Per inania regna ~ part one [quête]

Rex regnat sed non gubernat.

La quête éternelle du pouvoir. Un pied au dessus de l’étrave, sur le pont avant, l’assassin guettait l’horizon. La mer était calme, et le Soleil se reflétait à l’infini dessus. Un ciel rose, auréolé de sang. Un parfait présage pour un périple infernal. Le navire filait à une vitesse incroyable sur les eaux, poussé par un vent d’ouest fort appréciable. L’assassin se tenait au gréement et laissait la vitesse le griser, ne se retenant que d’une seule main. Le navire prenait parfois une folle embardée, puis retombait aussi tôt à la mer dans un grand renfort d’éclaboussures, ce qui demandait une concentration à toute épreuve. La moindre erreur le laisserait à la mer, et il n’avait pas une seule seconde à perdre. Il s’agissait là d’une quête cruciale qu’il ne pouvait se permettre de laisser en suspens car il ne connaissait que trop bien la nature des hommes : aussi inconstants et volatiles que le vent. Les marins étaient les pires d’entre eux, que penser alors d’un monde régi par les dangers des océans et les légendes d’aventures aux quatre coins du globe, à la recherche d’antiques trésors, tels que le One Piece ? Il était impératif d’être là quand il le fallait, et être à la hauteur pour ne pas laisser sa chance couler entre ses doigts. Après des semaines d’errances et de remises en question, l’assassin s’était remis à flot et avait renoué des contacts réguliers avec les hautes strates de la Révolution et chez certains de ses bienfaiteurs, car il était à présent le leader de la Confrérie. Il avait repris la place de Césare avec autant de brio qu’il le pouvait, mais il était loin d’égaler l’esprit tactique de son frère. Il n’avait jamais cessé d’être le poignard, mais incarner la main lui était désagréable. Il était bien plus facile de tuer sur commande que d’envisager sur le long terme la mort de telle ou telle personne et de devoir faire des calculs sur l’influence de ses actes. C’était certes facile sur une échelle réduite, mais sur l’ensemble des blues … impossible. Il était assassin, pas stratège. Ainsi, il avait seulement maintenu un contact régulier avec ses disciples et laissé à la Confrérie le soin de soigner par elle-même. Après tout, il en incarnait le cœur, et elle ne disparaitrait pas tant qu’il vivrait. Le sort en était jeté.

Trois semaines incessantes de navigation à bord de ce fin trois mâts, aussi preste et solide que possible. Son propriétaire était un forban qui avait bourlingué sa bosse aux quatre vents et qui avait accepté de le mener jusqu’à Logue Town afin de chercher à rallier un énième navire. Il était déjà difficile de trouver des bâtiments prêts à le mener sur les blues, alors aller sur Grand Line … la seule chance d’y parvenir consistait à rallier un équipage de pirates, bien que l’idée déplaisait fortement à Rafaelo. Il n’avait certes pas le choix, mais tout aurait été réellement plus simple si ce satané marchand s’était décidé à revenir sur les blues à temps. Cependant, d’après ce qu’il en avait entendu, il était difficile quand on n’était pas de la Marine de faire marche arrière. Cela lui importait peu dans le sens où ce n’était pas son souci premier, mais il fallait néanmoins garder cela en tête. Accusant un nouveau choc contre l’océan, Rafaelo se décida enfin à rejoindre la cabine du capitaine pour y négocier le prix de sa traversée. Comme toujours, cela se réglait par un simple échange d’or mais c’était là une contrainte administrative à laquelle il fallait sans cesse se plier. Il soupira un grand coup, puis frappa à la porte. Si tout allait bien, il se passerait moins d’une journée avant qu’ils ne mettent pied à terre, du moins il l’espérait. Devoir supporter cet équipage composé à moitié d’ivrognes incapables était déjà assez éreintant comme cela, alors si un contre temps venait prolonger le séjour … La porte s’ouvrit en grand, révélant un spectacle amusant. Les tables de la cabine du capitaine étaient constellées de cartes maritimes, et celui-ci s’affairait à manier un grand compas, calculant avec soin les distances parcourues. Un homme se tenait à ses côtés, tentant tant bien que mal de compter on ne savait quoi avec une balance. Cet allumé, affublé d’une ridicule perruque blanche, ne se rendait pas compte que son entreprise serait vouée à l’échec tant qu’il ne trouverait pas un moyen d’éviter que le roulis mette systématiquement en branle tout son attirail. Rafaelo avança d’un pas, et observa le contenu de la pièce. Le Capitaine semblait avare en argenterie, on pouvait voir de nombreuses étagères dont les portes étaient fermées par un crochet et où des bols ou des verres en argent trônaient. Plus solide que la porcelaine, certes, mais à en juger par l’état des objets, il s’agissait plus d’une collection. Un vieux lustre trônait au centre de la pièce, oscillant sans cesse et jetant une lumière tamisée mouvante sur la scène. Un tapis ocre abîmé se dessinait sous l’ombre de l’épaisse table de bois, servant assurément de bureau au Capitaine. Devant cet étalage de compétences qui n’avaient rien à voir avec son domaine, Rafaelo entre dans la pièce, le malabar borgne qui lui avait ouvert la referma aussi tôt devant lui. Plutôt sympathique le second, avec ses arcades proéminentes et son menton aussi large qu’un tonneau de rhum, dont il avait l’haleine par ailleurs. Vu la taille et les muscles du mastodonte, il n’y avait aucun doute sur la manière dont il faisait régner l’ordre ici et vu la lueur de non intelligence qui résidait au fond de ses yeux, il n’y en avait aucun non plus sur la façon dont le Capitaine le maintenait à sa botte.

