-Allô, miss ?
-Sigurd ! Ca me fait plaisir de vous entendre. Mais je suis vraiment navrée, je suis en réunion. Je vous rappelle dans trois heures ?
-M’en doute, aucun souci. Juste pour être bref, j’ai aucune idée de ce que vous lirez dans le journal ou que vous pourrez entendre à la radio, mais faut que vous sachiez qu’il ne m’est absolument rien arrivé de grave et que je vais parfaitement bien. Je rentre semaine pro’ comme prévu. Du coup j’vous fais la bise.
-Non non non attendez un instant. Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Sur une échelle de Sheepball à Nanokutruk, j’ai eu Lucciansotta au max du max.
Son Denden, qui avait pris les traits pincés de sa chère et tendre, se raidit subitement en exorbitant les globes, mâchoires décollées dans une grimace béante. Et lui ne put s’empêcher de se dire qu’elle était absolument charmante quand elle se tordait de la sorte, ça donnait envie de lui croquer les joues. Dommage que les escargophones n’aient pas d’oreilles, parce qu’il aurait adoré les voir se redresser et adopter cette teinte si caractéristique qui…
-Pitié dîtes moi que c’est une plaisanterie.
-Je répète que je vais absolument très bien et que je suis intact et qu’il ne m’est strictement rien arri…
-Racontez-moi tout.
-Votre réunion… ?
-Peut maintenant brûler en enfer pour ce que j’en ai à faire. Le monde peut attendre.
-Rhooo, vous êtes tellement belle quand vous pétez les plombs. C’est le contraire de ce que je voulais faire en vous appelant, savez ?
-Sigurd. Maintenant.
-‘Kay ‘kay, alors pour la faire propre…
Boréa. Deux millions d’habitants. Un cinquième de la population de Luvneel. Avec énormément de neige au lieu de leur pluie à eux.
A Jalabert, la ville universitaire. Quinze mille âmes. Et une réputation de lieu de science ouvert au plus grand nombre qui la hissait dans la même dimension qu’Ohara et sa bibliothèque.
Son cerveau avait beau dresser toutes les comparaisons qu’il pouvait, Sigurd savait qu’il avait tout à découvrir de cet endroit, et que ses neurones feraient mieux d’apprécier le charme de cette charmante contrée plutôt que de se perdre en projections fallacieuses.
Non pas que les résidents se privent d’en faire de même à son sujet.
-On vous a beaucoup comparé à Loth Reich, commenta Viggo Hauksson, l’universitaire à l’origine de son invitation ici.
-Ouais, je sais vraiment pas pourquoi, on joue pas dans la même catégorie pourtant. Lui il fait des trucs intelligents et trop compliqués, moi je fais des trucs simples et trop débiles. C’est probablement parce qu’il porte des lunettes alors que je suis blond, mais je trouve ma façon plus sympa franchement. Euh, c’est gentil pour la valise mais je préfère m’en charger tout seul comme un grand. Ca me met toujours mal à l’aise, c’pas parce que je suis riche ou connu ou quoi que ce soit que j’ai le droit de…
-Oui, mais vous êtes notre invité.
-Euh… alors j’accepte, merci beaucoup monsieur !
Hospitalité Boréaline. Il n’allait pas les contrarier, ils étaient extrêmement gentils. Même avec les étrangers. Surtout avec les étrangers ? A peine débarqué à Lavallière, la seule cité portuaire de tout le royaume, qu’un groupe de miliciens avait énoncé les us et coutumes de l’île aux voyageurs et proposé à chacun d’entre eux de rejoindre une famille d’accueil le temps de leur séjour dans le port. Ca ou une auberge, à leur convenance.
Eh, ça avait l’air rigolo, qu’il s’était dit. Lui devait rejoindre la ville universitaire de Jalabert par train le lendemain, et avait bien une douzaine d’heures à tuer dans la ville en plus de son temps de sommeil.
Un léger malaise le gagna quand on lui indiqua qu’il n’aurait rien à payer pour ça, sensation qui se mua en une interrogation curieuse quand le héraut de l’aurore, terme guindé désignant les miliciens chargés de l’accueil des arrivants sur l’île, lui expliqua qu’ils n’auraient pas le droit d’user de leurs berries à moins de faire face à un membre habilité de la guilde des marchands locale.
-Eh, vous venez de me retirer mon quatrième principal superpouvoir là, c’pad’jeu !
-Règle d’application stricte, lui avait répondu un second héraut. Nous avons eu beaucoup trop d’abus par le passé pour encore laisser circuler des... individus… c’est quoi la façon diplomatique de le dire déjà ?… potentiellement corrompus par la cupidité, l’avarice et susceptibles d’adopter des comportements parasitaires… ça devrait faire l’affaire pour pas avoir à dire sale connards d’étrangers profiteurs… auprès de notre population. Pas sans restreindre les moyens dont ils disposent pour exploiter leur prochain, en tout cas. Et ça n’est pas parce que vous avez une excellente réputation que vous pourrez avoir une dérogation.
Et sans aucune raison, Dogaku se figea, une soudaine vague d’autocritique l’ayant plongé dans ses pensées. La description que venait de faire le héraut s’appliquait au stéréotype du parfait pirate, mais aussi à celle d’un certain nombre de commerçants. Et est-ce qu’elle s’appliquait à lui ? Il espérait bien que non, mais il savait bien qu’en dépit de toutes ses qualités, de sa chance et des efforts qu’il avait pu fournir, il devait bien y avoir une part de ça pour qu’il se retrouve aussi ridiculement riche aujourd’hui. Ca faisait toujours bizarre, de se dire qu’il n’avait rien de tout ça deux ans plus tôt. Même si sa partenaire l’encourageait à se féliciter de leur situation.
