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Mille pattes pour une chaussure.


_____Franchement, j’ai du mal à y croire.
Il y a quelques mois, à l’occasion des cinquante ans de la création de leur maison d’édition, les écrivains à succès Frank & Stein ont organisé un jeu-concours sur le thème de l’histoire d’épouvante. Et, même si je ne me souviens plus vraiment pourquoi, j’ai décidé de participer, sans doute sur un coup de tête. Moi, je ne suis pas écrivaine. Mais par contre, je connais beaucoup de légendes marines, allant des histoires de monstres terrifiants qui hantent les abysses à celles décrivant des bateaux-fantômes maudits qui écument les mers à la recherche de leur âme égarée. Du coup, sans doute que je voulais en partager une, ou peut-être ai-je été attirée par la possibilité de gagner un an de soupe au potiron gratuite à l’auberge de la citrouille qui ricane…

_____Toujours est-il que, aussi incroyable que cela puisse paraître, j’ai gagné le gros lot. Oui, le gros lot, pas juste deux ou trois portions de soupe ou un bonbon farce et attrape, non : le gros lot. À savoir le fruit du mille-pattes, un zoan du type normal qui, comme son nom l’indique, permet à son utilisateur de se changer en mille-pattes géant ainsi qu’en toutes les formes intermédiaires, ou disons hybrides entre l’homme et le mille-pattes… brrr. Autant dire qu’en recevant ce prix, j’ai été plus que dubitative… jusqu’au lendemain où, en lisant le journal, j’ai appris que je venais de gagner un objet qui valait quatre-vingt millions de berries sur le marché des fruits du démon !

_____Ni une, ni deux, je me suis précipitée à Logue Town où j’ai réservé une auberge et j’ai immédiatement contacté les journalistes pour leur annoncer que je voulais vendre le fruit, et que j’étais ouverte aux offres s’il y avait des intéressés. J’ai ensuite contacté la Marine, parce qu’ils ont plein d’argent et qu’un fruit du démon pourrait toujours renforcer leur puissance militaire. Malheureusement, il semble que leur budget est soumis à des contraintes administratives diverses et qu’ils ne peuvent pas me faire d’offre tout de suite… Sans me décourager, j’ai contacté différents chasseurs de prime, et d’autres personnes susceptibles d’être intéressées. Hélas, personne n’a semblé très excité à l’idée de se transformer en mille-pattes, ce que je comprends parfaitement.

_____Hier, j’ai refusé une offre d’un grossiste qui voulait me le prendre pour quarante millions. Certes, ça m’aurait permis de gagner du temps et de ne pas avoir à trouver LE client qui voudra bien payer le prix, mais quand même ! Je peux en tirer deux fois plus et, à la base, marchander c’est mon métier alors pas question de me faire avoir comme ça.

_____Aujourd’hui, j’ai été contactée par une société de déménagement qui, pour se protéger des pirates, a fait le choix d’engager des mercenaires redoutables et plus ou moins louches. Apparemment, posséder un fruit du démon serait un avantage considérable pour la compagnie dans ses négociations avec lesdits mercenaires, alors je dois aller les voir pour en savoir plus.

_____Le plus discrètement du monde, je me suis rendu dans leurs locaux, une petite annexe miteuse d’un magasin de pop-corn en périphérie du centre-ville. Il s’agit d’une petite pièce avec un comptoir et deux chaises, dans laquelle ils signent leurs contrats et accueillent les clients potentiels qui désirent discuter ou s’informer sur leurs offres. À part les quelques affiches qui résument leurs différents tarifs, la décoration se résume à un cheval de bois accroché à la porte d’entrée et à une peinture particulièrement réussie qui représente une famille heureuse dans une maison flambant neuve.

_____Derrière le comptoir, un homme sale et mal rasé m’accueille avec un sourire amusé. Sans plus de cérémonie, il m’offre un verre que je refuse poliment du fait de son odeur infecte et me prie de m’assoir face à lui.