« Kennit, vous vouliez apparemment me voir. » déclara l’assassin, sans même marquer une once de respect au Capitaine.

Celui-ci ne releva pas la chose, et se contenta d’attendre quelques secondes avant de poser son compas et de faire signe à son homme de main de prendre la suite des relevés. D’un geste, il ordonna à Sorcor, son ‘subtil’ second, de monter la garde dehors, puis il invita l’assassin à sa table. Celle-ci se trouvait derrière une tenture tendue au fond de la pièce, donnant une vue appréciable sur la mer, via de grandes fenêtres. Elle était garnie de fins mets, destinés au Capitaine seul, et une bouteille de vin à peine débouchée trônait en son centre. Cette vue fit saliver Rafaelo, qui n’avait pas mangé autre chose que le gruau infect et le porc salé contenu dans les cales depuis des lustres. Il s’assit sans demander son reste, et pris place face au pirate. Il était vêtu d’une courtepointe serrée qui remontait sur un col en dentelle, lui donnant un étrange air précieux. Il arborait de nombreuses bagues, et aussi étonnant que cela puisse paraître, il ne correspondait en aucun point au mythe du bedonnant pirate aux multiples cicatrices aussi rustre que destructeur. Il était révérencieux, plein de bonnes manières et s’amusait à charmer l’assassin tout en lui rappelant sa place de simple passager dans un navire de commerce, chose dont il commençait de plus en plus à douter en frayant avec les marins de ce navire. Il s’assit donc face à Kennit et plongea son regard dans les yeux bleus glaciaux du Capitaine. Celui-ci se lissa la pointe de son bouc soigné, puis redressa le col de sa courtepointe.

« On m’a dit que vous vouliez vous rendre sur Grand Line, mon cher ami. » commença-t-il, sur un ton doucereux, tout en attachant sa serviette à son col.

Le Capitaine planta sa fourchette dans une tomate ronde et étonnamment bien conservée, puis il la découpa soigneusement, attendant la réponse de son interlocuteur, tout sourire. Rafaelo rendit son sourire à son interlocuteur. Comment pouvait-il bien être au courant ? Ces informations, c’était sous le couvert de son masque qu’il les avait cherchées. Le jeune homme arqua un sourcil et imita le Capitaine en attachant sa serviette.

« Laissez-moi tout d’abord vous remercier pour cette invitation à partager votre repas, mon … cher ami. » reprit-il, n’entrant pas dans le jeu.

« Qui diable aurait dit ça ? Je ne désire rien d’autre que me rendre à Logue Town pour affaires, comme vous l’a si joliment soufflé la coquette somme destinée à me faire traverser. »
répondit l’assassin, sur un ton sarcastique.

