y vivait. Ni plante ni animal. Pas un chant d'oiseaux n'y faisait vibrer l'air. C'était le royaume des esprits minéraux, un royaume qui s'étendait d'un bord à l'autre de l'horizon et que l'on ne pouvait franchir dans perdre sa vie et son âme.
La nuit, elles brillaient d'une lumière étrange qui leur a valu leur nom car en été, les orages y faisaient naître des apparitions fantastiques de sable et d'éclairs, comme si les esprits voulaient prendre corps. De même, lorsque l'hiver cachait le soleil, le désert diffusait encore une lueur obscure venue des entrailles de la terre. Il n'y faisait jamais totalement nuit.
On les appelle les Plaines Astrales.

Au centre de cet enfer se blottissait la ville sacrée : Syrdaha.

A Alabasta, Syrdaha était à peine une légende. Pour beaucoup, c'était un nom tombé dans l'oubli. Mais pour les fiers nomades, c'était l'alpha et l'oméga de leur monde.
Syrdaha, la ville engloutie par les dunes, où toute vie avait commencée, et où toute vie finira.
Les récits oraux que les Chamanes nomades se transmettaient de maîtres à apprentis indiquaient que la civilisation d'Alabasta était née à Syrdaha. Elle avait été une ville de lumière et d'eau, aux bâtiments sculptées dans la pierre de sable, une sorte de pierre de lune d'un or pâle, mélange étonnant de marbre et d'opale. Là, au cœur de ce qui était désormais un désert, il y avait eu une belle et grande cité, le front audacieux à dresser ses tourelles vers le ciel, alimentée par une source d'eau claire et fraîche. Puis les hommes avaient subi la colère des Djins, des dieux, de Mère-Nature, ou du Grand Papou – quelque soit le nom que vous voulez lui donner - et une tempête de sable, soufflant pendant quarante nuits et jours, avait effacé toute trace d'une civilisation prometteuse. Les survivants s'étaient traînés à travers le désert ainsi nouvellement crée, pour finir sur la colline de ce qui allait devenir Alubarna. Les Chamanes murmuraient aussi que ces survivants n'avaient pas été choisis au hasard et n'avaient été épargnés que parce qu'ils étaient les justes parmi les justes et les seuls à avoir été assez purs pour emporter la parole sacrée loin de Syrdaha la Maudite, pour qu'Alubarna la Nouvelle pût prospérer à son tour.

Si les Nomades chérissaient Yuba, ils vénéraient Syrdaha.
Pourtant, ils ne leur viendraient pas à l'idée de retourner s'y installer, en dépit même de l'avantage indéniable que procurait la source.
Car oui, Syrdaha avait survécu. Réduite désormais à quelques ruines blotties autour d'une grande mare d'eau potable, la cité avait peut-être perdue sa superbe, mais nullement la raison même de son existence. Comme du chien-dent, la source avait continué de couler, érodant pierre après pierre, se faufilant, s'agrippant, défiant le temps et les anathèmes, jusqu'à rejaillir dans le sable, inlassablement, jusqu'à créer une oasis, un petit paradis dans le désert.
Paradis voulant exactement dire « après les portes de la mort ». Ce n'était pas l'image traditionnelle qu'on pouvait avoir. Bien loin des lieux communs, Syrdaha n'était pas un point de verdure tropicale et luxuriante qui surgissait tel un mirage au détour d'une dune. Non, c'était un endroit à la végétation rare, miteuse : quelques cactus, des buissons rares gorgés d'épines venimeuses, de l'herbe sèche et quelques palmiers, sentinelles géantes solitaires dont la tête se découpait sur l'horizon embrassé. En fait, il faudrait peut-être parler de Purgatoire.

Les Nomades ne retourneraient jamais à Syrdaha. Le lieu était frappé d'un sceau divin, et c'était mauvais-oeil que d'aller taquiner le diable dans sa tanière. Pour autant, ils n'accepteraient pas qu'un hérétique vint déranger ce même Djinn, ou pire, vint piller et profiter de leur héritage. Syrdaha était leur passé, leur pénitence...
Pourtant, Syrdaha était tombée aux mains d'un groupe de bandits de la pire espèce. Ne reculant devant rien, ayant commis tous les crimes, depuis le vol jusqu'à assassinat en passant par le trafic d'art et d'esclaves, de drogues et d'armes, ils étaient la lie de l'humanité. Nul ne savait comment ils avaient réussi à tracer leur chemin jusqu'à Syrdaha, à travers la chaleur et les dunes, les pierres et les sables mouvants. Un nomade aurait-il été capturé et torturé au point de livrer le secrets des routes, ou pire aurait-il succomber à la tentation d'une vie de luxe et luxure payée par des richesses qui ne lui appartenaient pas ? Qu'importe. Syrdaha était tombée...