— Alors, que puis-je faire pour toi petite ? Tu as besoin de nos services ?
— Euh, non… j’ai entendu dire que vous vouliez faire l’acquisition de mon fruit du démon, alors je…
— Ahhhh, c’est toi ! Mais oui, le patron m’a parlé de toi. Est-ce que je peux voir l’objet ?
— Euh, oui…

_____Je le sors de mon sac et déballe le tissu qui le protège des insectes et de l’humidité. Enfin, je pose délicatement le fruit sur le comptoir et je le laisse le contempler, tout en lui signalant que ce n’est pas la peine d’essayer de mettre la main dessus avant d’avoir payé. C’est noir. Le fruit est grand et se présente d’un seul bloc, avec des formes qui ressortent en relief comme pour une grappe de raison, mais en plus acérées.

— Il est ressemblant en effet, mais je vais devoir l’examiner de plus près. Nous ne pouvons pas dépenser notre argent pour quelque chose qui pourrait très bien être une reproduction, tu comprends.
— Mais… Je suis passée au journal, et j’ai ici un document qui décrit parfaitement le fruit avec des illustrations !
— Hélas, ce n’est pas une preuve, au contraire : tu pourrais très bien avoir fait une imitation.
— Mais, je…
— Nous devons l’examiner avant de prendre notre décision. Nous te paierons plus tard.
— Ah non, hein ! C’est hors de question.

_____Ce discours, je l’ai déjà entendu plusieurs fois. La première fois, je ne me suis pas méfiée et j’ai confié une feuille d’or qui ne m’a jamais été payée, sous prétexte qu’elle avait été détruite dans l’expérience qui devait certifier ou non s’il s’agissait bien d’une feuille d’or, ce qui prouvait – m’a-t-on dit – que ça n’en n’était pas une. La deuxième fois, je me suis retrouvée avec un diamant deux fois plus petit que celui que j’avais à la base, soi-disant parce c’était un faux, qu’il s’était cassé sous leur burin et que c’était tout ce qui en restait. Alors non, c’est mort de chez mort ! Pas moyen que je me fasse avoir une troisième fois, surtout pour quelque chose d’aussi précieux qu’un fruit du démon. Cette fois, je ne prendrai pas le moindre risque : je ne le laisserai tout simplement pas y toucher.

_____Malheureusement, j’ai beau proposer tous les arguments et les alternatives qui me viennent à l’esprit, mon correspondant n’en démord pas et demande à pouvoir examiner le fruit, et pour ça il a apparemment besoin de le prendre dans la main. Après une heure d’un dialogue de sourds, nous décidons qu’il est préférable d’en rester là pour l’instant et nous nous séparons en nous promettant de se recontacter si l’un ou l’autre parvient à trouver un compromis.

_____Mince alors, je ne savais pas que ce serait aussi compliqué de vendre ce fruit !
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Un chasseur de prime, dans ce bas monde, n'a que rarement d'importantes attaches géographiques. C'est d'ailleurs un rythme de vie étrange, qu'ont les preneurs de têtes. Ont-ils un toit où se reposer ? Certes, on appelle ça le ciel. S'attachent-ils à une terre ? La grande majorité des proies vraiment lucratives voguant dans nos océans, ce serait fort con. Or, Tenshi n'étant pas si débile, et ne haïssant pas la belle étoile, vous devinerez que cette petite crapule est donc un parfait nomade. Cette petite information purement logique explique le fait que, bien loin de sa Blue natale, le saligaud continue son activité professionnelle. Maintenant... Que fait-il précisément à Logue Town ce petit salopard ? Tout débuta vers les alentours de l'île du karaté où, après s'y être rendu pour des raisons quelconques, Ito pensa bon de commencer à renflouer les caisses. Mais comment chasser les primes lorsqu'on est sur une île où un habitant sur dix peut chasser le sanglier à main nue ? On se barre... très loin ! Ainsi, le jeune homme trouva refuge dans le mercenariat. Il se fit employer à la défense du "Gentil innocent", une caraque marchande servant à approvisionner des armureries. Après avoir été nourri et logé pendant de longs trajets au sein de South Blue, c'est à East Blue que le jeune enfoiré se fit poser.

-Logue Town !