Il savait bien entendu exactement où son interlocuteur voulait en venir, ainsi tenter de le mener en bateau sur ses intentions ne servirait à rien. Il cherchait juste à lui remettre à l’esprit qu’il avait payé son dû et que cela devait largement lui permettre d’éviter les questions indiscrètes. Il piqua lui aussi un des mets de son assiette et le porta à la bouche, tout en prenant soin de ne point trop en prendre : on ne savait jamais.

« Je me doute, je me doute. Sire Auditore, mais j’ai tellement apprécié faire avec vous qu’il pourrait m’arriver … à l’occasion de faire de nouveau commerce avec vous. »
s’amusa Kennit, épiant les moindres réactions de l’assassin.

Rafaelo fronça les sourcils et posa tranquillement ses couverts. Il s’essuya la bouche, poliment, puis dévisagea de nouveau le Capitaine. Tout dans sa physionomie laisser penser qu’il se moquait ouvertement de lui et s’amusait de le voir ainsi se dépêtrer de sa toile. Il lui faisait l’impression d’une mortelle araignée qui déployait son piège tout autour de lui et se délectait de voir sa proie s’y condamner par ses propres soubresauts. Mais il ne lui ferait pas ce plaisir.

« C’est très aimable à vous, et il en va de même pour moi. J’en déduis que vous pensez m’intéresser avec une nouvelle offre, Kennit ? » demanda-t-il, un léger sourire en coin.

« On peut dire cela, en effet. »
trancha-t-il, visiblement déçu de ne pas avoir réussi à autant déstabiliser Rafaelo qu’il l’aurait voulu.

« Mais je crains que la nouvelle que je vous apporte ne soit quelque peu déplaisante, Rafaelo. Nous ne pouvons accoster là où vous le vouliez pour l’heure, quelques soucis passagers avec les autorités locales, voyez-vous. Ainsi, je me suis dit qu’avec un petit supplément … »
continua-t-il, un sourire malicieux sur le visage.

Nous y voilà. L’assassin joignit doucement ses mains, et posa les coudes sur la table. Il planta son regard azur dans celui de Kennit et supporta son insolente impudence. Il soupira puis fit mine de se lever lorsqu’une violente embardée le maintint sur son siège, ce qui tira un grand éclat de rire au Capitaine. Celui-ci se leva et découvrit un rideau qui masquait une partie du panorama et révéla d’importants récifs qui commençaient à filer à une vitesse ahurissante à côté d’eux. Ces esquilles n’étaient pas là, lorsque l’assassin se trouvait sur le pont, mais à quelle allure allaient-ils donc ? Ils avaient largement dépassé les trente nœuds à en voir le paysage, mais bien qu’ils s’approchent de la côte, le pirate ne semblait nullement être préoccupé par cela.

« Qu’est ce que ça signifie, Kennit ? » menaça-t-il, posant une main impérieuse main sur la table, provoquant un nouveau ricanement du Capitaine.

« Pourquoi vous énerver, mon cher ami ? N’était-ce pas ce que vous vouliez ? » se moqua-t-il.

Rapidement fit un rapide mouvement vers sa taille pour se saisir de son arme, mais le Capitaine se leva soudainement et dégaina un mousquet et arma le silex destiné à claquer sur l’amorce. Le son qui en résulta arrêta tout mouvement de la part de l’assassin sur le champ, et il leva un regard courroucé vers le pirate. Une moue de dégoût découvrit ses dents, alors qu’il reculait sa chaise, lentement. Kennit lui fit un signe de tête et lui ordonna de se mettre sur le côté, une petit sourire mesquin animait ses traits. Rafaelo obéit et laissa ses mains en l’air, bien en évidence. Le rythme de son cœur commençait à s’accélérer peu à peu, mais rien d’un point de vue physionomique ne trahissait sa peur ou une quelconque anxiété. Il jetait des coups d’œil à droite et à gauche pour glaner quelque plan de secours, mais ce geste induisit en erreur le Capitaine qui dévoila ses canines dans un rictus malicieux.

« Pas de panique, Sire Auditore. Voyez-vous, il est difficile de passer par Reverse Mountain par les temps qui courent, ainsi, comme je vous l’ai dit, j’ai eu quelques soucis avec les autorités locales … et il se pourrait que je sois honteusement accusé de piraterie. Le croyez-vous ? »
ricana-t-il, avançant d’un pas vers l’assassin.