-Ca peut avoir l’air prétentieux de notre part, poursuivit le milicien sans prêter attention à son air perdu, mais les habitants de ce pays sont infiniment plus bienveillants que le reste du monde. Et nous faisons le nécessaire pour les protéger de leur propre candeur. Et vous protéger d’elle. Parce que notre générosité n’est pas synonyme d’idiotie, et que vous pourriez payer cher à abuser des cadeaux que mes compatriotes vous ferons. Ca simplifie les choses.
-Compris. ’Fin c’était juste pour faire une blague stupide, pardon.
-Ca fait aussi partie de vos supers-pouvoirs ?
-Euh… j’y avais pas pensé mais du coup ça relègue le pognon au rang de mon cinquième principal superpouvoir, vous avez tout à fait raison.
Et c’est ainsi qu’il s’était retrouvé à se présenter à un couple de Boréalins, un peu plus jeunes que lui, qui se proposaient régulièrement pour héberger de bon gré des voyageurs de passage vers l’intérieur des terres. Avec la promesse d’un repas à base de soupe de poisson et de gratin de carottes agrémenté d’un jus de baies épicé façon vin chaud sans alcool pour égayer la soirée. Pall et Lilja, qu’ils s’appelaient. Tous deux d’anciens soldats de la quatre cent quarante quatrième division de la marine basée à Boréa qui, après une formation réussie au BAN et un service honorable accompli sur leur île natale, avaient fait le choix de se retirer pour fonder une petite famille. Tâche en bonne voie de s’accomplir, à en croire le ventre proéminent de la jeune femme désormais cordonnière qu’il avait aidée pendant plusieurs heures pour leur rendre la politesse. Non pas qu’il ait été d’une grande aide ce jour, avec ses deux mains gauches et son incompétence totale en la matière, mais il accomplit volontiers toutes les basses corvées et se montra bien assez curieux, distrayant et agréable pour mériter le gîte et le couvert.
-C’est quand même vraiment surprenant comme concept, chez vous. Economie à base de troc, communauté ultra méga soudée, effort collectif puissance mille alors qu’on est déjà pas mal sur Luvneel… les Boréens, c’est un peu la même en plus pire sur pas mal de points en fait.
-Les Boréalins, le rectifia Lilja.
-Je suis désolé mais ne vous fatiguez pas, c’est comme Nanokutruk et Kranokinu je sais que j’y arrive jamais pas la peine d’essayer. Même en ayant fait quatre-vingt-deux pourcents d’audimat dessus je suis une cause perdue. Je disais donc, les Booléens sont sympas et tout mais… du coup chuis ultra surpris, vous êtes quasiment des communistes par rapport au Luvneelois de base mais y’a plus d’inégalités ici que chez nous ? ‘Fin, chez nous y’a pas de guerre civile qui se couve entre le peuple et la noblesse en tout cas.
-Dixit le mec au train de vie exorbitant ?
-Euh… ‘tain vous êtes forte. Je tiens à préciser que je n’ai toujours pas été convié au grand cercle des affreux PDG milliardaires qui décident du prix du beurre et des ratios boutiques post taxes gouvernementales. J’ai même pas le droit de choisir qui a le droit de poser ses fesses sur le trône de tel ou tel pays, vous imaginez l’affront ?
-Nanokutruk, ça m’a pourtant l’air d’être exactement ce que vous avez fait ?
-Euh… ‘tain vous êtes très très forte. Nan mais là ça compte pas ils faisaient tous de la merde et j’ai juste pris les factions en otage en pointant les yeux du monde sur eux pour les empêcher de s’écharper. Pis techniquement j’ai surtout donné à l’impératrice du coin… et à l’empereur mais j’ai pas fait exprès… les moyens de s’exprimer eux aussi.
-Je sais. On vous regardait sur la Dendentélé, dans un pub, et c’était incroyable. Pendant l’espace d’un jour, vous avez remplacé les rediffusions de match de hockey dans la plupart des établissements de Boréa. Et peut-être même dans nos cœurs. Et je dis ça en tant qu’ancienne marine qui pense que le gouvernement mondial est une très bonne chose. Félicitations.
-Wouh, attention je vais plus me sentir là. C’était quoi votre morceau préféré ? Rita qui faisait les interviews sur le terrain et filmait les combats des gros bourrins en live ? Mes parodies troll et commentaires à la con ? Haylor qui se la jouait encyclopédie de l’occulte en expliquant tous les machins chelous que les mecs se vomissaient à la tronche ?
-Euh, surtout les vues aériennes avec les escargots remorqués par des mouettes. C’était vraiment très beau. Le pays est magnifique. Franchement, vous devriez faire ça avec tous les pays. Boréa, pour commencer.
-Je… vais passer l’information à Gravelor, c’est son truc et c’est une excellente idée. Mais je vais lui dire de se rapprocher de vous parce que je mérite pas d’en profiter, là.
-Renvoyez le à la guilde des marchands, dans ce cas. Je serai occupée avec mon nouveau-né.
-Naaan, je le renvoie à vous et vous le renverrez là où vous voulez.
Ce n’était qu’un extrait. Et le lendemain, après une bonne nuit de sommeil passée sur un canapé glissé au coin du feu, Sigurd salua chaleureusement ses hôtes avant de se rendre vers le Winterblade, le fameux train qui traversait le pays de part en part pour en relier les villes. Il s’était simplement retourné pour leur proposer de leur rendre la pareille si d’aventure ils visitaient le port de Norland et qu’ils n’avaient rien contre les grands manoirs historiques loués à la ville en contrepartie d’un loyer excessif pour écouler son argent.
