Posté Jeu 21 Avr 2011 - 21:19 par Minos
J'étais tranquille, j'étais peinard accoudé au comptoir. Quand un mec arrive et commande son café noir en installant ses miches près de moi, genre c'est sa petite amie; tu cibles la proximité. Limite je m'en fous moi, si j'oublie qu'il est là et qu'il se bouffe un coude dans la pommette parce que j'aurai eu la soudaine envie de m'étirer, faudra pas qu'il vienne faire sa raclette. Je profite de mon espace vital comme j'en ai envie après tout et ce genre de truc c'est aussi intime qu'une brosse à dents.
Le souci, c'est que le mec, il ne veut pas se faire oublier. Il commande un café noir et je sais que c'est pas pour l'amertume du breuvage qu'il a franchi la porte d'entrée. Derrière ses pauvres raybans, je vois pas ses yeux et ça m'énerve, mais je sais qu'il me regarde. C'est quoi au juste ? Journaliste ? Détective ? Agent du CP ? Nan, les agents du Cp sont quand même plus discrets que ça. Puis l'est pas venue avec un journal percé et il cause pas à la poche intérieure de son imper. On va rester sur l'hypothèse du gars qui s'est levé avec une folle envie de se péter quelques os durant la journée. Moi si je peux rendre service, son chirurgien devra être pro du puzzle 1000 pièces pour le retrouver l'image de base. Je m'apprête à m'étirer quand le type me coupe mon bâillement en agitant sa langue pour me sortir des mots étouffés, comme s'il causait à travers une écharpe.
"On m'a demandé de vous remettre ceci," qu'il me dit en me tendant un bout de papier plié comme un copion. Moi, je lui réponds que j'en ai rien à foutre et qu'il fasse de l'air. Le gars, je l'ai ébranlé dans son amour propre. Ca se voit tant que ça que je veux pas d'ami pour siroter ma Barbar ? Comme j'ai pas pris son papelard, il se sent obligé de surenchérir. Dangereux le coco, je commence déjà à me demander s'il ira le chercher après que je l'aie forcé à le bouffer son machin. Non mais c'est vrai quoi, qu'il la file aux autres se feuille de chou, je suis pas un conteneur à papiers-cartons moi bordel.
Il revient avec la ténacité d'une mouche que tu viens de virer de ton bras et il m'appelle par mon nom pour attirer mon attention. Ca marche, je reste attentif le temps qu'il me sorte à voix un peu plus franche qu'il fait partie d'un groupe d'amis et que c'est important. Des amis comme ça, j'en valide même pas sur facebook, mais comme il ne va pas me laisser tranquille, je lui arrache son truc des mains et j'inspecte. C'est cacheté en fait, et enveloppé dans une feuille bourrée d'écritures manuscrites diverses. pas envie qu'on lise à travers, c'est pas bête. Je regarde un peu les armoiries. C'est pas un taureau, ce qui fait que je recommence à m'en foutre. Je reconvertis l'objet en buvard et je pose mon verre dessus.
Les minutes passent et de voir sa précieuse missive servir à absorber ma bière, ça le met mal à l'aise le bonhomme. Moi, je prends mon pied à renverser à chaque gorgée. Quand la vue de son offrande noyée de bibine l'insupporte trop pour le laisser mélanger le lait à son café, il l'ouvre à nouveau pour me demander si je compte la lire. Je dis que non. "Pourquoi ?" qu'il me fait comme ça, plutôt abasourdi. "Je sais pas lire, connard".
Ben ouais, j'ai grandi dans une autre civilisation moi. On a gardé un parler plus ou moins similaire au commun, mais pour l'écriture y avait que des ponéglyphes. Du coup, j'écris ponéglyphe moi, pas son machin bizarre. Il ne le sait sans doute pas, mais vais pas lui raconter ma vie pour lui expliquer pourquoi j'ai pas envie d'interagir avec. Pour conclure l'entretien, je reprends le buvard et je lui tape sur le costume. La note du teinturier, c'est pour toi mon con, t'as fait chier le mauvais mec, tchuss man. Je termine ma consommation sans plaisir, juste pour me tirer, et je me tire.