Le pirate lui fit un nouveau signe de la tête, lui ordonnant de dégrafer sa ceinture. Rafaelo s’exécuta sans laisser voir à quel point le fait de retirer son arme lui était indifférent. Face à un type aussi hautain et sûr de lui, il n’avait pas même besoin d’œuvre autrement qu’à mains nues. Il jeta l’ensemble entre Kennit et lui-même, espérant par là le forcer à se baisser pour se saisir de ses armes, mais il n’en fit rien. Il hurla à son second de venir lui obéir, offrant un sourire jaune à l’assassin, puis se décala d’un pas sur le côté, laissant Sorcor ramasser les objets et les emmener dehors. L’Auditore suivit la course du second des yeux, ne pouvant réprimer un petit pincement au cœur tandis que son arme, héritée de son père, s’en allait loin de lui. Il revint ensuite au pirate et darda un regard sombre sur lui.

« Vous, un pirate … En effet, c’est cocasse. » cracha-t-il entre ses dents.

Kennit ne releva pas la pointe, et continua d’affabuler son captif avec un sourire mesquin.

« Enfin, ceci me ramène directement à vous, Sire Auditore. Voyez-vous, il existe un moyen bien radical de faire comprendre à la Marine, et au Gouvernement par la même occasion, que nous ne sommes que d’honnêtes commerçants qui doivent aller sur Grand Line afin … de nous constituer un champ d’action de plus grande envergure, commerciale bien entendu. » continua-t-il, moqueur.

Rafaelo se ramassa légèrement sur lui-même, inspectant une nouvelle fois la cabine d’un œil inquisiteur. Tout ceci ne sentait pas bon du tout, il y avait comme une histoire de magouille derrière tout ça. Encore une preuve du fait que la Marine était corrompue jusqu’à la moelle car il ne pouvait s’agir que d’une entente de ce genre. La vie d’un pirate contre celle d’un révolutionnaire ? Une bouffée de rage envahit sa poitrine, alors que Kennit le ramenait à l’ordre d’un mouvement du canon de son arme.

« Je vois que vous me comprenez enfin, mon cher ami ! Ah, il semblerait que vous ne soyez pas aussi innocent que vous ne le laissiez suggérer. Voyez-vous, lorsqu’on a laissé entendre que nous transportions un certain Auditore, la Marine n’a pas semblé vraiment aimer cela. Alors nous nous étions dits, nos gars et moi, qu’on pourrait peut être en profiter d’une pierre deux coups : vous amener sur Grand Line et nous avec … »
expliqua-t-il, alors qu’une embardée plus puissante que les autres secoua le navire dans son ensemble.

Kennit soupira longuement, puis il fit signe à Sorcor de se saisir de Rafaelo.

« Veuillez m’excuser, mais il va falloir que je commande les manœuvres. Pour plus de commodité, vous effectuerez la suite de votre voyage à fond de cale. Le passage de Reverse Mountain est assez complexe comme ça, mais n’ayez crainte, nous ne vous livrerons à la Marine qu’aux abords de Whisky Peaks. » se moqua le pirate, adoptant cette fois un air grave.

L’assassin se laissa trainer par le col, se résignant à ne pas lutter pour l’instant. Avait-il bien entendu Whisky Peaks. Il accusa une bousculade de la part du second sans broncher, arborant un léger sourire en coin. Il ne savait pas comment l’information avait pu filtrer, ni même comment son nom avait pu être corrélé à son statut d’Il Assassino, mais s’il pouvait profiter un tantinet de la situation, ce serait parfait. Il jeta un dernier regard en arrière et surpris Kennit en train de ranger son log pose dans son bureau, puis il s’y assit, posant là son mousquet. Sorcor le poussa une nouvelle fois, un peu plus violemment, mais Rafaelo ne se laissa pas entraîner cette fois. Il se décala d’un pas sur le côté et fit face au maudit capitaine.

« Pourrais-je au moins avoir l’audace de demander à ce qu’on me fasse parvenir mes effets personnels dans mes nouveaux appartements ? » demanda-t-il, sur un ton sarcastique.

Le Capitaine pirate croisa nonchalamment les pieds sur son bureau, puis il joignit ses mains derrière sa tête, et éclata de rire. Il secoua la tête et fit signe à son second de sortir avec leur prisonnier, une nouvelle fois.

