Fin des vacances depuis un mois, jour pour jour. J'ai la nostalgie du désert, je crois, le coin est tempéré, et il fait encore frais. On est qu'en mars, l'air de rien. Et j'avais pas encore sorti mes deux fringues d'hiver du sac.
Je sens le renfermé, du coup. Renfermé comme le ciel plombé de gris, grosse laine planquée sous l'uniforme. Le talon qui claque sur le pavé. J'suis venue prendre mon poste en garnison. Un taff tranquille, qu'on m'a dit. Je le crois, parce que « on », c'est Bermudes, et que Bermudes, c'est un type bien. On a eu l'occasion de pas mal faire connaissance, à force d'aller se promener dans le désert ensemble avec trente kilos sur le dos et des jeux de pistes à faire sous quarante degrés à l'ombre – sans ombre. Et puis, je kiffais la zone. Vrai de vrai. Le désert, ça m'arrivait d'y retourner même en soirée, en attendant Craig qu'avait des horaires souvent un peu décalés. Je me foutais les deux mains dans une dune rouge de sable, pendant que le soleil baissait. Je jouais à le faire passer dans mes paumes, et je regardais l'horizon en pensant à rien, puis à tout ce qui venait. C'était bien. Et puis le désert, c'est comme la mer, sauf que ça bouge moins. De temps en temps, une caravane passait et je leur achetais des dattes. J'en avais jamais mangé. C'est sucré, et la chaleur les chauffait. C'était comme manger un fruit qu'aurait eu un cœur qui bat.
Bref, Hinu Town, c'était bien. Inu, j'aurais pu croire que ça ressemblerait. Mais non. Une petite île toute verte, proprette, avec ses habitants petits-bourgeois enracinés dans leur routine centenaire. Autant dans le désert, avec mon supérieur à grosse voix et mes bédouins, je pouvais oublier à quel point je pue la zone. Ici, un peu moins. Y'a pas à dire ; quitter l'habit de sœur m'a aidé à garder la foi, mais pas à conserver une bonne image de moi. Malgré l'uniforme, j'ai l'impression qu'on me juge sur ma manière de marcher. Vieux réflexes mal enfouis. Mon premier poste en-dehors d'une garnison auto-suffisante, ici, on doit faire avec les gens. D'un côté, c'est le signe qu'on m'a bien acceptée dans la régulière. D'un autre, je sais pas trop comment me positionner. Et j'ai un peu peur du fait de plus vivre à la caserne, de devoir me trouver une baraque, de pas forcément avoir la cantine matin et soir. Avec les sœurs, j'étais pas souvent seule. C'est con. J'ai peur de la liberté.
Liberté conditionnelle, quand même. J'ai entendu les bruits de couloir, après qu'on ait visité les lieux. Les sergents sont tyranniques, et c'est d'autant plus drôle que je suis sensée en faire partie. Mon premier poste avec ce grade ; d'après qu'il y en a qui font leur trou depuis des années ici. Qu'ont fondé une famille et tout, même. J'ai du mal à me projeter. Jusque là, j'ai capturé un révo en nettoyant des chiottes, j'ai fait la guerre et j'ai été blessée, puis je me suis rétablie pour marcher dans le désert. Des aventures, pas toutes chouettes, mais des aventures, l'impression de voyager pour de vrai. J'aime pas l'idée de me fixer ; pourtant, pour pas se fixer, faut faire carrière, et je crois pas assez en l'uniforme pour ça. Quel connard de gradé s'amuserait à épingler les médailles du commandement sur la poitrine d'une pauvre fille qui se sert de la marine plus qu'elle ne la sert ? Jusque là, j'ai fait illusion à cause des circonstances. Mais je fais confiance à ma copine Fortune. Je sais que ça pourra pas durer longtemps.
J'erre dans la rue, littéralement. Les gens sont gentils, me disent bonjour quand je passe. Y'en a même qu'ont l'air de vouloir causer plus. Mais je les regarde comme des bateaux qui passent. En quête d'infos, me faut une baraque, y'a que les soldats qui restent à la base, qu'on m'a dit à la réunion, ce midi. Une baraque, parce que c'est signe de richesse, d'autorité, et qu'en tant que sergent tu as enfin le salaire pour. Mais j'ai jamais fait ça. Et comme je sais pas trop où aller, je me cale derrière une file de boulangerie.
De toutes façons, il est midi et faut que je me pose un peu. Me ressemble pas de pas m'adapter comme ça. Une cabane, simple, au bord de la mer ; ça le ferait. Si je vois l'océan par la fenêtre, ça le fera forcément.
-Eh, bonjour ? Mademoiselle ?
-Ah, bonjour. La baguette, là. Et puis les deux chaussons, avec un saucisson, là.
Oui, ça sera tout ; deux-cent berrys, bien, pas la ruine. Une petite baraque près de la mer ? Oui, peut-être, mais repasser plus tard parce que là, bon, c'est gentil mais il y a du monde au portillon, et la concurrence est rude avec le gros fournil en face de la rue. Très bien, je repasserais. Me laisse le temps de me caler sur un banc. Je salue sans trop calculer la tignasse rose de la boulangère. Et je me pose sous le cri des mouettes.