Et à l’autre bout du jour, le voilà qui se tenait lourdement avachi sur un siège inconfortable dans un amphithéâtre, à Jalabert, pendant que plusieurs universitaires accompagnés de sommités d’origines diverses se succédaient sur l’estrade pour enchaîner conférences et débats en interaction avec le public conséquent qui leur faisait face : la salle était pleine, et des Denden rediffusaient en temps réel leurs exposés vers d’autres salles de l’université… et sur les ondes, accessibles à tous.
Il s’agissait du quarante-troisième congrès annuel de l’observatoire de la piraterie de North Blue. En partenariat avec la marine mondiale et anciennement la BNA, dorénavant remplacée par le Baroque Works. Des détails : à une époque pas si lointaine, quand l’âge et la fatigue ne l’avaient pas encore enraillé, c’était Vladimir Toreshky lui-même qui participait à l’évènement. C’avait d’ailleurs été la fierté de l’organisateur de la vingt-neuvième édition, qui était personnellement allé le chercher jusqu’au nouveau monde pour lui porter l’invitation, peu importe ce qu’en penserait Marijoa.
Aujourd’hui, les choses étaient plus conventionnelles. Parmi les invités notables, Sigurd reconnaissait le colonel Mortimer, d’Inu Town. Un homme d’excellente réputation qu’il n’avait jamais eu l’occasion de voir avant cela mais qu’il aurait certainement apprécié : du genre bienveillant, protecteur, idéaliste et formateur. Et visiblement aussi féru de thé que le proclamait la légende, à voir le nombre de tasses qu’il s’était enfilé au cours de l’heure écoulée. Un soldat de première classe lui ramenait régulièrement de nouvelles théières.
Un peu dans le même genre de Sigurd, qui s’était pour la peine contenté d’un grand thermos de chocolat chaud et d’un stock conséquent de grignoteries oléagineuses. Les noisettes boréalines étaient un peu moins bonnes que celle de Luvneel (ça n’était pas pour rien que Monblanc Norland en avait une sur le crâne), mais leurs noix étaient une véritable tuerie.
D’autres officiers de la marine ainsi que des diplomates et membres de corps d’armée des différents royaumes de North Blue, affiliés ou non au gouvernement mondial, étaient présents ce jour. Ainsi que, tout comme lui, des personnages d’horizons variés qui n’avaient rien à voir avec les forces de l’ordre.
Comme le sociologue qui venait tout juste de libérer l’estrade pour que le Luvneelois s’y rende à son tour.
En guise de micro, il y avait un Denden à lunettes de taille moyenne, vêtu d’un smoking pour gastéropode orné d’un nœud papillon. L’animal avait vraisemblablement coiffé son épaisse tignasse brune en arrière à grands renfort de cire. Sigurrd prit quelques instants pour jouer avec l’animal adorable avant de commencer.
-Bon alors, je sais que ça pourrait apparaître surprenant que je sois invité comme intervenant spécial pour une conférence de réduction de la piraterie quand on sait que mes spécialités, n’en déplaise à la propagande qui me concerne, c’est de maintenir les réseauteurs révos et les gros bras du GM en mode coucouche panier…
-Monsieur, s’il vous plaît, ça n’est peut-être pas le moment, exprima Viggo à voix haute.
Légèrement confus, Sigurd jeta un bref regard aux innombrables galonnés de la mouette qui le dévisageaient avec des expressions variées. Bien vite, il se contenta de ricaner devant son étourderie, levant la main en signe de paix à leur attention, et poursuivit du même ton :
« Euh, ouais, pardon. Donc il s’avère que j’ai aussi bricolé quelques petits machins pour chier à la gueule des pirates qui déconnent sur Luvneel. Je me présente, Sigurd Dogaku, fondateur et actionnaire totalement passif de la M.M.M.M.M., la Mutualisation des Moyens Maritimes des Marées de Monblanc !
Et Chevalier de Nowel, parce que Crachin et Panpeeter, et que moi aussi j’ai fait école des officiers militaires, et quelques années à commander un navire patrouilleur. Bref.
Arf on va croire que je suis venu faire ma pub… même pas !
Alors, la 5M, qu’est-ce que c’est ? Une entreprise d’armature spécialisée dans le rachat, la vente et la location de navires d’occasion qui ont presque tous la particularité d’avoir été arrachés à des équipages pirates par la force des armes. En gros quoi : imaginez Bob, chasseur de prime, civil énervé ou marine qui n’a pas trop le temps, qui vient de casser la gueule à tout un équipage de pirates pour délivrer la justice et/ou se repaître de leurs primes. Et qu’en plus de ça, Bob a réussi à faire sa besogne sans dégommer leur bateau. Il se retrouve donc avec un navire sur les bras qu’il ne peut pas manœuvrer seul. Alors quoi ? Alors nous ! On le lui rachète pour un prix digne de ce nom et on lui épargne tous les soucis logistiques qui consistent à devoir estimer le navire, trouver un revendeur, le manœuvrer jusqu’à bon port et se charger des réparations s’il est un peu tangent.
Je sais que ça fait bizarre et que je suis pas crédible avec ma dégaine de gros bourgeois dégoulinant de berries comme une piñata pour cambrioleur, mais j’essaie vraiment qu’on se foute pas de leur gueule quand on rachète les bâtiments. Le but c’est d’être incitatif et le plus encourageant possible pour que les gens fassent l’effort de porter leurs BA jusqu’au bout : remettre dans le circuit des navires parfaitement fonctionnels - ou retappables pour le devenir – en sachant que je connais pas beaucoup de pirates qui ont acquis leurs navires autrement qu’en le volant d’une manière ou d’une autre, donc c’est de très bonne guerre. Et après ça, on les propose à des prix abordables à la vente et à la location à qui qui en aurait besoin pour faire son commerce à l’export. On en a déjà refourgué à la Translinéenne, aussi.