« Me croyez-vous aussi sot, seigneur Assassin ? Votre attirail a été soigneusement fouillé par mes hommes, votre tenue n’était pas passée si inaperçue que vous le croyiez. J’ai été agréablement surpris de découvrir l’homme sous le masque, soit dit en passant, Il Assassino. La prochaine fois, assurez-vous de ne pas demander la même chose aux hommes d’un même équipage sous le couvert de deux identités ! » se moqua Kennit, avant que Sorcor ne finisse par frapper violemment Rafaelo sur l’épaule.

L’assassin fronça les sourcils puis s’exécuta, mettant un pied dehors pour faire face aux moqueries de l’équipage qui interrompit un instant ses activités pour regarder l’Auditore se faire mener à fond de cale. Il avait commis une simple erreur qui lui avait coûté cher. Il ne s’était que trop émoussé depuis que Césare avait disparu et ses talents d’assassin en avaient pâti. Une nouvelle embardée secoua le bateau, obligeant Rafaelo à mettre un genou à terre pour se maintenir d’aplomb, puis le second le poussa une nouvelle fois, en direction des cales. Le reste du voyage ne serait qu’une succession de brimades, gite incessant et nourriture nauséabonde. L’assassin inspira pour la dernière fois avant longtemps une brassée d’air chargée des embruns salés et savoureux de la mer. Il pourrait peut être l’emporter sur ce navire en cet instant, mais qu’adviendrait-il par la suite ? Son talent contre de maigres pirates, certes, mais il ne savait pas manier une embarcation aussi imposante par ses seuls moyens. Jouer entre grand voile et foc sur un voilier lui était possible mais tenir la barre tout en manœuvrant les voiles était ardu. De même, il ne s’y connaissait pas assez pour tenir une carte de son trajet, sauf s’il fallait simplement suivre le log pose. Evidemment, il doutait que cela soit aussi simple. Ainsi, il ne fit que baisser la tête en passant sous le pont et il fit attention à ne pas se retrouver à porter des grandes paluches de Sorcor au cas où celui-ci aurait envie de lui coller une taloche. Du fond du navire, le son du bois face à la vitesse et aux courants était effrayant. Rafaelo avait l’impression que le navire parlait, hurlait sa détresse face aux éléments et appelait l’équipage à l’aide. Il sentait les planches frémir, se contracter en préparation à la suite des événements. Les trappes des canons étaient fermées, mais il devinait au-delà les récifs qui filaient à une vitesse de plus en plus démesurée. Puis, d’un coup, le bateau se redressa. Ils entamaient donc la montée ! Le second le poussa violemment dans les geôles du navire, afin de se précipiter sur le pont supérieur. Il entendait déjà les ordres de Kennit claquer là haut. Il s’agissait d’une manœuvre cruciale qui pouvait signifier la fin du navire et de son équipage, mieux valait donc que le Capitaine soit à la hauteur. Mais, pour l’heure, l’assassin n’avait qu’à attendre l’annonce de sa destination. Il lui fallait déceler la moindre chance de se tirer de là car sans armes ni équipement, s’échapper de cette maigre cellule était fortement compromis …

~~~Trois semaines plus tard~~~

« Relevez-le. »


L’ordre claqua dans la semi pénombre du pont inférieur. L’assassin ouvrit à moitié les yeux, et aperçu trois paires de bottes. Il était affalé contre un montant en bois, famélique et sale. Une barbe déguisait son visage et ses vêtements étaient effilochés et humides. Un miracle qu’il n’ait pas attrapé le scorbut ou toute autre maladie écœurante. Il se laissa soulever, sa tête ballotta un peu, alors qu’un timide sourire commençait à se dessiner sur son visage. Le bateau oscillait à peine, mais il le sentait avancer à toute allure sous ses pieds. Si les premiers jours avaient été durs, il s’était rapidement fait à la routine et n’était sortit que pour satisfaire ses besoins naturels, enchaîné et toujours sur bonne garde. Et voilà la bévue qu’ils venaient de commettre après un temps infiniment long de voyage. Pensaient-ils l’avoir broyé ? Même s’il pouvait ployer, jamais il ne cèderait, il était indéfectible et n’avait cessé de guetter cette occasion. Qu’ils continuent de le trainer sur le pont, et une fois qu’ils se serait assuré d’être proche de sa destination, il les réduirait à néant pour avoir eu l’audace de le traiter ainsi. Il s’était plié à leur jeu et avait enduré les milles tourments que l’équipage avait bien voulu lui faire subir, mais il leur rendrait le centuple, il ne lui restait plus qu’à attendre que …