Déclara, fier, le chasseur de prime. Bien évidemment, même si il s'était renseigné sur le lieux, le crétin n'avait aucune idée de l'immonde piège à con dans lequel il s'était fourré. En effet, ne venant même pas de cette Blue, Tenshi manquait de quelques informations importantes sur le lieu. Pour développer ce point, mieux vaudrait prendre en exemple son premier passage dans une auberge locale. Il devait être midi... Un peu moins même. Le chasseur portait sur son épaule un baluchon chargé de deux pauvres ensembles de vêtements. Portant un simple ensemble marron constitué d'un short de paysan et d'un haut troué, le malhonnête poussa la porte grinçante de l'entrée principale. L'établissement sentait un mélange d'alcool bon marché, de renfermé, et d'orange. Le tout était presque respirable, et le jeune homme pu donc avancer jusqu'au bar. Le tenancier nettoyait une chope de bois avec un tissu épais, en surveillant les tables où les clients dînaient. L'autochtone finit par remarquer la présence de cet étrange paysan qui se bouche le nez comme le dernier des précieux au sein d'un tas de fumier. Il s'avança jusqu'à lui et entama la conversation...

-Hé gamin, qu'est ce que t'attends pour commander ? C'est que j'aime pas tourner à, moi !

-Bordel ce que ça pue...

-Mais ça pue pas ! J'ai passé une heure à parfumer la salle à l'orange !

-Ouai... Ben ça va pas bien avec l'odeur de pisse...

-Dis machin, t'es gentil mais c'est pas moi qui contrôle l'odeur des clients !


La dessus, le tenancier tape du poing sur la table. Il faut dire que la personnalité de Tenshi peut très vite agacer autrui. De son côté, Ito était resté sur sa chaise, ne sursautant pas même à la réaction du vendeur. Le marchand repris longuement son calme avant de demander...

-Tu prends quoi ?

-Bon, mettez moi une bière... Dites, vous auriez pas des informations ? Le genre qui pourraient intéresser un chasseur de prime...

Le tenancier brandit la chope qu'il avait préalablement soigneusement nettoyé, et il frappa la table de l'ongle de son index à deux reprises. Le vénal demandait le sou. Tenshi sortit une petite bourse chargée de capsules de cola qu'il prévoyait bien de faire passer pour une fortune. Il plaça le récipient à fausse monnaie sur la table. Le vendeur saisit avidement le tissu, et avant de l'ouvrir, d'un sourire fier, il plaça la pinte sur la table et répondit...

-J'ai absolument aucune information... Merci pour le pourboire, hein ? Ah ah ah !

-Que... Vous vous foutez de moi ? Vous allez pas me dire que sur une si grosse île, avec une si grosse ville, il n'y a rien ? Pas de criminel ou de ragot à traquer ?

-Vous êtes pas du coin, ça se voit. Dans cette ville, on a juste probablement la plus grosse présence militaire des Blues. Donc laissez tomber, les nouvelles les plus palpitantes qu'on a, c'est le pirate Jean Rogar qui s'est fait couler sans même avoir pu atteindre le port, une donzelle qui s'est pointé avec un fruit à 50 millions, madame Michault qui s'est cassé le co...

-Ho att... La ferme ! T'as dit quoi ?

-Ah oui, cette pauvre Madame Michault qui...

-Avant !

-Rogar ? Mais il est pas important ce pirate il est m...

-Les 50 millions de berries !


L'habitant local plaça sa main sous son menton avant de continuer ses explications...

-Ah ben c'est connu ça. Une jeune demoiselle qui aurait gagné ça dans un concours d'écriture. Une belle plume à ce qu'on dit ! Le premier prix c'était un fruit du démon qui vaudrait cinquante millions. Enfin, il paraît que cinquante c'est un minimum. A peine arrivée elle a contacté les marchands, les marines... On raconte qu'aujourd'hui, elle devrait aller dans la société de déménagement dans la rue d'en face. Elle doit essayer de faire profil bas, mais comme l'acheteur s'est vanté de son futur achat dans tout le quartier...

-Gardez la monnaie !