Je sens le renfermé, du coup. Renfermé comme le ciel plombé de gris, grosse laine planquée sous l'uniforme. Le talon qui claque sur le pavé. J'suis venue prendre mon poste en garnison. Un taff tranquille, qu'on m'a dit. Je le crois, parce que « on », c'est Bermudes, et que Bermudes, c'est un type bien. On a eu l'occasion de pas mal faire connaissance, à force d'aller se promener dans le désert ensemble avec trente kilos sur le dos et des jeux de pistes à faire sous quarante degrés à l'ombre – sans ombre. Et puis, je kiffais la zone. Vrai de vrai. Le désert, ça m'arrivait d'y retourner même en soirée, en attendant Craig qu'avait des horaires souvent un peu décalés. Je me foutais les deux mains dans une dune rouge de sable, pendant que le soleil baissait. Je jouais à le faire passer dans mes paumes, et je regardais l'horizon en pensant à rien, puis à tout ce qui venait. C'était bien. Et puis le désert, c'est comme la mer, sauf que ça bouge moins. De temps en temps, une caravane passait et je leur achetais des dattes. J'en avais jamais mangé. C'est sucré, et la chaleur les chauffait. C'était comme manger un fruit qu'aurait eu un cœur qui bat.
Bref, Hinu Town, c'était bien. Inu, j'aurais pu croire que ça ressemblerait. Mais non. Une petite île toute verte, proprette, avec ses habitants petits-bourgeois enracinés dans leur routine centenaire. Autant dans le désert, avec mon supérieur à grosse voix et mes bédouins, je pouvais oublier à quel point je pue la zone. Ici, un peu moins. Y'a pas à dire ; quitter l'habit de sœur m'a aidé à garder la foi, mais pas à conserver une bonne image de moi. Malgré l'uniforme, j'ai l'impression qu'on me juge sur ma manière de marcher. Vieux réflexes mal enfouis. Mon premier poste en-dehors d'une garnison auto-suffisante, ici, on doit faire avec les gens. D'un côté, c'est le signe qu'on m'a bien acceptée dans la régulière. D'un autre, je sais pas trop comment me positionner. Et j'ai un peu peur du fait de plus vivre à la caserne, de devoir me trouver une baraque, de pas forcément avoir la cantine matin et soir. Avec les sœurs, j'étais pas souvent seule. C'est con. J'ai peur de la liberté.
Liberté conditionnelle, quand même. J'ai entendu les bruits de couloir, après qu'on ait visité les lieux. Les sergents sont tyranniques, et c'est d'autant plus drôle que je suis sensée en faire partie. Mon premier poste avec ce grade ; d'après qu'il y en a qui font leur trou depuis des années ici. Qu'ont fondé une famille et tout, même. J'ai du mal à me projeter. Jusque là, j'ai capturé un révo en nettoyant des chiottes, j'ai fait la guerre et j'ai été blessée, puis je me suis rétablie pour marcher dans le désert. Des aventures, pas toutes chouettes, mais des aventures, l'impression de voyager pour de vrai. J'aime pas l'idée de me fixer ; pourtant, pour pas se fixer, faut faire carrière, et je crois pas assez en l'uniforme pour ça. Quel connard de gradé s'amuserait à épingler les médailles du commandement sur la poitrine d'une pauvre fille qui se sert de la marine plus qu'elle ne la sert ? Jusque là, j'ai fait illusion à cause des circonstances. Mais je fais confiance à ma copine Fortune. Je sais que ça pourra pas durer longtemps.
J'erre dans la rue, littéralement. Les gens sont gentils, me disent bonjour quand je passe. Y'en a même qu'ont l'air de vouloir causer plus. Mais je les regarde comme des bateaux qui passent. En quête d'infos, me faut une baraque, y'a que les soldats qui restent à la base, qu'on m'a dit à la réunion, ce midi. Une baraque, parce que c'est signe de richesse, d'autorité, et qu'en tant que sergent tu as enfin le salaire pour. Mais j'ai jamais fait ça. Et comme je sais pas trop où aller, je me cale derrière une file de boulangerie.
De toutes façons, il est midi et faut que je me pose un peu. Me ressemble pas de pas m'adapter comme ça. Une cabane, simple, au bord de la mer ; ça le ferait. Si je vois l'océan par la fenêtre, ça le fera forcément.
-Eh, bonjour ? Mademoiselle ?
-Ah, bonjour. La baguette, là. Et puis les deux chaussons, avec un saucisson, là.
Oui, ça sera tout ; deux-cent berrys, bien, pas la ruine. Une petite baraque près de la mer ? Oui, peut-être, mais repasser plus tard parce que là, bon, c'est gentil mais il y a du monde au portillon, et la concurrence est rude avec le gros fournil en face de la rue. Très bien, je repasserais. Me laisse le temps de me caler sur un banc. Je salue sans trop calculer la tignasse rose de la boulangère. Et je me pose sous le cri des mouettes.