« Bougez-le un peu, nous arrivons à destination, je n’aimerai pas le livrer en trop sale état. »

Deux mains puissantes vinrent le relever et le tirer à hauteur. La tête de Rafaelo bascula en arrière et il découvrit son sourire à la face de Sorcor qui dardait sur lui deux prunelles marron béates. L’assassin fit danser ses doigts, les dégourdissant en vue de la suite des événements, il posa doucement ses deux pieds à terre et se prépara à l’action.

« Heu … Capitaine, j’crois qu’il se moque de moi. »
remarqua bêtement le second.

Kennit n’eut pas le temps de réagir que le genou de Rafaelo vint percuter l’entrejambe de Sorcor qui le lâcha aussitôt, protégeant sa virilité martyrisée de ses deux énormes pognes. Il émit un son étouffé et ne vit qu’un bref mouvement de main de la part de l’assassin lorsque son poing s’enfonça dans la pomme d’Adam du second. Le coup enfonça la trachée et la broya complètement, générant un geyser de sang dans la gorge du pauvre homme. Il s’effondra à terre sans autre son qu’un gargouillis étouffé, alors que les deux mains de l’assassin venaient déjà entourer la nuque du maître d’équipage, accompagnant le second et le Capitaine. D’un geste sec, il lui brisa le coup avec un craquement sinistre. Kennit voulu alors dégainer son sabre mais plus rapide que lui, Rafaelo bloqua sa main et lui donna un coup de coude dans la mâchoire. Le pirate pivota sur le côté, se tenant le crâne, et posa le pied gauche pour éviter la chute. Levant sa jambe, l’assassin écrasa son talon sur le côté du genou de Kennit qui se rompit avec un son écœurant. Le pirate s’écrasa à terre, sans émettre un cri. Il voulut se relever, mais un direct du droit le plongea dans un profond sommeil.

Une bonne chose de faite. Depuis le départ ils avaient sous estimé les capacités de Rafaelo, et s’étaient seulement méfié de ses armes. Pourquoi diable pensaient-ils qu’un assassin n’était pas rompu aux formes de combat au corps à corps ? Il posa sa main contre la coque du bateau puis reprit son souffle quelques secondes. Trois semaines à fond de cale l’avaient grandement exténué, mais il n’avait pas manqué de s’entraîner lorsque personne ne le regardait, du moins de se maintenir physiquement. Il ramassa rapidement les armes de ses victimes et remarqua avec joie que Kennit s’était accaparé son bracelet gauche mais n’avait apparemment pas compris comment il s’activait. Une chance. Rafaelo se l’ajusta puis il récupéra aussi sa rapière, pendue au côté de Sorcor. Nul doute que l’équipage s’était partagé ses affaires, même si cette pensée le révulsa, il trouva du réconfort à récupérer ce qui lui appartenait. Il attrapa le Capitaine par le col et l’enferma dans la geôle, laissant là ses deux victimes. Tout s’était passé si vite que personne n’avait rien du remarquer, encore. Il s’occuperait en détail du traître par la suite, et il lui réserverait un traitement bien particulier. L’assassin s’engouffra dans la réserve et délogea rapidement quelques tonneaux de poudre, ceci lui serait utile en temps venu. S’il avait bien compté et si rien n’avait changé, il y avait à peine une vingtaine d’hommes sur le navire, sans compter ceux qui dormaient pour l’instant. Il s’engouffra sous la passerelle et rendit visite aux cinq pauvres hommes qui dormaient d’un sommeil profond. Plus que douze, en théorie. Rafaelo se glissa sur le pont supérieur après avoir récupéré l’ensemble de sa tunique, et il se contenta de mettre à mort discrètement le cuisinier et les quelques mousses qui trainaient par là. Il n’avait aucune pitié