Ainsi, le jeune homme se leva, et partit en laissant le commerçant seul avec son sac de capsule renfermant encore son secret. Ito avait décidé une chose: il voulait ce fruit. Ou plutôt devrions nous dire qu'il voulait ses cinquante millions... Oui, oui: SES cinquante millions. Peut être même plus qui sait ? Tout ce qu'avait entendu le bougre de son interlocuteur, c'était "argent, argent, argent facile, argent, arnaquer l'écrivaine." Cependant, quand on n'est pas con, on sait qu'une arnaque ça se prépare habilement. Tenshi, lui, savait déjà comment procéder. Plutôt que d'aller directement tendre sa petite embuscade à la dame, il fonça en direction du port et retrouva le "Gentil innocent". Il bondit sur le pont et alla immédiatement face au capitaine.

-Capitaine, capitaine ! J'ai besoin d'un service ! Vous vous rappelez que pour mes services vous me devez environs soixante mille berries ?

-Euh oui, justement je vais effectuer ma livraison et je pourrais vous payer comme conven...

-Du vent ! Vous ne me devez plus rien ! Je voudrai cependant un service. Vous m'autoriseriez à... comment dire... à diner avec une amie sur votre bâtiment ?

-... Vous ne prévoyez tout de même pas de vous envoyer une péripatéticienne sur mon pont ?

-Mais non, juste d'établir une petite affaire et je me suis dit que votre embarcation me donnerait un peu de poids, je ne toucherais rien et je nettoierai même ce qu'il reste, j'aurai juste besoin que vous me fournissiez deux ou trois trucs...

-Bon, certes, si ça nous fait économiser, j'accepte jeune homme.


Le chasseur de prime, fier du bon déroulement actuel de sa tromperie, fournit au dirigeant du navire une petite liste de courses à effectuer, puis il va se changer. Il prend alors une tenue bien peu appropriée pour le voyage mais qui est pourtant bien sa favorite. Un ensemble noir de bons tissus et parsemé ci et là de rayures d'un sublime blanc cassé. C'est un costume digne de ce que pourrait porter un bon bourgeois, ou alors au moins un garde du corps important. L'abrutis posa son baluchon dans un coin, et plaça ses armes dans des étuis placés à même sa poitrine, de sorte à ce qu'ils soient voyants mais puissent tout de même aller de pair avec la tenue. Les armes étaient polies et brillantes. A n'en pas douter, notre clodo avait l'air d'un petit noble. Un petit noble plutôt armé, mais un tas de pognon sur pattes tout de même. Ainsi vêtu, il partit d'un pas de course jusqu'au lieu supposé où avait rendez vous la vendeuse de fruit du démon. Passant indiscrètement son oreille par la porte, Tenshi finit après de longues minutes par trouver sa cible, qui s'en allait furieuse du comptoirs: parfait, l'affaire n'était pas conclue. Il est plus facile de berner une écrivaine qu'un marchand. Ito suivit donc longuement Anatara, sur quelques dizaines de mètres en espérant la voir se calmer, avant de finalement s'écrier.

-Très chère !

S'attendant à voir son interlocutrice se retourner, il courba rapidement l'échine, gardant un certain sourire en coin. Une fois sa révérence faite, le bougre se relève, s'approche de la dame, et prenant un air tout à fait naturel mais qui, pour une raison très étrange et inexplicable, garde un air malsain, il commence ce grand jeu d'échec...

-Je me présente, Tenslas Istos, envoyé du "Gentil innocent". Je suis ici en temps que négociateur, et je suppose que vous avez deviné la raison de ma venue. Vous possédez, dit-on, un fruit du démon. Sachez que vous avez éveillé notre intérêt. Vendant des marchandises à usage militaire, nous saurons faire bon usage de cet objet et ainsi, nous désirons l'acquérir. Je comprend que votre dernier entretien s'est mal passé, et je ne vous aborderais pas de suite de propositions intrusives. Cependant, sauriez vous trouver le temps de passer ce soir au port, troisième quai de l'est ? Nous vous y attendrons et pourrons vous offrir une collation afin d'entamer des propositions lucratives pour nous et pour vous, n'en doutez pas. Ce serait un immense plaisir de vous accueillir, acceptez vous ?