Dans la théorie, la Mutu’ ne fait presque rien du tout, c’est même comme ça qu’on marge. Dans la pratique, on fait tous les trucs longs et chiants que personne n’a envie de faire, c’est comme ça que les autres margent. Et qu’est-ce qui se passe du coup ? Je ne suis pas exactement capable de le dire. Les chasseurs ont tendance à faire davantage d’allers-retours du côté de Luvneel pour venir déclarer des prises à récupérer, ce qui augmente leurs chances de croiser des navires de pirates pendant ces trajets, ce qui diminue encore plus le nombre de pirates qui survit à ça. Les gens nerveux mais pas affiliés aux forces de l’ordre peuvent en faire de même quand des pirates les gratouillent de trop près.
Je signale au passage que l’on soumet nos revendeurs à de brèves études de probité pour s’assurer qu’on a pas affaire à un gros malin qui voudrait nous ballaster des navires volés. Enfin, volés à des gens qui sont pas des pirates, on se comprend.
Donc voilà. J’espère sincèrement qu’on ne cannibalise pas la présence des chasseurs sur le reste de North Blue en faisant ça mais je suis incapable de le dire. Ouvert aux suggestions et si quelqu’un veut lancer la même affaire sur une autre île, qu’il hésite pas à venir me demander tous les retours d’expérience que je peux lui faire, géographiquement on sera pas vraiment en concurrence de toute donc je fais ça cadeau. ‘Fin, sauf si je dois envoyer des gars HSBC en plus pour vous aider à tout monter mais on peut s’arranger.
Et plus récemment, je me suis rendu compte d’un truc qui m’a fait assez rigoler… en fait ce que je fais avec la Mutu’, c’est exactement la même chose que ce que le gros méchant Red d’Armada fait avec sa guilde des Usuriers. Vous savez qui c’est, le gros méchant de grandline comme dans la chanson :
♪ Allons sur Armada le pays des piraaates,
Allons sur Armada par-ce qu’on s’y éclaaate ! ♫.
Ces fils de chacals sans race font du recel de marchandises et de navires volés et refourguent ces bateaux sous forme de pack de démarrage aux équipages pirates qui veulent se lancer sans en avoir les moyens. Contrepartie, des taux d’intérêt pas possibles qui ne sont vraisemblablement remboursables uniquement qu’en faisant de l’argent facile, donc du vol et pillage à la clé, donc des civils pas contents et un Sigurd en rogne. Au bout du bout, je considère qu’on fait la même chose mais de l’autre côté du spectre de la légalité.
Et leur connerie ça marche autant que la mienne en fait. Probablement mieux d’ailleurs, parce qu’eux s’en prennent aux faibles qui ne peuvent pas se défendre alors que nous on incite à s’en prendre à des gars costauds et menaçants. Sauf que du coup leur fils de puterie est devenue un véritable cancer pour les honnêtes gens et c’est insupportable. Ca fait un peu loin maintenant, mais il y a deux ans, on avait une branche de la guilde des usuriers qui s’était implantée sur Luvneel, un peu partout dans le pays d’ailleurs. Et on a eu un afflux monstrueux de couillons de passage qui ont voulu faire les kékés en territoire conquis. Sauf qu’on a assez vite pété les plombs et qu’on a viré tout ce petit monde fissa manu militari en leur bottant le cul. Ca a demandé un certain niveau par contre parce qu’ils avaient un gros bras qui nous a fait très très peur. Je me sens obligé de signaler que je sais pas d’où ils venaient, mais que des révos nous ont énormément aidés sur ce coup et que merci encore les gars. C’est bon je peux dire ça sans finir sur le prochain convoi ? Parfait.
Mais depuis qu’on s’est débarrassés de nos usuriers, c’est vaaachement plus tranquille. On est plus dans le même monde, c’est vraiment agréable.
Et du coup, je sais que la mode actuelle est plutôt à la chasse au révo, mais j’aimerais profiter de la fin de mon allocution pour glisser quelques billes à qui qui serait prêt à écouter les sugg’ de Sig’.
Je suis sûr que si vous arriviez à dégommer les autres planques de la guilde des usuriers sur North Blue, vous feriez déjà un grand pas en avant pour calmer le jeu de la piraterie dans notre océan. A notre époque c’était facile, les pirates qui avaient recours à leurs services avaient la formidable idée d’hisser un drapeau rouge pour marquer leur affiliation au grand Schtroumpf Red. Donc on pouvait pratiquement les attaquer à vue. J’ai rien vu comme ça à Lavallière mais je sais pas si le procédé est encore d’actualité donc je ne peux pas dire. Mais ouvrez l’œil, s’il vous plaît.
En lançant un coup au pif, je note que c’est généralement quand on approche de Zaun (pas forcément surprenant) et d’Inu Town (ou Hinu Town, désolé colonel Mortiner je sais jamais comment ça se prononce) qu’on a des incidents de parcours à cause de gros pirates, donc ça pourrait être pas mal de jeter des coups d’œil dans ces coins.
Donc voilà. Pour résumer, donner plus de carottes aux forces de l’ordre quand ils cassent du pirate et mettre un bon coup de bâton sur les doigts du gros charognard véreux qui incite les pirates à se lancer. Je sais quand ça sonne salement connard totalitaire quand je dis ça et que j’ai jamais été en position d’avoir à rejoindre la piraterie par nécessité, mais je n’ai pas les compétences pour m’exprimer sur la réduction de la criminalité par hausse du niveau de vie et… c’est pourtant ce que j’essaie de faire au quotidien.