Était-ce à cause des hurlements des vents extérieurs, du ciel sombre et tourmenté qui semblait prêt à s'ouvrir à tout instant sur le néant d'une nouvelle apocalypse ? Les paroles d'Adelfius me revinrent en mémoire : on ne pouvait mentir à Alabasta, à Syrdaha. Le désert vous oblige à aller au bout de vous-mêmes. Je devais ne retenir qu'une seule vérité : la vie. Le passé, l'avenir, la mort, tout était relatif. L'angoisse née de mes doutes se diluait lentement dans une volonté farouche de vivre. Les tempêtes, les soleils brûlants, le sable et la boue avaient détruit la carapace de mes illusions. J'étais comme nue, offerte à cette rage de vivre qui me pénétrait toute entière et distillait en moi une puissance nouvelle. Il n'existait qu'un seul dieu en ce monde : l'homme lui-même. Ni parfaitement bon ni irrémédiablement mauvais, mais insuffisamment mûr pour accepter la terrible responsabilité qui pesait sur ses épaules. Le reste n'était que hasard. Un hasard aveugle et cruel, capable du meilleur comme du pire. Le hasard... était l'autre divinité qui gouvernait ce monde.

Je revins encore une fois à moi, grelottant dans la nuit qui était tombée. Ces absences, je le compris, n'étaient pas forcément dues à ma fatigue. Il y avait là une force invisible au travail, qui voulait me faire passer un message. Ah lala, me voilà devenue mystique. Il était temps que je quittasse cet endroit où j'allai réellement me mettre à agir comme une Asherafi pur sang. Je me penchai et je laissai une poignée de sable glisser entre mes doigts.
- « Qu'est-ce que tu veux me dire ? Que je deviens folle, à parler à des grains de poussière ? Ça merci, je m'en doutais... »
Mais l'univers se tint coi.
Classique, quoi ?

- « Dites-moi, il y a un truc qui me chiffonne. » Je soulevai le pan d'entrée de tente comme si je n'avais pas disparu pendant plusieurs heures. « Puisque Syrdaha est au milieu de nulle part, comment se fait-il que vos pilleurs aient trouvé son emplacement aussi facilement ? Vous n'avez pas mentionné de longue errance, et puisque vous patrouillez aux alentours, cela veut dire que---. »
– « Que l'un de nous a parlé. De plein grès ou sous la contrainte. Nous ne savons pas. »
- « Et vous ne savez pas qui a bien pu parler ? Est-ce que vous avez fait un recensement ou quelque chose du genre ? »
– « Nous sommes un peuple libre. Nombreux sont celles et ceux qui n'ont pas répondu à notre appel. Difficile de savoir. »
- « Et les morts ne restent pas forcément morts. » intervint Solomon, pince-sans-rire. Il semblait en savoir plus que moi, mais c'était normal. Il avait tenu la jambe aux vieilles plantes desséchées pendant plus longtemps que moi. Si ça se trouvait, ce point avait été abordé depuis des lustres.
– « En effet. » Et je sus que Solomon m'expliquerait plus tard. En fait, tout bêtement, les chefs de clans suspectaient depuis longtemps l'un des leurs de faire cavalier seul en magouillant avec la Milice, mais que ce Ibanes avait disparu lors d'une énième tempête de sable. On l'avait cru mort. On croyait aussi que Syrdaha était hantée.

La nuit passa et encore une autre. Et lendemain trouva Solomon et moi prêts à partir sur le sentier de la guerre. La guerre sainte, pour libérer Syrdaha des impies et construire le sanctuaire de la révolution.
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Vu la façon dont ça se déroulait, c’était peu croyable que l’Issifi cède aussi facilement. Ces bâtiments étaient leurs sites sacrés mais voir les pilleurs les occuper semblait leur faire revoir certaines exigences à la baisse. Après tout, les révos sauraient gérer l’entretien des espaces verts, ce n’était pas plus mal. Mais la bombe que venait de lâcher Shaï avant de partir, c’était un peu le couac qui noua la gorge de l’emplumé en chef. Une femme au pouvoir ? Une étrangère qu’on envoyait au charbon ça passait, mais en profiter pour mettre en place un conseil de femmes ? Heu … Bon, la momie semblait approuver l’idée, mais les regards que s’échangèrent les hommes assis autour d’eux étaient lourds de sous-entendus.