Dernière édition par Tenshi Ito le Mar 14 Avr 2020 - 16:51, édité 1 fois

    — Bon, je, euh… que… quoi ?

    _____Franchement, il n’y a aucune raison que je refuse. J’ai passé les deux derniers jours à tourner en rond pour trouver des acquéreurs, alors quand il y en a qui tombent du ciel, je ne vais pas faire ma difficile sous prétexte qu’il y a deux-trois trucs louches au passage. Je ne suis pas du genre méfiant, mais là ce type est vraiment bizarre. Déjà, d’où il sort ? Comment sait-il que ça s’est mal passé ? Et, dans la même idée : depuis quand me suit-il, exactement ?

    _____Cela dit, mise à part la manière un peu étrange avec laquelle il m’est tombé dessus, je n’ai aucune raison de justifier ma mauvaise prémonition. Pourquoi pas, après tout ? Je n’ai qu’à y aller et au pire, si ça s’avère être un traquenard, je n’aurais qu’à détaler en criant qu’on essaie de me détrousser. Comme on est sur Logue Town, je me sens plus ou moins en sécurité. Après avoir réclamé quelques indications supplémentaires sur le lieu et l’heure du rendez-vous, je signale mon intérêt à mon interlocuteur sans vraiment essayer de masquer mon trouble. Lui faussant compagnie, je m’engage sur le chemin du retour lorsque je me souviens soudainement que j’ai un deuxième rendez-vous de programmé dans l’après-midi.

    _____En principe, j’ai largement le temps d’y aller mais ça m’était complètement sorti de l’esprit. N’étant pas femme à se réduire les options, je me dirige vers l’adresse que j’ai griffonnée sur un morceau de papier et qui se trouve bien entendu à l’autre bout de la ville. Tout en marchant, je prépare à l’avance les différents arguments que je pourrai utiliser lors des deux négociations à venir.

    _____« C’est un fruit du démon et c’est super rare » est déjà un bon départ, mais comme je viens de l’apprendre, il faut convaincre mes clients qu’il ne s’agit pas d’une supercherie. Heureusement, ce n’est pas comme si je l’avais sorti de mon chapeau et la plupart des gens savent ou peuvent vérifier facilement que je l’ai bien gagné comme il se doit… mais apparemment, ça ne les empêche pas de se méfier !

    _____La rue est grande et bondée de monde. Des gens passent dans tous les sens en s’évitant habilement. Des conversations fusent et disparaissent, recouvertes par le bruit des calèches et la proximité du marché. N’ayant pas cœur à me frayer un chemin dans ce bazar, je prends soin de faire un détour afin de ne pas me faire agresser par les vendeurs de poulets et autres poissonniers qui pratiquent fort bien – mais surtout fort – la criée.

    _____S’ensuit une enfilade de maisons à colombage dont le raffinement m’indique que je me trouve dans des quartiers résidentiels plutôt chics. Faites de bois, leurs façades sont recouvertes de gravures aussi recherchées que nombreuses, et qui semblent raconter l’histoire des premiers occupants. J’ignore combien de fois ces maisons ont changé de mains depuis leur construction, mais je pense que personne n’a cru bon de mettre à jour ces œuvres d’art. Au-dessus des façades, des balcons décorés de verdures donnent sur de riches intérieurs qui sont, d’après ce que je peux deviner en levant la tête, largement à la hauteur de ce que j’ai connu sur Sirup. Encore que sur mon île natale, les vitres sont plus grandes et on a plus de facilité à voir les beaux meubles, les tableaux et les tapisseries raffinées.

    _____À ma grande surprise, c’est devant la porte d’une de ces maisons que les notes que j’ai prises me mènent. Je vérifie l’adresse et, sûre de moi, j’actionne le heurtoir avec autorité – ou du moins, ce qui me semble le plus proche de la notion d’autorité, mais qui pour certains pourrait juste s’apparenter à une force excessivement peu contrôlée. Après quelques minutes qui me font douter et durant lesquelles défilent toute une série d’interrogations – comme, par exemple, la question de ce que je vais manger ce soir – la porte s’ouvre et révèle un majordome en costume noir, au nez crochu et pourvu d’un minuscule nœud papillon. Il me guide dans un couloir étonnement sobre et me présente à un monsieur d’une soixantaine d’années.