Tu me crois si je te dis qu'il a continué à me suivre dans la rue ? Je pense que même si je lui retournais les doigts il continuerait à me filer comme un caneton. Il doit aimer mon ombre pour rester dedans et je sens sans le voir que le gars patauge sévère. Son maître lui a confié une mission que j'ai deviné en voyant sa sudation qu'elle était assez importante, mais ses priorités ne sont pas les miennes. Et s'il comptait sur la curiosité comme alliée, il doit se sentir bien seul. Si le type avait un minimum arrêté de pomper son attitude dans les romans d'espionnage que j'ai pas lu, il aurait déjà eu l'air moins tarte. En plein milieu de la rue, je me retourne et lui fais face. T'as déjà vu la mimique d'un chien errant qui vient vers toi en gémissant pour que tu l'adoptes ? Ben lui, l'est aussi pitoyable que ça. C'est mignon tout plein, mais la pitié non plus c'est pas une alliée pour le coup.
Si tu me lis un truc qui m'intéresse pas, je vais te faire payer le temps perdu en te maravant comme si tu venais de pisser sur une église. Ouvre ton message et dis-moi ce que ça raconte.
Pas très ragaillardi par la perspective nette que lui et moi on n'a pas les mêmes critères de valeurs, il déplie son copion et me récite sa leçon à cahier ouvert. Je fais 6 mètres et je me penche pas, autrement dit le truc, je suis pas le seul à l'entendre. Le gars lit presque avec l'intonation d'un exposé de classe, faut que le rang du fond entende. Les gens ont l'air de s'en foutre, mais c'est surtout qu'il ne dit pas ce qu'il lit. Il hésite, il tourne ses termes. Ca me parle d'une réunion entre collègues, collègues qui partagent mes intérêts et souhaitent ma contribution à je sais pas quoi pour aider les gens. Une énigme dans l'énigme en fait. Comme je ne suis toujours pas fixé sur la teneur de la lettre, je lui arrache des mimines et je la file à lire à un passant, un mec bien portant avec une jolie moustache fourchue et une veste usée. Là, déjà, c'est plus clair. En gros, les révolutionnaires veulent rassembler plusieurs membres actifs de la rébellion et s'organiser de concert pour être plus forts et plus efficaces. Ca cause d'un certain Dragon, savais pas qu'un reptile avait milité contre le Gouvernement. Ceux de nos grottes ils militaient surtout pour avoir un peu plus de toi dans leur assiette. Saleté de bestioles.
Je saisis le sens global, mais après avoir remercié le lecteur honnête, je sors au gars que je suis pas un révolutionnaire type, mon truc ce n'est pas de sauver la veuve et l'orphelin, mais de reprendre le système politique de l'époque oubliée. Qu'il soit bon ou mauvais, seule sa légitimité compte et détruire le Gouvernement c'est juste rétablir l'ordre. Le Putsch n'a aucun délai de prescription et il faut toujours accepter le jugement de ses erreurs passées. Moi qui ne voulais pas lui raconter ma vie, pour le coup il m'a eu l'émissaire.
Il me convie à quitter le chemin et me parle vite comme si chaque seconde lui coûtait du fric ou que les membres d'un consortium étaient en route pour l'intercepter. Il m'explique que si je veux avoir une chance de rendre ce projet viable, il me fallait m'aider des autres pontes et qu'il ne s'agissait pas de travailler pour un chef qui nous rassemble, mais de former un conseil équitable où chacun aurait autant de poids que les autres. Je me tâte un peu. Partager le pouvoir, je ne l'ai fait que quand je ne le possédais pas. En tant que Roi, il n'était pas temps de laisser quelqu'un interférer dans mes choix. Je pense à ce Conseil et si j'accepte au début, c'est parce que je veux surtout voir s'ils seront une aide ou un opposant. C'est important de connaître ses ennemis, si ça se passe mal au moins j'aurai une idée de ce que je devrai affronter. Je demande au messager de me filer le mot que porte le bateau que je dois trouver et je prends congé.
Je te passe les détails sur le reste, mais j'ai mis beaucoup de temps à arriver vu que je ne possède pas ma propre embarcation. J'arrive quand même finalement sur le cimetière d'épaves et je dois avouer que c'est rare qu'une construction de l'Homme me fasse me sentir petit. Que de navires écrasés les uns aux autres dans une fusion de bois et de rouille informe. Je regarde le papier. N M e p, c'est ce que je dois trouver. Je compare les caractères, sans succès. Je fais plusieurs fois le tour, rien de rien, ou le mémo ment, ou le navire a coulé depuis. Après quelques kilomètres de marche et plusieurs planches pétées sous le poids de mon corps, je trouve un truc qui ressemble vaguement. DaWN qu'il est mis, mais chaque lettre à la même taille. J'arrache la plaque du navire et je la retourne, ça correspond quasi au papier, il n'y a que la dernière lettre qui change. Z'étaient trop cons les pirates à l'époque pour écrire le nom de leur navire à l'envers. Cible localisée, maintenant on va essayer de ne rien casser.