Voilà pour moi. Des questions ? »
-Sigurd ! Ca me fait plaisir de vous entendre. Mais je suis vraiment navrée, je suis en réunion. Je vous rappelle dans trois heures ?
-M’en doute, aucun souci. Juste pour être bref, j’ai aucune idée de ce que vous lirez dans le journal ou que vous pourrez entendre à la radio, mais faut que vous sachiez qu’il ne m’est absolument rien arrivé de grave et que je vais parfaitement bien. Je rentre semaine pro’ comme prévu. Du coup j’vous fais la bise.
-Non non non attendez un instant. Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Sur une échelle de Sheepball à Nanokutruk, j’ai eu Lucciansotta au max du max.
Son Denden, qui avait pris les traits pincés de sa chère et tendre, se raidit subitement en exorbitant les globes, mâchoires décollées dans une grimace béante. Et lui ne put s’empêcher de se dire qu’elle était absolument charmante quand elle se tordait de la sorte, ça donnait envie de lui croquer les joues. Dommage que les escargophones n’aient pas d’oreilles, parce qu’il aurait adoré les voir se redresser et adopter cette teinte si caractéristique qui…
-Pitié dîtes moi que c’est une plaisanterie.
-Je répète que je vais absolument très bien et que je suis intact et qu’il ne m’est strictement rien arri…
-Racontez-moi tout.
-Votre réunion… ?
-Peut maintenant brûler en enfer pour ce que j’en ai à faire. Le monde peut attendre.
-Rhooo, vous êtes tellement belle quand vous pétez les plombs. C’est le contraire de ce que je voulais faire en vous appelant, savez ?
-Sigurd. Maintenant.
-‘Kay ‘kay, alors pour la faire propre…
*
* *
*
* *
*
Boréa. Deux millions d’habitants. Un cinquième de la population de Luvneel. Avec énormément de neige au lieu de leur pluie à eux.
A Jalabert, la ville universitaire. Quinze mille âmes. Et une réputation de lieu de science ouvert au plus grand nombre qui la hissait dans la même dimension qu’Ohara et sa bibliothèque.
Son cerveau avait beau dresser toutes les comparaisons qu’il pouvait, Sigurd savait qu’il avait tout à découvrir de cet endroit, et que ses neurones feraient mieux d’apprécier le charme de cette charmante contrée plutôt que de se perdre en projections fallacieuses.
Non pas que les résidents se privent d’en faire de même à son sujet.
-On vous a beaucoup comparé à Loth Reich, commenta Viggo Hauksson, l’universitaire à l’origine de son invitation ici.
-Ouais, je sais vraiment pas pourquoi, on joue pas dans la même catégorie pourtant. Lui il fait des trucs intelligents et trop compliqués, moi je fais des trucs simples et trop débiles. C’est probablement parce qu’il porte des lunettes alors que je suis blond, mais je trouve ma façon plus sympa franchement. Euh, c’est gentil pour la valise mais je préfère m’en charger tout seul comme un grand. Ca me met toujours mal à l’aise, c’pas parce que je suis riche ou connu ou quoi que ce soit que j’ai le droit de…
-Oui, mais vous êtes notre invité.
-Euh… alors j’accepte, merci beaucoup monsieur !
Hospitalité Boréaline. Il n’allait pas les contrarier, ils étaient extrêmement gentils. Même avec les étrangers. Surtout avec les étrangers ? A peine débarqué à Lavallière, la seule cité portuaire de tout le royaume, qu’un groupe de miliciens avait énoncé les us et coutumes de l’île aux voyageurs et proposé à chacun d’entre eux de rejoindre une famille d’accueil le temps de leur séjour dans le port. Ca ou une auberge, à leur convenance.
Eh, ça avait l’air rigolo, qu’il s’était dit. Lui devait rejoindre la ville universitaire de Jalabert par train le lendemain, et avait bien une douzaine d’heures à tuer dans la ville en plus de son temps de sommeil.
Un léger malaise le gagna quand on lui indiqua qu’il n’aurait rien à payer pour ça, sensation qui se mua en une interrogation curieuse quand le héraut de l’aurore, terme guindé désignant les miliciens chargés de l’accueil des arrivants sur l’île, lui expliqua qu’ils n’auraient pas le droit d’user de leurs berries à moins de faire face à un membre habilité de la guilde des marchands locale.
-Eh, vous venez de me retirer mon quatrième principal superpouvoir là, c’pad’jeu !
-Règle d’application stricte, lui avait répondu un second héraut. Nous avons eu beaucoup trop d’abus par le passé pour encore laisser circuler des... individus… c’est quoi la façon diplomatique de le dire déjà ?… potentiellement corrompus par la cupidité, l’avarice et susceptibles d’adopter des comportements parasitaires… ça devrait faire l’affaire pour pas avoir à dire sale connards d’étrangers profiteurs… auprès de notre population. Pas sans restreindre les moyens dont ils disposent pour exploiter leur prochain, en tout cas. Et ça n’est pas parce que vous avez une excellente réputation que vous pourrez avoir une dérogation.
Et sans aucune raison, Dogaku se figea, une soudaine vague d’autocritique l’ayant plongé dans ses pensées. La description que venait de faire le héraut s’appliquait au stéréotype du parfait pirate, mais aussi à celle d’un certain nombre de commerçants. Et est-ce qu’elle s’appliquait à lui ? Il espérait bien que non, mais il savait bien qu’en dépit de toutes ses qualités, de sa chance et des efforts qu’il avait pu fournir, il devait bien y avoir une part de ça pour qu’il se retrouve aussi ridiculement riche aujourd’hui. Ca faisait toujours bizarre, de se dire qu’il n’avait rien de tout ça deux ans plus tôt. Même si sa partenaire l’encourageait à se féliciter de leur situation.