    — Bien le bonjour, mademoiselle ! Asseyez-vous, je vous prie.

    _____Après lui avoir serré la main, je prends place dans un fauteuil particulièrement confortable et écoute d’une oreille distraite un long discours qui ne me semble pas avoir grand-chose à voir avec les raisons de ma présence ici. Après cette introduction, il en vient au fait et conclue sur quelque chose comme « … c’est pourquoi je suis extrêmement intéressé par la proposition que vous avez faite dans les journaux. ».

    _____Ah, oui ? Pour ne pas le froisser, j’acquiesce poliment, faisant mine de ne pas avoir perdu le fil de la conversation. Après quelques répliques, mon interlocuteur me propose quatre-vingt millions de berries, et je dois me retenir pour ne pas m’étouffer en avalant ma salive… quatre-vingt millions de berries !! Je suis riche ! J’aimerais sauter de joie, le prendre dans mes bras, me précipiter sur le contrat et le signer tout de suite mais, par pur professionnalisme, je parviens de justesse à m’en empêcher. Seul le tremblement fébrile de mes mains trahit mon bouillonnement intérieur. Le plus poliment et de la manière la plus détachée possible, je lance une petite phrase bien innocente histoire de me redonner de la contenance.

    — J’ai d’autres propositions, lui dis-je simplement. Avant d’accepter la vôtre, je dois au moins attendre de voir ce que les autres ont à m’offrir.

    _____En effet, c’est d’une part mieux pour moi mais aussi plus poli pour ceux qui m’ont contactée toute à l’heure… aussi bizarre que fut leur approche.

    — Je comprends, je comprends. Mais je ne m’en fais pas. Vous accepterez ma proposition, j’en suis certain.

    _____La lueur qui brille dans ses yeux plissés est sans appel. Même si sa voix ne l’a pas trahi, je sens un semblant de menace planer dans l’air. Tout un coup, je me sens moins à l’aise dans mon fauteuil et je commence à paniquer. Mais non, Anatara, tu te fais des idées ! S’il a dit ça, c’est parce qu’il pense que personne ne peut se permettre de me proposer plus… oui, ça doit bien être pour ça…
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    Lorsqu'on monte un coup fourré plus digne d'une bête pécheresse que d'un homme, à savoir extorquer indirectement à une jeune fille naïve et brave cinquante millions de berries, il ne faut déjà pas être un bon samaritain. Mais lorsqu'elle accepte avec un air très vaguement hésitant et que en conséquence, on se contente d'un sourire faussement poli en décidant intérieurement de la mettre sous surveillance, de crainte qu'elle ne se présente pas, n'est-on pas un colossal enculé ? Hé bien, partant de ce principe, ce colossal enculé de Tenshi, fit comme à son habitude preuve de la plus grande méticulosité à cacher sa propre méfiance. Car oui, le bougre avait mille idées pour tromper la belle, mais encore eut-il fallu qu'elle ne pose pas de lapin au couillon, ou encore qu'elle ne se fasse pas dérober son fruit avant la fin de la journée. Ce sont là les deux grandes craintes du chasseur de prime. Car ces deux incidents, si ils venaient à arriver, ne dépendent pas le moins du monde de ses talents d'arnaqueur. En un sens, ce sont les cas de figure sur lesquelles il a le moins d'emprise. Or, quand on est un jeune homme avide et cupide à l'ego surdimensionné, qu'est ce qui nous plaît le moins ? De n'avoir aucun contrôle sur le fruit de son honnête et dur travail ! Voilà une idée inacceptable !