pour eux car eux n’en avaient eu aucune pour lui. Eut-il été demandé mort qu’ils auraient tenté de le tuer, les mousses aussi. Ils étaient pirates, criminels et meurtriers ils n’avaient donc aucune excuse. Plus que neuf. Il essaierait de garder le barreur et la vigie en vie le plus longtemps possible, car l’un l’avertirait de toute évolution et l’autre tâcherait de maintenir le cap. Ainsi, aidé de sa rapière et de sa lame secrète, il tua un moins de quelques seconds quatre marins affairés à redresser une voile. Il ramassa sur eux une dizaine de dagues de lancer qu’il utilisa à fin de mettre à mort les quelques hommes restants. Comme prévu, la vigie ne vit rien de ce qui se profilait en bas, trop occupée à scruter l’horizon. De plus, aucun son n’était parvenu jusqu’à elle. Rafaelo se glissa ainsi à l’arrière du navire, au niveau de la barre. Le marin chargé de la maintenir baillait apparemment aux corneilles et ne remarqua le carnage que lorsque l’assassin se présenta à lui, les habits tâchés de sang et les deux lames au clair. Il voulu hurler mais un geste menaçant de la part de l’Auditore le fit taire.

« Tais-toi où je t’envoie par le fond. » gronda-t-il.

Mais le barreur n’eut pas le loisir de parler qu’une lame fouillait déjà sa chair. Pas de pitié. Rafaelo le relâcha dans l’océan où il s’écrasa en hurlant de douleur. La terre se pointait déjà à quelques miles de là, et vu la vitesse à laquelle filait le navire, il n’avait plus qu’à garder le cap. Il finirait bien par s’échouer sur une plage et à partir de là, il gagnerait la cité que l’on pouvait apercevoir d’ici. Une grande cité blanche aux tours immaculées. Il était trop loin pour en apercevoir le port, mais de toute manière il désirait que le navire ne s’échoue un peu plus loin. Un cri apeuré alerta alors l’assassin. La vigie pointait vers lui un doigt tremblant du haut du mât et appelait ses compagnons à l’aide. Quel imbécile, il n’avait qu’à baisser les yeux pour les apercevoir. Rafaelo haussa les épaules et fouilla la sacoche du barreur, restée à terre, pour y trouver le reste de sa collection de dagues ainsi qu’un mousquet. Il l’arma en quelques secondes et le pointa vers la vigie. Celle-ci recula d’un bond et voulu se jeter à la mer pour éviter le sort qui lui était destiné. Seulement, poussé par la peur il ne se méfia pas de la vitesse du navire, ni de la force du vent et il s’écrasa dans le gréement pour finir sur le pont où il se fracassa avec un bruit de fruit trop mûr. Rafaelo fit une grimace de dégoût, puis il descendit jusqu’aux geôles, à nouveau, où le Capitaine Kennit et revenait peu à peu à lui, le côté gauche de sa face présentant un énorme hématome violacé. Il se massait le crâne en émettant des petits gémissements. Malheureusement, son supplice ne faisait que commencer.

L’assassin ouvrit la porte à la volée, puis il l’attrapa par le col, le tirant à terre. Il remonta les escaliers ainsi. Kennit se tint calme à cause de la douleur engendrée par son genou à chaque vibration. Il hurlait au martyre et appelait à l’aide mais Rafaelo restait sourd à ses suppliques. Il l’envoya violemment contre le mât principal puis sectionna une corde et entreprit lentement de faire un nœud avec celle-ci. Il se positionna face au pirate, afin que celui-ci puisse contempler son œuvre. Il lui offrit un sourire malsain où trônait une profonde envie de le faire souffrir. Kennit releva la tête et la plaqua contre le mât avec un râle de douleur. Il gémit en constatant ce que faisait Rafaelo et ouvrit deux fois la bouche avant d’arriver à parler.

« Pourquoi me pendre … tue-moi maintenant, qu’on en finisse. » lâcha-t-il, les larmes aux yeux.

« Te pendre ne serait qu’un doux supplice en comparaison de ce que j'aimerai te faire subir, pirate. Seulement, la tradition veut que les pirates soient pendus haut et court, et je n’aime pas déroger aux règles. » murmura-t-il, en suspendant son ouvrage.

Kennit gémit de plus belle et lâcha une larme qui roula le long de sa joue tuméfiée et s’écrasa sur sa dentelle maculée du sang de Sorcor.