« Allons bon, c’est profitable non : vous nous offrez un toit, nous vous offrons une protection. Un mercenariat avec plus d’avantages encore. Quant aux femmes … » commença Solomon, esquissant un sourire grimaçant sous son keffieh.

« Les femmes ?! Nous sommes les Nomades du désert, nous ne sommes pas des hommes jugulés par leurs bas instincts ! Nos femmes sont nos propriétés, as-tu vu le chameau décider du destin de la caravane ? » grogna un homme dans l’assemblée, coupant l’herbe sous le pied de l’Issifi.

La momie leva un doigt, voulant rétorquer qu’il avait déjà vu des cas où les chameaux avaient mené une rébellion et pas plus tard qu’hier mais il se rappelait que cette information était confidentielle. Il se ravisa, laissant son doigt en l’air puis fronça les sourcils.

« M’est avis que toi, tu ferais moins le malin si tas donzelle était dans le coin. Jolie écharpe en passant. » répliqua le révolutionnaire avec un sourire carnassier.

Le nomade changea de couleur puis leva un poing vindicatif. Comment ça Moumoune avait pouvoir de décision sur lui ? Mais ce n’était pas vrai ! Et si il portait une écharpe rose, c’était parce que le sable s’infiltrait partout, pas à cause de la couleur. Et puis ça s’appelait un keffieh. Et les broderies, c’était parce qu’il avait virilement demandé à sa femme d’en faire et puis …

« Suffit. »

Un geste de l’Issifi mit fin aux suppliques insensées de l’impudent. L’homme avait au moins assez de charisme pour imposer le silence. Une vague de protestation se fit entendre.

« Nous n’allons pas changer nos traditions pour vos beaux yeux, l’étranger. Asherafi peut-être, mais certainement morte demain ton amie. Ne prenez pas votre mission à la légère : même si tu penses l’emporter, la force brute ne vous suffira pas. Il y a tant de choses que vous ignorez sur le désert … » lâcha-t-il sur un ton sibyllin.

Le révolutionnaire soupira en se passant une main sur les cheveux épars qui saillaient de sous ses bandages.

« Il n’empêche qu’elle a raison. Si vous voulez, ce sera notre mise supplémentaire sur notre marché. Cela impacte vos rituels, vos traditions. Certes. Mais il faut évoluer avec son temps. Que pensez-vous que vos femmes diront après avoir vu ce dont mon amie est capable. Qu’elles sont vos égales. Qu’elles peuvent même vous surpasser. Alors à votre place, je rangerai ce qui me sert de virilité dans mon caelçon et je me montrerai digne de la chance qui vous est offerte. Si elle s’est montrée meurtrière avec vous, ne me sous-estimez pas. » trancha-t-il, ne détournant pas le regard de celui de l’Issifi.

« Bien. Nous n’avons pas le choix après tout. Nous soumettrons cette motion à un vote où même les femmes seront amenées à voter, d’accord ? Si elles ne veulent pas de cette place dans le conseil, nous ne pourrons les en blâmer … » négocia le vieil homme, réprimant un petit sourire en coin.

Le révolutionnaire opina du chef, se promettant de surveiller ce ‘vote’. De la même manière, il conseillerait un petit discours progressiste et féministe à Shaïness, histoire de mener à bien son plan. Voyant que le feu commençait à s’apaiser il soupira. Maintenant venait la phase la plus intéressante … la préparation à cette foutue bataille. Comprenez le sens ironique de la chose. Ah, elle avait bien saisi son moment pour partir Shaïness.

« Donc. Qu’en est-il de la situation dans votre ville sainte ? J’aurai besoin de savoir le nombre des pillards, leur lieux d’occupation et, surtout, comment ils sont arrivés là. » demanda-t-il, se grattant le menton.

« Et bien c’est assez compliqué à expliquer … » commença l’Issifi en se rasseyant plus confortablement sur ses coussins.


S’en suivit une longue discussion ponctuée de soupirs et de secouements dépités de tête. Des révélations. Des drames. Des cris de joie, des larmes de colère, de la trahison … Des pleurs et tout ce qu’il fallait pour faire un mauvais épisode de Desperate Housewives. Ahem, pardon. Un épisode de Desperate Housewives.
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