-Ca peut avoir l’air prétentieux de notre part, poursuivit le milicien sans prêter attention à son air perdu, mais les habitants de ce pays sont infiniment plus bienveillants que le reste du monde. Et nous faisons le nécessaire pour les protéger de leur propre candeur. Et vous protéger d’elle. Parce que notre générosité n’est pas synonyme d’idiotie, et que vous pourriez payer cher à abuser des cadeaux que mes compatriotes vous ferons. Ca simplifie les choses.
-Compris. ’Fin c’était juste pour faire une blague stupide, pardon.
-Ca fait aussi partie de vos supers-pouvoirs ?
-Euh… j’y avais pas pensé mais du coup ça relègue le pognon au rang de mon cinquième principal superpouvoir, vous avez tout à fait raison.
Et c’est ainsi qu’il s’était retrouvé à se présenter à un couple de Boréalins, un peu plus jeunes que lui, qui se proposaient régulièrement pour héberger de bon gré des voyageurs de passage vers l’intérieur des terres. Avec la promesse d’un repas à base de soupe de poisson et de gratin de carottes agrémenté d’un jus de baies épicé façon vin chaud sans alcool pour égayer la soirée. Pall et Lilja, qu’ils s’appelaient. Tous deux d’anciens soldats de la quatre cent quarante quatrième division de la marine basée à Boréa qui, après une formation réussie au BAN et un service honorable accompli sur leur île natale, avaient fait le choix de se retirer pour fonder une petite famille. Tâche en bonne voie de s’accomplir, à en croire le ventre proéminent de la jeune femme désormais cordonnière qu’il avait aidée pendant plusieurs heures pour leur rendre la politesse. Non pas qu’il ait été d’une grande aide ce jour, avec ses deux mains gauches et son incompétence totale en la matière, mais il accomplit volontiers toutes les basses corvées et se montra bien assez curieux, distrayant et agréable pour mériter le gîte et le couvert.
-C’est quand même vraiment surprenant comme concept, chez vous. Economie à base de troc, communauté ultra méga soudée, effort collectif puissance mille alors qu’on est déjà pas mal sur Luvneel… les Boréens, c’est un peu la même en plus pire sur pas mal de points en fait.
-Les Boréalins, le rectifia Lilja.
-Je suis désolé mais ne vous fatiguez pas, c’est comme Nanokutruk et Kranokinu je sais que j’y arrive jamais pas la peine d’essayer. Même en ayant fait quatre-vingt-deux pourcents d’audimat dessus je suis une cause perdue. Je disais donc, les Booléens sont sympas et tout mais… du coup chuis ultra surpris, vous êtes quasiment des communistes par rapport au Luvneelois de base mais y’a plus d’inégalités ici que chez nous ? ‘Fin, chez nous y’a pas de guerre civile qui se couve entre le peuple et la noblesse en tout cas.
-Dixit le mec au train de vie exorbitant ?
-Euh… ‘tain vous êtes forte. Je tiens à préciser que je n’ai toujours pas été convié au grand cercle des affreux PDG milliardaires qui décident du prix du beurre et des ratios boutiques post taxes gouvernementales. J’ai même pas le droit de choisir qui a le droit de poser ses fesses sur le trône de tel ou tel pays, vous imaginez l’affront ?
-Nanokutruk, ça m’a pourtant l’air d’être exactement ce que vous avez fait ?
-Euh… ‘tain vous êtes très très forte. Nan mais là ça compte pas ils faisaient tous de la merde et j’ai juste pris les factions en otage en pointant les yeux du monde sur eux pour les empêcher de s’écharper. Pis techniquement j’ai surtout donné à l’impératrice du coin… et à l’empereur mais j’ai pas fait exprès… les moyens de s’exprimer eux aussi.
-Je sais. On vous regardait sur la Dendentélé, dans un pub, et c’était incroyable. Pendant l’espace d’un jour, vous avez remplacé les rediffusions de match de hockey dans la plupart des établissements de Boréa. Et peut-être même dans nos cœurs. Et je dis ça en tant qu’ancienne marine qui pense que le gouvernement mondial est une très bonne chose. Félicitations.
-Wouh, attention je vais plus me sentir là. C’était quoi votre morceau préféré ? Rita qui faisait les interviews sur le terrain et filmait les combats des gros bourrins en live ? Mes parodies troll et commentaires à la con ? Haylor qui se la jouait encyclopédie de l’occulte en expliquant tous les machins chelous que les mecs se vomissaient à la tronche ?
-Euh, surtout les vues aériennes avec les escargots remorqués par des mouettes. C’était vraiment très beau. Le pays est magnifique. Franchement, vous devriez faire ça avec tous les pays. Boréa, pour commencer.
-Je… vais passer l’information à Gravelor, c’est son truc et c’est une excellente idée. Mais je vais lui dire de se rapprocher de vous parce que je mérite pas d’en profiter, là.
-Renvoyez le à la guilde des marchands, dans ce cas. Je serai occupée avec mon nouveau-né.
-Naaan, je le renvoie à vous et vous le renverrez là où vous voulez.
Ce n’était qu’un extrait. Et le lendemain, après une bonne nuit de sommeil passée sur un canapé glissé au coin du feu, Sigurd salua chaleureusement ses hôtes avant de se rendre vers le Winterblade, le fameux train qui traversait le pays de part en part pour en relier les villes. Il s’était simplement retourné pour leur proposer de leur rendre la pareille si d’aventure ils visitaient le port de Norland et qu’ils n’avaient rien contre les grands manoirs historiques loués à la ville en contrepartie d’un loyer excessif pour écouler son argent.
