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Ecailles

Bizarre. J’ai l’impression de rêver. Comme si je flottais, tranquillement. Pas besoin de penser, je me laisse juste traîner, dans le vide. J’ai l’impression de rien sentir, comme si j’étais plus qu’un esprit dans le néant. Si seulement je n’avais pas le goût du sang en bouche, ce serait un super rêve. Maintenant que j’y pense, y’a pas que ça. Je sens un truc, finalement ; j’ai mal au bide. Si je pouvais bouger, je tâterai pour voir si il manque pas un ou deux morceaux. Lentement, je commence à reprendre conscience. D’abord le froid. Puis les yeux embrumés. C’est ça, la mort ? Si c’est le cas, c’est quand même vachement décevant. Je suis morte comment, déjà ?

Pas le temps d’y réfléchir. Je sens mon cœur battre à nouveau. Le néant est froid et humide. Je me rends compte que je suis complètement conne, ce que j’ai pris pour le néant, c’est l’eau. La mer. Ca me prend comme un coup de foudre ; je respire plus. J’ouvre la bouche, par réflexe, et mes poumons se remplissent d’eau. Je suis pas encore morte, mais ça va sûrement pas tarder. Si seulement j’avais pas bouffé ce machin, sur Uréa… J’essaye de me débattre, de remonter, en vain. Le peu de lumière qui reste s’estompe petit à petit. Je sombre dans les abysses. Avant que tout s’éteigne, j’entrevois quelque chose sur le côté. Je tourne la tête comme je peux, c’est là que je le vois.

Sa longue chevelure blanche, son air bourru. Pas de doute, c’est lui. La dernière fois que j’ai été autant dans le merde, y’a des années, il est apparu comme ça, aussi. Il vient encore me tirer du pétrin ? Après toutes ces années sans nouvelles ?

Ah, non. Ce que j’ai pris pour mon vieux père, c’est juste un poisson. Il me fixe, avec ses yeux globuleux. Qu’est-ce qu’il a l’air con. Je m’enfonce encore plus. Je vois quasi plus rien, maintenant. Trop profond pour que le soleil ne tape. Ou alors je perds connaissance, définitivement. La dernière chose que j’aperçois, c’est une longue queue de poisson, tout en écaille. Ça brille. Comme dans les vieilles histoires de marins trop arrachés par l’alcool. Encore une hallucination à la con.

*

Je commence à me souvenir. Je dois sûrement voir ma vie défiler devant mes yeux, un truc du genre. J’étais sur un navire, en direction de Kone, Kono… je sais plus, mais on a dû se faire attaquer. Des pirates ? Nan, c’était pas humain. Un putain de monstre. Tout en écaille, lui aussi. Mais plus dégueulasse. Il a éclater la coque. J’ai pas fais gaffe. Je crois qu’il m’a bouffé. Ou en tout cas, il a essayé. Je me rappelle avoir…

*

Sursaut, sueur. J’éjecte l’eau de mes poumons en crachant bien disgracieusement. J’ai des frissons. Pas moyen de me lever, pas encore. Mais je crois bien que je suis vivante, c’est déjà pas mal. J’ouvre un œil, puis l’autre. Le soleil me tape en plein visage. En dessous, du sable. Koneashima ? Un peu de chaleur. Et à côté, plus d’écailles ; rien qu’une paire de jambes élancées qui s’approchent. Je crois que y’a un peu de monde, plus loin. Je les entends parler, murmurer, applaudir, s’étonner. Mais je m’en fous. On m’a vraiment sortie des profondeurs ?

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Écailles.

Quel plaisir de nager, sans témoins, et d'explorer les fonds marins autour de Koneashima ! La sirène s'en donnait à cœur joie. Les volcans sous-marins étaient fascinants, mais elle regrettait qu'il y ait si peu de vie animale sous les eaux. Ce n'était clairement pas comparables aux fonds de son enfance.

Esquivant d'un coup de nageoire un geyser de bulles brûlantes, elle se propulsa plus loin en voyant une forme flotter. Sombrer, plutôt. Une forme humaine, empêtrée dans des vêtements alourdis par l'eau, qui se débat faiblement. Salomé peut voir les bulles d'air qui en émanent devenir de plus en plus rares. Ce constat la pousse à donner un grand coup de nageoire, se propulsant rapidement vers la forme. Quelques rares poissons s'éloignent à son approche.

La femme qui se noyait était parée d'une tenue de voyage, apparemment. Peu pratique pour se baigner, selon la sirène, et c'était sans doute pour ça qu'elle se retrouvait là. Ah, ces humains ! Passant un bras autour de la taille de la noyée, Salomé se propulsa vers la surface. Même si les humains sont un peu stupides, parfois, ils restaient des êtres vivants. Et elle ne pouvait pas rester sans rien faire si elle pouvait aider.

Après avoir percé la surface, et à mi-chemin de la plage, la nageoire caudale se dissipa. Les écailles sombres qui la couvraient du bas de son corps jusqu'à son buste semblèrent se fondre dans sa peau, laissant la trentenaire nue comme un ver. Elle battit des jambes, tenant toujours fermement son chargement, et avança vers le sable. Et vers ses affaires, soigneusement rangées sur un rocher à l'écart des gens.

Quand Salomé sentit qu'elle avait enfin pied, elle changea sa prise sur l'humaine inconsciente pour la maintenir la tête hors de l'eau. S'écroulant sur le sable plus qu'elle ne s'arrêta, haletante, la médecin ignora les personnes alentours pour effectuer les premiers soin. Déjà, plus de respiration. Plus de pouls. Elle commença un massage cardiaque, concentrée sur ses gestes, avant d'insuffler de l'air dans les poumons de l'inconnue. Elle avait probablement aspiré de l'eau, au passage, aussi n'insista-t-elle pas trop pour ne pas la faire vomir et s'étouffer. Elle effectua ces gestes deux fois, trois fois, et à la quatrième, alors qu'elle relâchait le nez qu'elle avait pincé le temps du bouche-à-bouche, la sirène eut la satisfaction de voir sa patiente remuer, reprendre peu à peu conscience en recrachant de l'eau.

S'écartant légèrement pour laisser à la naufragée l'espace nécessaire pour reprendre son souffle, la sauveteuse en profita pour se relever.

« Je vous laisse reprendre vos esprits, je vais me rhabiller, souffla la sirène, consciente des murmures qui n'étaient pas seulement causés par son sauvetage. Laissez-lui de l'espace, vous autres. Je suis médecin, je m'occupe d'elle. »

Offrant un regard sévère aux personnes qui avaient commencé à s'approcher, la trentenaire se détourna pour aller, à petites foulées, récupérer son bikini soigneusement enroulé dans une serviette de plage chauffée par le soleil, à côté de son sac qui contenait un stéthoscope et des bandages en cas d'urgence. Rien n'avait bougé. Parfait. Elle se mit pas longtemps à éponger le sable et l'eau contre la serviette, et à se "rhabiller" un minimum.

Quand elle revint vers la presque-noyée, la sirène lui offrit un sourire qui se voulait réconfortant. Posant sa serviette et son sac, elle s'agenouilla aux côtés de l'inconnue.

« Bonjour, mademoiselle, commença-t-elle, prêtant attention pour la première fois à cette cicatrice qui barre le côté gauche du visage de sa patiente. Je m'appelle Salomé, je suis médecin. Vous sentez-vous un peu mieux ? Je viens de vous ramener sur la terre ferme, vous étiez en train de vous noyer. Vous en rappelez-vous ? »
lumos maxima
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