    Le fourbe, après avoir reçu une réponse supposément positive de la dame, se releva de toute sa hauteur, affichant un léger sourire en coin. Sa gestuelle pouvait faire penser à celle d'un servant comme on peut en trouver dans les grands hôtels ou au service de nobles. Les expressions de son visage étaient pacifique. Sa posture était celle de tout, sauf d'un individu potentiellement rustre ou agressif... Finalement, seuls les yeux du diablotin pouvaient transmettre une part des craintes et de la frustration du jeune homme. Mais la pauvre Anatara n'eut sans doutes pas le temps d'identifier clairement les émotions qui se mélangeaient dans le regard du prétentieux, car celui-ci s'avança, la dépassant sur la droite, et tout en s'avançant d'un pas faussement tranquille, il se contenta de dire...

    -Nous sommes impatients de vous accueillir. Croyez bien que notre affaire vous plaira...

    Et sur cette dernière note, Tenshi continua sa marche sur une certaine distance en regardant, de temps à autres, dans le reflet de boutons argentés sur les manches de sa veste, derrière lui. Finalement, quand il fut certain que sa pigeonne ait cessé de l'observer, il se retourna et se mit à longer les murs pour la suivre. C'est à dire qu'il voulait absolument éviter tout voleur de bonne affaire. Et dans cette dernière catégorie sont si bien répertoriés les maîtres du larcin que les commerçants aux offres trop alléchantes. Sur une certaine distance, le petit arnaqueur suivit la sympathique demoiselle, et sa crainte se fit de plus en plus oppressante lorsque il vit la demoiselle pénétrer, après quelques rues bondées de crasseux, dans les quartiers les plus fortunés de l'île. *MERDE !* pensa-t-il bien avant de voir sa cliente s'arrêter devant une des bâtisses pour finalement y pénétrer, escortée par un majordome. C'était mauvais... Mais genre vraiment mauvais. En effet, si Anatara s'était faite détrousser par un voleur, Tenshi aurait été à peu près sûre que la zone était peu rembourrée par les clampins de la marine, et que quelques tirs eurent donc suffi à fuir avec le fruit sans problème... Mais là c'était un vendeur concurrent !

    Le chasseur de prime avait prévu plus ou moins d'affabuler Anatara d'une proposition honnête tout en l'alcoolisant légèrement, et de laisser faire le jeu social pour lui faire finalement baisser sa garde et se barrer à la nage avec le fruit. Maintenant, si en face on lui avait proposé une somme astronomique, soit Tenshi n'offrirait pas assez et la femme partirai du Gentil Innocent sur le champ, soit il devrai proposer une somme si conséquente que c'en serait immédiatement suspect et ainsi, faire baisser sa garde à la dame deviendrait complexe. Tout ceci mena Tenshi à une simple conclusion: île de merde...

    Le jeune homme se mit alors à partir au pas de course de cette rue où il avait extorqué bien les informations désirées, et après plusieurs minutes durant lesquelles ses poumons lui rappelèrent bien peu subtilement sa condition d'humain, l'abrutis arriva au navire qu'il eut emprunté. Le quai où ils avaient accosté n'avait pas d'odeur particulière si ce n'est celle de la mer, qui, fort heureusement, n'est pas désagréable. Ito grimpa dans la caraque, en baissant les yeux sur ses armes, pensant qu'il aurait finalement à les utiliser tôt ou tard pour saisir l'occasion de ramasser cinquante millions... Mais il retrouva un semblant de sourire en trouvant sur le pont le capitaine, revenu avec le contenu de la liste qu'avait demandé le jeune homme. L'avare s'avance alors...

    -Vous avez tout ?

    -Ah ben ça mon cochon ! Regardez moi ça ! Une bonne vinasse ! Pis j'peux vous dire que c'est un rouquin qui tabasse ! Mais pourquoi vous m'avez demandé ça? Vous prévoyez tout de même pas de droguer la fille pour vous la faire, dites ?!

    -Non mais elles sont de plus en plus connes vos questions ! Je suis pas un violeur !

    Tout enjoué, le jeune fougueux saisit la marchandise, et va dans la cale pour récupérer une table de bois séparée un cinq parties qu'il assemble bien vite sur le pont. Le navire est assez bien équipé et  le capitaine eut la grande générosité de laisser à l'imbécile le loisir d'utiliser la plupart des ustensiles pour le maintien de l'état du navire. Le faux négociateur ponce alors les imperfections et passe son après midi à faire briller le pont, à lustrer le bastingage, et à remplire deux coupes de vinasse. Bien entendu, celle qu'est censé boire Tenshi est bien moins pleine.