Et à l’autre bout du jour, le voilà qui se tenait lourdement avachi sur un siège inconfortable dans un amphithéâtre, à Jalabert, pendant que plusieurs universitaires accompagnés de sommités d’origines diverses se succédaient sur l’estrade pour enchaîner conférences et débats en interaction avec le public conséquent qui leur faisait face : la salle était pleine, et des Denden rediffusaient en temps réel leurs exposés vers d’autres salles de l’université… et sur les ondes, accessibles à tous.
Il s’agissait du quarante-troisième congrès annuel de l’observatoire de la piraterie de North Blue. En partenariat avec la marine mondiale et anciennement la BNA, dorénavant remplacée par le Baroque Works. Des détails : à une époque pas si lointaine, quand l’âge et la fatigue ne l’avaient pas encore enraillé, c’était Vladimir Toreshky lui-même qui participait à l’évènement. C’avait d’ailleurs été la fierté de l’organisateur de la vingt-neuvième édition, qui était personnellement allé le chercher jusqu’au nouveau monde pour lui porter l’invitation, peu importe ce qu’en penserait Marijoa.
Aujourd’hui, les choses étaient plus conventionnelles. Parmi les invités notables, Sigurd reconnaissait le colonel Mortimer, d’Inu Town. Un homme d’excellente réputation qu’il n’avait jamais eu l’occasion de voir avant cela mais qu’il aurait certainement apprécié : du genre bienveillant, protecteur, idéaliste et formateur. Et visiblement aussi féru de thé que le proclamait la légende, à voir le nombre de tasses qu’il s’était enfilé au cours de l’heure écoulée. Un soldat de première classe lui ramenait régulièrement de nouvelles théières.
Un peu dans le même genre de Sigurd, qui s’était pour la peine contenté d’un grand thermos de chocolat chaud et d’un stock conséquent de grignoteries oléagineuses. Les noisettes boréalines étaient un peu moins bonnes que celle de Luvneel (ça n’était pas pour rien que Monblanc Norland en avait une sur le crâne), mais leurs noix étaient une véritable tuerie.
D’autres officiers de la marine ainsi que des diplomates et membres de corps d’armée des différents royaumes de North Blue, affiliés ou non au gouvernement mondial, étaient présents ce jour. Ainsi que, tout comme lui, des personnages d’horizons variés qui n’avaient rien à voir avec les forces de l’ordre.
Comme le sociologue qui venait tout juste de libérer l’estrade pour que le Luvneelois s’y rende à son tour.
En guise de micro, il y avait un Denden à lunettes de taille moyenne, vêtu d’un smoking pour gastéropode orné d’un nœud papillon. L’animal avait vraisemblablement coiffé son épaisse tignasse brune en arrière à grands renfort de cire. Sigurrd prit quelques instants pour jouer avec l’animal adorable avant de commencer.
-Bon alors, je sais que ça pourrait apparaître surprenant que je sois invité comme intervenant spécial pour une conférence de réduction de la piraterie quand on sait que mes spécialités, n’en déplaise à la propagande qui me concerne, c’est de maintenir les réseauteurs révos et les gros bras du GM en mode coucouche panier…
-Monsieur, s’il vous plaît, ça n’est peut-être pas le moment, exprima Viggo à voix haute.
Légèrement confus, Sigurd jeta un bref regard aux innombrables galonnés de la mouette qui le dévisageaient avec des expressions variées. Bien vite, il se contenta de ricaner devant son étourderie, levant la main en signe de paix à leur attention, et poursuivit du même ton :
« Euh, ouais, pardon. Donc il s’avère que j’ai aussi bricolé quelques petits machins pour chier à la gueule des pirates qui déconnent sur Luvneel. Je me présente, Sigurd Dogaku, fondateur et actionnaire totalement passif de la M.M.M.M.M., la Mutualisation des Moyens Maritimes des Marées de Monblanc !
Et Chevalier de Nowel, parce que Crachin et Panpeeter, et que moi aussi j’ai fait école des officiers militaires, et quelques années à commander un navire patrouilleur. Bref.
Arf on va croire que je suis venu faire ma pub… même pas !
Alors, la 5M, qu’est-ce que c’est ? Une entreprise d’armature spécialisée dans le rachat, la vente et la location de navires d’occasion qui ont presque tous la particularité d’avoir été arrachés à des équipages pirates par la force des armes. En gros quoi : imaginez Bob, chasseur de prime, civil énervé ou marine qui n’a pas trop le temps, qui vient de casser la gueule à tout un équipage de pirates pour délivrer la justice et/ou se repaître de leurs primes. Et qu’en plus de ça, Bob a réussi à faire sa besogne sans dégommer leur bateau. Il se retrouve donc avec un navire sur les bras qu’il ne peut pas manœuvrer seul. Alors quoi ? Alors nous ! On le lui rachète pour un prix digne de ce nom et on lui épargne tous les soucis logistiques qui consistent à devoir estimer le navire, trouver un revendeur, le manœuvrer jusqu’à bon port et se charger des réparations s’il est un peu tangent.
Je sais que ça fait bizarre et que je suis pas crédible avec ma dégaine de gros bourgeois dégoulinant de berries comme une piñata pour cambrioleur, mais j’essaie vraiment qu’on se foute pas de leur gueule quand on rachète les bâtiments. Le but c’est d’être incitatif et le plus encourageant possible pour que les gens fassent l’effort de porter leurs BA jusqu’au bout : remettre dans le circuit des navires parfaitement fonctionnels - ou retappables pour le devenir – en sachant que je connais pas beaucoup de pirates qui ont acquis leurs navires autrement qu’en le volant d’une manière ou d’une autre, donc c’est de très bonne guerre. Et après ça, on les propose à des prix abordables à la vente et à la location à qui qui en aurait besoin pour faire son commerce à l’export. On en a déjà refourgué à la Translinéenne, aussi.