Crac !
Ah, raté. Tout est moisi. La rambarde et les débris flottants ça tient encore avec les fondations tassées qu'il y a en-dessous, mais le pont supérieur c'est de la frigolite. Je repartis au maximum mon poids, mais plusieurs fois mon pied traverse jusqu'à la cheville.
Je vois un mec déjà sur place, un petit gars qui ne paie pas de mine et qui semble m'attendre. On se salue, je lui demande si c'est bien ici le dawn et il me confirme. L'endroit est bon au moins. Comme il y a de la lumière en bas, on descend, et là ça se complique. Le type avec moi passe sans souci, mais moi je suis trop grand. Je pourrais me courber pour longer les couloirs, mais avec les mouvements restreints je ne pourrai plus doser la pression et je vais finir sous la coque. Je dis au gars de continuer, je vais me débrouiller. La lumière est au bout du couloir. Comme je n'ai pas trop envie de rester accroupi toute la réunion, je me redresse sèchement et craque le plafond. Me voilà les pieds au moins un et le tronc au pont supérieur. Le sol a l'air plus costaud, j'en profite pour m'appuyer dessus et donner un gros coup de poing dans le plancher du pont. Ca cède, j'ai un gros trou donnant un contact visuel avec le prochain mètre de parterre que je dois emprunter. Nouveau coup, nouvelle découverte. Je fais tout le couloir en arrachant le bois pour rejoindre la source lumineuse. Mon boulot fini, down est customisé en navire avec toit ouvrant. Je vire les débris tombés dans la salle là où je compte poser les fesses et je m'assieds.
Deux personnes sont là, le type qui m'a accompagné et qui attends qui attends que je finisse mes travaux d'aménagement pour enlever la poussière sur ses fringues, et un tout petit machin tout ratatiné emmailloté dans une couverture de nourrisson. C'est comme un jawa, mais avec des poils. l'a trouvé la bonne combine en laissant sa capuche ramasser la sciure de bois et la poussière à sa place, mais ça lui donne l'aspect d'une vieille antiquité dont aucun pillard n'aurait voulu. Je mate un peu la bestiole, ça doit pas être mauvais avec des amanites des Césars.
Sans que je tourne une clef dans son dos, v'là qu'il se met à causer. Alors c'est ce truc là qui nous a fait venir ici ? Faut le voir pour le croire, le Koala qui succède au Dragon pour militer. Me demande si les koalas aussi ils crachent du feu, je lui demanderai après la réunion. Amusé par l'aspect misérable mais plutôt intime du lieu, je donne aussi quelques mots.
C'est quoi ici ? Une réunion anonyme ? je dois dire "je m"appelle Raoh et je suis révolutionnaire" puis enchaîner sur la dernière fois que j'ai fusionné un Marine avec un mur ?
Pour ceux qui l'ignorent, je m'appelle Minos et je suis pas venu pour un endoctrinement au "la guerre est parfois indispensable à la paix"," un monde qui manque de voix pour s'élever sera toujours réduit au silence" ou "bouh l'autorité, les marines tous des pourris". J'espère que la raison de cette réunion n'est ni moralisatrice, ni pacifiste, parce que j'ai horreur de ce genre d'ambiance.
Si on est bien là pour affronter un ennemi commun de la façon la plus adéquate à nos aptitudes, alors je suis des vôtres. Que je termine à dire très calmement.
Ouais, c'est pas super courtois de rentrer dans le vif du sujet, c'est à la peluche de présider et je vais la laisserai faire, mais vu que j'ignore totalement qui est devant moi et ce qu'ils savent de moi, je préfère préciser mon style avant qu'on pense que je suis venu juste parce que je me sentais seul. Si ce groupe contient bien les figures de proue de la Révolution, non seulement on est très peu, mais en plus il faut un truc mastoc, avec de gros moyens et des actes plutôt que des projets. De toute façon, je préfère passer pour un primaire, leur attitude vis-à-vis de moi me donnera des informations qu'aucun de leurs mots ne peut apporter. Tu peux apprendre beaucoup d'un mec qui te sous-estime.