    Après plusieurs heures de préparation, le jeune homme estime que la demoiselle ne devrait plus tarder à arriver. Il va alors se placer sur le quai, devant le navire, toujours habillé de sa tenue filigranée d'argent. L'équipage est à la taverne, le capitaine est resté sur le bord du port pour vérifier que tout se passe bien et intervenir si son navire semble être en danger, et le mercenaire est droit comme un piquet. Il tient dans chacune de ses mains une coupe de vin, et a dressé sur le navire, de sorte à ce qu'elles soient visibles de peu, les plus belles et chères armes transportées par le navire. Il ne lui reste maintenant plus qu'à attendre la demoiselle, l'air enjoué, et à dire, ses deux armes rengainées sur le côté...

    -Un plaisir de vous retrouver miss. Vous a-t-on fait de belles propositions ? Je suis persuadé de pouvoir mieux faire... Je vous laisse embarquer sur le navire, une table et des chaises y sont disposées.
      — Bonjour monsieur ! Alors là ça, m’étonnerait. Si vous saviez ce qu’on m’a proposé, vous seriez fou de désespoir !

      _____Toute enjouée, je prends place sur le navire non sans jeter un coup d’œil admiratif à sa propreté. Il faut dire que me donner rendez-vous ici est chose étrange, par rapport à d’autres qui me reçoivent chez eux ou dans des restaurants prestigieux. Mais là, c’est un peu le juste milieu : il y a l’intimité du chez-soi et l’aspect rassurant du plein air et du lieu public. Un bon choix, en somme, mais qui lui a très certainement nécessité deux ou trois coups de balais. Et sur ce point, mon hôte a sorti le grand jeu : et que je t’en mette plein la vue avec la décoration, et que je t’attende un verre de vin à la main… Bon certes c’est un peu rustre, mais les gens du peuple ils ne sont pas éduqués, ils ne savent pas que ça ne se fait pas de donner un verre déjà servi. Ah non non non, les verres il faut les servir devant les demoiselles… A ses manières, je dirais que c’est un nouveau riche, le genre de bourgeois parvenu qui a réussi à se frayer un chemin vers la fortune grâce au commerce d’armes.

      _____Sa gestuelle maladroit, son regard inquiet et ses vêtements des plus modestes montrent que sa fortune est encore jeune et fragile. Néanmoins, il fait des efforts et je m’imagine qu’il l’a construite elle-même, de sa propre sueur et de son propre sang. Et pour ça, je fais de mon mieux pour ne pas lui en vouloir, pour ne pas lui mettre la pression ni prendre rigueur de ses mauvaises manières. Visiblement mal à l’aise, il insiste pour qu’on prenne l’apéritif, ce qui me fait tiquer parce que c’est un verre de vin que j’ai à la main. Décidément, il faudrait que quelqu’un lui apprenne les bonnes manières. Enfin bon, la première des bonnes manières c’est de ne pas casser les pieds des gens avec les bonnes manières donc je garde ça pour moi et je lui fais la conversation, je lui parle de la nouvelle que j’ai écrite et qui m’a valu cette fabuleuse récompense, les idées et la symbolique qu’il y avait derrière et les effets de style que j’ai utilisés. Voyant que ça l’intéresse moyennement, je passe au vif du sujet ; parce qu’après tout je suis là pour ça et la moindre des choses c’est d’entendre son offre avant de la décliner. Et puis, on ne refuse jamais un bon repas !

      — Alors, vous disiez avoir une super offre ?

      _____Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens bien, en sa compagnie. Je me sens légère et joyeuse… c’est peut-être le vin. D’ailleurs, j’ai peut-être un peu trop bu parce que j’ai la tête super lourde ; vraiment, j’ai trop envie de dormir… Pourtant je n’ai bu que deux verres, je ne comprends pas ! Il y avait quoi, dans son vin ? Secouant la tête, je me ressaisis et le regarde droit dans les yeux. Franchement, il est temps qu’il me dise sa proposition que je puisse aller me coucher.
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