Dans la théorie, la Mutu’ ne fait presque rien du tout, c’est même comme ça qu’on marge. Dans la pratique, on fait tous les trucs longs et chiants que personne n’a envie de faire, c’est comme ça que les autres margent. Et qu’est-ce qui se passe du coup ? Je ne suis pas exactement capable de le dire. Les chasseurs ont tendance à faire davantage d’allers-retours du côté de Luvneel pour venir déclarer des prises à récupérer, ce qui augmente leurs chances de croiser des navires de pirates pendant ces trajets, ce qui diminue encore plus le nombre de pirates qui survit à ça. Les gens nerveux mais pas affiliés aux forces de l’ordre peuvent en faire de même quand des pirates les gratouillent de trop près.
Je signale au passage que l’on soumet nos revendeurs à de brèves études de probité pour s’assurer qu’on a pas affaire à un gros malin qui voudrait nous ballaster des navires volés. Enfin, volés à des gens qui sont pas des pirates, on se comprend.
Donc voilà. J’espère sincèrement qu’on ne cannibalise pas la présence des chasseurs sur le reste de North Blue en faisant ça mais je suis incapable de le dire. Ouvert aux suggestions et si quelqu’un veut lancer la même affaire sur une autre île, qu’il hésite pas à venir me demander tous les retours d’expérience que je peux lui faire, géographiquement on sera pas vraiment en concurrence de toute donc je fais ça cadeau. ‘Fin, sauf si je dois envoyer des gars HSBC en plus pour vous aider à tout monter mais on peut s’arranger.
Et plus récemment, je me suis rendu compte d’un truc qui m’a fait assez rigoler… en fait ce que je fais avec la Mutu’, c’est exactement la même chose que ce que le gros méchant Red d’Armada fait avec sa guilde des Usuriers. Vous savez qui c’est, le gros méchant de grandline comme dans la chanson :
♪ Allons sur Armada le pays des piraaates,
Allons sur Armada par-ce qu’on s’y éclaaate ! ♫.
Ces fils de chacals sans race font du recel de marchandises et de navires volés et refourguent ces bateaux sous forme de pack de démarrage aux équipages pirates qui veulent se lancer sans en avoir les moyens. Contrepartie, des taux d’intérêt pas possibles qui ne sont vraisemblablement remboursables uniquement qu’en faisant de l’argent facile, donc du vol et pillage à la clé, donc des civils pas contents et un Sigurd en rogne. Au bout du bout, je considère qu’on fait la même chose mais de l’autre côté du spectre de la légalité.
Et leur connerie ça marche autant que la mienne en fait. Probablement mieux d’ailleurs, parce qu’eux s’en prennent aux faibles qui ne peuvent pas se défendre alors que nous on incite à s’en prendre à des gars costauds et menaçants. Sauf que du coup leur fils de puterie est devenue un véritable cancer pour les honnêtes gens et c’est insupportable. Ca fait un peu loin maintenant, mais il y a deux ans, on avait une branche de la guilde des usuriers qui s’était implantée sur Luvneel, un peu partout dans le pays d’ailleurs. Et on a eu un afflux monstrueux de couillons de passage qui ont voulu faire les kékés en territoire conquis. Sauf qu’on a assez vite pété les plombs et qu’on a viré tout ce petit monde fissa manu militari en leur bottant le cul. Ca a demandé un certain niveau par contre parce qu’ils avaient un gros bras qui nous a fait très très peur. Je me sens obligé de signaler que je sais pas d’où ils venaient, mais que des révos nous ont énormément aidés sur ce coup et que merci encore les gars. C’est bon je peux dire ça sans finir sur le prochain convoi ? Parfait.
Mais depuis qu’on s’est débarrassés de nos usuriers, c’est vaaachement plus tranquille. On est plus dans le même monde, c’est vraiment agréable.
Et du coup, je sais que la mode actuelle est plutôt à la chasse au révo, mais j’aimerais profiter de la fin de mon allocution pour glisser quelques billes à qui qui serait prêt à écouter les sugg’ de Sig’.
Je suis sûr que si vous arriviez à dégommer les autres planques de la guilde des usuriers sur North Blue, vous feriez déjà un grand pas en avant pour calmer le jeu de la piraterie dans notre océan. A notre époque c’était facile, les pirates qui avaient recours à leurs services avaient la formidable idée d’hisser un drapeau rouge pour marquer leur affiliation au grand Schtroumpf Red. Donc on pouvait pratiquement les attaquer à vue. J’ai rien vu comme ça à Lavallière mais je sais pas si le procédé est encore d’actualité donc je ne peux pas dire. Mais ouvrez l’œil, s’il vous plaît.
En lançant un coup au pif, je note que c’est généralement quand on approche de Zaun (pas forcément surprenant) et d’Inu Town (ou Hinu Town, désolé colonel Mortiner je sais jamais comment ça se prononce) qu’on a des incidents de parcours à cause de gros pirates, donc ça pourrait être pas mal de jeter des coups d’œil dans ces coins.
Donc voilà. Pour résumer, donner plus de carottes aux forces de l’ordre quand ils cassent du pirate et mettre un bon coup de bâton sur les doigts du gros charognard véreux qui incite les pirates à se lancer. Je sais quand ça sonne salement connard totalitaire quand je dis ça et que j’ai jamais été en position d’avoir à rejoindre la piraterie par nécessité, mais je n’ai pas les compétences pour m’exprimer sur la réduction de la criminalité par hausse du niveau de vie et… c’est pourtant ce que j’essaie de faire au quotidien.
Voilà pour moi. Des questions ? »