« Et mes hommes ? »
demanda-t-il.

« Le navire est en train de boire leur sang, à tous. N’est ce pas ainsi que tout marin voudrait mourir, sur son propre navire ? Tu as tenté d’abuser de la mauvaise personne, piratillon. » se moqua l’assassin.

Un frisson parcouru l’ancien Capitaine, tandis que son navire commençait à décélérer peu à peu. À l’arrivée de la côte, un vent arrière soufflait vers la terre et le navire avançait à présent avec des voiles trop bordées. Mais peu importait.

« Le prix de ta vie était élevé, assassin. Ta captivité contre notre amnistie. Tu nous as mis à mal avec une telle facilité, pourquoi t’être laissé capturé ? » questionna-t-il, entre deux vagues de souffrance.

Rafaelo assura le nœud coulant puis il chargea la corde sur son épaule et grimpa sur le mât afin d’y fixer le cordage. Une fois ceci fait, il se laissa tomber à côté de Kennit puis il le tira de nouveau par le col. Celui-ci, résigné à mourir, se laissa trainer au niveau de la corde. L’assassin la lui passa autour du cou puis s’assurant qu’il tenait en équilibre, il lui appuya sa dague contre le ventre.

« Parce que l’effet de surprise est toujours crucial, Pirate. Alors, tripes dehors ou dedans ? » fit-il, un rictus de haine déformant ses traits.

« Non, pas d’idée ? Alors laisse-moi choisir pour toi ! »
lâcha-t-il, avec un rire à glacer le sang.

La lame de Rafaelo perça la chair de Kennit, lui ouvrant l’abdomen et relâchant un flot de tripes putrides sur le navire. D’une poussée de main, l’assassin le poussa dans le vide et la corde vint tendre sa nuque dans un grincement lugubre. Le contenu du ventre du pirate se déversa sur le navire, l’inondant de sang et de viscères. Nul sermon, nulle merci. Seule la vengeance avait compté en cet instant et pourtant l’assassin ne se sentait toujours pas apaisé. Peut-être était-ce le manque profond que lui infligeait la disparition de Césare … peut-être. Il se laissa glisser à terre et s’avança vers la figure de proue. Il ne lui restait plus, à présent, qu’à laisser le navire s’échouer. Bien, il disposait à présent de quelques minutes. Il se rendit dans la cabine du Capitaine et récupéra les restes de son équipement dérobé, ainsi qu’une poignée de cartes illustrant apparemment Whisky Peaks. Voilà qui lui serait utile, s’il ne les maculait pas trop d’eau. Il prit une réserve de poudre fraîche ainsi que quelques billes de plombs, certainement destinées au mousquet de Kennit puis subtilisa assez de rations et d’eau pour tenir une semaine. Il ferma le tout bien hermétiquement puis se rendit sur à côté de la figure de proue. Il filait droit vers une plage sablonneuse, ce serait parfait. L’assassin se maintint au bastingage, se préparant à l’impact puis lorsque le navire s’écrasa dans le sable, il se servit de la vitesse emmagasinée pour prendre de l’élan et bondit dans l’eau, tandis que le navire commençait à s’ensabler. Dans les airs, l’assassin tourna sur lui-même et visa l’écoutille qu’il avait laissé ouverte en prévision. Il fit feu et perça un tonneau de poudre avant de rentrer dans l’eau. L’explosion qui en résulta fit frémir l’eau à une dizaine de mètres à la ronde, et un nuage de bulles entoura l’assassin alors qu’il nageait vers la baie. Il émergea de l’eau, les flammes dans son dos et le navire commençant à partir en pièces. Ainsi, il était enfin arrivé sur Grand Line. Il posait le pied sur une des premières îles de Whisky Peaks, il ne restait plus qu’à espérer que la suite du voyage ne soit pas aussi épuisante. Pour l’heure, il devait rallier la ville qu’il avait vu, un peu plus haut et quémander des informations sur ce marchand qui possédait le fruit qu’il convoitait. Rafaelo secoua sa demi cape pour en chasser l’eau puis entama la seconde partie de son périple sans un regard vers le navire pirate qui se consumait derrière lui. Le sort en était jeté.


Alea jacta est.

à suivre ...
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